21 mars de l’an 1763
Dans le canyon de Kaptia, une petite floraison aux tiges blanches et peuplée de feuilles cinabre dansait timidement parmi le sable et la pierre. Une brise apaisante l’ébouriffait jusqu’aux racines. Autour d’elle, aucune vie ne l’accompagnait. Il fallait soit être un cactus tenace pour espérer survivre en ces lieux, soit être protégé par l’aura de la magie.
La floraison en faisait partie. Elle était le don d’Aasheervaad.
Soudain, la gemme d’hibonite incrustée dans son cœur se mit à luire d’une lueur ambrée. Quelques instants plus tard, cette douce chaleur évolua en un éclat de lumière resplendissant qui illumina les rochers et fit briller la poussière dans l’air. La lueur ambrée vira à l’or, pulsa une mélodie profonde qu’aucun vivant ne pouvait entendre. Soudain, une forme noire se matérialisa à l’intérieur. Un géant au pelage opalin en sortit, portant son bâton d’une patte et un petit graahron de l’autre. La lueur s’étiola, jusqu’à ne recouvrir plus que la gemme de la plante. Les yeux turquoise du géant se posèrent dessus. Il récupéra la gemme et l’enchâssa minutieusement dans une boucle en fer-étoile ceinte à son oreille. Les deux Graärhs entamèrent la descente du canyon.
23 mars de l’an 1763
A trois heures et quatre lieues de la Savane de Stymphale, Asolraahn, à la cadence d’un voyageur aguerri habitué à la marche, foulait les landes qui bordaient le désert de Néthéril. Au loin, les hauts-plateaux du canyon Kaptia s’étendaient sous ses yeux de fauve. Il était le rempart prédominant des marais d’Athvamy et, en dépit du temps qui avait passé, des sinistres souvenirs de guerre. Le géant opalin était à une journée du campement de la légion Vat’Aan’Ruda et les signes du retour des pirates l’avaient suivi durant tout son voyage : Des demeures désertes, des champs laissés à l’abandon, des cadavres de smilodons massacrés dans la lande sans que la chasse n’ait apporté joie et nourriture dans un foyer.
« Ils se drapent dans leur peur », pensa Asolraahn.
Certains Graärhs avaient croisés sa route et s’étaient méfiés de sa silhouette menaçante, avant de reconnaître son opale toison. Ils l’avaient pris pour un espion, se méfiant avec un mélange de haine et de crainte des traqueurs de la confrérie qui se reposaient dans leurs wigwams, préparant les plans des pirates. Il était évident que leurs sévices précédents avaient apposé le sceau de la crainte et de la haine dans leur cœur. Après tout, ils avaient réussi à mettre fin au règne de l’ancienne Kamda Aaleeshaan lors de la prise d’Atghalan la Perfide. Tout ceux qui n’appartenaient pas à la légion et que l’on ne reconnaissait pas était considéré comme un étranger. En dépit de l’aide qu’il avait fourni aux Garal alors qu’il venait pour la première fois sur Néthéril à la recherche de sa fille, Asolraahn était un Ashudd et n’avait encore que peu de liens avec les clans et leur chef.
Arrivé en haut d’une butte, il put contempler les baobabs et les acacias qui parsemaient un long vallon. En son creux, se lovait un village composé d’une trentaine de demeures. Certaines étaient de facture médiocre, mais d’autres montraient tout l’amour que leur portait leur bâtisseur. Au centre du hameau, il y avait une petite tour en bois qui trônait. Le géant opalin ne comptait pas s’y rendre cependant. Car il savait que les pirates étaient venus en ce lieu, qu’ils avaient tué tous les guerriers et avaient volé les femelles et les graahron. Il savait que sur la tour trônant au milieu du village, se trouvai des crânes ; des têtes de Garal figées d’horreur à l’idée que la mort pleuvait à nouveau sur leur terre et que leur ancien ennemi était de retour. Il savait aussi qu’atteindre la porte du village reviendrait à replonger dans le souvenir de cette nuit atroce où ces mêmes pirates avaient attaqué son propre village, avaient tué ses frères et sœurs et emmené Taar’Melaah loin de lui. Malgré la beauté sauvage de ce lieu, on ne pouvait certes pas être aveugle aux stigmates du temps des armes et du sang.
Non, Asolraahn ne comptait pas s’y rendre. Il mit rapidement un terme à sa marche, releva son bâton pour le poser contre son épaule. Le ciel était dégagé et le soleil rougeoyant chatoyait dans le déclin de ses rayons crépusculaires. Tout en haut, un aigle tournait. Le soir commençait à poindre. Asolraahn se retourna et miaula de sa voix forte :
-Shuu’ran Rashi , essaierais-tu de tromper ma surveillance ? Ou peut-être que tu n’as pas eu assez de repos ? Allez, grimpe donc avec moi !
