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27 Février 1764, au port de Nevrast.

Concentration. Discipline. Poing sur les tempes. Ne pas abandonner. Il suffisait de faire preuve d’un peu de patience.

Il ne fallut pourtant que quelques minutes à Asolraahn pour feuler dans ses coussinets sur la foule et son cortège de vacarmes, alors que le port lui-même semblait désirer lui gronder son excitation des grands jours. Voilà bien quelque chose auquel il aurait du mal à s’habituer. Il régnait en effet sur la baie de Nevrast un vacarme et une cohue comme il en avait rarement entendu. Ce jour-là, de nombreux navires étaient amarrés à la baie couleur topaze : cogues, nefs, chalands et parfois frégates s’aiguillonnaient en rafale dans la forêt de leur mâts. Ici, sur les quais, des mouettes s’invectivaient au-dessus de sa tête, et l’odeur du bois mouillé emplissait l’air, accompagnée de celle de l’eau de mer et du poisson.
Un poisson manifestement pas frais.

En comparaison, les bruyantes cérémonies du village de la légion Vat’Em’Medonis auxquelles il avait participé longtemps auparavant faisaient l’effet d’un sinistre mausolée. Le port avait bien changé depuis sa toute première venue. Il s’avérait que des galeries avaient même été creusées pour que des vampires puissent y habités, chose que le géant opalin trouvait bien singulière, mais loin d’être incompréhensible. Les êtres nocturnes avaient cette caractéristique autrement plus singulière de ne pas considérer le soleil comme leur plus tendre ami. De fait, la place du marché était gigantesque. Elle était entrecoupée par les bâtisses en obsidienne qui se dressaient partout dans la cité : des bâtisses froides, à la hauteur du blizzard ténu qui envahissait le port ce jour-là.

Asolraahn fit un pas pour laisser passer un convoi. Il faillit trébucher sur les pavés sombres de la place. Maudite caillasse, songea-t-il. Une bonne terre humide avec de l’herbe, c’était tout ce qu’il réclamait. Une bonne raison pour ne pas demeurer dans les parages. Et puis, le regard des vampires dans son dos ne lui disait pas grand chose de bienveillant. Parfois, il oubliait que le peuple de la nuit faisait également peu cas du froid parce qu’il en était lui-même issu.

Il poursuivit son chemin sur la baie, jusqu’à prendre un embranchement qui le mena dans les quartiers plus éloignés du port. Bientôt, le brouhaha se dissout derrière lui et l’on ne vit plus que la pointe des mâts au loin. Bien que le centre portuaire soit la place la plus fréquentée, Nevrast avait également dévoré le reste des côtes. Partout, l’on voyait de petites bicoques établies dans l’ombre. Les plages cueillaient les petites barges qui ne pouvaient se faire une place dans la rade principale. Il s’agissait de lieux bien moins agités, où les établissements se faisaient rares. L’araignée ne lui avait pas donné de localisation précise. Mais il n’en avait pas réellement besoin. A entendre le silence tomber peu à peu, le géant opalin savait qu’il allait dans la bonne direction. Il atteignit finalement un lieu où l’on ne pouvait plus que voir sa silhouette massive dans la pénombre des petites habitations. Il resta là, à observer les passants d’un œil torve. Les vampires faisaient leur chemin sans lui jeter un regard. Ce spectacle de non-vu le divertit plus qu’il ne voulut bien l’avouer.

Il s’installa sur un tonnelet vide, tenant son bâton comme d’une ancre. Il resserra lentement ses griffes dessus. Il attendait depuis un moment déjà. Ce n’était pas lui qui avait proposé le lieu de la rencontre. Il aurait préféré que cela se fasse loin d’ici. Mais qu’y pouvait-il ? On ne contactait pas la Toile sans se plier à ses règles.

Lui-même n’aurait pas cru qu’il soit si dur de se rapprocher de ses membres. Sans l’aide de son ami Jangali, cela aurait même été impossible, car il n’avait alors pas même conscience de leur existence. Seul le graärh au pelage tigré avait été capable de lui trouver la localisation de l’un de leurs informateurs, basé sur Néthéril dans un village de côtier qui se trouvait non loin du domaine Baptistral. Un humain bien peu loquace, dont la langue ne s’était pas déliée dès le premier regard. Là aussi, la patience du félin avait été mise à rude épreuve. Ce qu’il avait alors besoin, c’était de renseignements, ni plus ni moins. A cette époque, Atghalan la Perfide venait de tomber, scellant le sort des marais d’Athvamy. Dans les structures en ruine des pirates, le géant opalin avait été incapable de découvrir si Taar’Melaah avait réussi à fuir le carnage, si elle avait fait partie des victimes de ses tortionnaires ou si elle avait été emmené autre part. En cela, résidait sa première souffrance, car ne pas connaître le destin de sa fille avait été et était toujours comme une lame brûlante grattant sa poitrine.

Mais la Toile n’était pas un petit groupuscule à prendre à la légère. Et aussi sûrement qu’il lui fut déplaisant de se soumettre à leur subtile système d’informateurs et de messagers, il devina rapidement qu’il touchait là de la griffe son seul moyen d’arracher une information sur les esclaves naguère en partance d’Atghalan. Cela avait fini par payer. De fil en aiguille, les contacts de l’informateur à Néthéril lui avaient finalement obtenu une audience.

Le géant opalin dut admettre qu’en dépit des apparences, la Toile était bâtie sur une loyauté quasi indéfectible envers ses strates hiérarchiques, en particulier lorsqu’on souhaitait se diriger vers le haut. Dénicher une araignée, c’était comme tendre le doigt vers l’un de ses cercles, le pincer et provoquer l’onde de choc qui allait avertir ses congénères de son appel. Asolraahn n’avait rien d’un espion chevronné, mais il avait rapidement compris cette réalité. Il l’avait compris au moment même où on lui avait expliqué que sa rencontre aurait lieu à Nevrast. Tout comme il avait décidé que cela ne lui plaisait guère. Le voile qui entourait cette organisation était nimbé de mystère. Le félin appréciait les choses simples de la vie. Ce qu’il faisait aujourd’hui n’en faisait pas partie. L’inconnu avait ses avantages et ses inconvénients. Mais il espérait qu’il ne s’était pas empêtré dans quelque chose de trop grand et de trop dangereux pour lui.

Car Asolraahn ne voyageait plus seul désormais : son petit-fils aux yeux d’ambre, qu’il avait sauvé des décombres d’Atghalan, était son seul lien avec Taar’Melaah depuis les quatre dernières années. Bien qu’il réside pour le moment chez Kavalys à la taverne de la Lune sanguine et soit en parfaite santé, le mettre en danger était pour lui hors de question. Asolraahn n’avait de cesse de s’interroger : avait-il pris la bonne décision ? Etait-il sur la bonne voie ? Ou risquait-il leur sécurité, à son petit et à lui ? Tant qu’il serait sur le territoire des vampires, il allait devoir se méfier des agissements de tout ceux qui pourraient leur nuire à tous les deux. Il en allait de son devoir envers sa fille.

Le blizzard venait des terres et soufflait en direction de la mer. Des vapeurs de brume accompagnaient les nuages sombres et masquaient le soleil suspendu au-dessus du port. La prise sur son bâton se resserra encore. Ses pensées avaient alourdis ses perceptions. Il faillit ne pas voir la silhouette nouvelle qui surgit dans son champ de vision, qui ne pouvait pourtant qu’attirer son attention. Car il s’agissait de la première personne à venir dans sa direction. La truffe d’Asolraahn se rebiffa et sa mâchoire se serra inopinément. L’homme ne portait pas les odeurs de son espèce, mais plutôt un parfum délicat qu’il n’avait encore jamais senti. Une inspection plus poussée répondit à ses interrogations : Il n’était en réalité ni humain, ni vampire. Voilà qui était intéressant. Il ne connaissait pas l’identité de son contact. On lui avait uniquement indiqué que le messager aurait une broche attachée à son vêtement.

On ne lui avait cependant pas expliqué pourquoi son odeur contiendrait en outre quelques soupçons de relents appartenant à une chèvre.

