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24 février 1764 - Nuit - Nevrast



L’heure était venue. Elle avançait à grands pas, tandis que la lune montait haut dans le ciel et noyait les quelques nuages languissants de ses rayons incendiaires. Ilhan admirait le spectacle, depuis la fenêtre de la chambrée qu’on lui avait attitrée pour son séjour. Une chambre lui offrant tout le confort qu’il chérissait tant, et tout le raffinement qui faisait chavirer ses sens. Dès qu’il y était entré, Ilhan s’était senti en ces lieux à son aise… et protégé. Oui, protégé. Aussi étrange que cela puisse paraître, quand bien même ses anciens instincts avaient tenu à faire le tour de la pièce pour s’assurer de toute issue ou chausse-trappe inattendue, il ne s’était pas appesanti sur ses contrôles habituels et sentait le poids de l’attention continue s’échapper de ses épaules. C’était étrange et déroutant, car, même en Delimar, rares étaient les moments où il s’était senti ainsi. Parfois avec Naal, dans les rares moments où il s’abandonnait totalement.

Aldaron n’avait pu le voir de suite, dès son arrivée, et lui avait proposé de le voir le lendemain, pour qu’il puisse se reposer. En tant que sainnûr il avait besoin de dormir. Mais Ilhan avait insisté pour le voir dès qu’il le pourrait qu’importe l’heure, même tard la nuit. Et tard, oui il l’était. Mais pour autant fatigue ne le frappait toujours pas de son glas, tant il était impatient de cet instant tant attendu. Le sablier s’écoulait, et Ilhan peinait à détacher son regard de la lune, tendit que son esprit vagabondait.

Quand soudain un appel le tira de ses pensées. Shan, un de ses fidèles à Delimar. Shan qui supervisait tout là-bas, en sa demeure, mais gardait aussi un œil sur les araignées installées dans la cité ou sur les possibles avancées en son absence. Pur appel de formalité en cet instant. Ilhan se doutait que Shan souhaitait aussi s’assurer que le Tisseur était bien arrivé et en sécurité. Après un rapide compte-rendu de ce qui s’était passé, Shan lui fit part que les deux Graärh arrivées à Delimar il y a quelques temps, et qu’Ilhan avait prises sous sa protection, avaient bien reçu tout leur équipement. En effet, Reynagane et Nyana avaient émis la volonté de partir en Néthéril reconquérir leur honneur et aider l’île à combattre les dangers qui la menaçaient. L’althaïen s’imaginait déjà Reynagane avec son arc, son carquois et ses flèches et sa belle armure d’archer, ou encore Nyana dans sa cotte d’armure avec sa dague et l’anneau qui la protégerait un tant soit peu… Elles devaient avoir fière allure. Il n’aurait certes pas la joie de les voir à l’oeuvre, mais il était sûr d’entendre un jour leurs exploits à venir. Ilhan donna alors ses dernières consignes à Shan et le remercia avant de couper la communication.

Se retrouvant de nouveau seul, avec lui-même. D’ordinaire la solitude ne lui pesait pas, bien au contraire. Mais en cet instant l’impatience galopait et lui insufflait une nervosité qu’il peinait à maitriser. Il allait revoir son père. Après tous les événements qui s’étaient passés, notamment à Ipsë Rosea, il allait revoir son père. Cendrelunes. Aldaron. Ils avaient tant et tant de choses à se dire. Mais surtout à partager. Ilhan avait hâte de ces retrouvailles. Non, nulle appréhension réelle en son coeur. Certes, il était conscient que ses propres choix avaient creusé un fossé entre son père et lui. Ils en souffraient tous deux, et le seul réel responsable de cela était lui, lui qui avait décidé de rester oeuvrer près des humains, se faisant même passer pour l’un d’entre eux et allant jusqu’à cacher sa parenté et ce lien auquel pourtant il tenait tant. Il était aussi persuadé qu’Aldaron comprenait, du moins en partie. Quand il l’avait mordu, après tout, il savait. Bien avant tout cela, Ilhan lui avait partagé ses rêves, ses folles utopies. Ses peurs aussi. Oui, Aldaron avait su, et savait. Mais cela n’empêchait sans doute ni la déception ni la peine, et encore moins la douleur. Il savait sans doute aussi qu’Ilhan n’était pas prêt à le suivre sur les sentiers que Cendrelunes semblait vouloir emprunter.

Pour autant… le lien qui les unissait était toujours là, fort. Du moins il palpitait dans le coeur d’Ilhan. Il sentait, au fond de lui, que, quoi que fasse son père, quoi qu’il choisisse, quand bien même violence et sang sillonneraient son chemin, Ilhan ne pourrait ni le lui reprocher ni le lui en vouloir. Peut-être ne le suivrait-il pas, peut-être ne brandirait-il pas les armes et la rage de concert avec lui, mais… Non, il ne pouvait le blâmer. Tout ce qu’il craignait réellement, c’était de voir grandir le nombre des ennemis de son père. Et cette peur de voir celui-ci périr sous la lame d’un traitre ou d’un fourbe assassin grandissait de jour en jour.

La lune était maintenant à son zénith, constata-t-il entre deux songes. L’impatience grandissait, à tel point qu’il en triturait sa pythie, sans même s’en rendre compte, à deux doigts de la déclencher, même si en un geste discret, alors qu’il restait toujours immobile à la fenêtre. Geste assez coutumier qui lui permettait souvent de recouvrer un semblant de sérénité. Mais cela semblait échouer en cet instant. Quand soudain un coup à la porte manqua le faire sursauter. D’une voix faussement calme, il permit à l’intrus d’entrer. Un serviteur venait le chercher, Aldaron lui proposait de descendre au salon. Ce même salon où il avait rencontré un peu plus tôt son frère de croc, Ivanyr. Une rencontre qui l’avait surpris, agréablement surpris, mais qu'il avait chérie.

Personne n’était encore présent. Le seigneur des lieux ne tarderait pas à arriver, lui promit le serviteur, avant de s’éclipser. Ilhan hocha la tête en sa direction, en un remerciement silencieux, avant de finalement se retourner vers la pièce. Des victuailles, toutes fraiches, étaient installées sur une petite table. Une attention qui lui était spécifiquement dédiée. Y trônaient en effet les petites boules qu’il aimait tant. En fait, constata-t-il, toutes ces friandises préférées lui tendaient les bras. Un doux sourire étira ses lèvres. Pour autant, son impatience ne s’apaisa pas et monta encore d’un cran, si ce fut possible.

Il s’avança alors vers la fenêtre. Mais même la vue de l’astre lunaire, aussi magnifique qu’un diamant dans le firmament, ne suffit à le calmer. Il s’assit alors en tailleur sur le sol, devant la fenêtre, et entra rapidement en méditation, par de profondes et lentes inspirations. Il mit un petit temps à calmer les battements frénétiques de son coeur et à retrouver un semblant de paix intérieure. Il commençait enfin à sentir ses muscles se dénouer un à un, quand enfin un bruit de pas se fit entendre. Aussitôt Ilhan rouvrit des yeux qu’il n’avait pas eu conscience de fermer, et tendit l’oreille aux aguets. Nullement inquiet. Juste… curieux, avide, impatient, et… heureux. Oui, heureux. Cendrelunes arrivait. Il était persuadé que c’était lui, tant et si bien qu’il ne se retourna pas tout de suite quand enfin la porte s’ouvrit dans son dos. Il inspira profondément, s’imprégnant des effluves paternels, certes toutes vampiriques, mais pourtant rassurantes à ses sens sans qu'il ne sache pourquoi, et de cette aura de puissance qu’il pouvait presque sentir palpiter.

Lentement, il se redressa alors sur ses pieds. Tout aussi lentement, il se retourna. Peu confiant en sa voix, il ne put toutefois saluer son père dignement, et seul un fin sourire entre joie et mélancolie se dessina d'abord sur ses lèvres. Une autre profonde inspiration. Puis il lui offrit le salut althaïen, en simples gestes. Il s’inclina avec respect, mais la main qu’il porta sur le coeur s’attarda longuement, comme s’il souhaitait en extirper toute son affection… avant de l’envoyer vers son père en un geste doux, tendre, la paume vers le haut. Sa paume s’attarda un instant encore dans l’air, avant de descendre doucement.

Que l’astre de la nuit guide vos pas, Cendrelunes.

Ou comment dire à son père qu’on était si heureux de le revoir en langage ilhanesque. Ses accents althaïens le chantaient pour lui.

Il se retint d’avancer plus encore. Et réfréna l'impulsion qui le poussait à se jeter dans ses bras, en une embrassade dont il avait tant rêvée, mais qu’il n’osait ni réclamer ni imposer. Ce furent ses filaments d’or toutefois qui exprimèrent tout ce qu’il réprimait. Ils s’élevèrent doucement dans son dos, en une lente valse hypnotique, tendant leurs doigts vers Aldaron en une invitation muette. Et les éclats d’or qui envahissaient en une myriade d’étoiles le ciel noir de ses yeux trahissaient d’autant plus l’athaïen.

Un cri du coeur.

Un appel du fils.

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    L’Ast eut un sourire, face à l’accueil qu’on lui réservait. L’astre de la lune ? Il ne guidait pas ses pas. Seuls son amour le faisait comme jamais. Il marchait dans le sillage d’Achroma, comme ébloui par la lumière de son Inséparable. Leurs routes ne pourraient jamais se séparer, alors, pourquoi luterait-il ? Il s’y adonnait sans retenue, sans craintes, car tel était son chemin. Pour autant, il ne répliqua rien et se contenta d’ouvrir les bras à l’appel muet de son fils, avant de l’étreindre. S’il l’aimait ? Oui, et ce bien que cet idiot se soit mêlé d’un peu trop près dans une affaire à Ipsë Rosea. Cela avait failli mettre en péril la vie du dit fils et avait aussi contrecarré l’impérieux secret qui aurait dû planer sur le meurtre de Balthazar. A envoyé ses hommes ici et là, il avait fini par en envoyer un au mauvais endroit, tout en étant lui-même au mauvais endroit et empêchant la réalisation de méfaits tel qu’ils auraient dû être faits. Vaea n’aurait pas eu à se servir du flux de Contrôle si Teotl avait pu lui apporter librement cette flèche noire.

