Au "
N’ayez crainte" du Maitre des armées, Ilhan se contenta de répondre d’un léger sourire. On ne se défaisait pas de ses bonnes habitudes. Certes entre temps, il avait connu une renaissance, tout oublié, pour ensuite tout se rappeler. Et ses souvenirs ne faisaient que lui confirmer combien cette habitude-là lui avait déjà sauvé maintes fois la vie. Certes, Havremont n’était pas un nom qu’on avait coutume à associer à ces sombres manigances et ces traitres assassinats, mais Havremont n’était pas seul en ce palais. Et s’il n’avait pas effectué sa traditionnelle précaution, cela aurait pu paraître aussi bien suspicieux aux yeux du maitre des armées, qui l’avait toujours connu accompagné de sa fidèle compagne Paranoïa. Même si son secret concernant son immaculation était à deux doigts de s’éventer, il aimerait bien trahir sa renaissance le plus tard possible. Cela pourrait s’avérer un atout non négligeable, qui sait. Ils se connaissaient suffisamment tous deux, Ilhan était alors persuadé que Claudius ne se vexerait pas de cette manie, si coutumière au Tisseur.
Oui, respect, c’était là un sentiment commun qui les liait, malgré tous les différends qui avaient pu les séparer. Claudius était un homme de valeur. Abrupte à sa manière, mais de valeur. Et en cela, Ilhan l’avait toujours estimé. Un homme droit et fier, fidèle à ses principes, un homme de parole sur qui l’on pouvait compter.
À la réponse de Claudius à son invitation de duel, et à cette invitation de se retrouver dans l’arène de Delimar, Ilhan émit un sourire à la fois moqueur et amusé. Dans une arène, avait-on droit à toutes ses armes ? Toutes ? Si oui, peut-être aurait-il une petite, maigre, infime chance d’éviter la correction… Il ne se défilerait pas pour autant, toutefois. Pari tenu. Il était homme à aimer les challenges. Même les plus fous.
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Amicalement, bien entendu, répéta Ilhan d’un ton suave qui ne cachait en rien son amusement.
Mais le temps des choses sérieuses était venu. Le lien entre Sélénia et Delimar semblait clairement se renforcer. Pour le meilleur ou pour le pire. Une part de lui s’en réjouissait. Le peuple humain avait une infime chance de peut-être renouer pour ne faire qu’un. Une autre part le déplorait. Car Sélénia s’était dressé en ennemi avéré du clan de son père… et si elle gagnait en alliés, c’était d’autant plus de lances pointées contre sa famille vampirique, surtout concernant les Glacernois chasseurs de vampires avérés… Il dut se forcer toutefois à chasser cette sinistre pensée pour se focaliser sur l’instant présent et sa mission actuelle. Ou plutôt ses missions. Le temps était venu d’aborder celle qu’il s’était lui-même attitrée en suivant les conseils de Shyven.
Il laissa le maitre de guerre finir. Sa prévention, quant aux conséquences possibles de lui donner cet anneau, le touchait en un sens. Encore un signe que cet homme était droit. Et ce simple fait confortait sa décision. Oui, il y en aurait toujours pour lui reprocher ce cadeau, qu’ils prendraient comme une alliance avérée, quand l'anneau incarnait surtout le souhait de vouloir garder un lien avec cet homme d’importance et de valeur. Mais il n’avait de comptes à rendre à personne à ce sujet. Plusieurs en possédaient d'ailleurs un, dans chaque camp. Graärh, vampires, humains, elfes, immaculés, Baptistrels... Nombreux étaient ceux qu'il avait liés à son anneau pour pouvoir communiquer avec eux. Il serait alors singulier de le lui reprocher, quand il en avait été ainsi de tout temps le concernant.
Oui, il savait bien ce qu’il faisait en offrant cet anneau au Maitre de guerre. Il avait ouï dire les rumeurs, et plus encore. Les murs avaient des oreilles, disait-on, mais l’ouïe de ses araignées était plus fine encore… surtout quand elles étaient nombreuses à rôder dans l’ombre de Sélénia, que ce soit au palais ou dans les rues. Ilhan hocha donc la tête avec solennité. Il savait ce qu’il faisait, oui. Briselame lui avait fait ses rapports réguliers et lui avait fait part des tenants et aboutissants. Certes, Claudius avait tué un dragon, et en cela Ilhan ne pouvait adhérer à ce geste, quand bien même il aurait été exécuté par "nécessité". Tout comme il n’approuvait pas le geste de Naal complice de ce meurtre draconique. Mais pour autant, il ne l’avait pas reproché à Naal. Son almaréen était ainsi. Et malgré tout, il l’aimait toujours autant. Il en était de même pour Claudius. Pas qu’il l’aima de la même façon, qu’on ne s’y méprenne pas ! Mais malgré cet acte criminel, Claudius conservait encore tout son respect. Et l’homme représentait peut-être l’avenir de Sélénia.
