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21 février 1764 – Delimar




Fébrilité pulsait en son coeur depuis le début de cette journée. L’aube n’avait pas dardé ses pâles rayons timides, qu’il en avait déjà senti les prémisses. Et plus le soleil continuait sa course dans le ciel limpide, en ce froid hivernal, plus l’appréhension gagnait en puissance.

Pourtant nul combat en ce jour, nulle bataille en de sanglants atours. Non, rien de tout cela. Non, en ce jour, mariage allait sceller de nouveau son destin. Un sceau qu’il n’aurait jamais cru pouvoir marquer de nouveau sa vie. Il avait recouvré ses souvenirs il y a peu, et avait peiné à se raccrocher à sa nouvelle existence. Après ce vœu fatidique qui avait ravivé peu à peu sa mémoire, lors de cette cent unième lune, l’ombre de sa femme avait plané auprès de lui, jour après jour, tout le mois durant, ou presque. Une ombre spectrale, littéralement, qui l’avait accompagné dans le douloureux cheminement des souvenirs, alors que le sinistre voile des limbes de son esprit se déchirait peu à peu. Il avait eu l’impression de tout revivre, à la fois avec une folle intensité, tant les souvenirs pulsaient parfois en tout sens, et avec une étrange et dérangeante distance, tant tout lui semblait éloigné. Pour autant, la perte de sa femme et de son fils l’avait flagellé de plein fouet, une nouvelle fois, quand il avait revécu leur trépas.

Qui aurait cru alors que la vie lui offrirait cette nouvelle chance ? Une nouvelle épousée, et plus encore : un enfant, cadeau du destin, si fou et si immense. Mais après tout, sa renaissance n’avait-elle pas été le premier pas vers ce renouveau dont il avait tant besoin ? Qu’il avait peut-être, sans vraiment l’admettre, toujours rêvé, sans oser l’espérer ? Aldaron avait-il su lire en lui ce vœu inavoué ? Et lui avait-il alors offert cette nouvelle chance et cette nouvelle vie ?

Aldaron… Son père ne pourrait être des leurs aujourd’hui. Anarorë avait choisi le jour, quand son père marchait dans la nuit. Et en Delimar les êtres tels que lui n’étaient guère les bienvenus. S’il pleurait en son coeur cette absence pour ce jour qui devrait être comblé, il préférait savoir son père en toute sécurité, à Nevrast, sur l’île du froid éternel, plutôt qu’ici, en Calastin, dans une cité qui chercherait à le rendre mortel.

Il était par ailleurs bien entouré. Il avait la joie, l’honneur, de voir la cérémonie célébrée par son cher et tendre Naal. Celui qui lui avait permis de traverser toutes ses dernières épreuves, ces derniers mois si éprouvants. Celui qui avait été un ancrage pour lui, une étoile brillant au firmament de la nuit, un guide quand doute s’écriait en lui. Celui qui avait été là quand on lui avait annoncé cette merveilleuse, et terrifiante, nouvelle que celle d’être père. Celui qui, alors qu’ils étaient amants, s’était réjoui pour lui. Celui qui avait pris soin de sa future épousée également, sans que rancune ou jalousie ne viennent ternir les relations entre ces deux êtres qu’Ilhan chérissait tant.

Naal, qui était là, en cet instant, face à lui, alors qu’ils attendaient tous dans le temple des Huit. Le monument entier n’était pas encore totalement fini, notamment l’immense obélisque dont la flèche cherchait à s’élever dans le ciel et semblait bien partie pour dépasser la citadelle elle-même. Immense flèche qui, tel un symbole de fertilité et de l’âme s’élevant, était une prouesse d’architecture almaréenne, et un réel défi en l’honneur des Dieux. Ils se tenaient tous deux au centre du temple, au milieu des autels, Naal du côté de l’autel de Néant et lui du côté de ceux des Déesses. Un grand nombre de bougies avaient été allumées, un peu partout dans l'édifice, et un grand nombre de fleurs avaient été accrochées sur les divers piliers, murs et sièges, tel à la mode althaïenne.

Il ne pourrait jouir toutefois des mêmes festivités, qui en son ancienne contrée durait une semaine entière, et il ne bénéficierait sans doute pas des mêmes cérémoniels si chers à son coeur, tels les mains liées devant une grande arche, ou les rituels pour honorer chaque élément… Sans compter qu'en Delimar un mariage n'était pas sujet à de telles excessivités, sa femme avait semblé en effet très gênée, quand il avait évoqué toutes les fêtes qui suivaient un mariage althaïen, et il avait voulu ne pas la mettre plus mal à l'aise encore. Ce mariage devait être sien, leur, à tous deux, en choeur. Si elle n’aimait pas les grandes célébrations et autres banquets, il pourrait se restreindre et profiter de ce qui leur serait accordé. Au moins avait-elle accepté cette cérémonie et quelques décorations en l’honneur de sa belle et si chère Althaïa.

Ilhan peinait à décrocher son regard sombre de l’homme à la peau plus sombre que lui et à la chasuble immaculée. Il lui accorda un doux sourire, qui, il l’espérait, cherchait à lui transmettre tout ce qu’il ressentait alors. Joie immense et douce affection, fervente reconnaissance de sa belle passion, tendre amour et folle appréhension, le tout valsant dans un maelstrom d’émotions qu’il peinait à contenir et qui illuminait ses orbes de jais d’éclats dorés.

Combien de temps son regard resta-t-il ainsi ancré sur lui ? Il n’aurait su dire. Mais cette seule vue parvint à le rasséréner quelque peu. Son coeur calma ses frénétiques battements pour redevenir un calme tambour battant. Il put alors se tourner vers l’assemblée, qui siégeait là, déjà installée sur les bancs, de chaque côté de la grande allée. Nombreux de ceux qui comptaient pour lui étaient là. Sa maisonnée, et tout Althaïa vivant en Delimar, mais également le Conseil, l’Intendante actuelle… et l'ancienne. Nombre de délimariens avec lesquels il avait noué quelques liens étaient là aussi. Mais surtout… son témoin, Belethar. Son presque frère, son ami depuis si longtemps… Lui qui l’avait connu en plein désarroi à l’époque pouvait partager maintenant sa joie ! C’était un réel honneur qu’il soit parvenu à faire tout ce chemin pour être là. D’un sourire, Ilhan l’en remercia encore. Et son regard se tourna sur celui qui siégeait aux côtés du baptistrel : Sorel, son autre frère, même si cette fois de secret et en secret. L’elfe avait tenu aussi à être là, représentant en silence de leur famille commune qui ne pouvait être des leurs.

Chaque visage, chaque silhouette, lui réchauffait le coeur et lui rappelait la chance qu’il avait. Cette destinée étrange et déroutante qui avait mené ses pas jusque-là… devant cet autel, devant Naal, à l’aube de son mariage maintenant imminent. Oui, chanceux, il l’était. Plus que son épousée, quand on y songeait. Elle était pour sa part entourée d’étrangers, ou presque. Peu de ses connaissances, proches ou amis avaient pu se déplacer. Trop loin, trop accaparés… ou trop dangereux pour eux. Ilhan ne pouvait qu’imaginer combien ce moment, qui aurait dû résonner de bonheur, devait être terni de ces absences. D’ailleurs, quand on parlait de son bel oiseau…

La voilà qui enfin apparaissait, à l’entrée du temple, au bras de Valmys qui alors avait accepté de la mener aux autels. Valmys, qui serait le témoin de son épouse aussi. Valmys, son frère, si doux frère, qu’il chérissait et dont chaque rencontre semblait bénie. Un sourire amusé flotta un instant sur ses traits quand il songea à toutes les péripéties qu’il lui avait fait vivre en rêve. Un sourire qui bien vite se teinta d’un doux émerveillement, quand il remarqua la sublime silhouette de sa femme. Et si sa magnifique robe n’y était pas pour rien, il pouvait assurer que sa femme était belle de nature et n'avait besoin de rien pour réchauffer son âme et illuminer son chemin. Mais il semblait qu’en ce jour les Déesses l’aient bénie plus encore. Ilhan inspira profondément, son sourire se faisant plus doux et presque rêveur, tandis qu’il réajustait sa tunique d’un blanc immaculé. Il avait choisi de porter une tenue toute althaïenne : long pantalon blanc tombant jusqu’aux chevilles, longue tunique blanche cintrée allant jusqu’aux genoux, rehaussée d’une large ceinture tout aussi blanche qui soulignait encore sa fine silhouette, et d’une large étole volant librement de part et d’autre de son épaule gauche.

Ses yeux sombres dévoraient alors sa future femme qui avançait à pas lents dans la grande allée. Il comptait presque les grains de sable qui la séparait de ce moment ultime où elle franchirait la limite du cercle formé par les autels des Déesses pour arriver jusqu’à lui.

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Après avoir inséré une dernière épingle dans ses cheveux, Autone observa un instant son reflet, tournant la tête pour observer les tresses et torsades qui s’entremêlaient dans la coiffure remontée. Pas une mèche de cheveux ne dépassait, on aurait cru qu’elle s’apprêtait à se rendre au conseil de Caladon, son habituelle austérité plaquée sur son visage. La petite dame laissa tomber son masque en un soupir. Elle observa, sur la commode, les deux pendentifs qui reposaient là, sans leurs chaines. Le médaillon portant le symbole de la famille Falkire et le Nexus noir. Dawan lui avait permis de se délester de la culpabilité, de ne plus s’accuser de l’avoir trahi ou trompé. Mais il lui semblait, ce matin-là, qu’il était bien trop tôt encore pour se remarier. En janvier, elle portait encore le noir et elle s’apprêtait à enfiler une tenue claire, beaucoup plus claire que ce qu’elle n’avait jamais porté dans les dernières années.

« Qu’aurais-tu pensé? »
souffla-t-elle d’un regard inquiet.

Diyah avait tissé l’étoffe et Autone avait choisi la couleur menthe. Pas tout à fait blanc, pas trop loin du vert, et pas tout à fait bleu. Mais une frontière confortable entre les trois, quelque chose qui ne jurerait pas trop avec la couleur de ses cheveux aussi. Des teintes de beiges imitaient un complément doré dans les détails, des motifs dans la soie. Cela l’avait gêné un peu, que Diyah travaille pour lui fabriquer une tenue traditionnelle. Mais la jeune femme lui avait assuré apprécier le temps qu’elle y passait et ça n’avait pas suffit pour empêcher Autone d’aider, là où elle était capable, en couture. Son habit était donc constitué de trois pièces. Un haut à manches longues qui arrêtait à sa taille, où commençait sa longue jupe. Le col était triangulaire, et son dos était légèrement ouvert, mais caché par l’étoffe qui, de la même couleur que sa robe, mais un peu plus décorée et brodée, reposait sur sa tête et sur ses épaules.

