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22 novembre 1763

J’ai eu vent de votre présence en Caladon. Si bien sûr vous en avez le temps, je vous invite à dîner avec la famille Falkire ce soir. Nous serons heureux de vous accueillir à partir de cinq heures après le zénith.

Amicalement,

-Autone Falkire.


***
Dans le salon était réuni la famille Falkire, qui avait séjourné dans l’oisiveté depuis le déjeuner. En vérité, ils travaillaient tous un peu, de manière camouflée. Satie, qui semblait lire tranquillement, révisait en réalité les comptes de la forge, depuis le début de l’année, comparant les profits aux années précédentes et tentant d’estimer s’ils augmenteraient d’ici au nouvel an. Yolande s’occupait des enfants, courrait derrière Odélie et la divertissait, entre deux chapitres de sa lecture pour donner un peu de répit à sa nourrice. Ceidrik, qui semblait gribouiller, dessinait en fait des armes pour la requête personnalisée d’un client. Et Autone, à sa harpe, pratiquait sa technique. Son expression sérieuse et sa mine concentrée furent brisées par la main de Kyran qui passa doucement sur les cordes. Autone sourit doucement et retira ses mains de l’instrument, relâchant ses épaules un instant. Elle remarqua qu’elle n’avait pas pris de de pause depuis trop longtemps, ignorant l’inconfort de la posture dans laquelle elle jouait. Kyran, faisant les yeux doux, réclamait gentiment de jouer, lui aussi, à la harpe. Autone leva un sourcil avant hausser les épaules. « Tu as l’âge pour commencer à apprendre. Viens là. »  

La petite dame souleva l’enfant, non sans efforts, et l’installa sur ses genoux avant de refaire face à l’instrument. « Qu’est ce qu’on pourrait bien jouer? Ah, je sais. Tu veux qu’on fasse la comptine de l’hirondelle? »  Kyran fit un grand sourire en se mettant à chanter sa comptine favorite. Autone regretta un peu d’avance le vers d’oreille, mais ce sourire candide en valait la souffrance. « Regarde, les notes vont des plus aigües… » Elle joua la note la plus haute de l’instrument et fit descendre la gamme.« Jusqu’aux plus graves. Tu comprends? » L’enfant hocha la tête. Pointant chacune des extrémités de l’instrument en nommant « aigüe » et « grave ».

« Bien, mais pour aujourd’hui, on va rester entre la corde rouge et la noire, ici. »

Autone entama une leçon de harpe simple, oubliant un peu son entourage, elle ne remarqua pas que tous avaient fermés leurs ouvrages et vaqués à d’autres occupations. Elle montra la mélodie à l’enfant et plaçait ses doigts sur les cordes, jouant en même temps que lui pour lui donner une familiarité avec l’instrument. Après un certain temps de pratique, elle lâchait l’instrument ici et là, tentant de le laisser continuer seul pendant deux ou trois notes. La petite dame entendit la porte cogner alors qu’ils étaient encore au milieu de la comptine. Une servante, spécifiquement l’une des araignées d’Ilhan, vint lui ouvrir. Autone lâcha discrètement les cordes et laissa l’enfant terminer la mélodie. Elle se dit qu’il aurait le temps de retirer ses chausses et sa cape avant qu’elle n’ait à aller l’accueillir. Cela dit, le petit hall d’entrée était tout près du salon, et le conseiller pouvait certainement les apercevoir dès qu’on lui ouvrirait la porte.

« Tu as réussi à faire la moitié tout seul, félicitations. »  
Tout sourire, elle fit descendre le garçon de ses genoux en lui promettant une autre leçon, un autre jour. Kyran avait un tempérament doux, il ne rechignait pas et montrait son affection et sa reconnaissance. La petite dame se leva pour apercevoir le conseiller délimarien. Une partie d’elle avait eu un peu peur qu’il ne réponde pas à son invitation. Elle lui avait envoyé un oiseau, mais Ilhan ne pouvait pas répondre par l’intermédiaire de ce sort. Ainsi elle avait dû faire des préparatifs sans vraiment savoir si Ilhan serait présent. Le rossignol offrit un sourire jovial et sincère au tisseur. Elle était bien facilement attendrie par ses enfants et avait déjà laissé tomber ses défenses devant l’althaïen. Ouvrant les lèvres pour l’accueillir, elle eût une seconde d’hésitation, manquant l’appeler par son prénom avant de se raviser intérieurement. Sa voix se fit douce et amicale, alors qu’elle salua le conseiller : « Sir Avente, je suis heureuse de vous revoir. J’avoue avoir craint que le corbeau ne vous rejoigne pas. La trame est si instable, mon message aurait pu se perdre je ne sais où. »

Elle le regarda un instant, il semblait en forme, ou du moins, ne semblait pas souffrir autant que lors de leur dernière rencontre, à moins qu’il ne le cache habilement. Le regard ambré ne pouvait s’empêcher de dévoiler une pointe soucieuse qui se mêlait à son sourire. Il lui semblait étrange de connaître si peu quelqu’un, de ne l’avoir rencontré que deux fois et de songer qu’elle avait réellement eu hâte de le revoir.

« Comment vous portez vous? J’espère que vous avez trouvé Caladon en santé et que votre voyage n’a pas été trop difficile. »


Puis son visage semblât s’éclairer, comme si elle venait de se souvenir de quelque chose. « Oh! Pardonnez-moi, je vous présente mon fils. Kyran. Kyran, tu peux dire bonjour à … Messire Ilhan Avente. »  

Comment présentait-on un enfant de cinq ans à un conseiller? Le garçon dit un simple « Bonjour. » et fit une petite révérence, dont il avait certainement appris de Yolande. Au deuxième étage, un cri d’enfant et quelques jappements se firent entendre. « Et sa redoutable sœur Odélie ne saurait être très loin. » ajouta Autone en un rire. « Je vous présenterai certainement toute la famille au cours de la soirée. Avez-vous faim? Nous pouvons mettre la table, ou alors attendre à plus tard. »

Autone ne s’était pas vêtue de manière plus extravagante qu’à son habitude, mais elle n’avait pas non plus mis l’une de ses robes les plus austères, celles qu’elle portait pour ses apparitions publiques. Elle n’avait pas délaissé le noir, mais le coton sombre était brodé de roses rouges le long du col triangulaire. Les manches étaient longues et ajustées, mais au niveau des épaules elles étaient bouffantes. La partie supérieure de ses cheveux étaient remontée en chignon et en tresses, le reste retombait jusqu’au bas de son dos. Elle avait un certain peigne magique à remercier pour la longueur de ses boucles cuivrées.

descriptionDevenir inconnus (Ilhan) EmptyRe: Devenir inconnus (Ilhan)

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Beaucoup de choses s’étaient passées en moins de deux petites journées. L’enquête, les retrouvailles avec son père sous le sceau de la discrétion, son dénouement macabre, les secrets chuchotant encore, lui rappelant de très vagues réminiscences qui s’étiolaient quand son esprit s’en approchait de trop près, ses retrouvailles (ou rencontre plutôt ?) avec Sorel Gallenröd… Oui beaucoup, beaucoup de choses. Un peu trop pour un jeune Sainnûr d’à peine un mois qui n’avait toujours aucun réel souvenir de sa vie passée, quand bien même il jouait le jeu éhontément pour faire croire le contraire. Il sentait toutefois que certains n’étaient pas totalement dupes. Pour ceux qui n’étaient pas déjà au courant bien entendu.

Il pressentait que ce secret-là s’éventerait bien rapidement. Si ce n’est de son fait en commettant une erreur, tout simplement parce que beaucoup de monde le détenait finalement. Et, même s’il savait encore bien peu de choses, il avait compris une chose : quand vous vouliez qu’un secret le reste, il fallait limiter le nombre de personnes le connaissant. Ce qui était mal parti concernant son immaculation, quand on savait qu’une bonne partie de Delimar, toute la délégation présente lors de sa transformation au moins, était au courant. Fort heureusement, il n’était pas dans la nature des délimariens de parler à tout vent. Mais il n’était pas forcément non plus dans leur nature de mentir…

Ilhan chassa alors ses sombres pensées et se força à se reconcentrer sur ce qu’il effectuait présentement. Il observa sa sphère enténébrée. Il avait lu il y a une semaine un souvenir écrit dans son Livre de Vie, le montrant apprendre à contrôler le flux avec l’aide d’un vampire millénaire, d’un mage exceptionnel. Achroma lui avait alors expliqué le fonctionnement du flux et de la trame, même si de façon sommaire. Et son ancien lui avait eu… tel un déclencheur qui avait illuminé la compréhension en lui. Jusque-là son ancien lui disait n’avoir jamais réellement appris la magie, simplement appris des sorts par-ci par-là sur le tas, au fil des besoins. Et depuis cette terrible enquête, Ilhan se demandait présentement si ce n’était pas là le cas de beaucoup des leurs… Apprendre sur le tas, la magie étant réapparu il y a peu dans leur vie. Pour les plus âgés du moins. Ne pas réellement avoir appris à la comprendre… Le nœud du problème était-il là ? Un manque d’enseignement, d’éducation… comme tout art, la magie devait s’apprendre. Il était persuadé alors que l’éducation était une des clés. Et son père semblait partager, du moins en apparence, cet avis.

L’enseignement, l’éducation… L’althaïen se remémora alors ce qu’il avait vu de ce souvenir avec Achroma et tenta de répéter la scène. Il actionna la sphère et observa avec fascination le flux le parcourir, venir nourrir la sphère, l’actionner, et faire naître cet émerveillement magique. Oui émerveillement. Car, si son ancien lui avait pu un tant soit peu "sentir", lui maintenant "voyait". Et c’était… magnifique. Ce n’est alors qu’en cet instant qu’il comprit aussi l’une des sources du problème : lui avait cette chance inestimable de pouvoir voir de ses propres yeux, de pouvoir sentir de tous ses sens, de vivre pleinement la naissance de cette étincelle magique puisant dans la trame pour éclairer leur vie. Mais combien avaient cette chance, cette faculté ? Pour lui, de comprendre, et maintenant de voir, avait été un réel déclic lui permettant de mieux appréhender la magie…

Il en était là de ses réflexions, quand il aperçut soudain un oiseau voleter jusqu’à lui et lui porter en main propre un petit parchemin soigneusement enroulé. Aussitôt Ilhan posa la sphère qui se déactiva et se saisit du message. Cet oiseau titillait sa mémoire, mais il ne parvenait, une fois encore, à en saisir le souvenir. Et dut ronger son frein de frustration. L’oiseau s’évapora aussitôt son courrier délivré, sans qu’il ait pu apporter une quelconque réponse. L’althaïen haussa alors un sourcil, sa curiosité soudain attisée, et ouvrit avec délicatesse le parchemin. La missive était courte, mais courtoise. Dame Falkire l’invitait à diner. Ce nom lui disait quelque chose…

Ah oui, conseillère de Caladon ! Mais plus encore, il avait posté une araignée infiltrée chez elle. Et… Et de ce qu’il avait lu, ils avaient également eu une longue et étrange entrevue. Entre échanges badins, cours de méditation pour l’une et apprentissage d’un fragment de sa vie antérieure pour l’autre… Cette découverte avait eu de sévères répercussions sur son ancien lui, sur le plan mental, même si le roc qu’il était avait réussi à s’en remettre et à retrouver pleinement ses capacités au fil des semaines. Fort heureusement, quand on savait ce qui lui était advenu ensuite d’ailleurs… C’était en lisant tout cela, qu’il se réconfortait un tant soit peu. Il n’était peut-être qu’une brindille de paille, comme certains soldats l’appelaient avec taquinerie lors des entrainements, mais son esprit était plus solide que le corps de certains d’entre eux. Il n’avait certes pas vécu de tragédie telle Morneflamme, comme Dame Falkire ou Aldaron l’avaient vécu, pour tester cette force mentale, et il espérait ne jamais le vivre… Mais là n’était pas la question, se fustigea-t-il en son for intérieur. Il avait une invitation en main et une décision à prendre.

Décision au demeurant évidente en fait. S’il se rendrait à l’invitation ? Bien entendu. Il s’agissait d’une conseillère de Caladon et en tant que diplomate de Delimar il ne pouvait refuser. Il jeta un coup d’oeil à sa clepsydre. Il avait encore un peu de temps devant lui pour se préparer, mais il devait s’activer dès maintenant s’il ne voulait pas être en retard…

***

Ce fut ainsi un Ilhan tiré à quatre épingles, dans toute l’élégance et la délicatesse althaïennes, qui se présenta à la porte de la maison Falkire, ses gardes se postant alors le long du mur. Ils attendraient au-dehors, tout le temps qu’il serait à l’intérieur, ayant insisté pour attendre qu’ils sortent qu’importe le temps que prendrait cette visite. Ilhan n’avait pas insisté, les délimariens pouvant être fort entêtés… Une servante lui ouvrit. Il ne la reconnut pas, mais elle apparemment si. Elle lui offrit de dignes salutations, qu’il rendit selon son propre rang, et aussitôt par signes discrets lui indiqua lui être affiliée en tant qu’araignée. Oh… C’était donc elle. Ilhan acquiesça en silence et joua le jeu. Il aperçut dans l’autre pièce une belle jeune femme avec un enfant sur les genoux, tous deux à la harpe. L’enfant finissait une douce mélodie, presque sans fausse note. Il laissa la servante prendre cape et chaussures et lui offrir des chausses d’intérieur, quand la dame des lieux vint l’accueillir.

