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descriptionUne clameur adressée aux cieux [PV Verith] EmptyUne clameur adressée aux cieux [PV Verith]

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21 mars de l’an 1763

Dans le canyon de Kaptia, une petite floraison aux tiges blanches et peuplée de feuilles cinabre dansait timidement parmi le sable et la pierre. Une brise apaisante l’ébouriffait jusqu’aux racines. Autour d’elle, aucune vie ne l’accompagnait. Il fallait soit être un cactus tenace pour espérer survivre en ces lieux, soit être protégé par l’aura de la magie.

La floraison en faisait partie. Elle était le don d’Aasheervaad.

Soudain, la gemme d’hibonite incrustée dans son cœur se mit à luire d’une lueur ambrée. Quelques instants plus tard, cette douce chaleur évolua en un éclat de lumière resplendissant qui illumina les rochers et fit briller la poussière dans l’air. La lueur ambrée vira à l’or, pulsa une mélodie profonde qu’aucun vivant ne pouvait entendre. Soudain, une forme noire se matérialisa à l’intérieur. Un géant au pelage opalin en sortit, portant son bâton d’une patte et un petit graahron de l’autre. La lueur s’étiola, jusqu’à ne recouvrir plus que la gemme de la plante. Les yeux turquoise du géant se posèrent dessus. Il récupéra la gemme et l’enchâssa minutieusement dans une boucle en fer-étoile ceinte à son oreille. Les deux Graärhs entamèrent la descente du canyon.

23 mars de l’an 1763

A trois heures et quatre lieues de la Savane de Stymphale, Asolraahn, à la cadence d’un voyageur aguerri habitué à la marche, foulait les landes qui bordaient le désert de Néthéril. Au loin, les hauts-plateaux du canyon Kaptia s’étendaient sous ses yeux de fauve. Il était le rempart prédominant des marais d’Athvamy et, en dépit du temps qui avait passé, des sinistres souvenirs de guerre. Le géant opalin était à une journée du campement de la légion Vat’Aan’Ruda et les signes du retour des pirates l’avaient suivi durant tout son voyage : Des demeures désertes, des champs laissés à l’abandon, des cadavres de smilodons massacrés dans la lande sans que la chasse n’ait apporté joie et nourriture dans un foyer.

« Ils se drapent dans leur peur », pensa Asolraahn.

Certains Graärhs avaient croisés sa route et s’étaient méfiés de sa silhouette menaçante,  avant de reconnaître son opale toison. Ils l’avaient pris pour un espion, se méfiant avec un mélange de haine et de crainte des traqueurs de la confrérie qui se reposaient dans leurs wigwams, préparant les plans des pirates. Il était évident que leurs sévices précédents avaient apposé le sceau de la crainte et de la haine dans leur cœur. Après tout, ils avaient réussi à mettre fin au règne de l’ancienne Kamda Aaleeshaan lors de la prise d’Atghalan la Perfide. Tout ceux qui n’appartenaient pas à la légion et que l’on ne reconnaissait pas était considéré comme un étranger. En dépit de l’aide qu’il avait fourni aux Garal alors qu’il venait pour la première fois sur Néthéril à la recherche de sa fille, Asolraahn était un Ashudd et n’avait encore que peu de liens avec les clans et leur chef.

Arrivé en haut d’une butte, il put contempler les baobabs et les acacias qui parsemaient un long vallon. En son creux, se lovait un village composé d’une trentaine de demeures. Certaines étaient de facture médiocre, mais d’autres montraient tout l’amour que leur portait leur bâtisseur. Au centre du hameau, il y avait une petite tour en bois qui trônait. Le géant opalin ne comptait pas s’y rendre cependant. Car il savait que les pirates étaient venus en ce lieu, qu’ils avaient tué tous les guerriers et avaient volé les femelles et les graahron. Il savait que sur la tour trônant au milieu du village, se trouvai des crânes ; des têtes de Garal figées d’horreur à l’idée que la mort pleuvait à nouveau sur leur terre et que leur ancien ennemi était de retour. Il savait aussi qu’atteindre la porte du village reviendrait à replonger dans le souvenir de cette nuit atroce où ces mêmes pirates avaient attaqué son propre village, avaient tué ses frères et sœurs et emmené Taar’Melaah loin de lui. Malgré la beauté sauvage de ce lieu, on ne pouvait certes pas être aveugle aux stigmates du temps des armes et du sang.

Non, Asolraahn ne comptait pas s’y rendre. Il mit rapidement un terme à sa marche, releva son bâton pour le poser contre son épaule. Le ciel était dégagé et le soleil rougeoyant chatoyait dans le déclin de ses rayons crépusculaires. Tout en haut, un aigle tournait. Le soir commençait à poindre. Asolraahn se retourna et miaula de sa voix forte :

-Shuu’ran Rashi , essaierais-tu de tromper ma surveillance ? Ou peut-être que tu n’as pas eu assez de repos ? Allez, grimpe donc avec moi !

Un graahron marchait derrière lui, d’un pas ferme mais las. Il portait sur lui un petit baluchon dans lequel se trouvaient quelques victuailles. En arrivant devant le géant opalin, il le laissa tomber sur l’herbe rase, releva la tête et lui jeta un regard où le magma ambré de ses pupilles bouillonnaient. Après leur apparition dans le canyon, son petit-fils avait dû le suivre durant deux jours et deux nuits. Chaque fois qu’ils avaient fait halte, il s’était écroulé sans ménagement sur le sol pour dormir et ne s’était relevé que pour reprendre le voyage. Désormais, un pas équivalait à un supplice. Asolraahn était un père implacable, et les efforts qu’il lui ordonnait de fournir étaient phénoménaux pour un graahron de son âge. Mais le petit ne disait mot. Il avait, c’était évident, de la ressource et ne se plaignait jamais. Pas même lorsque le soleil frappait si fort qu’il avait la sensation qu’on lui passait un fer chauffé à blanc sur le bout des poils. Shuu’ran voulait prouver au géant opalin qu’il était fort et qu’il allait mordre dans le fruit de la vie pour le dévorer à pleine dent. Asolraahn avait décidé de lui offrir un nom et il voulait maintenant le rendre fier.

C’était chose faite.

Asolraahn le prit dans ses bras et le souleva de terre pour l’étreindre chaleureusement. Il le lécha, par amour et aussi pour la toilette du visage. Il y avait de quoi faire ! Si le petit était brave et téméraire, il n’avait toutefois aucun sens de la propreté. Un vrai petit démon. Il le contempla ensuite avec émerveillement. Comme ses poils étaient étranges, avec ses couleurs vif de feu. Il était originellement un Trand mais il était né sur Néthéril. Sa vie sur l’île lui avait donné la couleur flamboyante de son pelage, plus caractéristique des Garal. Un rare sourire se dessina sur les traits d’Asolraahn, auquel Shuu’ran répondit. Ses petites pattes s’accrochèrent aux oreilles du géant. Il admira ensuite l’étendue de la savane, en se perchant habilement sur son grand-père.

Il n’avait pas l’air de se rendre compte de ses inquiétudes. Il n’avait pas encore de doutes, ni de soucis, ni de remords. Un bon graahron, songea le félin.

Il porta son petit pendant toute la descente du vallon. Durant le trajet, il se demanda s’il n’aurait pas été préférable de s’acheter une monture. Sa raison lui disait de le faire ; mais son cœur, lui refusait catégoriquement. Il était un Trand de Paadshaïl, Asolraahn, le géant opalin, et il n’avait jamais eu besoin de monture. Il était infatigable, pouvait chasser toute la nuit et se battre le jour. Et puis la créature qui saurait porter sa charge en plus du petit n’était pas née. Il continua donc sa descente à un pas énergique.

En parvenant dans le creux du vallon, il s’arrêta sous l’ombre d’un acacia aux longues branches et à la chevelure verdoyante. Le vent du Zéphyr ballotait sa crinière de droite et de gauche. Les arbres dans la savane se dressaient fièrement. Ils étaient tels des piliers isolés, des survivants de la mélopée qui les accablait sur cette terre désertique. La terre luttait également, avec ces plantes herbacées, de bambous et de seigles. Néthéril vibrait ici de son atmosphère brûlante. Le géant opalin hocha la tête. C’était l’endroit parfait.

Il déposa son graahron sur la terre ferme et s’assit en tailleur contre le tronc de l’acacia. Avec des gestes minutieux, il s’empara du grand sac qu’il avait sur le dos, farfouilla dans son contenu et en sortit un drap corallin brodées de fils d’or. Sa curiosité piquée au vif, Shuu’ran lui fit face et s’installa en faisant de grands efforts pour imiter la posture du géant opalin. Ce dernier lui intima le silence d’un geste sec.

Délicatement, il défit le drap sur le sol, révélant l’écaille massive qui y résidait. Elle était rouge comme le sang et les rides de millénaires d’existence s’exhibaient sur son épiderme.

La nuit était tombée, si obscure qu’aucune silhouette si démesurée soit-elle ne pourrait aisément se remarquer par des regards fureteur. Il était temps. Asolraahn posa respectueusement une patte dessus :

-Svargaadhipati ! psalmodia-t-il.

Le géant opalin leva la tête, observant la voûte céleste. Comprenant que quelque chose allait se passer, Shuu’ran fit de même. Les secondes passèrent sans que rien ne vienne la tourmenter. Pour autant, Asolraahn se pourlécha les babines avec espoir. Il savait que le grand dragon viendrait.

Il lui en avait fait la promesse. Et aujourd’hui, le peuple de Vat’Aan’Ruda avait grand besoin de son aide.

-Autrefois, tu m’as offert cette écaille pour que je puisse t’appeler lorsque j’aurai besoin de ton aide. Aujourd’hui, c’est le peuple de Vat’Aan’Ruda qui a besoin de toi. Nous avons besoin de toi, Verith krodh ka !

Objet utilisé :

Svargaadhipati : Roi des cieux

Verith krodh ka : Verith de l’Ire

Dernière édition par Asolraahn le Ven 30 Oct 2020 - 22:47, édité 1 fois

descriptionUne clameur adressée aux cieux [PV Verith] EmptyRe: Une clameur adressée aux cieux [PV Verith]

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¤ L’appel ¤

Quelque chose grandissait au sein du dragon. Quelque chose d'inconnu. Le colérique le sentait, au plus profond de lui, au plus profond de son œil. Une chose se produisait, une chose le parcourait. Le rouge baignait dans une demi-ignorance qui, étonnamment, ne le perturbait pas plus que cela. Pourquoi cette absence de réaction transcendante de sa part pour un être qui a pourtant l'habitude de se méfier d'une chose inconnue lui arrivant ? Avait-il beaucoup trop d'autre chat à fouetter pour s'en occuper? Entrait-il dans une forme d'acceptation après tous les malheurs qui lui étaient arrivés? Ou au contraire ressentait-il un élément le poussant à ne pas appréhender ce nouvel événement? À lui faire confiance? Sans doute est-ce cela. Une voix semblant murmurer à son esprit vénérable. Une voix que Ther'Zhi ne pouvait pas entendre. N'était-ce donc pas un calcul de sa part? Accepter l'inconnu dans l'espoir de pouvoir lutter contre l'image du tyran blanc? Peut-être.

À chaque instant de calme qui se présentait à lui, Verith s'employait à apprivoiser cet élément grandissant en lui. Sentant alors une décharge poindre dans son œil. Il lui semblait commencer à voir des choses qui lui échappaient alors, à adopter une vision nouvelle. Malheureusement, ces instants de plénitude étaient rares. Le rouge était un dragon occupé. Il avait une femme, trois enfants, une araignée mécanique et pire que tout un ennemi constamment à ses côtés. La relation entre le colérique et le legs du tyran demeurait toujours aussi tendue. L'enfant de l'orage haïssait de chaque fibre de son être l'être qui se tenait à côté de lui. Non seulement parce qu'il avait couvert sa race et déshonneur et qu'il lui avait fait subir un traitement bien pire que la mort, mais aussi parce qu'il représentait sur bien des aspects son antithèse. Malheureusement, comprenant qu'il ne risquait pas de s'en débarrasser de sitôt, et que Ther'Zhi n'avait aucune intention de s'en aller, l'un comme l'autre commençaient à s'accommoder de la présence de l'autre. Cela n'était sans doute pas difficile pour l'ancien albinos puisqu'il avait choisi de se lier au dragon libre, mais il devait se rendre compte que ce dernier n'était pas facile à vivre tout le jour. En revanche, cette idée était parfaitement insupportable au colérique. Aussi, dès qu'il en avait l'occasion, il s'assurait de pourrir la vie de son ennemi. En ce sens, Dwemmer l'aidait beaucoup. L'automate graärh n'appréciant pas plus l'image du Tyran que Verith.

Plus têtu qu'une mule et comprenant qu'aucun signe d'inflexion ne viendrait de la part de son hôte. C'est Ther'Zhi qui avait commencé à voir sa psyché évoluée. La victoire de Vraorg n'était pas exactement le même que ce dernier, ou du moins, n'est plus le même. Déjà parce qu'il avait atteint l'objectif de son ancien lui. Il était devenu ce qu'il souhaitait être. L'ancien lié d'Edwyn ne comptait pas parmi ces désirs la possession d'un empire comme il avait pu en avoir un aux heures de la théocratie. Non, cela n'avait été qu'un moyen d'atteindre ses ambitions. Être vénéré tel un dieu et en devenir un soi-même, sinon plus. Aujourd'hui, ayant atteint son principal objectif, il n'avait plus besoin d'un tel moyen. Demeurait peut-être encore ce désir mégalomane d'être vénéré. Après tout, étant devenu un être divin, il méritait plus qu'avant cette vénération. Verith ne semblait bien entendu pas disposé à la lui fournir ni à lui permettre de se faire des fidèles, les contacts bipèdes de ce dernier étant particulièrement limités. Aussi, dans cette perspective Ther'Zhi avait évolué, comprenant que le premier signe devrait venir de lui. Malheureusement, la tâche serait particulièrement ardue, le rouge considérant que tout ce qui pouvait venir de lui était vicié par le mensonge ou un désir de manipulation. En ce sens, il n'avait pas tort. Aussi, l'image du Tyran avait-elle décidé d'aider le colérique dans ses réflexions. Ce dernier l'avait bien entendu rejeté de manière forte virulente, au point que le legs avait décidé de le faire de force. Ainsi les pensées de l'albinos se mêlèrent-elles à celles de l'écarlate. Certes, elle dérangeait profondément ce dernier, mais ainsi finirait-il peut-être par les écouter et peut-être à accepter ce premier signe fait par le blanc.