La petite dame murmura quelques prières avant d’aller rejoindre Valmys, qui l’accompagnerait au temple. Le voyant, elle sourit joyeusement. Beaucoup de personnes lui manqueraient aujourd’hui, mais elle voulait essayer d’être plus reconnaissante que pessimiste. Le simple fait que Sorel avait pu se présenter avait rempli son cœur de joie. Et bien qu’elle ne connût pas encore beaucoup le jeune baptistrel, la lumière de Dawan s’était logée en lui. Mais Valmys avait sa couleur propre, il n’était pas qu’une réflexion de son maître, il serait injuste de le traiter ainsi. Ilhan avait quitté plus tôt, lorsqu’ils arriveraient, il ne manquerait plus qu’eux.

Et c’est bien cette idée d’être le centre de l’attention qui la rendait nerveuse, qui l’avait fait s’arrêter devant la porte, le temps de prendre de grandes respirations, de taire les scénarios catastrophes dans son esprit et de trouver son courage. Si elle avait pu choisir, elle se serait mariée presque secrètement, avec un seul témoin. Malheureusement, le mariage althaïen qu’Ilhan aurait souhaité créait un compromis encore plus extravaguant que son premier mariage.

Autone prit le bras de Valmys un peu précipitamment, comme décidant de plonger dans l’eau froide avant de se dégonfler. Inspirant en faisant son premier pas dans le temple, elle tentât d’occuper son esprit à l’affection qu’elle ressentait pour Ilhan, à cette vie commune étrange et heureuse qu’ils construiraient ensemble. Elle n’avait finalement jamais aimé la tranquillité, une vie maritale stagnante, ordinaire était la dernière chose qu’elle désirait. Cette union, un peu inhabituelle, lui ressemblait. Elle promettait beaucoup de voyages, une famille éclatée et unique.

En croisant le regard de son presqu’époux, le sourire d’Autone s’élargit, ses ambres s’emplirent de la douce braise qui battait dans sa poitrine. Comme il était beau, et bien habillé, elle ne s’était attendue à rien de moins. Mais c’était son sourire qui rejoignait son cœur, qui lui permettait d’avancer dans cette allée sans craindre le regard des autres. Elle se sentait un peu petite, d’ailleurs, car plus d’un délimarien était présent. Autone serra d’ailleurs un peu le bras de l’elfe quand elle aperçut du coin du regard, le conseil, et les politiciens très importants qui avaient été, apparemment, invités. Décidément, tous ses mariages auront été politiques.

Bientôt elle s’approchait du cercle et s’arrêta enfin devant son promis. Autone salua Naal en inclinant un peu la tête. Elle ignorait pourquoi Ilhan était si attaché à cet homme, mais elle voulait tenter de ne pas s’interposer. Et bien que nulle jalousie ne l’habitait, elle devait avouer qu’il était étrange d’avoir pour célébrant l’amant de son mari. La petite dame détourna son attention vers Valmys, et quitta son bras en lui soufflant un « Merci. » avant de le laisser partir. Son regard se posa enfin sur Ilhan et dans ses ambres, elle laissait s’embraser toute son affection et son admiration. Puis elle s'approcha, d'un sourire rieur, elle murmura à son oreille un « Fourbe. » avant de glousser en reprenant sa place.

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    La réputation d’homosexuel incurable d’Ilhan Avente prenait fin aujourd’hui. Non pas que cela ait posé quelques soucis à l’althaïen, mais il fallait dire que cette histoire de boules couplé à la proximité qu’il avait avec l’Oracle ou tout simplement ses habitudes et manières venus tout droit de la Romantique n’avaient pas arrangé les rumeurs. Qu’il prenne épouse ralentirait sûrement les médisances, sans les taire véritablement, car, à peine défait d’une rumeur d’autres gronderaient : elle était Caladonnienne. Eu égard au comportement catastrophique de la bourgmestre de la cité de l’or, il y avait fort à parier que cela ferait des mécontents. Si Caladon et Délimar étaient alliées, elles s’en trouvaient aussi rivale et avec tous les tremblements politiques qui secouaient Calastin depuis les derniers mois, Naal priait pour que ceci ne soit pas vu d’un mauvais œil.

    « Regardez, c’est Sucre d’Orge. »

    Hein ? Quoi ? L’Oracle posa un regard vers les chuchoteurs almaréens et tourna le regard vers l’homme qui se tenait non loin de lui : Belethar. Avait-il entendu ? Bien sûr qu’il avait entendu. Naal, lui, fit semblant de n’avoir rigoureusement rien entendu, tournant solennellement la page de la Bible au papier encore frais de nouveauté. Il se mordit la langue, pour tenter de ne pas pouffer de rire. Il se souvenait encore de ce sucre légèrement lumineux dont Belethar avait été enduit. Il s’en était retrouvé particulièrement collant et avait écopé, de la part de Naal, le charmant surnom par lequel les almaréens le connaissaient alors. C’était d’ailleurs lui-même qui avait raconté aux siens les aventures de ce cher Sucre d’Orge. Était-ce la culpabilité qui le faisait penser que Belethar le regardait de travers ou le baptistrel était-il vraiment en train de la regarder de travers ?

    « Avouez que c’était un surnom fort approprié. »

    Il avait fini par lâcher ceci, sur un ton un peu nerveux, pour essayer de plaisanter. Il n’avait rien connu de mieux qu’un peu d’humour pour détendre l’atmosphère. Fort heureusement, ce fut le moment où Ilhan approcha mettant un temps fou à le lâcher du regard. L’ancien monarque lui accorda un sourire en coin, un peu joueur, comme pour le taquiner. Allons bon, il n’était tout de même pas anxieux à l’idée de se remarier tout de même ! Sa nouvelle épouse était si terrible que ça ? Il était clair qu’elle avait le feu en elle mais à dire vrai, la seule chose qui inquiétait Naal chez cette femme était sa propension à suivre un Elusis dont le cerveau avait été ramolli par le Lien imposé par la dragonne blanche. Ça n’était pas faute d’avoir essayé de réduire l’œuf de cette aberration en poussière, avant qu’elle ne détruise la tête de ce pauvre vampire. Il avait entendu dire que le fou s’était mis à trancher de tête à Nevrast, pour se faire respecter. Voilà qui faisait froid dans le dos et ne faisait que renforcer son aversion à l’égard des dragons et ; plus particulièrement, du Lien.

    A dire vrai, il espérait qu’Ilhan ait bonne influence, concernant ce sujet, sur la future mariée, plutôt que l’inverse. Il avait mis en garde suffisamment les sien sur les malheurs que semaient les dragons, dans leurs sillages. Les dragonniers avaient tendance à avoir la vie courte. Avec un peu de chance, les Elusis ne feraient pas long feu. Non pas qu’il éprouvait de la haine pour ce clan, mais leurs deux chefs étaient Liés et complotaient pour la domination du monde. Du reste, il était particulièrement confiant dans la réussite de ce mariage. Ilhan était un homme particulièrement protecteur et investi. Autone était de ces femmes que la misogynie de Naal ne parvenait pas à détester complétement. Bien que moindre par rapport à ses pairs masculins, elle dénotait une certaine valeur dans les convictions qu’elle portait, au péril de sa vie. La dite mariée avançait alors au milieu du temple jusqu’à l’officiant. Se retrouvant face au couple, il les trouvait mignons dans leurs différences. Elle était particulièrement blanche à la chevelure flamboyante alors que chez lui, c’était la peau dont l’ambre ressortait plus particulièrement.

    « Autone Falkire, Ilhan Avente, je vous reçois aujourd’hui dans le temple de Néant et ses sept sœurs pour vous unir des liens sacrés du mariage. »


    Vêtu d’une coule blanche (sous laquelle il ne portait évidement rien, était-ce utile de le souligner ?), la chasuble, d’un bleu céruléen faisait ressortir ses yeux qui avaient la même teinte. Il ouvrait ses mains brunes aux tatouages noirs, ainsi que ses bras, paumes levées vers les cieux.

    « Dieu tout-puissant, puisqu’en créant l’homme et la femme à travers tes sœurs, tu as voulu qu’ils ne fassent plus qu’un, attache l’un à l’autre, par un amour sincère, ceux qui vont maintenant se marier. Eprouve-les, dans la misère comme dans l’allégresse, pour que leur vie partagée les amène à se tourner l’un vers l’autre et à regarder ensemble, dans la même direction. Fais de leur foyer le cocon de paix qui, même au cœur de la tempête, retrouve son chemin. J’invite les témoins à formuler leurs hommages devant les divins et les mortels, afin que leurs paroles viennent conforter cette union aux yeux de Dieu. »


    Il laissa sa place aux témoins en se décalant sur le côté de l’office.

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Un heureux jour qu’était celui-ci, définitivement.

Belethar avait un sourire aux lèvres, que même la plus désastreuse des nouvelles n’aurait pu lui enlever. Il était revenu à Delimar, non pas pour visiter les différents chantiers en cours, ni pour une quelconque affaire qui devait être signé entre sa famille et une autre personne, mais bien cette fois-ci pour son plaisir personnel.

Cedit plaisir, étant un événement qu’il n’aurait pu manquer pour rien au monde : le mariage, ou plutôt re-mariage de son presque frère. A l’annonce de cette nouvelle, l’Espérancieux avait évidemment intimé à son grand ami qu’il serait présent quoi qu’il arrive, quand bien même il était attendu ailleurs.

Se fut un plaisir encore plus grand d’apprendre qu’Ilhan lui avait choisi un rôle très important : il allait être Témoin. Même si ce choix pouvait sembler “logique” dans la mesure où les deux hommes entretenaient une amitié très forte depuis qu’ils s’étaient connus, et qu’ils avaient été autant présents l’un que pour l’autre, cela embaumait toujours le coeur de Belethar de savoir que cette amitié avait su traversé les âges au point de voir que dans les moments importants, l’un cherchait à avoir le soutien de l’autre.

Alors pour honorer cette amitié, mais aussi ce très heureux événement qui venait parachever toute cette “reconstruction” qu’avait entrepris son ami depuis l’exil d’Ambarhùna, Belethar allait faire en sorte que cette journée soit inoubliable. Mais comme il eût été trop simple de tout dévoiler à tous leurs intentions, l’Espérancieux avait travaillé avec (ou plutôt, s’était confronté à) Valmys Neolenn Elusis dans le plus grand secret pour préparer une surprise de taille au jeune couple.

Car comme un signe du destin, Autone Falkire, la presqu’épouse d’Ilhan, avait choisie Valmys comme témoin. Autant dire qu’il y avait encore une fois, un duel de la plus haute importance dans ce très heureux événement.