Il ne sut que penser de son arrivée. A première vue, ce n’était pas un guerrier. Pourtant, et Asolraahn ne le savait que trop bien, les apparences étaient souvent trompeuses. Le félin resta sur ses gardes. Il le fixait toujours, l’air de dire qu’il n’avait pas encore décidé s’il pouvait lui faire confiance ou non. Soudain, il sourit innocemment et déclara en langue commune :

-Assis-toi donc, l’ami. Ne crains rien. Je n’ai encore jamais mordu quelqu’un et par les Esprits, ça ne risque pas d’arriver !

descriptionLes secrets ne se répètent qu’une fois [PV Ilhan Avente] EmptyRe: Les secrets ne se répètent qu’une fois [PV Ilhan Avente]

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Cela faisait quelques jours à peine qu’il séjournait à Nevrast. Quelques jours d’une étrange tranquillité, au milieu de sa famille vampirique. Si ce n’est peut-être quelques cauchemars qui l’avaient fort agité et avaient manqué de l’affliger de fatigue. Fort heureusement, son père avait veillé à protéger son sommeil, dès qu’il avait eu vent de cette gêne insidieuse. Du moins, autant que faire se pouvait.

Quelques jours donc, pendant lesquels il avait pu savourer la présence de presque tous les membres de cette famille, qui se révélait chaque jour plus nombreuse encore qu’il ne l’aurait imaginé. Lui qui, lors de sa vie d’humain, était resté un grand solitaire, enfant unique un peu gâté, dernier de sa lignée, veuf et père éploré, politicien aux nombreuses faces, traitre à ses heures perdues, Tisseur au fond de sa Toile, fort entouré de nombreuses araignées, mais au final seul au centre de cette Grande Oeuvre… le voilà qui ne comptait plus le nombre de membres de sa fratrie. Le voilà également marié depuis peu, mariage aussi imprévu que bienvenu, qui le tirait de l’éternel veuvage qu’il s’était si longtemps imposé. Le voilà bientôt père, un vœu qu’il n’aurait jamais cru voir de nouveau exaucé. Sa vie semblait basculer d’un rien à un tout, à une vitesse vertigineuse, tel un navire emporté dans une tempête en grande marée faisant demi tour. Et s’il ne pouvait que s’en réjouir, remerciant les Huit chaque jour durant de ces instants inespérés, il devait avouer avoir peur aussi.

Oui, peur. Peur de tout perdre, aussi vite que tout était arrivé. Peur de voir tout s’écrouler, peur que finalement l’histoire ne se répète, encore et encore, et que ses proches ne se voient frappés de nouveau du terrible sceau de Mort… Oui, toutes ces peurs le rongeaient, tout au fond de lui. Ses méditations quotidiennes l’aidaient alors à apaiser quelque peu ses pensées tourmentées. Il ne pouvait se permettre de se laisser aller à l’effroi et la terreur. Il devait les apprivoiser, à défaut de pouvoir les museler. Il avait des devoirs, des obligations et son esprit devait se focaliser sur bien plus important que ces petits émois égocentrés. De nombreuses tâches l’attendaient…

D’ailleurs, en parlant de tâche… l’heure de son rendez-vous approchait. Une araignée l’avait contacté il y a peu. Un Graärh souhaitait apparemment demander un service à la Toile. Pour trouver des informations. En temps ordinaire, le Tisseur aurait donné ses consignes et aurait laissé une araignée du deuxième cercle, voire du troisième, se charger de la "transaction" et n’aurait contrôlé que de loin. Mais quand son araignée à Néthéril lui avait dit que le Graärh était envoyé par Jangali… son ancien lié de la promesse des honorés… Aussitôt Ilhan avait réagi et s’était intéressé de près à l’affaire et au Graärh. Il n’avait pas manqué de lancer toutes les recherches possibles à son sujet, bien entendu. Et en avait appris beaucoup. De Ashuddh, ce Graärh du nom de Asolraahn était quasi passé Naayak, tant ses faits de guerre, notamment contre les pirates, étaient devenus célèbres. Et quand il avait appris la raison de son statut de Ashuddh…  Asolraahn n’avait en fait abandonné sa tribu que pour une seule raison, s’il avait bien compris : retrouver sa fille capturée et perdue. Et cela aussi parlait au Tisseur et faisait écho en lui. Lui aussi aurait tout donné, tout abandonné, s’il avait pu retrouver son enfant. Malheureusement, le sien était perdu à jamais. Dans le royaume de Mort… s’il n’était pas déjà réincarné. Le Tisseur se demandait alors si le Graärh contactait alors la Toile à ce sujet. Cela était fort possible. Et si tel était le cas, il serait assez enclin à l'aider. 

Toujours était-il que cette requête avait attisé sa curiosité et son intérêt. Il avait tenu alors à rencontrer le Géant d’opale en personne, faisant fi des récriminations de ses araignées qui craignaient souvent pour la vie du Tisseur. Ces derniers temps, il avait déjà frôlé la mort à maintes reprises, et avait eu grand-peine à retrouver ses souvenirs pour redevenir le Tisseur à part entière, comme il l’avait été par le passé. La Toile ne semblait plus vouloir prendre de tels risques le concernant. Mais, comme de bien entendu, il était assez obstiné, et quand il avait décidé quelque chose, il était dur de l’en dissuader. La Toile avait donc dû s’exécuter. Pour les rassurer, Ilhan avait accepté de se plier à toutes leurs exigences.

Il les avait laissés organiser le rendez-vous, choisir l’endroit, poster les sentinelles qui assureraient sa sécurité. D’autant plus que la rencontre aurait lieu à Nevrast, et qu’il s’y rendrait seul. Sans garde d’Aldaron du moins, sans escorte Elusis ou vampirique. Ce qui, pour lui, affilié au nouveau clan sur le trône de Nevrast, était un risque assez osé en soi. Un grand nombre d’araignées rôdaient donc, tapies dans l’ombre, le guettant tout le long du chemin jusqu’au point d’arrivée. L’anonymat serait aussi son bouclier, et la vigilance son étendard. Il avait donc métamorphosé ses vêtements en un costume et une cape noirs des plus sobres et des plus sombres. Son baudrier contenant son bâton, alors invisibles tous deux à l’oeil nu, ne le quittait pas. Masque du mystère était son apparat et faisait voir pour quiconque le regardait le visage d’une personne que l'autre connaissait ou avait déjà vu au moins une fois. Une broche ornait son vêtement, une broche qui bien sûr n’était en rien la broche célèbre de Delimar, ni même sa fibule du dauphin, alors savamment cachée sous ses couches de vêtements, mais une broche simple, sans fioritures. Une broche qui serait le signe de reconnaissance pour sa rencontre.

Bien vite, il arriva au lieu de rencontre. Et s’il devait avouer une chose, c’est que le Graârh n’usurpait en rien son titre… En effet, Ilhan, de son petit mètre soixante-quinze, se retrouva face au géant de neige et dut lever la tête pour le regarder dans les yeux quand il arriva devant lui. D’un rapide coup d’oeil, il nota le bâton en main du Graärh, et les griffes acérées qui le tenaient d’une poigne ferme. Son regard sombre nota que la ruelle était déserte, fine ruelle au milieu de grandes bâtisses sombres. Et comme par enchantement, une fois qu'il fut arrivé, des ombres se dressèrent de chaque côté, pour mieux les masquer à la vue de tout passant. Il devinait déjà les araignées sentinelles se poster de l’autre côté des ombres, ainsi que les sorts dissuadant les badauds de passer, ou encore les protections pour couvrir leur conversation de toute oreille indiscrète. Ses araignées avaient vraiment pensé à tout.

Il sortit toutefois de ses pensées, quand la voix du Graärh s’éleva et l’invita à s’asseoir avec lui. L’althaïen se permit un petit sourire amusé à la taquinerie. Il savait les Graärh directs, mais celui-là était aussi doté d’un certain humour. Voilà déjà un trait qui lui plaisait.

Et avez-vous déjà griffé ? s’enquit-il, sur le même ton badin.

Il n’hésita pas à s’asseoir près du grand félin toutefois, montrant par là qu’il croyait en ses paroles, même s'il dut se hisser du bout des pieds sur le support qu'il avait choisi. Il savait les Graärh très portés sur l’honneur et que pour cette race chaque mot avait son importance. Ils n’aimaient pas en user pour rien.