    Si Ilhan était responsable de ce dramatique échec ? Absolument. Valmys, lui, au moins, posait moins de questions et ne cherchait à fouiner dans tout et n’importe quoi. Si Ilhan était responsable de l’exil de Elusis à Nevrast ? Absolument. S’ils s’étaient contentés de rentrer à ses quartiers sans envoyer ce foutu almaréen en quête de réponses, rien du reste n’aurait été percé à jour. La situation de son clan n’avait rien d’enviable, et si remettre la responsabilité de cette catastrophe exclusivement sur la tête d’Ilhan aurait été un peu fort de café, le dédouaner complétement aurait été fort candide. Il le relâcha doucement : « Je te conseille de ne pas croiser la route d’Achroma, pendant ton séjour. Je suis heureux de te voir, car tu es mon fils. Si tu ne l’avais pas été, je t’aurais fait exécuter. » Voilà qui avait le mérite d’être clair. S’il l’aimait, il s’en trouvait la proie à des sentiments contraires. Le comportement fouineur d’Avente était absolument gênant, à un point tel que le Clan Elusis s’en trouvait à un point de non-retour. La situation à Nevrast était bien trop étouffante pour leur survie que la relation avec Victoria représentait jusqu’alors la seule issue d’alliance diplomatique. Il ne restait que la guerre… Faute à Havremont et ce que lui avait révélé le tueur de dragons.

    « J’ai appris que Tryghild s’était retirée de l’Intendance de Délimar. » Il la comprennait, cétait une femme intègre. Est-ce que c’était le cas de tout le monde ? Pas vraiment. Elle, comme Ilhan, avaient couvert ce Naal du Néant. Ils savaient ce qu’il avait fait à Firindal. Et ce qu’il avait fait à Cynoë. Qui était le suivant ? Kaalys ? Nahui ? « Est-ce que c’est pour cela que tu es ici ? » S’il avait l’espoir qu’à l’abandon de sa Reine, Ilhan ait décidé de le rejoindre ? Absolument. Il n’y avait pas besoin d’avoir l’empathie d’un dragonnier pour le sentir.

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L’étreinte de son père le réchauffa malgré la froideur de ses bras. Le coeur d’Aldaron ne battait peut-être plus et pourtant il résonnait en choeur avec le sien. En cet instant, Ilhan se serait bien laissé bercer par cette douceur, instant salvateur d’une douce symphonie qui chantait amour et famille en harmonie. Leurs chemins s’étaient séparés, semblaient tant s’éloigner, que l’althaïen avait craint que tout lien ne soit rompu. Tous deux avaient fait des choix si différents. Chacun suivait sa voie, celle que leur coeur, leur instinct, leur conviction leur dictaient. Mais ces choix parfois, souvent, les séparaient. Ilhan aurait pourtant tant aimé pouvoir soutenir son père, marcher dans ses pas, suivre sa trace et surveiller ses arrières, être son ombre pour le protéger de tout trépas.

Il chassa ses pensées, et se contenta de savourer cet instant de grâce, bien trop rare entre eux pour qu’il le gâche en quelques considérations déplacées. Il ferma les yeux pour mieux s’imprégner de cette chaleur paternelle. La maison. Dans ses bras, il se sentait revenu à la maison. Chez lui. Parmi les siens. Sans faux-semblant ni contrainte. Le seul autre endroit où il aurait pu dire de même était les bras d’un certain almaréen. Car non, en Delimar il n’était pas vraiment chez lui. En Delimar il restait l’althaïen. En Delimar il restait trop différent. Quand bien même il avait su gagner leur coeur, leur respect et leur estime. Pour preuve, il n’était toujours citoyen de rien. Toujours apatride. Sauf en son coeur, qui pleurait encore son Althaïa.

Pourquoi y restait-il alors ? Parce que pour l’heure, le même almaréen l'y retenait. Et il n’avait pas trouvé un meilleur endroit où aller. Caladon ? L’or et la corruption qui y régnaient ne l’attiraient en rien, trop idéaliste qu’il était. Sélénia ? Il ne l’avait pas quittée pour rien. Il ne se voyait pas y retourner, quand bien même la lignée des Kohans s’éteindrait. Sa corruption était tout autre, mais elle gardait encore pour Ilhan le goût du déclin de l’humanité. Ipsë Rosea n’était plus une option. Et trop passive, elle ne l’avait jamais été. Le Domaine non plus, Ilhan était trop corrompu lui-même pour parvenir à s'astreindre à leurs modes de vie. Nevrast, auprès de son père et des siens ? Si seulement feu et sang ne pavaient pas ses rues et chaque pas de son Parangon… Peut-être aurait-il pu. Mais assassiner et tuer n’étaient pas la voie qu’il chérissait. Même si les ténèbres en lui savaient que c’était là parfois des mesures nécessaires, il estimait la violence comme la dernière solution, quand tout autre avait échoué. Ce qu’il avait dit à Caladon au sujet des crimes des Brise-Sorts, il le pensait toujours. Il ne pouvait suivre ce chemin semant destruction et chaos. Il aspirait… à un certain équilibre.

Et à cette pensée, ce mot, un léger sourire s’esquissa sur ses traits, quand l’image de Shyven pulsa en son esprit. L’équilibre… Voilà bien un mot qui l’avait marqué et qui les reliait avec force tous deux.

Son sourire toutefois se voila quand son père rompit l’étreinte. Et mentionna Achroma. Ilhan se retint de grimacer. Il n’avait, effectivement, aucune envie de rencontrer le prétendant au titre de Prince noir. S’il devait lui faire face, il saurait assumer ses actes et ses choix, quand bien même cela aurait sonné son glas. Mais il n’était pas fou non plus, et s’il pouvait l’éviter, il l’éviterait. Il se retint plus encore de soupirer quand il entendit son père parler d’exécution. Oh certes, sur nombre de points, il se savait un potentiel ennemi aux yeux du clan Elusis : il était un conseiller de Delimar, cité formée de nombreux glacernois, anciens ennemis jurés des vampires ; il avait choisi Tryghild au lieu d’attendre son père au Domaine, même si, pour sa défense, à ce moment-là il avait réellement cru à un rêve et non à une réalité, et quand réalisation s’était imposée à lui, il n’était plus apte à s’exprimer de façon cohérente ; il avait immaculé, même si sous le glas d’une épée, choisissant alors une nouvelle aurore plutôt que de plonger dans la nuit ; sa curiosité et ses convictions l’avaient poussé à chercher là où il n’aurait pas dû chercher, ou du moins à commettre des erreurs (pourquoi avait-il envoyé l’almaréen et non une araignée ? Peut-être aurait-il pu étouffer le secret s’il avait envoyé l’un de ses sbires…)… Oui, il se savait une cible de choix voire une réelle gêne pour les ambitions du prince noir, et seul son lien avec Cendrelune lui permettait de garder sa tête sur les épaules. Il en avait parfaitement conscience. Quand il avait décidé de venir ici, contre l’avis de certains de ses proches et de la Toile, il savait les enjeux et les risques qu’il prenait. Et n’était-ce pas là d’ailleurs une marque de confiance ultime qu’il donnait alors à Aldaron ? À son père ? N’était-ce pas aussi la marque d’un fils se soumettant pleinement au jugement du père, si ce dernier le désirait ?

Une peine l’affligeait toutefois à entendre ces mots-là venant de Cendrelune. Il avait l’impression d’entendre la voix d’Achroma s’exprimer à travers lui. Et cela le déroutait quelque peu. Achroma réalisait-il seulement tout ce qu’Aldaron avait sacrifié pour le suivre ? Tout ce que Cendrelune faisait pour exaucer ses vœux ? Car si le clan Elusis avait réussi une telle ascension, malgré les obstacles, c’était en grande partie grâce au génie de la Triade. Cet amour puissant, qui le poussait au-devant, et même au-delà.

« J’ai appris que Tryghild s’était retirée de l’Intendance de Délimar. »

Son rictus se teinta d’une certaine tristesse à cette mention. Une tristesse de multiples couleurs. La couleur de la déception, de celle qui avait flagellé son coeur quand il avait appris la nouvelle, alors qu’il venait d’arriver à Nevrast. Déception de voir sa Reine se destituer, cette Reine pour qui il avait tout donné et qui maintenant les abandonnait… Déception d’apprendre la nouvelle alors qu’il était au loin, comme si elle avait attendu qu’il ne soit plus là pour se prononcer… La couleur de la peine aussi, car il sentait que sa réponse allait peut-être blesser son père. Qu’il serait alors, encore, un objet de déception pour Cendrelune. La couleur de l’incertitude également. Car, la question qui suivit, claire invitation à le rejoindre, malgré ses choix et ses actes passés, était une réelle tentation pour lui. Oui, aurait-il envie de répondre. Oui, je suis là pour me fondre dans votre ombre. Mais… si seulement feu et sang ne gorgeaient pas ces ombres justement…

J’ai appris la nouvelle également en arrivant ici, répondit-il alors d’une voix basse et grave.

Ce qui signifiait que, s'il n’avait pas su en partant de Delimar, ce ne pouvait être la raison de sa venue…

Il soutint le regard clair de son père, ne cachant en rien les émotions qui l’agitaient. Et ses éclats d’or qui pétillaient parlaient pour lui.

Je vous aime aussi Père.

Aldaron ne lui avait certes pas dit cela, mais Ilhan ne se priva pas d'exprimer ces mots.

Il tut toutefois toutes les autres pensées qui l’avaient traversé jusque-là. Et se contenta d’observer un long moment la haute silhouette qui le dominait de sa majesté. Oui, il avait mille questions. Pourquoi, pour qui, comment… Mais il pensait en avoir trouvé déjà certaines réponses. Et surtout… il ne se sentait pas en droit de les poser. Si Aldaron souhaitait un jour y répondre, il écouterait avec attention. Mais ce n’était pas sa place de fils de questionner son père sur ses actes.

La première raison de ma venue ici est celle d’un fils s’inquiétant pour son père, répondit-il enfin d’une voix sourde, aux accents chantant Althaïa.

Car oui, il s’inquiétait pour lui. À bien des égards. Il craignait pour lui, pour sa vie, et plus encore.

La question de savoir comment il allait lui brûlait les lèvres, mais il la savait possiblement litigieuse, surtout venant de lui. Alors, comme de coutume le concernant, il la tut. Il espérait aussi que le pouvoir empathique du dragonnier comprendrait la portée de son silence et sa sincérité.

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    Les mires du dragonnier perçaient celles de son fils avec détermination et curiosité, lorsqu’il en vint à mentionner Tryghild. Ilhan lui avait toujours affirmé vouloir se battre pour sa Reine et maintenant qu’elle avait baissé les armes, sur le plan politique, qui suivrait-il ? A plus forte raison qu’Ilhan avait pris épouse et que celle-ci s’en trouvait Caladonienne, alliée du Marché Noir de surcroît. Tant que Délimar et Caladon marchaient sur le même chemin, la situation pourrait perdurer, mais compte tenu des tensions qui soulevaient peu à peu Calastin, les cités rivales finiraient par réclamer un choix à Ilhan et ça, le Tisseur était suffisamment intelligent pour le savoir et l’anticiper. Tout comme Aldaron. Sa question n’avait rien, alors, d’anodin. Il lui demandait s’il avait conscience de toute cela et combien tout finirait par exploser eu égard de ce qui se tramait. Ilhan n’avait vu, à Ipsë Rosea, qu’une maigre partie de ce que son peuple était prêt à faire pour revivre. Cela n’allait pas s’arrêter là et Calastin allait se retrouver à feu et à sang très bientôt.

