Fin Octobre
Belethar s’était levé de bon pied ce matin.
Le Manoir Espérancieux qui avait jailli de terre aussitôt qu’ils étaient arrivé dans la belle cité d’Ipsë Rosea demandait aujourd’hui un peu d’entretien et des retouches de ci de-là.
L’Espérancieux était très différent quand il faisait quelque chose de personnel plutôt que professionnel. Il avait étudié avec soin les plans de la maison, et s’était dit qu’il allait prendre sa matinée pour pouvoir la retoucher. Loin d’une certaine pression des rendus, des enjeux politiques importants et autres contraintes qu’il avait en temps normal pour ses projets rémunérés, l’esprit de l’Architecte était plus libre.
Cette liberté qui l’embrassait, le poussait à d’avantage garnir sa maison en décoration d’intérieur : il ajouta à diverses pièces ces petites choses qui manquaient, le poussa à revoir des dispositions de meubles et autres tableaux pour faire quelque chose de plus aéré, mais il en profita également pour mettre en valeur les quelques vieux livres familiaux qui lui restaient. Ces petites choses dataient de l’ancien Continent, et si c’était pour la grande majorité des traités sur la Magie assez anciens, Belethar les savaient suffisamment assez anciens pour dire qu’ils devaient vraisemblablement faire partie des premiers à aborder le sujet.
Non pas que c’était une très grosse exclusivité, l’Espérancieux savait bien évidemment que nombre d’autres théories et ouvrages existaient et pour certaines beaucoup plus travaillés que les nobles travaux d’humains qui s’intéressaient à la question. Mais c’était tout de même une petite fierté personnelle. Belethar n’était d’ordinaire pas très attaché aux possessions matérielles, mais en tant que Pater Familias, il était aussi de son devoir de perpétuer les valeurs de sa famille. C’était une tâche toute bête, mais cela passait aussi par mettre en valeur ce genre de choses.
Une fois qu’il eut terminé, Belethar fit preuve d’un peu d’acrobatie pour dégourdir ses jambes. Il sortit de chez lui, et monta directement sur son toit. Il avait remarqué quelques imperfections sur celui-ci, aussi devait-il faire usage de son savoir d’architecte pour remédier à cela. Ça n’était pas de grosses erreurs, mais cela avait le don d’énerver l’esprit perfectionniste de l’apprenti baptistrel. Il trouvait qu’il n’avait jusqu’à lors jamais pris le temps d’y remédier par lui même alors qu’il avait juré à sa famille vivant avec lui qu’il allait le faire.
Alors l’Espérancieux entama les travaux, alors qu’un petit vent vint souffler vers Ipsë Rosea, apportant avec lui la fraîcheur de l’hiver. Belethar porta son regard vers la cité, comme s’il cherchait le sens du vent. Il s’arrêta un instant, posant ses quatre pupilles sur les bâtiments qui constituaient son nouveau chez lui.
Il avait beau ne pas y résider depuis longtemps, Belethar s’était rapidement pris d’affection pour cette petite ville aux accents elfiques clairement déterminés. Il la considérait comme une curiosité, tel un émeraude au milieu d’une géode de quartz. Les personnes qui y habitaient étaient pour beaucoup sympathiques et avenants, ne cherchant pas vraiment le conflit outre mesure.
L’ambiance était pour ainsi dire vraiment différente des autres cités de l’Alliance : bien loin de l’excitation de Caladon, et du militarisme ambiant de Delimar. On s’y sentait mieux, plus dans l’accueil, réfléchi et posé.Bien évidemment, cela ne plaisait pas à tout le monde, et ceux qui n’aimaient pas cette ambiance se retrouvaient bien vite fort dépourvus. Mais Belethar aimait ces choses là, cela le reposait d’habiter dans un endroit calme, d’avoir une vraie bulle lui permettant de s’isoler du monde extérieur.
Cela étant, la Cité jouissait d’une certaine influence, et pour cela elle attirait de nombreuses personnes. Notamment les elfes qui avaient commencé à migrer de Keet-Tiamat massivement.
Les rumeurs sur leur venue en nombre était encore mystérieuses et pas encore d’une grande précision. Cependant, il se dégageait un discours assez commun en ville : ils avaient apparemment été victimes d’un grand mal, qui les avaient poussé à fuir. Les Roséens les avaient donc accueilli, car après tout cette cité avait déjà certaines influences de cette culture. Cependant, il fallait aussi organiser l’immigration, que ces elfes soient logés proprement pour éviter qu’ils aient des conditions de vie pires que ce qu’ils n’avaient initialement.
C’était précisément l’objet d’une visite d’un elfe de la Loge, que Belethar devait recevoir chez lui aujourd’hui. Un certain Lómion Estarus, que le Pater Familias ne connaissait pas vraiment. Certains l’appelaient ici “le prodige de la Loge”, mais l’Espérancieux se méfiait toujours des gens que l’on appelait Prodiges, ou qui se considéraient ainsi.
Fruit des enseignements d’un Maître Baptistrel intransigeant en la matière, Belethar avait été poussé dans ses retranchements à de nombreuses reprises alors que lui-même s’imaginait comme intellectuellement avancé par rapport à d’autres garçons de son âge. Alors depuis, il se méfiait, parce qu’il avait fini par estimer que rien n’était acquis.
Toujours est-il que l’Espérancieux était curieux : puisqu’il allait sûrement être amené à prendre des fonctions dans le pouvoir exécutif la Loge, il voulait savoir quels profils composaient cette organisation. Aussi, parler avec ce sire Estarus lui permettrait de satisfaire ses besoins, tout en -il l’espérait- passant un bon moment.
L’elfe ne se fit pas plus attendre que cela, et alors que Belethar avait tout juste terminé ses petits travaux sur son toit, il vit un cheval arrivé vers sa maison au loin. Bientôt, une silhouette aux oreilles effilées si caractéristiques de ce peuple se dégagea sur la monture.
L’Espérancieux, encore en tenue de travail, tâcha de se remettre d’aplomb pour être présentable, et hêla l’elfe qui se rapprochait inéxorablement :
“Bien le bonjour, Messire Estarus, enchanté, je suis Belethar Espérancieux ! Bienvenue dans notre modeste demeure !”
Belethar retint un sourire. Ça n’était vraiment pas commun qu’un maître de maison accueille directement ses invités, mais tellement propre à lui-même. Après tout, Les Espérancieux n’étaient pas des Nobles comme les autres.