La nuit s'était couchée sur l'archipel. L'enfant de l'orage venait de quitter depuis quelques heures déjà l'ile de Tiamat où il avait passé les derniers jours à étudier le Baoli. La tâche était déjà ardue en elle-même sans que Ther'Zhi vienne s'en mêler. Si bien que le rouge avait décidé de laisser tomber l'affaire pour le moment. Se mettant plutôt en quête d'un moyen permettant de bloquer l'intrusion spirituelle de son ennemi. Un objet ferait sans doute l'affaire. Aussi avait-il pris contact avec le corbeau dans ce sens. Une fois de plus Saemon viendrait-il mettre ses talents au service du colérique. Mais alors qu'il approchait des côtes de l'île de Calastin, quelque chose résonna en Verith. De la magie … Un appel. Le libre ferma les yeux, tâchant de se concentrer sur ce phénomène. Dans un premier temps, il en repéra l'origine. Peu d'individus étaient capables de le contacter au travers d'une écaille lui appartenant. Pour la simple et bonne raison que peu d'individus en possédaient une. L'appel était lointain, hors la quasi-totalité des élus du rouge se trouvait sur Calastin. Finalement, lui parvint tel un écho la voix d'Asolraahn. Verith s'empressa d'accélérer son vol afin d’atterrir quelques minutes plus tard sur la terre ferme. De là, il se plongea dans une transe méditative, laissant son esprit s'envoler et se diriger vers son écaille qui éclairait la trame tel un phare.

Voilà déjà plusieurs minutes que le géant d'opale devait attendre une réponse de la part du colérique. Mais rien, rien ne se passa. Pas la moindre réponse, pas le moindre signe … jusqu'au moment où l'écaille se mit à vibrer. Une lueur rougeâtre et noirâtre se mit à s'échapper de cette dernière, telle une volute de fumée. Lointaine, la voix de la créature des cieux se mit à résonner depuis le fragment de sa cuirasse.

« J'ai entendu ton appel, Marche-Rêve. Comme je l'ai promis, j'y réponds. Quel trouble te pousse à réclamer mon aide? Quels maux pèsent au-dessus du peuple de Vat'Aan'Ruda?»

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Asolraahn contemplait l’écaille d’un air attentif ; Ses yeux turquoise ne cillaient pas, ne transmettaient nulle impatience. Il renifla et cracha dans l’herbe à côté de lui avant de revenir sur l’écaille, comme captivé par son allure flamboyante. Si son expression était impassible, son cœur, quant à lui, battait la chamade.

Le miaulement de son petit le détourna de ses pensées. En le voyant faucher les plaines dans de grands gestes d’alerte, il lui feula un refus. Non, ils n’allaient pas abandonner ou partir, qu’importe si des pirates descendaient en patrouille dans le vallon. Trop de choses dépendaient de cet appel et de l’aide qui pouvait en découler. Le géant opalin agita la patte pour exiger le silence, et Shuu’ran obéit. Il était inquiet que la nuit soit tombée, que des ombres inconnues s’agitaient dans le lointain, et pourtant son envie de rester avec son grand-père demeurait plus forte que tout.

Les minutes s’écoulaient lentement dans la savane. Le carillonnement sec et distinctif des petites herbes bourdonnant l’une contre l’autre pesait dans leur esprit. Il accompagnait le silence qui demeurait. Au bout d’un moment, il paraissait évident qu’Asolraahn avait eu tous les résultats qu’on pouvait espérer d’un petit bout de dragon inerte. Pourtant ses yeux restaient rivés sur l’artefact sur lequel les reflets lunaires dansaient.

Tout à coup, le reflet se moula dans les crevasses de l’écaille, révélant un mouvement inattendu. Le félin gronda en passant nerveusement les yeux sur elle. Etait-ce la brise qui l’avait fait bouger ? Non, c’était impossible, elle était trop lourde ! Lorsqu’elle vibra une seconde fois, le doute ne fut plus permis. Cette fois, la vibration arracha un cri à son graahron. Une magnifique lueur scintillait dans le cœur de l’écaille, se parant de noir et de rouge comme si des lucioles s’y étaient dénichés un petit repaire.

Asolraahn se fendit d’un mince sourire. Il s’approcha de son petit et lui donna une petite tape sur l’épaule :

-Contemple le dragon dans le rêve, murmura-t-il mystérieusement à son oreille.

Le pelage de Shuu’ran frissonna. Il écarquilla les yeux. Est-ce que son grand-père savait seulement ce qu’il faisait ? N’était-ce pas dangereux pour eux de rester près de cette chose lumineuse ? Soudain, une voix aux inflexions orageuses retentit, provenant de l’écaille :

« J'ai entendu ton appel, Marche-Rêve. Comme je l'ai promis, j'y réponds. Quel trouble te pousse à réclamer mon aide? Quels maux pèsent au-dessus du peuple de Vat'Aan'Ruda?»

L’espace d’un instant, le silence s’abattit de nouveau sous l’acacia. Le géant opalin se pencha en avant, la tête inclinée.

-Nous vivons une époque troublée, grand Dragon. Je suis le porteur de terribles et urgentes nouvelles. Le glas sonne pour le peuple de Vat'Aan'Ruda. La légion s’est affaiblie avec les vieilles guerres de l’île. Elle a perdu sa cheffe, son guide qui aurait dû leur permettre de se relever et ses guerriers ont disparu dans les marais. D’ordinaire, le temps permettrait aux Graärhs de réaffirmer leur puissance, les saisons passeraient, et les jeunes shikaree deviendraient forts à nouveau...

Il devait l’avouer, hélas, la légion était mal en point. Etait-ce de la faute des Aaleeshaan et des Tribyoon s’ils étaient encore endeuillés de leur lourde perte ? Non. Avaient-ils fait tout leur possible pour que la légion se reprenne en main, que les wigwams s’éveillent pleins de vie et que la savane résonne des chasses de jeunes guerriers ? Non plus. Ils avaient attendu, certainement trop. Ils avaient espéré que le temps passerait, oui. Que le deuil s’évanouirait dans la toile transparente des années et que leur légion retrouverait sa gloire d’antan dans la paix rétablie de l’île…

-…Mais le temps nous manque désormais.

Près de lui, son petit avait le regard humide. La lumière blafarde de la lune lui donnait un air plus effrayé qu’il n’y paraissait. Il ne comprenait pas forcément tout ce qu’Asolraahn disait. Mais il sentait l’altération subtile qui grignotait sa voix. Il entendait le léger tremblement dans son accent, que seul quelqu’un l’ayant souvent entendu s’exprimer pouvait deviner. Alors il sut que quelque chose de grave était en train de se produire.

- Car s’il est des choses que le cœur ne peut voir, reprit-il, les yeux, eux, ne peuvent s’en détourner. Le fléau de Néthéril est de retour. Les pirates viennent pour se gaver d’esclaves sur le dos de nos graahron. Ils viennent non pas pour reprendre leur fief sur Néthéril mais pour corrompre nos terres et se venger de la destruction d’Atghalan la Perfide. Je l’ai appris de la bouche de leur roi lui-même, au port de Nevrast, où il pactisait avec le clan Elusis et récupéraient ses forces. Ils sont des centaines désormais, peut-être des milliers, avec des armures, des épées qui ne rouillent pas. Des archers. Des navires qui crachent le feu. Mais ils ne cherchent pas à reprendre la mer comme à l’accoutumée. Leur expansion vise à nous réduire en poussière, jusqu’au dernier petit.

La voix profonde du géant opalin vibrait de colère alors qu’il relatait ce qu’il avait entendu des plans des pirates. Il avait échoué à les empêcher de commettre ces horreurs. S’il avait été plus rapide, plus vif et plus malin, peut-être serait-il arrivé plus tôt, et la légion aurait pu mieux se préparer ? Désormais, il craignait que même son avertissement sonne creux auprès des chefs de clan. Vat'Aan'Ruda avait peur. Les pirates n’étaient pourtant pas des maîtres des assauts sur la terre ferme. Asolraahn avait pu en être témoin. Les Graärhs étaient plus alertes, connaissaient mieux la région, et étaient des chasseurs hors pair. Un affrontement à armes égales aurait fait pencher la guerre en leur faveur.

Mais la guerre, comme de juste, ne se faisait jamais à armes égales.

Désormais, la légion ne pouvait seule affronter ses ennemis. Pour la première fois de son existence, elle aurait besoin de renfort extérieur. Elle avait besoin d’alliés, d’un allié comme Verith Feu de l’Ire. Le Colérique, l’Astre rougeoyant.

-Viendras-tu à notre aide, Roi des cieux ? Beaucoup de vies dépendent de toi.

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¤ Réponse rouge ¤

Les sifflements stridents, assourdissants, des vents de magie parcourant la trame, aussi invisible qu’inaudible aux yeux et aux oreilles de la majorité des âmes peuplant cette terre, accompagnaient l’esprit du colérique alors qu’il se dirigea, dans cette tempête et cette cacophonie, vers un point lumineux au loin. Un phare qui le guidait vers son but. Le rouge s’enfonçait de plus en plus profondément dans une transe méditative, se coupant du monde qui l’entourait. Très bientôt, il parvint enfin à attendre le lointain rivage de Néthéril. Là il toucha du bout de son être spirituel son écaille. Le contact fut établi, il se servit de cette partie de lui-même comme une ancre. Enfin il put faire entendre sa voix. Lointaine … caverneuse … elle s’échappa de l’écaille, se répercutant dans les esprits alentour, au sein du félin d’opale et de sa descendance. Le rouge ne pouvait voir ces derniers, mais il sentait la présence de ces deux êtres qu’il pouvait reconnaitre. Verith pouvait en revanche entendre, et c’est avec calme qui accueillit les sombres nouvelles en provenance de l’ile d’été. Bien qu’appartenant à la même race, les félidés de Néthéril sont bien différents de ceux de l’ile de l’éternel hiver. Leur approche avec les bipèdes est l’une des composantes de cette différence. Le dragon de l’ire en était peut-être pour quelque chose. Il avait montré à ce peuple ses souvenirs, il avait partagé sa connaissance sur le mal nommé bipède. Il ne l’avait pas fait chez les autres. Pourquoi ? Sans doute était-ce là une erreur de sa part. Il n’avait pas su voir la présence des pirates à l’autre bout de l’ile, ne voyant que celle des baptistrels. Il aurait été bien vain de sa part de prévenir de la dangerosité d’un peuple, quand leurs voisins sont des baptistrels … quand bien même il convient tout de même de se méfier de ces chanteurs. Mais était-ce réellement une erreur de sa part ? N’avait-il pas donné sa parole autrefois aux maitres chanteurs ? Ils avaient soigné sa patte, brûlée par Feu en personne, en échange de quoi il leur avait promis de les épargner de sa colère pour les crimes passés. N’avait-il pas, au final, uniquement respecté ses engagements. Sans doute. Car en apportant l’animosité d’un peuple contre les baptistrels, il aurait indirectement abattu sa colère sur eux. Un véritable sujet à débat, mais qu’il ne pouvait mener pour le moment. Il avait d’autres chats à fouetter, ou plus exactement à aider.

« Je pourrais traiter les graärh de Néthéril d’idiots. Idiot de croire qu’il n’existerait pas de pire purgatoire que leur long retour vers la savane suite aux combats dans le marais. Car c’est un jour bien plus noir qui, aujourd’hui, se dessine. Un grondement sourd et brutal, tambourine à vos portes sans répit. Les bipèdes apporteront sans état d’âme le cauchemar dans la vie de chaque félin de Néthéril. Non … ce n’est pas de l’idiotie … simplement de l’ignorance. Vous ignoriez la véritable nature du danger, du mal qui flotte au-dessus vos têtes … des bipèdes. »

Le dernier mot fut craché avec mépris, colère et souffrance. Le rouge connaissait très bien son sujet.

« J’ai pu prévenir les habitants de Nyn-Tiamat du danger qu’ils représentaient. Cela leur a permis de prendre rapidement les mesures nécessaires. Les habitants de Néthéril, eux, ont dû en faire l’expérience. »

Et dans quel état se trouvait la légion à présent ? Surement mal en point, ou très mal en point, d’après ce qu’il pouvait extrapoler, de par ses connaissances acquises lorsqu’ils avaient escorté les félins jusqu’à la savane, par le peu d’information que venait de lui révéler Asolraahn, et par le ton dans la voix de celui-ci. La situation ne devait pas être brillante.

« Je n’ai pas l’intention de mener une guerre à votre place. Pas plus que je n’ai mené le conflit de la légion Vat’Em’Medonis contre les vampires à sa place. »

Verith n’avait pas l’intention de commettre la même erreur que ses ancêtres lors des grands conflits ayant opposé les elfes aux vampires puis l’alliance des elfes et des humains contre les vampires. Pour autant, il n’avait pas l’intention de rester inactif.

« Aucune vie ne dépend de moi. D’elles seules dépendent leurs saluts. Mais, je vais les y aider. Asolraahn, tu es porteur de mon écaille. Moi, Verith de l’ire, qui a obtenu la confiance des deux Aaleeshaan des deux légions graärh, porteur de leurs marques respectives me permettant d’accéder à votre terre la plus sacrée, le Baôli. Moi, qui ai promis à l’Aaleeshaan Sa’hila de protéger le Baôli de tout être désireux de l’utiliser pour assouvir leur soif de puissance. Moi, qui ai escorté les guerriers et blessés de Vat'Aan'Ruda. Je t’autorise à en faire usage. Dès cet instant tes mots ont auprès des tiens mon plein soutien. Arbore là avec fierté et sagesse. Sert-en pour faire entendre ta voix. Qu’ils s’assemblent, qu’ils s’unissent tel un seul être face à la menace. Je répondrais alors à leur bravoure avec la même intensité. »

La luminosité se dégageant de l’écaille se mit petit à petit à décroitre jusqu’à s’évanouir dans la nuit. L’esprit du dragon rouge n’était plus là. Il avait parlé, il avait donné les moyens. À présent, c’était aux graärh d’agir. Pendant ce temps, lui-même allait préparer son prochain mouvement. Revenant à lui, sortant de sa transe, il put observer un Ther’Zhi affichant un air relativement contrit. L’image du Tyran n’appréciait pas vraiment les graärh. Ces derniers lui avaient en effet envoyé une première impression plus que négative, ne voyant en eux que des faibles.

