Autone tenait le peigne à la racine de ses cheveux, forte hésitante devant la glace, elle faisait une grimace en répétant un
« S’il te plait fonctionne, fonctionne, fonctionne… » la trame était instable, elle la sentait comme s’embrouiller, incapable de décrire la manière dont elle la voyait. Prenant une grande respiration, Autone laissa descendre le peigne dans ses cheveux en expirant. Elle écarquilla les yeux en voyant la mèche de cheveux aussi noire que le jais, priant tout ce qu’il y avait à prier qu’elle parviendrait ensuite à faire fonctionner ce glyphe lorsqu’il serait le moment de retrouver ses cheveux normaux. Elle prit un long moment avant de parvenir à changer la couleur de toute la tignasse. Elle sépara ses cheveux en plusieurs sections, les attacha de rubans, puis le moment redouté se présenta alors qu’elle attrapa les ciseaux. Son cœur battait la chamade pendant plusieurs minutes, craignant de se retrouver coincée de la sorte. Puis elle se lança d’un coup, comme elle l’avait fait après avoir été libérée de morneflamme.
La petite dame ramassa longues mèches de cheveux par terre et les cacha dans un tiroir, ne sachant trop où les mettre. Elle trouverait bien un endroit spécifique, mais pour l’instant elle devait simplement éviter les questionnements si l’on trouvait ses cheveux au sol. C’était étrange de couper toutes ces années de patience, de conformisme aux dictats de beauté de la cour. D’un coup, d’un seul, une partie de ces années s’étaient détachés d’elle.
La corneille observa dans la glace son nouveau portrait, ses cheveux courts et sombres. Cela lui ressemblait peu, mais c’était l’objectif. Elle poudra son visage, cacha ses taches de rousseurs, pâlit un brin son teint et avec quelques illusions, changea un peu la forme de ses yeux, à l’aide du Khôl sur ses paupières. Le rossignol écrasa un peu sa poitrine avec un corset en coton qui ne couvrait que le haut de son torse et se lançait dans le dos. Le dernier détail à changer était ses chaussures. La petite dame enfila une paire de bottes qu’elle ne portait habituellement pas. Elles étaient faites pour pouvoir contenir un faux talon, donnant quelques centimètres de plus à la jeune femme. C’était habituellement quelque chose qui était porté par les hommes, mais il avait suffi d’en commander une paire plus petite.
Clé de sa maison en sa possession, Autone verrouilla la porte de sa chambre et s’enfuit par un volet du couloir, descendant l’étage en faisant des pas dans les airs, l’esprit lié du gerridae avec elle. Ses vêtements étaient moins opulents, mais elle ne portait pas des haillons non plus. La différence principale était le port des pantalons et la longueur de sa robe, qui lui arrivait aux mollets et sous laquelle elle cachait ses dagues. Une légère cape courte et ses cheveux épais cachaient son visage. Elle portait des couleurs terre et un rouge foncé, qui ne se laissait pas éclater parmi les autres couleurs. Autone veilla à ne pas être vue, ni en sortant de la maison, ni en sortant de la rue. Elle attendait de s’éloigner des rues avant de sortir de l’ombre et de se mêler aux gens. Une fois qu’elle s’était glissée dans la populace, elle tentait de ne pas paraitre faire un effort spécifique pour cacher son visage. Elle travailla à ne pas se faire trahir par des tics ou les expressions faciales qui lui étaient propres.
Quand elle arrivât à la taverne, elle se commanda un pichet et deux chopes et prit une table en retrait. Quelques papiers étaient cachés dans sa besace et dans sa main, elle jouait avec le rossignol, inanimé, figurine rouge en bois. La petite dame laissa les choppes vides jusqu’à l’arrivée d’Éden, passant clairement le message qu’elle attendait quelqu’un. Lorsqu’elle le vit franchir la porte, elle regarda en sa direction, attendant que les yeux du garçon se posent sur elle. Lorsqu’il la vit, semblant hésitant, elle lança d’une main qui se transforma en vrai oiseau, avant de retomber dans sa forme normale dans sa main, d’un geste suffisamment subtil pour ceux qui ne regardaient pas.
Éden s’assied devant la dame, semblant ne pas trop savoir où se mettre, bien curieux et intrigué.
« J’espère pouvoir vous rassurer en vous disant que je n’ai rien d’illicite à vous proposer. J’ai simplement besoin de rester discrète. Un verre? »Le garçon cligna et restât un moment troublé avant d’hocher la tête. Elle le servit, ne lui laissant le temps de prendre l’initiatives, toutes bonnes manières qu’il avait. Puis elle se servit et trinqua avant de prendre une gorgée. L’alcool la laissait indifférente, elle n’aimait pas dépenser ses pièces à boire, mais cela paraissait certainement mieux de boire dans une taverne. Le rossignol sortit de sa besace une pièce de papier et une partition. Elle donna d’abord le papier à l’homme, où était écrit les paroles de la chanson qui était transcrite sur la partition.
