Premier décembre 1763
Les yeux ronds, Autone figea, la lettre de Luna entre les mains. Yolande, qui se défiait seule aux échecs, leva un sourcil en lui demandant ce qui lui valait une telle réaction. La petite dame ne réagit même pas à Odélie qui venait s’asseoir au pied de son fauteuil pour poser la tête sur les cuisses de sa mère. Après quelques secondes, elle releva la main pour la passer dans la chevelure rousse.
« Luna a accouché. »
Yolande restât immobile un moment, le pion suspendu au-dessus du jeu alors qu’elle s’apprêtait à le placer. « N’était-elle pas mariée avec Orfraie Ataliel? Qui est le père? » Le rossignol se pinça les lèvres pour retenir un rire explosif. « Bien, apparemment, Orfraie. » Les deux femmes se regardèrent d’un air complice et éclatèrent de rire ensemble.
« La princesse! » fit Odélie, alors qu’Autone déposait la lettre pour attraper sa fille par les hanches et l’asseoir sur ses genoux.« Oui, Princesse Luna. » lui dit-elle en soufflant un peu sur son front pour dégager les mèches libres qui couvraient ses yeux. L’enfant se mit à rire, puis Autone la recoiffa un peu, sans la gronder. Yolande avait de la difficulté à se retenir de corriger les enfants sur leurs manières. Ce n’était pas les siens, alors elle respectait l’éducation que Satie et Autone leur donnait. Lorsqu’on y pensait, il était étonnant que Yolande ne soit toujours pas mariée. Des deux jumelles, Yolande était celle qui avait consacré la plus grande partie de sa jeunesse à chercher un bon parti. Depuis que Matis les avait quittés, il lui semblait que l’héritière Falkire errait, comme si elle avait perdu foi en l’avenir. Elle trouvait son contentement dans ce concon familial et avait cessé de chercher un catalyseur à ses ambitions. « Je sais que les Kohan ne te plaisent pas mais… » Yolande interrompit la petite dame, l’air sérieuse : « Matis considérait Luna comme une sœur. Soit sans craintes, Autone. »
La petite dame sourit et embrassa la joue de Yolande avant de quitter vers son bureau.
La petite dame chercha dans son bureau encombré de papiers éparses la cire qui lui servait à sceller ses lettres. Elle avait passé les derniers mois à retranscrire les histoires des légendes Graärhs, celles dont elle se souvenait et celles qu’elle avait apprises plus récemment. Des partitions s’accumulaient les unes sur les autres et des feuilles de musique vierges étaient les seules qui étaient empilées de manière ordonnée. Autone soupira, elle remettait toujours à demain le moment du classement, passait tant de temps à travailler sur ces chansons qu’elle oubliait de les ranger. D’un coup de tête, la petite dame décida de classer les documents, empilant les histoires terminées ensemble, les brouillons de chaque catégorie. Puis elle passa de longues minutes à tenter d’ordonner dans sa tête quelles partitions elle avait écrit dans l’idée de la combiner avec d’autres. Cela lui arrivait souvent d’écrire une partie de chanson puis d’oublier de combiner les idées ensemble. Autone chantait parfois quelques notes pour tenter d’associer les mélodies à ses idées passées. Finalement, le court moment qu’Autone avait pris pour écrire une lettre s’était transformée en trois heures de rangement.
