Son sac sur l’épaule et sur le départ, Sorel s’entretint des derniers détails avec Tania, la jeune humaine avec laquelle il avait conclu un contrat. Elle s’occuperait dorénavant de la boutique pendant l’absence de l’elfe, l’avait déjà fait à quelques occasions et s’était montrée plus que capable bien que peut-être peu à l’aise avec la population qui parfois passait faire un petit coucou. Quelques mises au point avaient été nécessaires après la première rencontre quelque peu mouvementée de Tania avec Etienne. L’humain à l’apparence peu recommandable qui s’était présenté à la porte, espérant partager une boisson chaude avec Sorel et peut-être s’entretenir sur quelque sujet du jour avait été fort surpris de se faire jeter comme un malpropre par une jeune femme au tempérament de feu. Cela n’avait pas empêché Tania de chuchoter d’un air inquiet au sujet d’un visiteur de basse extraction, interrogeant Sorel sur la fréquence de telles rencontres.
Il dû avoir recours à plus de diplomatie qu’il ne l’avait imaginé afin d’expliquer à la jeune femme qu’Etienne avait probablement l’air dangereux - pas seulement l’air, pour être honnête, mais qu’il ne présentait cependant aucun risque pour la boutique et ses occupants. A moins que l’un d’entre eux ne soit un visiteur mal intentionné.
Pour l’occasion, il avait fermé boutique et fait le tour de la ville avec la jeune femme afin de la présenter à certains de ses… amis les plus surprenant mais, plus important encore, afin de présenter Tania aux malandrins afin de s’assurer que ces derniers ne se méprennent pas en la voyant tenant boutique à la place de Sorel. A la fin de la journée, épuisante pour eux deux, elle savait à peu près à qui elle pouvait faire confiance si d’aventure l’un d’entre eux devait se présenter à l’entrée de l’établissement.
Elle s’était par ailleurs trouvé un gardien en la personne d’Etienne. D’abord bougonneux et peu désireux de revenir sur le terrain après s’être fait maltraité de la sorte, il avait fini par changer d’avis et, Tania avait-elle informé Sorel, décidé qu’il surveillerait la boutique lorsqu’elle en serait responsable. De là à savoir s’il ne faisait pas confiance à la jeune femme ou avait décidé qu’il la protégerait si nécessaire, Sorel était incapable de le deviner ou ne ressentait pas le besoin de s’en inquiéter.
Une fois certain que tout était en ordre, il se glissa hors de la boutique et s’éloigna tranquillement. La journée était encore matinale et il ne croisa pas grand monde, essentiellement parce qu’il s’en tenait aux rues et ruelles peu fréquentées, à l’affût et surtout à l’écoute du bijou qu’il portait près de son oreille. Il l’avertirait si quiconque, à proximité, avait la moindre intention peu recommandable à son sujet. Peu désireux de seulement se fier aux avertissement du glyphe, cependant, Sorel attendit de rejoindre une des ruelles les moins utilisées et s’y enroula dans sa cape des ombres. Il patienta de longues minutes, attentif, l’oreille tendue. Dix minutes puis vingt s’écoulèrent sans que le moindre bruit de pas ne trouble le silence naturel à la vie citadine, désireux d’être certain, il attendit davantage encore puis se glissa comme une ombre jusqu’à l’extrémité de la ville de Sélénia. Une fois arrivé, il s’éloigna jusqu’à revenir dans l’enceinte de la ville et entrer dans une maison sommes toutes banale.
Il y fut accueilli par un silence tendu mais trouva la personne qu’il était venu chercher. Le mage l’accueilli d’un hochement de tête et lui indiqua où se placer. Il n’était pas nécessaire de s’entretenir plus longtemps que nécessaire, ils avaient déjà pu échanger des tenants et des aboutissants.