« Dites-moi d’abord ce que vous pensez de cette chanson. J’essaie d’écrire, je ne suis certainement pas poète. C’est pour cette raison que j’ai besoin de vous, à vrai dire. » Éden fronça les sourcils d’un air intrigué et bût en lisant attentivement. Il prit un moment avant de comprendre qu’il s’agissait d’une histoire Graärh. Ses yeux devinrent ronds et grands, mais il ne semblât pas agressif. Autone camoufla sa nervosité, c’était le moment où elle saurait si le jeune homme pouvait avoir la moindre sympathie à sa cause.
« Eh bien…Je ne sais pas ce que ce dernier refrain signifie parce que je ne connais pas cette langue mais… Peut-être qu’on pourrait retravailler un peu quelques rimes. Attendez. »
Un sourire d’espoir se dessina sur les lèvres du rossignol. Elle rougit tant son cœur battait de satisfaction. Elle avait eu raison de croire que sa candeur serait une grande qualité. Elle venait de lui mettre un poème en langue Graärh sous le nez et lui, sourcillait aux rimes. Autone se pinça les lèvres pour s’empêcher de rire de joie. Alors que le garçon lisait et relisait la chanson.
Le moulin de la vie tourne, jusqu’au volcan de ta crémation
Vaalaamuk t’observe impuissante, tes rives endeuillées
Entre les strates de vérité, nul n’est épargné
Celui qui tiens l’ancre de son nom
Demeurera toujours imbrisé
Tu nourrissais les tiens sans compter
Tu aimais esprits, êtres et créatures
Une pierre en récompense t’a été donné
Dont la valeur ne résidait dans la beauté
Le cheval t’a promis que tu entendrais chanter
Mésanges et geais dans la langue de tes ancêtres
Le cri du renard en poésie s’est transformé
Et de tes exploits avec le cerf tu pouvais discuter
Mais pour cet enchantement de ton silence tu dus payer
Car l’hermine te prévient de la seule limite à ce cadeau
Si les murmures des créatures tu devais révéler
Sans voir ta prochaine aurore, en pierre tu serais changé
Un jour alors que tu t’en allais chasser
Les oiseaux chantèrent leur sagesse et toi de les écouter
prévenir les leurs que vite ils devaient quitter
car du feu du volcan, les rives seraient bientôt inondées
Honorable Hailibu, ta tribu tu courras sauver
Or aucune parole des oiseaux tu ne pût répéter
Et bien que de ta tribu tu fusses respecté
Nul ne comprit ta soudaine hâte de déserter
les rives de Vaalaamuk, ton tombeau
Shikaaree au grand cœur
Au prix de ta peau tu agis par honneur
En prévenant les tiens tu devins
La statue de ton éternelle mémoire
Honorée par les conteurs et les anciens
Le moulin de la vie tourne, jusqu’au volcan de ta crémation
Vaalaamuk t’observe impuissante, tes rives endeuillées
Entre les strates de vérité, nul n’est épargné
Celui qui tiens l’ancre de son nom
Demeurera toujours imbrisé
Chakki chal rahi, Vaalaamuk baitha royee
Dono pud ke beech me saajha na nikle koi
Chakki chal rahi Vaalaamuk baitha joyee
Khoonta pakdo nij naam ka
To sajha nikle jo soyee
« Le poème, à la fin, qu’est-ce que ça signifie? » Demanda-t-il
Autone sourit doucement, elle appréciait que, comme elle, il savait baisser le ton de sa voix.
« C’est une chanson traditionnelle. Vaalaamuk est assise, regarde le cycle de la vie tourner. La traduction ne peut pas être parfaite, dans cette langue, cette partie signifie … Entre les strates de vérité et de non-vérité, nul n’est épargné. Mais cela faisait long et je voulais garder un rythme assez égal. » « Cela fonctionne tout de même ainsi. » remarqua-t-il, approuvant la décision. « Donc Vaalaamuk sont…les terres natales de ce héro dont la vie est contée. C’est bien cela? »
Il sembla prendre un moment pour réfléchir. Autone lui laissât le temps dont il avait besoin, brisa le silence après une minute.
« Ce n’est pas un secret que je travaille à l’abolition. Cela fait plusieurs mois que je me bats avec mes collègues. Je tente de réinventer la roue à chaque rencontre mais elle tourne dans le même sens » La petite dame soupira, bût une autre gorgée, se souvenant soudain de la raison pour laquelle elle ne buvait habituellement pas.
« Si le débat privé ne fonctionne pas, je dois arrêter d’être gentille et leur offrir un débat public. J’ai joint Caladon parce que je crois que le peuple a son mot à dire. Je veux savoir ce que les gens pensent de l’esclavage. Ou plutôt, je veux que les gens y pensent, qu’ils en parlent. Mais d’abord, je veux qu’ils les humanisent. Qu’ils voient ces gens comme des personnes, conscientes, pas des animaux. Et l’art…La musique propulse les voix bien plus fort que la politique. Vous le savez probablement. » Le garçon hocha la tête, souriant un peu tristement. Cette dévotion, cette combativité l’inspirait, mais il avait mal du sort des Graärhs. Et il se sentait tout petit, impuissant.
