1 mars 1764 — Nevrast
Le bruit du métal frappant le métal résonnait dans la cour du manoir. Brise d’Argent volait dans l’air, éclair brillant à peine discernable. Liv n’était certes pas le plus impressionnant des vampires en termes de force brute, mais il compensait par son agilité et sa rapidité, esquivant et feintant habilement jusqu’à trouver une ouverture, ce qui, au combat à l’épée, s’avérait généralement plus efficace que la simple démonstration de force. Il avait assez rapidement retrouvé un niveau plus qu’honorable dans le domaine, son corps se souvenant des entraînements que lui avait oublié. Ça ne suffisait certes pas à surpasser Damyr, le maître d’armes qui l’entraînait, mais du moins parvenait-il à lui tenir tête sans se ridiculiser.
Après une nouvelle passe d’armes, le plus âgé des deux vampires mit fin à l’entraînement d’un geste, avant d’adresser à son élève un hochement de tête approbateur.
« Très bien. Prends une pause, et on va passer à autre chose. »
Le jeune Elusis salua son maître, et retira la cote de cuir qu’il portait en guise de protection pour l’entraînement et s’étira avec soulagement. Il alla s’asseoir sur un tabouret installé à l’écart à cet effet, et mit à profit le répit qui lui était accordé pour examiner Brise d’Argent, la polir et vérifier son fil avant de la rengainer, déposant avec délicatesse l’arme dans son fourreau contre son siège.
Quelques minutes plus tard, Damyr lui faisait signe qu’il était temps de reprendre, et lui indiquait d’ôter sa chemise, lui-même ayant déjà fait de même. Avec un haussement de sourcil, il s’exécuta et s’avança. Si ni l’un ni l’autre ne craignaient le froid, Liv n’était pas sûr d’apprécier ce qui allait suivre.
« On va voir ce que tu vaux sans ton joli joujou. Essaye de me frapper.
Cette fois, l’exercice était effectivement plus ardu. Si jamais son prédécesseur s’était entraîné au combat à main nue, rien ne revint à sa mémoire musculaire. À chaque fois qu’il tentait de porter un coup, Damyr contrait et ripostait, accompagnant le coup d’un commentaire. S’il retenait manifestement sa force, Liv sentait néanmoins les coups passer. Petit à petit, claque par claque, l’élève améliorait sa posture, ses mouvements, et surtout observait son adversaire pour comprendre ses mouvements, afin de pouvoir essayer de les anticiper. Après quelques minutes de ce traitement, le jeune homme parvint enfin à placer un coup, certes peu impressionnant, mais qui eut le mérite de toucher. Damyr le félicita d’un sourire appréciateur.
« Bien. À mon tour maintenant.
Et ce fut donc au tour de l’élève de contrer et d’esquiver une volée de coups. Il ne s’en sortait pas si honteusement, à vrai dire, même s’il avait conscience que Damyr le ménageait encore à ce stade, mais les coups le forçaient à constamment reculer, et il avait conscience qu’à ce rythme, il n’allait pas tarder à se retrouver acculé. Et il ne faisait guère de doute que cette éventualité n’aurait rien d’agréable pour lui. À défaut d’une quelconque meilleure solution, presque par réflexe, il ouvrit la main juste après avoir paré un coup. Une pierre se matérialisa au sol, juste à l’endroit où Damyr allait poser son pied. Le maître, n’ayant eu aucun moyen de voir ni de prédire l’obstacle, trébucha dessus, et Liv acheva de le mettre au sol d’un rapide mouvement du pied contre sa cheville. Damyr parvint à éviter de justesse à son visage de venir embrasser le sol en se rattrapant avec habileté, mais non sans laisser échapper un « Oof étouffé.
Il lança un regard mi-amusé mi-accusateur à son élève, qui lui tendait déjà la main pour l’aider à se relever en signe de pénitence.
« Joli coup, mais évite de te reposer trop sur ta magie. On ne sait jamais dans quelle situation on peut se trouver, et être capable de se défendre avec ses seuls poings peut faire la différence entre un Vampire et un cadavre… »
Liv hocha la tête en signe de compréhension et d’assentiment. Il comptait bien s’entraîner sérieusement dans le domaine. Mais un autre jour, l’enseignement de Damyr étant terminé pour l’heure. L’élève remercia son maître, le salua, récupéra ses effets et retourna à l’intérieur sans plus de cérémonie. Il jeta un œil à l’heure, et laissa échapper un soupir. Il avait encore du temps à tuer.