    L’Ast sentit son envie, son désir profond, de le rejoindre. Mais il y avait un « mais ». Une tâche d’ombre qu’Aldaron ne parvenait pas à distinguer clairement. Qu’est-ce qui le retenait alors que la voie était toute tracée ? Il venait de l’apprendre à Nevrast : il ne s’agissait donc pas de la raison qui l’avait poussé à venir ici. Aldaron n’était déçu qu’à moitié, car quand bien même cela n’avait pas été la raison de sa venue, cela pourrait être celle qui le ferait rester. Son regard s’adoucit, à l’élan d’affection dans les mots prononcés sans se cacher. Le dragonnier effleurait les émotions qui s’agitaient dans l’âme de son fils, sans pour autant les regarder vraiment. Il était là plus à les garder, comme un gardien ou une sentinelle, pour le protéger et le préserver. Il pouvait être le confident, si Ilhan daignait s’exprimer. Mais les questions ne vinrent pas. Avait-il besoin que l’Ast l’y invitât ? Probablement, car cela était ce qui transparaissait dans son inquiétude. L’on était inquiet lorsqu’on était face à des incertitudes, des questions sans réponses ou des questions dont on a les réponses et dont on ne souhaitait pas admettre pour vrai. Il espérait qu’Aldaron le détrompe, lui affirme ne pas prendre ce chemin ?

    Il risquait d’être déçu, mais au moins il ne serait plus inquiet. En lieu et place de cela, il serait terrorisé par ses certitudes. Devait-il le terroriser ? Le laisser dans son inquiétude n’était pas plus charitable. Au moins, s’il le terrorisait, il lui offrait sa franchise et son authenticité. Peu pouvaient de vanter de savoir ce qu’avait exactement la Triade en tête et pourtant, ils étaient nombreux ceux à qui il affirmait cette vérité qu’on n’entendait guère : il était le chaos au service de l’équilibre. Il avait le mauvais rôle, celui du méchant, du perturbateur. Il était celui contre lequel on se liguait car on n’appréciait pas sa façon de faire et on supposait de cela qu’il avait de mauvaises intentions camouflées sous sa prestance enivrante. Il mettait le doigt où cela faisait mal, sur les comportements à l’égard des vampires qu’on avait affirmé être justes car les vampires étaient des monstres.

    « Je t’aime aussi, Anarore. » Mais là n’était pas tant la question, n’était-il pas ? La réponse n’en était pas moins sincère. Le silence retombait alors que l’Ast venait s’asseoir, ponctuant de ses pas au sol le mutisme de l’instant. Le froissement des vêtements au contact de l’assise souffla un bruit sourd et paisible. Il s’installait là parce que, de toutes évidences, ils risquaient d’en avoir pour un moment. La domestique apporta le thé, des biscuits et les confiseries préférées d’Ilhan. S’il avait oublié cette histoire de boules ? Non, plus maintenant. Les retrouvailles de ce souvenir avaient été fort amusantes, au demeurant. Il le laissa s’installer et se servir. Le vampire n’avait guère besoin de thé ou de collation. Il aurait très bien pu s’en servir et consommer, pour être avec lui, mais il n’en voyait pas l’utilité. Les domestiques, humains notamment, seraient très contents d’avoir les restes que leur maître n’avait pas égoïstement dévoré sans en sentir la moindre saveur et le moindre plaisir.

    « Pose-moi tes questions. » finit-il par réclamer, le mettant quelque peu au pied du mur, ou du moins dans une impasse. Oserait-il lui affirmer qu’il n’en avait pas ? Cela exsudait de tous les pores de sa peau. « Tu risques d’être fort déçu de mes réponses, car tu es un homme particulièrement intelligent et tu as sûrement déjà répondu à la plupart de tes propres questions. Tu crois que je vais mal, en raison des événements qui se sont produits à Cyrène, ainsi que leur conséquence sur mon clan. En raison de mes choix et ce qu’ils peuvent engager comme danger à mon encontre. Et comme beaucoup, tu fais erreur en pensant qu’il s’agit de choix. Il n’y a qu’un seul chemin. » Celui du sillage d’Achroma. Eût-il à se damner, lorsqu’il était avec lui, le reste n’avait plus aucune importance.  « Et quand il n’y a qu’un seul chemin, la souffrance, bien que présente, est inutile : il faut avancer. Comprends-tu ? » Bien sûr qu’il comprendrait et il y avait fort à parier que comme beaucoup, Ilhan refusât cette fatalité et recherchât une solution. Avaient-ils la moindre idée de ce que signifiaient Inséparable ? Aldaron était conscient du chemin qu’il empruntait. Il savait également qu’il n’y avait pas d’autre chemin.

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Quand son père vint finalement s’asseoir, Ilhan l’imita et prit place en face, le port droit contre l’assise confortable, les mains posées sur les accoudoirs. Il observa les domestiques soudain s’agiter et déposer mets et thé, certainement à son intention. Il sourit à son père à cette délicate attention, même si vu l’heure tardive il avait déjà mangé. Il ne refuserait certes pas un petit encas, surtout si la conversation s’attardait. Et comme il n’avait nulle envie d’y mettre fin, préférant profiter de ces rares instants avec son père… Il remercia les domestiques d’un léger hochement de tête, noble sans être hautain.

Il ne se servit pas de suite toutefois, et attendit que son père rompe le silence, laissant ses yeux pétillants d’or dévorer les traits altiers du vampire. Et le silence fut enfin rompu. En une invitation à poser ses questions, à s’exprimer… Mais comme l’avait si bien dit l’Ast, ses questions, il pensait en avoir déjà les réponses. Souhaitait-il perdre du temps à ergoter dessus ? Non. Même si tous deux en avaient certainement à revendre du temps maintenant. Il écouta son père toutefois, en un silence attentif et serein. Pas de choix selon lui. Voilà des mots qu’il avait entendus bon nombre de fois, et pas seulement venant d’Aldaron. Et, quelle que soit sa propre opinion sur la question, il se tut. Car c’était là les mots, les sentiments d’Aldaron, et c’était tout ce qui importait alors en cet instant.

Oui, il comprenait, répondit-il tout d’abord d’un simple hochement de tête, laissant le silence clore ses lèvres. Un silence qui s’étira. Nulle gêne n’en ternissait le voile, nulle rancoeur. Juste une indicible peine, de celle qui ne l’avait jamais quitté depuis sa renaissance. Ses orbes de jais se voilèrent légèrement quand triste mélancolie le frappa de nouveau de plein fouet. Il la chassa d’une pensée, et son attention se reporta sur les mets. Ce ne fut qu’en cet instant qu’il aperçut les petites friandises en forme de boules. Son regard sombre se releva, une lueur amusée les illuminant brièvement, sur Aldaron. De sa main non gantée, il alla se saisir de l’une d’elles. Il l’observa un long moment en la faisant tourner entre ses doigts et laissa un court instant le souvenir de ces "boules" titiller son esprit. Son sourire en coin s’élargit, alors qu’il croquait enfin dans la friandise, ses yeux s’ancrant sur son père alors qu’il savourait la confiserie.

Je me souviens, murmura-t-il alors enfin.

Aveu simple et court, qu’il avait recouvré ses souvenirs. Tous ses souvenirs. Dont celui de ces boules…

Son sourire se dissipa légèrement et se mua en une ombre plus triste.

Oui, je comprends. Mes questions sont nombreuses. Pourquoi, comment... Mais comme vous l’avez dit, je pense en avoir déjà les réponses et vous y avez déjà répondu aussi. La colère et la volonté de rendre à votre peuple sa gloire d’antan, une place digne de ce nom, de l’extirper de la fange dans laquelle on l’a plongé… La volonté et la détermination de soutenir votre aimé aussi.

Sans doute bien d’autres raisons. Vengeance y était peut-être aussi du lot. Pas une vengeance personnelle, mais la vengeance des vampires qui, depuis leur arrivée sur l’archipel, avaient été saignés à blanc, comme le décrivaient certains.

Vous m’aviez déjà évoqué tout cela, lorsque nous nous sommes revus à Sélénia, juste avant mon départ.

Et juste avant son enlèvement. À ce souvenir, un voile ternit son regard. Passager, fugace, mais l’ombre de cette honte et de cette douleur persistaient encore. Il raffermit toutefois son esprit pour ne pas le laisser languir sur ces sentiers honnis.

Vos réponses ne m’ont nullement déçu, contrairement à ce que vous pensiez, car je peux concevoir que telle est votre voie.

Choisie ou non. Et qui était-il de toute façon pour juger des choix ou des actes de son père ? Chacun agissait en ce monde comme il le pensait nécessaire, comme il le pouvait aussi, comme il le croyait juste, ou comme son coeur l’y appelait.

Bénis sont ceux connaissant leur chemin, disait-on en ma belle Althaïa. Et si ce chemin est vôtre et vous convient, alors j’en serais heureux pour vous, offrit-il d’une voix douce et calme.

Ses accents althaïens chantaient la sincérité de son coeur à ses mots.

Même si cela n’empêchera guère mon coeur de s’étreindre de peur à la vue de tous ces ennemis qui grandissent dans l’ombre et attendent l’instant pour vous frapper.

Au point que l’idée de laisser quelques araignées surveiller les arrières de son père lui avait déjà maintes fois effleuré l’esprit. Il y avait déjà quelques araignées à Nevrast. Elles se comptaient sur les doigts d’une main, tant il leur était délicat de rester en cette cité. Tant cela leur était difficile antan du moins. L’une d’elles semblait suffisamment apprécier Cendrelune pour bien vouloir veiller sur lui, même si de loin. Difficile d’approcher l’époux du nouveau prince noir… Mais au moins écoutait-elle les rumeurs et pourrait-elle le, les, prévenir si le mot complot commençait à trop se faire entendre contre Cendrelune.

Il se servit alors du thé, toujours d’une seule main, redéposa la théière, et s’empara de sa tasse. Il en but une légère gorgée, avant de reprendre d’un ton bas, si bas qu’on aurait pu croire en une caresse du vent.

Mon chemin à moi ne m’est pas encore révélé.

Dure confession que celle-ci. Surtout à son père, dont il sentait toutes les attentes le concernant.

Si vos réponses ne m’ont nullement déçu, je crains que les miennes vous déçoivent et, pire, je redoute qu’elles ne vous blessent.

Pour autant, puisque son père avait été honnête avec lui, il devait lui aussi briser ce silence qui le caractérisait tant et se livrer enfin.