« Lié, si les graärh parviennent à adopter la stratégie proposée, il existe une forte probabilité pour que la réaction de l’ennemi soit de rassembler également ses forces, soit en vue d’un assaut final ou d’une retraite générale. »

« J’ai appris de mes erreurs face aux chimères, alors que je surveillais la frontière de l’ancienne forêt elfique sur Ambarhùna. Seul, il est difficile de mener un combat contre un ennemi qui divise ses forces. »

« Tout cela n’est qu’une perte de temps. Ils n’en valent pas la peine. Pourquoi toujours t’enticher des causes perdues ? »

« Nous ne les observons pas sous le même prisme. Tu n’es pas capable de voir ce que je vois en eux. Mais peut-être vais-je te donner l’occasion de les voir différemment. Si tu cesses de les dénigrer ne serait-ce qu’un instant. »

« Vraiment ? Loin de moi l’idée de briser tes faux espoirs, mais, aussi rapide puisses-tu être, le temps que nous arrivions là-bas, je n’aurais plus rien à voir. Ils auront tous été massacrés. »

« Alors peut-être est-il temps que tu te montres plus utile qu’un bipède pour un dragon. N’es-tu pas devenu plus qu’un dieu ? »

« Qu’as-tu à me proposer ? »

Le colérique lâcha un grondement contrit. Cela lui coûtait beaucoup de parler de négociations avec ce misérable.

« Qu’est-ce que tu es prêt à accepter ? »

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La mine grave saillant de ses babines, le géant opalin émit un profond grondement lorsque l’écaille se remit à luire. La chaleur de la savane mettait à mal son tempérament déjà tapageur. Tournant tout autour de lui avec un regard effrayé, Shuu’ran se posta près de lui, frottant un instant sa truffe froide contre la tempe de son grand-père. Asolraahn demeurait silencieux. Il n’y avait pas grand-chose à dire, seulement attendre l’appel de l’écaille. Le félin songea que la force nécessaire à une telle communication était peut-être si grande que son efficacité requérait du temps et de la préparation. Pourtant, sa patience était mise à rude épreuve. Le dragon de l’Îre était un être millénaire, et il ne s’attardait semble-t-il pas à des considérations terrestres telles que l’urgence ou la précipitation. Pour lui, c’était une chose difficile à appréhender. Un guerrier vivait dans l’instant présent car tout, autour de lui, était une menace. Ces mêmes menaces qui, d’après les intuitions d’Asolraahn, n’était pas si lointaines. Le géant opalin tournait de la tête en reniflant l’air. Il sentait des effluves dans le vent ; De la sueur mêlée à la senteur de la terre retournée, du métal et de la suie. Ces odeurs, il les connaissait bien. Il les avait déjà sentis sur le Maëlstrom sur le pont du navire. Et dans la forêt de Licorok également. Elle lui venait peut-être du village désert à quelques lieues d’ici.

Mais il en doutait sincèrement.

À ce moment-là, l’écaille face à lui répondit à ses inquiétudes. La lueur qu’elle dégagea fut suivie de paroles grondantes et lointaines. En les écoutants, Asolraahn serra et desserra les griffes. C’était vrai, le félin avait déjà croisé, de loin, la route du grand dragon rouge. C’était il y a bien longtemps. Ce jour-là, le Colérique était arrivé sur l’île de Paadshaïl et une petite troupe de Graärhs l’avait amené face aux Aaleeshaans. Après son départ, il s’était souvenu que les rapports avec le monde extérieur avaient été plus difficiles à entretenir, plus austères, la KamdaAaleeshaan ne manquant pas de refuser des rencontres avec les bipèdes et de couper certains clans de toute relation avec les vampires. Elle n’avait pas non plus hésité à se tenir informer de leurs us et coutumes, de connaître leurs forces militaires et leur magie. Elle avait autrefois demandé à PurnenduChikitisak de recueillir ces informations.

Le géant opalin comprit alors que, si sa légion avait réussi à endurer les nouveaux arrivants de l’archipel et leurs guerres, c’était aussi parce que leur méfiance et leur empreinte guerrière étaient demeurées fortes. Leur poigne était demeurée vigoureuse. Se pourrait-il que la légion Vat’Aan’Ruda n’ait pu se préparer à temps, ait réagi trop tard ?

Peut-être. Mais les esclaves d’Athgalan ne venaient pas que de Néthéril. Et le mal des pirates constituait aujourd’hui un danger pour les deux légions à l’heure actuelle, une menace que seul le dragon rouge pouvait empêcher de nuire.

C’est pourquoi la réponse du Colérique lui fit perdre quelques poils. Il baissa la tête, une amère déception se lisant dans son regard. Il n’avait pas cru évidement que son aide lui permettrait de résoudre tous ses problèmes. Il avait eu l’espoir que le Colérique apporterait son soutien et sa présence pour affronter et détruire les pirates de l’île. C’était certes utopique. Il connaissait les dangers qui les guettaient. Il ne s’agissait pas de gagner une bataille avec l’aide d’un dragon pour que la légion de Vat’Aan’Ruda survive aux crocs des bipèdes. Il lui fallait ressouder ses rangs, renforcer de fils souples le lien qui unissait autrefois les clans et qui aujourd’hui était perdu. Séparés, les Graärhs étaient faibles. Ensembles, ils pouvaient devenir forts.

Seulement, Asolraahn doutait d’être celui capable de les réunir. Il ne les avait côtoyés que peu de temps, bien trop peu hélas pour tisser des liens avec les chefs de clans. Lors de l’assaut d’Atghalan, il avait réussi à gagner le respect de bon nombre des shikaree qu’il avait commandés, sous la bannière de Sa’Hila. Dans le canyon, il avait ramené les guerriers à bon port sans trop de pertes, également grâce au dragon vermeil. Mais dès lors, les Aaleeshaans et les chefs s’étaient désintéressés de lui. Les nombreuses tâches à accomplir pour soigner les blessures de leur peuple en deuil avait érodé l’intérêt qu’on lui portait. Il demeurait après tout un Ashuud à leurs yeux. Le géant opalin n’avait pas insisté, alors occupé à un tout autre dessein.

Quel poids avait-il face aux sombres nuages de tempête qui plongeaient l’île dans la pénombre ? Quel poids avait-il pour unifier un peuple désorganisé, dont les clans montraient les crocs les uns envers les autres ?

Lui ne faisait partie d’aucun de ces clans.

Pourtant le Colérique avait confiance en lui. L’écaille luisit à nouveau et ses dernières paroles résonnèrent dans sa conscience toute entière. Puis elle s’éteignit sans plus de cérémonie. La nuit retomba sur eux comme un manteau froid et hostile. Asolraahn inspira une grande bouffée d’air en la reposant délicatement dans le tissu damasquiné. Il lui avait accordé le droit de présenter l’écaille en oriflamme de sa voix, pour lui apporter son soutien. Le géant opalin se releva en laissant son pelage prendre la pleine mesure du vent d’alizé. Il alla récupérer son bâton contre l’arbre d’un geste ferme.
Est-ce que cette écaille suffirait à convaincre les chefs de l’écouter ? Il l’espérait.

« Esprits…, puissiez-vous me guider sur ce long chemin. »

Shuu’ran s’activait à ses côtés, pris d’une énergie qu’il ne lui reconnut pas. Muet, le graahron prenait son baluchon en peau de rhinocéros laineux avec autant de détermination que s’il l’avait abattu sur le crâne d’un pirate. Asolraahn s’approcha de lui et posa ses deux pattes sur ses frêles épaules, plongeant son regard glacé dans celui, ambré, de son petit jusqu’à s’y refléter. Une lueur traversa ses yeux, un muscle joua le long de sa mâchoire remontant dans ses coussinets et, sans même y réfléchir, Shuu’ran eut la certitude que son grand-père montrait un signe de fierté envers lui.

-J’ai une tâche difficile à accomplir, fit-il solennellement. Là où je vais, tu ne peux me suivre. Je vais t’emmener au village où tu y resteras jusqu’à mon retour.

Mais son petit le dévisagea, les coussinets serrés et le regard dénué de peur. Il se tenait devant lui, immobile petite chose face à la taille ridiculement supérieure d’Asolraahn. Il n’en demeurait pas moins qu’un air sévère tranchait sauvagement ses traits, de ceux qui ne peuvent être déjoués qu’avec beaucoup de temps et de patience. C’était quelque chose que le géant opalin n’avait plus. Il poussa un profond soupir avant de glousser :

-Ouais… tu n’es pas d’accord hein. Bon, reste près de moi. Et quand on sera devant le camp, grimpe sur mon dos.

Un rictus agita le visage poilu de Shuu’ran. Il acquiesça avec excitation. Asolraahn n’insista pas. Ce n’était pas comme si la région en dehors de la légion était sûre. Quitte à devoir le protéger, il était plus facile de l’avoir à portée de patte ; le graahron était courageux. Les Esprits seraient contents.
Ainsi, le géant opalin décida de suivre la voie tracée par le dragon rouge et s’en alla vers le Sud.
La nuit couvrit la trace de leur silhouette dans le lointain.

***

Se mouvant prudemment par les ravins et les basses terres, le géant opalin et son graahron réussirent à éviter les patrouilles de la confrérie. Lorsque le jour se leva, ils étaient cachés au nord du campement de la légion. Son petit s’approcha de lui alors qu’il était debout au soleil en train de contempler les longues palissades et le sommet de wigwams. Des couleurs tantôt érubescentes, tantôt ambrées, chatouillaient la canopée au loin de leur teinte flamboyante.
La brise venait de se lever, arrivant du nord-ouest. Le géant opalin caressa la tête de Shuu’ran :

-Le moment est venu. Rappelle-toi, en entrant dans le camp, tu grimpes sur mon dos et tu ne t’éloigne pas de moi.

La déception du graahron fut immense, mais Asolraahn passa devant lui sans le regarder et avança. Ils descendirent rapidement la ravine et arrivèrent devant des portes closes. Des étendards posés sur des piques avec le sigle de la légion voguaient au gré des vents. Des Graärhs l’observaient arriver, des épées courbes scellées à leurs pattes griffues. Ils étaient sur le qui-vive, pas particulièrement heureux de le voir et encore moins surpris. Asolraahn s’en doutait. S’il avait vu des pirates dans les environs, ses sens l’avaient aussi informé de la présence de rôdeurs qui suivaient leurs traces : des éclaireurs à la solde des clans. Ils avaient certainement déjà dû faire leur rapport à la légion. Du temps de Sa’Hila, ces éclaireurs avaient fait un même travail d’exception, tenant l’ancienne Aaleeshaan au courant de son arrivée des heures auparavant.
Mais aujourd’hui hélas, on l’accueillait différemment. Même les portes avaient le parfum de la suspicion et du doute.

Le géant opalin marchait d’égale allure, bien qu’elles ne daignent pas faire un geste pour s’ouvrir, faisait fi des regards de travers qu’on lui jetait. Quand il fut à quelques mètres du camp, les épées se levèrent :

-Pas un pas de plus ! vociféra l’un des gardes, un Garal fauve au visage fier et couvert de cicatrices. Que viens-tu faire sur les terres de Vat’Aan’Ruda ?

Le regard d’Asolraahn eut soudain quelque chose d’électrique. Il lorgna vers le ciel, tenait toujours de sa patte l’écaille du colérique, lovée dans son tissu. Il espéra que le dragon l’entendait encore et aussi qu’il serait bientôt présent. Que faisait-il ? Avait-il d’autres problèmes vers lesquels se tourner ? Son attention revint rapidement aux Garal. Toute inquiétude s’évanouit alors de lui :

-Je suis Asolraahn, le Géant opalin. Je viens rendre hommage à la mémoire de la Kamda Aaleeshaan Sa’Hila, qui fut mon amie et une Graärh courageuse et digne. J’ai entendu dire que les pirates étaient revenus sur cette île et comptaient s’emparer de ses richesses et massacrer mes frères du Sud. Je viens pour les renvoyer à nouveau dans les profondeurs de l’océan.

-Tu es un étranger, Asolraahn, le géant opalin, déclara le guerrier face à lui en secouant la tête. La légion n’accueille plus les Graärhs n’appartenant pas à son peuple.

-Et pourquoi ça ? grinça le concerné.

-Il y a eu des… trahisons, ces dernières semaines. Certains des nôtres ont accepté la servitude des écumeurs des mers et se battent à leur côté. Et puis il y a les espions de la confrérie, des sorciers déguisés dans nos rangs qui ont assassiné notre Kamda Aaleeshaan, que les esprits veillent sur elle. Nous ne pouvons plus faire confiance à ceux qui sont de l’extérieur. Ainsi, les portes demeureront closes.

Cette fois, les yeux d’Asolraahn se teintèrent d’une pure colère. Il observa tour à tour chacun des visages des shikaree, nota le tremblement, la crainte même dans leurs coussinets. Une pensée récente lui revint à l’esprit : « Drapé dans leur peur. » songea-t-il. Ce n’était maintenant plus une supposition, mais un état de fait. Les Garal avaient peur et la légion s’était recroquevillée comme un animal blessé dans son immense camp, abandonnant les clans qui vivaient dans la savane pour fortifier ses maigres défenses. Il comprit alors que Verith de l’Îre avait eu raison de l’envoyer ici. Il avait eu raison de traiter les Graärhs d’idiots et de lui demander de les unir à nouveau. Le dragon rouge pouvait brûler la Savane toute entière, anéantir une flotte de navire et vaincre les armées du félon par sa seule volonté. Mais il ne pouvait sauver une légion brisée et décimée. Le géant opalin seul en était capable. Il savait ce qu’il lui restait à faire.