La petite dame daigna enfin sceller la lettre sur un bureau enfin ordonné. Satisfaite, elle alla prévenir les jumelles avant d’envoyer sa requête. Elle ouvrit la porte du jardin et tendit la main à un joli corbeau. Le rossignol caressa le bec de l’oiseau avant d’attacher sa lettre d’un ruban « Va porter mon message à Luna Kohan, à Ipsë Rosea, joli corbeau. »
Autone avait envoyé une calèche chercher Luna au port. Le bateau était arrivée en matinée, on avait déposé Luna devant la résidence Falkire où Autone l’avait attendu devant la porte, fébrile. Remplie de joie, elle l’avait vu sortir de la voiture avec l’enfant et avait embrassé son amie avant de la faire entrer rapidement. Bien qu’Autone avait prévenu Eleonnora de la présence de Luna, la princesse avait explicité son désir de rester subtile dans sa visite. La petite dame avait laissé Luna le temps de s’installer, d’apprivoiser ses appartements, une chambre pour les visiteurs qui était aussi belle que toutes les autres chambres de la maison. La résidence Falkire était bâtie sur une esthétique de ce qui était bien fait, avec la beauté délicate de l’artisanat. La maison ne reluisait pas de luxe indécent, mais du talent des artistes qui avaient mis leur cœur dans chaque pièce d’architecture ou de mobilier. Tout semblait être fait pour durer, la maison était à l’image des Falkire en cette perspective.
Autone fit préparer un bain et un repas pour la princesse des lumières. Luna put profiter de ces quelques heures alors qu’Autone s’occupait d’Elena. En après-midi, Autone avait demandé le thé à sa servante et les nourrices prirent charge des enfants pour laisser aux deux jeunes femmes un moment. Alors que Luna arrivait au salon, Autone s’approcha et prit le visage de la princesse entre ses mains, d’un geste maternel et tout sourire. C’était étrange, maintenant qu’elle était si grande. Elles avaient pu se saluer plus tôt mais Autone avait voulu lui laisser le temps de se reposer avant d’entamer une conversation. Il y aurait tant de choses à dire. « Regarde de toi. » remarqua-t-elle, avant de laisser son visage pour prendre ses deux mains. « Je ne sais pas par où commencer. Viens, j’ai fait préparer un thé et des sucreries. » La petite dame entraina son amie sur le sofa auprès duquel avait été approché une petite table. Ainsi, elles étaient assises l’une à côté de l’autre. Des biscuits au beurre et quelques sucreries au chocolat étaient posée dans une assiette en porcelaine, près des deux petites tasses et de la théière. Autone servit le thé à son invitée avant de servir sa propre tasse. « J’aurais aimé être auprès de toi pour ton accouchement. J’espère que tout s’est bien passé pour toi. Dis-moi, as-tu des craintes? Des questions à qui tu ne sais pas demander? Sache qu’il n’y a aucun sujet interdit. C’est très courageux de ta part d’avoir fait le voyage à peine quelques mois après la naissance de ton enfant. » Autone offrit un sourire à la princesse, l’observant un peu, s’imprégnant de son regard lumineux. « Je suis heureuse que tu sois venue. »
C’était difficile de marcher sur ce chemin, mais Autone s’était mise à chercher ce qui la rendait authentique. Luna était de ces personnes dont elle ne craignait pas, elle pouvait ainsi être entièrement vulnérable avec elle. Être Autone, seulement Autone. Ni la conseillère de Caladon, ni la politicienne.
Les yeux ronds, Autone figea, la lettre de Luna entre les mains. Yolande, qui se défiait seule aux échecs, leva un sourcil en lui demandant ce qui lui valait une telle réaction. La petite dame ne réagit même pas à Odélie qui venait s’asseoir au pied de son fauteuil pour poser la tête sur les cuisses de sa mère. Après quelques secondes, elle releva la main pour la passer dans la chevelure rousse.
« Luna a accouché. »
Yolande restât immobile un moment, le pion suspendu au-dessus du jeu alors qu’elle s’apprêtait à le placer. « N’était-elle pas mariée avec Orfraie Ataliel? Qui est le père? » Le rossignol se pinça les lèvres pour retenir un rire explosif. « Bien, apparemment, Orfraie. » Les deux femmes se regardèrent d’un air complice et éclatèrent de rire ensemble.