J’espère qu’un jour vous comprendrez combien il m’est difficile de vous dire cela, à vous. Vous que j’aurais tant aimé pouvoir suivre. Eussiez-vous été prince noir, dont les rayons lunaires transpercent la nuit pour mieux illuminer les siens et éclairer leur chemin, d’un noble renouveau qui les porteraient à leur apogée…

Peut-être vous aurais-je suivi, oui, finit-il pour lui-même. Réalisant qu’il se laissait de nouveau emporter par ces douces rêveries. Aldaron prince noir aurait, peut-être, été une possibilité pour lui. Mais pas Achroma. Or, aujourd’hui, rejoindre son père était suivre aussi le millénaire. Un millénaire qui ne voulait pas de lui. Pire même.

Sachez toutefois que mes pas ne peuvent suivre aucun des chemins qui s’ouvrent devant moi. Si je ne peux emprunter votre sillage...

Ne pouvant suivre le feu et le sang…

Je ne peux pas emprunter pour autant les autres rivages.

Ceux de la guerre, du mépris et de l’intolérance, de la haine et de la soif de revanche.

Non aucun de tous ceux-là ne lui était possible.

Je reste là où je suis, n’ayant fait que suivre le cours du fleuve sur lequel la vie m’a porté. Perdu en ce nouveau monde, je me suis simplement raccroché à la première chose qui était à portée. Cela ne veut pas dire que je les ai choisis pour autant.

Il espérait que son père comprendrait. Et il lui semblait important de le préciser.

J’ai choisi de ne pas choisir, sans doute. Un jour, un véritable choix je devrais faire, oui. Et ce jour se rapproche. Peut-être ne choisirais-je aucun des chemins que tous me supplient de suivre. Oh certes pas de vive voix, mais je le vois dans leurs yeux.

Dans les yeux de son père aussi. Et cela, plus que tout, était douloureux pour lui.

Le jour du choix sera une amputation pour moi.

Il défit alors son gant et observa sa main noircie.

Parfois l’amputation a du bon, dit-on. Mais pas en ce cas.

Il releva un regard vers Aldaron, ses orbes sombres totalement constellés d’étoiles dorées.

Une femme, époustouflante et admirable femme, m’a soufflé un jour que peut-être devrais-je choisir celui que je souhaite devenir, et non celui que tous me demandent de rester ou d’être. Que je devrais peut-être construire ma propre voie, mon propre chemin…

Peut-être son chemin était-il justement cette femme ? Il n’en savait encore rien. Il avait beau avoir appris des choses en ce monde nouveau, avoir recouvré ses souvenirs, il n’en restait pas moins perdu. Et déchiré.

Je vous aime, susurra-t-il de manière peu audible, tant sa gorge se nouait. Et rien au monde ne pourra changer cela.

Quels que soient leurs choix. Quels que soient leurs actes.

Je vous aime… père. Si j’ai encore le droit de vous appeler ainsi.

Après ce qu’il venait de dire...

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    Ilhan comprenait. Le hochement de tête le lui confirmait sans détour et le vampire se satisfaisait de ne pas avoir à argumenter davantage sur l’évidence. Les épaules de l’inséparable tombèrent un peu, comme si la situation les avait faites se crisper légèrement, de manière inconsciente. Y avait-il plus doux remède que d’entendre qu’on était compris ? Véritablement compris. C’est ainsi qu’il en lisait la peine, dans les orbes noires de son fils, si enfonçant comme dans un puits sans fond, en silence. Il se laissait happer, baissant la garde qu’il adressait à ses ennemis, sans savoir pour autant qui se tenait devant lui. Mais il était son fils. Dût-il être son ennemi, Aldaron ne saurait le traiter comme tel, quand bien même il en aurait le cœur brisé.

    L’intrigue devant la friandise eut le don de lever le marbre de son expression, laissant un sourire poindre délicatement dans le coin de ses lèvres. Il se souvenait. Il devait avouer apprécier particulièrement taquiner le politicien qui avait été son rival, alors qu’il était lui-même bourgmestre de Caladon. Le jeu détendait l’atmosphère qu’imposait la rigueur diplomatique, en plus des rivalités et des obstacles qu’ils pouvaient rencontrer. Et cela rendit plus doux ce qui arrivait ensuite. L’ast secoua doucement la tête de gauche à droite à ce qu’Ilhan lui donnait pour raisons. Il n’avait évidement pas tort, sur tout les motifs qu’il y avait énoncé. Mais il y avait bien plus que cela. Quant à son absence de choix ? Il n’était pas déçu, en tant que père. Il avait, pour Ilhan, déjà accepté le fait de ne pas l’avoir à ses côtés. Ce qui le décevait, c’était qu’un homme d’une pareille intelligence et clairvoyance ne parvienne pas à voir qu’il était impérieux d’agir pour la pérennité du monde, que ce n’était pas qu’une question de camp ou de méthodes déplaisantes. C’était l’avenir du monde qui se jouait.

    Pour autant, sa gorge se serrait de compassion. Il était désolé pour lui, désolé qu’il ait un jour à choisir et à s’amputer d’une part de lui-même. Il y avait certaines blessures qui guérissaient, avec le temps et d’autres qui laissaient un chagrin éternel. « Bien sûr que tu peux m’appeler ‘père’. » fit-il en réponse et elle valait plus que mille mots. Il l’avait laissé rejoindre Tryghild, lorsqu’il avait immaculé. Il ne lui avait pas demandé de choisir, justement pour ce motif. Il le comprenait, sur ce point. « Moi non plus, je ne veux pas avoir à choisir. » Ainsi était-il resté auprès d’Achroma, voguant sur des flots violents et passionnés. Il l’aimait. « Achroma et moi sommes des inséparables et des dragonniers. Toutes nos vies sont liées. S’il mourait, je mourrais. Si nous mourions, nos dragons mourraient aussi. Il y a beaucoup trop d’enjeux, pas seulement pour notre peuple, Ilhan. Pas seulement pour notre couple non plus. » Il insistait dessus, car ces questions dépassaient le simple statut de choix.

    Aldaron avait assez de verbe pour détourner Achroma du chemin qu’il prenait. La guerre qu’ils mèneraient contre Sélénia n’était pas seulement une guerre entre les humains et les vampires. C’était une guerre contre ces incultes et ingrats qui osaient mettre un dragon hors des murs de leur cité et qui allaient jusqu’à le mettre à mort. Et ce, en continuant d’utiliser négligemment la magie que les dits-dragons leur fournissaient. Cela ne s’arrêterait pas à Sélénia. Cela ne s’arrêterait pas tant que les tueurs de dragons commettraient leurs crimes impunément, sans justice aucune. Il veillerait à gouverner ce monde, avec Achroma, pour que ce crime suprême soit puni à sa juste valeur que qu’ils n’aient plus jamais lieu. « Je te parle d’une ère où les êtres de magie dépérissent, où la terre s’appauvrit. Un ère du passé qui va se réitérer. Tu dis avoir le cœur qui s’étreint de peur à la vue de mes ennemis… Sais-tu qui sont mes ennemis, Ilhan ? »

    Il le darda de son regard d’émeraude : « Je n’ai pas pu assister à ton mariage, mon fils, parce que l’homme qui officiait ton union tue des dragons et profère un discours de haine à leur égard. Le même discours de haine qui soulève la foule inculte et ingrate de Sélénia et qui a conduit à bannir jusqu’à Luna Kohan et son dragon hors de la maison où ils vivaient. Cela va bien plus loin qu’une simple guerre entre des humains et des vampires en quête de terres, de pouvoir et de vengeance. C’est être certain que ce monde ait encore un avenir. » Et que les Liés aient encore un endroit où vivre sans être traqués comme des bêtes mises à prix. Ses ennemis, aujourd’hui, lui reprochaient la brutalité des vampires. Ils étaient nombreux mais il avait de l’espoir, pour qu’un jour, les vampires aient une véritable place, probablement grâce à l’immaculation. Mais ce qui naissait comme haine à l’égard du Lien, ça… ça c’était monstrueux et il ne pourrait jamais survivre si tout le monde voulait sa mort.

    « Naal du Néant fait grandir le nombre de mes ennemis bien plus exponentiellement qu’Achroma. La haine contre les vampires se guérit et se raisonne. Celle qu’il fait naître en affichant le Lien et les dragons comme origine des maux dont les gens souffrent… Elle est violente, radicale et… Si les vampires étaient assez nombreux pour survivre à des guerres, nous les liés ne sommes plus que trois. Il aura fallu moins de six mois pour qu’il en tue deux des plus âgés. Donne-lui en six autres et nous n’existons plus. Il est là mon ennemi, Ilhan et il est entre les murs de ta propre cité. La guerre va venir et très rapidement car il ne nous laisse pas le choix. Pas seulement contre Sélénia alors… Pour ta vie, sauve-toi de là avant que j’y mette le feu. Tu as une merveilleuse épouse et la chance de recommencer une nouvelle histoire. D’avoir un fils et de le voir grandir. » S’il craignait qu’Ilhan prévienne Délimar de la menace ? Pas vraiment. La menace était déclarée à l’instant à l’almaréen avait dénoncé le complot vampire. Il s’était lui-même placé en ennemi.

    « Va où tu veux. Trace ton propre chemin, Autone a raison. Mais promets-moi que dès l’instant où tu apprendras que Sélénia est prise, tu te sauveras. »

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Que ce mot résonnait d’un doux écho en son esprit. Père. Que cette phrase, cet accord, empreint de douceur chantait la solennité de l’instant pour lui. Et à ces simples mots, harmonieuse litanie, l’althaïen sentit son coeur se réchauffer et un tendre sourire se dessiner.

Oui, il était d’accord sur ce point. Il y avait beaucoup trop d’enjeux. Bien souvent déjà ce genre de pensée l’avait hanté. Cette pensée qu’il était temps de se tourner vers des questions bien plus urgentes que leurs petites considérations cupides et avides de bipèdes pour un bout de territoire ou un morceau de pouvoir. Il entrevoyait alors qu’effectivement, dans les actes de son père, se trouvait peut-être aussi cette marque, cette volonté, d’aller plus loin, de voir au-delà, d’agir pour des causes plus vastes encore. La différence entre eux n’était alors pas leur but, mais leur méthode. Pour autant, ils pouvaient peut-être tout de même agir de concert, chacun à leur manière. Et retrouver un sentier commun...