Car de deux choses l’une : soit la Reine Victoria parvenait à reprendre les rênes du pouvoir et à redresser la situation rapidement, ce qui semblait très compromis, sa situation de reine, sa condition de femme et ses décisions politico-économiques étant toutes vivement critiquées, soit… soit quelqu’un d’autre prenait le pouvoir à sa place. Et de ce que les murmures de la Toile suggéraient, ce quelqu’un pourrait avoir de forte chance d’être le Havremont. Il avait après tout l’armée derrière lui. L’histoire avait déjà prouvé que les coups d’État réussis étaient ceux ayant l’appui de l’armée… Ne jamais laisser tant de pouvoir aux mains d’un seul Général. Voilà tout le potentiel danger que cela recelait…
Quand enfin Claudius se rencogna dans son siège et lui affirma lui accorder toute son attention, Ilhan sourit et enfin se permit de répondre. Tout d’abord, au sujet de l’anneau, son ton prenant des accents bas et graves, presque solennels.
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Il est un fait avéré que si Delimar semble se rapprocher de Sélénia, ce n’est pas du seul fait des efforts de votre Reine.Certes Victoria avait amorcé le mouvement en tentant de se rapprocher de Tryghild Svenn. Mais ce mouvement avait rapidement été freiné par toutes les impasses rencontrées… les tensions à Cyrène pour le devenir d’Ipsë Rosea, ou encore l’accueil des vampires sur Calastin par la reine Victoria, ce qui avait été vu d’un très mauvais œil par les Délimariens. Comme si son seul nom de Kohan ne suffisait pas à mettre des bâtons dans les roues de cette lourde charrette chargée de tous les méfaits passés… Non, le rapprochement semblait s’être scellé par cette soudaine et étrange complicité entre Naal et Claudius lors de ce crime draconique. Et si Ilhan en regrettait les circonstances, il ne pouvait pas se voiler la face non plus. Claudius était l’homme du rapprochement du côté sélénien, à bien des égards, bien plus que la Reine Victoria. D’autant plus maintenant que Delimar avait changé d’Intendante.
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Vous incarnez la force de Sélénia.Pas seulement l’armée, mais aussi son avenir, sous-entendait-il. Il préférait toutefois ne pas le dire à haute voix… les murs avaient des oreilles, disait-on. Et ses araignées n’étaient pas les seules à avoir l’ouïe fine.
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Et cette force est un lien puissant avec Delimar.Delimar, cité de la guerre…
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Ça, et votre engagement indéfectible envers la race humaine.Un autre point commun indéniable avec l’Océanique. Et cette fois avec la Toile aussi. Même si la Toile commençait, tout doucement, à douter de l’avenir de cette race. Il avait entendu plusieurs de ses araignées murmurer et se questionner au sujet des Sainnûr, surtout depuis la transformation de leur Tisseur. Et si la race humaine était dès lors perdue, au destin définitivement balayé par les erreurs Kohan ? Et si l’avenir n’était pas les humains, comme ils l’avaient toujours cru et espéré, mais les immaculés ? Tant et tant de questions agitaient sa Toile, oui… Mais pour l’heure, elle défendait encore la race humaine, autant que faire se pouvait. Et Claudius agissant pour l’humanité pouvait se trouver quelques alliés parmi la Toile. Il en avait une en tout cas qui semblait particulièrement attachée à lui, sans même que Claudius le sache, là, tout près de lui. Briselame, cette chère Briselame. Et si le Tisseur tissait la Toile de ses araignées, il ne les empêchait pas d'agir aussi en leur nom propre et selon leur conviction. C'était après tout les convictions qui avaient forgé la base de la Toile. Ainsi, c’était aussi à la requête de Briselame qu’Ilhan avait accepté d’offrir un tel lien par l’anneau à Claudius.
Outre cela, Ilhan avait appris que plus son anneau avait de liens, amis ou ennemis, proches ou éloignés, simples connaissances ou grands alliés, peu importait, plus il mettait de chance de son côté pour quelque projet que ce soit. Ses anneaux lui permettaient aussi, en un sens, de garder un œil sur des sujets d’importance au devenir crucial pour l’archipel, et ce, quel que soit leur camp.
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Ce cadeau n’est qu’un pas supplémentaire vers la voie qui semble déjà se tracer. Il n’est pas un signe d’approbation ou autre quant à vos actes ou décisions.Que ce point soit clair aussi. Il ne pouvait approuver certaines choses. Mais il n’était pas non plus en son droit de les réprouver. Tout comme Claudius n’avait pas approuvé certains de ses actes passés… ou à venir ?
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Il est plutôt le gage du vœu d’avancer sur une voie de paix entre nos deux cités. Et plus encore, d’aller au-delà des considérations politiques de territoire.Car oui, comme il l’avait déjà dit, il désirait trouver une autre voie que celles des éternelles guerres. Il souhaitait trouver une autre solution, craignant sinon qu'ils signent à terme leur perte à tous. Son projet de protection de la magie en était l’amorce, il l’espérait.
