24 février 1764 — Nevrast, Nyn-Tiamat
Le temps était agréable, en tout cas pour un vampire qui ne craignait pas la morsure du froid : aucun nuage ne venait masquer le pâle soleil hivernal, le vent sifflait à ses oreilles sans pour autant couvrir le son régulier et apaisant des sabots d’Ombrenuit martelant le sol.
Depuis que la jument était arrivée, par l’intervention de Sorel, Liv passait tout le temps libre qu’il pouvait trouver auprès d’elle, et il avait commencé à essayer d’instaurer une promenade quotidienne, ayant constaté qu’elle appréciait grandement l’occasion de se dégourdir les sabots. Ils étaient encore en train de s’apprivoiser mutuellement, mais un lien avait commencé à se nouer entre eux. Elle reconnaissait sa voix, et même son pas, et avait commencé à gratter la porte de son box avec impatience lorsqu’elle l’entendait entrer dans l’écurie. Il apprenait à communiquer avec elle, découvrait ce qu’elle appréciait et ne tolérait pas. Elle ne s’était, par exemple, pas gênée pour le jeter à bas quelques fois pour lui signifier son déplaisir s’il se montrait un peu trop brusque, et il avait bien vite appris à ne pas discuter avec plus têtue que lui.
La compagnie et les conseils de l’elfe, les premiers jours, avaient été précieux. Ombrenuit avait manifestement une certaine confiance envers lui, et le jeune vampire ne doutait pas qu’il lui aurait été bien plus difficile de se faire accepter sans la recommandation tacite que sa présence lui apportait. Mais bien entendu, ça n’avait pas tout fait, et Liv avait donné de lui-même et s’était énormément investi dans cette relation naissante. Il y avait quelque chose de grisant à parvenir à gagner la confiance d’une créature qui, manifestement, ne l’accordait qu’avec parcimonie.
Les promenades, lorsqu’il s’était senti assez confiance pour s’y essayer, et d’abord sous la supervision de Sorel, avaient beaucoup aidé en ce sens, car Ombrenuit avait de l’énergie à revendre et était ravie de l’occasion de se dépenser un peu. Ils longeaient l’orée de la forêt, évitant de s’y aventurer sur l’instruction expresse et formelle d’Aldaron, et Liv alternait où il la dirigeait, et ceux où il la laissait aller au rythme qui lui convenait. Il avait fallu quelques essais pour qu’Ombrenuit comprenne — ou plus exactement, accepte — que ce n’était pas toujours elle qui décidait, mais la patience et la douceur du jeune vampire semblaient avoir réussi à la convaincre, et elle suivait désormais ses demandes sans regimber.
En l’occurrence, il ne lui fallut que quelques mots lancés d’une voix douce — il préférait la diriger à la voix autant que possible, et elle s’y montrait réceptive — pour qu’elle ralentisse son galop enthousiaste. Le soleil commençait à descendre vers l’horizon, ce qui voulait dire qu’il allait être temps de rentrer s’il ne voulait pas être en retard ! Une légère pression de la jambe aurait dû faire tourner Ombrenuit dans la direction indiquée, mais la jument s’ébroua et continua sur sa lancée, peu désireuse de mettre déjà fin à la promenade. Liv lâcha un petit soupir amusé, et rétorqua d’une voix douce mais ferme :
« Je sais ma douce, mais c’est important, Père compte sur nous. Et puis on ne voudrait pas faire mauvaise impression, n’est-ce pas ? »
Patiemment, il réitéra le geste, et cette fois la monture obtempéra. Il lui flatta l’encolure en remerciement, et la laissa reprendre l’allure qui lui plaisait sur le trajet du retour. Au train où elle allait, ils furent rapidement arrivés. Contrairement à son habitude, il ne prit pas le temps de flâner en ville pour admirer les créations de Valmys. Il prit en revanche, comme toujours, celui de panser soigneusement Ombrenuit après lui avoir retiré son harnachement, et lui offrit une des friandises que Sorel lui avait laissées. Il allait bientôt devoir s’en procurer de nouvelles…
Puis il fit le tour de la demeure pour s’assurer que tout avait été préparé pour l’arrivée d’Ilhan. Son frère avait en effet annoncé son arrivée prochaine, et Aldaron l’avait chargé de l’accueillir. C’était, à ses yeux, une grande marque de confiance, et il espérait s’en tirer honorablement. Il était un peu nerveux, pour tout dire, mais surtout désireux de bien faire. Il y avait dans la façon dont Aldaron parlait d’Ilhan, outre l’amour paternel que Liv lui connaissait si bien, un respect notable qui lui conférait une aura quelque peu… impressionnante, peut-être. Quelque chose, en tout cas, qui lui donnait envie de faire bonne impression, même si, de ce qu’il en avait entendu, il ne doutait guère de sa bienveillance.
La chambre et de la nourriture étaient préparées, y compris nombre de petites pâtisseries et autres douceurs qui avaient été installées dans le salon, tout semblait en ordre. Il ne lui restait plus qu’à se préparer. Il se lava rapidement, prit — exceptionnellement — le temps de se coiffer correctement — sans toutefois parvenir à empêcher quelques mèches rebelles de s’échapper de son catogan — et passa une tenue correcte : des chausses et une chemise noires, bien taillés, rehaussés de discrets filets d’argent. Le tout restait relativement confortable, il n’aurait toujours pas fait sensation à une soirée huppée, mais était nettement plus élégant que ses vêtements habituels. Il boucla, comme toujours, Brise d’Argent à sa ceinture, et nota en s’observant dans le miroir que l’épée se trouvait joliment mise en valeur par sa tenue, tout en la rehaussant agréablement. Le résultat ne lui semblait pas trop mal. Il n’y avait plus qu’à espérer que cela conviendrait.