Depuis quelque temps, plus encore depuis sa rencontre avec Shyven et sa discussion avec quelques dragons, il avait le sentiment que les anciennes races ne parvenaient pas à apprendre de leurs erreurs du passé et reproduisaient sans cesse les mêmes schémas. Cendrelune était-il de ceux-là ? Il espérait que tel n’était pas le cas et sincèrement il en doutait. Son père avait l’intelligence pour comprendre les lacunes des ancestrales guerres que tous s’apprêtaient à répéter, quand bien même elles visaient à éradiquer un mal déjà bien trop enraciné. Oui, il fallait éliminer cet ennemi qu’étaient les anciennes haines et les nouvelles rancoeurs. Mais là où on lui disait que le sang et le feu parviendraient à purifier ces terres, lui voulait croire qu’il y avait une autre voie. Et puisque certains empruntaient déjà les sentiers de la guerre, peut-être pouvait-il tenter un autre chemin, son chemin, avec Shyven à ses côtés ? Il n’avait rien à perdre à essayer. S’il échouait ? Il avouerait son erreur et accorderait aux guerriers de feu et de sang leur douloureuse victoire, et le fait d’avoir eu raison quant à leurs choix. Peut-être se joindrait-il ensuite à eux aussi, allez savoir. Mais s’il réussissait ? Peut-être parviendrait-il à faire ouvrir les yeux aux anciennes races sur l’urgence de la situation, sur le fait qu’il était peut-être temps de tourner une page et d’apprendre du passé pour construire un autre avenir… et que pour cela ils n'avaient peut-être pas besoin de guerre, ni de répandre le feu et le sang.

À la mention de Naal, le coeur d’Ilhan se serra. Oui, il aimait cet homme. Pour autant, il n’approuvait en rien ces actes-là. Tuer des dragons était pour lui un crime honni. Il le lui avait dit. Naal avait semblé d’ailleurs ne plus vouloir commettre une telle folie. La mort de Firindal et l’impact que cette disparition avait eu sur Orfraie Ataliel semblaient l’avoir marqué. Mais quand bien même il ne tuerait plus de dragons à l’avenir, cela n’enlevait rien à l’horreur de ces actes passés. Pour autant… Y avait-il ne serait-ce qu’une personne parmi eux tous qui n’avaient pas commis d’horreur par le passé ? Qu’ils aient eu ou non des raisons, que ce soit ou non une question de survie, ils avaient tous du sang sur les mains, et avaient tous commis des ignominies. Et si Ilhan n’approuvait pas, il avait décidé de ne pas juger. Tout comme il n’approuvait pas tous les actes de son père, mais avait décidé de ne pas les juger et de juste le prendre tel qu’il était.

Quant à savoir si la haine des vampires se guérissait et se raisonnait ? Alors qu’elle perdurait depuis des siècles ? Son coeur émettait quelques doutes. D’autant plus que, s’il comprenait bien, les vampires s’apprêtaient à attaquer Sélénia. Les humains. Et donc allaient raviver les feux de la haine et de la vengeance… Non, il en doutait. Là encore, pas tant que les anciens schémas se perpétueraient, encore et encore, guerre après guerre. Il le rejoignait toutefois quant à la fragilité de la communauté des liés, et quant à l’urgence de cette question-là. Ce n’était pas pour rien d’ailleurs qu’il était venu ici aussi.

« Va où tu veux. Trace ton propre chemin, Autone a raison. Mais promets-moi que dès l’instant où tu apprendras que Sélénia est prise, tu te sauveras. »

Si ces mots lui réchauffèrent le coeur, ils lui glacèrent le sang aussi. Il venait d’avoir l’approbation de son père de suivre sa voie, de construire son propre chemin, aux côtés d’Autone. Double bénédiction paternelle qui lui allait droit au coeur. Mais la promesse qu’il lui réclamait ensuite lui était impossible. Se sauver ? Il l’avait fait une fois, du temps du Tyran blanc, et un peu tard au point de voir nombre d’araignées mourir pour lui. Il avait alors prié pour ne plus jamais devoir "se sauver" ainsi, même si en ce temps-là rester aurait signifié la mort, alors que fuir lui avait permis ensuite de mieux agir…

Son regard se voilà alors un court instant. Il baissa les yeux sur sa tasse, en but une gorgée, puis d’un geste lent et songeur la reposa sur la petite table devant lui. Ses orbes sombres se relevèrent alors avec lenteur sur Cendrelune, avant qu’il ne lui accorde un doux sourire. Dépourvu de cet éternel rictus énigmatique qui figeait ses traits en un masque lisse et impénétrable en temps ordinaire. Non, en cet instant, douceur, tendresse, peine et tristesse l’auréolaient.

Je ne me sauverai pas, dussé-je voir l’un de mes pires cauchemars se réaliser. Là où je suis, je peux encore espérer agir. À ma manière.

Car, de tout temps, il en avait été ainsi. Fabius, les Almaréens… Il avait toujours été en apparence dans les rangs "ennemis" pour mieux temporiser, les écouter, en extraire des renseignements, mais aussi les conseiller subtilement, sournoisement, pour tenter de détourner une action trop dramatique pour le véritable camp qu’il soutenait en secret. Combien de fois avait-il ainsi déjoué certains plans funestes pour ceux qu'il défendait dans l'ombre ? Il secoua la tête pour chasser ces sinistres souvenirs. Quand bien même en ce jour il n’avait pas de camp, il agissait, encore, de la même manière. Il tentait de persuader des désastres d’une guerre et de conseiller d'autres voies. Tant qu’il le pourrait, il essaierait.

Je ne peux vous promettre cela. Car ce serait renoncer à la seule manière que j’ai, pour l’heure, de tenter de réduire vos ennemis.

Même si de manière moins drastique, et de manière bien plus lente… dans l’ombre, insidieusement. Peut-être échouerait-il. Pour tout avouer, le clan Elusis ne lui facilitait pas la tâche. Et le lien non plus.

Mais vous avez raison. Il est temps que l’on se préoccupe d’enjeux bien plus importants que ces haines ancestrales et ces guerres territoriales. Un sage m’a dit un jour que la folie résidait dans le fait de faire toujours la même chose en espérant avoir des résultats différents.

Il tairait le nom de ce sage.

J’aimerais, pour ma part, tenter une autre approche que le conflit, comme je vous l’ai déjà dit.

Il l’avait souligné à Caladon et ce qu’il avait dit précédemment ne faisait que le confirmer. Sa voie était peut-être là : tenter autre chose, construire une autre voie, pour casser les leitmotivs du passé qui chantaient sans fin.

Si les haines concernant le lien m’inquiètent, ma voix ne porte pas assez à ce sujet, et je ne sais encore comment agir de façon efficace.

Autre que ce qu’il faisait déjà en tout cas, à savoir prôner que tuer des liés ne servirait à rien, que les liés n’avaient pas choisis leur destin, et que des liés il en viendrait d’autres, quand bien même tous ceux présents seraient tués, qu’il fallait plutôt..

J’aimerais étudier le lien, en comprendre les fondements, en retracer toute l’histoire, et… possiblement… aller voir chez les chimères comment le lien agit exactement.

Oui, cela était un plan fou. Un plan qui lui semblait presque impossible. Du moins, pour lui, non lié.

Mais… je ne crois pas en avoir les moyens pour ce faire.

Du moins, pas qu’il en ait trouvés. Même si… Il commençait à soupçonner quelques pouvoirs au sein du petit chat sauvage qui avait choisi sa maisonnée. Il avait déjà eu la capacité de le transporter de rêve en rêve et il y avait rencontré Dawan qui lui avait soufflé que ce chat n’était pas un chat ordinaire. Que ce chat avait la capacité de voyager bien au-delà encore du simple monde des rêves. Un chat qui l’avait choisi… un choix qui n’était pas fait sans raison. Mais il n’était encore sûr de rien… et préférait ne pas s’avancer.

Du moins je n’ai pas réussi à élaborer de plan fiable à ce sujet. J’ai également été pas mal accaparé… notamment à réfléchir sur une autre question d’urgence, qui y est d’ailleurs liée…

À ce petit jeu de mots, il offrit un petit sourire taquin à son père.

Et sur laquelle je peux, peut-être, au moins agir.

Au moins celle-là était à sa portée. Un peu plus du moins. Même si elle n’en était pas moins de grande ampleur et serait confrontée à nombre de réticences.

J’ai beaucoup réfléchi suite aux incidents à Caladon.

Aux crimes des Brise-Sort, la cause qu’ils souhaitaient défendre surtout. Il n'avait pas oublié non plus ce qu'il avait dit à Vaea alors. Il voulait agir, d'une autre manière, et allait agir, d'une autre manière.

Je n’ai pas changé d’avis à ce sujet et souhaite réellement agir, comme je l’ai promis, mais dans un sens éducatif et préventif plutôt que purement répressif.

Il ancra ses orbes sombres dans les perles claires de son père… et commença alors à lui présenter son projet. Soutenir l’éducation magique, en un sens raisonné et raisonnable, en fondant des académies de magie partout où il serait possible, éventuellement avec l’aide de la Loge, si elle acceptait le projet et surtout si elle acceptait de tels préceptes d’usage raisonné et raisonnable, pour en assurer le côté académique. Soutenir la promulgation de lois auprès des grands dirigeants pour un usage raisonné et raisonnable de la magie, en attendant que les académies fassent leur office (car l’éducation mettrait du temps à faire son effet et ne toucherait véritablement que les générations futures… il ne pouvait attendre ce futur, ils devaient aussi agir sur le présent). Soit en proposant un Congrès pour que chacun délibère sur la question, ce qui, au vu des tensions actuelles, semblait fortement compromis, soit en envoyant des délégations, voire lui-même, auprès de ces dirigeants pour les exhorter à agir. Chercher des soutiens en ce sens pour appuyer ces deux pans du projet : plus il aurait de soutiens, plus il pourrait faire pression pour qu’on l’écoute et que les dirigeants se décident à agir, que ce soit en éducation ou en lois préventives.

Il argumenta avoir conscience que déjà nombre de choses avaient été tentées, mais que les choses tentées avaient été à l’échelle d’individus, de poignée isolée qui n’avaient alors que peu de portée de voix, qui n’étaient pas entendues, encore moins écoutées… que certes l’histoire aurait dû leur apprendre toutes ces choses déjà, mais que les bipèdes, surtout éphémères, avaient la mémoire courte… et que beaucoup n’apprenaient pas l’histoire. Que l’éducation passerait par là aussi, une éducation minimale pour tout mage à potentiel, pour qu’il sache lire, écrire, compter, mais aussi connaisse son histoire, l’histoire de la magie, et en comprenne les failles, les erreurs et les lacunes...

Mais son projet ne s’arrêterait pas là…

Ce projet serait dans l’idéal soutenu par la force d’une institution, bien plus globale, qui regrouperait le pan académique, avec la Loge éventuellement, et le pan institutionnel. Une institution forte, qui aurait alors une délégation puissante, qu’on écouterait au moins, car cette institution aurait de bons appuis solides, des conseillers experts, et surtout des soutiens nombreux sur tout l’archipel. Sa voix portera plus haut, plus fort.