Un graahron marchait derrière lui, d’un pas ferme mais las. Il portait sur lui un petit baluchon dans lequel se trouvaient quelques victuailles. En arrivant devant le géant opalin, il le laissa tomber sur l’herbe rase, releva la tête et lui jeta un regard où le magma ambré de ses pupilles bouillonnaient. Après leur apparition dans le canyon, son petit-fils avait dû le suivre durant deux jours et deux nuits. Chaque fois qu’ils avaient fait halte, il s’était écroulé sans ménagement sur le sol pour dormir et ne s’était relevé que pour reprendre le voyage. Désormais, un pas équivalait à un supplice. Asolraahn était un père implacable, et les efforts qu’il lui ordonnait de fournir étaient phénoménaux pour un graahron de son âge. Mais le petit ne disait mot. Il avait, c’était évident, de la ressource et ne se plaignait jamais. Pas même lorsque le soleil frappait si fort qu’il avait la sensation qu’on lui passait un fer chauffé à blanc sur le bout des poils. Shuu’ran voulait prouver au géant opalin qu’il était fort et qu’il allait mordre dans le fruit de la vie pour le dévorer à pleine dent. Asolraahn avait décidé de lui offrir un nom et il voulait maintenant le rendre fier.
C’était chose faite.
Asolraahn le prit dans ses bras et le souleva de terre pour l’étreindre chaleureusement. Il le lécha, par amour et aussi pour la toilette du visage. Il y avait de quoi faire ! Si le petit était brave et téméraire, il n’avait toutefois aucun sens de la propreté. Un vrai petit démon. Il le contempla ensuite avec émerveillement. Comme ses poils étaient étranges, avec ses couleurs vif de feu. Il était originellement un Trand mais il était né sur Néthéril. Sa vie sur l’île lui avait donné la couleur flamboyante de son pelage, plus caractéristique des Garal. Un rare sourire se dessina sur les traits d’Asolraahn, auquel Shuu’ran répondit. Ses petites pattes s’accrochèrent aux oreilles du géant. Il admira ensuite l’étendue de la savane, en se perchant habilement sur son grand-père.
Il n’avait pas l’air de se rendre compte de ses inquiétudes. Il n’avait pas encore de doutes, ni de soucis, ni de remords. Un bon graahron, songea le félin.
Il porta son petit pendant toute la descente du vallon. Durant le trajet, il se demanda s’il n’aurait pas été préférable de s’acheter une monture. Sa raison lui disait de le faire ; mais son cœur, lui refusait catégoriquement. Il était un Trand de Paadshaïl, Asolraahn, le géant opalin, et il n’avait jamais eu besoin de monture. Il était infatigable, pouvait chasser toute la nuit et se battre le jour. Et puis la créature qui saurait porter sa charge en plus du petit n’était pas née. Il continua donc sa descente à un pas énergique.
En parvenant dans le creux du vallon, il s’arrêta sous l’ombre d’un acacia aux longues branches et à la chevelure verdoyante. Le vent du Zéphyr ballotait sa crinière de droite et de gauche. Les arbres dans la savane se dressaient fièrement. Ils étaient tels des piliers isolés, des survivants de la mélopée qui les accablait sur cette terre désertique. La terre luttait également, avec ces plantes herbacées, de bambous et de seigles. Néthéril vibrait ici de son atmosphère brûlante. Le géant opalin hocha la tête. C’était l’endroit parfait.
Il déposa son graahron sur la terre ferme et s’assit en tailleur contre le tronc de l’acacia. Avec des gestes minutieux, il s’empara du grand sac qu’il avait sur le dos, farfouilla dans son contenu et en sortit un drap corallin brodées de fils d’or. Sa curiosité piquée au vif, Shuu’ran lui fit face et s’installa en faisant de grands efforts pour imiter la posture du géant opalin. Ce dernier lui intima le silence d’un geste sec.
Délicatement, il défit le drap sur le sol, révélant l’écaille massive qui y résidait. Elle était rouge comme le sang et les rides de millénaires d’existence s’exhibaient sur son épiderme.
La nuit était tombée, si obscure qu’aucune silhouette si démesurée soit-elle ne pourrait aisément se remarquer par des regards fureteur. Il était temps. Asolraahn posa respectueusement une patte dessus :
-Svargaadhipati ! psalmodia-t-il.
Le géant opalin leva la tête, observant la voûte céleste. Comprenant que quelque chose allait se passer, Shuu’ran fit de même. Les secondes passèrent sans que rien ne vienne la tourmenter. Pour autant, Asolraahn se pourlécha les babines avec espoir. Il savait que le grand dragon viendrait.
Il lui en avait fait la promesse. Et aujourd’hui, le peuple de Vat’Aan’Ruda avait grand besoin de son aide.
-Autrefois, tu m’as offert cette écaille pour que je puisse t’appeler lorsque j’aurai besoin de ton aide. Aujourd’hui, c’est le peuple de Vat’Aan’Ruda qui a besoin de toi. Nous avons besoin de toi, Verith krodh ka !
Objet utilisé :
“ Don 2 - Floraison d’Axolotl
Le porteur peut retirer la gemme de la boucle d’oreille qui se transforme en graine. Si cette graine est plantée en un lieu, et que le porteur en prend soin, une petite plante aux feuilles rouges et tiges blanches en sortira, ainsi qu’une nouvelle gemme. Quand une plante éclos, elle se transforme en un point d’ancrage sur lequel le porteur peut se téléporter quand il le souhaite. Le porteur peut également voyager depuis une floraison vers une autre sans dépense d’énergie. Les floraisons durent 2 périodes avant de devoir être renouvelées. Quand le porteur se trouve dans un rayon de 200 mètres autours d’une floraison sa régénération devient exceptionnelle (les blessures légères guérissent en 1 minute, les lourdes en 5 minutes). ”
Svargaadhipati : Roi des cieux
Verith krodh ka : Verith de l’Ire
Dernière édition par Asolraahn le Ven 30 Oct 2020 - 22:47, édité 1 fois