On m’a fait comprendre que vous vouliez rencontrer les hautes instances de notre organisation, car vous aviez une demande d’importance à nous faire.

Lui aussi avait appris, quand il s’adressait à des Graärh, à aller droit au but. C’était pour lui, politicien à la langue habile et plus habituée à tourner autour du pot, un exercice fort délicat cependant.

Je vous écoute.

descriptionLes secrets ne se répètent qu’une fois [PV Ilhan Avente] EmptyRe: Les secrets ne se répètent qu’une fois [PV Ilhan Avente]

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Le géant opalin se fiait souvent à sa truffe pour juger du danger que les autres sens ne pouvaient percevoir. Il n’y avait rien de mieux qu’un flair acéré pour découvrir ce que les autres souhaitaient masquer : du sang séché, une lame voilée portant les effluves de vieilles victimes, la sueur de la peur ou de l’excitation. Les Graärhs sentaient tout cela et bien plus encore. Ce n’était qu’une question de perception selon leur capacité et leurs habitudes. Dans le cas d’Asolraahn, Ce qu’il humait ne lui rappelait rien de connu et ne lui apportait aucune idée claire sur ses intentions. Du reste, il semblait être quelqu’un de calme et attentif à ce qui l’entourait. Un peu comme lui, aurait-il jugé. Ainsi donc, il nota rapidement du mouvement dans les ruelles, des ombres recourbées qui n’appartenaient à nul autre qu’au secret et qui n’auraient pas dû être là où elles pointaient maintenant le bout de leur nez. Le félin n’avait aucune idée de ce qui se tramait entre les bâtiments d’obsidienne. Mais il pouvait deviner la raison de cette muette agitation. Voilà sûrement l’une des raisons qui poussaient l’homme à se montrer à l’aise. A l’évidence, il devait revoir son jugement sur le statut de celui qui se tenait en face de lui.

– Et avez-vous déjà griffé ?

Le géant opalin ne défit pas son sourire. Il garda la prise sur son bâton et répliqua sur un ton qui se voulait amical :

-Beaucoup. Mais la plupart était des gens coupables.

Il le laissa s’assoir et prendre ses marques. Dans le même temps, il l’examina de plus près. Il était petit certes, même pour un sans-poil, et avait les traits délicats. Asolraahn décida qu’il n’avait pas vraiment l’air d’un guerrier. Cela ne voulait pas dire pour autant qu’il n’était pas dangereux. Son odeur, qu’il reniflait depuis maintenant quelques minutes, n’avait décidément rien de commun avec celle d’un humain. Il réprima sa surprise, car ce n’était pas non plus un vampire…

Il nota dare-dare dans sa tête deux ou trois méthodes qui lui permettraient de mettre fin à ses jours. Il n’y avait là aucun lien avec une quelconque méfiance renouvelée. Il ne sentait pas non plus de nouveaux dangers à l’horizon si ce n’était ceux qu’il imaginait déjà. Non, il s’agissait là d’un vieux réflexe de guerriers. Il étudiait sa cible, la désossait de ses yeux sauvages jusqu’à découvrir ses points faibles et savoir exactement comment et où frapper dès lors qu’un éventuel combat commencerait. Un vieux réflexe, mais pas simple à inhiber. Les Trands qui devenaient shikaree apprenaient ça dès leur première chasse lorsqu’ils observaient pour la première fois un animal non pas comme un adversaire, mais comme une proie. On ne pouvait demander à un guerrier de réfléchir dans l’action. Aujourd’hui, Asolraahn se félicitait cependant d’avoir travaillé sur ses manières. Dans les mauvais jours, ses petites observations pouvaient lui dépoussiérer une frimousse à faire fuir des shibis.

Le bonhomme reprit. Il avait l’air plutôt franc et bien loin d’avoir envie de lui chercher des noises. Il n’avait pas non plus cherché à l’ennuyer avec des déclarations ou avertissements pompeux. C’était un bon début. Le géant opalin appréciait ce trait de caractère. Parler dans le vent avait tendance à l’agacer. Quant à discourir, c’était hors de propos. Autant s’engluer dans de la glaise jusqu’à ne plus pouvoir en sortir !

Il vérifia que personne ne se trouvait dans le coin avant de parler. Il émit un sifflement quasi silencieux qui laissa découvrir ses longues canines, nota le sale vent qui trépignait de s'inviter auprès d'eux. Sale temps aussi. Il voyait venir sa cavalcade de larmes de pluie, et sentait son haleine gelée lui souffler sur le poil :

-Ma fille Taar’Melaah a été enlevée. Elle n'a que six printemps, une silhouette fine et élancée, le poil sombre. Et des yeux d’ambre. J’imagine qu’on a dû vous toucher deux mots de cette histoire. Votre ami à Néthéril vous a apparemment envoyé une… une lettre. J’ai besoin de savoir où je peux la retrouver.

Il eut un petit ricanement, comprenant qu’il n’avait dit que très peu de choses en réalité. Trop peu, il devait l’admettre. Alors il posa son bâton contre le chanfrein du tonneau qui le supportait. Il fit face à la pleine nuit noire qui repoussait la silhouette des nuages. Au loin, on voyait le phare lécher les cieux de sa flamme brillante et spectrale :

-Il y a de cela quelques années, des pirates ont attaqué mon clan et pris des graahrons pour en faire leurs esclaves. Je les ai traqués pendant… bah, je sais plus. Trop pour moi faut croire ! J’ai fait pas mal de chemins sur les eaux de l’Est, puis j’ai séché mes poils sur Néthéril. J’ai été accueilli par Bhediyon-ke-saath, la Kamda Aaleeshaan de la légion…

Le félin grimaça et mit une pause à son récit. La mort de Sa’Hila avait causé un vide plus lourd que le pire des fardeaux pour les clans de Néthéril. La légion en avait perdu en puissance et sa faiblesse attirait les regards avides. Il n’était même pas sûr qu’une remplaçante ait été trouvée depuis son départ. A vrai dire, cela faisait longtemps qu’il n’avait plus de nouvelle. Avec un léger soupir, Asolraahn reprit :

Enfin, quand elle n’avait pas encore rejoint les esprits. Elle m’a offert une place dans ses troupes et voilà que j’étais parti pour les marais d’Athvamy, pour ses mangroves sinistres et sa rivière de cadavres, pour Atghalan la Perfide et pour ce qui allait être la plus rude bataille que j’ai eu à mener de toute mon existence. C’est ma faute. On a failli avoir leur roi félon et son navire de guerre. Je tenais ce bouffeur d’agrumes entre mes foutus pattes ! Mais il m’a trompé et nous a canonné jusqu’au milieu de sa propre cité. Il a préféré la réduire en cendres plutôt que de la voir nôtre. Je lui ai quand même laissé un petit souvenir de moi, une broutille pas plus, afin qu’il pense à moi de temps en temps.

Il se tapota le genou de la griffe, un petit air carnassier se manifesta sur ses coussinets. Ca ne dura pas. Le souvenir du retour à la Savane de Stymphale et du deuil de la légion pour sa cheffe revenait hanter son esprit. Son petit-fils était là lui aussi. A ses côtés, il avait regardé son peuple se morfondre et sombrer, sans comprendre la gravité de ce que tout cela signifiait. Sa truffe frémit en songeant à sa présence au port de Nevrast. Le petit. Il s’agissait de la dernière trace de sa famille. Asolraahn devait le protéger. Cela commençait par ne pas mentionner le fait qu’il avait retrouvé son graahron dans le carnage qui avait suivi la guerre contre les pirates :

-Ca n’a servi à rien tout compte fait. Je n’ai pas retrouvé ma fille dans les décombres. Je ne l’ai retrouvé nulle part. J’ai cru qu’elle était morte au début. Il y avait tant des miens qui n’avaient pas survécu aux malédictions des pirates et à leur traitement. Tant de morts. Mais les choses ont changé. Je vais poursuivre mes recherches. J’ai besoin de savoir où les pirates sont partis s’installer après Atghalan. J’ai besoin de savoir où ils ont vendu leurs esclaves et si de jeunes graärhs ont pu faire partie de leur transaction.

descriptionLes secrets ne se répètent qu’une fois [PV Ilhan Avente] EmptyRe: Les secrets ne se répètent qu’une fois [PV Ilhan Avente]

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À la réponse du Graärh, Ilhan ne put que sourire, et son masque transmit ce rictus amusé. Des gens coupables… Une petite voix au fond de lui ne pouvait s’empêcher de penser qu’ils étaient tous un peu coupables de quelque chose. C’était une notion si vaste et si objective au final… Pour autant, il voyait où le Graärh voulait en venir. Coupables de lui avoir nui, à lui ou aux siens. Coupables de leur avoir fait du mal, de les avoir blessés, séparés… Au moins n’était-il coupable de rien de tout cela lui-même, vis-à-vis du Géant opalin. Au contraire, il était ici pour potentiellement l’aider.