Il n'était après tout pas débutant dans l'art de créer de grandes institutions aux tentacules répandues partout. La seule différence c'est que celle-là ne serait pas dans l'ombre, mais devrait briller dans la lumière.

Elle devra s'ériger en conseiller incontestable en la matière, en prophète devin aussi. Être là, pour que, à défaut qu'on l'écoute totalement, on la voit... et qu'au moment critique, quand ses oracles proférés, ignorés, auront commencé à se réaliser, on se tourne vers elle comme solution naturelle à la situation qui menace le monde entier. Et qu'on l'écoute, enfin, totalement.

Là, alors, toute la force de l'institution pourrait se mettre en place et frapper de son sceau l'avenir. Oui le projet avait un certain côté fourbe et rusé. Se poser là, répandre sa parole, conseiller, proférer et attendre, pour ensuite se révéler la seule véritable solution vers laquelle on se tournerait... naturellement. Le processus pourrait, au vu de la situation, ne pas être aussi long que son récit le laissait craindre. L'attente ne serait guère longue en soi, au vu de la situation : elle s'était déjà tant enlisée, que les conséquences n'allaient pas tarder. S'il ne trainait pas dans la création de institution, elle pourrait étendre son influence en peu de temps.

Et si là, cette voix n’est pas écoutée, alors…

Il inspira profondément.

Alors répression il y aura. Car oui je ne suis pas aveugle, je sais que répression il pourra y avoir. Mais ils auront été prévenus et la répression ne sera que la juste rétribution de leur choix, de leur volonté de ne pas écouter. Une répression elle aussi régulée et jugulée par cette institution.

Qui ne serait pas la décision d’un seul homme donc. Mais le jugement d’un tout. D’un équilibre.

Une répression… possiblement sous l’égide des Brise-Sorts de l’Edit du Dragon, s’ils le souhaitent, s’ils veulent s’intégrer à ce projet d’ensemble.

Il sentait son coeur battre chamade.

Je sais que ce projet semble fou, peut-être dérisoire et utopique pour certains, voire voué à un échec. Mais je suis persuadé qu’il vaut la peine d’être tenté. Sans demi-mesure. Votre avis sur la question m’importe beaucoup.

Son coeur ralentit quelque peu, même si ses orbes se mirent à pétiller.

Même si je sens que ce sentier m’appelle et que je dois m’y engager. J’ai déjà quelque soutien… draconique.

Au souvenir de la dragonne rose et de son grand-père, un léger sourire étira ses lèvres.

J’espérais pouvoir en trouver ici aussi. Et quand je quitterai Nevrast, je me lancerai en quête d’autres soutiens.

Il avait quelques noms en tête. Il retint la question muette qui lui brûlait les lèvres : en serez-vous ?

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    Il refusait de se sauver et pour cette fois, l’Ast fut particulièrement déçu. Il ne lui demandait pas de le suivre. Il ne lui demandait pas de commettre des actes honteux ou contre nature. Il lui réclamait de ne pas l’obliger à tuer son propre fils. Il pouvait encore espérer agir ? Il voulait bien voir ce qu’un homme carbonisé par les flammes pouvait encore faire comme action. Alors à quoi jouait-il ? Cherchait-il à placer l’affection qu’Aldaron lui portait comme moyen de dissuasion de passer à l’acte ? Désirait-il le punir en agissant stupidement et en se plaçant sur son chemin ? Et en le condamnant à tuer son enfant ? Aldaron ne lui demandait pas la lune ! Il lui réclamait de ne plus être avec ceux qu’il ne suivait pas défaut lorsque l’heure de l’attaque de Délimar sonnerait, car elle viendrait très vite : Achroma ne souhaitait pas laisser à l’Alliance l’opportunité de s’organiser, de riposter.

    L’ast secoua la tête de gauche à droite, plein de dépit. Soit. Si son fils avait le bon goût d’être idiot, il brûlerait avec les autres. Aldaron n’était plus à une déchirure près : tout son être était déjà à feu et à sang et l’althaïen se montrait tout particulièrement suicidaire ces derniers temps. Il l’écouta néanmoins jusqu’au bout même lorsqu’Ilhan lui parla de ses grands projets sur la magie. Le mutisme était à la hauteur de la colère que le vampire nouveau-né couvait en son sein. C’était une plaisanterie ? Qu’on lui dise que c’était une grossière plaisanterie… Il venait lui réclamer, encore et encore, approbation, soutien, action. Il réclamait sans cesse et ne s’arrêtait jamais, enfant pourri et gâté et qu’obtenait Aldaron de leur amitié ? Le soulageait-on ? Y avait-il un partage ? Aucun. Lorsque l’Ast lui avait réclamé de ne pas le condamner à le tuer lui-même, Ilhan avait refusé, à l’instant même, et ce, pour mieux rebondir pour lui réclamer encore ? N’était-il que ça ? Un panier de graines qui nourrissait ses petits oiseaux ?

    Il posa sur lui un regard blasé, empreint d’une fatigue et d’une déception grandissante qui l’accablait et le terrait dans ce mutisme dont il ne parvenait pas à sortir. Que pouvait-il lui dire ? Ilhan mélangeait l’urgent et le long terme, il ne comprenait pas qu’il y avait des choses immédiates, qui allaient se réaliser dans un futur très proche. Le projet protecteur de la magie était un bon projet, quoiqu’utopique et porteur d’un certain nombre de défauts, mais… Il n’avait pas sa place là et maintenant. « Tu es complétement à côté de la plaque… » finit-il par lâcher, dans un soupir désemparé. Avait-il fait un tour à Nevrast ? La ville avait été rebâtie aux frais du Marché Noir, mais la dette de ce peuple l’étouffait un peu plus chaque jour, indépendamment de leurs actions. Les vampires allaient mourir, ou se rebeller et attaquer aveuglément. Parce que personne ne les aidait et il n’y avait rien que le pacifisme et les belles idées utopiques de l’althaien aient fait depuis un an. Ils étaient à l’agonie, au bord du gouffre : soit ils sautaient et mouraient, soit ils se retournaient et mordaient.

    La seule chose que pouvait faire un Prince Noir à ce jour, c’était de canaliser ce flux quelque part, pour que tout ne parte pas à volo. Il y avait urgence depuis près d’un an et il n’y avait rien qui n’a été fait. Son hypocrisie de politicien à vouloir toujours ‘tenter une autre approche que le conflit’ et à faire des leçons de morale que lui-même n’écoutait pas m’agaçaient le vampire au plus haut point. La folie résidait dans le fait de faire toujours la même chose en espérant avoir des résultats différents, disait-il. Plutôt que de bassiner l’antique avec, il aurait dû se l’appliquer à lui-même, car pour l’heure, Aldaron n’avait face à lui qu’un homme qui s’attachait mordicus à une solution pacifique, qui échouait et qui réitérait en espérant avoir des résultats différents. Et il osait lui faire cette leçon ?

    Il n’y avait plus rien à sauver. C’était trop tard. Aldaron lui parlait de protéger la magie du monde, qu’il allait le faire en menant cette guerre, et que faisait son fils ? Il lui parlait de cette solution pour la magie… Mais sans guerre ? La même guerre qu’Aldaron lui signalait être toute proche ? L’écoutait-il seulement un peu pour lui proposer un projet de cohabitation et d’accords quand le monde se déchirait ? Les vampires avaient sonné l’alarme, il y avait un an. Ils avaient dit être un peuple affaibli, en colère. Ils avaient dit avoir besoin d’aide. Ils avaient dit avoir besoin d’une solution pérenne. Ils avaient essayé la solution pacifique, pour faire différemment, ils s’étaient rapprochés de ceux qui voulaient bien d’eux. Ils avaient accepté de servir les Séléniens en croyant que cela finirait par les sauver de façon pacifique mais plus le temps passait et plus les promesses leur semblaient lointaines alors que la corde leur enserrait le cou. Où était-il ? Ilhan et tes belles idées de paix ? Où était-il quand Naal du Néant avait tué deux dragons et que personne ne lui avait réclamé justice ?

    Pourquoi le peuple vampirique payait pour les agissements du Marché Noir à Sélénia et pour l’assassinat de l’archonte et pas Naal du Néant ? Des lois n’avaient pas tardé à les exclure et les repousser pour notre crime. Soit, ils étaient punis. Pourquoi lui et ses tueurs de dragon n’avaient rien ? Il n’y avait aucune justice alors Aldaron viendrait la chercher. Il secoua la tête, tâchant de se calmer. « Il n’est plus l’heure des projets sur le long terme… Ton projet… Je l’ai déjà promis à Vaea, et sans les problèmes liés à l’idée de devoir placer en une entité tierce des pouvoirs décisionnels et punitifs. Je le mettrai en place lorsque je ne serai plus en train de mourir. Tu tires sur la manche d'un agonisant Ilhan, c'est un peu déplacé. »

    Il marqua une pause, perplexe : « Nous sommes dans un monde déchiré, avec des peuples scarifiés. Comment peux-tu imaginer une seule seconde qu’il puisse être possible de s’unir, de laisser à d’autres des pouvoirs décisionnels et punitifs… Quand nous avons dû nous battre contre les chimères, tous ensemble pour notre avenir, les navires de la Sélénienne Harrington tiraient sur les navires pirates, en toute déraison, pour régler des affaires personnelles. Les navires de Niko Svenn se moquaient bien de tirer sur les navires chimères ou pirates. Nous sommes incapables de travailler ensemble. Qui dirigerait cela ? Comment leur donner une légitimité ? Comment un Prince Vampirique pourrait courber l’échine devant d’autres pour des décisions ? Ou même les pirates ? Qui laisseraient Vaea et les siens, qui m’ont prêté personnellement allégeance, moi vampire et dragonnier, punir les défaillances dans d’autres peuplades ? Cette entité ferait-elle justice des actes commis contre le monde et la magie de Naal du Néant ? Lorsque nous auront, avec Achroma, unis les peuples sous un empire, ces questions ne seront plus un problème. Nous ferons les lois, prendrons les décisions et punirons les défaillances. Les tueurs de dragons seront condamnés à mort. Sans exception. »

    Il haussa les épaules : « C’est utopique, oui. Dans un autre monde que le nôtre, nous aurions pu rêver à un tel consensus, mais ici ? Toi-même, tu ne trouves ta place nulle part tant les agissements d’un peuple ou d’un autre ne te conviennent guère. » Il marqua une pause pour chercher ses mots, avant d’ajouter : « Cela n’engage que moi mais… Si j’étais Prince Noir, à la place d’Achroma, je ne pourrais pas adhérer à ton projet, même si je le voulais. Ici, la loi du plus fort exige que celui qui mène les vampires soit incontestablement soumis à rien ni personne qu’à ses propres décisions. » Il aurait d’ailleurs fallu qu’il quitte la confrérie afin qu’on ne l’accuse jamais d’être un sbire soumis de Nathaniel. « Avec Vaea, nous mettons en place des lois et nous les ferons respecter, à notre manière… Je dirais que les vampires seront le moindre de tes soucis. Tu auras bien plus à faire avec les Séléniens et avec ta propre cité de tueurs de dragons, si tant est qu’ils existent encore dans quelques mois. En fait, si tu veux mon avis… Fais le ménage devant ta porte, avant de demander aux autres d’en faire de même. Je crois que si justice était véritablement faite à Délimar, cela donnerait du crédit à tes mots. A ton projet. Pour le moment, que tu viennes parler de cela avec des criminels sous ton toit, ce n’est pas ce que j’appellerai de la communication efficace. »

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S’il était à côté de la plaque ? Ilhan ne se départit pas de son calme à cette réponse. Peut-être l’était-il. Mais selon lui, il était plutôt à côté du monde. C’était une sensation qu’il avait toujours eue, avant même sa transformation. Sa vampirisation et son immaculation n’avaient fait que renforcer cette impression en le laissant à nu devant ce monde de toute beauté et de toute violence.