« Sir Avente, je suis heureuse de vous revoir. J’avoue avoir craint que le corbeau ne vous rejoigne pas. La trame est si instable, mon message aurait pu se perdre je ne sais où. »

À ces mots, un doux sourire affable teinté d’une légère tristesse se dessina sur le visage althaïen. L’instabilité de la trame… cela le renvoyait encore au souvenir récent de cette maudite enquête. Il parvint toutefois à garder un visage composé, et son regard pétilla un très court instant de petits éclats d’or.

Je suis honoré d’avoir reçu votre invitation, Dame Falkire, répondit-il alors de ses accents chantants, tout en lui offrant une salutation digne d’un noble à une dame de la Cour.

Il se retint toutefois de lui prendre la main pour lui offrir un baise-main digne de ce nom. Cet usage n’avait, normalement, pas lieu d’être en Caladon. N’était en tout cas pas un code de mœurs comme cela l’était à la Cour de Sélénia. Et il ne pouvait affirmer qu’ils se connaissaient assez pour pouvoir se permettre une telle liberté. Rester formel semblait sécuritaire.

Quoique… quand il entendit les mots qu’elle lui offrit ensuite, il se demanda si les formalités seraient totalement de mise entre eux. Il avait lu que leur dernière entrevue avait été chargée d’émotions et de partage, en tout bien tout honneur. Avaient-ils noué alors un lien plus fort qu’il ne le croyait ? Il lui faudrait trouver alors un équilibre entre formalités diplomatiques et amicalité naissante, sans doute. Équilibre précaire, il le pressentait, avec sa mémoire lacunaire.

Il pouvait lire en tout cas bien des choses dans le regard de la jeune femme, et même sur son visage, son sourire. Elle semblait… réellement ouverte à lui. Confiante aussi. Pouvait-il se montrer de même ? Son ancien lui se serait-il montré aussi ouvert aussi ? Soudain, il se sentait confus et avait l’impression de jouer les funambulistes au milieu d’un gouffre de plusieurs mètres de hauteur. Un vertige manqua le happer et il dut faire appel à toute sa maitrise pour ne pas y céder. Il fixa alors ses perles sombres dans les ambres pétillants de la jeune femme, y cherchant un ancrage, un point d’amarrage, pour arrêter cet affreux tangage.

Je me porte bien, et vous remercie de vous en soucier, répondit-il.

Physiquement du moins, ajouta-t-il mentalement.

J’espère que santé et paix vous accordent leur faveur, malgré ces temps troublés.

Heureusement cet échange fut interrompu par l’arrivée de l’enfant. Et aussitôt, dès que son regard sombre se posa sur la petite silhouette, le sourire de l’althaïen s’éclaira complètement, perdant de cette teinte nostalgique et triste. Il sourit plus encore au salut, presque impeccable, que l’enfant lui offrit. Ilhan lui rendit sa révérence, comme s’il était devant un noble adulte du même rang que lui, avec sérieux et respect, même si son sourire bienveillant rendait le geste moins protocolaire. Puis, décidant de faire voler en éclats le protocole, il s’agenouilla devant l’enfant pour pouvoir le regarder dans les yeux sans l’affliger de la supériorité de taille. Il ne répondit pas de suite à la question de Dame Falkire et se concentra de hocher la tête à son attention, tout en se concentrant sur l’enfant.

Étrange. Depuis sa renaissance il se sentait particulièrement attiré par les enfants. Était-ce le manque latent de son ancien lui, cette terrible perte qui l'avait affligé, qui faisait écho même dans son amnésie ?

Je vous ai entendu jouer de la harpe, Kyran, et vous jouez admirablement bien. J’espère avoir l’honneur de vous entendre de nouveau un jour.

Il lui offrit un doux sourire et ses yeux pétillèrent d’or, avant qu’il ne se relève souplement.

La faim ne me tiraille pas, Dame Falkire, concéda-t-il enfin d’un ton posé, accordant de nouveau toute son attention à la jeune femme qu’il se permit cette fois de détailler du regard.

Et il devait avouer la trouver fort jolie dans toute son austérité. Nul besoin d’apparat pour révéler l’éclat de son visage et de sa chevelure de feu.

Même si je ne pourrais refuser une collation en une si belle compagnie.

Pour qui le connaissait, il ne disait jamais non à une collation. Ni avant sa renaissance, ni maintenant. C’était une constante qui était restée. Ça et le goût du sucre. Ah le sucre… tout un poème !

descriptionDevenir inconnus (Ilhan) EmptyRe: Devenir inconnus (Ilhan)

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La petite dame fût un brin troublé par le protocole impeccable d’Ilhan. Sans savoir pourquoi, elle s’était attendue à un peu moins de diplomatie et se demandait maintenant si elle avait dû mal prendre le pouls de leur dernière rencontre. Puis elle se rappelait que le tisseur et le rossignol ne se connaissaient pas beaucoup, que cette amitié naissante avait pris forme par un commencement étrange et à sens unique. Si Autone avait vu Ilhan dans ses moments les plus vulnérables et qu’elle s’était retrouvée animée d’une empathie et d’un souci pour lui, le délimarien n’avait que leurs deux rencontres comme esquisse de la jeune femme. Ou du moins, c’est ce qu’Autone croyait. À moins qu’il n’en sache plus, comme il l’avait laissé entendre accidentellement, comme elle y avait pensé dans les derniers mois avec un brin de peur. La Falkire ne parvint pas à camoufler les lueurs d’inquiétudes dans ses ambres quand l’immaculé répondit qu’il se portait bien. Elle se sentait de la même manière que lorsqu’il lui avait assuré la même chose, la dernière fois, dans son jardin. Et bien qu’il semblât en forme, elle sentit le malaise bref qui s’estompa lorsque la mère présenta son fils.

Le sourire de la petite dame s’étira et elle s’attendrit de l’échange entre le tisseur et l’enfant. Kyran, dans sa timidité, remercia l’adulte de son compliment et se retint de se cacher dans les jupes de sa mère. Doucement, Autone vint poser la main sur la tête rousse quand Ilhan se releva. Un peu fière et touchée, elle caressa les mèches puis retira sa main, craignant de commettre une impolitesse par méconnaissance de quelques politesses spécifiques. Elle se sentait bien perdue dans tous les détails étourdissants de la diplomatie. Elle se sentit un moment observée avant que le diplomate ne réponde à sa question en camouflant habilement, peut-être, un compliment dans sa réponse. La petite dame cligna quelques fois puis offrit un sourire à son invité en retenant un gloussement.

« Bien, une collation, alors. »


Elle remarqua alors combien l’homme était bien habillé et songea qu’elle aurait peut-être dû porter quelque chose d’un peu plus…Caladonien? Elle se sentait soudain toute petite, et toute maladroite. Autone s’accroupit en se retournant vers son fils et posa une main sur sa tête, qu’elle caressait instinctivement. Tentant de ne pas transmettre son malaise à l’enfant, elle lui sourit et lui parla doucement. « Nous allons manger plus tard. En attendant, tu peux aller jouer un peu avec ta sœur et Isaïe, ou alors demander une histoire à Yolande? » Le garçon hocha la tête, puis partit grimper les escaliers quand sa mère se releva. Elle savait qu’il n’aimait pas jouer avec Odélie, elle était un peu brusque avec lui et jouait à la guerre un peu trop fort. Pour cela, le fils de Satie s’entendait bien avec elle. Kyran était en conséquence timide et un peu trop calme. Se retournant vers l’althaïen, la Falkire désigna d’une main ouverte le boudoir qui était caché au fond du salon par des rideaux fermés. Elle allât ouvrir l’un des pans du rideau et l’attacha avec un ruban avant de laisser son invité entrer avant elle. La petite baie vitrée au fond du boudoir laissait encore entrer un peu de lumière, mais le soleil n’allait pas tarder à se coucher. Devant les fenêtres trônait une table à thé et deux fauteuils. Elle invita l’althaïen à s’asseoir sur l’un des fauteuils, puis elle attrapa une chandelle et commença à allumer les bougies qui éclairaient la pièce.

« Vous êtes très élégant, cela me fait penser aux soies dont vous m’avez fait présent il y a plusieurs mois. Je dois avouer que je ne les ai pas encore utilisées, j’ai peur de les gâcher avec une mauvaise décision. Peut-être devrais-je chercher un tailleur althaïen, quelqu’un qui saurait faire honneur à ce textile. »


Autone se retourna pour offrir un sourire à son invité, avant d’allumer la dernière chandelle et de poser celle qui lui avait servi de tison. Elle vint s’asseoir sur le fauteuil libre, dans lequel elle avait vraiment l’air toute petite puisque le dossier dépassait sa tête de loin.

« C’est difficile de briser une habitude, il y a tellement longtemps que je porte du noir que je n’ai plus l’impression d’être la même personne lorsque je tente les couleurs…Autres que l’or. Cliché, non? »
Elle eût un sourire amusé avant de poursuivre. « Peut-être devrais-je essayer le jaune, mais alors avec le roux… Oh pardon, je divague. »

La jeune femme songea qu’un homme serait bien ennuyé de ce genre de conversation. Peut-être les althaïen étaient-ils différents? Mais n’importe quel Glorien lui aurait dit qu’il s’agissait d’un sujet de femme. Margaux arriva avec deux plateaux, l’un portant le thé, l’autre rempli de collations qui feraient briller les yeux de n’importe quel enfant. Tartelettes au citrons, galettes de fruits séchés, quelques morceaux de nougat et des quartiers de pommes fraiches. Le sourire de la petite dame s’élargit lorsqu’elle sentit le mélange d’épices émanant de la théière. Elle adressa un regard touché à Margaux. « Massala, Margaux, quelle bonne idée…Merci. » La petite dame posa un regard nostalgique sur le thé qui coulait dans la tasse d’Ilhan, puis qui fût servit à la Falkire. Elle faisait habituellement son propre mélange, mais Margaux avait demandé et appris la recette. L’araignée quitta le boudoir et retourna à son travail.

« Il s’agit de la recette de ma belle-mère. Je ne l’ai pas connu, Mon mari m’a appris. »


La petite dame porta le thé à ses lèvres et mangea un quartier de pomme, tentant de se concentrer sur ses sens pour ne pas laisser sa nostalgie déborder. Pour le goût, il y avait la pomme, le toucher, la chaleur de la tasse, l’ouïe, les enfants qui jouaient à l’étage, l’odeur du Massala. Et pour la vue, il y avait toutes sortes de choses. Les yeux noirs de l’althaïen, les couleurs des rideaux, la lumière qui déclinait doucement par la fenêtre. « J’ai une question. » Fit-Autone timidement, presque dans un murmure tant elle osait peu parler. Elle baissa les yeux sur sa tasse, grattant un peu l’anse, hésitante à parler. Il n’y avait aucune colère ou confrontation dans sa voix, rien qu’un nœud d’insécurité. « Que savez-vous de…Autone de l’époque de Gloria? Y-a-t-il quelqu’un d’autre qui soit au courant? Jusqu’à quand avez-vous remonté vos informations sur moi? Pardon…cela fait trois. Je…j’aimerais savoir. Vous comprenez? »

Elle remonta un regard Vulnérable sur les yeux sombres. C’est qu’il ne s’agissait pas seulement de classe sociale. Si un opposant apprenait qu’elle s’était retrouvée là parce qu’elle y avait été vendue, on utiliserait cette faiblesse contre elle dans son combat contre l’esclavage. Il y avait le goût le la honte qui restait comme toujours tâché derrière la langue et la peur d'exaspérer Ilhan.

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Était-ce une lueur d’inquiétude qu’il avait entraperçue dans le regard ambré de la jeune femme à la mention de sa santé ? Il était vrai qu’ils s’étaient vus tous deux lorsqu’il était gravement malade et la jeune femme n’avait pas été dupe alors, selon ce que lui avait montré son ancien lui. Il ne se serait pas attendu toutefois à ce qu’elle s‘inquiète autant. Mais… Après tout… Dans les souvenirs de son livre, Dame Falkire s’était effectivement montrée très prévenante et très empathique… Leur relation tournerait-elle à plus que de la simple diplomatie ?

Oui, répondit aussitôt une voix en son for intérieur. Bien sûr que oui. Avec tout ce qu’elle savait sur lui, et rien que cette idée manqua de le faire frémir, et après tout ce qu’elle lui avait dit, leur relation dépassait le cadre du professionnel. Elle avait vu bien des choses sur lui, il en savait beaucoup aussi sur elle, ils avaient échangé longuement, et il était allé jusqu’à lui prodiguer une petite séance méditative… Oui, ils n’étaient plus seulement deux diplomates en visite de courtoisie. Un lien s’était tissé, même si Ilhan aurait été encore incapable de le décrire. De l’amitié ? Non, pas encore, pas totalement. Une sorte d’intérêt mutuel, certes, une possible attirance, du moins de sa part, pour le caractère de la jeune femme et sa beauté à laquelle il n’était pas totalement insensible… Mais peut-être aussi… un certain attachement ? Oui, peut-être. Malgré tout ce que son ancien lui avait pu prétendre, il sentait de l’attachement se nouer envers certaines personnes, et la jeune femme en faisait partie, malgré lui.