Avant d’aller à la bataille contre son vieil ennemi, Vat’Aan’Ruda devant d’abord gagner la guerre qui régnait dans son cœur.

-Je ne suis pas un étranger, déclara sombrement Asolraahn. Et je ne suis pas non plus un traître. Je suis venu car les Garal sont en danger et qu’ils ont besoin d’être forts à nouveau s’ils veulent que la légion survive à la tempête qui s’annonce.

-Rien ne nous prouve que tu dis vrai ! feula un autre. Tu as été absent longtemps. Tu pourrais avoir été capturé et asservi ou même corrompu.

La tête immense du géant opalin se tourna dans sa direction :

-Comment oses-tu ?! gronda-t-il. Par les Esprits, il ne me semble pourtant pas que tu aies eu besoin de preuves, KarsakChi’Hira, lorsque je t’ai conduit dans le carnage d’Atghalan la perfide.

À l’appel de son nom complet, le Graärh fit la moue en reculant d’un pas. Les guerriers se lancèrent des regards entre eux. Asolraahn continua en pointant son bâton vers le Garal au pelage fauve :

-Quant à toi, mon garçon, tu m’as peut-être oublié, mais je me souviens de toi. Toi aussi, tu y étais. Tu as vu les morts et la désolation autour de nous. Quinze lunes avant la bataille, je t’ai relevé dans les marais, lorsque la légion est tombée sur les cadavres de nos frères attachés aux grues dans le marais d’Athvamy. Pourtant, tu n’as pas perdu ton courage. Tu m’as suivi dans la cité Perfide. Sous les pontons de bois, je t’ai donné l’ordre de partir en chasse du roi félon et tu m’as alors dit : « On ne te fera pas défaut. Nous le chasserons et le capturerons comme l’animal qu’il est. » (Le géant opalin gronda de frustration) Où est passé le shikaree que tu étais ?

Le Graärh baissa sa tête balafrée, manifestement honteux :

-Il s’est endormi, je le crains.

Le géant opalin s’approcha lentement de lui et posa une patte sur son épaule. Il patienta jusqu’à ce qu’il relève la tête et le regarde droit dans les yeux, puis il répondit :

-Je suis venu te réveiller.

Il recula, libéra l’écaille de son étoffe et la tendit bien haut pour que tous la voit :

-Ma parole s’accompagne du grondement incommensurable du Colérique, le Puissant Vermeil. Il souhaite voir la réunification de Vat’Aan’Ruda. Alors je vous le redemande une nouvelle fois : Ouvrez cette porte et laissez-moi parler à votre peuple !

Les guerriers reconnurent aisément l’écaille. La plupart avait en effet reçu la protection, et même le pouvoir guérisseur du grand dragon rouge, lorsque ce dernier était venu apporter sa protection à leurs troupes alors mal en point. Ebahis, ils n’hésitèrent pourtant pas une seule seconde à exécuter la demande du géant opalin. Les portes s’ouvrirent, libérant un passage vers le cœur de Néthéril. Asolraahn avança, Shuu’ran à ses côtés. Il appela une dernière fois le dragon rouge :

« J’ai confiance en ton jugement, Roi des cieux. Puisses-tu être à mes côtés à l’instant opportun, car désormais la légion entre en guerre. »

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¤ Pactiser avec le diable ¤

Verith venait de couper sa connexion avec son écaille et donc de mettre fin à la conversation avec le félin natif de l’ile de l’éternel hiver. Le rouge avait suffisamment parlé, en dire plus n’aurait été que superflu. Il avait conduit Asolraahn à l’orée d’une voie à suivre, il lui avait indiqué le chemin, à présent c’était à lui et à lui seul de l’emprunter. À l’issue de sa marche, le colérique apparaitrait à nouveau, mais pour l’instant il devait suivre sa propre route pour que de nouveau la sienne et celle du graärh se croisent. Sortant d’une profonde transe, l’enfant de l’orage vint porter son attention sur Dwëmmer, qui avait suivi la discussion et analysait la stratégie du dragon. Celle-ci n’avait pas tort dans ses dires et le rouge le confirma bien vite. Cependant le choix des mots du dragon à l’adresse du géant d’opale n’avait pas été motivé par une simple stratégie. Pas uniquement. Les paroles du colérique étaient plus profondes que cela et c’était à celui à qui il les avait adressés d’en découvrir les sens. Mais l’enfant de l’orage ne doutait pas que celui-ci y parvienne. Les graärh se devaient d’être forts, ils ne devaient pas dépendre de lui.

Chose non étonnante, Ther’Zhi ne fut pas d’accord avec le positionnement choisi par Verith. Pour cause, l’image du Tyran n’appréciait que très peu les graärh. Il n’avait pas une haute opinion d’eux. En même temps, de qui ce dernier pouvait-il avoir une haute opinion hormis de lui-même ? Le mépris de l’albinos pour toutes autres choses que sa personne n’avait pas changé en dépit de sa mort et de sa renaissance. Mais le rouge aurait peut-être l’occasion de lui démontrer que les graärh valaient l’intérêt que l’enfant de l’orage leur portait. Quand bien même il estimait qu’il n’avait rien à prouver à ce monstre. Toutefois, à défaut de pouvoir le vaincre par les griffes ou par la magie, il le vaincrait par les mots et par les actes. Il n’y a pas de petites victoires face au Tyran Blanc. Malheureusement, le concours de celui-ci risquait de lui être nécessaire. Ther’Zhi avait marqué un point : il était loin de Néthéril et il ignorait combien de temps les félins tiendraient face aux pirates. Le rouge n’avait pas envie d’arriver trop tard. C’est donc délibérément que le rouge provoqua l’albinos, cherchant à toucher son égo. Cela ne fonctionna toutefois pas, du moins pas totalement. La réponse de son ancien tortionnaire ouvrant la voie vers une d’entente possible, quand bien même cela coûterait cher au colérique que de marchander avec lui … plus que de simplement supporter son existence.

« Qu’est-ce que tu es prêt à accepter ? »

Un sourire vint fendre les lèvres de l’albinos alors qu’il leva sa main en direction du dragon pour y faire apparaitre un cœur battant. Celui qu’il avait volé à Claudius.

« Un cœur bien entendu. Ne suis-je pas le voleur de cœur ? Certains amassent de l’or, d’autres collectionnent des objets d’art, certains mêmes des coquillages. Moi ce sont les cœurs. »

Un grondement s’échappa du rouge.

« C’est hors de question. Je n’ai pas l’intention de te laisser commettre un tel crime. Même s’il devait être perpétué contre le plus vil des bipèdes. »

« Tes compétences en marchandage laissent grandement à désirer. Mais je peux comprendre cela. Après tout, tu es dans une situation assez inédite pour toi : tu n’as pas l’avantage. Tu ne t’es jamais laissé dicter ton prix, tu le dictais toujours aux autres. »

Le vacarme des ailes du colérique se fit soudainement entendre, celui-ci s’apprêtant à décoller.

« Eh, qu’est-ce que tu fais ? »

« Je n’ai pas l’intention de marchander un cœur avec toi. Cette discussion est donc encore plus stérile qu’elle ne l’était au commencement. Je n’ai pas plus de temps à gaspiller avec toi. Néthéril est loin et le temps nous est compté. »

Un soupir s’échappa du Tyran tout en venant se frotter les tempes.

« Il est encore plus têtu qu’Edwyn lorsqu’il avait une idée en tête. »

L’enfant de l’orage frappa le sol de sa patte, faisant trembler la terre.

« Ne prononce pas ce nom honni en ma présence. »

Une haine aussi profonde et indescriptible que celle qu’il vouait à Ther’Zhi brillait avec intensité dans le regard d’or du dragon rouge.

« Allons bon, il est mort, pourquoi se vexer du nom d’un mort. C’est moi qui l’ai tué je te rappelle. Et il était mon lié. Cela devrait te mettre le cœur en joie. Un dragon lié qui tue son lié. »

« Tu me fais perdre mon temps ! »

« Attends une minute. Je n’ai pas fini de parler. Je suis peut-être prêt à accepter autre chose en échange de mon concours à aider ces pitoyables chatons que tu estimes tant. »

Le colérique cessa de battre des ailes sans pour autant les rabattre dans son dos. Il fusillait du regard l’image du Tyran, lui intimant l’ordre de se dépêcher.

« À Morneflamme j’avais placé au cœur de la prison une effigie à ma personne afin que les prisonniers puissent me prier, en échange de quoi il obtenait de la nourriture. »

« Je n’ai pas le temps d’entendre tes élucubrations de sadique. Parle sans détour ! »

« J’y viens. Penses-tu que cela soit pure méchanceté que j’ai fait cela ? Ou par volonté de les soumettre ? De modeler leur esprit ? Afin qu’ils me vénèrent de gré ou de force ? Non. Je me délectais de leur prière et de leur foi. Un plaisir grisant. »

« Tu ne seras jamais plus vénéré. Ton culte est mort, ton ancienne prêtresse y a veillé. »

« Allons bon, la foi reste la foi. Même s’il est vrai que, si elle est tournée à mon encontre, elle flatterait mon égo. Elle serait même légitime puisque je suis, aujourd’hui, le seul dieu existant. »

« Viens-en aux faits ! »

« Ces chats, c’est un peuple pieux. Ils vouent une vénération aux gardiens de la création des huit. Je veux que tu moissonnes leur vénération. »

« À défaut de leur priver de cœur, tu veux les priver de leur foi ? »

« Non, bien sûr que non. Le procédé est indolore et sans la moindre conséquence pour celui qui en est la cible. Morneflamme en est la preuve. Les seules séquelles dont disposent les anciens prisonniers sont celles issues de leur passage. »

« Je n’ai aucune confiance en tes paroles. »

« Voilà ce que je te propose. Nous construisons l’objet qui permettra la moisson et tu l’utilises ensuite sur un bipède. Tu pourras alors en contempler les effets et juger par toi-même. »

L'enfant de l'orage faisait peser un regard lourd de méfiance à l'encontre de Ther'Zhi. Il n'avait pas la moindre confiance en lui et il savait que cela ne devrait être et ne pourrait jamais être le cas. La petite araignée mécanique s'activa alors, sentant la réticence chez celui qu'elle considérait comme son lié.

« Lié, si l'élément perturbateur me partage les plans de la construction, je pourrais l'analyser et vous donnez mes conclusions. En associant nos capacités, nous devrions être en mesure de contrôler cette dernière et faire en sorte de tout arrêter pour la détruire si jamais celle-ci devait s'avérer dangereuse. »

Verith tourna son museau en direction de Dwëmmer, toujours hésitant. L'héritage graärh n'était jusqu'ici jamais allé dans le sens de l'image du Tyran. Pourquoi ce soudain revirement? Saisissait-elle qu'il n'y avait malheureusement que peu d'options et qu'il y avait peut-être ici un coup à jouer. Le rouge gronda, reportant son attention sur feu Vraorg.

« Tu l'as entendu. »

Le Tyran Blanc fit un mouvement de main, venant cristalliser de la magie et enfermer sa connaissance à l'intérieur avant de le jeter en direction de Dwemmer qui l'attrapa à l'aide de ses pinces. L'araignée mécanique scruta l'objet à l'aide de ses sens uniques, prenant connaissance du schéma.

« Analyse terminée. Cette conception dépasse par certains aspects mes connaissances, certains des matériaux requis ne sont pas présents dans ma base de données. Mais l'articulation magique en elle-même est saisissable, je ne distingue aucune anomalie de nature à faire de cette création un danger. »

Le rouge connecta son esprit à celui artificiel de son compagnon mécanique pour prendre connaissance des éléments, venant le compléter par sa propre analyse. Effectivement, il ne semblait de prime abord ne rien avoir à craindre d'un tel objet. Les éléments entrant dans sa composition, en revanche, posaient problème.

« Tu as conscience que nous ne pourrons construire cela ici. Il nous faudra aller chez eux pour trouver ce sont dont nous avons besoin. Et le temps ne s'y écoule pas de la même manière. »

« Dans ce cas, ne traînons pas plus longtemps. »

Verith lâcha un grondement désapprobateur.

« Tu as intérêt à tenir ta part du marché. »

Ther'Zhi claqua des doigts et les trois comparses disparurent sans plus de cérémonie de la surface de ce plan.

***

Trois jours plus tard, l'enfant de l'orage refit son apparition. Une nouvelle gemme trônait incrustée dans l'une des couronnes ceignant ses cornes.

« Porter quelque chose de ta conception est toujours aussi écœurant. »

« C'est moins contraignant et plus discret qu'une armure. Alors de quoi tu te plains ? Et puis, cela sauvera tes précieux …  »

Le colérique coupa sèchement la parole du tyran tout en prenant son envol.

« À condition qu'il fonctionne. »

Avant de partir pour le plan astral, le rouge avait une dernière fois étendu son esprit en direction de l'une de ses écailles. Pas celle détenue par Asolraahn. Non, une qui se trouvait plus proche, sur Calastin. Celle du Corbeau. Depuis leur première rencontre, Saemon s’était mis à vouer une certaine vénération à l’égard du rouge. Une vénération qu’il désapprouvait bien entendu et qu’il avait bien tenté d’éteindre, mais sans grande réussite. Le Corbeau restait libre de ses choix. La foi de ce dernier servirait donc à tester l’outil de Ther’Zhi. Le colérique lui avait demandé de le rejoindre à un endroit et d’attendre sa venue. Ce dernier était déjà sur place, il ignorait toutefois depuis quand il l’attendait. Ici, quelques jours s’étaient écoulés, alors que pour Verith il ne s’agissait que de quelques heures.

La voix déformée du Corbeau ne tarda pas à résonner lorsque le rouge se posa à côté de lui.