Sorel se tint, immobile et comme figé au milieu de la pièce, en contraste total avec son attitude habituelle constamment en mouvement. L’air sérieux et la capuche de sa cape relevée afin de dissimuler ses traits, l’elfe hocha de la tête à l’attention du mage. L’homme, muet et l’air sombre, écarta soudain les bras, les mains crispées comme les serres d’un rapace, il les rapprocha lentement devant lui jusqu’à ce que ses mains se trouvent l’une en face de l’autre. Un portail surgit juste en face de Sorel dans un son sourd, presque inaudible, semblable au rugissement lointain d’une cascade, un appel d’air. Remuant les lèvres en un remerciement silencieux, Sorel passa le portail sans un regard en arrière et se retrouva dans une maison inhabitée qui sentait encore l’odeur du neuf.
Esquissant un sourire en constatant qu’il contemplait là l’oeuvre d’Aldaron, Sorel ajusta son sac sur l’épaule et quitta la maison vide d’un bon pas et avec le plus grand naturel. Il se glissa dans les rues de Névrast, s’enroulant étroitement dans sa cape pour se protéger du froid. Il portait un manteau en dessous qui remontait haut sur sa gorge mais cela n’empêchait pas l’air glacial de mordre ses doigts et de lui piquer les oreilles.
Il repensa un instant avec regret aux conseils de Tania de se couvrir davantage compte tenu du froid mordant de Nyn-Tiamat. Il pensait sérieusement que cela lui suffirait amplement mais il avait manifestement sous-estimé les températures hivernales.
Accélérant le pas en espérant pouvoir se réchauffer, il navigua avec une aisance toute relative entre les rues du port jusqu’à atteindre l’écurie qu’il recherchait. L’heure s’était avancée pendant son trajet d’un bout à l’autre de Sélénia et le milieu de matinée approchait à grand pas aussi se permit-il de toquer à l’entrée et de glisser la tête par l'entrebâillement.
Divers chevaux passèrent la tête, curieux et les oreilles orientées vers lui, et Sorel leur adressa un chaleureux coucou de la main. Une forte odeur de paille, d’équidé et de cuir imprégnait les lieux mais cela n’avait rien d’étonnant pour un vendeur de cheval. Passant l’encadrement de la porte, il chercha du regard la jeune femme qu’on lui avait indiqué et la trouva un peu plus loin, occupée à graisser une selle neuve.
«
Bonjour ! » lança-t-il avec bonne humeur, la faisant sursauter.
Il lui adressa un grand sourire et accompagna ses paroles d’un geste amical qu’elle mit quelques secondes à imiter.
«
Je pense que vous m’attendez, vous avez réceptionné un cheval il y a deux jours et je viens le récupérer. »
A peine eut-il achevé de s’expliquer que la jeune femme le foudroya du regard, le nez retroussé et la bouche tordu en une expression noire.
«
Foutu canasson s’il en est ! » jura-t-elle, faisant sursauter Sorel à son tour. «
La saloperie a mordu l’écuyer que j’ai envoyé le chercher et j’ai dû me déplacer sur les quais. Croyez-moi que les marins n’étaient pas ravis d’avoir été ralenti pour un sac à puces ! »
Sorel se ratatina sur place, se tordant les lèvres de culpabilité avant de se racler la gorge.
«
Je pensais avoir mentionné qu’une personne douée avec les chevaux été requise pour sa récupération. Avec de l’expérience et des compétences. »
Le regard noir qu’elle lui jeta lui fit esquisser une moue boudeuse et il fourra les mains dans les poches.
«
Figurez-vous que j’ai autre chose à faire et qu’avec mon seul garçon d’écurie incapable de faire la moitié des tâches qui lui sont assignées, c’est encore pire. J’exige une compensation ! La bête a également détruit une de mes stalles à son arrivée. »
Sorel fronça les sourcils et darda un regard d’un vert glacé sur la silhouette menue de la jeune femme.
«
Si vous aviez écouté mes recommandations que je vous avais communiquées bien avant son arrivée, votre garçon d’écurie ne souffrirait pas d’une blessure qui aurait pu être évitée et votre charge ne serait pas aussi importante qu’elle l’est désormais. En cela, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous et à vous seule, par conséquent vous ne recevrez aucune compensation de ma part. Je vous accorde que la destruction du box me revient, cependant j’estime une personne de votre compétence capable d’éviter de telles pertes et m’en souviendrai à l’avenir. »
Le dernier mot tomba avec le poids d’une décision peu amène et la jeune femme blanchit, la pénombre de l’établissement masquant à peine son expression à la fois stupéfaite et peut-être un rien nerveuse.