Le geste maternel sur la tête de l’enfant ne lui échappa pas, et l’althaïen retint un sourire. C’était là un geste qu’une noble de souche aurait eu tendance à retenir en société ou devant un autre noble. C’était là un geste qui trahissait son affiliation première. Mais au-delà de cela, c’était surtout un geste empreint de tant de spontanéité, de tant d’instinct protecteur et aimant, qu’Ilhan ne pouvait s’en offusquer. C’était là un geste qu’il aurait lui-même aimé pouvoir faire à son propre enfant… si tant est qu’il en eût un. Insidieux sentiment latent que cette sensation de manque en lui, alors même qu’il n’en avait pas ses propres souvenirs. Pour autant, le manque était bel et bien là. Cette envie, irrépressible et puissante, qu’il ressentait à chaque fois qu’il voyait un enfant. Pire même, quand il voyait cette interaction entre un parent et sa progéniture. Le manque dans les deux sens d’ailleurs. Le manque de pouvoir faire un tel geste envers un enfant qu’il n’avait pas… ou envers son père qu’il n’avait pas voulu reconnaître au grand jour… C’était aussi dans ces moments-là que le tenaillait l’envie de tout révéler et de se proclamer haut et fort le fils de Cendrelunes, lui aussi. Une envie parfois bien difficile à réfréner, et que seuls son sens du devoir et son fol idéalisme, soufflés par cette petite voix insidieuse et traitresse en son esprit, réfrénaient au fin fond de son coeur et de son âme, alors bien trop tiraillés entre deux camps.

Ilhan observa un court instant l’enfant grimper les escaliers, regrettant presque son départ. Réprimant cet étrange sentiment, il suivit la direction indiquée par Autone et entra dans le boudoir. Son regard noir en fit le tour, instinctivement, notant toute entrée, toute issue, toute cache possible. Avant de se rassurer en se disant qu’ici les risques étaient réduits. Surtout alors qu’une de ses araignées veillait. Il prit place alors dans un des fauteuils qu’on lui désignait, s’installant confortablement, mais gardant le port droit, digne, les jambes croisées, et les mains posées de chaque côté des accoudoirs, tel un seigneur en son fief. Une attitude qui lui vint tout naturellement sans même qu’il ne s’en rende compte véritablement.
Vous êtes très élégante aussi, répondit-il alors, d’une voix grave et profonde.

Et il ne mentait pas. Même si l’élégance de Dame Falkire était des plus sobres, elle n’en restait pas moins distinguée.

–  Je pourrais peut-être demander à Dihya de venir à Caladon si vous le désirez. Il s’agit d’un des membres de ma maisonnée.

Il ne parlait jamais de ceux qui le servaient en sa maison comme de simples serviteurs.

–  Elle est très douée dans l’art du tissage, c’est d’ailleurs elle qui est à l’origine de ces étoffes. Mais elle ne démérite pas non plus en couture. Elle pourrait sans doute trouver avec vous l’art de rendre hommage à votre élégance avec ces étoffes tout en raffinement.

S’il trouvait qu’associer la notion d’or à une caladonnienne était un banal lieu commun ? Oui... et non. Après tout l’or était presque l’emblème de cette cité. Il ne lui semblait pas incongru que ses membres les plus éminents y fassent référence jusque dans leurs habitudes vestimentaires. Il offrit donc un petit sourire en coin à la jeune femme, presque en signe de connivence.

Si tout le monde divaguait de la sorte, le monde ne s’en porterait pas plus mal, souffla-t-il pour toute réponse, sans se départir de son sourire un brin taquin.

Mais ils n’eurent l’occasion de divaguer plus avant sur ces sentiers, que déjà la collation arrivait. Et quelle collation ! Il n’avait aucun souvenir de l’Althaïa que son ancien lui semblait tant chérir. Pourtant ces effluves… Oui, ces effluves qui lui parvinrent, quand Margaux leur servit le thé, le frappèrent de plein fouet. Des réminiscences lointaines flottèrent à la surface de son esprit, des bribes brumeuses et timides, dont il peinait à en déchirer le voile pour découvrir tout ce qu’elles cachaient. Des effluves d’un lointain passé, d’un souvenir fugace et fuyant… Il en ferma les yeux pour s’imprégner de la sensation et tenter de retenir cet insaisissable moment, ce souvenir évanescent… Il pouvait l’attraper, il pouvait le retenir. Il suffisait juste de tendre son esprit vers lui, de l’encercle pour que la brume se dissipe, de...

« Il s’agit de la recette de ma belle-mère. Je ne l’ai pas connu, Mon mari m’a appris. »

Mais les mots le happèrent de nouveau dans la réalité et le souvenir s’envola comme il était venu. C’est avec une onde de profonde tristesse et de déception frustrée qu’il rouvrit des yeux, qui pétillaient soudain d’éclats d’or. Pour chasser ce traître élan qui menaçait de le submerger, il s’empara alors de sa propre tasse et parvint à retrouver suffisamment d’assurance pour que sa voix ne tremble pas quand il reprit enfin la parole.

Je vous remercie de cette délicate attention.

Oui délicate attention que d’avoir voulu lui offrir un peu d’Althaïa, ici, à Caladon, en ce lieu bien perturbé en ces instants troublés. Quand bien même il ne se souvenait pas, ces saveurs lui apportaient un peu de réconfort. Et de frustration mêlée.

« J’ai une question. »

Ilhan avait bu quelques gorgées à peine. À ces mots, il réprima tout geste qui trahirait la tension qui montait en lui et continua de boire son thé comme si de rien n’était, invitant d’un simple hochement de tête la jeune femme à continuer. Ses orbes sombres éteignirent tout éclat et retrouvèrent leur teinte d’un noir de jais total. Son attention rivée alors sur Dame Falkire, la sondant de ses deux puits soudain sans fond.

« Que savez-vous de…Autone de l’époque de Gloria ? Y a-t-il quelqu’un d’autre qui soit au courant ? Jusqu’à quand avez-vous remonté vos informations sur moi ? Pardon…cela fait trois. Je…j’aimerais savoir. Vous comprenez ? »

S’il comprenait ? Oui, plus que oui. C’était des questions qui le dévoraient tous les jours, quand il rencontrait quelqu’un qui en savait plus sur lui que lui-même, alors que sa mémoire refusait toujours de s’ouvrir à lui. Pour autant…

C’était là des questions délicates. D’une part parce qu’il n’avait, justement, pas tous ses souvenirs propres et que tout ce qu’il savait de la jeune femme était ce qu’il avait lu des informations que son ancien lui avait notées dans ses carnets cryptés. D’autre part… Parce que ce qu’il savait sur elle était effectivement litigieux, compromettant, délicat. Et que le lui révéler l’était tout autant.

Se posait alors un dilemme de taille au jeune sainnûr. Devait-il être honnête et lui révéler savoir ? Ou devait-il mentir, garder à couvert ce savoir qui pourrait servir un jour, que le Tisseur avait soigneusement consigné et garder secret, au cas où ? S’il agissait en digne Tisseur, sans doute devrait-il se taire, ou mentir. Mais…

Mais ne savait-elle pas, elle aussi, des choses bien compromettantes sur lui ? Et pour autant, elle semblait n’en avoir fait part à personne, avoir gardé secrètes ses lourdes découvertes à son sujet. Était-ce là un signe qu’il pouvait lui faire confiance ? Un tant soit peu du moins ? Peut-être. Il sentait qu’elle était sincère au fond d’elle, et quand il avait vu les souvenirs où elle disait vouloir garder tout cela pour elle, il l’avait crue. Vraiment. Et la croyait encore. Quand bien même un savoir pouvait être dérobé, même avec toute la bonne volonté du monde pour le préserver. En tout cas, elle n’avait pas trahi la promesse qu’elle avait faite à son lui d’antan. Au-delà de cela, si jamais méfiance instillait son venin en son coeur, lui révéler savoir des choses sur elle pouvait aussi sceller toute tentation qu’elle aurait pu avoir de révéler des choses sur lui… Ils seraient tenus là, tous deux, par le sceau du secret, sachant que chacun détenait un savoir sur l’autre qu’aucun ne voulait voir dévoiler…

Oui, dans tous les cas, lui répondre en toute honnêteté lui semblait le meilleur choix. Que ce soit en tant que relation amicale se tissant ou que ce soit en pur calcul du Tisseur…

Et ce regard vulnérable qu’elle lui offrait ! Cela, plus que toutes ses pensées torturées le décida. Honnêteté, en toute délicatesse si possible, scellerait leur relation en ce jour.

Il s’humecta alors les lèvres et posa doucement sa tasse sur la table devant eux. Il lui offrit un regard doux, et compatissant. Sincèrement compatissant. Leurs positions semblaient s’être soudain inversées par rapport à leur dernière rencontre, et, même s’il ne s’en souvenait pas lui-même, cela lui semblait déroutant. Il laissa alors ses accents althaïens chanter quand enfin il lui répondit en un murmure :

Je comprends. Ces questions sont tout à fait légitimes.

Il marqua une pause, et pencha un court instant la tête comme la sondant intensément, puis reprit, d’un ton calme et posé, essayant de lui insuffler un peu de confiance dans ce moment intime pour elle.

Je sais beaucoup de choses sur vous, il est vrai. Ce que je sais remonte à un temps où vous n’étiez pas encore Dame Falkire.

Du temps où elle n’était pas noble. Du temps où la rue était son quotidien presque. C’était là un savoir qui avait été difficile à obtenir, il devait l’avouer. Mais déjà en ce temps-là, il s’évertuait à parfaire l’art de l’espionnage et sa Toile étendait déjà ses fils dans tout Gloria, et même dans quelques autres grandes cités. Le Tisseur d’antan n’avait pas manqué se renseigner sur tout membre, et surtout sur tout nouvel arrivant, à la Cour, bien évidemment…

Tout comme vous savez beaucoup de choses sur moi. Des choses…

Il baissa un court instant les yeux, masquant la honte fugace qui manquait le happer. Il avait lu, il avait vu, dans son livre de vie, ce que son ancien lui avait vécu en ce temps-là. Ce qu’Autone Falkire disait avoir vu dans ses visions de la Corneille. Et quand bien même sa mémoire ne voulait pas le lui révéler, d’avoir su, vu, tout cela, avait suffi pour qu’un sentiment de souillure s’installe en lui et l’enveloppe de son manteau poisseux. Il ne pouvait donc que comprendre l’impression qu’elle ressentait.

La honte en soi. Et la honte que d’autres sachent également. Oui, tout cela il savait, il comprenait.

Des choses que nous voudrions cacher. Des choses que nous voudrions tous deux enterrer. Et qui, du moins avec moi, le resteront.

Oui, il venait de sceller le secret avec elle. Il venait de lui promettre, à demi-mots, de garder ces informations pour lui et de les taire à jamais.

Il releva les yeux sur la jeune femme et lui offrit un regard empli de farouche détermination et d’une force tranquille. La honte pétillait encore légèrement en un voile de fond, mais ne parvenait pas à le faire flancher. Il avait prouvé, à maintes reprises, par le passé, que quand il ne voulait rien révéler, ses lèvres savaient rester closes et son esprit scellé, telle une forteresse imprenable. Oh certes, un être doué de télépathie parviendrait tout de même à les lui arracher de force, mais il faudrait qu’il y mette violence et puissance pour arracher ces secrets.

Le secret semble être toute ma vie, Dame Falkire.

Et ce n’était pas peu dire, que ce soit par son passé, où il avait au moins à deux reprises joué un double jeu dangereux, ou que ce soit encore maintenant avec tous les événements agités qui troublaient Calastin. Il détenait nombre de lourds secrets qu’il devait enfouir tout au fond de lui, et qu’il ne pouvait pas même révéler à sa cité pour certains d’entre eux.

Et si je puis affirmer une chose sur moi…

Lui qui en savait pour l’heure bien peu.

C’est que je sais les garder, quoi qu’on fasse pour me les arracher.

Le roi des pirates avait bien essayé de lui en ravir. Il avait échoué… et lui avait arraché à la place sa fierté et son honneur. Malgré ce lourd prix à payer, les secrets si jalousés n’avaient toutefois pas franchi ses lèvres.

Quant à lui répondre sur qui d’autre les connaissait… Il ne pouvait l’affirmer avec certitude. Peu de gens a priori. Mais certainement quelques personnes tout de même. Aldaron en était, assurément. Mais sans doute Autone s’en doutait-elle… La relation qui la liait au dragonnier était sans doute assez forte aussi, de confiance pétrie.

Il reprit alors sa tasse et lui offrit un sourire encourageant, teinté de bienveillance, dénué de son habituel rictus moqueur.

Ce thé est une merveille. Votre attention à mon égard me touche.

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Ces discussions mondaines étaient étrangement rafraichissantes, Autone ne se sentait pas alourdie par le poids d’une discussion trop protocolaire. Elle ne se sentait pas non plus jugée, évaluée, comme avec certains nobles. Émerveillée à la mention de Diyah, la petite dame songea que cette femme était bien talentueuse si elle avait le talent de la cuisine, en plus du tissage et de la couture. Des disciplines traditionnellement féminines, mais il n’y avait aucun mal à cela et c’était tout aussi admirable que les talents d’autres femmes qui défiaient les traditions patriarcales. Elle avait appris à coudre et à broder, très jeune, mais avec ses multiples métiers et projets, Autone ne pouvait se permettre de prendre le temps de confectionner ses propres vêtements. Elle préférait payer un tailleur et faire tourner l’économie Caladonienne.