« Salvateur, je suis heureux que ma route croise de nouveau la vôtre. Quelle est cette affaire urgente qui suggère cet empressement inhabituel. »

« Nous allons devoir faire vite, Corbeau. Mais sache que tu es libre de refuser. Un danger plane au-dessus des natifs de l’archipel, à Néthéril. Mes ailes ne pourront malheureusement pas me porter là-bas suffisamment vite avant qu’il ne soit trop tard. C’est pourquoi je dois utiliser un moyen détourné et un prix doit être payé. Je suis moi-même bien incapable de le payer. Je vais donc devoir te demander de le payer pour moi. Cependant, la modalité est incertaine. Je vais devoir user d’un objet sur toi. J’ignore les effets que cela pourrait avoir … J’ai honte de te demander cela. »

« N’ayez point de honte, Salvateur. Vous m’avez sauvé, vous avez remis le pauvre hère maudit que j’étais sur une voie nouvelle. Et alors que je connaissais le désespoir, vous avez répondu à mon appel pour sauver ma Luna. J’ai, envers vous, une dette éternelle. Si jamais celle-ci doit être payée avec ma vie. Alors ainsi soit-il. »

« J’espère que cela ne sera jamais nécessaire. Merci, Corbeau. »

La gemme se décrocha de sa couronne pour venir flotter jusqu’au-devant de Saemon. L’objet se mit à luire d’une lueur maligne et une aura bleuâtre vint apparaitre autour du protégé du dragon rouge avant que celle-ci ne se mettre à tournoyer et à se tendre en direction de l’artefact. Au contact de ce dernier, l’énergie inédite vint se cristalliser. Très bientôt, une pierre tomba au sol, laissant un Saemon … parfaitement intact. La voix de Ther’Zhi résonna alors.

« Qu’est-ce que je t’avais dit ? »

« Tu as ce que tu veux à présent. Prends ton dû. Je n’ai pas besoin de te dire de quoi j’ai besoin, n’est-ce pas ? »

Le bijou s’en retourna dans la couronne et le cristal disparut sans plus attendre. Très bientôt, Verith ne sentit plus auprès de lui la présence de l’image du Tyran.


***

Pierre en main, Ther’Zhi réapparut sur Néthéril. Il était entouré de nombreux félins, ceux-ci semblaient s’être réunis sur une large plaine. Tous portaient armes et armures. Les esprits étaient échauffés. L’odeur de la guerre planait dans l’air. Le triomphe du Tyran se mit à marcher, tel un prince, entre ses guerriers, se dirigeant vers l’objet de sa mission. Bientôt, il apparut sous les traits d’un graärh au pelage sombre comme la suie et vêtu de vêtement noble d’un blanc immaculé. Il tenait dans une main son épée et dans l’autre une gemme bleutée au sein de laquelle brillait un éclat inconnu.

« Après notre rencontre dans les lointaines contrées du rêve, c’est sur un champ de bataille que nous nous recroisons. Chat. »

Face à Ther’Zhi se tenait Asolraahn. Un sourire mauvais et plein de malice trônait sur ses lèvres.

« Ton ami m’envoie. Il exige un sacrifice. Qu’es-tu prêt à lui offrir pour sauver les tiens ? Une jambe ? Un bras ? Ou peut-être ta tête ? À moins que tu préfères me laisser choisir. »
Spoiler :

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Asolraahn marchait au côté des garal en plein soleil sur la route de terre centrale du camp, le regard ferme, le bâton à l’épaule, Shuu’ran sur le dos et le visage levé. Il y avait tant de rêves qu’il aurait voulu réaliser, entrer dans Althaïa la Fantasque avec les deux légions unies n’étant pas le moindre ; voir les pirates humiliés, leurs navires sombrant dans les eaux profondes, leur armée en déroute. La colère s’empara de lui, et l’espace d’un instant, il laissa la richesse de ses émotions s’embraser dans ses veines. Puis, lentement, il se calma. Ce qu’il avait dit aux Graärh à la porte de Vat’Aan’Ruda était vrai. Une grande bataille pour la défense de la légion unirait les clans de Néthéril comme jamais ils ne l’avaient été auparavant. Et même s’il devait mourir ici, une perspective probable compte tenu des forces pirates, l’effet ne ferait que ramener la paix dans le cœur des garal.

Il y avait pire quand on partait avec le but de sauver un peuple à la dérive.

La victoire serait difficile, et requerrait un tribut lourd à payer. C’était vrai aussi. Pourtant, le géant opalin ne perdait pas espoir. Quand on se battait avec la défaite en tête, on ne pouvait que perdre. Ralentissant sa respiration et calmant ainsi son cœur, Asolraahn tâchait de voler au-dessus de ce sentiment de rage et de frustration. Il allait dresser une légion contre un ennemi puissant et retord. Grandes étaient leurs forces. Il fallait mettre les chiffres de côté et se concentrer sur l’essentiel : Le cœur et l’esprit. Aucune troupe ne pouvait vaincre en étant démoralisée, si elle n’avait pas du cœur à se battre.
Le géant opalin visualisa Nathaniel Earendil et la colère rejaillit de plus belle. Il attendit qu’elle passe. Le roi de cette confrérie aranéide avait déjà échoué par deux fois à l’attraper dans sa toile alors que toutes les probabilités étaient en sa faveur.

« Est-ce que je vais pouvoir réitérer cet exploit dans une bataille contre ses troupes ? »  se demanda Asolraahn.

Le félon était un elfe empli de haine, mais il était loin d’être lâche ou impotent. Lorsqu’il était calme, son intelligence surpassait de loin bon nombre de stratèges. Le secret était peut-être là, lui voler cette sérénité caractéristique de son esprit malade, afin que la folie ne détruise son intellect.
En traversant le campement, le géant opalin jeta un œil aux wigwams. Les choses avaient changé depuis sa première venue. Les chants et les rires s’étaient tus, et les kisaan avaient adopté des mines effroyablement mécaniques, le regard luisant mais vitreux. Ils vaquaient à leur tâche sans plus de foi ou d’entrain qu’on n’en aurait attendu de ceux condamnés à mourir. Ils savaient la menace des pirates proches et étaient désespérés. La première fois qu’il était venu, Asolraahn avait été la source de toutes les curiosités, mais il n’eut guère droit qu’à quelques regards teintés d’espoir en montant les marches de bois jusqu’à la colline de la Kamda Aaleeshaan. Il regarda les tours de guets, les terrains d’entraînement et les tentes des shikaaree ; il remarqua vite que certaines d’entre elles étaient vides ; quant aux terrains d’entraînement, ils tremblaient du bruit des combats et la poussière s’élevait touffue dans l’épaisseur fluide des mouvements guerriers.

Asolraahn les examinait d’un œil sévère. Avec suffisamment de temps, il pouvait les préparer à la bataille comme il l’avait fait jadis avant l’invasion d’Atghalan. Mais du temps, les Esprits lui en avaient privé jusqu’à l’essence même.
Les garal cessèrent soudainement de s’affronter sur le sable. Ils rengainèrent leurs armes en remarquant l’attroupement de plus en plus grand qui avait pris la colline et passèrent les portes en bondissant pour les rejoindre. Asolraahn déposa son graahron qui alla se tenir tranquillement à son côté. Il garda son bâton contre lui et tendit la patte pour révéler l’objet qu’il tenait en sa possession : l’écaille luisait à travers le soleil tel une gemme flamboyante. A sa vue, maints shikaaree se remémorèrent le grand dragon rouge, allié de leur peuple et protecteur de la légion lorsqu’ils étaient rentrés défaits de la bataille de l’Ouest. Un murmure d’excitation parcourut l’assemblée :

-Je suis Asolraahn, leur dit-il. Je n’appartiens à aucune de vos tribus, mais mon sang est graärh. Ces terres appartiennent à Vat’Aan’Ruda. Que leurs chefs me rejoignent.

Des garal se creusèrent un passage à l’aide de leurs gardes ; Ils grimpèrent sur la colline et allèrent se poster devant lui. Le géant opalin en reconnut certains qui l’avaient suivi autrefois : Tarakiin Shaana du clan des Guépards Célestes menait la marche, au côté de Sa’riba Affrahna des Chasseurs de Smilodons. Morivva Zabari arriva la troisième avec ses Rampants du Sable, les pisteurs les plus impressionnants qu’il lui ait été donné de connaître ; on les disait capables de sentir un insecte à l’odeur. Asolraahn en doutait, mais il croyait en leur talent. Puis il y eut Khadaahra Sirakhi, une guerrière robuste avec d’impressionnantes cornes courbées qui trônaient sur sa tête au pelage d’or, et ses Griffes du Nord. Les derniers arrivants ne lui dirent rien du tout, mais il attendit que chacun d’eux soit arrivé. Les garal restèrent silencieusement debout, les yeux rivés sur le géant opalin qui les toisait sur la colline. Il resta un long moment silencieux, présentant l’écaille de façon solennelle auprès de son peuple ; près de lui Shuu’ran avait les yeux brillants d’admiration, de crainte et de respect. Il regardait ces chefs de clan, voyait leur pelage tantôt fauve, tantôt flamboyant, en passant par l’ambre ou le cinabre ; un pelage similaire au sien :

-Je viens en ami sur vos terres,   proclama Asolraahn, ceci est l’écaille de Verith de l’Îre, le Colérique, et je vous la présente en tant qu’oriflamme de son soutien. Quant à moi, je vous offre ma parole de combattre jusqu’à la mort pour défendre la légion de Néthéril.  

Il s’avança en laissant l’écaille luire de toute sa puissance sur les Aaleeshaan et les shikaaree, à s’en brûler le poignet. Il les laissa imaginer le pouvoir qu’elle renfermait, le symbole incommensurable qu’elle représentait. Soudain, il referma ses griffes et la leur masqua complètement. Le regard sombre, il leva son bâton vers eux. La dureté du bois l’aida à endiguer sa colère et, quand enfin Asolraahn s’adressa à la troupe, ce fut d’une voix forte qui porta malgré les murmures :

-Du plus profond de nos légendes, sous le vent inexorable du temps, les légions ont livré bataille sur cette île pour défendre leur ville. Ils ont rassemblé les tribus autour d’une seule bannière, remporté la victoire et sauvegardé la survie de notre peuple au sein de l’Histoire. Dans les jours prochains, les Graärh parleront du combat de Vat’Aan’Ruda contre la confrérie qui est venu empoisonner leur terre. Que diront-ils à ce moment-là ? Diront-ils que nous aurons échoué ? Diront-ils que nous avons pris peur ? Diront-ils que nous sommes restés isolés face aux canons, face à leur gant de métal et à leurs navires de guerres ? Diront-ils que nous les avons laissé piller nos sanctuaires ?  

Aucun des shikaaree ne bougea. Mais on sentait que l’écaille lumineuse et la voix tonitruante du géant opalin leur avait donné un coup de sang :

-Ou diront-ils, poursuivit Asolraahn, que nous avons été des guerriers et les enfants des Esprits-liés ? En parleront-ils avec de la fierté dans leurs cœurs ? (Sa voix s’éleva) Qui sont donc ces écumeurs des mers pour oser venir à nous ? Pour qui se prennent-ils ?! Ils ont fait de tribus entières leurs prisonniers. J’ai eu mot qu’ils massacrent ceux questionnant leur autorité et ne laissent que la désolation derrière eux. La manière dont ces animaux de la confrérie ont déferlé sur Néthéril est intolérable ! Il est temps d’agir, de montrer aux pirates que leurs actions ont des conséquences. Je suis ici pour vous implorer, Aaleeshaans et tous les légionnaires. Suivez-moi, allons chasser du pirate dans la Savane.   (Il désigna un shikaaree des Griffes du Nord et rugit)  N’as-tu pas envie de venger la mort de la Kamda Aaleeshaan de ta légion ? (Le graärh gronda d’acquiescement) Oui, bientôt ! Cette vermine veut nous détruire. Mais bientôt, tu tueras du sans-poil et son sang coulera sur nos terres. Tu entendras son cri d’agonie et verras dans son cœur la réalisation de son erreur.   (Il montra le bâton à un autre graärh) Tu la verras également ! Et toi aussi ! Chacun de vous aura l’occasion de leur payer leurs affronts et leurs cruautés.

Le géant opalin entendit le grondement des shikaaree autour de lui. Il sentait leur peur, mais également le magma bouillonnant qui embrasait leur cœur. Leur courage refaisait peu à peu surface. Ils avaient hâte de se battre. Des épées sifflèrent dans les airs. Des lances se levèrent, leurs ombres se dressant par centaines sur la colline. Il vit le regard des Aaleeshaans et remarqua quelques œillades courroucées. Par ses mots, il venait de saper l’autorité des chefs de tribus. D’ordinaire, cela entraînait des duels et la mort, d’autant plus qu’un graärh mâle n’était pas appelé à commander une légion ou à s’élever à un tel rang. Mais l’écaille du dragon avait creusé des sillons dans leur mur de certitude. Khadaahra Sirakhi s’avança alors, toisant les autres guerriers de sa grande tête :

-Le géant a parlé. Une chose est sûre dans tout ceci : Le temps du deuil doit cesser ! J’en ai assez de pleurer sur des morts, et je refuse de quitter ce monde tant que la confrérie n’aura pas été écrasée. Quiconque ne prêtant pas un tel serment devrait quitter cette légion immédiatement.  

Un nouveau tonnerre monta dans l’assemblée. Asolraahn ronronna d’approbation. Khadaahra Sirakhi venait de lui accorder son soutien et, par la même occasion, le soutien de son clan. Si certains chefs doutaient encore de la réussite de cette entreprise, nul ne bougea ou ne dit mot. Le géant opalin leva son bâton, se joignant aux guerriers prêts à faire parler les crocs et l’acier.

***

Soudainement, la légion semblait s’être tirée de son profond sommeil. En quelques secondes, les légionnaires s’étaient formés en une armée organisée, prête à affronter les réalités d’un déplacement de troupe massif pour partir au combat. Les Aaleeshaans et chefs de tribus avaient rejoint leur troupe pour les préparer à un avenir sanglant. Le campement de la légion se vida rapidement pour faciliter les ordres. Au loin, le géant opalin entendit les tambours de guerre frapper une cadence sinistre, annonçant les jours sombres pour les ennemis de Vat’Aan’Ruda.