Et quand bien même il avait parfaitement remarqué la prise ferme que le Graärh maintenait sur son bâton, il ne se sentit nullement en danger. Tant que tous deux avanceraient sur la même voie et coopéreraient, aucun des deux ne risquait rien. Pas qu’il puisse faire face réellement au fier guerrier devant lui si Asolraahn l’attaquait. Ils étaient si proches, qu’un coup de bâton bien placé suffirait à le mettre à mal, lui qui n’était en rien un combattant. Ce n’était pas les quelques techniques de combat Graärh de pugilat, tenant plus de la maitrise de l’adversaire par des frappes bien placées que par une réelle lutte à la délimarienne, qui lui permettraient de rivaliser avec le Géant opalin. Sans compter qu’il n’avait ni les griffes ni les crocs acérés du Graärh pour l’aider en cas de besoin...

L’althaïen chassa toutefois ses considérations. Danger ne sifflait pas ses alarmes pour l’heure. Le félin n’émettait aucun signe d’agressivité, même s’il semblait rester sur le qui-vive. Et Ilhan l’écouta attentivement, quand enfin il lui exposa sa situation. Il hocha la tête au court récit. Oui, cela corroborait ce qu’ils avaient pu apprendre et trouver et ce qui lui avait été révélé dans la lettre envoyée par son ami. Ses araignées avaient appris qu’Asolraahn, grand guerrier presque Naayak auprès des siens, était devenu Aschudh au sein de sa tribu parce qu’il l’avait abandonnée en vue de retrouver sa fille enlevée. Ilhan avait aussitôt songé que si le géant opalin souhaitait le voir, ce devait être en rapport avec sa fille. Il avait demandé alors à ses sbires de se renseigner… et avait trouvé quelques pistes. À la fois rassurantes… et décourageantes. Sans compter que certaines des réponses qu’il allait apporter risquaient de ne pas plaire au Graärh et de raviver certains ressentiments envers sa cité de l’Océanique.

Pour autant, Ilhan laissa le Graärh continuer et l’observa de ses yeux sombres. Sa pâle silhouette se découpait, majestueuse dans la brume spectrale, alors qu’il observait les cieux devant eux. Son pelage clair reflétait presque la lumière lunaire, telle une étoile dans le sombre firmament de la nuit, alors que les ténèbres les enveloppaient de leurs doigts glacés.

Ilhan se retint de grimacer toutefois à la mention du Roi félon de la Confrérie. Voilà un des épisodes de sa vie qu’il aurait préféré définitivement oublier : sa captivité au sein des pirates. Elle n’avait été que de courte durée, par rapport à certains, et pourtant son esprit en était marqué au fer rouge. Il ne portait pas le sceau des esclaves sur sa peau, mais son coeur en était souillé tout autant. Et son corps avait beau avoir cicatrisé de ses flétrissures abjectes, au fond de lui il en ressentait toujours la marque honnie qui le flagellait de honte.

Et alors que l’obscurité totale les encerclait, le récit prit fin, tel un rideau qu’on tire après un sinistre spectacle de conte. Le vent s’était revivifié et déjà sa brise leur fouettait le visage avec plus de vigueur. Une brise chargée d’embrun et d’humidité. Quelques gouttes les honoraient déjà de leur froid et doux contact. Ilhan tendit une main tout en levant son visage, pour recueillir cette précieuse eau, cadeau du ciel qui pleurait pour eux et abreuvait la terre pour les futures semailles. Il sourit légèrement, et laissa le silence s’étirer entre eux, le temps de savourer cette douce symphonie que leur offrait la pluie… et de peser les mots qu’il allait offrir au Graärh.

L’eau du ciel apporterait-elle la bénédiction des Esprits-Liés sur cette rencontre ? murmura-t-il tout d’abord.

Puis, retournant son attention sur le Géant opalin, il reprit d’une voix calme et posée :

J’ai entendu parler de votre fille Taar’Melaah en effet. Ainsi que de toutes vos aventures et vos exploits contre ces forbans de pirates. Nous nous doutions que la cause de votre appel pourrait la concerner. Nous avons alors lancé les recherches pour tenter de la localiser.

Tenter était le bon mot. Il marqua un temps de pause, et baissa momentanément les yeux, avant de les relever, et de laisser leur sombre éclat briller d’une farouche détermination.

Nous avons pu retracer une partie de son parcours.

Aussitôt il leva une main, pour calmer toute ardeur de joie qui aurait pu étreindre le Graärh à ces nouvelles.

Mais pas totalement. Nous avons découvert qu’une fois esclave, elle a été vendue et s’est retrouvée en Delimar. Depuis peu, elle a été affranchie, l’Océanique ayant aboli l’esclavage des vôtres depuis quelque temps.

Se disant, il étudia avec avidité les réactions du Graärh, mais poursuivit tout de même :

Les Graärh libérés se sont vus alors proposer plusieurs choix : rester au sein de la cité avec des mesures pour leur permettre de trouver leur place, s’installer en Calastin pour reformer une tribu s’ils le désiraient, ou repartir auprès des leurs. Votre fille aurait choisi cette troisième option. Des transports ont été affrétés en ce sens. Pour des raisons pratiques, les transports ont privilégié toutefois la destination de Néthéril, au vu des relations que l’Océanique entretenait avec la Légion Vat’Aan’Ruda de cette île.

En effet, Delimar s’était fortement rapprochée de cette dernière et leur ancienne Intendante avait rencontré la Kamdam Aaleeshaan de la légion de Néthéril en ce sens. Alors qu’il évoquait la légion, la pensée de la mort de Sa’hila revint avec force, et une mélancolique peine l’enserra.

Nous avons perdu sa trace depuis son retour en cette île. Et…

La suite n’allait guère plaire au Graärh, mais l’althaïen se devait d’aller jusqu’au bout.

Et nous avons tout lieu de croire qu’elle a été de nouveau capturée lors de rapts pirates.

Ilhan reporta alors son regard au loin, et observa les étoiles au-dessus d’eux, humant l’odeur de la pluie qui se faisait de plus en plus virulente. En d’autres temps, en son temps humain, sans doute aurait-il rechigné à rester ainsi sous l’eau froide qui lui giflait le visage. Mais sa nature sainnûr ne lui infligeait plus les fléaux du froid. Il pouvait alors pleinement apprécier cette nature inconstante et imprévisible, si forte et si puissante.

Les pirates se sont installés sur une île.

Il marqua un court temps de silence, peinant à en prononcer le nom.

Althaïa… la fantasque.

Il retint de grimacer, mais sa voix se fit plus rocailleuse qu’il n’aurait voulu. Althaïa. Sa ville natale, sa patrie, sa cité chérie, souillée maintes et maintes fois par tous leurs ennemis ! Elle, si belle et si pure, avait payé cher le prix de sa magnificente beauté. Tous se l’étaient ravie, les uns après les autres. Et la voilà maintenant marquée du sceau de la fourbe tyrannie.

Cette île descendue du ciel avec l’arrivée des sombres chimères. Je n’ai pas eu vent de récentes ventes d’esclaves dont elle aurait pu faire partie. Il faut savoir que le marché des esclaves se rétrécit peu à peu : en Sélénia et Delimar ce commerce est devenu interdit. En Caladon certains luttent pour suivre cette même voie.

Il songea à sa toute jeune femme qu’il avait quittée quelques jours à peine. Cette chère et fougueuse Autone qui luttait âprement pour faire voter ces mêmes lois à Caladon.

Mais nous poursuivons nos recherches.

Il reporta sa pleine attention sur le Graärh et attendit son verdict, d’un air faussement calme et patient, guettant le moindre geste, le moindre signe. Le moindre rictus tout graärhesque qu’il avait appris quelque peu à décrypter.