La petite dame ne sut comment réagir aux compliments que l’althaïen lui retourna, sinon de lui offrir un sourire. Il lui avait retourné ses mots trop habilement pour qu’elle puisse faire mieux et l’arrivée de Margaux et du thé les interrompit. Thé qui ne laissa pas l’althaïen insensible. Autone ressentit une pointe de culpabilité à apercevoir une lueur fugace de tristesse dans les yeux de son invité, lorsque l’odeur des épices fit remonter le souvenir de la citée, tombée depuis longtemps. La Falkire eût une pensée pour sa première nuit avec Matis, le soir où elle avait vu Althaïa pour la première fois, déjà bien amochée. Était-ce des éclats dorés, qu’elle apercevait dans les prunelles sombres? Elle avait pourtant cru ne jamais voir d’autres couleurs dans son regard noir. Peut-être s’était-elle trompée, n’avait-elle pas remarqué avant? Se surprenant à plonger dans le regard d’Ilhan, Autone se reprit et baissa rapidement les yeux. Quand elle osa poser sa question, le silence qui précéda sa réponse la rendit un peu nerveuse. Bien qu’elle ne montrât pas signes de tiques, que ses mains restaient immobiles posées sur ses cuisses, le regard du rossignol était ouvert à celui du tisseur, elle ne lui cachait pas son inquiétude.

Et son regard maintenant sombre, qui se voulait compatissant, la rassurait un peu, progressivement, elle redescendait les épaules, se demandant ce qu’il avait bien voulu sonder en penchant la tête avant d’oser prendre la parole. Les mots qui suivirent ne la choquèrent pas, elle y avait pensé, dans le dernier mois, avait accepté qu’il savait certainement. Ce qu’Autone voulait savoir, c’était à quel point elle avait été traçable, à l’époque. À quel point elle avait été maladroite. Elle s’en était peu souciée, à l’époque, son passage à la cour n’était qu’une situation temporaire et une tentative de recueillir des informations sur Fabius dans l’espoir de doubler Crissolorio. Elle n’avait jamais pensé devenir politicienne et avait été payée pour charmer plusieurs nobles. Beaucoup étaient morts, pendant la guerre, mais certains hommes qui étaient toujours à la cour, maintenant mariés, avaient eu Autone dans leur couche et se taisaient à présent pour éviter les scandales. L’un d’entre eux était déjà marié à l’époque et ne pouvait rien révéler au risque de briser son mariage. Et tous ces hommes ne savaient pas qu’elle avait été payée pour cela. Il y avait plusieurs informations qui s’emmêlaient les unes aux autres et qui étaient compromettantes. Des rumeurs courraient qu’Autone était une courtisanne mal née qui était seulement parvenue à charmer Matis par sa beauté et sa jeunesse. Une croqueuse de diamant, certains osaient l’appeler. Mais les rumeurs étaient moins difficiles à gérer et ignorer que les réelles informations.

Elle sentit la honte, celle d’Ilhan, lorsqu’il parlait de ce qu’elle savait. La sienne aussi, monter à ses joues rouges et qui lui donnaient envie de se cacher. La petite dame baissa un peu la tête et ses yeux fuyaient vers la fenêtre qui lui répondait par son jardin triste de novembre. Peu importe combien Ilhan se montrait rassurant et bienveillant, peu importe combien elle voulait lui prendre la main et lui dire combien il n’avait aucune honte à avoir, lui. Rien ne pouvait la convaincre qu’elle ne devrait pas avoir honte. Cette idée qu’elle avait choisi cette vie, que c’était de sa faute si elle avait fui, si elle avait été naïve, si elle était restée ensuite. Ultimement, Ilhan refusait de répondre à sa question et ce n’était pas très rassurant. La petite dame ferma les paupières et prit une profonde respiration, silencieuse. Ilhan ne lui avait rien montré qui puisse lui faire croire cela, mais puisqu’il savait, elle avait peur qu’il la pense autrement, qu’il la pense moindre. Et pourquoi voulait-elle être appréciée ainsi? Pourquoi ne voulait-elle pas lui déplaire? Était-ce une peur d’être rejetée, de perdre cette amitié qui bourgeonnait encore, ou une peur récurrente qu’on s’en prenne à elle.

Autone ouvrit les yeux, s’accrocha au regard sombre sans cacher sa tristesse, sa honte, sa crainte. Elle ne savait pas qu’elle était aussi expressive, tout cela venait sans qu’elle ne le demande, sans qu’elle ne le perçoive. Un instant de silence lui permit de garder son calme, de ne pas courir se cacher ailleurs. Et elle esquissa un sourire teinté de toutes les émotions qui l’habitaient, sourire qui disparût quand elle parvint enfin à parler. « J’aimerais prétendre y avoir pensé, mais c’est Margaux qu’il faudra remercier. J’ai peur que ma leçon de harpe ait absorbé toute mon attention aujourd’hui. »

Une chose étrange retint son attention. La manière dont Ilhan parlait de lui, de sa vie, était étrangement familière, lui donnait une impression de déjà-vu. En y repensant, elle réalisait que cela lui rappelait sa discussion avec Aldaron. Cette manière de parler de sa vie comme si on la constatait de l’extérieur. Ce n’était probablement qu’une manière de parler, Ilhan était après tout humain. Peut-être s’était-il rapproché d’Aldaron?

« Je ne vous demandais pas cela par…peur que vous ne révéliez mes secrets. Peut-être n’ai-je pas de raison de vous faire confiance mais… Je vous crois. Je n’ai jamais eu peur…Je n’ai jamais pensé que vous pourriez donner ou vendre ces informations. Je crois sentir que vous êtes bienveillant. »


Si ses joues n’avaient pas encore pâli, sa voix était devenue un peu timide à cet aveu. « Peut-être que je vous crois parce qu’il me semble impensable, ce que j’ai vu, de le retourner contre vous. Parce que cela me semblerait monstrueux. Et j’ai du mal à imaginer que quelqu’un puisse faire cela. Même si ce n’est pas la même chose. Ce que vous savez sur moi est probablement criblé de vrai, de faux, de façade qui cachent encore d’autres réalités. On peut avoir une idée de Gloria, mais même si l’on est conscients de sa dichotomie, on ne peut pas comprendre ses entrailles tant que l’on n’y a pas plongé. » Sur cette dernières phrase, Autone fixa un peu le vide, avant de se reprendre, de quelques clignements. Elle remonta ses ambres vers le tisseur. « Pardon. Je voulais savoir, si ces profondeurs avaient été explorées, jusqu’où j’avais été découverte. Je suis capable d’en deviner une partie, évidemment. Mais il y a des couches et des couches de secrets. Je comprends que vous n’ayez pas envie d’en parler. C’est certainement choquant et il n’y a aucune manière de l’évoquer dans la bienséance. »

La petite dame porta le thé à ses lèvres, se sentit un peu plus calme, avant de reprendre, timidement. « Je suis désolé, si ce n’est pas ma place de vous dire cela. Mais vous n’avez vraiment aucune honte à avoir. Ce qui vous est arrivé, ce que j’ai vu, n’est pas votre faute. Et quand je vous ai dit que cette douleur que je vous ai vu pleurer ne fait que vous rendre humain, c’est que cette honte s’attaque à qui vous êtes. Votre valeur n’est pas amoindrie par ces émotions et cette vulnérabilité. Je comprends que votre position de politicien fait que vous deviez vous méfier, c’est justifié. Mais vous devez savoir que votre valeur ne change pas, malgré ce devoir de paraitre. Cette façade est peut-être importante, mais la personne que vous êtes n’est pas inférieure à celle que vous montrez. »

Elle n’avait pas besoin de s’efforcer pour montrer son empathie à Ilhan, son regard avait sa volonté propre. Anxieuse, la petite dame espéra ne pas offenser son invité par ses conseils qu’elle-même ne suivait pas. N’était-il pas capable de comprendre tout cela par lui-même, lui qui était bien plus vieux qu’elle? Elle ne pouvait s’en empêcher, elle n’avait vu qu’une lueur de honte en lui et avait eu besoin de le rassurer. Ces mots étaient restés dans son cœur depuis leur dernière rencontre.

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S’il surprit le regard d’Autone, qui semblait plonger dans ses yeux comme voulant lire en lui, il n’en montra rien. Loin de sentir une quelconque inquisition dans ce rapide échange, il en sentit même une douce chaleur, sans qu’il ne sache se l’expliquer. Il la vit baisser les yeux, coupant court à cet instant de gêne et de douce intimité tout à la fois, lui permettant de reprendre ses esprits l’air de rien. Fort heureusement pour lui d’ailleurs, car la question qu’elle lui posait était des plus délicates. Et quand le regard clair de la jeune femme se reposa sur lui, il put y lire toute l’inquiétude qui la rongeait. Une inquiétude qu’il devait avouer partager. Et comprendre aussi. Une pulsion étrange le poussait à l’étreindre doucement, là, maintenant, pour la rassurer. Mais sa pudeur le retint et seuls ses yeux sombres exprimèrent l’empathie qu’il ressentait en cet instant.

Oui empathie. Il sentait la honte émaner d’elle, sans même que sa fidèle Tela ne la lui souffle. La même honte qui émanait de lui, même si pour d’autres raisons. Leur passé les rongeait, leur passé les étouffait, quand bien même pour lui, à cette heure-ci, ce passé n’était plus mémoire mais récit conté. Et ils avaient voulu tous deux l’enterrer dans les limbes fangeux d’un exil forcé. Ils avaient espéré qu’en ces nouvelles terres, une page se tournerait, qu’ils oublieraient, que la douleur et la honte s’atténueraient. Sans doute s’étaient-ils bernés. Voilà, là aussi, une erreur partagée. Finalement, le veuvage et les convictions antiesclavagistes n’étaient peut-être pas leur seul point commun...

C’était là soudain un sentiment étrange et déroutant. Il n’avait jamais ressenti un tel écho avec une autre femme que son ancienne aimée jusque-là. Du moins le pensait-il. Son ancien lui ne s’était après tout jamais remarié. Certes, il disait dans ses écrits ne pas avoir voulu d’attaches. Pas d’attaches pas d’emprise, n’avait-il cessé de répéter. Pour autant, il n’avait jamais parlé non plus d’un réel attachement ou d’une forte attirance envers une autre femme, si ce n’est très récemment, peu avant son agonie dont l’affligeait la maladie, un doux émoi envers une jeune personne qu’il n’aurait jamais dû approcher de si près, au vu de son rang et de son statut, toute jeune impératrice qu’elle était. Oui étrange et déroutant qu’il voit soudain en Dame Falkire tant de traits communs, et bien plus encore. Il avait été attiré dès leur rencontre par son caractère de feu, son tempérament passionné pour les causes qui lui tenaient à coeur ou pour protéger ceux qui lui étaient proches… Leur rencontre au sujet de l’abolition de l’esclavage déjà, mais aussi leur altercation avec une chimère… puis leur longue entrevue en Delimar, où ils avaient tant échangé, tout en secret. Elle était dotée aussi d’une certaine intelligence qui n’avait pas rendu indifférent son ancien lui, et qui l’attirait tout autant aujourd’hui. Sa beauté était certes bien plus discrète que celle de l’impératrice mais elle n’en était pas moindre pour autant. Une beauté de feu, et non de glace.

Ses pensées sournoisement compromettantes, et sans doute déplacées, s’envolèrent soudain quand il rencontra de nouveau les perles limpides de la jeune femme. Des perles qui criaient presque toute sa détresse. Sa peur, sa honte… Visiblement ses mots n’avaient pas su la rassurer. Loin de là même. Il se sentit contrit et affligé, et l’apaisement qu’il aurait voulu lui offrir mourut à ses lèvres obstinément closes. Incapable qu’il était de savoir quoi dire, quoi faire, devant ce regard si fort et si empli d’émois. Et il dut avouer être soulagé quand elle reprit la parole. Il avait cru, l’espace d’un instant, que maladresse avait si bien fait son chemin, qu’elle en avait terni leurs retrouvailles.

Et ce qu’elle lui dit lui réchauffa le coeur, plus que ces simples mots n’auraient dû, sans doute. Elle le croyait. Mieux même, elle disait lui faire confiance. Il sentit son coeur se serrer à ces mots. À la fois étreint d’une tendre chaleur, à ce sentiment de confiance qu’on lui offrait… et d’une sourde culpabilité, lui qui espionnait la jeune femme depuis quelque temps maintenant…

Il se retint de justesse de regarder dans la direction où avait disparu Margaux et préféra dévier son regard vers sa tasse. Magnifique tasse de porcelaine. Oui, très jolie porcelaine que celle-là.

Certes, quand elle disait qu’elle ne pensait pas qu’il vendrait ses informations à qui que ce soit, elle avait raison. Il s’agissait certes d’informations importantes, mais le Tisseur n’avait effectivement jamais fait mention d’en faire échange contre quoi ce soit ou d’en faire chantage. Il les avait consignées, mais ne les avait jamais divulguées, alors qu’il les détenait vraisemblablement depuis bien longtemps. Depuis le temps de Gloria pour certaines d’entre elles.

