17 Octobre 1763
Pourquoi me secout-on ? Dans mes yeux, que je jurerais ouverts, ce que je regarde me semble flou. Incertain. Je ne distingue rien que de vagues formes, sans pouvoir affirmer qu'elles soient inertes ou actives. Il y a du vert, du bleu, du blanc, un mélange de tout ceci, et une couche de violet très sombre tachant le décor. Cette masse uniforme, dont j'ai l'impression de mouvance, rétrécie. Rapidement.
Ma vue s'éclaircie faiblement. Suffisamment pour que je puisse entrevoir un décor de forêt tropicale et au milieu, un être vivant, à la peau rocailleuse qui se fait emporter par je ne sais quelle chose invisible, et cet être se débat. Je crois même entendre un fragment de voix. Sourd, à peine audible, comme au milieu d'un insupportable tumulte.
Je m’appuie sur mes pattes avant. Elles provoquent en moi une douleur aussi soudaine que brutale. Une violente décharge de souffrance se répand dans mes muscles et je ne peux m’empêcher de pousser un terrible rugissement. Et en y jetant des yeux larmoyants, je découvre avec horreur qu'il ne reste plus de mes membres que des brèches saignant abondamment et ne laissant paraitre que des lambeaux de chair et d'os. Alors que ce spectacle me pétrifie d'éffroie, la voix, maintenant tonitruante au fond de mon crâne me hurle, très distinctement :
« Au secours !! Alkhytis ! Aide-moi, je t'en supplie !!! Sauve moi ! HAAAAAAAAAAAAAAA !!!! »
Je n'arrive alors à rien. Les larmes de douleur se mélangent aux autres. Une profonde plainte s’échappe de ma gorge, et de mon cœur. Je hurle de douleur, de chagrin, je prie pour que tout s’arrête, pour que celle qui s’éloigne de moi soit relâchée. Qu’elle puisse revenir vers moi et que je puisse la réconforter, en serrant les mâchoires pour résister à mes pattes amputées. Me montrer fort. Mais mes cris trouvent pour seule réponse ceux de ma congénère à l'agonie. Tout mon être se déchire. Littéralement. Dans un bain écarlate alors que mes cordes vocales poursuivent leur macabre mélodie.
Je gémis… je sens que quelque chose me bouscule doucement la tête, on veut me sortir de mon sommeil. Mais je n'ai pas envie… mais lorsque tout s’achève dans le rouge lugubre du sang, mes yeux s'ouvrent d'eux-mêmes, durement. Et c'est Orfraie, la femme vampire de ma liée, qui vient me sortir de mon cauchemar. Elle me regarde, l'air content de me voir enfin réveillé :
« Cela devait être un très beau rêve pour que tu ne veuilles pas le quitter. »
Son sourire rassurant ne parvient qu'à m'arracher un petit grondement fainéant. Car, au fond de moi, ce rêve, sans évoquer la terreur qu'il m'inspire, me rappel à l'ordre. Je me dois de la retrouver. De prouver à tout le monde qu'Aiasil est là, quelque part, perdue. Je veux la sauver. J'y parviendrai. Je le sais.
Je m'en vais prendre l'air frais, piétinant l'herbe perlée de la rosée du matin. Vue mon état, la seule chose que je souhaite pour l’instant, c'est une étreinte tendre et réconfortante de Luna… quel dommage que la venue au monde de la petite Elena l'ai tant épuisée.
Je vais aller les voir. Au moins à travers la vitre de sa chambre.