« Même si j'avais l’âme la plus guerrière de tout l’archipel, je ne peux combattre une armée seule. J’ai besoin d’aide. J’ai besoin d’âmes de poètes comme vous. D’humains qui peuvent regarder un poème Graärh et sourciller sur les rimes plutôt que de porter un jugement injuste. Croyez vous qu’ils devraient être enfermés tels qu’ils le sont, Éden? Croyez vous que nous ayons le droit, nous humains, d’arrivés ici réfugiés et d’asservir les gens sur leur terre natale? » « Non bien sûr que non… »
« Non. Vous croyez en la bienveillance, n’est-ce pas? Je ne vous demande pas d’être un guerrier. Laissez moi me battre. Je vous demande de chanter pour moi. De corriger mes vers, de m’aider à composer. Je vous demande de construire cela avec moi, des dizaines de chansons, parlant des Graärhs, de leurs exploits, de leurs sentiments, de leurs légendes, de leurs traditions. C’est en les faisant connaître que nous pouvons combattre ceux qui disent à tous qu’ils ne sont que des bêtes insensibles. Combattre l’ignorance avec la connaissance, une connaissance accessible à tous, chantée dans les rues, dans les tavernes, dans les salons un jour. » L’espoir brillait dans les ambres de la corneille qui se penchait un peu vers la table, s’approchant ainsi d’Éden alors qu’elle lui parlait tout bas. Elle attrapa son regard et lui sourit, bienveillante, motivée. L’envie de se laisser entraîner était forte, mais Éden devait penser au pire. Il risquait tout, sa réputation, qu’est-ce qu’un musicien sinon sa réputation? Si l’on venait à le haïr à cause de ces chansons, à le lyncher, il perdrait tout profit et devrait peut-être trouver un autre métier. Mais les ménestrels avec le plus de succès n’étaient-ils pas ceux qui avaient pris le plus de risques? Autone regardait régulièrement et subtilement autour d’elle, vérifiant que personne ne tentait de les écouter. Bien sûr étant en retrait et au ton de voix auquel ils parlaient, elle serait fort étonnée que quelqu’un puisse les entendre. Mais elle ne voulait prendre aucun risque.
« Bien sûr on peut parler de salaire. Je crois que ma réputation me suit, concernant le fait que je ne suis pas avare avec les gens qui travaillent pour moi. »« Je vous suis. »
« Mais si vous craignez les conséquences d’un tel risque je peux vous… Pardon? »« Je suis avec vous. Je vais me battre avec vous. Vous avez raison, les Graärhs ne méritent pas l’asservissement. Je suis reconnaissant de Caladon, des terres sur lesquelles j’ai trouvé refuge. Alors je vais prendre ce risque. Pour eux. »
Autone cligna un moment, il l’avait interrompu, semblant sortir de ses pensées. Elle prit un moment avant de comprendre qu’elle avait réussi. Puis elle aurait pu le prendre dans ses bras tellement elle était heureuse. Mais au lieu de cela, elle lui offrit son sourire le plus sincère et le plus joyeux.
« Vous ne savez pas combien je suis heureuse d’entendre ces mots. » Elle avait trouvé son ménestrel. Elle avait trouvé un allié. Reprenant son sérieux, Autone étala les détails de sa proposition. Elle allait lui apprendre différentes histoires ainsi que la prononciation des paroles si un extrait était en langue Graärh. Elle lui commanderait des compositions et lui, l’éclairerait sur les chansons qu’elle composerait. Ils travailleraient ensemble sur la musique et trouveraient des idées ensemble. Puis lorsqu’ils seraient prêts, ils tenteraient une première présentation dans une taverne particulièrement axée vers la musique et les arts. Et finalement, si les esprits liés le permettaient, Éden jouerait le plus de pièces possibles dans le plus d’endroits possibles. Si d’autres ménestrels se montraient intéressés à apprendre les chansons, Autone ferait des copies des partitions et Éden leur en ferait cadeau. Autone proposa également d’engager un garde du corps qui se dissimulerait dans le public lors de leurs premiers essais, pour rassurer Éden mais également pour le protéger. Si quelque chose lui arrivait par sa faute, elle ne se pardonnerait jamais.
« Dites-moi, y-a-t-il des tavernes où vous êtes particulièrement populaire? » Un grand sourire s’encra sur le visage du musicien. Bien évidemment.
« Je vais me créer un personnage. Vous me présenterez et l’on construira une réputation positive dans ces endroits. Mais pas tout de suite. D’abord, nous avons long à préparer et beaucoup de travail. Je vous recontacterai par mes oiseaux et nous auront un nouveau point de rendez-vous pour travailler ensemble. »