Mais tout n’allait pas prendre forme tout de suite, car cela faisait partie des festivités de la journée après tout. Il y avait d’abord grand monde pour une cérémonie religieuse de premier ordre, dans le grand temple des Huit à Delimar. Le grand tout de l’Alliance des Cités Libres était présent pour cette cérémonie qui liait deux personnages importants de sa vie politique, et l’Espérancieux reconnaissait de nombreuses têtes connues. Néanmoins, une de celle qu’il reconnaissait le plus vite était Naal du Néant, qui allait être officiant pour cette cérémonie, à la demande express de son presque-frère.  

Pour cette occasion et cette cérémonie qui rassemblait beaucoup de gens, Belethar s’était fait beau. Il avait délaissé ses vêtements traditionnels, pour s'essayer à un nouveau style, marquant pour lui aussi un certain changement dans sa vie. Il avait avec lui une grande tunique blanche, tissée par les grands couturiers de l’Alliance, qui couvrait presque tout le haut de son corps. Belethar avait volontairement laissée la partie droite de son torse ouverte, où l’on pouvait voir que son tatouage qui ne le quittait plus désormais, épousait harmonieusement le long de son bras, jusqu’à l’épaule et sur tout le cou. Pour le reste, un léger pantalon blanc dans le même ton venait couvrir le bas de son corps, avec des chaussures de bon aloi, la tunique étant accrochée par une ceinture dont la boucle était à l’effigie de la double pupille symbolique de sa famille.

Ainsi, quand il rentra dans l’établissement religieux, en compagnie de son témoin, nombre de personnes chuchotaient; n’hésitant pas à le dévisager. Belethar fut quelque peu étonné : lui qui n’était pas si célèbre que ça en Délimar, il ne pensait pas que nombre de personnes remarquerait son changement de style vestimentaire.

Mais les personnes ne le remarquait pas grâce à son style :

« Regardez, c’est Sucre d’Orge. »

Entendit-il dans la foule, une fois, puis deux, puis trois. Belethar coula un regard, à mi chemin entre le mépris et l’amusement au Haut-Prêtre du Néant, qui semblait en grand mal, se retenant d’éclater de rire. Celui-ci fit au baptistrel :

« Avouez que c’était un surnom fort approprié. »

Le Pater Familias haussa les sourcils, avant de lui glisser :

“Il faut croire que ce surnom me collera définitivement à la peau.”

Et de partir dans un petit rire. L’Espérancieux n’en voulait pas vraiment à Naal d’avoir diffusé cette histoire, car bien qu’elle fut un peu honteuse, elle était aussi aux yeux de l’apprenti baptistrel un vrai pas en avant fait vers les autochtones de cet archipel, et dans l’amitié entre karapts et humains.

Le Pater Familias assista ensuite au début de la cérémonie religieuse, et quand le moment du discours des témoins vint, Belethar eut un petit regard vers Valmys : désirait-il y aller ou lui laissait-il la place ?

Voyant que le Chanteterre ne se décidait pas à ouvrir le bal, Belethar prit ses responsabilités et rejoignit l’office, déposant sur celle-ci quelques notes qu’il avait prise avec lui, en cas de pépins.

Il inspira, avant de s’exprimer d’une voix claire et intelligible pour tous et toutes :

“Amis de Delimar, Caladon, très chers membres de l’Alliance et citoyens de Calastin, la tâche qui m’a été donné n’est pas des plus faciles. Car l’on peut difficilement résumer en quelques mots seulement la vie d’Ilhan Avente, qui fait partie des plus chevronnés des citoyens de Delimar.”

Belethar marqua le mot citoyen, quitte à choquer les personnes présentes ici. Ilhan lui avait évidemment raconté toute la pénibilité qu’il avait eu d’accéder à ce statut si particulier de la cité libre, chose que l’Espérancieux avait toujours trouvé scandaleuse au vu des efforts que fournissait son presque-frère.

“Néanmoins, de mon esprit d’ami et de personne l’ayant beaucoup côtoyé ces dernières années, je peux aisément dire que vous avez ici un battant, qui n’a jamais rien lâché, autant face à l’adversité, que face à la maladie. Nombreux ont été ses combats, et ses réussites associées à ceux-ci. Il ne le dira probablement jamais tout seul, mais laissez moi vous dire une chose haut et fort : Ilhan est un homme d’exception.”

Belethar marqua une pause. Il n’entendait pas faire un exposé de la vie professionnelle d’Ilhan, et à la vue du parterre de personnes importantes à cette cérémonie, il tenait également à la dignité de son grand ami et ne voulait pas exposer aux grands jours des histoires qu’il aurait été préférable de garder dans la sphère privée, dans laquelle ils se retrouveraient tous plus tard.

“Si nous sommes ici pour célébrer l’amour, alors permettez moi simplement d’adresser aux Huit un voeu de grande longévité de ce mariage, et de protection de ces deux êtres aimés. Si je connais beaucoup plus l’histoire de mon ami, je ne suis pas sans connaître la vie de son épouse, qui de ce que je sais, a également eu son lot de pertes terribles. Tout ce que je désire, c’est que vous soyez heureux pour cette vie, et toutes les autres à venir, car la vie sur l’ancien continent tout comme celle sur le nouveau ne vous auront pas épargnés.”

L’Espérancieux s’accorda une respiration. Il se trouvait étrangement solennel, mais tout ce qu’il disait était des choses qu’il pensait vraiment depuis très longtemps. Il avait été pendant longtemps cet ami à qui Ilhan se confiait, et pendant tout ce temps Belethar espérait secrètement ce jour où il pouvait retrouver un équilibre dans sa vie sentimentale.

Aujourd’hui était probablement un de ces jours qui marquaient la fin de ce calvaire, et le commencement d’une nouvelle histoire.

“Nombreux seront ceux qui chanteront vos louanges, Ilhan et Autone. Puissiez vous toujours trouvé la lumière et le progrès sur votre chemin. Souriez car aujourd’hui commence le premier jour du reste de vos longues vies.”

Sur ces mots, Belethar alla se rasseoir. Il ne connaissait pas la réaction de l’auditoire, mais au moins celui-ci avait été juste dans ses propos, et il avait dit tout ce qu’il pensait de son ami, et de son mariage.

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La salle était vaste et occupée par des personnages importants. Rien de bien surprenant lorsqu’Ilhan était concerné, à l’instar d’Autone. Tous deux étaient des personnages connus et reconnus, à bien des égards, et si Sorel dévisageait certaines personnes, il n’avait d’yeux que pour Ilhan, pour l’instant, l’observant avec un petit sourire. La journée était belle et semblait bien partie pour le rester.

Ilhan se tenait devant l’autel, en compagnie de Naal qui officierait la cérémonie. L’homme avait la peau brune et l’habit blanc, son expression tantôt souriante tantôt douce le rendait infiniment agréable aux yeux de l’elfe. D’autant plus lorsqu’il remarqua la façon qu’avait Ilhan de le regarder. Il n’avait jamais rencontré l’homme que tous connaissaient sous le nom de l’Oracle, c’était donc une première fois. Il ne savait pas trop à quoi il s’attendait venant d’un homme qui avait vécu plus longtemps que ses pairs, plus longtemps que bien des elfes et certainement plus longtemps que la majorité des vampires. Il ne savait trop à quoi s’attendre de la part d’un homme pieux qui avait dévoué sa vie à Néant, un dieu pourtant disparu à l’instar des autres. Pour avoir vécu si longtemps, pour avoir conservé sa foi malgré tout, cela dénotait une détermination qui forçait le respect. Peut-être également l’admiration mais Sorel ne connaissait pas suffisamment bien le personnage en lui-même pour cela. Même si la façon qu’avait Ilhan de le regarder, sans parler du sourire qu’il lui avait adressé, pourrait bien faciliter les choses.

Il leva les yeux vers Naal pour constater qu’un bref échange s’était installé entre lui et Belethar, un échange qui semblait les amuser tous les deux à en juger par leurs sourires et le rire du baptistrel en devenir. Et prometteur, avec ça, songea-t-il en frottant son bras, là où quelques jours auparavant seulement des plaies profondes marquaient encore sa chair.

Peu après, les portes s’ouvraient pour laisser entrer Autone au bras de Valmys. Il les observa remonter l’allée. Elle était vêtue d’une robe du plus bel effet dont les couleurs mettaient en valeur sa beauté et les couleurs naturelles de ses cheveux et de sa peau. Sorel sourit, doux, tandis que de vagues murmures accompagnaient la progression de la future épouse.
La voix forte de l’Oracle portait sans pour autant s’écrier, aisément audible pour des sens d’elfe mais également pour les humains qui se trouvaient à proximité. Une voix qui fit incliner la tête de Sorel, appréciant sa tonalité et son ton calme qui portait sans forcer.

Sa présentation, simple mais efficace, collait au personnage vêtue d’une tenue blanche et bleue - dont Sorel appréciait tout particulièrement la teinte. Il recula cependant, laissant la place et la parole aux témoins. Se tenant à côté d’Autone, Valmys ne bougeait pas et ne sembla pas prêt à prendre la parole et Sorel considéra un instant son frère avec inquiétude, se demandant dans quel état le baptistrel se trouvait. Cela faisait beaucoup de monde en un espace assez restreint, sans parler des vibrations en quantité qu’il devait percevoir venant de toutes parts. Considérant un instant son partenaire baptistrel et d’architecture, Belethar prit les devants avec bravoure. Sa voix, claire et précise, portait entre les murs en échos simples qui fit un instant fermer les yeux au jeune elfe pour profiter des tonalités et de leurs réverbérations entre les colonnes, comblant le silence religieux qui s’était installé à l’instant où Naal avait prit la parole. Brièvement troublé pendant l’hésitation des deux témoins.
Il sourit tandis qu’il ouvrait les yeux pour voir la foule comme subjuguée par Belethar, pendue à ses lèvres. Certains souriaient, touchés par la loyauté et par l’affection, d’autres restaient de marbre mais n’en étaient pas moins attentifs et le dos droit.

Il y eut comme un instant de flottement avant que tous les regards ne se tournent vers Valmys. Le cawr demeura un instant immobile avant que son regard ne trouve celui de Sorel. Le baptistrel quitta le côté d’Autone, rebroussant chemin sur l’allée centrale et le jeune elfe se leva, lui qui se trouvait sur un côté de la bâtisse dérangea quelques personnes pour rejoindre son grand-petit frère.
Le baptistrel et son frère échangèrent brièvement, au milieu de l’allée centrale, avant que Valmys ne s’en aille, disparaissant derrière les portes qui se refermèrent silencieusement sur sa silhouette.