Après quelques secondes de silence, elle hocha la tête et indiqua le box où était installé l’animal et Sorel le rejoignit en quelques pas.
«
Je souhaiterais également acquérir l’équipement nécessaire. De bonne facture, ne m’insultez pas. »
Il ouvrit la porte de la stalle, ignorant le bruit de la jeune femme tandis qu’elle s’éloignait pour aller chercher ce qu’il avait demandé. L’animal qui lui rendit son regard avait des yeux intelligents et une stature imposante qui avait de quoi intimider le plus affirmé des hommes mais Sorel se contenta de sourire. Avec une petite inclinaison de la tête, presque timide, il tendit la main vers la jument et, bien qu’elle eut un geste brusque, ne recula pas. Doucement elle appuya le bout de son nez contre le bout de ses doigts et Sorel s’enhardit, la caressant doucement le long de son nez jusqu’à la tenir sous la tête, caressant le creux qui s’y trouvait.
Un sabot lourd claqua sur le sol dénudé de paille - preuve s’il en était qu’elle avait gratté le sol d’impatience, accumulant toute la paille vers le fond de son box - et elle s’approcha jusqu’à ce que sa grosse tête ne s’appuie contre la poitrine fine de l’elfe. Se pliant avec joie à la demande muette, il la caressa, ses doigts longs et fins glissant sur le poil lustré de l’animal, le long de son encolure, grattant la houpette qui lui retombait sur le front.
«
Tout va bien, je suis là maintenant, » lui chuchota-t-il, appuyant sa joue sur la tête de l’animal. Elle émit un son bas et releva la tête en entendant le bruit de pas de la jeune femme.
Evitant de justesse de recevoir un coup et de se mordre la langue, Sorel se retint d’esquisser une grimace et maintint une expression peu amène.
S’emparant de la selle, l’elfe la présenta à la jument et - avec son accord - harnacha doucement mais efficacement la monture. Elle se plia presque docilement à la manoeuvre, claquant parfois le sol d’un sabot impatient ou montrant parfois les dents, les oreilles plaquées vers l’arrière. «
J’ai bientôt fini, » la rassura-t-il à voix basse, un chuchotement apaisant.
Une fois fait, il paya la marchande pour l’équipement, les quelques jours qu’avait passé la jument à l’écurie ainsi qu’une somme qu’il estimait suffisante pour couvrir les réparations du box endommagé.
Sans un regard en arrière il s’éloigna, prenant immédiatement la direction du domaine d’Aldaron. Il avait à la fois hâte de rencontrer son nouveau petit frère mais aussi envie d’échanger avec Aldaron afin d’en savoir plus, si son père le lui permettait bien sûr.
Un nouveau petit frère ! La nouvelle lui était parvenue par hasard et à peine quelques temps avant qu’il ne soit prévenu directement par un autre moyen, les circonstances étaient peut-être peu joyeuses mais il n’y avait rien de plus réjouissant que l’arrivée d’un nouveau membre dans la famille. Aldaron devait être aux anges d’avoir un enfant qu’il pouvait appeler le sien par droit, sans parler du fait qu’il partageait la parenté avec son inséparable.
Il aurait peut-être dû amener un cadeau pour Aldaron et Achroma, songea-t-il soudain avec une pointe d’anxiété. Avec une petite plainte nerveuse, il reprit son chemin, se rapprochant du corps puissant de la jument afin de profiter de la chaleur qu’elle dégageait. Névrast était définitivement plus froid qu’il ne l’avait escompté.
***
Il attendait à proximité de l’entrée de la demeure, suffisamment en retrait pour ne pas que quiconque sortant se retrouve nez à nez avec une monture peu commode et au coup de sabot facile mais suffisamment proche pour que Liv soit en mesure de le voir et de le trouver. Tapant du pied en se dandinant d’un pied sur l’autre dans l’espoir de se réchauffer, Sorel adressa un regard en coin à la jument.