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Le silence, à la fois limpide et glaçant, les couvait de son voile invisible. Il possédait cet effluve insolite qui chatouillait la truffe d’Asolraahn comme si son essence avait été constituée d’une étoffe que l’on pouvait palper, sinon par le toucher, par des sens plus improbables. C’était ainsi. Le géant opalin le respecta en reposant son bâton contre le tonneau. Néanmoins, son expression révélait des crocs meurtriers, dont la menace était à peine dénaturée par la langue rose et innocente qui venait lécher ses babines. Il était parcouru de courts frissons et tenait bien difficilement en place. Car assurément, Asolraahn le détestait aussi. Voilà trop longtemps que son voyage prenait une tournure désespérée. Ne pas connaître la vérité avait été un lourd fardeau dont il voulait aujourd’hui s’ôter le poids et attendre les mots de son interlocuteur était pour lui le pire des supplices. A mesure que le silence s’épaississait sous la pluie grisâtre, une crainte amère le prit : Se pourrait-il que l’homme à ses côtés soit porteur d’une sinistre nouvelle ? Se pourrait-il qu’il ne faisait que le préparer ? Avait-il perdu sa fille sans en avoir eu conscience depuis des mois déjà ?

Silencieux et vigilant, il fut incapable de réprimer un soupir de soulagement lorsque le silence se rompit. Son ronronnement s’intensifia alors qu’il apprenait que les Araignées, ces êtres de l’ombre capables de pister des gens à travers l’ensemble de l’archipel, avaient réussi à découvrir une trace de sa petite. Un large sourire étira enfin son visage en apprenant que sa fille s’en était sorti, qu’elle avait réussi à échapper à Atghalan. Mieux encore elle avait été libérée du joug de l’esclavage ! Sa queue ne cessait de s’agiter de gauche et de droite, et son regard brûlaient de tendresse et d’espoir. Comment avait-il pu douter de la force de sa Taar’Melaah ? Il l’avait élevé dans l’inlandsis de Nyn-Mereän. Elle était une guerrière accomplie, capable de se dépêtrer des pires situations. Elle avait toujours gagné ses combats. Même ceux contre qui nul épée ne pouvait rien. Un jour que le blizzard était particulièrement rude sur le village, le froid avait rendu affaibli bon nombre des Graärhs les plus affaiblis. La menace de perdre les leurs avait décidé les guérisseurs à braver les intempéries pour chercher des herbes à infuser pour leurs remèdes. Alors à peine âgé de cinq ans, Taar’Melaah avait suivi les guérisseurs et son père opalin chargé de leur protection. Elle avait rapporté des herbes et ne s’était jamais plainte des dagues de glace que leur crachait le vent. Oui comment, en réalité, avait-il pu douter ?

Incapable de rester passif une seconde de plus, le félin encouragea l’homme d’une roucoulade pour qu’il poursuive son récit. Où était-elle désormais, par les Esprits ? Il devait le savoir. Il le fallait ! Asolraahn attendait, excité. Bien douce était la joie qui s’était ceinte à son cœur. Bien trop douce sembla-t-il. Rapidement, ces nouvelles furent nuancées par d’autres bien moins agréables. L’aveu que lui fit son compagnon l’alarma. Le sujet redevint sérieux et le géant opalin recula pour s’écarter des bâtiments et prendre plus d’espace. Une ombre avait envahi son cœur et il porta une patte poilue à sa poitrine. Il était comme un Fenrisúlfr en cage. Ainsi, alors qu’elle avait réussi à s’en sortir et à se débrouiller pour repartir en mer pour sa terre natale, sa fille s’était à nouveau retrouvée aux mains des pirates. Comme naguère, lors de cette nuit funeste. Le géant opalin n’en fut pas moins furieux de cette nouvelle. Il n’y avait décidément aucune limite à leur perfidie ! Asolraahn leva la tête vers le ciel et son averse qui dévalait cruellement jusqu’à son pelage. On retrouvait dans son regard la hargne des jours de guerre, ce sentiment de défiance et de fierté. Un jour, il se vengerait de ces écumeurs des mers au nom de son ancienne légion :

-Khokhattaan est bien loin d’ici… je ne pensais pas que les esclaves pouvaient être traînés aux quatre coins de l’archipel. Je suis content d’apprendre que l’asservissement des miens cesse peu à peu chez ses peuples. Il serait de bon ton que cette…. Caladon fasse attention. Les légions seront un jour fortes. Elles seront fortes et le monde tremblera.

Un bref silence s’abattit sur eux. Son museau se rebiffa et ses yeux croisèrent ceux de l’Araignée. Ou qu’importe ce qu’il était en réalité. Il s’approcha de lui, une grimace figeant ses traits. Derrière lui, les maigres rayons lunaires qui se faisaient une place dans l’orage illuminaient son pelage. Son ombre s’étendit loin, jusqu’à englober l’homme devant lui. Autour d’eux, les sentinelles commencèrent à s’agiter.

Mais Asolraahn ne leur donna pas le temps de réagir. Il pencha la tête de côté et prit le bonhomme entre ses deux bras pour le serrer contre lui avec un profond ronronnement. Lorsqu’il parla, son ton se fit bas et chaud comme le murmure d’une brise de printemps :

-Je te remercie, goonj ka orekal. Tu es un Don des Esprits… Ma fille est vivante, et grâce à toi, je sais quel sera le chemin de ma quête. Tu es désormais l’homme que j’estime le plus parmi les tiens.

Il reposa délicatement l’humain avant de le scruter lentement. Son visage était étrange. Il y avait quelque chose qui sonnait faux à l’intérieur, comme si les mimiques n’étaient pas les siennes. Du reste, il avait un air tout à fait normal et le géant opalin mit bien vite ses soupçons de côté :

-Puis-je connaître ton nom ? Nous vivons des jours sombres, et je crains que l’excitation ait affecté mes manières. Je souhaite te remercier en connaissant mieux celui qui m‘a redonné espoir.

S’il n’était pas d’un naturel émotif, il aimait sa fille par-dessous tout. Le monde pouvait se briser et sombrer dans les flots que cela n’aurait aucune importance pour lui s’il la savait en sûreté. Et cet amour n’avait aucun équivalent, si ce n’était la reconnaissance éternelle qu’il pouvait vouer en ceux qui l’aidaient à la retrouver. Sa gratitude était sincère. Il avait une dette envers lui, qui qu’il soit. Sans doute lui demanderait-il un jour de lui rendre la pareille, peut-être même aujourd’hui. Le contact de Néthéril n’avait pas été très clair à ce sujet. Mais il était venu à cette rencontre avec des informations, de l’aide à apporter sans accords ni demi-mesure, avec une abstention exceptionnelle de compromis. Il avait fait des recherches avant même cette rencontre dans la seule intention de lui apporter son soutien.

Pour cela, il ne pouvait qu’être heureux de la tournure de cet évènement. C’est pourquoi il conserva un certain respect dans la voix lorsqu’il se sentit obligé d’insister :

-Je n’ai jamais été sur l’île… cette Althaïa la fantasque (Il eut un petit feulement de dédain). Ce titre me paraît révéler les caprices d’un elfe de ma connaissance. Toi,…. Tu as l’air de l’avoir connu. Je le sens dans le rictus qui s’échappe de ta voix. A-t-elle été corrompue par les pirates ? En ont-ils fait une nouvelle Atghalan ?

Il craignait que la réponse ne le déçoive lourdement. Les forbans avaient au moins un talent qu’on ne pouvait leur enlever : leur propension à violer le lieu dans lequel ils bâtissaient leur repaire. Il se remémora le guêpier à cadavres qu’était la cité des marais d’Athvamy. Il aurait voulu que ce souvenir disparaisse, qu’il sorte à tout jamais de sa tête. Mais rien n’y faisait. Etait-il donc si faible ? Asolraahn espérait franchement qu’Althaïa ne devienne pas le nouveau visage de la cruauté des pirates.



goonj ka orekal = Oracle des échos

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L’ouïe affinée du jeune sainnûr entendit parfaitement le soupir empreint de soulagement du Graärh. Plus encore le ronronnement qui suivit. Voilà bien un langage Graärh qu’il ne pourrait jamais imiter, quand bien même il s’évertuerait à l’apprendre : ronronner. Ce son déroutant de ces grands félins, si semblables à ceux de leurs plus petits cousins, les chats. Un court instant Ilhan songea à cet étrange petit chat peureux qu’il avait aperçu chez lui et qui ne semblait tolérer que sa présence. Il chassa bien vite l’image du petit chat nocturne duquel il s’était épris, et revint au temps présent.