Sorel se tint au milieu de l’allée, le teint un chouïa plus pâle qu’un instant auparavant, conscient des regards rivés sur lui. Il était à l’aise avec les gens, un peu moins avec une foule d’anonymes dont l’importance variait du “pas tant que ça” à “un peu trop pour être confortable”. Il croisa le regard d’Autone et d’Ilhan et esquissa un petit sourire avant de se diriger vers l’autel où ils se tenaient en compagnie de l’Oracle et de Belethar. Une fois parvenu aux côtés des époux, il prit une inspiration pour prendre la parole.

« J’aime prétendre que je suis toujours prêt à toute éventualité, » commença-t-il doucement, sa voix sans prétention portant également bien qu’il eut à forcer pour que ceux à l’arrière puissent l’entendre, « autant vous dire que celle-là, je ne l’avais pas vue venir, » finit-il sur le ton de l’humour, jetant un regard d’excuse à Autone.

« Maître Neolenn ne pourra pas assurer son rôle de témoin, aussi prendrais-je sa place pour témoigner avec l’accord de la mariée, »

Autone donna son accord sans trop attendre, ses yeux mordorés brillants. Il croisa le regard d’Ilhan, son sourire s’accentuant un instant avant qu’il ne s’adresse à tous à nouveau.

« J’ai rencontré Autone dans des circonstances que beaucoup qualifieraient de difficiles, » c’était probablement un grossier euphémisme concernant Morneflamme mais là n’était pas la question, « mais c’est aussi là que j’ai découvert une femme avec un coeur en or et un tempérament en acier trempé. Elle m’a protégé et accompagné, m’a secouru là où beaucoup auraient tourné le dos sans un regard en arrière. Moi et beaucoup d’autres ont bénéficié de sa présence et de sa générosité, de sa féroce bienveillance et de son infaillible détermination. »

Il soutint le regard de la jeune femme, son expression douce tandis qu’il effleurait du bout des doigts la main de son amie, poursuivant sans détourner les yeux des siens :

« Peu ont affronté ce à quoi elle a fait face et peuvent se targuer d’être encore debout, le dos droit et la tête haute, mais elle l’a fait et rien ne me réjouis davantage que de la voir ici aujourd’hui, épousant un homme aussi méritant qu’Ilhan Avente. » Son regard embrassait désormais les deux épousés : « Vous avez tant à donner et tant à recevoir l’un de l’autre, tant à découvrir et à apprendre encore qu’il me tarde de vous voir évoluer, main dans la main, dans l’adversité comme dans le succès. » Son sourire se fit mutin et il regretta un instant d’être à portée de taloche lorsqu’il poursuivit : « J’ai tout aussi hâte de pouvoir assister à vos premières chamailleries, je reste persuadé que ce sera particulièrement divertissant. »

Il devait terminer, peut-être louer les huits même si cela continuait de le rendre perplexe puisqu’ils étaient tous morts, pour autant qu’il sache. Il jeta un regard à Naal.

« J’ai l’honneur de formuler mes voeux les plus sincères, en ma qualité de témoin remplaçant, »  précisa-t-il avec humour, « et de les adresser aux huits en espérant qu’ils garderont un oeil bienveillant et protecteur pour ces personnes si chères à mon coeur et pour lesquelles je souhaite une vie longue pavée d’amour et de partage. »

Le coeur battant la chamade, le jeune elfe chercha du regard l’approbation d’Ilhan et d’Autone, celle de Naal qui s’y connaissait très certainement mieux que lui en la matière. Pendant un instant, Sorel s’interrogea sur le nombre de mariage qu’il avait pu officier par le passé, la pensée vertigineuse et les possibilités infinies. Il se recula d’un pas, restant fidèlement aux côtés d’Autone, la soutenant par sa présence, assurant ses arrières comme elle avait assuré les siennes à Morneflamme, comme ils le faisaient depuis des années maintenant.

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    La salle était attentive aux discours des témoins, ou du moins du témoin officiel et du témoin improvisé. Valmys les quittèrent rapidement en murmurant être appelé sur une urgence médicale. Il s’éclipsa promptement et Sorel put prendre sa place, visiblement à la demande du témoin lui-même. Naal ne connaissait que peu Autone, elle lui semblait être une femme intelligente, par rapport à ses pairs, aussi fût-il satisfait d’entendre le point de vue de Sorel, à son sujet. Il peignait une femme forte et, en son for intérieur, Naal se disait qu’il fallait au moins ce tempérament-là pour arriver à vivre avec cette tête de mule d’Ilhan. Chose d’ailleurs que Belethar avait omis de mentionner : souligner Ô combien elle aurait à se montrer ferme. Autone était-elle au courant ? Naal n’avait-il pas essayé de maintenir Ilhan au repos, à l’orée de sa funeste maladie ? Au lieu de cela, cette tête dure avait décidé de poursuivre sa mission diplomatique dans un piètre état, à Sélénia, pour finir capturé par des pirates, maltraité et relâché dans la savane de Nethéril pour que l’almaréen en récupère les lambeaux de vie agonisants. Existait-il pire suicidaire, après Toryné Dalis, de ce qu’il en avait entendu dire (un vampire sur un navire de glacernois, quelle fantaisie !), que cet Ilhan Avente buté ?

    Bien sûr, s’il avait conscience des complications du personnage, il restait affectueux à son égard, persuadé que son compagnon désirait servir des dessins honorables. Mais tout de même quelle tête de mule ! Reprenant une place d’orateur devant les épousés et l’assemblée, le dévot resta un instant perplexe, silencieux et hésitant. Il finit par gager qu’Autone devait suffisamment le connaître, car au fond, ce trait de caractère n’était pas un secret et se compensait par la douceur, la tendresse et l’empathie dont il était capable. Une part de lui espérait qu’Ilhan resterait assez souvent à Délimar pour qu’il puisse profiter de son apaisante présence… Mais il ne doutait pas que son épouse le réclame par ailleurs. « A la lumière de ces témoignages, il apparait assez clair que votre maisonnée ne manquera pas de chaleur, d’équilibre et de soutien. Puisse-t-elle être le siège d’éclats de rires et de larmes consolées, d’idées ingénieuses et créatrices, qui viendront vous enrichir mutuellement. Puissent vos prières être entendues des Huit, et par vos enfants, pour que se perpétue l’espoir, la tolérance et l’amour, au sein de notre peuple. »

    L’ont fit venir les alliances, toutes deux posées sur un support molletonné. Il posa ses deux mains sombres et tatouées sur chacune d’entre elles et leva ses yeux d’un bleu céruléen vers la voute sombre. Puis il ferma les yeux. Il s’effaçait, mentalement, oubliant jusqu’à son être pour incarner l’Oracle. Il se plongeait dans ses souvenirs, dans le Vide absolu dans lequel il avait été absorbé, des siècles durant, chaque fois qu’il avait été conduit à la mort et que Néant l’avait retenu. Il se souvenait de Son essence, de Sa douceur… Et de Sa douleur aussi, croissante, que le Tyran lui avait sournoisement infligé. Il se souvenait de Son visage, et de l’épée déicide qu’il avait enfoncé dans son corps divin pour Le soulager et Le libérer. Il se souvenait des présents qu’Il avait fait siens et du souffle de sa sœur, Vie, qui le quittait, alors qu’Il rejoignait la Mort. Plus que tout, il se souvenait de la Voie que Néant lui avait montée et par laquelle il avait mené les siens pendant dix-sept siècles de Paix. C’était par la transmission et la bénédiction que son être devenait l’Oracle, celui qui déversait sur l’humanité la parole sainte des cieux.

    « Au nom du Tout-Puissant et de ses Sœurs, je bénis ces alliances afin qu’elles rappellent aux épousés la présence de l’autre, pour qu’à chaque instant de votre vie, qu’il s’agisse de joie ou d’obstacle, vous sachiez vous tourner l’un vers l’autre pour trouver toutes les réponses aux questions que vous vous posez. C’est dans le partage de l’âme que vous trouverez la parole de Néant. Ilhan, Autone, je vous invite à échanger l’un envers l’autre vos vœux et promesses. »

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De nombreuses sommités firent leur entrée et prirent place dans le temple. Quand Belethar entra à son tour, le mot Sucre d’Orge courut dans les allées. Ilhan l’entendit parfaitement, ne sachant s’il devait bénir ou maudire ses sens de Sainnûr. Tout comme il entendit aussi la boutade de Naal envers Belethar. Ces deux-là semblaient assez bien s’entendre et Ilhan devait avouer en être rassuré. Ils tenaient à ces deux êtres et les voir nouer une telle complicité lui faisait chaud au coeur. Il ne put que sourire à la taquinerie de Naal, même s’il tenta de la camoufler sous un sourire d’apparente politesse. Nul doute toutefois que cette boutade ressurgirait quand il verrait Belethar en tête à tête.

Mais, bien vite, rien d’autre n’eut d’importance que la femme qui s’avançait vers lui. Plus rien n’existait qu’elle et l’irrésistible attrait qui le liait à elle. Pour un instant, oubliées les sommités, oubliés les taquineries et petits surnoms en tout genre, oubliés les êtres qui les entouraient, oublié tout cela. Il n’avait d’yeux que pour elle. Et il ne revint à la réalité qu’au murmure qu’elle lui offrit au creux de l’oreille. Un mot. Un seul. Fourbe.

Fourbe ? Lui fourbe ? Oui, bon peut-être un peu. Même s’il trouvait ce qualificatif un peu exagéré. Était-ce sa faute si les officiels s’étaient tous invités d’office ? En Delimar, c’était ainsi. La communauté était si soudée, qu’elle ne pouvait concevoir un tel événement en privé. Il ne pouvait leur refuser de venir. C’était aussi la marque qu’il s’était fait une petite place, qu’il avait su gagner leur estime, même si cela avait demandé du temps. Le ton amusé de sa femme lui montra toutefois, que, même si cela la gênait clairement, elle ne lui en voulait pas pour autant. Il laissa alors un léger sourire filtrer sur ses lèvres et fit face à Naal qui commençait la cérémonie.

Naal qui laissa bientôt place aux témoins et à leur discours. S’il fut ému par celui de Belethar, plus que de raison, et le remercia intérieurement de l’avoir gracié de répéter quelques anecdotes de leur passé, anecdotes parfois honteuses et gênantes pour lui, il en fut tout autant de celui de Sorel concernant sa femme. Il comprit rapidement ce à quoi faisait référence le jeune elfe. Il connaissait une bonne partie du passé de sa femme. Et il en nourrissait plus de respect encore. Il parvint toutefois à contenir son émoi et parvint même à retenir ses filaments de sortir. Seuls ses orbes sombres pétillèrent d’éclats d’or par millier, trahissant ce qu’il parvenait par ailleurs si bien à cacher.