«
Faut que tu sois gentille, » lui indiqua-t-il à voix basse, peu d’ordre dans sa voix mais une indication, peut-être renforcée. «
Soit assurée cependant, » continua-t-il, «
je n’ai pas l’intention de t’abandonner à n’importe qui. »
Elle renâcla, balançant la tête de haut en bas avant de tirer sèchement sur les rênes en jetant la tête vers le haut, arrachant un sourire à Sorel. Il tendit une main et lui caressa le bout du nez, ignorant les lèvres qui bougeaient par instinct pour lui attraper les doigts.
Rapidement il entendit un bruit de pas et, curieux, les yeux grand ouverts, il guetta l’entrée du bâtiment pour voir Liv en sortir. Peu vêtu - non qu’il en ait besoin - il se dirigea à grandes enjambées vers eux et Sorel fut incapable de retenir un grand sourire et de faire coucou d’une main au vampire nouveau-né.
Liv avait l’allure athlétique, vêtu sans fioriture et une épée lui battant la jambe - une jolie épée, Sorel ne put-il s’empêcher de remarquer. Ses cheveux blonds, mi-longs, étaient retenu en un catogan et ses grands yeux bleus brillant dans la lueur désormais haute du soleil. Le paysage glacé de Névrast lui convenait à merveille, le sol recouvert d’une fine pellicule de givre.
Finalement arrivé, Liv se planta devant Sorel et, avec un grand sourire qui ne cachait rien de ses crocs de vampire, le salua avec humour et bonne humeur. Incapable de se retenir, l’elfe ricana et cacha sa main libre dans la proche de son manteau, se balançant d’avant en arrière sur la pointe de ses pieds, l’air enjoué. Ses yeux pétillants détaillèrent Liv de la tête aux pieds et il fit la moue, un sourire joueur étirant ses lèvres :
«
Pour quelqu’un de froid, vous m’avez plutôt l’air chaleureux, » déclara-t-il avec l’air d’un gosse ravi de sa bonne blague. «
Avant d’aller plus loin, peut-on se tutoyer ? Si cela convient, évidemment. Je ne verrais aucun inconvénient à vous vouvoyer… mais je suis susceptible de commettre une erreur à l’occasion, » avoua-t-il, cette fois-ci avec une moue embarrassée. Il n’avait aucun mal à vouvoyer quelqu’un d’autre mais le tutoiement lui venait plus naturellement, surtout lorsqu’il était question de quelqu’un de proche. Et faisait-on plus proche qu’un frère, aussi récent était-il ?
Frémissant de joie et d’excitation, il sortit sa main libre de sa poche et en battit l’air, excité :
«
Oh, oh ! Avant de rentrer et d’aller me cuire auprès du feu en espérant dégeler mes pieds et le bout de mes doigts, je voudrais te souhaiter la bienvenue, » lança-t-il avec bonne humeur avant d’ajouter «
Et te présenter mon cadeau de bienvenue, » continua-t-il en faisant avancer la jument d’un pas.
L’animal considérait Liv, la tête haute et le regardant de toute sa hauteur, sa stature peu commune et son allure presque terrifiante.
«
Si tu es d’accord, j’aimerais qu’elle soit tienne. Je l’ai récupérée il y a peu et elle va certainement demander un peu de travail pour s’accoutumer à toi mais je peux t’accompagner, j’ai l’intention de rester quelques jours et je me débrouille pas mal avec les animaux. Cependant, » poursuivit-il, son ton de voix auparavant humble, peut-être un peu timide quant à l’idée de se vanter, surtout qu’il y avait bien meilleur que lui, se teinta d’une once d’acier et de fermeté, «
je te rends responsable de son bien-être et te fais confiance pour faire preuve de respect et de bienveillance. Je ne prends pas ça à la légère, » Son visage, auparavant sérieux, se fendit soudain d’un nouveau sourire enjoué et il reprit avec enthousiasme. «
Mais je suis sûr que tout ira pour le mieux ! Alors ? Qu’en penses-tu ? »