Si le début de son récit sembla rassurer le Géant opalin, l’althaïen redoutait la chute de ce mauvais conte. Déception allait apposer son sceau entre eux et frapper le Graärh de son fouet le plus terrible. Pour autant, il se devait d’être honnête et de lui révéler la sinistre vérité. Cette fatalité qui semblait tant s’attacher à la fille d’Asolraahn, au point de vouloir l’enchainer dans les affres de la désespérance et refermer la porte sur la pâle lumière qui s’entrouvrait à peine. Il ressentit pleinement la peine et la douleur du Graärh. Et eut l’impression soudain de se retrouver face à un lion en cage, peinant à réprimer sa folie meurtrière, en proie aux plus grands affres de rage et de désespoir.

Il hocha simplement la tête quand le Graärh reprit enfin la parole et évoqua Caladon. Oui, Caladon ferait attention, il l'espérait. Et il ferait tout pour aider sa femme dans son projet d’abolition. Quant aux légions fortes… N’y avait-il pas déjà les Couronnes de Cendre qui leur rappelaient ce que le peuple félin était capable de faire ? Oui, les légions pouvaient devenir fortes et dangereuses. Ce n’était pas pour rien qu’Ilhan avait souhaité un rapprochement et avait tout fait pour tenter de renouer des relations saines avec ce peuple originel de l’archipel.

Et soudain… le Graärh s’approcha. Sa haute silhouette engloutissait la sienne de son ombre majestueuse. Cette imposante stature le dominait totalement et le frêle althaïen ne put qu’admirer cette prestance naturelle qui suintait de tous les pores du Graärh. Si les mâles avaient pu être roi en leur tribu, nul doute qu’il le serait devenu. Cela n’empêcha pas son propre coeur de manquer un battement, quand l’appréhension le saisit. Si le Graärh attaquait, il ne ferait pas le poids. Il aperçut ses araignées se positionner, prêtes à intervenir au moindre faux pas du géant. Un arc déjà au loin visait le dos du félin… Ilhan s’apprêtait lui-même à en appeler à Tela pour vérifier les prédispositions de celui-ci et ses intentions, quand… deux bras puissants et velus le saisirent dans une étreinte ronronnante. Aussitôt d’un geste dans le dos du Graärh, le Tisseur fit signe à l’archer de baisser son arme. Non, nul danger.

S’il s’était attendu à telle réaction ! Il en fut si surpris, que son corps se raidit sous le geste. Il parvint à poser ses mains sur le dos du géant, autant pour lui rendre son geste, même si plus doucement, que pour se tenir, alors que ses pieds perdaient contact avec le sol. Son coeur manqua chavirer de nouveau et se serra avec chaleur au surnom que le Graärh lui offrit. Oracle des échos, traduit-il. Il n’était pas bien sûr de le mériter, mais cela le touchait réellement. Et les mots qui suivirent martelèrent son coeur qui battit tambour battant, alors qu’enfin ses pieds regagnaient la terre ferme. Venant d’un Graärh, il en connaissait la sincérité. Il espérait se montrer digne alors de cet honneur qu’Asolraahn lui accordait.

Quand enfin leurs regards se croisèrent de nouveau, Ilhan hocha la tête, une main sur le coeur, montrant par les gestes, plus que par les mots, qu’il acceptait ce surnom, et qu’il en était ému. Quand soudain la question qui fâche tomba. Son nom… Cette question était légitime en soi. Mais c’était alors révélé une information importante au Graärh le concernant.

Quoique… au vu des rumeurs courant déjà à ce sujet, nul doute que cette information ne serait plus ni si importante, ni si secrète, d’ici peu de temps. Le nom Tisseur s’associait de plus en plus à lui. Si le secret avait été l’un de ses atouts jusque-là, ce n’était pas le seul. On pouvait bien connaître son identité, cela n’empêcherait pas ses araignées d’agir par ailleurs et de continuer à tisser. Les ombres pouvaient oeuvrer et taire les rumeurs les plus gênantes. Et que celle-ci se répande, dès lors qu’elle était presque dévoilée, pouvait lui servir à mieux en cacher d’autres… à attirer l’attention sur cette information, pour mieux en détourner d’autres. Ilhan ne répondit toutefois pas de suite, se tâtant à accorder ce dernier vœu au Graärh.

Quand soudain le mot Althaïa résonna dans l’air. Son sang pulsa et ne fit qu’un tour, même si seule une légère raideur de son corps fut perceptible. Il se força au calme, avant de répondre à cette dernière question. Si les pirates l’avaient corrompue ? Si seulement ils avaient été les seuls, eut-il envie de répondre ! Quant à l’avoir connue...

Althaïa ne pourra jamais être comparable à Atghalan, susurra-t-il d’une voix basse et profonde.

Il laissa alors filtrer ses propres accents. Mais sans doute le Graärh ne les reconnaitrait-il pas, n’ayant peut-être pas connu d’althaïens avant lui, justement.

Oui, les forbans l’ont souillée de leur vice et de leur corruption sans fin. Cette ville était magnifique, la plus belle de l’ancien continent. Elle n'était que beauté et raffinement, avant que tous ne la ravissent et ne l’avilissent de leur ignominie. Et… en effet, je l’ai connue.

Se disant, il choisit de retirer son masque. Après tout, s’il se révélait en toute sincérité, peut-être se ferait-il un nouvel allié, et un de taille, contre ces forbans qui lui avait ravi son Althaïa.

Elle était ma cité.

Sa voix se teinta d’une triste mélancolie, alors qu’il dardait ses yeux sombres, cette fois teintés de paillettes d’or, sur la haute et pâle silhouette en face de lui.

Je te porte aussi en haute estime, Géant Opalin. Te révéler ma réelle identité est alors un gage de confiance. Je suis assuré que tu ne la trahiras pas.

Cela n’était pas dans l’intérêt du Graärh de toute façon. Et ses araignées y veilleraient aussi. Si trahison il y avait, le Graärh se ferait non pas un, mais plusieurs ennemis. Toute une Toile.

Mon nom est Ilhan Avente.

Il ne précisa pas son titre de conseiller à Delimar. Peut-être le Graärh avait-il entendu parler de lui. Ou pas. Mais son titre en cet instant ne le définissait pas.

Certains susurrent que je me nomme aussi le Tisseur.

Il entendit clairement une araignée soupirer au loin et eut un léger sourire. Cette soirée devait leur inspirer pour elles bien des émotions. Et bien des peurs. S’il s’était révélé, c’était par calcul. Toutes les araignées présentes la connaissaient déjà de toute façon. Et il espérait commencer à contrôler cette rumeur. Si ce secret s’éventait, qu’au moins cela leur serve.

Nul besoin de préciser que ce surnom n’est pas censé se crier au grand jour dans toute la savane. Ni même dans les rues de Khokhattaan.

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Althaïa la fantasque. Asolraahn sentit qu’il venait là d’invoquer une question très mal placée, ou tout du moins qui ne laissait pas indifférent. Voilà en vérité un sujet qui avait l’air de mettre bien de l’ombre dans le cœur de l’homme face à lui. Asolraahn le regardait, et son regard croisant le sien, il capta à travers ce visage impassible une marée profonde et corrosive de pur chagrin. Comme si la cité dont il avait évoqué le nom n’était faite que de souvenirs englués dans de grands malheurs. Le félin en fut troublé. Il ne s’attendait pas à une telle réaction. Et en écoutant ses explications, il devina la trace d’une révolte à peine contenue dans sa voix :

- Oui, les forbans l’ont souillée de leur vice et de leur corruption sans fin. Cette ville était magnifique, la plus belle de l’ancien continent. Elle n'était que beauté et raffinement, avant que tous ne la ravissent et ne l’avilissent de leur ignominie. Et… en effet, je l’ai connue.