Sous un ciel nocturne et maussade, le plan de bataille se mettait en œuvre. Les anciens Geais-Moqueurs de la Kamda Aaleeshaan reprenaient des galons et communiquaient maintenant à leur troupe respective. Des éclaireurs étaient sortis du campement pour prendre la température de la région et vérifier que leur tumulte n’était pas trop visible. Les spirites du Cheval gravaient de nouvelles empreintes sur leurs rapaces et les Scorpions préparaient déjà des enduits pour les armes. Quant aux Léopards des Neiges, ceux-ci rejoignirent les troupes de chaque tribu, grossissant leur rangs afin de préparer l’offensive.

« Les oreilles couchées et pleine de méfiance se relèvent énergiquement on dirait » déclarèrent alors certains anciens.

Asolraahn était bien d’accord. Il observait tout ceci consciencieusement au côté de son petit. Dès le début, il avait compris que la tâche serait difficile. C’était de bien maigres préparatifs qui s’affairaient ici, et rien de plus ne pourrait être fait. Pour contrer l’invasion, seule une frappe surprise serait efficace. L’assaut ne pouvait être reporté.

Les garal combattraient aujourd’hui, dès l’aube.

Morivva Zabari des Rampants du Sable avait localisé depuis des semaines l’un des points névralgiques de l’expansion pirate : Un avant-poste avancé que les garal avaient appelé KaalaKanth : la Gorge Noire. On disait que d’énormes spirales de fumées s’échappaient constamment de ce lieu. Il était bâti sur un ancien village graärh et s’étendait sur plus d’une lieue, avec des palissades noires et humides pour empêcher d’éventuels saboteurs d’y mettre le feu. Les Esprits seuls savaient comment ils y arrivaient sous une telle chaleur.

Tandis que la légion grossissait en dehors du camp, un nouvel invité fit son apparition dans leurs rangs. Entouré de guerriers vint un graärh au pelage familier et vêtu d’un vêtement qui était, à son grand regret, plus familier encore. Asolraahn feula face au rictus empoisonné de Ther’Zhi. Il sentit un profond malaise l’étreindre à mesure qu’il approchait. S’il avait craint le jour où il le reverrait, il ne s’était pas attendu à ce que ce soit aujourd’hui. Lentement, il poussa Shuu’ran derrière lui pour le protéger de l’attrait malveillant de son interlocuteur :

-Oui… Il semblerait, hélas, que Verith ait jugé bon que nous nous retrouvions à nouveau.  

A ses demandes, Asolraahn écarquilla les yeux. En voyant la haine sur son faux visage, il feula nonchalamment :

-Garde donc tes sarcasmes au fond de tes crocs. Tu n’étais déjà pas grand-chose dans mes rêves, à présent, tu es moins que rien. Si le Dragon rouge a besoin de quelque chose afin de sauver les miens, je suis prêt à tous les sacrifices. Pourtant, je ne crois pas en ta requête. Jamais il ne s’abaisserait à exiger un prix si cruel. Que cherches-tu à manigancer ? Que viens-tu faire ici ?

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¤ Sous le regard du soleil ¤

Après avoir perçu son dû, Ther’Zhi s’était envolé sans plus attendre. Filant à travers la trame comme il filait autrefois à travers le vent, les torrents de magie le guidant jusqu’à l’ile lointaine de Néthéril. Là-bas il reprit forme, se drapant de l’apparence d’un félin. Il prit le temps d’attarder son regard sur ce qui se trouvait autour de lui. Les graärh s’étaient réunis, ils étaient nombreux et semblaient prêts à la guerre. Ainsi donc, l’opalin était parvenu à répondre aux attentes de Verith. Soit, ce n’était pas là un défi bien grand auquel l’avait confronté le colérique. Pour autant l’albinos n’en était pas impressionné. Après tout, il n’y avait rien d’impressionnant de voir un vers parvenir à ramper au sol. L’image du Tyran se serait bien attardée à dénicher quelques détails négatifs pour avoir le plaisir de les jeter aux visages de Verith et renforcer sa position méprisante à l’égard de cette race, mais il n’en avait malheureusement pas le temps. Il avait conclu un marché avec le rouge, il devait donc s’acquitter de sa part s’il espérait à l’avenir pouvoir obtenir en plus grande quantité ce qu’il avait obtenu aujourd’hui. S’avançant dans le camp et parmi les félins, Ther’Zhi s’en alla trouver celui qu’il cherchait. Très bientôt, Asolraahn apparut devant ses yeux. La méfiance et la crainte se lisaient chez lui. Le souffle que ce dernier dégagea à son égard manqua de le faire rire. Il était tel un chaton devant un prédateur, cela en était plus amusant qu’irrespectueux. Le regard du Tyran suivit le déplacement du petit graahron que le géant opalin tenta de dissimuler à son regard. Comme si cela pouvait l’empêcher de l’atteindre s’il le désirait. Venant faire un léger mouvement de moulinet avec Volarêa, l’albinos vint planter l’épée de la discorde dans le sol face à lui. Ses deux mains se posèrent sur le pommeau de l’arme alors qu’un regard supérieur se posait sur la créature face à lui.

« Oh je ne doute pas qu’il aurait préféré t’éviter cela, Chat. Mais aussi puissant soit-il, il lui arrive aussi de ne pas avoir le choix. »

Un léger rire narquois s’échappa de l’image du Tyran alors qu’il pencha légèrement sa tête sur le côté pour venir poser son regard sur le petit félin dissimulé derrière le géant.

« Oh, vraiment tout ? Alors pourquoi cherches-tu à me le dissimuler ? Ta détermination et ta volonté à sauver les tiens n’est-elle pas sans faille ? »

L’albinos vint se remettre droit.

« Tu ignores tant de choses au sujet de celui dont tu espères la protection. Et de ce à quoi il serait prêt à faire pour arriver à ses fins. Après tout, il m’a envoyé ici. »

L’une des mains de Ther’Zhi vint glisser du pommeau jusqu’au manche de son épée, venant l’empoigner et la retirer du sol. Un rictus malicieux apparaissant au coin de ses lèvres.

« Tu remets donc en question la parole de Verith ? Moi qui pensais que tu lui faisais plus confiance. C’est pourtant bien ce qu’il a demandé. Mais je me demande bien ce que tu as pu t’imaginer, car il n’y a rien de cruel dans cette demande. Je n’ai jamais dit que tu devais sacrifier une partie de ta chair. »

Ther’Zhi disparut soudainement pour réapparaitre très rapidement plus proche d’Asolraahn. Son épée se planta avec fracas dans le sol, le fissurant légèrement.

« Puisque tu n’es pas capable de faire un choix, je vais le faire pour toi. »

L’albinos se recula, creusant un sillon avec son épée toujours plantée dans le sol. Une forme sombre l’avait suivi semblant ancré au sol et attaché à pointe de l’arme. La tache sombre avait l’apparence d’une tête graärh et en regardant de plus près l’ombre d’Asolraahn, l’on pouvait remarquer qu’il en manquait un morceau. La tête du félin ne projetait plus d’ombre.

« Tu es lent à la détente, Chat. Puisse ceci te servir d’avertissement pour la bataille à venir. Soit plus vif, sans quoi tu pourrais y perdre ta tête. »

L’image du Tyran retira Volarêa du sol et l’ombre s’en détacha également, suivant la pointe de l’arme l’ayant embroché. Il la saisit d’une main, venant l’agiter comme on agiterait un morceau de parchemin.

« J’ai accompli ma part du marché. J’ose espérer que toi et Verith m’offrirez un spectacle divertissant. »

Sans plus de cérémonie, Ther’Zhi s’évanouit dans l’air, ne laissant de lui plus aucune trace. Au même moment une alarme retentit dans le camp graärh. Un félin arrivant en courant jusqu’au géant d’opale.

« Des éclaireurs ! Nous avons pu en tuer, mais d’autres sont parvenus à prendre la fuite. Les rats des mers se sont mis en mouvement. »

Le félin vint tendre la patte en direction d’Asolraahn, présentant ce qui ressemblait à des écussons.

« Ils portaient cela sur eux. »

Les écussons faits en ivoire de narval portaient tous une gravure détaillée et de qualité, représentant un arbre fait de cadavres de graärh devant lequel se tenait un individu … ils n’étaient pas sans rappeler la scène ayant accueilli l’armée de Vat’Aan’Ruda une fois que celle-ci eut franchi la porte d’Athgalan. Fallait-il y voir là une énième provocation ? Ou un signe de la présence du roi de la confrérie honni ?

***

Pianotant des griffes contre le sol, Verith grondait, fustigeant Ther’Zhi de tous les mots et s’insultant de l’avoir laissé faire et d’avoir été assez idiot pour passer un marché avec lui. Dwemmer à côté tentait tant bien que mal de calmer l’enfant de l’orage. Quand soudainement, l’image du Tyran apparut de nouveau.

« Tu en as mis du temps ! »

« Le temps passé à l’ouvrage est garant de la qualité du travail accompli. »

« Ma patience est à bout, Ther’Zhi ! As-tu accompli ta part du marché ? »

« Prends en toi à ton protégé, j’ai connu plus coopératif. Mais malgré cela je suis parvenu à accomplir ma part. »

L’image du Tyran vint jeter l’ombre de la tête d’Asolraahn au sol.

« Un aussi gros morceau n’était pas nécessaire. »

« Le temps pressait et il avait du mal à se décider. Alors j’ai dû choisir à sa place. »

Un grondement s’échappa de Verith face à ce qu’il savait pertinemment être un mensonge de ce félon. Il n’avait de toute manière pas le temps de s’y attarder. L’ombre du dragon vint s’étendre pour venir engloutir celle qui lui était présentée. Dwemmer bondit et vint se glisser entre les écailles de son lié alors que celui-ci commençait lentement à s’enfoncer dans le sol … dans sa propre ombre. Bientôt, le rouge disparut une nouvelle fois de la surface de Calastin. Mais cette fois-ci il ne se rendait pas sur le plan astral. Il demeurait sur le plan physique, mais sur une autre île de l’archipel.

***

De l’autre côté, l’agitation régnait. La nouvelle des mouvements du côté des pirates s’était répandue comme une trainée de poudre, obligeant les guerriers de Vat’Aan’Ruda à accélérer leur plan pour espérer obtenir encore un avantage sur leurs adversaires. Encore en transfert, Verith observait la situation depuis l’ombre d’Asolraahn. L’opalin était parvenu à accomplir ce qu’il avait pourtant douté parvenir à faire. Les graärh de Néthéril venaient de s’unir, à nouveau, pour faire face à l’envahisseur. Cette fois-ci ils ne s’unissaient pas pour l’attaquer, mais pour défendre leur terre. Les forces félines étaient tout sorties du campement, se mettant en ordre de bataille, prêtes à s’élancer et à traverser la plaine pour fondre sur l’ennemi au loin. Bientôt, un museau de dragon apparut en lieu et place de l’ombre de la tête d’Asolraahn.  Celui-ci se mit à grandir, le sol venant bientôt se couvrir de l’ombre de la tête de Verith, au milieu de laquelle vint se mettre à briller un œil d’un bleu éthéré. Une douleur traversa l’orbite gauche du colérique, comme si un carreau de baliste cherchait à se frayer un chemin au travers de cette dernière. En provenance de la terre, la voix mentale de Verith se mit à résonner.

« Fils et filles et l’ile d’été, le ciel sourit à votre bravoure. »

Au même instant, un éclair de lumière perça le ciel nocturne. Une aube en avance sur l’horaire se mit à poindre à l’horizon. Comme s’il était tiré par mille dragons, le soleil se mit à s’élever dans le ciel à une vitesse anormale, venant baigner de sa lumière et de sa chaleur la savane de Néthéril.

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Fort peu introspectif à l’accoutumée, Asolraahn se trouva néanmoins de bien sombre humeur. Il était venu sur Néthéril pour prendre part à une guerre. Il s’était préparé à devoir se battre, à ce que le sang coule, à ce qu’il y ait des pertes innombrables pour faire renaître la légion. Il s’était également attendu à mettre en danger son graahron ; c’était un fait et il n’aurait pu contredire quiconque le trouverait imprudent. S’il ne permettrait pas que Shuu’ran se batte, le petit se trouverait malgré tout à quelques centaines de mètres d’une bataille décisive pour la survie du peuple Garal. Pour cela, le géant opalin n’avait pas le choix. Il devait prendre part à la bataille, et l’emporter.

En revanche, il ne s’était pas attendu à ce que l’aide du Dragon rouge l’oblige à tergiverser avec la créature qui s’était accaparée ses rêves, plusieurs mois auparavant. Asolraahn avait d’abord craint que le Colérique se soit fait manipulé par la malice de cet être, mais il se souvenait en même temps de son avertissement lorsqu’ils s’étaient quitté dans le Canyon Karapt : Côtoyer le Dragon rouge signifiait forcément s’entourer de ses compagnons de voyage. Et Ther’Zhi l’albinos en était l’un des plus fidèles :

-Pour parvenir à ses fins, répondit Asolraahn, le Roi des Cieux serait prêt à faire n’importe quoi. Je connais cet état d’esprit. C’est celui qui m’a fait venir au beau milieu de ce désert poussiéreux, la première fois. Laisse donc ce genre de courage à ceux qui peuvent l’enfanter. Quant à t’envoyer ici… (Le géant opalin gloussa) je ne doute pas qu’il espérait voir croître ton amour inconsidéré pour nous autres.

Il n’eut pas le temps de répliquer plus avant. Le profond malaise qui l’avait gagné à l’arrivée de Ther’Zh ressurgit lorsque la silhouette de ce dernier s’évapora dans les airs. La lame qu’il avait plantée auparavant luisit et soudain, une partie de l’ombre d’Asolraahn se déforma dans l’ancre de l’arme.

