20 novembre 1763

Demens marchait d’un bon pas depuis déjà une heure, dissimulé par sa cape de l’Océan et sa sphère enténébrée. Puisque la plus grande partie de la surveillance était concentrée sur les Ékkinopyres, il avait été en mesure de quitter le campement du Bureau d’Étude Botanique sans trop de difficulté et, par mesure de sécurité, avait préféré rester camouflé durant tout son trajet. Il avait rejoint un petit bosquet comme il s’en trouvait un peu partout dans la grande plaine et, après avoir étudié un peu plus les environs, passa à l’action.

Laissant tomber son camouflage magique, l’Alchimiste s’accroupit et colla ses mains au sol en fermant les yeux. Sous sa tunique, la Pierre Philosophale se mit à luire avec vigueur et des craquelures lumineuses apparurent sur le sol. Lentement, l’Humain s’enfonça dans la terre dans un tunnel vertical circulaire mais tout de même étroit. À environ huit mètres de profondeur, il cessa et se redressa pour coller ses mains sur la paroi devant lui. À nouveau, il usa de la Pierre, cette fois pour avancer tout droit. Après cinq mètres, il fit un quart de tour vers la gauche et répéta la manœuvre à deux autres reprises, ce qui lui permit de retrouver son point de départ tout en formant un carré parfait.  De là, il élimina toute la terre qui demeurait au centre tout en ajoutant ponctuellement des colonnes de pierre afin de supporter le plafond. Pour finir, il vaporisa une bonne couche de terre au-dessus de sa tête, créant en bout de ligne une salle carrée dont les murs étaient longs de cinq mètres et hauts de presque trois.

Enfin, il retourna au trou d’entrée et modela magiquement la paroi pour créer une échelle de pierre dont il usa pour remonter à la surface. Un coup d’œil dans le ciel étoilé laissa savoir au Cafard qu’il avait bien évalué son temps. Il allait pouvoir retourner au camp et prendre un moment de repos avant le lever du Soleil. Bien entendu, il n’allait pas laisser accessible la cavité qu’il venait de créer et, usant à nouveau de la Pierre, boucha le trou jusqu’à une profondeur de deux mètres avant de rentrer.

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23 novembre 1763

À nouveau, il avait quitté le camp en toute discrétion et au bout d’une heure, il atteignit le même bosquet que précédemment sous lequel il s’enfonça pour retrouver la salle forgée quelques jours plus tôt. Ce soir, il avait un nouvel objectif : glypher les lieux afin de rendre l’atelier clandestin aussi discret que possible, mais également pratique.

Le premier glyphe qui fut apposé servait à éloigner les visiteurs, car bien qu’il pût boucher l’entrée à volonté par le pouvoir que lui octroyait la Pierre, il n’en demeurait pas moins que n’importe qui pouvait passer par-là et contraindre toute discrétion. Il s’agissait d’un effet mental très léger qui désintéressait les gens du bosquet d’une manière ou d’une autre. Un vagabond n’y verrait pas un lieu adéquat à passer la nuit tout comme un voyageur aguerri serait porté à chercher un lieu qui offrirait un meilleur couvert.

Les glyphes suivant vinrent assurer la solidité des parois et des colonnes de pierres. La dernière chose dont le Cafard avait besoin est que ce laboratoire s’écroule sur lui-même et répande sans le sol des produits alchimiques au potentiel inconnu. Si le risque que quelque chose du genre était mince, il existait tout de même, aussi valait-il mieux prévenir le coup.

Aux glyphes de solidité des parois et du plafond s’ajoutèrent des glyphes d’insonorisation, encore une fois pour éviter d’attirer l’attention d’oreilles trop sensibles qui pourraient venir à passer. Demens lui-même ne savait pas encore exactement de quelle nature seraient ses expérimentations, mais il planifiait néanmoins utiliser certains outils et matériaux qui produiraient des sons on ne peut plus hors norme pour un simple bosquet.