Il remercia Naal intérieurement de poursuivre sans plus s’attarder. Et vint le moment des alliances. Il observa le prêtre officier, les mains sur les bijoux alors encore posés sur leurs coussins, et fut plus que troublé par la beauté de l’instant, cette solennité majestueuse, cette divine présence silencieuse, cette émotion palpable résonnant en écho parmi toutes ces âmes… Nul besoin de Tela pour ressentir l’émoi de ce moment crucial. Il sentit son coeur battre chamade, quand sonna le glas de l’échange des vœux. L’échange des alliances. Le lien ultime qu’ils allaient nouer, sceller, pour toujours et à jamais.

Il sentait son corps tressaillir et ses mains presque trembler. Il avait pourtant déjà vécu pareil moment. Il avait pourtant… Oui, il s’était déjà marié. Et un court instant, il crut apercevoir la silhouette flottante de sa tendre et douce aimée décédée. Là, juste derrière Naal, la main presque posée sur l’épaule du prêtre. Là, les traits magnifiques et altiers, jusque dans la mort éplorée, lui souriant pourtant avec tendresse. Comme si… Comme si elle s’unissait à Naal pour bénir les alliances, elle aussi. Bénir cette union, et lui donner, enfin, son approbation pour qu’il refasse sa vie. Non pas qu’il l’oublie, il ne le pourrait jamais, mais qu’il trace un autre chemin, avec une autre compagne à ses côtés. Et alors, tout tremblement cessa. Le frisson glacé qui courait le long de son échine se mua en une onde chaude qui enserra son coeur et en calma les inquiètes ardeurs.

Son regard sombre miroita sur les deux bijoux que Naal leur tendait dès lors. Son regard s’ancra alors sur les magnifiques bijoux qu’il avait fait forger, ces deux bracelets constitués de multiples spirales de palladium, d’argent et d‘or blanc, tout en orfèvrerie althaïenne, destinés à vous envelopper le bras en un enlacement évoquant un serpent ou un lierre. En certains endroits, les lianes du bracelet étaient sculptées de fines plumes enveloppantes, des plumes pouvant se teinter d’une couleur particulière. Il y avait fait ajouter des glyphes pour que tous deux restent liés par ces alliances si typiquement romantiques, si althaïennes. Dont un glyphe de communication qu’il avait ajouté au bijou destiné à sa femme. Oui, magnifiques bijoux, il en était fier.

C’était à lui de commencer, réalisa-t-il soudain, alors qu’un long silence s’étirait dans une languissante attente, tension et hésitation montant tout doucement alors qu’il restait encore figé. Il peina à relever les yeux. Et alors que son regard croisa celui de Naal, il aperçut la silhouette de sa femme décédée s’évaporer derrière l’Oracle, lui offrant un dernier et ultime sourire, bénédiction de son aimée disparue. Une onde de mélancolie coula en lui, se mêlant à une autre de profonde tendresse, quand il parvint enfin à se tourner vers sa nouvelle épousée. Oui, avec elle, il pourrait construire une nouvelle vie. Ils partageaient nombre de valeurs communes, nombres de douleurs aussi, et étaient tous deux dotés d’une force qui leur permettrait sans doute de franchir tous les obstacles. Oui, cette femme, il l’aimait tendrement, avec autant d’ardeur. Un amour tout autre, mais tout aussi sincère.

Il s’empara alors du bracelet destiné à sa femme, et prit de l'autre main, avec force délicatesse, le bras gauche d'Autone.

Ce fut d’une voix profonde et grave, de laquelle il ne cacha nullement l’émoi, qu’il prononça enfin ses vœux.

Autone Falkire, je t’offre cette alliance afin que tu te rappelles à chaque instant, que je t’aime, que je te respecte et que je te chéris, aujourd’hui, demain et pour le reste de nos vies, et qu’avec toi je souhaite traverser tous les affres du temps. Par elle, je te promets mon amour, mon soutien éternel et ma loyauté. Je promets de te soutenir qu’importent les difficultés et de marcher à jamais à tes côtés. Que cette alliance nous lie aujourd’hui, pour toujours et à jamais.

Et enfin, avec une douceur empreinte d’émotions tendres et fortes, il fit glisser le bijou jusqu’au haut du bras de son épouse, resserrant doucement, sans forcer, le métal sur ce dernier, pour qu’il s’adapte parfaitement à la petite taille de ce bras si délicat.

Une grande inspiration, et il releva ses orbes pétillants sur sa femme alors si magnifique, lui offrant un sourire dénué de tous ses faux semblants. Se dévoilant, pour une des rares fois, tout entier.

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C’était vrai, à présent, ils étaient tous deux à l’autel et Naal avait commencé la cérémonie, cela lui semblait pourtant bien illusoire. De cette impulsivité qui les avaient emmenés à une relation soudainement bien différente, du concours de circonstances qui l’avaient mené à Délimar et à cet autel. C’était la chose logique à faire, non? Le discours de Belethar lui rappelait les raisons pour lesquelles elle faisait cela. Elle, humaine, aurait une vie courte, là où son enfant vivrait longtemps avec son père. Et elle ne voulait ni condamner d’avance cet enfant à un statut de bâtard, ni perdre d’avance toutes ses causes en gâchant sa réputation. Elle n’avait, après tout, que quelques dizaines d’années pour laisser sa marque sur son bout de terre, de famille.

À moins que…

Autone tentât de se concentrer aux mots du baptistrel en souriant, cachant derrière son regard de miel la mort qui tournoyait en sa conscience. À vrai dire, lorsqu’elle tournait la tête pour poser un regard tendre sur son époux, elle craignait cette vie étrange, désynchronisée. Elle, vieillir, puis l’abandonner. Lui qu’elle voulait protéger. Mais n’avait-il proposé ce mariage sachant qu’il en serait bien rapidement libéré? Voulait-il réellement cette union, ou n’était-ce qu’une question d’honneur? Elle s’était répétée qu’elle avait déjà eu son compte de fées, que ce n’était plus ce qu’elle voulait, que cette décision pratique était la meilleure. Pourquoi, alors, craignait-elle tant qu’il ne veuille d’elle que pour les quelques années de sa courte vie? Pourquoi ne pensait-elle qu’à la mort alors qu’ils étaient à l’autel?
L’attention de la petite dame fût détournée par Valmys qui dût quitter, et Sorel qui prenait le relais. Elle esquissa un rire silencieux à sa remarque et se détendit un peu. Ses joues rosies par la timidité, elle laissa transparaître en ses ambres combien les mots du garçon la touchaient. Prenant la main de l’elfe, elle la serra doucement comme pour lui faire sentir toute sa reconnaissance avant de la relâcher. Sorel était un garçon si bienveillant, elle aimerait tant le voir grandir, être à ses côtés lors des nombreux moments de transition entre l’enfance et l’âge adulte qui l’attendaient. Il lui semblait que ce moment était bien peu opportun pour ressentir cette déchirure entre son humanité, et l’immortalité de ses proches.

Autone posa un regard un peu surpris sur les alliances. Elle détailla leur beauté, mais quand elle releva les yeux vers son époux, elle remarqua que son esprit semblait, lui aussi, ailleurs. Un peu nerveuse, elle craignait un instant qu’Ilhan ne regrette sa décision, qu’il ne change d’idée. Puis elle comprit, et les battements nerveux de son cœur se calmèrent. Elle-même, avait eu ce moment de deuil au matin. Lui laissant le temps dont il avait besoin, la petite dame ne s’impatientât point. Ses vœux, elle était bien timide de prononcer cela devant toute cette assistance. À l’idée de ses sentiments devenus public, Autone rougit en observant l’althaïen prendre le bracelet. Puis elle releva ses ambres pour regarder son époux dans les yeux, alors qu’il s’apprêtait à prononcer ses vœux. Les mots qu’il prononça ensuite ne firent rien pour calmer ses joues roses. La petite dame songea à son cœur qui s’emballait, que l’althaïen pouvait entendre. Elle aurait aimé pouvoir l’entendre, elle aussi, ainsi que celui de son époux et de leur enfant. Dans un sourire ému, Autone versa une larme en prenant la main d’Ilhan. Il lui fallait toute la force du monde pour ne pas l’embrasser immédiatement. De son autre main, elle prit l’autre alliance, puis prit son courage à deux mains pour se dévoiler devant tous ces gens. Plongeant ses yeux dans ceux de son époux, elle fit semblant, dans le théâtre de son esprit, qu’ils étaient seuls, devant les huit.

« Ilhan Avente, je t’offre cette alliance afin de te rappeler que je t’aime, où que je sois, que nos cœurs et nos âmes sont liées. Par elle, je te promets mon amour, ma protection et mon soutien. Puisses-tu accepter mon cœur comme égide et la loyauté des liens familiaux que nous tissons. »


Elle prononça, en althaïen, l’une des quelques phrases qu’elle savait dire à présent : « Notre passé nous forge, notre présent nous lie et nos intentions enfantent notre avenir. » D’un regard plein de tendresse, elle serra la main de son époux en esquissant un sourire rieur d'avoir inséré cette devise. « Je souhaite construire mon avenir à tes côtés, et honorer l’homme remarquable que tu es. Car c’est un honneur que de me lier à toi, aujourd’hui, »

Et glissant doucement l’alliance autour de son bras, elle se retint encore de l’étreindre. « pour toujours et à jamais. »

Elle ne voulut abandonner sa main, alors que son regard rayonnait d’affection à son égard, qu’elle plongeait dans son regard sombre étoilé d’or, refusait d’en sortir. Ils n’avaient jamais parlé d’amour avant aujourd’hui. Elle n’avait jamais été aussi certaine de combien elle voulait suivre ce chemin avec lui. Et alors qu'il avait prononcé les mêmes vœux, elle se demandait, pourtant, s'il la voulait réellement, près de lui, à jamais.

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    Le dévot offrit la parole à Ilhan et à Autone afin qu’ils échangent d’émouvants vœux. L’almaréen se réjouissait d’entendre de tels mots sortir de la bouche du marié. Il avait connu un Ilhan Avente plus fermé sur lui-même, et doté de la fervente croyance qu’aimer le desservirait. Peut-être avait-il raison, et peut-être que cela sonnait le glas de son appartenance à Délimar. Mais pour être honnête, il préférait ceci à l’homme s’il avait rencontré quelques mois plus tôt. Il méritait d’être heureux, de revivre une union, avoir un enfant et le voir grandir sans qu’il ne lui soit arraché par le temps et les guerres. Cela avait été si injuste que le voir prendre une revanche sur la vie, lui qui avait tant frôlé la mort… Le voir prendre un si beau chemin réjouissait l’ancien monarque. Peut-être le perdrait-il, peut-être que Délimar le perdrait. La vie était faite d’échecs et de succès, il ne le savait que trop bien. Alors ainsi soit-il.