Un sentiment de décalage constant, d’être dans un monde dans lequel il n’avait pas sa place, d’être dans un lieu dans lequel il n’était pas à sa place. Toujours dans un entre-deux, un déchirement. L’incompréhension des autres avait été son lot, et ce dès son enfance. Quand adulte, lui althaïen avait émis le vœu de voyager et de monter à Gloria… Ce n’était guère typique de sa cité. Quand il évoquait ses idées, elles n’étaient aux yeux des autres que folles utopies… Peu avaient cru que la Toile serait possible. Et pourtant elle avait réussi à naitre et à grandir, à prendre sa part dans l’histoire même si dans l’ombre.

Oui, il était à côté du monde. À côté de son temps. Il regardait sans cesse dans l’avenir, tentait déjà d’en dessiner les contours, alors même que le présent n’était pas fini. Mais après tout, chaque jour était le passé de demain et le futur d’hier… La notion de temps était finalement si floue… Pour autant il ne niait pas le passé, bien au contraire. Il lui arrivait souvent de le sonder pour tenter d’en tirer des leçons. Quand il ne se laissait pas à plonger dans sa nostalgie romantique… Mais toujours dans le but de voir ensuite l’avenir pour mieux tenter de le forger.

Et cette sensation ne s’était que renforcée encore depuis la rencontre avec son chat. Était-ce pour cela que Olorëa l’avait choisi ? Peut-être. Peut-être que son inclinaison aux rêves et aux utopies était le lien qui les unissait. Et voyager dans les mondes n’arrangeait en rien son décalage avec le sien propre. Mais après tout… pourquoi devrait-il le renier ? Ne devait-il pas au contraire l’accepter ainsi ? Il avait toujours essayé de se plier aux bienséances du monde, s’était changé en caméléon pour satisfaire les désirata de la société, pour faire bonne figure… et avait tu ses propres aspirations, même s’il avait tenté de les mener par ailleurs… dans l’ombre. Et dans le secret des tréfonds de son coeur. Mais Autone avait peut-être raison, peut-être devait-il accepter tout cela, ce qui faisait de lui ce qu’il était profondément, quand bien même aux yeux des autres il n’était qu’un fou utopique, pour avancer sur le chemin qui lui était destiné ?

Il ne répondit donc pas à cette phrase et se contenta d’écouter la colère de son père. Oui, colère. La voix, le ton, les mots étaient calmes. Mais il sentait bien cette lave bouillonner en lui. Et il pouvait le comprendre, en un sens. Finalement ils ne parlaient pas la même langue, ils ne parlaient pas du même sujet, du même temps, et ne parvenaient pas à accorder leurss notes sur une même symphonie. Lui se projetait trop en avant quand son père était préoccupé par l’immédiat présent. Un immédiat présent, qui, après tout, était son devoir. Un immédiat présent qu’Ilhan avait décidé de lâcher, pour l’heure, n’ayant aucune prise sur lui. Oui, la guerre entre Sélénia et les vampires était sans doute imminente, il l’avait bien compris. Il avait eu vent des promesses vociférées par Claudius, qui avait signé là l’inéluctable. Mais il ne pouvait rien y faire. Peut-être parviendrait-il à éviter que Delimar ne s’en mêle… et encore ce n’était pas dit. Il y avait de fortes chances que cette guerre se tourne ensuite sur le reste de Calastin, et peut-être seule Caladon serait épargnée. Et encore faudrait-il que la bourgmestre Ostiz retrouve ses esprits… Oui, il voyait bien cela. Mais cet immédiat, il n’y pouvait plus rien. Tous avaient déjà fait leur choix et avaient décidé. Il ne lui restait que le après…

Selon lui toutefois, leurs plans n’étaient pas si antagonistes que cela. Après tout, comme l’avait souligné Shyven, leur monde avait toujours fonctionné ainsi. Il lui fallait toujours passer par les cases "guerre" et "catastrophe" pour que le grand échiquier bouge enfin de façon adaptée pour qu’un plan de l’équilibre puisse se réaliser. Il entendait encore les mots de la dragonne Shyven alors… laisser le flot des catastrophes se dérouler, le chaos se jouer, et construire de son côté, pour retrouver un meilleur équilibre, et quand l’heure viendrait… quand l’heure viendrait…

Il ne pouvait alors que se projeter sur cette heure lointaine, sur cet équilibre à construire. Il n’avait plus que cela. Une vision plus large, que l’immédiat. C’était tout ce sur quoi il avait prise, pour l’heure. Le reste se jouait déjà. Tout ce qu’il disait, c’est qu’il souhaitait, pour cet après, trouver une autre solution que les guerres éternelles qui les avaient si souvent rongées. Mais il n’avait pas choisi le bon moment. Trop tôt ou trop tard, en tout cas ce n’était plus le moment. Peut-être reviendrait-il… un jour.

Quand il entendit qu’Aldaron avait déjà prévu de mettre en place des mesures concernant la magie une fois qu’il le pourrait, une fois que la guerre serait finie et qu’il y aurait survécu, traduisit Ilhan à part lui, l’althaïen se contenta de hocher la tête. Au final, Aldaron venait de lui donner sa réponse. Il trouvait son projet certes utopique, déplacé et malvenu en ces heures tendues, mais il y avait pensé lui aussi. Il avait, mine de rien, malgré ce qu’il décriait, fait des projets sur le long terme aussi, pour y avoir songé. Et ce qu’il disait rejoignait alors une partie de ce que proposait Ilhan. Puisqu’une part de son projet consistait justement à convaincre les dirigeants de chaque faction importante de prendre des mesures quant à la magie. Et si les vampires étaient les seuls à en prendre ? Et bien, ils seraient alors montrés en exemple. Cela ne pourrait au final que redorer leur blason et donner une leçon bien amère aux autres peuples qui, en aveugles qu’ils étaient, auraient refusé par ailleurs.

Même si toutes les phases de son projet n’étaient peut-être pas comprises, Aldaron en réalisait toutefois une des premières étapes, et c’était suffisant pour Ilhan qui, fort de ce savoir, pourrait alors  montrer que les vampires avaient été plus ouverts sur le sujet que certains autres peuples. Le projet de s’unir (et encore, ile ne parlait pas d’unir des peuples, mais des personnalités ayant une même volonté quant à la magie) ou de créer une institution décisionnelle était une étape bien plus lointaine, il le savait. Mais s’il ne commençait pas à y travailler, là, maintenant, quand bien même les guerres les frappaient de leur fouet de toute part, il ne parviendrait jamais à rien. Sa Toile ne s’était pas construire en un jour, par expérience il savait qu’il en serait de même avec ce projet. Toutes les questions qu’Aldaron posait n’étaient pas dénuées de sens, mais c’était justement en travaillant à ces questions maintenant qu’il trouverait les questions plus tard. Il avait mis plus d’un an pour un projet d’abolition d’esclavage et pour tout doucement que les humains voient les Graärh autrement que comme des animaux échappant à leur loi d’humains. Ce projet-ci demanderait tout autant, voire plus. Ce ne serait pas des peuples qui s’uniraient, mais des personnalités fortes représentant des peuples qui forgeraient les bases de ce projet. Les peuples suivraient alors ces personnalités en qui ils croyaient, à défaut de croire à l’institution elle-même. Et si ces personnalités disaient croire à l’institution, croire en Vaea ou en toute autre personne qui se serait associée au projet, alors les peuples auraient tendance à au moins écouter. Qu’advienne un autre épisode de chaos extrême, que l’institution fasse ses preuves, et alors elle gagnerait sa légitimité. Il ne demandait pas aux Princes, aux Empereurs, Bourgmestres, ou qu’importe le titre de dirigeant, de se plier et de courber l’échine, mais d’écouter et de se joindre au projet, de prêter leur voix pour la cause, de participer à sa création pour y avoir part. Il leur proposait de faire partie intégrante du projet, eux ou un de leur représentant de confiance, une personnalité respectée qui serait écoutée.

Il laissa toutefois Aldaron finir, et écouta avec attention. En effet, les vampires seront le moindre de ses soucis, et c’était déjà un grand point d’obtenu, une assurance pour l’avenir.

Je vous remercie d’avoir accepté de me révéler vos projets à ce sujet, fit-il enfin, d’un ton calme et posé, dénué de toute émotion. Effectivement je serai au moins assuré qu’au sein du peuple vampire, la première part du projet sera déjà en marche. Pour l’autre part… il n’est pas question de se soumettre, il n’est pas question de se plier à une autorité suprême… mais plutôt d’y prendre part. De la créer. Mais soit, j’entends vos questions et objections. Et j’en prendrai compte.

Du moins y réfléchirait-il. Mais il continuerait en tout cas cette première démarche auprès d’autres personnes en lien étroit avec la magie ou à haute responsabilité dans les autres peuples et factions. Si ne serait-ce que cette première partie, qui était de faire accepter à chaque faction de prendre des mesures pour protéger la magie, portait ses fruits, ce serait toujours ça de gagner.