Grâce à la Pierre, il forma une cavité supplémentaire dans l’un des murs et la glypha pour que toute la fumée et la chaleur qui s’échapperait du feu à venir soit reconvertie en énergie magique pour nourrir les autre glyphes, s’assurant du même coup que l’atelier soit magiquement autonome dans une certaine mesure. En d’autres circonstances, une cheminée classique aurait pu faire le travail tout aussi bien, mais la moindre colonne de fumée serait visible à des kilomètres à la ronde sur le plateau.

Comme lors de la création de la salle, l’Alchimiste travailla à une cadence soutenue pour perdre le moins de temps possible sans pour autant bâcler son travail. Lorsque le tout fut complété, il ressorti dehors et glypha finalement l’entrée afin qu’elle ne s’ouvre que pour lui. Certes un mage suffisamment puissant pourrait venir à bout de toutes ses précautions, mais encore fallait-il que ce mage se donne la peine de venir ici et pour l’heure, la majorité d’entre eux étaient occupés à appuyer le Bureau d’Étude Botanique à contenir les fleurs, sinon ils étaient assez loin qu’ils ne représentaient pas un risque suffisant pour en tenir compte.

Son ouvrage complété, Demens retourna sur ses pas afin de retrouver sa tente au sein du camp pour s’y reposer durant les dernières heures de la nuit

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25 novembre 1763

Cette nuit était a priori la dernière avant que le Cafard puisse proprement utiliser l’atelier. Maintenant que la salle était construite et glyphée, il restait à l’aménager. Il récupéra donc plusieurs branches mortes qui se trouvaient dans le bosquet et autour de celui-ci et s’en servit pour modeler une longue et solide table qu’il plaça au centre de la pièce. Autour, il utilisa la terre et la pierre déjà présente pour créer des surfaces de travail additionnelle, ainsi que des étagères, des crochets, des grilles, bref, tout ce dont il savait qu’il aurait besoin. Il transmuta plusieurs pierres en verre afin de les modeler en récipients variés et créa des supports pour ceux-ci de la même manière. Au fil des heures, l’atelier clandestin prit forme, jusqu’à ressembler à un mélange entre celui que Demens avait à Athgalan et celui qu’il s’était construit il y a plusieurs années dans ce petit village d’Ambarhùna où tout avait commencé pour lui. Il ne lui resterait plus qu’à y apporter tous les éléments dont il allait avoir besoin pour expérimenter.

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28 novembre 1763

En venant sur Calastin, Demens avait transporté dans sa sacoche magique des éléments qu’il jugeait trop rares pour laisser derrière. Ainsi, les quelques restant de Karapt récupérés plusieurs mois plutôt, le sang de Rog et son bras momifié, de même que plusieurs autres éléments hors de l’ordinaire furent entreposés dans des endroits prévus pour eux. À ceux-ci s’ajoutaient des morceaux d’Ékkinopyres et de la sève subtilisée du laboratoire alchimique du camp, des items qui étaient désormais en si grande quantité que la disparition de quelques-uns n’allait être remarquée par personne, de même que des morceaux de Golems ainsi que la soie qu’une araignée géante lui avait tirée dessus tandis qu’il se sauvait des souterrains avec les autres membres de l’expédition. Contrairement aux nuits précédentes, cette mise en place fut plus rapide et il passa quelques heures à analyser la soie de même que les morceaux d’Ékkinopyres, cette fois en usant de méthodes qu’il ne pouvait se permettre d’utiliser au sein du Bureau sans attirer la suspicion.

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1er décembre 1763 au 10 janvier 1764

Durant tout le mois de décembre, de même que le début du mois de janvier, Demens se rendit à son atelier clandestin pratiquement toutes les nuits, sauf lorsqu’il y avait des célébrations auxquelles sont absence serait remarquée, sinon des rencontres auxquelles il se devait d’assister.