    Il vint refermer ces deux mains sombres et tatouées sur celles liées des deux épousées, les enfermant dans un cocon protecteur. « S’il est dans cette audience quelqu’un qui ait quelques raisons de ce soit de s’opposer à ce mariage, qu’il parle maintenant devant Dieu, ou se taise à jamais. » Le silence religieux marqua l’instant alors que les mires d’un bleu céleste de Naal parcouraient l’assemblée, comme pour interroger tout un chacun en son for intérieur…. Et pour dissuader ceux qui auraient envie de faire une mauvaise blague en cet instant fatidique. Son regard revint se poser sur les mains qu’il tenait entre les siennes. « Au nom de Néant, et au nom de la loi de la Cité Libre de Délimar, je vous déclare mari et femme. Puisse votre piété être la garante de la protection, de la joie et de l’union de votre foyer. »

    L’amaréen relâcha les mains qu’il avait unies par le mariage, tant comme officiant de l’Eglise que comme officiant légal. « Vous pouvez vous embrasser. » Les invita-t-il, applaudissant avec l’assemblée. La célébration raisonnait sur les vitraux du temple et jusque dans les hauteurs, se répercutant dans une harmonie festive.

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Belethar fut attentif au restant de la cérémonie, et toute l’émotion qui s’en dégagea le toucha au plus profond de son être : L’Espérancieux avait pourtant un grand coeur, capable de supporter bien des choses, mais au moment où Ilhan et Autone prononcèrent leurs voeux il pleura de joie, d’une sincérité presque touchante pour ceux qui le regardaient.

C’était peut être un peu exagéré, mais Belethar assuma totalement ses sentiments. Il ne connaissait peut-être pas encore vraiment Dame Falkire, mais il n’avait eu vent que de bonnes choses vis-à-vis d’elle.

Quant à son presque-frère … Il le connaissait probablement mieux que personne dans cette assemblée, et il était en vérité comblé pour lui. Bien que l’exil vers Tiamaranta les aient fait perdre de vue pendant un certain temps, depuis qu’ils s’étaient retrouvés, Belethar avait juré de ne plus s’absenter autant de temps.

Force était de constater que son presque-frère avait survécu à tous les dangers et maladies, et par dessus tout, avait su se remettre de la perte de sa femme, et de ses enfants. Un point qu’il savait tout particulièrement sensible chez lui. Et pourtant, bien que l’ensemble de ce temple soit un peu sombre, il ne voyait que lumière aujourd’hui. Ilhan, tout autant qu’Autone avaient connu des destins de premiers mariages tragiques, mais avaient su prouver au destin qu’ils s’étaient reconstruits.

Une lumière qui, il l’espérait, saurait éclairer Calastin pour de nombreuses années à venir. Alors oui, Belethar pouvait verser des larmes de joie, en l’honneur de cette belle histoire.

***

La suite de la journée en leur honneur se déroula d’une façon assez millimétrée. Belethar, en tant que témoin, avait mis son grain de sel dans l’organisation pour que tout se déroule au mieux, et il y eut après la cérémonie une petite réception publique, ou chacun était libre de dire un mot aux heureux mariés, prendre à boire ou bien à manger, porter un toast, faire des cadeaux …

Ce grand ballet fut quelque peu fastidieux pour l’Espérancieux qui attendait avec une impatience non dissimulée que les nobliaux et autres personnalités importantes de Calastin s’en aillent pour les laisser en plus petit comité, mais il veilla à ce que tout se passe bien, d’un oeil avisé. Belethar s’estima déjà heureux que le protocole, les traditions ou quelque chose de ce genre n’aient pas exigé de tournée d’honneur interminable dans tout Delimar, qui aurait certainement assez peu convenue aux deux amants.

Tout ceci passa de toute façon assez rapidement, car les deux personnes qui étaient à l’honneur aujourd’hui était après tout Ilhan et Autone. Bientôt ils célébrèrent leur union en plus petit comité, composés d’amis et proches respectifs des deux époux, autour d’une table et d’un bon repas qu’on leur avait préparé exprès pour l’occasion.

Néanmoins, pour ouvrir ce repas il fallait bien faire un discours. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, Ilhan et Autone n’avaient pas choisi de prendre la parole, et plutôt de laisser cette lourde charge à Belethar. Si Naal avait été l’officiant de leur mariage, L’Espérancieux se retrouvait ainsi maître de cérémonie chargé de mettre en valeur les deux époux.

Il eut un petit sourire en coin, se frotta les mains, songeant à toutes ces choses qui lui étaient passées par l’esprit à l’église, puis se leva. Il était l’heure de rendre justice à toutes ces fugaces pensées rhétoriques qu’il avait chassé alors :

“Mesdames, messieurs, chers amis.

C’est avec confiance que l’on m’a chargé d’être celui qui devait prendre la parole pour ouvrir ce repas. C’est avec honneur que je m’en vais honorer cette tâche.

A tout seigneur tout honneur, vous l’aurez très certainement remarqué mais nous sommes ici pour festoyer le mariage d’un plus si jeune althaïen et d’une calédonienne accomplie, tous deux étant de jeunes espoirs politiques pour l’Alliance. Il s’agit d’Ilhan Avente et d’Autone Falkire.”


Cette réplique était un peu facile, mais Belethar avait passé toute une partie de la nuit à se demander comment présenter ceux qui étaient déjà connus partout où ils passaient sur ces terres. Ironisé était peut être le meilleur moyen de le faire, tout en étant sûr que l'audience soit amusé par les propos de l’enwr.

“Mais alors non contents d’être des personnes importantes, que dire de plus de ces deux personnes ? Premièrement, que je suis probablement le seul homme de Delimar qui n’ait pas goûté au privilège des roses dans le bain de mon cher presque-frère …”

Facile aussi. Mais les rumeurs persistantes autour de la sexualité variée d’Ilhan étant ce qu’elles étaient, il était presque impossible pour Belethar de ne pas en faire mention. Bien que ce ne soit pas cette anecdote de sa vie qui ne le fasse pas le plus rire :

“Et que j’espère ne pas être changé en dauphin pour ce que je viens de dire, et ce que je vais dire par la suite. Oui, chère Dame Falkire, vous saurez que l’homme que vous avez épousé est quelqu’un de très … Aquatique, et qu’il a eu une vie de jeune homme disons, très active.”

Belethar ne cacha pas son plaisir quant à ramener toutes ces moments de vie aux oreilles de tous : il ne faisait pas cela méchamment, mais il aurait été trop dommage que les amis et proches de la famille d’Ilhan  ne repartent pas avec quelques bons souvenirs de la vie de l’intrépide Althaïen.

“Très active et motivée par toute une bonne caisse de bons sentiments et d’engagements. Cette caisse qui comme chacun le sait ira jusqu’à l’amener au front, face aux terribles chimères, où il a mis au service toutes ses non-compétences à l’épée, mais aussi tout son esprit tactique. Une bonne caisse bien remplie, qui le condamna, mais dont chacun se souvint comme un acte de bravoure … Et de témérité propre à notre bon althaïen”

L’Espérancieux eut un nouveau petit sourire, pas mécontent de sa formulation quant à ce passage inoubliable de sa vie Tiamarantienne. Il tapa légèrement dans ses mains, avant de reprendre sa petite allocution.

“Notre intrépide althaïen qui, si l’on en croit les rumeurs, aime les blondes...”

Chacun interprétera cela comme il voudra, mais Belethar fit évidemment référence ici à la relation privilégiée qu’il entretient avec la Reine de Selenia.

“Et pourtant, qui choisira de se marier avec une rousse, tout aussi intrépide qu’elle. Dame Falkire, je suis navré de ne pouvoir être aussi élogieux à votre égard, mais soyez sans crainte, je pense, voir je suis certain que d’autres auront beaucoup de choses à dire vous concernant.”

Belethar eut un petit sourire taquin, avant de couler un regard vers Sorel : il lui avait tendu une perche, libre à lui de la saisir ou pas.

“Quoi qu’il en soit, je vous souhaite à tous un bon appétit, et pour nos mariés, une vie qui sera moins tumultueuse que ce tome des tempêtes qui s’est malencontreusement égaré chez vous mon cher presque-frère … Et oui, il faut croire que même vos murs semblent avoir des oreilles !”

L’Espérancieux eut un nouveau petit rire, avant de lever un de ses verres pleins, pour porter un toast, qui signifierait le début du repas.

“A nos intrépides !”

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L’intervention de Naal avait le mérite d’être intimidante, aussi nulle âme n’osa prononcer une opposition. Cela aurait été bien déplacé, mais Autone était presque certaine que ce genre de choses n’arrivait que dans les livres. Elle embrassa timidement son époux, beaucoup trop consciente de tous les regards, ses joues étaient bien roses. Autone étreint l’althaïen sous les applaudissements, et laissa durer quelques instants ce moment jovial, souriant dans ses yeux d’aurore. Puis reprenant la main de son maintenant mari, elle s’empressa de s’enfuir avec lui à l’extérieur du temple.

Dans le véhicule, elle défit une petite tresse cachée à sa nuque, tenue par un long fil en laine blanche, traversée de fil d’or et d’argent. Autone posa un regard sur son alliance. C’était une surprise, mais une bien jolie. « Il faudra m’expliquer les enchantements qui y sont apposés. En attendant j’ai quelque chose pour toi, moi aussi. » murmura-t-elle, admirant le travail d’orfèvrerie en faisant glisser ses doigts le long du bracelet. « Quand j’étais petite, je me suis enfuie à Gloria pour fuir un mariage avec un homme riche. » Elle sourit en esquissant un rire : « Aurais-je dû savoir que j’en épouserais deux en prenant ce chemin. Ce que je veux dire…C’est que tu m’as montré à plusieurs reprises ce qui était ta maison. Et tu m’y a accueilli. Je voulais te donner moi aussi un morceau de ce que j’ai gardé de ma terre natale. »

Elle s’approcha pour choisir une mèche plus longue dans la chevelure sombre d’Ilhan. Puis elle tressa le fil sur cette petite mèche. « Dans mon village, la superstition se mêlait à la magie. Les femmes protégeaient leurs familles et leurs aimés en croyant à la force de leurs prières. Et elles demandaient aux déesses d’accorder à des amulettes des pouvoirs de chance et de protection. J’ai mêlé la magie de la trame aux superstitions et à la foi. J’ai souvent vu des filles tresser des mèches de cheveux et les couper pour les offrir à des soldats qu’elles aimaient, croyant les protéger au combat. Mais…l’idée de porter des cheveux au poignet… » Autone rit un peu puis secoua la tête. « Il s’agit de l’un des fils de laine que Chirangivi m’a offert. » Elle lui avait déjà raconté toute cette histoire, Ilhan comprendrait. « J’ai prié qu’il te porte chance et te protège. Il a le pouvoir de guérir les blessures et renforce les esprits liés. »

Dans la maison Avente se préparait une fête. Et bien qu’Autone n’aimait pas les fêtes, il fallait bien avouer que la nourriture était bonne et la compagnie joviale. Il était difficile de ne pas laisser sa timidité la trahir, quand cadeaux, discours et boissons pleuvaient, alors qu’il semblait très évident que personne ne venait lui servir du vin que plusieurs complimentaient.  Et quand enfin les invités plus « politiques » partirent, Autone n’eût le temps de soupirer de soulagement, car Sire Espérancieux ouvrait d’un discours le repas du mariage. Et la teinte rouge qui parût au visage d’Autone trahit rapidement sa gêne et son léger scandale, entendant les propos de Belethar. Aussi posa-t-elle un regard interrogatif et infiniment confus sur Ilhan car elle ne comprenait absolument rien de ce que tout ces sous-entendus signifiaient. La petite dame eût soudainement envie de s’enfuir pour prendre l’air. Elle craignait un peu que quelqu’un ait la maladresse de commenter son état, ou alors de révéler des choses plus incriminantes qu’embarrassantes. Une femme ne tenait qu’à sa réputation, en ce monde. Et trop d’hommes avaient le privilège de ne pas comprendre cela. D’un air un peu narquois, Autone sourit à Belethar pour le remercier de son discours.