Quant à balayer devant sa porte… Oui Naal devrait payer pour ses actes. Quelque part, il avait déjà payé son tribut face à la colère du dragon de l’Ire. La justice humaine devait-elle s’en mêler ? Possiblement. Mais au final Delimar n’avait que faire que les dragons disparaissent, que la magie décline. Delimar souhaitait qu’on ne fasse pas un usage déraisonné de la magie, pas forcément pour la protéger toutefois… C’était là la différence dans son discours. Et peut-être était-ce aussi une part de ce qui avait fait déserter Vaea. Pouvait-il alors imposer une justice à Delimar ? Ce n’était pas lui qui faisait les lois en cette cité, il n’avait aucune prise sur de possibles réprimandes envers un citoyen. D’ailleurs… il avait beau être conseiller, il n’était toujours pas citoyen de sa cité ! Il avait lui-même été l’objet de réprimandes. Il n’avait sur ces questions-là aucune prise. Et pour tout avouer, il y avait aussi d’autres crimes contre la magie qui se jouait parmi les vampires. Des lois contre la magie seraient adoptées, certes, mais qu’en serait-il du caractère joueur d’Achroma quand il était question de magie ? Serait-il lui aussi assujetti à ces lois ? Achroma qui avait usé de la magie en dépit des lois de la vie pour ressusciter Vaea par exemple ? Vaea qui ne s’était pas récrié contre cet usage de la magie… le jugeait-il raisonnable et raisonné, parce que cela lui permettait alors de rester en vie et de continuer son œuvre ? Cela montrait, comme Shyven l’avait soulevé, que tout n’était que question de perspective, et que ce qui était raisonnable pour l’un ne l’était pas pour l’autre. Les lois vampiriques contre la magie pourraient perdre aussi tout crédit si leur Prince Noir ne pouvait montrer l’exemple.

Et Ilhan ne put retenir la pensée qu’il aurait maintes fois préféré voir Aldaron en Prince Noir plutôt que son époux. Cette pensée ne le traversait pas pour la première fois. Tant et si bien qu’il s’en fustigea mentalement et baissa un court instant les yeux. Il inspira calmement, laissant un court silence flotter, et retint ses questions et ses sombres pensées.

Nos projets ne sont peut-être pas totalement incompatibles, au final, reprit-il enfin en relevant les yeux.

Brillait dans ses orbes noirs une détermination avivée, qui le faisait pétiller de mille étoiles d’or.

Tous les avis me sont importants.

Pourraient-ils tous les incorporer, et surtout les satisfaire ? Il en doutait, mais il tenterait réellement de réfléchir aux problèmes soulevés.

Il sentait toutefois la tension latente, et savait avoir blessé, déçu, encore une fois, son père. S’il semblait difficile d’avancer plus sur ce sujet de projet, il y en avait un qu’il pouvait tenter de clarifier. Un tant soit peu du moins. Ce fut alors d’une voix toujours aussi calme, mais presque sourde, aux accents graves et profonds, qu’il reprit :

Vous disiez tout à l’heure que je suis à côté de la plaque… Je crois que vous vous trompiez.

Il émit un doux sourire, se teintant légèrement de taquinerie… et surtout d’autodérision.

Je crois que je suis à côté de ce monde.

Et cette fois son sourire s’estompa et il laissa enfin son visage exprimer son ressenti. À savoir une profonde tristesse et une terrible perdition.

J’ai l’impression de n’en avoir jamais fait totalement partie, de n’avoir jamais été réellement chez moi où que ce soit. Pas même en mon Althaïa si chérie.

S’il le regrettait ? Une part de lui oui.

Ici, en ces lieux, pour la première fois, j’ai ressenti une certaine paix, une certaine appartenance. Pour autant… je reste encore en décalage. Comme si… comme si…

Comme si quoi ?

Comme si j’appartenais à un autre monde, ajouta-t-il en un murmure à peine audible. J’ai rencontré une créature il y a peu. Elle s’appelle Olorëa. Et semble détenir la capacité de voyager… à travers les mondes. Le monde du rêve… mais également d’autres mondes… comme des mondes… des mondes parallèles.

Il n’aurait su les décrire autrement.

J’ai pour l’instant entrepris peu de voyages avec elle, mais… avec elle, je me sens moi. Est-ce pour cela que cette créature farouche m’a choisi ? Je ne sais pas. Mais… peut-être que je n’appartiens pas vraiment à ce monde, pas vraiment à ce temps… que je n’appartiens pas vraiment à une faction…

Et c’était là tout son problème.

Je sais vous avoir peiné tout à l’heure, et j’en suis affligé. Mes réponses ne vous satisfont pas, mes choix et mes décisions n’ont plus. Je sais que je ne serai jamais un digne fils Elusis. Je puis en tout cas vous promettre de clarifier certains pans de ma vie. Il me faudra faire un choix, un jour, je le sais. Et mon mariage avec Dame Falkire devrait vous susurrer quel choix il sera…

Celui de sa femme, à tout le moins. Et étant liée à Aldaron…

Mais pour ce faire, du temps est encore nécessaire. Je nourris l’espoir, sans doute faux espoir, de pouvoir encore poser quelques pierres… avant de devoir faire ce choix. Et… partir.

Car oui, il le savait, le sentait, étant mariée à une caladonnienne, et qui plus est à une caladonnienne liée aux vampires (et au Marché Noir) de près, rester à Delimar serait de plus en plus compliqué. Pour l’instant, tolérance était accordée, mais jusqu’à quand ? Et partir pour où ? Sans doute, suivre sa famille. Mais pour l’heure tous deux restaient conseillers, et tant qu’il n’y aurait pas conflit d’intérêts…

Je vous présente toutes mes excuses pour vous affliger de la sorte sans cesse. J’espère un jour ne plus être cette déception et cette peine.

Il inspira profondément, puis ajouta rapidement, sur un ton plus bas encore :

Olorëa est un peu farouche. Mais si un jour vous avez besoin, ou si le coeur vous en dit, je peux l’envoyer en mission pour vous…

Ou nous pouvons voir pour un voyage tous deux, rajouta-t-il pour lui-même, même s’il le pensa fortement, retenant sa langue, sachant son père bien trop préoccupé par d'autres urgences présentes pour un quelconque voyage.

descriptionAu nom du Père et du Fils [PV Aldaron] EmptyRe: Au nom du Père et du Fils [PV Aldaron]

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    Il n’était pas question de se soumettre ? Comme il était drôle et candide. Même s’il y prenait part, même s’il la créait, il ne serait pas seul. Il ne serait pas le seul dont l’avis serait écouté. Et si la majorité de cette assemblée refusait une marche à suivre, une hypothèse, une crainte que l’Ast formulerait, la jugeant extrême ou paranoïaque, pourrait-il faire cavalier seul ? Pourrait-il empêcher les autres de faire ce qu’il voyait comme un danger ? Non, ils seraient tous obligés de se soumettre à leur stupidité. Car aux yeux du dragonnier, il était indéniable que les autres étaient tous profondément stupides. Ils tuaient des dragons et prenaient pour empereur à acclamer un homme qui avait tué dragons et dragonniers. Les Caladonniens ne croyaient qu’en l’argent et la rentabilité. Les graärhs ne connaissaient rien à leur magie. Ilhan pouvait utiliser les mots et les acteurs qu’il souhaitait, pour arrondir les angles : il n’en demeurait pas moins vrai que si la majorité de cette assemblait voulait décider pour le peuple vampirique, ou voulait lui infliger quelques sanction, il ne pourrait que s’y plier, suivre l’avis majoritaire. Quand bien même leur choix pourrait être un jour parfaitement stupide. Et si ça ne s’appelait pas ‘se soumettre’ aux yeux d’Ilhan, il ne pouvait plus rien faire pour son pauvre fils. Participer à un projet ne signifiait pas en avoir le parfait contrôle et c’était le parfait contrôle que devait posséder un Prince Noir. L’avis et les choix des autres, il pouvait les entendre, les écouter. Mais en rien jamais ils ne devaient s’imposer à un Prince Noir.

    « Tu n’es pas un vampire Ilhan, tu ne peux pas comprendre ce que signifie véritablement qu’être Prince Noir. » Et par ‘vampire’, il n’entendait pas la race, mais le peuple avec toutes ses mœurs. Il ne vivait pas parmi eux. « C’est être en pleine possession de ses choix, en pleine capacité de ses actes, sans dépendre de qui que ce soit, sans devoir se ranger à l’avis de qui que ce soit. Une assemblée, c’est un engagement, une promesse. Et une promesse est par définition une entrave. Bien sûr elle n’est pas que cela, et assurément que cela est une forme d’espoir ou de tendresse. Mais cela n’est pas cela qui fait battre le cœur des vampires. Nous sommes un peuple prisonnier d’une malédiction. Nous voulons la liberté et la liberté ne se trouve pas dans les entraves, les concessions et les alliances. Il est fini le temps où je cherchais la paix et la conciliation. » Morneflamme lui avait volé cette innocence qu’Ilhan portait encore en son sein. « Ils ne seront pas capables d’accepter que les vampires puissent être des exemples. » Par orgueil, par haine. Par colère. C’était une fatalité à laquelle Aldaron s’était habitué et Ilhan devrait aussi faire avec. On n’admirait pas les vampires. On les craignait et on les humiliait. Il n’avait pas plus de mots pour expliquer cela et si Ilhan désirait pointer du doigt les vampires comme étant exemplaires dans l’usage de la magie, il desservirait son projet plus qu’autre chose et Aldaron tenait à le prévenir de ce faux pas si son fils désirait marcher dans cette direction. N’était-ce pas son devoir de père que de lui montrer les précipices pour qu’il les évite ?

    Lui, il avait fini par accepter que les vampires ne soient jamais considérés comme des égaux. Il le comprenait, aussi. Il ne faisait pas que blâmer ces peuples ingrats : ils savaient comme les vampires les avaient meurtris et pas seulement pour survivre. Leur place était ainsi et il doutait qu’elle change un jour. Ou du moins, pas dans les cinquante prochaines années. Il l’écouta, silencieux, lorsqu’Ilhan lui signala être à côté de ce monde. La tendresse qu’il éprouvait à son égard ne pouvait d’être peiné face à de tels mots. Trouver sa place n’était pas aisé et lui-même avait vécu un siècle chez les elfes puis tant chez les humains sans trouver une place à lui. Ce n’était que chez les vampires, chez les maudits et les rejetés qu’il avait finalement trouvé où était sa maison. Ici vivaient les égarés. Ceux qui n’avaient pas d’autre place que celle de monstre. Il avait accepté d’être le monstre que Morneflamme lui avait révélé. Cette bête qui sommeillait en chacun, même le plus doux baptistrel. Il y avait ceux qui acceptaient de le voir et ceux qui se voilaient la face en s’accrochant à des idéaux niais. Il était un désillusionné et peut-être qu’Ilhan commençait à comprendre cela aussi et il devrait faire son propre chemin également. Et ses propres choix. Son fils n’était pas un enfant stupide. Il savait que l’heure viendrait. Quant à ce chat ? L’ast trouvait doux qu’il puisse avoir une partenaire, dans son égarement. « Ou nous pouvons voir pour un voyage tout deux. » finit-il par murmurer après avoir entendu ses mots inconsciemment et les avoir approuvés. Un part de lui avait besoin de se changer les idées : se focaliser sur la guerre à venir le rendait particulièrement irascible.

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