Asolraahn eut un petit feulement en reculant. Pas pour ce que l’homme venait de dire mais parce que son visage se défit soudain de son corps. C’était une illusion !

Toutefois, il se calma bien vite. Il devait admettre que si un guerrier n’avait pas l’utilité d’un tel subterfuge, quelqu’un capable de trouver l’emplacement de sa fille sans un soupçon des écumeurs des mers en avait sûrement l’usage. Mais le géant opalin n’avait que peu vécu dans un monde fait de mysticisme et de magie. C’était la première fois qu’il était témoin d’un tel phénomène. Son cœur manqua soudain d’un battement. Les paroles de son interlocuteur avaient-elles été dites par le truchement d’un masque voilé ? Etait-il réel désormais ou n’était-ce que le premier voile d’une longue série ?

Il décida de lui faire confiance. C’était avec franchise que cet homme était venu lui parler. Avec franchise qu’il lui avait donné les dernières empreintes de sa fille sur les longs déboires de son voyage. Asolraahn aurait pu se montrer méfiant en d’autres circonstances, mais il n’était pas du genre à le faire lorsqu’on lui tendait la patte. C’est pourquoi il balaya consciemment toutes ses suspicions dans le blizzard de ses pensées.

Il eut raison de son jugement, car il put bien vite mettre un blason sur ce visage anguleux, aux traits fins comme un parchemin et à la chevelure d’un brun ébène : Ilhan Avente. Lentement, il ferma les yeux, en inspirant une partie de ce qu’il venait d’apprendre. Au son de ce nom virevoltant, s’évoquait en lui une puissante salve, un long froissement d’étoffe, soutenu, déchirant, qui se terminait dans la douceur d’une caresse pleine, lorsque le souffle se faisait plus nappant et rond, jusqu’à l’ovale. Les noms avaient une importance inégalable auprès des Graärhs : ils constituaient le socle de leur identité et une image à retenir dans la toile des légendes, si leurs exploits se faisaient connaître. Il n’en allait pas de même pour les humains, mais Asolraahn conservait cette fascination pour chaque être qu’il croisait. Il prenait ainsi toute la mesure de ce que l’on venait de lui transmettre, à plus forte raison dans ce cas précis, car il avait là l’impression de découvrir quelque chose qu’il n’aurait pas dû entendre. Pour cela, et pour toute l’estime que ces révélations signifiaient, Asolraahn s’en trouva honoré.

Le calme suivit, libérant ses réflexions. Un respect nouveau brillait dans son regard. Il comprit, et on le lui confirma bien vite, qu’Ilhan n’était ni un espion de la toile, ni l’un de ses ouvriers, mais bien le Tisseur : Le chef dans l’ombre qui murmurait dans l’oreille des puissants, qui relayait son organisation, furtivement. Toute sorte d’interrogations taraudait Asolraahn désormais, la curiosité venant lui chatouiller les coussinets. Comment pouvait-il gérer les rouages de son organisation sur toutes les îles ? Combien d’espions avait-il dans les rangs des pirates ? Avait-il déjà des projets pour faire tomber ceux qui avaient brisé sa cité ? Mais il sut la réprimer à temps. C’était imprudent. Il devinait que l’aveu d’Ilhan ne faisait déjà pas l’unanimité auprès des sentinelles censées le protéger. Poser d’autres questions se révélerait dangereux. Ils étaient exceptionnels les moments où de tels secrets étaient partagés, et ceux-ci étaient conservés avec soin dans la mémoire d’Asolraahn. Le peuple graärh portait les gestes en haute éloge, mais lui avait appris à se satisfaire de la parole.

Il sentait aussi autre chose dans le ton du Tisseur : Une tristesse qui allait bien au-delà de la simple peine. Ilhan Avente avait l’air de souffrir terriblement de la perte de ce qu’il chérissait autrefois comme son chez lui. Asolraahn posa alors une épaisse poigne sur son épaule et le regarda droit dans ses yeux noirs de jais :

-Dans ma légion, il y avait des Aaleeshaan, déclara-t-il lentement. Des cheffes fortes, avec un esprit acéré et intelligent. J’ai essayé de me rappeler leurs enseignements. Mais c’est dur, Ilhan Avente. Comprends-tu ? C’est dur. Lorsque j’étais un petit, je me comportais comme un prédateur auprès des miens. Une bête enragée. Mon père m’a alors appris que la colère que je portais en moi était telle que mes armes guidaient mes mouvements, bien plus que mon esprit. Il a ôté de mes pattes toute arme de haine et m’a transmis son savoir du bâton. Il m’a enseigné à protéger plutôt qu’à tuer grâce à lui. Depuis, je n’ai jamais eu peur d’un adversaire que je pouvais corriger avec mon bâton ou mes griffes, s’il fallait en venir là. Je n’avais plus de haine, ni de colère. Mais les ennemis sur ce navire sont différents… Cruels, tueurs de graahron, brûleurs de wigwams et marchands qui font des miens de craintifs esclaves : Quant à moi, ils me font redevenir ce que j’étais autrefois. Une bête pleine de haine et de ressentiment. Ca me sape toute mon âme.

Asolraahn pensait comprendre le chagrin qu’il ressentait. Lui aussi avait beaucoup perdu par la faute des pirates. Et il était difficile de résister à la haine que l’on pouvait porter à de tels êtres. Sa fille n’était pas encore auprès de lui, elle était vivante mais pas en sûreté. Son avenir dépendait de ce que le géant opalin déciderait de faire pour la retrouver.

Il rajouta ensuite en inclinant la tête et en mettant une patte contre sa poitrine :

-N’aie crainte, mon ami. Mes crocs ne laisseront pas passer les mots privilégiés que tu m’as accordés.

Il ne pouvait le qualifier autrement que par ami. En dépit du ressentiment qu’il avait pour les humains ayant pris sa petite, les actes d’Ilhan avait scellé à tout jamais leur amitié :

-Après tout, cette conversation n’a jamais eu lieu, n’est-ce pas ? fit-il avec un sourire en retroussant ses larges babines. Personne ne nous a jamais vu et ne nous verra jamais. Peut-être les vampires auront-ils croisés un Graärh dans le coin. Il n’était certes pas discret avec son pelage. Mais pour sûr, il était seul !

Il lui fit un clin d’œil. Une lumière lunaire et franche surgissait maintenant des trous dans le ciel. Elle nappait les bâtiments d’une source pure de clarté, qu’aucune pierre si noire soit-elle ne pouvait occulter. Asolraahn leva la tête, l’observa avec un vide croissant. Il ne comprenait pas ce brusque changement dans le paysage. Cette lumière salvatrice sonnait faux dans leur conversation murée de secrets et de non-dits. Il se pencha légèrement pour rapprocher son énorme tête, redevenant sérieux :

-Oui, il vaudrait mieux pour toi que j’ai été seul. Les pirates ont la vie rude mais il y en a un paquet dans les environs. Ils gangrènent ce port et ses alentours. Même leur chef Nathaniel, que les Esprits le maudissent, se trouve toujours sur son bois flottant dans la baie…

Le géant opalin picotait lentement son menton d’une griffe. Un début d’idée commençait à germer dans son esprit. Le Maëlstrom était effectivement toujours à quais. Les pirates devaient se douter de sa présence dans les environs, car ils avaient découvert son subterfuge lors de leur escale à Licorok. Seulement, ils ne pouvaient pas connaître ses plans. Asolraahn eut un grondement rauque tandis que sa queue battait l’air hargneusement.

Il était peut-être temps de leur rendre une petite visite. C’était un pari risqué. Il pourrait se faire attraper dès le ponton avec sa toison opaline. Et alors, il connaîtrait le supplice et une mort atroce.

Mais enfin, il fallait parfois surprendre son monde. Il n’aurait pas de meilleure occasion de s’approcher du navire de guerre.

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Ilhan retint un sourire amusé à la réaction du félin quand il révéla son visage. Des rares personnes à qui il avait fait cet honneur de se révéler ainsi, tous avaient eu une réaction semblable. Même si le félin avait eu une réaction plus vive encore, sans doute de par le fait qu’il soit moins familiarisé avec la magie des fourbes races qu’ils étaient… ou de par le fait qu’il soit moins familiarisé avec ce genre de ruse justement… Le sainnûr perçut également le battement raté de son coeur. Il se contenta toutefois de sonder le Graärh de ses orbes sombres, attendant sans réelle appréhension la décision cruciale que le Géant opalin allait devoir prendre. Lui faire confiance et continuer leur possible collaboration… ou non.