Cette tâche sombre ressemblait trait pour trait à sa tête. Le géant opalin se retourna pour regarder derrière lui. Son ombre venait de lui être dérobée. Il feula en direction de Ther’Zhi mais celui-ci avait déjà retiré son épée et, suivi de paroles insolentes, s’en était retourné auprès de son maître. A cet instant précis, des cris excités retentirent au sein des troupes. Un des éclaireurs était rentré au campement et propageait la nouvelle : les pirates avaient été aperçu dans les environs. Des mouvements armés faisaient leur petit bonhomme de chemin dans leur direction, avec sur leurs armures des écussons en narval de la confrérie.

Asolraahn porta le regard sur les collines au Nord. L’ennemi serait bientôt là. Il s’agenouilla face à son graahron et posa ses pattes sur ses petites épaules :

-C’est ici que nos chemins se séparent. (L’expression du félin d’opale s’adoucit) Nous allons nous battre et il n’y a pas de place pour un graahron sur un lieu de mort.

Le petit serra les doigts jusqu’à ce que ses griffes ne rentrent dans ses pattes. Mais la poigne de son grand-père se resserra :

-Rentre au campement et grimpe sur la colline de la Kamda Aaleeshaan. Surveille-nous tous du haut du ciel. Je ne me répéterai pas petit, file !

Le graahron l’observa un instant avec un air de reproche. Pourtant, il obéit et disparut avec les kisaan à travers les portes du camp. Le géant opalin se releva en l’observant courir vivement. Il songea à sa fille, à son ancienne vie en tant que Nayak, et aux journées tumultueuses à l’entraîner pour en faire une guerrière. Comment se fait-il, se demanda-t-il, que j’accepte de mettre en danger la vie de son enfant pour la retrouver, alors que je pourrais simplement m’occuper de lui ? Etait-ce toujours par amour pour Taar’Melaah qu’il persistait à la retrouver ? Ou n’était-ce pas plutôt par devoir ? Parce que son honneur avait été bafoué par son échec cuisant à la protéger, elle, et que la colère le poussait à continuer ? Asolraahn baissa les yeux sur Tarama Tish, son bâton qu’il tenait toujours avec lui. Il ne s’agissait peut-être que de vengeance…

***

Les préparatifs durèrent une grande partie de la nuit, dans une brise fraîche venant du Nord. Les défenseurs continuaient à installer des pieux et des pièges pour miner la zone, tandis que d’autres apportaient des stocks de flèches à tirer sur l’infanterie. Un graärh au pelage fauve le rejoignit. C’était le shikaaree qui l’avait accueilli à la porte de Vat’Aan’Ruda. Il le salua de la patte et prit une bonne bouffée d’air :

-Une belle journée, Géant opalin, déclara-t-il.

-Oui, convint Asolraahn.

-Si les rats des mers viennent à nous, ne devrions-nous pas nous barricader dans notre camp pour nous défendre ?

Asolraahn secoua la tête.

-Autrefois, nous ne connaissions pas nos ennemis et avons pris l’assurance qu’il se battrait contre nous avec honneur. Désormais, nous savons tous les deux que cela ne se passera pas ainsi. En fortifiant nos défenses, nous leur laisserons la possibilité de s’installer ici, d’amener leurs machines et de faire pleuvoir la mort sur nous. Comme à Atghalan. Et puis ces vieilles portes ne suffiraient pas à nous protéger. Non, nous devrons combattre à découvert, ici même.

-Ah ! Alors nous tuerons plein d’ennemis. (Le garal sourit avec excitation) Je sens la peur brûler mon ventre, mais c’est un sentiment agréable.

-Dans ce cas, garde-la auprès de toi ! clama le géant opalin. Car les pirates sont arrivés.

Les garal levèrent la tête et discernèrent des silhouettes au niveau des collines. Asolraahn en dénombra des centaines alors que la nuit profonde lui masquait le reste. Les pirates, effectivement, étaient arrivés. Un gémissement sourd se fit entendre et les garal virent un Rampant des Sables revenir des collines du Nord. Il s’écroula soudain sur le dos, ses pattes couvertes de sang. Il avait une sale blessure au ventre qui lui faisait horriblement mal. Il toussa et agonisa pendant de longues secondes avant de laisser son âme rejoindre les Esprits. Khadaahra Sirakhi alla fermer les yeux de l’éclaireur et se leva. Elle fit demi-tour et poussa un long rugissement qui résonna dans toute la savane avant de faire un geste sec de son épée. Les Griffes du Nord se mirent en rang d’un pas endiablé face aux pirates. Asolraahn s’avança devant les garal et gronda :

- Vat’Aan’Ruda ! Je sais ce que vous aimeriez entendre ! Que les Esprits veillent sur nous, que nous allons tous nous en sortir indemnes, que l’issue de cette bataille repose sur des forces au-delà de notre entendement. Ce serait mentir ! C’est vous qui déciderez du sort de la légion. Vous êtes son ultime espoir, et je vous le dis sans détour. Ce sera vous, et vous seul qui vaincrez les rats des mers une bonne fois pour toutes. En avant !

La rage au ventre, les graärh se ruèrent vers l’ennemi. Les flèches plurent sur les rangs pirates tandis que les shikaaree armés d’épées et de haches esquivaient à grande peine les projectiles ennemis. Les Léopards des Neiges conjuguèrent leur élément pour effectuer une parade. Les traits ennemis gelèrent soudainement dans le ciel avant de retomber en de petits grêlons.

Au même moment, le Dragon Rouge fit son entrée sous une aube surnaturelle. Son ombre gravita autour d’Asolraahn et les graärh se figèrent de stupéfaction avant de s’éloigner de là où il se tenait. Ils eurent raison. La silhouette du dragon rouge ne tarda pas à émerger des tréfonds de la terre, sous les feulements de surprise de la légion. Soudain, les rayons du soleil resplendissant vinrent apposer leur chaleur sur le court poil des garal, leur échauffant le sang.

La voix terrible du Colérique retentit. Un discours d’arrivée bienvenu, songea le géant opalin. Car au même moment, des tirs d’artillerie tonnèrent au-dessus de leur tête. Des mottes de terre volèrent en éclat sous l’impact, projetant des garal dans les airs. Les pirates avaient déjà lancé leur assaut. La bataille avait commencé. Asolraahn jeta un dernier coup d’œil au sceau de la confrérie ; le symbole du peuple du bouffeur d’agrume. Une colère profonde le prit à nouveau, cette fois contrôlée par sa volonté. Le géant opalin leva le bâton et pointa les rangs noirs face à eux, désormais clairement visible sous un soleil de plomb :

-En avant ! Pas de quartiers !

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¤ Le feu et le sang ¤

Le vacarme envahissait la savane. Tel un seul être, défilant à travers la plaine telle une harde d’équidés sauvage, les guerriers de Néthéril chargèrent en direction du campement pirate et de leurs troupes. Attaché à l’ombre du géant opalin, Verith observait grâce à ses sens magiques la scène. Très bientôt, il pourrait leur porter main-forte et faire tourner court la bataille, il lui fallait juste encore un peu de temps que le transfert prenne fin. Les graärh, chargeant à deux ou à quatre pattes, arrivèrent bientôt au contact de l’ennemi. Les sanglants affrontements commencèrent bientôt. L’enfant de l’orage ne put qu’observer cela avec dégoût. Il avait vu les boucheries dont étaient capables les bipèdes. Il avait vu le résultat de la bataille de l’aube rouge qui avait vu tant d’êtres mourir. Son arrivée permettrait, il l’espérait, que le moins de sang graärh possible ne tapisse le sol. La fin du transfert était imminente et avec lui la douleur lancinante dans l’orbite du colérique se faisait plus fort. Et à mesure que l’irruption du rouge se faisait proche, l’ombre d’Asolraahn se tordait et grandissait.

« Fils et filles et l’ile d’été, le ciel sourit à votre bravoure. »

Semblant provenir de la terre elle-même, la voix mentale de Verith se fit entendre au milieu des combats. Et comme pour répondre aux paroles de l’enfant de l’orage, le soleil fit irruption dans le ciel. Félins et bipèdes observèrent le sol pour y voir une immense tache sombre sous leurs coussinets. Indiquant mentalement à ceux ayant le plus de poil de déguerpir au plus vite, le rouge ne tarda pas à surgir de son ombre comme on surgirait hors de l’eau. D’un battement d’ailes furieux il prit son envol, envoyant valser au passage les bipèdes qui se trouvaient sur son chemin. Et alors qu’il prenait de l’altitude, un puissant rugissement draconique résonna dans le ciel, venant couvrir les sifflements des projectiles de ce qui semblait être des armes de siège. Celles-ci toutefois bien moins grandes ne semblaient pas être conçues dans le but d’assiéger une place forte. Ce que n’avaient de toute manière pas les félins. Non, l’objectif était tout autre et comme on pouvait l’attendre de la part des pirates fort perfides. Se trouvant sur le trajet d’un des projectiles, l’enfant de l’orage donna un coup de queue pour le repousser. Cela n’eut d’autre effet que le faire exploser en vol, libérant dans l’air un produit fort corrosif donc ses écailles ne protégèrent. Malheureusement, le pelage des félins ne les protégea pas aussi efficacement. Un grondement sourd vint faire vibrer le poitrail de Verith alors qu’il commença à prendre de la vitesse et virer pour arriver sur la droite des engins. Bien que n’ayant jamais été un grand manipulateur de son feu intérieur, comme put l’être sa mère ou l’est sa femme, il avait là ses cibles tout alignées. Une puissante langue de feu jaillit de la gueule du colérique alors qu’il volait en rase-mottes. Les uns après les autres, les armes porteuses de morts à longue distance explosèrent à son passage, levant un véritable rideau de flammes.

La panique commençait à gagner le camp adverse, aussi surement que la douleur de son orbite lui transperçait à présent le crâne. Dodelinant violemment de la tête pour tenter de chasser la douleur, le rouge observa d’un œil la bataille sous lui. Celle-ci devait prendre fin dès maintenant. L’équilibre des forces venait d’être rompu. Il en avait fait plus qu’assez. En amenant Asolraahn à réunir les félins de Néthéril, en se présentant sur le champ de bataille et en agissant en faveur de ces derniers, le colérique avait tenu parole. Le colérique n’avait pas l’intention de mener cette guerre pour le peuple de Néthéril, et il n’avait pas l’intention de s’y faire emmener en permettant aux félins de mener plus loin leur offensive là où la simple fuite de l’ennemi serait suffisante. Verith n’avait pas l’intention de commettre l’erreur de ses ancêtres.

Le soleil avait poursuivi sa course anormalement effrénée et se trouvait actuellement à son zénith. Verith vint reprendre de l’altitude, se plaçant sur la trajectoire des rayons de lumière, venant projeter l’ombre d’immenses ailes sur la terre telle une promesse de mort.

« Bipèdes ! Vous n’êtes pas les bienvenues en Néthéril ! Cette ile a désormais un protecteur et je ne permettrais pas que vous fassiez couler plus de sang. Décampez sans attendre ou je rappellerais à vos mémoires pourquoi je fus nommé Aile de mort ! »

L’enfant de l’orage commença à descendre en direction de la terre, liant l’acte aux paroles. Le cor des pirates ne tarda pas à tonner, annonçant la retraite. Volontairement, le rouge vint se poser entre les forces félines et le bipède en débâcle. Même s’il pouvait le comprendre et l’encourager, nul n’était besoin de porter un désir de vengeance. L’objectif était déjà atteint : ils étaient saufs.

¤ Lié, j’ai détecté une poussée d’énergie d’inconnue depuis notre arrivée. Celle-ci ne fait que croitre et va à ce rythme atteindre une masse critique. ¤

¤ Analyses et trouves en l’origine. ¤

Le colérique chancela légèrement avant de se rattraper, venant porter une patte à son œil gauche pour le frotter vigoureusement. Il finit par tourner le museau en direction du reste de la savane à côté de lui, dont l’herbe et le sol étaient rougis par le sang.

« Fils et fille de l’ile d’été. Que vos chefs s’avancent devant moi. S’ils sont encore en vie. Que celui qui porte mon écaille en fasse de même. »

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Les Rampants des sables furent les premiers à charger. Ils étaient les plus rapides et les plus agiles, et leur haine des pirates était froide et implacable. Leurs épées et leurs lances brillaient dans l’aube avec une lueur de flamme dorée, d’autant plus était mortelle la fureur des pattes qui les maniaient. Les pirates se tenaient sinistrement à l’autre bout de la plaine. Leurs armures étaient tantôt de cuir, tantôt de fer, ils portaient pour la plupart des haches et des épées, et tous portaient un petit couteau dans leur ceinture. Dès que la légion se regroupa pour l’assaut, ils décochèrent des volées de flèches dans le gros des troupes. Les Rampants des sables répliquèrent aussitôt. Leur connaissance du terrain faisait qu’ils savaient parfaitement sur quel rocher se couvrir et dans quelle direction aller pour en trouver toujours de plus gros à les protéger des traits ennemis.

Les tambours grondèrent et de nouvelles troupes de shikaree des autres tribus s’élancèrent en direction de la ligne noire des pirates. Les hurlements étaient assourdissants dans la plaine. Lorsque la charge fut lancée, le géant opalin s’empara de Tamara Tish et suivit la légion dans la bataille. Son immense toison blanche était dangereusement visible au milieu des garal. Les pirates pouvaient le repérer aisément, même parmi les centaines de Graärh agglutinés autour de lui. Mais Asolraahn n’en avait cure. Lorsqu’il était à Paadshaïl, il pensait constamment aux montagnes et aux icebergs de la légion, alors qu’il entraînait durement sa fille aux conditions du monde qui était le leur. C’était un lieu pourtant enrobé de tendresse et de chaleur, car il y était le plus en vie. Et maintenant qu'il était ici, sur ce champ de bataille sinistre, la même chaleur l'enveloppait lorsqu'il songeait au mot rage. Douce vengeance était à portée de main. C’était un peu comme si sa quête n’avait plus de fin, elle flottait devant lui tel un spectre, lui faisant signe mais s'échappant toujours. Elle lui avait inculqué la haine des pirates. Et cette haine aujourd’hui se libéra comme un feu ardent.

