15 Février 1764
Sur un balcon du Palais Impérial, Claudius contemplait la ville, bénéficiant d’un des rares instants de calme dont il avait pu profité ces derniers jours. Il se remémorait l’agitation, les révélations, les derniers complots et tout ce qui allaient avec. Le Maître des Armées était d’ordinaire difficilement impressionnable, mais il fallait reconnaître que là, sa capacité à prendre des décisions et à gérer ses émotions avaient été mis à rude épreuve.
Il soupira. Penser Achroma dangereux était une chose, mais savoir tout ce qu’il fomentait, depuis aussi longtemps, et avec le concours de bien des personnes en étaient une autre. Les visions que Naal avait montré au Havremont ne cessait de hanter ses rêves, ces derniers jours : il y voyait une Selenia à feu et à sang, des personnes si pauvres qu’elles venaient à se manger entre elles pour survivre, un Empire qui ne se relèverait jamais de tout ce mal que des multiples personnes lui avaient infligé … Et tout cela pourquoi ? Il ne le savait même plus lui même.
Depuis l’arrivée sur Calastin, on tenait Selenia pour responsable de beaucoup de choses, et si Claudius n’avait pas du mal à comprendre pourquoi certains râles étaient justifiés, il avait du mal à comprendre le sens de la mesure sur les sanctions qui avaient été infligés si brutalement à l’Empire.
En tête parmi celles-ci, tout le trafic qui avait été plus ou moins organisé par Aldaron Elusis avec le concours du Marché Noir, pour siphonner tous les deniers publics de la Couronne, contribuant très largement à la mauvaise gestion de ceux-ci, et créant impitoyablement toute une pauvreté sur la population. Le tout faisait crever la faim à de nombreux innocents qui n’avaient rien à voir avec les conflits propres aux Kohan, ou aux guerres de pouvoirs.
Bien sûr, il avait ses raisons, et bien sûr, l’Empire était loin d’être la blanche colombe immaculée … Mais savoir cela, c’était tout un mythe qui se brisait pour lui. A bien des égards, Aldaron était bien plus qu’un simple ami pour Claudius, parce qu’il entretenait des relations historiques avec sa famille. Il le pensait dès lors incapable de faire cela.
Mais ironiquement, Claudius devait aussi faire son chemin de croix, et apprendre par lui même que à bien des égards, l’Empire puissant qui tenait toutes les autres nations en respect qu’il avait connu n’était plus.
Le Havremont était cependant persuadé que celui-ci n’avait pas disparu à tout jamais. C’est pour cela que ces derniers jours il s’était battu, et avait fait en sorte de rassembler de nombreux soutiens derrière lui : les seigneurs séléniens qui en avaient assez de la Couronne Kohan, les vampires désireux de détruire l’hégémonie d’Achroma, et même ce Naal du Néant à Delimar, avec qui il avait tué Cynoë.
Tuer un dragon, et mettre une gifle à un Empereur était encore quelque chose que Claudius pensait impossible il y a deux mois. Et pourtant, toute cette situation en son pays avait usé ses nerfs jusqu’au bout. Il s’était montré patient, avait essayé d’employer une méthode douce, il avait essayé d’écouter et d’accomplir les volontés de Victoria dans son nouveau règne …
Mais force est de constater que quand la situation était devenue critique, il s’était retrouvé seul contre tous, avec des moyens pour agir qui étaient bien insuffisants. Alors quitte à avancer de la sorte, il avait laissé l’Ire lui parler, et il avait laissé exploser toute cette frustration, cette rage de vaincre qu’il avait laissé s’endormir au fil des années.
Et aujourd’hui, l’Ire venait pour que le Havremont rende ses comptes.
Une ombre gigantesque se fit soudainement sur Selenia, à croire qu’elle avait avalée le soleil lui même, qui dardait pourtant quelques instants plutôt. Claudius leva le nez, et retint sa respiration.
Mort n’était point venu le trouver, mais c’était peut-être pire encore. C’était le résultat d’une provocation que Claudius avait sciemment envoyé aux cieux il y a de celà quelques jours.
Verith, dragon ancestral aux moultes légendes laissait planer son grand voile rouge sur la capitale, créant un mouvement de foule qui saisissait de panique toute la ville.
Le Havremont baissa son regard, et inspira lentement. Le Malheur s'abbatait sur son Empire vaincu.
C’était pour lui qu’il venait, il le savait.