Son nom n’était certes pas tissé de légendes parmi les Graärh. Mais il commençait à se faire entendre, à se murmurer ça et là. En Néthéril notamment, ne serait-ce que par son appartenance à Delimar qui avait entrepris un voyage diplomatique au sein de la Légion. Mais quelques Graärh avaient également été présents les jours de sa transformation. Jangali n’y était sans doute pas pour rien non plus dans ces murmures qui couraient à son sujet. Oh certes, ces mêmes Graärh ne liaient pas encore son nom à la Toile, pas vraiment. Peu avaient conscience encore de l’existence même de ces ombres parmi les ombres, qui écoutaient et observaient, avec patience infinie, chaque mot, chaque geste, qui se jouait dans le théâtre de la vie. Jangali en avait de forts soupçons toutefois. Il avait compris que les hommes qu’Ilhan avait recommandés au Graärh en cas de besoin n’étaient pas si anodins qu’ils pouvaient le paraitre. Ce n’était pas pour rien qu’il avait orienté le Géant opalin vers eux pour l’aider dans sa quête.

Et le Graärh qu’Ilhan avait en face de lui n’était pas dénué d’intelligence. Il pouvait presque voir les rouages de ses pensées défiler au fond de ses prunelles. Il fut toutefois agréablement surpris d’y voir soudainement briller une lueur de respect. Il pouvait presque deviner les questions qui devaient maintenant démanger les moustaches du Graärh. Des questions toutefois qui ne vinrent pas. Des questions auxquelles il n’aurait certes pas répondu. S’il pouvait décider de révéler ses propres secrets si la situation l’exigeait, il n’irait pas jusqu’à prendre de tels risques pour ses autres agents et le reste de la Toile.

Assuré en tout cas d’avoir su gagner, enfin, un semblant de confiance inestimable dans le coeur du Graärh, Ilhan ne sursauta nullement quand la grosse patte vint se poser sur son épaule. Nulle peur, nulle crainte. Se nouaient, tout doucement, entre eux des liens forts, où résonnaient confiance et empathie. Pour l’heure du moins. Leurs intérêts allaient dans le même sens, la même direction. Pouvait-on dire également qu’ils avaient un ennemi commun ? Presque, sans doute.

Aux aveux, lourds de sens et de peine, que le Graärh lui confia, le sainnûr ne put que ressentir un élan profond de compassion. Il hocha la tête d’un geste faussement calme, mais ses perles de jais se teintèrent d’étoiles dorées qui hurlèrent pour lui ses émotions plus fortement encore que les mots auraient pu le faire. Il connaissait ce sentiment, cet instinct de rage et de colère, qui vous rongeait le coeur et l’âme, et vous affligeait de son fléau. Un fléau qui pouvait leur faire franchir un cap sans retour arrière possible. Un fléau qui pouvait les avilir à jamais s’ils ne parvenaient à résister à ses terribles sirènes. Pour l’heure le Tisseur avait su réfréner ses plus vils instincts d’appel de vengeance. Raison avait su lui souffler les intérêts de ne pas agir de suite, d’attendre son heure. Il savait aussi que pire pouvait advenir si la tête du roi pirate actuel tombait. Un autre, plus fourbe, plus rusé, et plus cruel encore, prendrait sa place. Nul autre que son fils. Non, pour l’heure vengeance devait attendre. Vengeance s’attisait, aiguisait ses armes, dans cette ombre forcée. Vengeance n’en serait que plus forte alors, sans aucun doute…

Et en attendant, il prenait un malin plaisir à aider toute âme qui voudrait se dresser contre ces forbans.

-N’aie crainte, mon ami. Mes crocs ne laisseront pas passer les mots privilégiés que tu m’as accordés.

Il n’en doutait aucunement. Mais cette parole donnée sonnait tel un serment. Les Graärh ne parlaient pas à la légère, les mots avaient toute leur importance pour eux. Nul besoin alors de sceller cette promesse par Mère Magie. Les mots lui suffisaient, en cet instant.

Et se voir appeler ami… Voilà un honneur dont il espérait se montrer digne à l’avenir. À ces mots, Ilhan se contenta alors d’un hochement de tête, grave et solennel. Puis quand le Graärh lui assura n'avoir vu personne et avoir été seul...

Pour sûr en effet. Seul. Avec lui-même, répondit Ilhan d'un ton susurrant.

Et le sourire du sainnûr fit écho à celui du Graärh, même si sans les crocs, lui qui avait limé les siens.

Et oui, il le savait, Nevrast n’était pas dénuée de pirates. Ils semblaient parvenir à s’insinuer partout, ou presque. Si l’on ne pouvait dire que les pirates avaient envahi la cité, ils n’y étaient en tout cas pas malvenus, vraisemblablement. Et pour cause, songea Ilhan en son for intérieur. Son propre père en était sûrement un… un capitaine qui plus est. Nulle preuve. Juste des mots lancés, il y a fort longtemps, par ce dernier. Des suspicions, jamais étayées, le Tisseur s’étant bien gardé, pour le moment, d’aller fouiller de ce côté-là. Bien trop douloureux pour qu’il s’y risque. Même si un jour viendrait… Même si déjà le jour était venu, en vérité. Il y avait peu, il en avait eu une ébauche de confirmation. N’avait-il pas surpris son père en pleine conversation avec le roi pirate en personne ?

Ilhan se contenta alors d’acquiescer en silence, un air grave marquant ses traits altiers. Un air grave qui s’accentua quand il remarqua les yeux soudain songeurs et brillants de malice du Graärh. Oh non, il n’aimait pas cela. Il n’aimait pas ce qu’il imaginait se tramer dans l’esprit du grand félin. Ce n’était pas encore le moment de commettre de folie...

Oui, les pirates sont présents, et leur roi tout autant. Mais méfiance. Le moment n’est pas encore venu de prendre des risques inutiles. Pas tant que les arrières ne sont pas assurés, fit-il en un murmure de connivence.

Il se rapprocha quelque peu.

L’heure viendra… mon ami.

Il avait repris, en pleine conscience, ce même mot dont le Graärh l’avait honoré, en le prononçant toutefois en Graärh comme pour lui donner plus de force encore. Scellant ainsi le nouveau lien qui les unissait tous deux.

Mais peut-être pas maintenant. Prudence encore. Patience. Je sais que ces mots sont durs, et que chaque instant qui vous sépare de votre fille est une torture. Mais… Prudence. L’heure viendra.

Et si le Graärh se montrait suffisamment patient, peut-être aurait-il comme arrière un groupe d’araignées bien préparées. Voire en éclaireurs ? Allez savoir… Même si pour l’instant, ses tentatives d’infiltrer les pirates s’étaient soldées par trois échecs cuisants.

Se disant, Ilhan apposa une main sur un des bijoux du Graärh et lui ajouta un glyphe de communication. Oui, il venait de lui permettre de communiquer directement avec lui, et ce quand il le désirait. Ils pourraient se parler en tout temps, quelle que soit la distance.

Vous saurez ainsi comment me joindre directement en cas de besoin.

Puis, sans préavis, sans même attendre de réponse, il recula d’un pas. Puis d’un autre. L’heure de partir sonnait son glas. Il remit son masque, puis rabattit son capuchon de cape.

L’heure viendra, fit-il de nouveau dans un souffle.

Puis disparut dans les ombres qui déjà se reformaient autour de lui. Ses agents s’agitaient dans l’ombre en silence et assuraient son départ en toute discrétion. Laissant le Géant opalin seul. Oui, seul, avec lui-même.

[HRP : voilà enfin une réponse. Désolée de ce long temps d'attente. J'espère que cette réponse te plaira quand même.
Je mettrai en demande de don l'ajout du glyphe de communication en lien avec Ilhan dès que tu me diras sur quoi tu veux que je l'ajoute^^ catkiss]

descriptionLes secrets ne se répètent qu’une fois [PV Ilhan Avente] EmptyRe: Les secrets ne se répètent qu’une fois [PV Ilhan Avente]

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