20 février 1764
Voilà quelques jours qu’elle se sentait mieux, bien qu’encore fatiguée, Autone pouvait sentir qu’elle ne payait plus le prix qu’Opixiâtre lui exigeait pour avoir ramené l’enfant à la vie. Il y avait à nouveau des journées où elle se sentait capable de rester éveillée plus longtemps, où elle avait plus d’attention. Et pour les journées où elle se sentait capable de s’extirper du sommeil, Autone avait demandé à Ilhan si elle pouvait parcourir ses livres, pour se distraire. Ce devait être la première fois depuis des années qu’elle ne pouvait occuper chaque minute de son temps libre à un travail ou un autre. Ces longs temps de silence, où seul son esprit conversait, avaient bénéficiés des leçons de méditations d’Ilhan, ainsi que des livres qu’Autone avait pu lui emprunter à ce sujet. La petite dame avait profité de ses moments d’éveils pour explorer une bibliothèque encore inconnue, comme on explore une nouvelle terre. La collection littéraire d’Ilhan rendait la petite dame enthousiaste, elle parvenait dans ces ouvrages à s’ancrer dans le présent et à oublier de nombreuses sources d’angoisses. Sa plus grande inquiétude était la présence clandestine de Luna en Caladon, alors qu’un dragon venait d’être tué. Et alors que Calastin était en crise, elle n’était pas à Caladon pour prendre ses fonctions de trésorière et d’éventail blanc.
Il lui semblait tellement absurde de broder et coudre sa robe de mariage quand on avait besoin d’elle en sa cité, qui lui semblait loin. La couture laissait un grand espace mental dans lequel les pensées, les peurs s’enfilaient. Lire, c’était forcer son esprit à fuir toutes ses craintes. L’évitement n’était pas la solution, mais il était mieux que l’ennui.
Ce matin-là, elle s’était éveillée pleine d’appréhension, elle avait tenté de chasser la petite voix qui lui murmurait des doutes à l’oreille. Et refusant de remettre en question sa décision à nouveau la veille du mariage, elle avait choisi un livre Althaïen, avait attrapé de quoi écrire et avait décidé de tenter d’appliquer les apprentissages d’Ilhan en tentant de traduire quelques phrases aléatoirement. Son encrier posé sur une table de chevet, la petite dame usait un livre comme surface pour une feuille de parchemin sur laquelle elle s’exerçait. À côté de ses jambes allongées était posé le livre ouvert où elle pigeait ses phrases. Elle ne parvenait pas toujours à trouver ou à se souvenir de tous les mots, ayant commencé à apprendre cette langue récemment. La petite dame écrivait donc quelques phrases incomplètes et des notes plus ou moins ordonnées. Mais Autone croyait que l’apprentissage se faisait dans les essais et surtout, dans les erreurs.
Quand la porte cogna, Autone fit une tache d’encre sur le papier, le réservoir de la plume gâchant une lettre. Elle posa la plume près de l’encrier et répondit un « Oui, vous pouvez entrer. » en refermant le livre avant de poser les deux ouvrages sur une pile considérable de leurs semblables sur la table de chevet. Une légère surprise passa sur le visage de la petite dame quand elle vit le fils d’Aldaron ouvrir la porte. Elle restât immobile quelques secondes, le regardant bêtement sans rien dire. Elle ne parvint même pas à prononcer une salutation immédiatement, les lèvres entrouvertes dans une mine de ne pas savoir où se placer. Cette vision horrible qu’elle avait eût de lui, l’une des premières, envahissait son esprit qui se paralysait. La petite dame sentit sa poitrine se serrer et voulût prévenir le Chante terre de ne pas tenter de lire son chant nom, qu’il se ferait forcément mal ou alors qu’il revivrait peut-être ce moment de détresse, mais elle ne savait en réalité pas vraiment comment tout cela fonctionnait. Sentant une onde de terreur sur le point de monter à ses lèvres, Autone baissa les yeux sur l’animal peu commun qui accompagnait le jeune elfe. Elle sentit soudain une vague de puissance frapper son esprit lié, quand une corneille aux yeux clairs sortit de la cheminée, volant à toute vitesse dans la chambre, elle frappa un mur avant de faire un autre tour de la chambre pour enfin atterrir brusquement sur les cuisses d’Autone. Songeant qu’un si grand chat allait peut-être tenter de manger un oiseau, Autone entoura Opixiâtre de ses mains protectrices et posa un dernier regard sur le Serval avant de sentir ses paupières se fermer toutes seules. Semblant sur le point de perdre conscience, Autone restât immobile et droite lorsque, paupières clauses, elle acceptait une vision que son guide lui emmenait.
Lorsqu’enfin, elle émergea, Autone ouvrit brusquement les yeux et prit une grande inspiration, qui ne fût pas pour autant bruyante. Elle expirât doucement par la bouche en cherchant le calme, répétant de grandes respirations en laissant la tristesse s’échapper dans quelques larmes. La petite dame caressa l’ancien Gaïd sous une plume, elle se coucha alors, profitant des cuisses d’Autone comme coussin.
La petite dame retourna son attention vers Valmys, se forçant à se recentrer sur sa respiration pour ne pas revoir les images qui pourraient la faire couler dans la panique. « Bonjour… » souffla-t-elle en gloussant. « Voilà toute une scène que nous avons pour une première conversation. Valmys, c’est bien cela? » Autone essuya ses quelques larmes, qui finalement n’avaient pas débordées. Elle était heureuse d’avoir pu affronter cela avec calme. Offrant un sourire maternel au garçon, elle remarqua ses oreilles d’hermine et se retint de s’en attendrir visiblement, craignant que le Chanteterre ne s’en offusque.« Je crois que mon guide a voulu me montrer quelque chose vous concernant. »
commença-t-elle en regardant Opixiâtre, caressant son petit front. « Mais je ne sais pas pourquoi. Et je ne crois pas que vous ai pas vu… pas cette fois ci. » Fronçant les sourcils elle avait marmonné les derniers mots. « Mais quelque chose de vous était là. » Une impression, un instinct peut-être. Ça n'avait rien de rationnel. Elle jeta un regard interrogatif sur Servalwïr. « Et quelque chose de lui aussi. » La petite dame releva la tête pour regarder l’hermine. Elle avait l’intention de lui parler de cette vision, elle voulait seulement reprendre ses esprits un peu avant de replonger. La petite dame songea à son dernier rêve avec Dawan, à ses mots sur Valmys, affirmant qu'il avait vu le mariage de Luna par les yeux de ce Chanteterre. Peut-être pourrait-elle lui demander si tout cela était vrai? Mais alors, raviverait-elle un deuil inutilement?
« Pourquoi êtes-vous venu cogner à ma porte? Y-avait-il quelque chose dont vous vouliez me parler ? »