Comprendre les entrailles de Gloria… Oui, il pouvait entrevoir ce qu’elle disait. Il hocha alors simplement la tête en silence. Il serait incapable d’affirmer en ce jour connaître ces fameuses entrailles… mais il subodorait que son ancien lui, oui. En grande partie du moins. Son ancien lui en avait connu les alcôves, que ce soit celles de la Cour, viciée de corruption et de vicissitudes en tout genre, ou que ce soit celles du peuple parmi lesquels nombre de ses araignées s’égrenaient. Mais peut-être n’avait-il pas connu toute la profondeur du coeur de Gloria, lui qui était né en Althaïa, et surtout qui venait d’un milieu favorisé.

Jusqu’où elle avait été découverte ? Jusqu’à ses origines, eut-il envie de répondre. Jusqu’à ses sombres activités. Jusqu’à son lien avec le Marché Noir aussi, même si tout récemment, et encore sans preuve formelle sur ce dernier point. Choquant ? Oui, et non, pas vraiment en fait. De tout ce qu’il avait lu, de toutes les informations qu’il avait ingurgitées depuis sa renaissance, la vie d’Autone Falkire n’était pas la plus choquante. Une des plus marquantes, peut-être, de par cette farouche détermination à s’extirper de la fange dans laquelle on avait voulu la couler, de par cette volonté de fer qui avait su l’élever en ce lieu, en cet endroit, en un titre honorifique, malgré ce passé… Mais choquante ? La vie de Fabius Kohan lui avait semblé bien plus choquante et écoeurante que celle de la jeune femme, pour tout avouer. Et il ne parlait pas de celles d’autres forbans encore vivants de leur temps… dont celle de Nathaniel Earendill. À ces noms, il réprima avec difficulté un frisson.

Oh oui, belle porcelaine, se força-t-il à penser, quand elle évoqua de nouveau ce qu’elle savait sur lui. Sa honte de son propre passé glorien, fort peu glorieux, et sa douleur de père et de mari éploré... Même si cette honte et cette douleur n’étaient pour l’heure qu’un écho de ce que son ancien lui avait pu vivre, il n’en ressentit pas moins leur étau l’étreindre et manquer l’étouffer. Il préféra alors porter sa tasse à ses lèvres, autant pour se donner contenance dans ce simple geste coutumier, que pour tenter de trouver un peu de chaleur dans les saveurs de ce thé qui aurait dû lui rappeler Althaïa.

Il attendit que les mots prennent fin et qu’un doux silence leur fasse écho, inspirant calmement mais profondément. À gestes lents, il reposa sa tasse, puis plongea son regard sombre, teinté d’une myriade d’étoiles dorées, dans les perles ambrées de la jeune femme. Il la sonda ainsi un long moment, tandis qu’un doux sourire se dessinait lentement sur ses lèvres. Un sourire dépourvu de toute façade, alors que ses traits laissaient doucement, mais sûrement, tomber son masque de fausse impassibilité.

Cette fois, mu par une impulsion, il laissa parler son instinct. D’un geste doux et tendre, il vint attraper la main d’Autone. Sans brusquerie. Et la porta lentement à ses lèvres pour lui offrir un chaste baiser. Ses lèvres effleurèrent à peine la peau douce et délicate de la jeune femme. Avant qu’ils n’abaissent leurs deux mains liées… sans pour autant la libérer.

Je vous remercie du réconfort que vos mots m’apportent. Même si certains éléments du passé semblent vouloir ternir mon coeur de leur voile bien ténébreux. Je pense qu’il en est de même pour vous et que, quoi que je dise, cela ne permettra pas de chasser ce lourd manteau qui nous drape de honte ou de douleur.

Il serra doucement la main captive. Il ne souhaitait nullement la relâcher pour l'instant. Autant parce qu'il avait besoin de ce contact, pour trouver la force de passer outre sa pudeur qui le ferait taire en d'autres temps, autant pour lui insuffler aussi tout ce qu'il ressentait envers elle et lui faire comprendre que dans ce "tout" nul dégoût s'y instillait.

Je ne sais si je puis prétendre tout savoir sur vous. J’en doute fortement. Je ne me connais pas moi-même entièrement, fit-il avec un triste sourire.

Et c’était bien peu dire…

Mais j’en ai appris suffisamment oui, et cela depuis plus loin que votre vie en Gloria. J’ai appris vos prémisses en cette cité, vos premiers… contacts… vos premiers actes.

Il ne souhaitait toutefois nullement mettre des mots clairs et précis sur ces "actes". Il n’en émettait aucun jugement d’ailleurs. Mais sa pudeur lui interdisait d’y mettre un nom justement. Car ces actes appartenaient au passé, et plus encore à la jeune femme. En parler en cet instant lui semblait bien assez douloureux pour les affliger en plus tous deux d’une étiquette qui peinerait à en contenir toute la grise réalité. Car oui, depuis sa renaissance, il ne voyait ni en noir ni en blanc, encore moins en couleur, et seules des nuances de gris étalaient leurs ombres sur les cendres de ce monde.

J’ai appris les rumeurs qui ont couru sur vous, mais aussi ce qu’il en était, du moins en partie.

Car nul ne pouvait réellement prétendre totalement savoir ce qu’il en était, si ce n’est la jeune femme en face de lui.

Mais sachez que ce que je connais aussi, et surtout, de vous, c’est votre farouche volonté à défendre les causes qui vous tiennent à coeur, votre détermination à vous élever, non pas seulement socialement, mais aussi spirituellement. Votre ténacité, votre courage et votre dévotion pour faire profiter de votre succès ceux dont vous soutenez la cause, et ceux que vous voulez protéger. Tout ce que je vois dans cela est une jeune femme au caractère fort et volontaire qui force mon admiration sur bien des points, elle qui femme a su braver les interdits dans ce monde fait par les hommes pour les hommes.

Il porta une dernière fois la main captive à ses lèvres et enfin la libéra.

Sachez qu’en mon coeur votre passé ne me révulse en rien. Qui serais-je pour le juger ? Vous qui connaissez une partie du mien, vous savez que j’aurais plus de honte à avoir de mes choix, que vous des vôtres. Votre passé est vôtre et il ne m’appartient pas de le juger. Encore moins de le divulguer à qui que ce soit. Notre passé nous forge, notre présent nous lie et nos intentions enfantent notre avenir. Là est la devise de ma famille, et je crois qu’en cet instant elle révèle bien ce que je ressens en votre compagnie.

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Une tension s’empara de sa poitrine sans qu’elle ne puisse la nommer, crainte momentanée de mettre l’homme en colère et qu’il ne s’impatiente, derrière ses gestes lents et calmes. Autone guetta les mains du tisseur qui posait doucement sa tasse. Puis relevant les yeux, elle le laissa plonger dans ses ambres dans un doux silence, se laissa tomber aussi dans les orbes sombres, étoilées d’or. Oubliant d’avoir peur du malaise, elle admira les éclats d’or et le sourire désarmant du diplomate. Un court moment qui n’avait rien de diplomatique, mais qui emplit le cœur imbrisé d’une chaleur rassurante. Et sans réflexe, sans angoisse, Autone laissa sa main glisser dans celle d’Ilhan qui lui offrit un baiser à peine effleuré. Et nul réflexe, nulle angoisse ne rencontra ce geste plein de douceur. Quand il brisa le silence et serra sa main, elle serra un instant aussi la sienne, peut-être par besoin de le soutenir alors qu’il s’ouvrait à elle.

Les propos du tisseur restaient bien vagues, mais il était après tout un diplomate, Autone décida de ne pas insister pour avoir plus de précisions. Mais lorsqu’il évoqua ses premiers contacts, une lueur d’angoisse passa sur son visage et son cœur eût quelques battements rapides. La petite dame se permit de serrer la main d’Ilhan pour y trouver une ancre, s’accrocha au regard sombre pour chasser la peur qui la prenait lorsqu’elle pensait à son arrivée à Gloria. Se concentrant sur la voix de l’althaïen, elle se força à chasser ses souvenirs effrayants et se débarrassa de l’étaux autour de sa poitrine en prenant une grande respiration. Laissant l’angoisse s’échapper par le souffle entre ses lèvres, Autone détendit sa main, ses épaules et son visage.

Lorsque l’homme transposa en mots sa vision de la jeune femme, Autone se sentit complètement désarmée, si bien qu’elle se retrouvât à fixer le tisseur sans savoir comment réagir. Muette, presqu’incrédule, mais surtout surprise de cette soudaine ouverture de la part de l’esprit inébranlable. Son cœur se réchauffa et ses joues aussi, à ces compliments et cet aveu d’admiration. Elle regretta un peu le contact qui se rompit, sa main restant là où Ilhan l’eût reposé, alors qu’elle se demandait comment répondre à une confession si douce. Mais se ressaisissant, Autone écouta les quelques derniers mots que l’immaculé eût prononcé. Sur ses lèvres muettes, un « Non » fût prononcé lorsqu’il affirma qu’il avait plus de honte à avoir qu’elle. Le silence retomba alors, laissant Autone imiter Ilhan en plongeant dans son regard sans forcer la conversation à recommencer immédiatement. Calmant sa respiration, son teint reprit une teinte moins carmine. D’une voix douce, presque dans un murmure, elle osa lui répondre en baissant son regard d’ambre.

« Vos mots m’apportent une douceur et un réconfort que j’aimerais pouvoir vous rendre. Je me sens…honorée que vous me voyez ainsi, et votre bienveillance me va droit au cœur. »


La petite rousse laissa l’impulsion mener sa main petite main vers celle du tisseur, la tenir sans l’enserrer alors qu’elle relevait son regard vers le sien. « Je souhaite seulement que vous dirigiez la même bienveillance envers vous-même.»


Soudain, un éclair traversa son regard, semblant avoir une idée, la jeune femme retira sa main. « Oh, j’ai oublié, j’avais quelque chose pour vous. Enfin, ce n’est pas vraiment un présent mais…vous verrez. Excusez-moi, juste un instant. » La petite dame se releva et disparu un court instant du boudoir. Dans le salon, près de sa harpe, elle attrapa une pochette de cuir dans laquelle était rangée plusieurs feuilles de papier libres. Revenant dans le boudoir avec la pochette entre les mains, elle s’approcha timidement d’Ilhan. Personne n’avait encore jugé ce travail de plusieurs mois à part son collègue. « J’aurais voulu vous les remettre un peu plus tard, mais je ne sais pas quand nous nous reverrons. Il y a plusieurs mois que j’y travaille et…J’aimerais qu’elles soient entendues à Délimar aussi. Je vous demande seulement d’attendre peut-être encore un mois ou deux avant de…Oh non vous ne devez rien comprendre à ce que je raconte, pardon. Regardez par vous-même. »


Offrant un sourire à son invité, la petite dame s’approcha davantage pour déposer la pochette entre ses mains. À l’intérieur, se trouvaient deux copies de chacune des partitions qu’elle avait composé avec Eden. « Lors de notre première rencontre au sujet de l’abolition, vous avez parlé d’éducation. Les gens doivent savoir que les Graärhs ne sont pas que des animaux. Or, tous n’ont pas le temps de s’instruire, encore beaucoup de gens ne savent pas lire. Je crois que la musique et l’art peut instruire ceux que les écrits n’atteindront pas. Et les chansons…voyagent à un rythme effréné. C’est là leur efficacité. Je me suis associée avec quelqu’un pour créer ces pièces, nous avons prévu de commencer à les jouer dans les tavernes en décembre. Je me demandais…si vous pouviez ensuite trouver quelqu’un qui pourra les chanter à Délimar. Bien sûr il faudra me laisser le temps de les lancer ici. Mais lorsqu’elles auront pris un peu de popularité, peut-être connaissez vous un artiste de rue bien réputé qui serait heureux d’ajouter ces quelques pièces à son répertoire. »


Ce projet lui tenait à cœur, mais la rendait aussi enthousiaste, lui donnait espoir. Alors elle s’agitait un peu plus et se sentait comme une gamine sur le point de passer un examen. Liant ses deux mains ensemble, Autone souriait toujours en sondant l’immaculé du regard, se demandant s’il refuserait sa demande. « Seulement si vous acceptez, bien sûr. En vérité, c’est un peu une faveur que je vous demande, et moins un présent. »gloussa-t-elle dans un souffle.

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Délicieuses rougeurs que celles qui venaient rehausser le teint pâle de la belle jeune femme. Ilhan ne parvenait à détacher son regard de ce visage aux traits délicats, de cette magnifique chevelure de feu, de ces… Diantre ! Pour un peu, et il la dévorait du regard. Il fut tenté d’ailleurs de dévorer bien d’autres choses, pensées et émotions, pour savoir ce que ressentait en cet instant la jeune femme après son étonnante confession. Il se retint, une fois encore, faisant taire Tela, n’ayant point envie de rompre le fil fragile de confiance qui semblait se tisser entre eux deux. De nombreux secrets le menaçaient déjà bien assez de leur couperet acéré. Il préférait ne pas en rajouter par une énième traitrise que serait celle de percer son esprit.

Ils étaient soudain happés tous deux en un échange visuel fort et déroutant tout à la fois. Les mots n’avaient plus leur place, et seuls leurs yeux parlaient pour eux. Comme voulant dire tant et tant de choses encore. Cet échange muet ne dura certainement que quelques secondes, mais une éternité semblait s’être étirée pour lui, quand le silence fut rompu.