Ses Pères étaient en effet fort occupés ces derniers temps, et s’il avait finalement appris pourquoi, et qu’il saluait l’importance de la tâche qu’ils s’étaient fixée, il n’appréciait guère la manière dont ils le tenaient à l’écart des préparatifs, ce qui sous-entendait qu’il n’aurait pas sa place auprès d’eux lorsque le temps serait venu. Il n’avait pas encore abordé la question ouvertement, redoutant que la conversation ne devienne houleuse, mais il arriverait bientôt le moment où il n’aurait plus le choix.
Il décida de se changer les idées et d’essayer de se remonter le moral en sortant avec Ombrenuit. La jument l’acceptait de plus en plus, et semblait même désormais apprécier sa compagnie, et le plaisir qu’elle prenait à courir librement était toujours contagieux pour le vampire.
Comme était devenu son habitude, elle accueillit son entrée dans l’écurie en grattant le sol du sabot et en mordillant la porte de son box tout en soufflant pour montrer son impatience, ce qui parvint à lui tirer un sourire fatigué. En revanche, elle se tenait désormais sagement immobile le temps qu’il installe son harnachement, ce qu’il appréciait fortement après l’obstination dont elle avait montré pouvoir faire preuve les premiers jours.
Dès qu’ils eurent quitté l’enceinte de la ville, Liv relâcha les rênes et laissa Ombrenuit décider de son allure. Et effectivement, pendant quelques instants, avec le vent sifflant à ses oreilles et le battement régulier des sabots, il se sentit se détendre et retrouver une partie de sa bonne humeur habituelle. Mais bien vite, plus vite encore, lui semblait-il, que lors de sa première promenade dans le coin, les ombres de la forêt de Licorock s’étendirent devant lui, et déjà son sourire s’effaça.
Car c’était bien là la source de sa sombre humeur des derniers jours. La forêt, et surtout ce qu’elle contenait. Ce qui faisait qu’il n’avait, pas plus que le reste de l’île, pas pu avoir une seule transe un tant soit peu reposante depuis son Éveil, même quand il n’était pas hanté par le souvenir oublié de Cynoë. Ce que ses Pères allaient partir chasser, sans doute très bientôt. Et sans doute sans lui. Car pourquoi l’exclure des préparatifs de l’expédition, sinon parce qu’ils comptaient le laisser là tandis qu’ils risquaient leurs vies — ou ce qu’il en restait, s’agissant de vampires.
Il n’aimait pas du tout cette idée. Il s’inquiétait. Il voulait aider, participer, les protéger si besoin. Aldaron attendait de lui qu’il trouve sa place dans le clan, mais comment le pouvait-il s’il ne le laissait pas faire sa part, ses preuves ?
Il laissa échapper un nouveau soupir puis prit une grande inspiration, dont certes il n’avait pas besoin, mais qui pourrait l’aider à se calmer. Le voilà qui ruminait à nouveau, alors qu’il était précisément là pour l’éviter. Nul doute que la fatigue, de plus en plus prégnante, jouait sur ses nerfs et sur son moral. C’était, d’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles il n’avait pas encore abordé ouvertement le sujet avec eux. Il craignait de ne pas se maîtriser et d’user envers eux de mots, d’un ton, qu’il regretterait. Mais il regretterait bien plus encore de les laisser partir sans au moins tenter de les convaincre de le laisser se joindre à eux.
Il fut tiré de ses sombres ruminations lorsqu’Ombrenuit ralentit brusquement l’allure. Il chercha du regard ce qui avait pu attirer ainsi son attention, et repéra bien vite l’éclat rose d’un dragon, se dirigeant manifestement dans sa direction. Inconsciemment, il se tendit. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas les dragons, au contraire il avait le plus grand respect pour la Grande Race, mais leur présence lui faisait immanquablement penser à son Lien brisé, au vide insondable laissé par celui qui lui manquait alors qu’il n’en avait même pas un souvenir. C’était la raison pour laquelle il évitait Nahui et Kaalys lors de leurs visites autant que la politesse le lui permettait.
La politesse qui, justement, l’empêchait de tourner bride et de fuir purement et simplement la rencontre qui semblait s’annoncer. À la place, il démonta, tenant Ombrenuit par la bride, et observa le dragon — la dragonne ? — qui s’approchait, prêt à la saluer comme il se devait si, comme il en avait l’impression, elle le rejoignait.
Dernière édition par Ivanyr Elusis le Ven 1 Jan 2021 - 20:27, édité 1 fois