Début Février
Venir n’avait été ni long ni complexe, et c’était bien là le drame pour Sélénia la déchue. Nahui s’entraînait à voler au travers de la ville, affrontant sa propre cécité, et toutes les craintes que l’on pouvait avoir à avancer sans savoir quel obstacle se trouvait au-devant. Du moins, c’était là ce qu’elle prétendait, tant auprès des autres qu’auprès d’elle-même. Dans les faits, elle était bien au-delà des toits et des dangers qu’ils représentaient. Son vol était lent, plané, toujours à la limite de la chute. Sa fine langue bifide se glissait prestement et frénétiquement hors de sa gueule aux écailles d’acier blanc, à la recherche de ces subtiles informations qui feraient la différence, cette façon de faire qu’elle pouvait, elle en était certaine, développer.
Ce jour-là, Nahui avait choisi une taille relativement petite, n’ayant pas pour objectif de s’éloigner ou de chasse. Ainsi les airs portaient à l’astre du jour le corps léger et solide de leur enfant. Le vent offrait ce chant promis à ceux qui bravaient les bras de Terre. L’ivresse, cependant, manquait à l’appel, terrassée par le sérieux de ses préoccupations, rendues graves par l’orgueil.
Vains sacrifices que tous ceux-là, car bientôt quelque toit et mur plus haut que la ville vinrent se présenter à son solide museau. Si elle avait pu ressentir la présence de la pierre, l’instant avait été bien trop tardif pour lui laisser la moindre chance. Ses ailes frappèrent les airs avec la violence d’un caprice, repoussant l’attrait de la chute pour embrasser de nouveaux les cieux où elle était reine. Les adversaires d’aujourd’hui ne seraient que les cendres de demain. Peinant à concevoir la notion de vue, Nahui ne s’inquiétait guère de potentiels spectateurs.
Elle reprit son exercice, et la colère se mua en détermination. Sa douleur ne pouvait que l’avoir forgée, et son corps, fidèle allié, saurait fatalement tirer de cela les conclusions nécessaires.
Sa promenade reprit, toujours aussi attentive, son vol glissant de fureur à vol plané acharné. Il lui vint effectivement l’étrange sensation de l’air se faisant plus fort le long d’un de ses flancs, jouant sur sa portance et sur ses forces. Ce vol parallèle composait agréablement avec ses capacités naissances, et caressait tant son égo que son assurance.
Aussi le soudain changement ne lui échappa pas, sans qu’elle eût pu le prévoir. D’un coup, la pression autour de ses ailes se fit plus légère, mais l’air se teinta de chaleur. L’écho de son vol lui revenait, le vent n’était plus. S’intéressant au monde autrement que par son vol, Nahui reconnut également un goût très caractéristique dans l’air. Elle était dans un lieu clos d’un bipède. Pas intéressant, pour voler. Mieux valait faire demi-tour.
À l’instant où elle tournait le dos à l’aventure pour retourner vers sa quête, un éclat particulier capta l’attention de la seule vision dont elle disposait. Magie, et magie intéressante. Cet endroit valait peut-être que l’on s’y attardât, tout compte fait
Beaucoup de glyphes de protections étaient appliqués ici, avec des effets et déclencheurs divers et variés. Fascinant. Quelqu’un qui voulait également devenir invincible. Allié ou rival ? Rival, fatalement. Peut-être pouvait-elle repartir avec un ou deux objets. Ils semblaient grands, mais peut-être qu’en grandissant un peu, cela pouvait s’arranger.
Approchant son museau, l’immaculée dame aux mille défenses tâta l’objet dont il était question, de sa langue et de ses écailles. Cela ressemblait à certains objets que Lié et Lié-de-Lié avaient. Une armure… Une stupide tentative pour s’endurcir. Le monde ne fonctionnait pas ainsi. La résistance ne pouvait venir de l’extérieur : seule celle qui émanait du fond de soi importait, et supportait tous les coups. Mais celle-ci avait l’air sympathique, non pas comme outil, mais comme… Comme ces proies que l’on ramenait aux êtres chers. Elle la ramènerait à Lié, pour qu’il soit heureux, qu’il soit fier, et afin qu’il rappelât aux autres bipèdes combien elle était forte.
Un vacarme commença à se faire entendre, sans que Nahui en aie cure. Elle chercha à rentrer dans l’armure par tous les moyens possibles, cherchant avec sa tête et ses pattes à en ouvrir les jointures, cherchant à trancher de ses crocs d’éventuels liens. Ses gestes étaient vifs, non pas de crainte, mais d’excitation. Cet instant-là n’était pas intéressant. Le délice viendrait quand l’armure serait entre les pattes de Lié !
Il fallut que l’armure tombe, dans un fracas assez puissant pour que même la costaude dracène en grimaça, pour que la solution s’offrît. Le casque roula un peu plus loin, laissant à la future tête de Nuée tout le loisir de s’infiltrer à l’intérieur. La magie picotait le long de ses écailles. Pas désagréable.
Lentement, Nahui commença à grandir, cherchant à se glisser le mieux possible dans le futur présent d’Aldaron.