« La princesse! » fit Odélie, alors qu’Autone déposait la lettre pour attraper sa fille par les hanches et l’asseoir sur ses genoux.« Oui, Princesse Luna. » lui dit-elle en soufflant un peu sur son front pour dégager les mèches libres qui couvraient ses yeux. L’enfant se mit à rire, puis Autone la recoiffa un peu, sans la gronder. Yolande avait de la difficulté à se retenir de corriger les enfants sur leurs manières. Ce n’était pas les siens, alors elle respectait l’éducation que Satie et Autone leur donnait. Lorsqu’on y pensait, il était étonnant que Yolande ne soit toujours pas mariée. Des deux jumelles, Yolande était celle qui avait consacré la plus grande partie de sa jeunesse à chercher un bon parti. Depuis que Matis les avait quittés, il lui semblait que l’héritière Falkire errait, comme si elle avait perdu foi en l’avenir. Elle trouvait son contentement dans ce concon familial et avait cessé de chercher un catalyseur à ses ambitions. « Je sais que les Kohan ne te plaisent pas mais… » Yolande interrompit la petite dame, l’air sérieuse : « Matis considérait Luna comme une sœur. Soit sans craintes, Autone. »
La petite dame sourit et embrassa la joue de Yolande avant de quitter vers son bureau.
Luna
Quelle surprise d’avoir ces nouvelles de toi. Je dois bien avouer que je me suis toujours demandé si ces potions pouvaient être utilisées ainsi. N’en souffle mot à personne, je t’en prie. Elena, nom de la ville natale des Falkire, mère de leur grande lignée. N’évoquez jamais cet endroit devant un Falkire, vous resterez coincé pour des heures à devoir l’écouter par politesse. Si cet enfant a la moitié de ta force, ces centenaires générationnels seront presque aussi tenaces que ta petite étoile.
Je regrette de ne pas t’avoir écrit toutes les semaines, si j’avais entendu nouvelles de ta grossesse, je t’aurais visité. Permets-moi de prendre engagement de t’envoyer mes oiseaux chaque fois que ma vie daignera être assez intéressante pour remplir le contenu d’une lettre. Ou bien chaque fois que je penserai à la lune. Comme il est illusoire de penser que tu es une mère, alors que tu étais si jeune lors de notre première rencontre.
Permets-moi aussi de t’inviter Luna. Lorsque j’ai donné naissance à Odélie et Kyran, j’ai d’abord eu peur de n’avoir aucune présence féminine dans ma vie. Je me disais souvent que j’aurais aimé que ma mère soit présente. Finalement, Satie m’a été d’une grande aide. Je ne sais pas comment tu es entourée, mais j’aimerais t’offrir de venir ici, à Caladon, dans la maison Falkire pour vivre les premiers mois de ta maternité. Tu pourras rester autant que tu veux, peut-être pouvons-nous passer l’hiver ensemble. Cela me rendrait si heureuse de pouvoir retisser les liens qui ont souffert de la distance. Bien sûr, Orfraie Ataliel est la bienvenue. Ta petite étoile pourra rencontrer mes jumeaux et le garçon de Satie. Un nouveau Falkire va d’ailleurs rejoindre la famille, puisque Satie et Céidrik attendent leur deuxième enfant.
Bien sûr je ne prendrai aucune offense si tu désires vivre ce début de maternité seule avec ta femme. Sache que vous ne manquerez de rien ici.
Avec toute mon affection,
Autone.
La petite dame chercha dans son bureau encombré de papiers éparses la cire qui lui servait à sceller ses lettres. Elle avait passé les derniers mois à retranscrire les histoires des légendes Graärhs, celles dont elle se souvenait et celles qu’elle avait apprises plus récemment. Des partitions s’accumulaient les unes sur les autres et des feuilles de musique vierges étaient les seules qui étaient empilées de manière ordonnée. Autone soupira, elle remettait toujours à demain le moment du classement, passait tant de temps à travailler sur ces chansons qu’elle oubliait de les ranger. D’un coup de tête, la petite dame décida de classer les documents, empilant les histoires terminées ensemble, les brouillons de chaque catégorie. Puis elle passa de longues minutes à tenter d’ordonner dans sa tête quelles partitions elle avait écrit dans l’idée de la combiner avec d’autres. Cela lui arrivait souvent d’écrire une partie de chanson puis d’oublier de combiner les idées ensemble. Autone chantait parfois quelques notes pour tenter d’associer les mélodies à ses idées passées. Finalement, le court moment qu’Autone avait pris pour écrire une lettre s’était transformée en trois heures de rangement.