Loin de s’en offusquer toutefois, Ilhan fut touché des mots qu'elle lui offrit. Il ne lui répondit toutefois que par un doux sourire, incapable lui-même de se dévoiler plus encore. Et resserra doucement, en tentant de maitriser sa force nouvelle, la main qui venait de reprendre la sienne. Une étrange déception l’enveloppa de son froid manteau quand la main se retira vivement et que la jeune femme se redressait. Et le quittait. Le sourire s’évapora légèrement, même si son ombre planait encore sur les traits faussement calmes de l’althaïen.

Ce fut avec un vif soulagement qu’il la vit revenir. Une pochette de cuir à la main. Cette fois, sa curiosité fut attisée, et ce qu’elle lui dit ensuite ne fit que l’aviver. Il hocha la tête en guise d’encouragement à poursuivre. Et elle lui déposa alors la pochette entre les mains. Il l’observa un moment et en caressa la douce texture, avant de relever un regard perçant sur la jeune femme. Était-elle sûre ? Visiblement oui. Les mots abolition résonnèrent soudain et firent écho au mot éducation. Fort de cette assurance, et de plus en plus avide de savoir ce qu’Autone avait pu manigancer, Ilhan s’exécuta enfin et ouvrit la pochette, tout en écoutant d’une oreille attentive ce qu’elle lui disait.

Il y découvrit deux feuillets, couverts de notes et de paroles… Des partitions ! Mieux même des ballades ! Des ballades contant des histoires Graärh ! Voilà qui était une brillante idée. Effectivement peu étaient les privilégiés sachant lire et écrire. Le peuple n’avait en outre que peu de temps à accorder à ce qui n’assurait pas sa survie du quotidien. Les ballades avaient longtemps été un mode de transmission des connaissances, et des histoires d’antan. Retrouver cette vieille coutume était de bon aloi. Alors qu’il lisait les partitions, Ilhan se leva sous l’excitation qu’il contenait par ailleurs assez bien. Seul ce geste trahit sa surprise et son appréciation. Il lut les ballades avec frénésie, ses yeux sombres courant sur les lignes, alors qu'il s’imaginait déjà les scènes contées. C’était… grandiose ! Magnifique ! Si bien trouvé !

C’est une idée excellente, magique et magnifique, souffla-t-il tout en finissant sa lecture. Il va de soi que Caladon en aura la primeur, bien entendu. J’attendrai que vous me fassiez signe, à moi ou à Shan, un de mes hommes de confiance en Delimar, si jamais j’y suis absent. Nous nous ferons un plaisir alors de trouver un artiste de rue pour les conter.

Il n’avait pas lâché les feuillets des yeux encore, et en finissait tout juste la lecture. Ses orbes sombres atteignirent enfin le point final de la dernière, quand il fit un pas en avant vers la jeune femme.

Bien sûr que j’accepte. C’est magnifique. En cet instant, c’est vous qui m’accordez cette faveur de me confier de telles créations.

Se disant, il avait saisi d’une main celles d’Autone, qui semblait bien agitée, tandis que de l’autre il brandissait les feuillets. Ses orbes de jais s’étaient relevés abruptement, pour s’ancrer dans les perles ambrées de la jeune femme. Il n’était plus qu’à un pas d’elle, à peine, et il fut surpris de leur proximité. Presque gêné même. Pour autant, il fut incapable de reculer.

Au lieu de cela, il laissa leur souffle se mêler et de surprise et… d’un étrange émoi qui faisait palpiter son coeur. Ses éclats d’or s’illuminèrent de plus belle, alors que sa main lâchait doucement les feuillets. Il perçut à peine leur doux bruissement quand ils touchèrent terre, tant il était soudain hypnotisé par les ambres devant lui. Bien trop occupé aussi à écouter ce coeur battant tout près de lui. Il ne sut ni pourquoi ni ce qui lui prit, mais sa main libre se leva en un geste lent, et vint, audacieuse qu’elle était, effleurer la joue de la jeune femme. En un geste tendre, doux, qui à tout instant pourrait être rejeté si Autone le voulait. Tout en douceur, il vint écarter une mèche de cheveux qu’il rabattit derrière l’oreille de la jeune femme, tandis qu’il se sentait inexorablement attiré.

Et qu’il était à deux doigts de mêler leur souffle pour n’en faire plus qu’un seul...

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L’enthousiasme d’Ilhan toucha la jeune femme, qui regardait timidement l’althaïen s’empresser de lire ses histoires, comme appréhendant son opinion tant avec joie que nervosité. Joie qui emplit son cœur quand Ilhan accepta d’emmener les partitions à Délimar. La petite dame serra doucement la main qui avait pris les siennes en relevant le visage pour se perdre à nouveau dans le regard dont elle était coupable d’admirer longuement. Autone songea que la bienséance s’était sournoisement échappée de leur échange, qui n’avait plus du tout l’air d’une rencontre diplomatique. Elle se demanda un instant si elle devrait reculer, ou alors se mettre à parler de friandises ou du beau temps, quand elle réalisa combien sa respiration était profonde, combien celle d’Ilhan était tout près de la sienne, et qu’elle pouvait l’entendre tout près de ses lèvres. Son cœur, lui, palpitait quand elle observait les éclats d’or illuminer le regard sombre. Une impulsion lui donnait envie de fermer les yeux, mais elle s’y refusait, ne voulant rien manquer de ce court moment. Elle craignit un instant de sursauter sous la main qui s’approchât de son visage, mais quand Ilhan effleura la joue rose d’Autone, le geste fût si doux qu’elle ne sentit qu’une douce chaleur grimper dans sa poitrine.

Serrant la main du tisseur, la petite dame ferma les paupières, saisissant la tendresse qui l’étreignait, tant qu’elle l’effrayait. Et elle décida en une si petite seconde que cette peur n’avait pas à se tenir entre elle et Ilhan. Que cette douceur pouvait être sienne, il s’agissait simplement de…l’attraper.

Elle rencontra les lèvres d’Ilhan à mi-chemin, se levant sur la pointe des pieds en un baiser qui semblât d’abord tout petit, comme ayant voulu goûter d’abord à quelque chose de nouveau. Laissant un instant ses lèvres en suspens tout près des siennes, elle inspira l’ivresse de ce simple contact et l’impulsivité décida qu’elle voulait y replonger. Relevant une main qui vint doucement se poser sur la joue d’Ilhan, Autone l’embrassa à nouveau, laissant ses lèvres s’éterniser sur les siennes, laissant sa passion et son impulsion la guider.

Et peut-être fut-ce la timidité ou la pudeur qui eût raison, mais lorsqu’elle se détacha enfin des lèvres de l’althaïen pour respirer, la petite dame fit un pas en arrière pour reprendre ses esprits. Elle songea qu’il faisait bien chaud et, jetant un regard derrière elle, se sentit reconnaissante de ce pan de rideau qui protégea à lui seul l’intimité de ce moment. Autone se retourna timidement vers Ilhan et prit tout son courage pour prononcer ces quelques mots « Voudriez-vous … continuer cette entrevue dans mon bureau? »  

***

Trois grandes respirations. Étendue à ses côtés, Autone chercha la main d’Ilhan, la serra en se concentrant sur sa respiration et se força, presque agressivement, à s’ancrer dans le présent. Elle serrait fortement la main de l’immaculé, mais ne pouvait pas vraiment lui faire mal, au vu de son absence de force. La petite dame ouvrit les yeux, un peu plus calme, elle relâcha son emprise sur la main d’Ilhan. « Désolé. » souffla-t-elle. Pour elle ce rituel était une habitude, pratiquée souvent avec Matis, elle avait appris à ne plus hyperventiler. Mais elle ne pouvait pas empêcher la peur de l’étreindre, elle pouvait seulement l’empêcher de prendre le dessus. En relevant une main timide, elle laissa le bout de ses doigts danser sur l’épaule et le bras de l’althaïen, suivant les lignes cuivrées d’un air perplexe.

« Vous n’êtes plus humain. »
Constata-t-elle à voix haute, sans agressivité et sans angoisse dans la voix, rien qu’une curiosité tranquille. Autone remarqua le léger tremblement dans sa main et la ramena vers elle pour la poser près de son oreiller, espérant que le tisseur ne remarquerait pas. Vraisemblablement, ce tremblement allait durer plusieurs minutes. Relevant ses ambres, elle plongea son regard dans celui du Délimarien, lui sourit doucement pour éviter de le brusquer. « Il me semblait, que vos yeux avaient changés. J’aurais remarqué ces éclats d’or. » souffla-t-elle en admirant les orbes sombres. Elle parcourût à nouveau ses traits du regard, se retenant de laisser ses ambres vagabonder ainsi plus que quelques secondes, par peur d’offenser Ilhan en le fixant à nouveau. Autone eût un instant d’incertitude, peut-être regretterait-il ce moment d’impulsivité? Tout cela lui paraissait une grande bêtise au vu de leurs titres respectifs, mais une bêtise qu’elle n’avait pas envie de réprimer ou de regretter. Peut-être voudrait-il prendre ses distances, après cela? Autone avait plutôt envie de s’approcher d’avantage, mais respecterait la volonté d’Ilhan s’il préférait rompre leur contact.

« Vous n’avez pas à en parler, si vous ne désirez pas. J’aimerais seulement savoir, considérant la situation, »  
elle semblât embarrassée, relevant un sourcil interrogatif. « Avez-vous vos souvenir? »  

S’il ne les avait pas, cela expliquerait pourquoi il avait été si vague, plus tôt. Pourtant, comment pourrait-il assurer ses fonctions sans sa mémoire? Une pointe d’inquiétude naquit dans les ambres, quand elle songea à l’idée d’un nouveau-né vampirique, qui avait certainement rapidement immaculé, avec les devoirs d’un conseiller sur les épaules. « Et vous, comment allez-vous, dans tout cela? » Autone approcha timidement sa main toujours tremblante, de celle d’Ilhan, osant à peine la prendre dans la sienne. S’imaginant la pression qu’il devait avoir sur les épaules, elle releva son regard soucieux vers le sien.[/color]

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Il sentit une petite main serrer la sienne comme si sa vie en dépendait. Il entendit clairement les profondes inspirations que la jeune femme, étendue à ses côtés, prenait. Lui avait-il fait mal ? Lui avait-il rappelé de mauvais souvenirs ? Regrettait-elle ce petit moment d’égarement ? Un court instant, les griffes de la culpabilité revinrent ronger son coeur. Ces derniers temps c’était un sentiment récurrent, lancinant, qui ne le lâchait que rarement. Au fond de lui, la petite voix de la sagesse lui soufflait que de tels comportements ne seyaient pas à un diplomate. De tels rapprochements, sans être réprouvés, n’étaient guère conseillés. Pour autant…

Pour autant, une autre voix criait ne rien regretter. Si ce n’est peut-être d’avoir blessé, sans le vouloir, la jeune femme. Ce moment partagé avait été parfait jusque-là. Il espérait n’avoir rien terni en commettant quelques impairs… Ou peut-être n’avait-elle pas aimé ? Peut-être lui en voulait-elle ? Peut-être pensait-elle qu’il avait abusé d’elle et de ses charmes ? Peut-être…

Tous ses peut-être s’envolèrent quand elle rouvrit les yeux et qu’elle planta des ambres clairs et calmes sur lui. Désolée ? Désolée de quoi, eut-il envie de dire. Mais les mots lui manquèrent et sa langue ne semblait vouloir se délier. Il se contenta alors d’un tendre sourire, sincère et franc comme rarement il en offrait. Dépourvu de tout faux-semblant. Un sourire qui s’agrandit quand la petite main vint courir sur son épaule. Jusqu’à ce qu’il réalise qu’elle redessinait… les lignes cuivrées qui dansaient sur sa peau ambrée.

Et les mots qui suivirent résonnèrent tel un glas en son coeur. « Vous n’êtes plus humain. » Ne l’était-il plus ? Vraiment ? Il fronça légèrement les sourcils à cette assertion, son regard sombre se voilant d’une légère tristesse. Effectivement, dans les faits, il n’était plus de la race humaine. Pour autant, était-il si différent ? Oui, physiquement. Il était plus fort, comme jamais il ne l’avait été, il était plus vif, ses perceptions plus acérées, et il voyait la trame autour d’eux palpiter. Oui, il l’était… Pourtant, il n’avait pas l’impression d’être... si différent. Il jouait tant le jeu depuis sa renaissance qu’il ne savait plus très bien ce qu’il était, au fond de lui. Peut-être était-ce là le problème ? Peut-être était-ce lui le souci ? Son incapacité à s’affirmer dans ce qu’il était, même pour lui, son incapacité à se définir, et à trouver sa place aussi ?

Si les mots l’avaient troublé, de voir la main le quitter soudain le perturba bien plus encore. Il crut percevoir un léger tremblement quand elle revint se poser sur l’oreiller. L’avait-il rêvé ? Ou était-il réel ? La dégoûtait-il ? Se sentait-elle dupée, trompée ? Il aurait tant voulu que cette main revienne, et reprenne son doux ballet sur sa peau… Il garda silence, la laissant parler, et observer. Elle semblait vouloir dévorer chaque trait de son visage, chaque éclat de ses yeux… Il l'aurait bien laissée dévorer encore une fois chaque courbe de son corps, mais c’était sans doute là trop demander.