Et chaque nuit où il était présent dans son atelier, l’homme de science s’affairait à créer un golem artificiel de nature purement alchimique. Il se doutait bien que, comme pour toute chose dans son domaine, la tâche n’allait pas être facile, mais il avait un atout majeur qu’aucun autre alchimiste n’avait pu encore créer à ce jour : sans qu’il sache vraiment l’expliquer, la Pierre Philosophale lui fournissait des idées qui fonctionnaient rapidement, comme si cette dernière comprenait ce que recherchait son créateur. Le Cafard n’avait toujours pas réussi à se rappeler comment il en était venu à créer l’item et à chaque fois qu’il avait essayé de s’en souvenir, rien ne lui venait en tête, sinon une puissante salve d’énergie qui avait balayé son corps et son atelier entier. Arakjörn lui-même avait mentionné à quel point l’explosion de magie avait secoué la trame, mais même sous l’influence d’une potion de Puissance de la Trame, le nain n’avait pu percevoir autre chose par après.

Quoi qu’il en soit, l’Alchimiste avait su se familiariser avec la Pierre, comme le prouvait l’atelier créé en dedans d’une semaine, et sentait qu’il était sur le point d’en comprendre davantage à son sujet s’il avait du succès dans ses expérimentations du moment. À un moment, il avait trouvé un minuscule golem mort dans lequel il avait glissé la Pierre Philosophale en guise de cristal de magie et le petit être s’était animé un court instant avant d’être consumé par la puissance qui le nourrissait. Que manquait-il pour qu’une créature artificielle s’anime adéquatement?

La solution lui vint par le plus pur des hasards, lorsqu’un convoie de ravitaillement vint au camp. L’un des hommes qui en faisait parti était venu le voir pour lui demander conseil. Il disait avoir trouvé accidentellement un orbe qui chuchotait des choses et aussitôt, Demens su qu’il s’agissait là d’un orbe de conscience. Comment ce simple marchand avait-il pu trouver un tel objet par hasard? Peu lui importait, puisque dans son manque de savoir, l’homme ne réalisait pas la puissance véritable de l’orbe. L’homme de science su le convaincre de le lui donner, moyennant une quantité appréciable de pièces d’or pour acheter son silence et la nuit du 10 janvier 1764, il en fit usage.

S’il avait d’abord voulu créer une silhouette humanoïde, le Cafard c’était replié par la suite vers quelque chose de plus utilitaire, optant pour une forme plus proche du reptile. Ses os avaient été obtenus en liant la poudre de karapt à un acier alchimique déjà très résistant au départ, tandis que son sang provenait de celui de Rog, de Demens et de la sève d’Ékkinopyre qui avaient bouillis ensemble sur un feu de mercure et d’or et d’argent. La peau avait été cousu en filant la soie d’araignée et en rapiéçant la peau momifiée du bras de Rog et les fibres solides des fleurs carnivores. D’autres éléments, issus de quelques créatures des marais ou de l’île du croissant complétaient le corps inerte au cœur duquel l’Alchimiste plaça la Pierre Philosophale avait d’incruster l’ordre de conscience là où se trouverait le cerveau.

Enfin, l’impossible se produisit. La puissance de la Pierre et de l’orbe combinées ensemble insufflèrent dans cette véritable courtepointe de matière un semblant de vie, mais les éléments qui la constituait furent complètement métamorphosés pour créer des muscles, des os, des organes et de la peau, tous à la fois artificiels et organiques. Mais plus encore, la créature muta pour devenir une copie conforme du Cafard.

- Je suis l’Homonculus. Tu es mon créateur.

L’Homonculus. Était-ce la Pierre qui s’exprimait à travers lui, usant de la conscience magique de l’orbe pour se manifester pleinement? Ou était-ce une entité indépendante qui se nourrissait de la Pierre? Fort heureusement, la créature semblait consciente de ses propres capacités et les expliqua à Demens. C’était beaucoup plus que ce qu’il avait imaginé pouvoir créé, mais bien de sa main que tout avait pu se dérouler.