« Je vous remercie, Sire Espérancieux pour ces… »
elle jeta un regard en coin à son mari en marquant une pause. « précisions. » Souriant, elle se retourna vers les quelques personnes restantes. « Et merci à vous tous pour votre présence. Vos discours et votre sincérité sont un baume pour le cœur. Je ne suis pas quelqu’un qui est habituée aux…fêtes. Peut-être diriez vous Sire Espérancieux que j’ai choisi, moi aussi, ironiquement mon mari. J’espère que vous saurez pardonner mes réserves. Il n’empêche pas que je suis véritablement heureuse de vous compter parmi nous. Puissent les esprits veiller sur vous. »

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Qu’il aimait entendre ce doux son qu’était ce tambour battant. Un tambour battant à tout rompre, qui semblait marteler chaque mot qu’il prononçait comme pour leur donner plus de force. Et quand une larme vint se joindre à cette marée d’émotions, Ilhan fut tenté de l’effacer tendrement, mais retint son geste à temps, de peur de couper son épouse dans son élan. Ce serment qu’elle lui offrit soudain, ces mots venant du tréfonds de son coeur, lui arrachèrent un frisson d’émoi. Ses filaments manquèrent le trahir et il peina à les réfréner. Cette fois, ce fut lui qui battit une chamade effrénée, comme s’il reprenait son leitmotiv pour former à eux deux un doux concerto.

Et cette devise qu’elle lui offrit… Ces quelques mots en ce si doux althaïen… Oui, cette fois, ce fut lui qui manqua céder une petite larme. Elle s’était souvenue de sa devise. Mieux même, elle semblait bien vouloir l’adopter. Il en était touché plus qu’il n’aurait voulu l’admettre. Ce "pour toujours et à jamais" résonna comme une promesse indéfectible, un serment qui les unirait, malgré les affres du temps. Les affres du temps… qu’il aurait tant aimé les balayer d’un revers de main pour la garder à ses côtés, pour toujours et à jamais.

Les deux mains de Naal venant rejoindre les leurs le tirèrent de ses songes et lui arrachèrent un doux sourire. Il pouvait sentir toute la chaleur de ces mains. Toute la douceur de ces mots aussi. Ce mariage sonnerait-il le glas de son lien avec Naal ? Il espérait que non. Peut-être leur relation changerait-elle, peut-être… oui, peut-être… beaucoup et tant de peut-être. Mais au fond de lui, Ilhan était sûr d’une chose : il chérirait toujours l’almaréen en son coeur. Naal aurait toujours une place à part entière. Naal qui avait su ouvrir son coeur si fermé, Naal qui avait su l’attirer sur d’autres sentiers… Même s’il serait dévoué à sa femme, il ne pourrait oublier et abandonner Naal, il ne pourrait oublier tout ce qu’il y avait entre eux, tout ce qui s’était tissé. Et quand les mains les quittèrent, il accorda un regard pétillant de tendre affection à l’Oracle, avant d’accorder de nouveau toute son attention à sa femme… et de lui offrir ce doux et chaste baiser.

Et il se laissa entrainer dans la fuite de sa femme vers la sortie, presque amusé de cette réaction. Si cela aurait pu paraître bien cavalier, il savait qu’en Delimar cela ne serait guère mal pris. Pas comme s’ils pouvaient réellement fuir, au demeurant, puisque tous les retrouveraient ensuite en sa demeure. Il ne s’attendait pas toutefois à ce qu’un cadeau l’attende à son tour quand ils furent un court moment seul à seul.

« Quand j’étais petite, je me suis enfuie à Gloria pour fuir un mariage avec un homme riche. »

Il hocha la tête, ses yeux sombres exprimant toute la solennité de l’instant. Oui, il savait. À peu près. Peut-être ne savait-il pas tout, mais il avait appris un certain nombre de choses sur la vie de son épouse. Et il était bien déterminé à combler ce qu’elle ne connaissait pas de lui. Qu’aucun secret ne ternisse leur union. Même les plus sombres ou les plus soigneusement sertis.

Quand elle évoqua sa terre natale… ce rituel qui était cher aux siens dans son village… Ilhan en fut plus que touché. L’émotion enserra sa gorge et le rendit muet quelques instants. Il la laissa faire quand elle prit une de ses mèches de cheveux et y tressa cette petite tresse. Il en caressa le doux toucher, quand elle en eut fini, puis releva des yeux miroitant sur sa femme.

C’est là un merveilleux cadeau, que je chérirai comme la prunelle de mes yeux.

Se disant, il se pencha doucement et offrit un autre baiser. Tout aussi chaste et timide que celui qui les avait unis à l’autel, mais tout aussi empreint de tendresse et d’émotions.

Bien vite toutefois, ils furent de nouveau happés par le tumulte des festivités. Et bien vite vint le discours de ce traitre de faux frère ! Révéler ainsi tous ses secrets… ou presque ! Certes, il ne s’agissait pas des plus honteux, pas tout à fait. Il n’avait tout de même pas évoqué le nom de Fabius et de toutes les ignominies de ce temps-là. Sombre pensée qu’Ilhan s’efforça de chasser aussi vite qu’elle était venue. Mais au fur et à mesure du discours, il ne pouvait s’empêcher de se sentir mortifié. Tous ses méfaits, toutes les rumeurs à son sujet en Delimar, y étaient passés. Sa, courte, fugace, insignifiante, relation avec de jolies petites lyssiennes… ou sa relation tout aussi fugace, mais bien moins insignifiante, avec une jeune impératrice… ses incidents magiques, une statue de fier guerrier à cette si belle fontaine transformée en statue de dauphin (statue qui était finalement restée comme telle d’ailleurs…), le tome des tempêtes délivré par une petite hermine bien fouineuse… ses petites manies, comme ses bains de fleurs… lui qui avait presque réussi à chasser les rumeurs quant à ses goûts amoureux ! Et que dire de l’évocation de cette histoire de caisse… Maudit soit ce faux frère !

Pour autant… Ilhan ne parvenait pas à lui en vouloir. Oh certes, il restait mortifié, et il ne dut qu’à toute sa maitrise de ne rien en montrer et de parvenir à garder un visage et un sourire avenant. S’il avait pu creuser un tunnel sous terre, sans doute s’y serait-il enterré, mais ce serait là malvenu très certainement. Et puis n’avait-il pas déjà affronté pire affront ? Il pouvait bien… encaisser… oui mauvais jeu de mots… ce petit laïus éhonté.

Il était toutefois plus difficile d’affronter l’émoi qui semblait enserrer sa femme à toutes ces révélations. Il lui accorda un doux sourire et murmura du bout des lèvres, sans prononcer les mots de vive voix, qu’il lui expliquerait tout au moment venu. Sous-entendu : une fois seuls. Oui, il lui dirait tout. Et plus encore. Venait le temps où il devait lui avouer savoir pour le marché noir… et qu’il était le tisseur. Lui avouer que leur identité secrète à tous deux ne devaient plus l’être entre eux. Plus tout à fait du moins. Sans doute ne partageraient-ils pas toutes les actions et décisions que leur activité secrète leur intimait, mais au moins chacun saurait que l’autre avait un petit jardin à lui… qui devait rester intime. Et que malgré ce jardin, cela n’entacherait pas leur union ni l’amour qu’ils se portaient.

Il s’empressa également de lui serrer la main, comme pour la rassurer sur ce qui pouvait la tracasser. Quoi que cela puisse être, que ce soit ces révélations ou que ce soit de sombres craintes que ce discours aurait pu raviver. Leur union était si récente, si jeune encore… Il leur faudrait la consolider, Ilhan l’espérait, par la confiance et l’affection sincère. Il fut en tout cas fier qu’elle parvienne à chasser cet émoi et qu'elle réponde, en noble dame qu’elle était, à l’assemblée encore restée, et à son presque-frère Belethar.

Et quand elle en eut fini, ce fut à son tour de prendre la parole, se levant alors pour observer toute l’assemblée.

Merci, cher Belethar, pour ce discours… haut en couleur. Je n’en attendais pas moins de toi… cher frère.

Il susurra ces derniers mots d’un ton aux mille promesses, même si son sourire restait chaleureux et sincère.

Il se tourna légèrement vers sa femme et lui prit tendrement la main, qu’il porta à ses lèvres.

Vous aurez le fin mot de toutes ces histoires, mon aimée. Mais je puis vous assurer de suite que je ne vous ai pas choisi ironiquement. Ni par défaut. Je vous ai choisie, car votre flamme répondait à la mienne en un doux écho que je n’avais plus connu depuis…

Depuis sa tendre épousée décédée.

Depuis bien longtemps, finit-il sa phrase dans un murmure tout juste audible.

Puis se retournant vers l’assemblée, sans pour autant lâcher la main de sa femme :

Je vous remercie tous d’être là, en ces lieux, en cet instant, si important pour nous deux. Vos témoignages et votre présence sont un gage de l’affection qui nous lie, bien plus fort que tous les serments, qui n’a nul besoin d’autre ferment. Vos paroles et votre chaleur…

Son regard sombre se tourna un instant vers Naal, avant de revenir parcourir toute la petite assemblée.

Me mettent en émoi plus qu’il ne serait décent de l’exprimer. Et j’espère que tout ceci scellera un bon présage pour nos années à venir, et notre famille à construire. J’espère pouvoir vous inviter encore bientôt, pour d’autres heureux événements à l'avenir.