La petite dame daigna enfin sceller la lettre sur un bureau enfin ordonné. Satisfaite, elle alla prévenir les jumelles avant d’envoyer sa requête. Elle ouvrit la porte du jardin et tendit la main à un joli corbeau. Le rossignol caressa le bec de l’oiseau avant d’attacher sa lettre d’un ruban « Va porter mon message à Luna Kohan, à Ipsë Rosea, joli corbeau. »
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Autone avait envoyé une calèche chercher Luna au port. Le bateau était arrivée en matinée, on avait déposé Luna devant la résidence Falkire où Autone l’avait attendu devant la porte, fébrile. Remplie de joie, elle l’avait vu sortir de la voiture avec l’enfant et avait embrassé son amie avant de la faire entrer rapidement. Bien qu’Autone avait prévenu Eleonnora de la présence de Luna, la princesse avait explicité son désir de rester subtile dans sa visite. La petite dame avait laissé Luna le temps de s’installer, d’apprivoiser ses appartements, une chambre pour les visiteurs qui était aussi belle que toutes les autres chambres de la maison. La résidence Falkire était bâtie sur une esthétique de ce qui était bien fait, avec la beauté délicate de l’artisanat. La maison ne reluisait pas de luxe indécent, mais du talent des artistes qui avaient mis leur cœur dans chaque pièce d’architecture ou de mobilier. Tout semblait être fait pour durer, la maison était à l’image des Falkire en cette perspective.
Autone fit préparer un bain et un repas pour la princesse des lumières. Luna put profiter de ces quelques heures alors qu’Autone s’occupait d’Elena. En après-midi, Autone avait demandé le thé à sa servante et les nourrices prirent charge des enfants pour laisser aux deux jeunes femmes un moment. Alors que Luna arrivait au salon, Autone s’approcha et prit le visage de la princesse entre ses mains, d’un geste maternel et tout sourire. C’était étrange, maintenant qu’elle était si grande. Elles avaient pu se saluer plus tôt mais Autone avait voulu lui laisser le temps de se reposer avant d’entamer une conversation. Il y aurait tant de choses à dire. « Regarde de toi. » remarqua-t-elle, avant de laisser son visage pour prendre ses deux mains. « Je ne sais pas par où commencer. Viens, j’ai fait préparer un thé et des sucreries. » La petite dame entraina son amie sur le sofa auprès duquel avait été approché une petite table. Ainsi, elles étaient assises l’une à côté de l’autre. Des biscuits au beurre et quelques sucreries au chocolat étaient posée dans une assiette en porcelaine, près des deux petites tasses et de la théière. Autone servit le thé à son invitée avant de servir sa propre tasse. « J’aurais aimé être auprès de toi pour ton accouchement. J’espère que tout s’est bien passé pour toi. Dis-moi, as-tu des craintes? Des questions à qui tu ne sais pas demander? Sache qu’il n’y a aucun sujet interdit. C’est très courageux de ta part d’avoir fait le voyage à peine quelques mois après la naissance de ton enfant. » Autone offrit un sourire à la princesse, l’observant un peu, s’imprégnant de son regard lumineux. « Je suis heureuse que tu sois venue. »
C’était difficile de marcher sur ce chemin, mais Autone s’était mise à chercher ce qui la rendait authentique. Luna était de ces personnes dont elle ne craignait pas, elle pouvait ainsi être entièrement vulnérable avec elle. Être Autone, seulement Autone. Ni la conseillère de Caladon, ni la politicienne.