Il avança davantage l’anneau vers Claudius du bout des doigts de sa main valide, gardant l’autre main, toujours gantée, précieusement sur ses genoux. Signe qui, si ses mots ne le suffisaient pas, signifiait qu’il confirmait ce cadeau. Puis se rencogna d’un port noble et droit dans son propre siège. Il prit une gorgée de boisson, laissant s’égrener quelques graines de temps exprès, comme pour titiller la curiosité de son interlocuteur jusqu’au bout de sa patience, avant de reposer son verre, en un geste lent et calme, et de reprendre avec un petit sourire.
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Comme je vous l’évoquais, je nourris un projet qui n’a ni terre ni race, qui est de toute terre et de toute race. Un projet qui nous concerne tous.Il ancra son regard sombre et perçant dans les yeux clairs de Claudius. Farouche détermination y brûlait alors.
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La magie se meurt. La magie est en danger. Pendant plusieurs années, nous en avons eu des signes évocateurs.Tous les sinistres événements en Ambarhùna. Le désert d’Esfelia en avait porté les stigmates pendant longtemps, jusqu’à leur départ de ce continent… peut-être les portait-il encore, ou pire, maintenant que les Chimères avaient dû le ravager aussi.
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Mais, enfants puériles et joueurs que nous sommes parfois, nous avons préféré les ignorer et nous aveugler. Magie nous a sauvés à maintes reprises, encore et encore, car au fond nous sommes ses enfants et elle nous protège. Pourtant nous continuons d’user, d’abuser ?, de magie, à tout va, sans pour autant prendre la peine d’observer et d’écouter les signes d’alerte de cette magie. Elle pleure, elle se meurt, et qui la protège, elle ?Même si Claudius n’était pas mage lui-même, ce sujet ne pouvait que l’intéresser, et le concernait lui aussi de près. Il usait de glyphes comme beaucoup, comme lui-même aussi. Même si actuellement seuls ses glyphes les plus primordiaux étaient activés. Et Sélénia était réputée pour être une cité aimant la magie, usant beaucoup de magie. Elle s’était d’ailleurs construire par magie. Les Séléniens avaient cette habitude de faire appel à la magie pour construire leur cité, quelle qu’elle soit. Seule Delimar avait construit et pavé ses rues à la seule force de ses bras.
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Des dragons se meurent.Un peu ironique de dire cela à celui qui en avait tué un. Mais c’était un fait, une réalité indéniablement liée au souci de la magie. Il leva aussitôt une main, enjoignant le maitre des armées de le laisser finir.
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Nul reproche. J’énonce simplement un fait.D'ailleurs bien d'autres avant Naal et Claudius en avaient tué aussi... Il n'y avait pas qu'eux à blamer pour tuer ces créatures. Leurs guerres avaient aussi été la cause de ces morts draconiques.
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Les dragons ont longtemps été le portail permettant de nourrir la trame de magie, pour nous permettre ainsi d’en user. Mais les dragons sont de moins en moins nombreux. Certes aujourd’hui nous avons également le Baoli comme source potentielle. Mais cette source peut être bien fragile aussi. Peut-être est-il venu le temps…Il marqua une courte pause.
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D’écouter les signes d’alerte ? D’écouter le chant implorant de ne pas abuser de ce cadeau des Dieux, et d’en faire un usage… plus raisonnable et plus raisonné ? La magie nous a protégés jusqu’à aujourd’hui, elle a toujours été là pour nous sauver. Mais si nous n’y prenons pas garde, elle pourrait bien disparaître, comme par le passé.Avant les années 1750, tous ces siècles de magie mourante, disparue, à l’agonie. Avaient-ils envie de revenir à ces âges sombres ? Il en doutait.
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Peut-être devrions-nous songer à des mesures pour la protéger, elle aussi. Pour éviter qu’elle ne disparaisse, et pour qu'elle puisse continuer à nous protéger le jour où nous pourrions en avoir le plus cruellement besoin…Il se tut quelques instants, sondant le maitre des armées dans les yeux. Nombres d’ennemis les guettaient encore. Il n’était pas dit que les Chimères ne reviendraient pas. Il préférait ne pas énumérer tous les autres qui étaient bien plus tangibles… ils étaient au final trop nombreux. Mais de la magie, ils en auraient sûrement besoin un jour encore...
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Vous comprenez alors que ce sujet nous concerne tous, quelle que soit notre race, ou quel que soit notre clan, camp, territoire ou cité. Cela va au-delà de toutes frontières. Il n’en dit pas plus alors et attendit les réactions de Claudius. Il préférait voir d’abord s’il était intéressé. Quand bien même il n’était pas mage lui-même, il connaissait suffisamment son royaume et sa cité pour en comprendre tous les enjeux.
[HRP : avec toutes mes excuses pour ce looong délais d'attente. J'espère que la réponse te conviendra et si souci n'hésite pas, comme toujours ]