Et ce disant, il leva un verre, invitant tout le monde à boire pour bénir ces instants de joie et leur petite communauté.

Que les Huits, les Sept Déesses et leur frère Néant, et tous les Esprits-Liés, soient les témoins des liens fervents qui nous unissent tous ensemble, nous, réunis autour de cette modeste tablée.

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Il n’avait pas imaginé se trouver si proche des deux mariés, lorsqu’il s’était installé à bonne distance, au milieu des invités, dans un des rangs de sièges préparés à cet effet. Il avait une bonne vue, comparé aux humains, et n’avait pas imaginé une seule seconde qu’il se retrouverait aux premières loges, à se tenir aux côtés d’Autone pendant qu’elle prononçait ses voeux, auxquels firent échos ceux d’Ilhan, à entendre d’aussi près Naal du Néant sceller leur union de sa voix forte. Pas une seule voix ne pipa mot lorsqu’il laissa l’opportunité à quiconque souhaitant s’opposer à l’union de s’exprimer… Sorel doutait que quiconque ayant eu la vague intention de le faire ait eu ce qu’il fallait de courage en voyant le regard perçant balayer l’assemblée.

Avec un sourire d’évidence, pas surpris pour deux sous, Sorel suivit du regard les deux mariés, conduit par une Autone bien trop ravie de quitter l’attention pesante de tous ces spectateurs. Il suivit le mouvement, rejoignant la seconde partie du mariage qui se déroulait dans la propriété Avente où une grande fête eut lieu avec danses et nourriture en quantité. Il y avait, fort heureusement, de tout pour satisfaire tous les goûts et tous les régimes, incluant celui des elfes. Peu désireux de s’approcher de tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de la viande, Sorel se cantonna près du buffet où il grignota de tout avant de se rapprocher et de rester fermement du côté de tout ce qui était sucré, petits gâteaux et verrines de crème de caramel dont le fond était occupé par un biscuit délicieux.
Il demeura néanmoins en retrait, loin de se mêler aux danseurs et autres expressions exubérantes de joie communes aux fêtes, préférant réserver son enthousiasme aux personnes qui comptaient. Celles avec qui il se sentait en sécurité et avec qui il savait pouvoir s’exprimer sans ressentir le poids des regards. A l’exception de Valmys, qui était aussi Saînnur, il était le seul elfe présent au mariage et n’avait pas l’intention de se faire remarquer d’une manière négative. A plus forte raison puisqu’il avait agit en qualité de témoin et qu’il ne voulait absolument pas jeter l’ombre sur ces deux amis et leurs relations diplomatiques. Pour l’heure, tout ce sur quoi on pouvait jeter un jugement ne serait qu’un humour éventuellement douteux et la mauvaise habitude de se jeter sur la nourriture sucrée plutôt que de manger comme un adulte. Des reproches sommes toutes légères, avec lesquels Autone et Ilhan devraient pouvoir s’arranger sans trop de difficulté, surtout concernant le dernier point qui toucherait Ilhan de près.

C’est donc avec une pointe de soulagement qu’il accueillit le départ de la plupart des dignitaires et autres étrangers qui n’étaient manifestement pas plus familiers que cela avec les mariés. Se rapprochant plus franchement de ses amis, Sorel se posta à proximité d’Autone, un sourire doux ourlant ses lèvres. Un sourire qui s’accentua, tandis qu’ils étaient installés autour d’une table pour le repas en comité réduit, et que Belethar commençait son discours avec humour. Cela augurait pour pas mal de petites histoires croustillantes, aussi Sorel tendit-il l’oreille.
Son sourire s’accentua à la mention des bains parfumés, songeant qu’il en avait effectivement bénéficié mais peut-être pas de la façon à laquelle Belethar faisait référence. S’il faisait bien référence à ce que l’elfe pensait, bien entendu. La mention des caisses ne fit qu’augmenter son hilarité, qu’il dissimula par un petit toussotement, derrière son poing serré qu’il laissa devant ses lèvres pour masquer son amusement croissant.
L’elfe croisa le regard de Belethar et cilla, vaguement surpris. Il n’avait pas prévu de devoir faire part d’histoires croustillantes concernant Autone. Il craignait de bien pouvoir les décevoir, ses propres histoires concernant surtout un althaïen avec lequel il avait échangé bien des moments agréables et amusants. Pour autant, il était fort probable qu’il puisse effectivement répondre à l’invitation pas si discrète du baptistrel.

L’elfe trinqua de concert avec les autres invités, parmi l’hilarité générale, dégustant un délicieux jus de pommes pour lequel il ignorait qui complimenter mais appréciait néanmoins l’attention. Installé qu’il était, il ne manqua pas une miette du regard en coin qu’Autone jeta à son mari tandis qu’elle remerciait Belethar pour son intervention pour le moins colorée. Sorel masqua son amusement derrière sa main tandis qu’à son tour Ilhan remerciait son ami facétieux avant d’offrir son propre discours pour remercier, à l’instar d’Autone, tous les convives pour leur présence et leur soutien.
Discrètement, Sorel effleura du bout des doigts l’avant-bras d’Autone avant de lui offrir un sourire et de prendre la parole à son tour.

« J’ai bien peu de choses à offrir et à raconter, si ce n’est que j’ai rarement vu une personne porter la poussière avec autant de dignité et de distinction que notre très chère Autone, » son sourire s’accentua, se fit mutin tandis qu’il se penchait quelque peu en avant comme pour partager un secret avec Ilhan : « J’ignore si tu as déjà eu l’insigne honneur de l’entendre éternuer mais si ce n’est pas le cas, je peux t’indiquer quelques chouettes coins poussiéreux pour pousser ta chance. » Il gloussa à la manière d’un sale gosse espiègle et adressa un clin d'œil complice à son frère. « Ca vaut le détour, je peux t’assurer. »

Il se rencogna dans sa chaise dans un soupir avant de poursuivre, l’air faussement désabusé, manifestement à l’attention d’Ilhan :

« Dire que tu m’as fait croire à une visite diplomatique avant de m’abandonner, seul, à Caladon, » Sorel secoua la tête, l’air triste avant de lever les yeux vers Ilhan, le regardant par en dessous, à travers ses cils et d’ajouter : « Et qu’on avait partagé une tarte à la poire et au chocolat le même jour... »

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    Et ils s’embrassèrent, sous les applaudissements. L’écho résonnait sur la voûte pyramidale du temple des huit, telle une clameur transcendante, pleine de joie. Un frisson parcourut son échine, devant l’allégresse. Il avait toujours cru en l’humain et il s’exprimait ici de la plus belle des manière : la célébration. Que Néant soit loué pour cela, car il avait donné à ces créatures pensantes la capacité de ressentir. Un sourire doux, attendri devant l’humanité, marquait son visage tatoué avant qu’il ne se détourne des époux pour prier devant l’autel, réclamant aux divins d’accorder à ce couple marié leur protection la plus efficace, car ils en auraient besoin, par les temps qui courraient. Les désaccords au sein de l’alliance pourraient mettre à mal leur cohésion, et que deviendraient ces deux politiciens qui ne soutenaient pas la même cité ?

    La communion avec son Dieu, par la prière, lui fit un bien certain, comme toujours. Sa foi semblait être une source intarissable d’apaisement intérieur, un véritable refuge lorsque les doutes venaient l’envahir. Ils étaient sournois, mais son Dieu était d’une clarté merveilleuse. On acclamait les nouveaux mariés en les conduisant vers l’extérieur du temple. Il était heureux pour ces deux âmes et si son cœur les portait dans la joie du moment, son devoir se tournait vers l’être suprême qui avait béni cette union à travers ses mains d’oracle. Il ferma les yeux, sans cesser ses prières et progressivement, à mesure que le temple se vidait, la silence revint. Le silence absolu. Celui qu’il aimait tant. Il s’accorda une bonne heure de dévouées prières avant de se lever et rejoindre sa cellule. Là, il quitta enfin la tenue de cérémonie pour retrouver une simple coule noire. Il avait été l’homme de Dieu. Maintenant, il pourrait être simplement Naal.

    Et ce fut ce simple Naal qui arriva dans la salle où se tenait la fête. Des mets étaient servis et les musiques accompagnaient les danses et les chants, pour toutes ces personnes joyeuses auxquelles il se mêlait. Il prit un petit pain salé, fourré à la crème aux champignons, qui avait une forme de… Non, ils n’avaient tout de même pas fait cela ? Il retourna le pain et eut un sourire en coin : si, il s’agissait bien d’un pain en forme de chèvre. Quelqu’un avait-il fait une blague à ce cher Avente ou était-ce le couple qui, plein d’autodérision, avait commandé ces pains en forme de chèvres ? Il n’aurait probablement pas le fin mot de l’histoire et dans tous les cas, le petit pain était très bon.

    On lui proposa un verre d’alcool et le dévot accepta le premier et refusa le second : « Oh non, la dernière fois qu’on m’a forcé à boire, je n’ai tellement pas tenu le coup que l’esprit-lié du Pangolin m’a pris en pitié et m’a élu. Je vais peut-être m’abst... » Mais l’autre ne l’entendait pas de cette oreille et insista, en tendant d’avantage le verre de vin vers lui. « Je vous assure que ce n’est pas une très bonne idée. » tâcha-t-il de répondre mais les interventions de Belethar et de Sorel eurent de don d’attirer l’attention suffisamment pour qu’il s’éclipse discrètement. Ce fut néanmoins sans compter sur cette almaréenne qui, elle n’avait pas su dire non à une dizaine de verres de vin. Ne marchant pas bien droit, elle ne manqua pas de renverser le contenu de celui-ci sur la coule du dévot.

    Et voilà qu’il allait sentir le vin à présent. Elle se confondit en excuse que Naal accepta sans sourciller : « Ce n’est pas bien grave, je vais aller nettoyer cela. » fit-il en retirant sa coule. Il devait avouer, qu’il avait vraiment du mal avec les mœurs ambrhùniennes sur la pudeur du corps. Il s’était même mis nu, comme ici, devant la Reine Victoria en personne. Il ne lui fallut que quelques gros yeux pour lui remémorer cet interdit : « Oh, j’oubliais… Pardonnez-moi. » fit-il en tâchant de remettre son vêtement humide mais l’almaréenne lui prit des mains, voulant visiblement jouer, avinée, vu qu’elle retira également ses vêtements. Cela sembla être au goût de quelques almaréens et quelques autres glaçernois qui trouvaient qu’il faisait visiblement trop chaud dans cette pièce pleine de monde. L’oracle éclata une main sur son visage et s’éclipsa rapidement, avant qu’on ne comprenne qu’il était l’instigateur involontaire de ce nudisme collectif.

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