Et soudain, la question des souvenirs. Cette fois, ce fut lui qui manqua tressaillir. Un frisson courut d’ailleurs le long de sa peau, bien trop perceptible à son goût. Il parvint à ne pas rompre le contact visuel, mais dut faire appel à tous ses mantras intérieurs pour ne pas montrer son trouble plus que cela. Il ne répondit pas de suite, ne sachant s’il devait se dévoiler plus encore. Elle en savait déjà tant sur lui. Tout comme il en savait déjà tant sur elle, cela dit. Était-ce sage de le lui avouer ? Mais après tout, ce n’était pas comme si cela ne se savait pas déjà en sa propre cité. Dans l’Océanique, tout le Conseil était au courant, ainsi que tous ceux ayant appartenu à la délégation de Néthéril. Et sa nature immaculée n’était pas passée inaperçue auprès des autres Sainnûr de la cité. Bien vite, le bruit de son immaculation instantanée avait couru en Delimar, bien qu'en chuchotis discrets. Il en avait presque gagné en notoriété d’ailleurs. Ce fait avait montré pour les délimariens sa force d’esprit, à défaut de pouvoir faire preuve d’une force de corps.

Était-ce une pointe d’inquiétude qu’il percevait soudain dans les perles d’ambre ? À cette vue, il fronça de nouveau les sourcils.

« Et vous, comment allez-vous, dans tout cela? »

La question le désarçonna totalement. Elle le prit au dépourvu d’une force telle, qu’il en marqua un temps d’arrêt, et le jais de ses yeux manqua se transformer en or total. Peu avaient été ceux lui posant la question. Naal, Kehlvelan… et c’était presque tout. Il aperçut la petite main s’approcher de la sienne, hésitante. Non, vraisemblablement, elle ne semblait éprouver aucune répulsion. Sans doute avait-elle été surprise, prise au dépourvu, elle aussi. Mais si sa nature l’avait répugnée, elle ne rechercherait pas à nouveau le contact. Et ce regard… oui, c’était là définitivement de l’inquiétude. Il n’avait nul besoin de Tela, qui siégeait toujours à son doigt auprès de l’anneau unique, ni même de sa pythie, qui pendait alors à son cou, pour deviner cela.

Il ne sut toutefois que répondre, une fois encore. Tant et tant de questions. Des questions auxquelles il n’avait pas totalement réponse. Comment se sentait-il ? Il avait mis toutes ces interrogations de côté depuis fort longtemps, incapable qu’il avait été de définir son état ou ses émotions. Il avait eu tellement à rattraper également, et le temps filait à si vive allure… Il avait dû se plonger dans les livres, les notes et carnets de son ancien lui, pour parvenir un tant soit peu à être apte à sa tâche de conseiller, tant et si bien qu’il avait abandonné toute autre préoccupation, ou presque. Même s’il avait recouvré ses habitudes de méditation quotidiennes, elles lui avaient surtout servi à retrouver un semblant de calme et de paix, et non guère à une introspection intérieure. Il savait qu’il devrait un jour plonger en lui et déterrer tout ce qu’il avait enfoui jusque-là. Naal n’avait eu de cesse de lui répéter que le refoulement n’était guère une solution. C’était pourtant, pour l’instant, la seule qu’il avait trouvée pour maintenir un cap, pour se montrer un tant soit peu à la hauteur de ce qu’on attendait de lui. Et quand il sentait qu’il manquait dériver, Naal avait été son phare dans ses ténèbres tourmentées.

Ilhan se rendit compte du lourd silence qu’il avait laissé couler entre eux, tant il s’était perdu dans ses pensées. Il laissa alors un profond soupir lui échapper. Doucement, à gestes tendres, il vint prendre la délicate main qui s’était tendue vers lui. Il l’approcha de ses lèvres, lui offrit un doux baiser, puis la reposa entre eux deux. Sans pour autant la lâcher. Sans non plus trop la serrer, de peur de lui faire mal.

Il releva alors ses perles teintées d’or sur Autone et lui accorda un autre sourire, à la fois tendre et triste.

Vous m’avez démasqué, susurra-t-il tout d’abord.

Ses accents reprirent pleinement leur droit. Leurs notes vibraient alors de ce qu’il était sans concession : un althaïen. C’était là un fait qui n’avait pas changé, une marque en lui qui était restée envers et contre tout. Un des rares réels repères sur son identité. Quelque chose qui chantait puissamment au fond de lui.

Je ne suis peut-être plus humain. Ou peut-être le suis-je encore un peu ? Je ne saurais le dire, je dois l’avouer. Tout est si…

Son regard se baissa un court moment, et ses lèvres se murèrent dans un nouveau silence. Il n’avait pas de mot pour définir ce qu’était son monde en fait.

Comment je me sens ? C’est là une question des plus perturbantes. Si rare… Je ne m’y suis guère appesanti non plus.

Un autre soupir. Il serra doucement la main avant de la quitter, pour aller caresser la joue face à lui. Puis, se relevant sur un coude, il observa longuement la jeune femme, ne cherchant même plus à cacher toutes ses hésitations.

Un peu perdu sans doute. Même si j’ai su trouver quelques repères en de rares personnes. Un peu… perturbé. Dire le contraire serait mentir. Quant à mes souvenirs…

Il pouvait bien le lui avouer. Au stade où il en était. Toutefois, une légère pique de honte vint titiller son coeur, l’obligeant à laisser son regard dériver sur la belle crinière de feu, qu’il caressa d’une main, puis sur l’épaule, avant de finalement se baisser sur la main toujours posée entre eux, qu’il étreignit doucement, comme par peur qu’elle ne s'esquive et ne l'abandonne.

Ils me fuient. J’ai pu recouvrer un semblant de connaissances, grâce à de nombreux écrits, livres, carnets de notes et lettres, que mon ancien moi avait laissés.

Il renifla de léger dépit.

Il était si paranoïaque qu’il avait prévu l’éventualité de perdre sa mémoire. Un fait qu’il semblait d’ailleurs redouter plus que tout. Plus même que mourir. Il m’a alors laissé… une sorte de parcours d’énigmes pour retrouver des écrits, piste après piste…

Il releva enfin ses yeux et ajouta, cette fois d’une voix plus ferme où chantait un petit agacement.

Un parcours d’énigmes ! Pour savoir si je serai digne de recouvrer ce savoir, et à la clé mes souvenirs. De ce que j’en ai décrypté, à la fin du chemin, si j’y parviens à temps, car apparemment le temps peut être compté, je pourrais peut-être recouvrer mes souvenirs. Un parcours d’énigmes !

Lui-même avait trouvé ce semblant de plaisanterie des plus exagérés. Et pourtant il s’agissait de lui ! De son ancien lui, mais de lui quand même. Il inspira fortement, pour tenter de se calmer. Ancrer son regard dans les yeux d’ambre parvint à le rasséréner.

Tout a été si brutal.

Il parlait de sa transformation. Mais il n’osa le préciser. Peu sûr de vouloir l’entendre lui-même. Il n’en avait jamais parlé à qui que ce soit. C’était là un sujet qu’il esquivait.

Et tout va si vite.

Cette fois, il parlait du monde autour de lui.

Je suis désolé. Je… suis confus. Peut-être éprouvez-vous quelques ressentiments ? Ou… du dégoût peut-être ? Je… ne peux dire regretter cet instant. Même si, sans doute, j’imagine, cela n’est guère des plus… diplomatique ?

Il tenta un petit sourire taquin, qui ne fut toutefois qu’une pâle esquisse. Un autre soupir lui échappa.

Je suis désolé, murmura-t-il alors tout en retirant lentement sa main, de peur de l’effrayer, voire de la dégoûter. J'espère ne vous avoir blessée en rien.

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Ce doux sourire qui disparaissait laissât la culpabilité naître dans le cœur de l’imbrisée. La formulation l’avait-il blessé? Ou alors peut-être avait-elle accidentellement sonné bien plus brusque qu’elle ne l’aurait voulu? Autone regretta ses mots quand un silence inconfortable s’installa. Sa nervosité s’envola lorsque l’immaculé prit sa main. Elle inspira en s’imprégnant de la douceur de son contact, de la beauté de sa voix dans ses accents Althaïens. Aussi s’en voulut-elle de provoquer un dilemme identitaire, mais cela ne serait peut-être pas une mauvaise chose. Il devrait bien se poser ces questions un jour ou l’autre.

Joues carmines sous les doigts du tisseur, ses ambres redoublaient d’inquiétude bienveillante lorsqu’il disait que cette question était rare. Quelque chose de si simple, si essentiel. Les confidences qui suivaient n’avait rien pour la rassurer, elle eût envie de le prendre dans ses bras, de lui offrir un peu de réconfort. Son élan protecteur fût arrêté par les questionnements d’Ilhan, qui changeait de sujet pour retourner l’attention vers elle. Lorsqu’il retira sa main de la sienne, Autone releva un regard triste, presque apeurée, comme craignant de rompre ce contact. Elle ne laissa pas ses doigts quitter les siens, et attrapa la main fuyante, sans la serrer, murmurant un « Non ». Elle ne voulait pas lui forcer ce contact, mais lui montrer qu’elle ne regrettait rien, qu’elle n’était pas repoussée. Fermant les paupières, elle offrit un baiser à sa main, puis sans la lâcher, l’apporta à sa poitrine, près de son cœur. « Non. Vous ne m’avez fait aucun mal, au contraire. »

Elle lui offrit un sourire rassurant, caressant le dos de sa main d’un pouce. Puis elle baissa les yeux et son sourire s’éteint. « Ça fait longtemps, mais j’ai…encore peur. Pas de vous…Je ne sais pas trop comment expliquer. »

La petite dame inspira profondément, trouva le courage d’un sourire, puis se redressa, pour s’asseoir sur ses genoux. Et gardant la main de l’althaïen entre les deux siennes, elle la laissât reposer sur ses cuisses.
« Soyez sans inquiétude. Je ne regrette rien, bien que ce ne soit pas la décision la plus réfléchie de ma carrière politique. » Elle gloussa doucement. « Correction, mon seul regret est que vous ne pouviez passer la nuit ici. » Avoua-t-elle timidement. Elle se pencha alors pour embrasser son front, quittant sa main pour caresser son visage. « Je ne sais pas ce que vous avez traversé, mais je suis désolé que vous ayez rencontré des choses difficiles et brusques. »

Elle lui offrit un sourire, teint de sa compassion et de l’affection qu’elle lui portait. « Et bien que vous ne trouviez la plaisanterie très drôle à présent, ayez confiance en Ilhan. L’amnésie, aussi troublante puisse-t-elle être, fait partie du chemin normal d’une renaissance. Votre parcours n’a certainement rien d’habituel, mais songez qu’Ilhan connaissait sa propre curiosité, qui a parfois est dangereuse. Outre une épreuve d’honneur, et un jeu d’esprit, peut-être est-ce en effet sage de ne pas dévorer ces souvenirs d’un seul coup. Plus aisé à dire qu’à faire, je le concède, mais peut-être voulait-il que vous soyez patient. »

Le rossignol replaça une mèche de cheveux du front du tisseur, puis repris sa main dans la sienne. « Songez aussi qu’il n’en tient qu’à vous d’être Ilhan. Vous êtes-vous demandé ce que vous voulez vraiment? Retrouver vos souvenirs, être conseiller, vivre à Délimar, tout cela est peut-être le désir d’Ilhan. Et si c’est aussi le vôtre, si vous sentez, dans votre cœur, qu’il est juste de poursuivre sur le même chemin, soit. Ayez confiance en vous. Vous êtes digne de rencontrer la personne que vous deviendrez, qui qu’elle soit. »

Du temps, il en aurait, après tout, beaucoup. Et c’était peut-être cela qui devait-être vertigineux. Être au cœur des humains qui vont si rapidement, quand il venait de renaître.

Elle embrassa sa main encore une fois avant de lui offrir un sourire sincère et doux. « Je ne crois pas que l’ancien Ilhan aurait été aussi spontané. Enfin, je ne sais pas, on ne se connaissait que très brièvement. C’est un peu étrange de dire que l’on vient tout juste de se rencontrer. »

Autone esquissa un rire dans un souffle « J’imagine que ce n’est pas totalement vrai. » elle pencha un peu la tête vers l’arrière peignant avec ses doigts les mèches qui se mêlaient aux petites tresses. Elle recommença la coiffure qui avait été légèrement défaite, faisant simplement une grande tresse avec la partie supérieure de ses cheveux, avant de l’attacher en chignon avec quelques épingles.

La petite dame s’étira pour attraper ses vêtements au sol, en profita pour poser sur le lit une pièce qui appartenait à Ilhan. Elle enfila d’abord un jupon, puis sa robe et s’assied à nouveau sur le lit, dos à l’immaculé. L’éventail blanc dégagea ses cheveux en les ramenant devant une épaule, exposant son dos marqué d’une large brûlure alors que sa robe était toujours ouverte. « Seriez vous capable de me lacer? » Demanda-t-elle en tendant un ruban à Ilhan.

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Ce simple "non" le rassura aussitôt. Pas de mal, il ne lui avait pas fait de mal. De carrure frêle, il n’avait pas forcément conscience de sa véritable force par rapport au commun des hommes. Surtout alors qu’il évoluait parmi les délimariens dont la plupart étaient des guerriers forts et puissants, en particulier les géants glacernois… Il laissa sa main à Autone, quelque part rassuré qu’elle ne fuie pas son contact et au contraire le lui offre encore, sans concession. Cela lui réchauffait le coeur, bien plus qu’il n’aurait voulu l’avouer.  

Même si la suite impulsa une vive inquiétude en lui. Encore peur. Pas de lui, mais d’une façon générale. Était-ce de ce genre de peur qu’il ressentait lors du contact avec un homme ? De cette peur qui l’avait longtemps enserré, même lors de ses émois avec Naal, pourtant si doux et si patient avec lui ? Quels sévices avait-elle subis ? Outre ceux de Morneflamme, dont il savait qu’elle y avait séjourné, même s’il ne connaissait en rien toute l’ampleur de l’horreur que cela avait pu être.

Oui, cela n’avait été nullement réfléchi, pour lui non plus. Ce genre de pulsions ne lui ressemblaient pas, d’autant plus quand il pouvait y avoir des enjeux diplomatiques derrière. Il n’avait pas connaissance que son ancien lui se serait ainsi laissé aller à de tels émois, dignes d’un adolescent en pleine efflorescence… Était-ce la crise de la quarantaine, comme les humains l’appelaient, qui le frappait alors même qu’il n’était plus humain ? À la mention de ne pouvoir passer la nuit avec elle, il lui offrit un doux sourire, teinté lui aussi de légère tristesse, et ferma les yeux quand elle lui baisa le front, et lui caressa le visage. Il inspira profondément et laissa ses sens de Sainnûr s’enivrer de toutes ces douces sensations, cherchant à les imprégner en son esprit, pour ne jamais les oublier.

Oublier… Voilà quelque chose qu’il ne voudrait plus jamais connaître. L’oubli était le plus terrible selon lui dans cette renaissance. Même si certains lui susurraient que l’oubli pouvait être salvateur, lui le trouvait ravageur. Cela le hantait, l’obsédait. Oui, cela faisait partie du chemin de la renaissance, cela il pouvait bien l’admettre, concéda-t-il en un hochement de tête, alors qu’il rouvrait enfin ses orbes sombres perlés d’étoiles dorées. Une curiosité dangereuse, oui, cela aussi il voulait bien l’admettre. Elle semblait avoir mis parfois son ancien lui dans des situations difficiles, et il subodorait qu’il en serait probablement de même avec lui. Voilà bien un des traits qu’il avait gardés. Pour le meilleur… et pour le pire. Patience… Cela par contre était bien plus difficile pour lui, du moins concernant ses souvenirs. Il pouvait se montrer d’une patience infinie quant à certains de ses pairs, mais être bien plus intransigeant envers lui-même.

À la question de savoir s’il s’était demandé ce qu’il voulait vraiment, il fronça les sourcils. Là était peut-être tout le problème. Effectivement cette question, si elle l’avait maintes fois effleuré, avait vite été chassée de son esprit, tant elle l’avait perturbé. Quelle femme étonnante, songea-t-il, tout en laissant ses yeux sombres la dévorer ardemment, pour avoir su mettre le doigt pile sur le point sensible. Sur la question clé.

Voulait-il poursuivre le même chemin, la même œuvre ? En partie oui. Pourtant… il se sentait partagé. Et sentait au fond de lui que ce chemin auparavant tout tracé ne lui correspondait plus tout à fait. Il sentait que son coeur aspirait à tout autre chose. Un quelque chose que les anciennes races ne semblaient pas voir, ne pas comprendre, elles qui répétaient, inlassablement, encore et encore, les mêmes erreurs, ou du moins les mêmes schémas. Plus il observait ceux parmi lesquels il évoluait, et plus ils se disaient qu’ils répétaient les mêmes scènes qu’ils reprochaient pourtant à leurs ancêtres, qu’ils faisaient les mêmes choix, et donnaient sans cesse les mêmes réponses, tels des acteurs d’une éternelle pièce de théâtre qui n’aurait jamais de fin, devenant alors du passé un écho immortel et lointain. Quel chemin voulait-il suivre alors si celui-ci ne lui convenait pas ? Là était tout le problème, toute la question qu’il avait jusque-là éludée. Il ne le savait pas, ne l’avait pas trouvé. Ce chemin lui restait caché et tous ceux qui se présentaient à lui ne lui correspondaient jamais totalement. Rester Conseiller à Délimar n’était alors que l’attente d’un autre choix, d’un choix qui ne serait plus une absence de choix, mais une voie digne de ce nom qu’il pourrait suivre avec conviction…

Et rien que cette constatation qui le foudroyait soudain le laissa pantois, enserrant son coeur d’un certain désarroi. Il lui rendit un pâle sourire, qui toutefois s’agrandit au léger rire qu’elle lui offrit et il l’observa se peigner. Il se redressa sur un coude et appuya sa tête sur une main, encore hésitant à sortir lui-même du lit pour se rhabiller. En cet instant, il n’avait qu’une envie : l’admirer. Quand finalement elle choisit pour lui et posa un des vêtements de l’althaïen sur le lit. Soit, le temps était venu de revenir à des convenances plus décentes, sûrement.

Dans un léger soupir, il se leva à son tour, mais avant de quitter définitivement les draps chauds, il se permit de se pencher vers elle. D’une main tendre, il vint lui caresser les cheveux tout juste peignés, puis le cou et la nuque. Il déposa un chaste baiser sur la peau nue, puis lui souffla dans l’oreille, d’une voix profonde et toute althaïenne :

Vous êtes une femme admirable et je suis honoré par tout ce que vous m’offrez.

Lui déclarait-il l’aimer ? Pas tout à fait. Presque sans doute toutefois. Il ne savait encore lui-même ce qu’il ressentait pour offrir une telle affirmation. Mais en son coeur palpitaient les balbutiements de sentiments naissants qui se chamaillaient encore avec une pointe de culpabilité quant aux devoirs qu’il avait envers sa cité.

Il se leva alors et attrapa ses propres vêtements pour se rhabiller. Il avait enfilé braies et tuniques, qu’il ajustait, quand il entendit Autone lui demander de l’aider.

« Seriez-vous capable de me lacer ? »

Bien entendu, très chère, fit-il d’une voix aux accents graves.

Il se tourna alors et eut un temps d’arrêt, alors qu’il fut frappé par la vision des marques de brûlure sur son dos. Les mêmes marques de brûlures qu’il avait héritées de son père lors de sa renaissance vampirique et immaculée. Il pinça un court instant les lèvres, maudissant les vestiges de ce passé éhonté qui marquait à jamais cette belle peau, puis reprit sens dans la réalité. Il s’approcha alors doucement, s’asseyant à son tour sur le lit, face au dos nu ainsi offert. Il caressa doucement les marques d’une main volage, puis y déposa un doux baiser.

Il avait reçu le même héritage de son vampirique paternel, mais il devait avouer qu'elles ne lui allaient pas aussi bien qu’à elle.

Sans un mot, il lui embrassa le creux de l’oreille, puis le cou. Et enfin ses mains attrapèrent les lacets, et, avec force précautions, de peur de lui broyer la cage thoracique, il entreprit de lacer sa robe.

Ils étaient dès lors habillés, Autone toujours dos à Ilhan, et l’althaïen pressentait le moment où ils allaient devoir se séparer. Un moment qu’il ne voulait pas laisser venir toutefois. Il attrapa alors doucement une des mains d’Autone et la caressa, avant de lui offrir un léger baise-main.

Sachez que pour moi ceci n’est pas qu’une pulsion d’un soir. C’est un moment qu’en mon coeur je chérirai à jamais.

Il lui caressa alors la joue de l’autre main et posa son front contre celui de la jeune femme, sans lâcher l’autre main qu’il tenait toujours dans la sienne, et qu’il amena contre son coeur tout en la serrant doucement.

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La petite dame fermait les yeux sous les doigts de l’althaïen, normalement elle lui aurait probablement claqué la main de toucher ses cheveux quand elle venait tout juste d’épingler ses tresses. Mais en entendant sa voix, et cet accent mélodieux, elle ne parvenait pas à le réprimander. C’était étrange, que d’avoir partagé cela avec lui, sans savoir qu’il l’avait oublié. Pourtant, même si l’amnésie changeait bien des choses, elle n’était pas en colère. En côtoyant Aldaron, Autone avait compris que la renaissance ne détruisait pas réellement les liens tissés avant la mort. Plutôt que d’être brûlés, ses liens avec les deux nouveaux nés avaient été transformés, même renforcés sans qu’elle ne puisse l’expliquer. Peut-être parce que la peur de perdre Aldaron lui avait fait regretter de ne jamais s’être risquée à s’ouvrir à lui, réellement. Peut-être parce qu’elle avait changé sa manière de s’approcher des autres, depuis leurs retrouvailles. Et elle sentait aussi qu’Ilhan, malgré ses grands silences lourds de pensées, était en quelques sortes, un peu plus ouvert, un peu moins lointain.

Elle ne s’était pas imaginée en arriver là, avec lui. Si elle l’avait toujours trouvé charismatique, elle n’avait jamais vraiment voulu un amant. Et si l’initiative d’Ilhan était aussi impulsive que sa décision de la suivre, elle ne ressentait aucune culpabilité. Peut-être parce qu’elle pensait à abandonner sa carrière, depuis quelques temps. Peut-être parce qu’elle avait envie de mettre le feu au conseil, que chaque jour elle accordait de moins en moins d’importance à leur opinion d’elle.

Mais ce que lui murmurait Ilhan n’était pas que séduisant. Tout ce qu’elle lui offrait, disait-il. Ne lui avait-elle offert qu’un peu de compassion ? Autone était troublé de voir combien ce petit morceau de bienveillance semblait faire un long chemin. C’était inquiétant, à se demander à quoi ressemblait son entourage, si on lui avait offert un choix, jusqu’ici. Ce qui était le plus inquiétant, c’était qu’elle ne connaissait pas Ilhan. Elle ne savait pas s’il était seul, mal ou bien accompagné. Elle connaissait des secrets qu’il cachait profondément en son cœur, mais ne connaissait pas sa date de naissance, sa saveur de thé favorite, ses rêves, ses ambitions. Elle pouvait dessiner les contours de ses valeurs, sans réellement pouvoir assurer qu’il s’agissait de la véritable silhouette.

Autone devina le malaise dans le temps d’arrêt, quand elle lui présenta son dos. Elle ne s’en offusquait pas, c’était l’une des deux seules cicatrices qu’elle avait choisi de garder, quand les baptistrels avaient effacés les traces de la prison. Peut-être était-ce exaspérant, de tenir à ce genre de poésie. Mais pour elle, c’était important, de ne pas oublier. De porter ces morceaux de morneflamme sous ses pieds, et sur son dos. C’était bien plus facile d’effacer le malaise, pour le confort de tous. Mais forcer le monde à normaliser les marques du passé, c’était s’assurer que le malaise perdure, si les erreurs venaient à être répétées.

Inspirant profondément lorsqu’Ilhan posait ses mains et ses lèvres sur sa peau, ses joues s’empourpraient, alors qu’elle retenait ses pulsions déraisonnables de le garder pour elle seule jusqu’à son départ. Et tentant de se calmer lorsqu’il refermait sa robe, elle fût surprise de la confession qu’il lui fit avant de poser son front contre le sien. Autone ferma les yeux, se laissant s’enivrer des douces sensations sans bouger, sans parler, pour un instant. Elle s’accorda de ne pas répondre immédiatement, de capturer ce moment. Sous sa main elle sentait son cœur, et le sien battait plus rapidement, elle le savait. Elle respira avec lui et prit la main sur sa joue pour la porter à son cœur, à elle. Un sourire s’étira sur ses lèvres, puis elle referma le court espace entre leurs lèvres, avant de rompre ce baiser.

« J’aimerais vous revoir, si c’est ce que vous ressentez aussi. Et j’aimerais vous connaître. Qu’on se connaisse. En dehors de nos secrets. Vous parler de mode et de thé, de chocolats et d’art. »
Elle rit doucement en éloignant son visage du sien, laissant retomber leurs mains les unes dans les autres sur leurs genoux.

Elle le regardât un instant, un mélange de mélancolie et d’affection dans son regard d’ambre qui était plus sombre à la lueur des chandelles qu’à la lueur du jour. En vérité, il était encore trop tôt pour qu’elle ne sache, ou avoue ce qui bourgeonnait en son cœur palpitant. Et il y avait encore ce deuil, qu’elle avait commencé à guérir, mais pas suffisamment pour laisser aller la peur qui l’étreignait. C’était aussi qu’elle n’avait que très peu d’expériences dans les matières du cœur et qu’elle n’avait jamais vraiment fait quelque chose d’aussi impulsif.

« Il ne sera pas aisé de nous rencontrer. Et l’excuse des rencontres diplomatiques pourrait vite devenir suspicieuse. Mais il y a toujours un moyen, si vous voulez bien vivre quelques aventures clandestines. »
souriant, un peu joueuse, elle se releva sans relâcher ses mains.« Mais ne me dites pas aurevoir maintenant. Vous êtes toujours invité pour le dîner. Et les Falkire seront heureux de boire à votre santé. »

C’était certainement un repas très chaleureux et familial qui attendait Ilhan. Si Yolande était très maniérée, Satie s’était mariée avec un Forgeron et les nombreux enfants n’étaient pas tenus de se comporter comme des ducs et duchesses. Il fallait s’attendre à des rires, à des histoires et à des conversations franches.

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