Les pirates se mirent en position, des tirs retentirent et certains Graärh de la troupe en renfort tombèrent avant même d’atteindre le combat. Mais les autres chargèrent avec une fièvre guerrière et la bataille ne tarda pas à devenir un véritable carnage. Allant lui-même au cœur du charnier, Asolraahn se jeta sur ses adversaires, les massacrant à coups de bâton, oubliant toute retenue. Il fendait des crânes, brisait des jambes et dansait avec l’agilité d’un tigre sur le sol ensanglanté de la savane. Il esquivait adroitement les attaques rapides des spadassins en portant lui-même quelques coups précis dans les yeux, les oreilles ou la bouche de ses ennemis. Tout autour de lui n’était que bruits de lames qui s’entrechoquent, cris agonisant d’animal… et bruits de tonnerres. Les lignes garal ralentirent soudainement, juste avant d’être soufflées par une salve destructrice. Asolraahn s’agenouilla en hurlant à pleins poumons :

-A terre !

Sur un bon quart de lieue, les artilleries crachèrent un feu à l’odeur âcre et d’autres garal volèrent dans les airs sous le coup de l’impact. Les survivants eurent à peine le temps de se cacher derrière des arbres ou des rochers. Dans la plaine, les pirates levèrent des boucliers en ivoire portant le sceau de la confrérie. Ils se mirent à avancer en rangs serrés comme ils approchaient du cœur de la légion. Une odeur de fumée et de viande rôtie flotta dans l’air.

Le géant opalin tourna la tête et aperçut les canons installés dans la savane. Il arbora un regard noir et bondit sans attendre. Des pirates voulurent lui bloquer la route. Il en tua deux presque instantanément d’un coup large de son bâton. Il prit la tête d’un autre qui venait de lui assener un coup de masse à l’épaule, le souleva de terre dans un rugissement en serrant fort de ses griffes pour lui briser le crâne, et le balança plus loin. L’homme s’écrasa comme un pantin désarticulé. Asolraahn se remit en chasse, haletant. Malgré ses blessures, son bâton virevoltait pour parer des haches et des sabres à tout va, puis ripostait avec une égale férocité.

Soudain, une nouvelle explosion racla la terre où il se trouvait une seconde auparavant. Les oreilles du géant opalin vrillèrent. Des débris s’élevèrent en un geyser et la clavicule du forban près de lui se brisa affreusement sous le choc ; quant à Asolraahn, il fut projeté sur six mètres et atterrit sur trois forbans dans sa chute. Une pluie de cailloux et de pierre s’abattit sur eux, mais le félin se releva précipitamment. Il acheva les deux premiers d’un coup franc de bâton, bloqua la lame du dernier et le faucha avant de lui déchirer le visage de ses crocs. Déjà, derrière lui, au milieu des forbans qu’il avait laissés pour mort, gisaient des Guépards Célestes et des Griffes du Nord qui auraient pu vivre encore de longues et joyeuses années dans la savane. Et comme la plaine se faisait de plus en plus large, les assauts se firent de plus en plus lents. L’armée de la légion, si vaillante soit-elle, n’était pas assez grande pour tenir sur un terrain aussi vaste. Bientôt, les défenseurs se retrouvèrent assaillis et furent contraints de former un cercle protecteur au milieu des pirates, faisant face de tout côté, pris de toute part.

Barbouillé de sang et éreinté, le géant opalin continuait néanmoins à avancer. Il sentait derrière lui que quelque chose changeait. Son ombre prenait des airs de géant, plus que de coutumes, car elle était d’une taille surnaturelle. Il était effrayant. On pouvait y trouver des ailes sur ses épaules et une tête triangulaire et reptilienne : Le Colérique arrivait. Les pirates reculaient de tout bord face à cette impressionnante apparition. D’autres tentaient leurs chances et mourraient pitoyablement face aux assauts mortels du félin. Alors le vent déchira le champ de bataille et l’aube se fit plus étincelante encore. Et tout à coup, une surprise fit bondir le cœur d’Asolraahn. Surgissant des tréfonds de la terre, le Colérique naquit de son ombre. Ses ailes se déployèrent, immenses et majestueuses, et il ne tarda pas à survoler le champ de bataille en poussant des clameurs guerrières. La légion Vat’Aan’Ruda répondit par des exclamations excités. Les pirates reculèrent de terreur. En quelques secondes, avec un soleil rouge de sang, la bataille se transforma en une débâcle effrayante. Les combattants bipèdes lâchèrent armes et boucliers pour atteindre le plus rapidement possible leur campement. Des Rampants des Sables  embusqués dans les fourrés surgirent alors pour cueillir les fuyards. Un massacre terrible s’entama. Mais non loin d’Asolraahn, l’artillerie frappait toujours dans les rangs de la légion. Le géant opalin appela les léopards des neiges :

-Que quelqu’un me gèle cet ogre de métal, cria-t-il.

Le terrain autour du canon fut bientôt garni de graärh. Les léopards des neiges transformèrent l’arme de siège en un immense monticule de glace, brillant dans l’aube ; une magnifique sculpture qu’Asolraahn ne tarda pas à réduire en poussière de son bâton. Au même moment, le Colérique déploya sa puissance incommensurable. Le feu s’écrasa sur les rangs pirates comme des flots tumultueux sur des récifs. Il ne resta rapidement plus que de la cendre là où se tenait encore bon nombre d’inventions cruelles des forbans destinés à détruire la légion.

La bataille était terminée. La victoire était désormais certaine. Et les mots du Colérique sonnèrent plus massivement que le cor de la retraite ennemie. Un grand rugissement monta des garal. Un rugissement de triomphe, mais aussi de colère. Ils avaient encore soif de sang, se sentaient maintenant invincibles. Toutefois, la stature imposante du Rouge devant eux les dissuada de poursuivre leur route. Asolraahn lui en fut reconnaissant. L’expérience lui avait apprise qu’il ne valait mieux pas affronter des pirates lorsqu’ils prenaient la fuite. Il appela  Khadaahra Sirakhi des Griffes du Nord :

-Fais le compte des blessés et que les plus graves soient emmenés aux wigwams des guérisseurs.

Les garal se rassemblèrent autour du géant opalin et fêtèrent leur victoire en langue graärh. Dans leur excitation, certains parlaient avec un étrange accent du Sud et le géant opalin ne comprenait pas un traître mot de ce qu’ils racontaient. Asolraahn se tourna vers Tarakiin Shaana, l’Aaleeshaan des Guépards Célestes, qui suivait de près :

-Combien tu en as tué ? s’enquit-il.

-Je ne sais pas, Géant opalin, dit-elle. Mais certainement bien moins que lui.

Elle montra le dragon rouge qui se dressait plus haut que les baobabs de la savane. Elle souriait étrangement, en état d’euphorie. Asolraahn ronronna profondément et avança comme il l’appelait. Mais au dernier moment, Tarakiin recula d’un pas et s’écroula, le regard fuyant. Le géant opalin s’agenouilla près d’elle et la retourna. Elle avait cinq blessures béantes ; du sang en coulait abondamment.

-Tiens bon, ma sœur, lui dit-il. Les blessures ne sont pas graves. La douleur va passer, m’entends-tu ? Mais on va devoir t’emmener chez le guérisseur.

Des Rampants des Sables aidèrent les membres du clan de l’Aaleeshaan à la porter jusqu’aux guérisseurs. Asolraahn considéra cet élan de solidarité entre les tribus avec satisfaction, puis s’en retourna vers le Colérique. En arrivant, il le sentit perturber, comme s’il était ailleurs. Il l’observa de ses yeux bleus de glace :

-Nous avons gagné, dit-il simplement au Colérique.

C’était une constatation, plus qu’une réelle affirmation. Asolraahn avait en réalité peine à croire que l’ennemi ait pu être repoussé. Quand il s’était trouvé devant le campement de la légion, il avait été certain qu’il emmenait de jeunes Graärhs, sans aucune chance de succès. Et voilà que la légion de Vat’Aan’Ruda était sauve. Contre toute attente :

-Il y a eu bien des pertes, ajouta-t-il. Bon nombre de shikaree s’en sont allés vers les Esprits-Liés aujourd’hui. Comme toujours, les pirates viennent et repartent avec du sang Graärh sur leurs mains.

Il était amer. La bataille n’avait pas duré bien longtemps, mais elle avait été dévastatrice. Il contempla la désolation qui avait sévi sur la Savane. La terre était nimbée de crevasses noirâtres et d’impact, comme si une pluie de météore s’était abattue sur le champ de bataille. Le feu mêlé à la sécheresse de la région avait prit un essor effrayant. Le géant opalin songea que les spirites des Léopards des Neiges et des Gerridae avaient encore fort à faire :

-Mais…. Ils auraient pu être bien plus nombreux. (Le géant opalin posa un genou en terre en montrant l’écaille étincelante dans la lueur de l’aube.)  L’axolotl avait raison, il avait prédit ton retour. Et tu nous as effectivement sauvés une seconde fois. Tu es Surakshaatmak Aag, le « feu protecteur ». Au nom de mon peuple, je te remercie.

Sur la plaine, les garal avaient formé des petits groupes et parlaient toujours avec excitation du triomphe de la légion. D’autres se mirent à entonner, en chuchotant ou d’une voix forte, la devise qui se faisait blason de leur légion : « Abhibhaavak, ham khatare ko dekhate hain taaki yah kabhee na jaagen »*. Les Aaleeshaans encore debout ne tardèrent pas à rejoindre le géant opalin en silence près du Colérique.



* Gardiens, nous veillons la menace afin que jamais elle ne se réveille.

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¤ Le second don ¤

L’odeur du sang agressait les narines du dragon rouge. Bien qu’elle ne lui était pas désagréable habituellement, il ne sentait ici que la fragrance repoussante de la guerre. Les visions ancestrales de passés lointains filèrent dans son esprit, traversant la mémoire draconique comme une harde au galop. Il revoyait les batailles des bipèdes auxquelles assistèrent ou participèrent certains des siens. La répulsion des dragons libres de l’Ambarhùna d’antan le saisir aux tripes. L’espace d’un instant, il comprit pourquoi ses ancêtres avaient préféré partir plutôt que repousser les bipèdes si c’était pour assister ou participer à un spectacle aussi déplorable. Mais très vite, le naturel revint au galop. L’ire du colérique embrasa son cœur, chassant ses pensées. Encore et toujours les bipèdes. Encore et toujours la source de tant de maux. Aussi bien pour lui, que pour les graärh désormais. Devant lui, les pirates fuyaient à travers la savane à toutes jambes et ils ne devaient, qu’à Verith, de ne pas avoir la mort aux fesses. Par ses mots et sa stature, il avait interdit aux félins de les poursuivre. Il n’était pas venu ici pour leur permettre d’obtenir la victoire sur une guerre. Seulement de survivre à une bataille. Rien de plus. Derrière lui, Verith pouvait entendre les cris de victoire des graärh se mêlaient aux râles des blessés et agonisants. L’enfant de l’orage leva une griffe devant lui et se mit à canaliser la trame à l’extrémité de celle-ci. Celle-ci devint temporairement visible autour de la griffe du rouge. Les paillettes d’or se mirent à danser avant de se rassembler, se concentrer et finalement se cristalliser pour former une gemme flottant au-dessus de l’extrémité d’ébène. Il se retourna, encore un peu absent : happer par des pensées vagabondes et une douleur grandissante dans son orbite qu’il s’efforçait d’endurer. La voix d’Asolraahn résonna, le ramenant sur l’instant présent.

« Nous avons gagné. »

Est-ce une victoire ? Oui, sans aucun doute pour les graärh.

« L’axolotl avait raison, il avait prédit ton retour. Et tu nous as effectivement sauvés une seconde fois. Tu es Surakshaatmak Aag, le « feu protecteur ». Au nom de mon peuple, je te remercie. »

Alors que les guerriers félins fêtaient de manière réservée cette fin de bataille, le géant opalin fut très vite rejoint par d’autres graärh. À n’en pas douter les dirigeants des différentes tribus encore en vie. Son regard passa sur chacun d’eux avant de prendre la parole.

« La première fois que je vous suis venu en aide. Vous étiez abattu, faible et désuni. Aujourd’hui, vous êtes fiers et joyeux malgré la bataille et les morts, forts et unis. Je ne vous ai pas sauvé. Aucune vie n’a jamais dépendu de moi. D’elles seules dépendaient leurs saluts. Je n’ai fait que montrer une voie à l’un d’entre vous. Puis, vous vous êtes sauvés, en demeurant unis. C’est à l’appel de votre unité que j’ai répondu. »

Le rouge fit un léger signe de la griffe et la gemme dorée se mit à descendre en flottant jusqu’aux graärh. Asolraahn reconnaitrait aisément de quoi il s’agissait. Il en avait déjà donné une par le passé pour aider à soigner les blessés.

« Chefs de tribus ! Vous et les vôtres avez vaillamment combattu. Mais vous devez comprendre que l’aide que je vous ai apportée aujourd’hui n’avait pas pour but de vous offrir la victoire dans cette bataille ou dans cette guerre vous opposant aux pirates. Je vous ai aidé à survivre et à repousser l’ignominie des bipèdes. En chassant les pirates, j’ai donné ma parole et placé cette ile sous ma protection. Ils ne devraient pas revenir, et s’ils le font, alors je les repousserais. Cependant, il n’est pas question de participer ou même de mener une guerre. Je ne commettrais pas la même erreur que mes ancêtres. Soyez donc avertis que si vous entreprenez à compter de ce jour une quelconque action militaire à leur encontre, vous ne disposerez plus de ma protection. Car je considérerais ma protection comme prendre part à une guerre qui ne serait pas la mienne ni celle de mon peuple. Si vous y consentez, cela sera la première condition à la pérennité de mon soutien. »

Le regard du rouge glissa sur le géant d’opale.

« J’ai montré la voie au Marche-Rêve, qui vous l’a ensuite montré. Celle de l’unité. Je ne saurais vous protéger efficacement si vous deviez vous éparpiller à nouveau au travers de la savane. L’expérience m’a appris qu’une trop large frontière à défendre seul, même lorsqu’on est un dragon, offre des failles à l’ennemi. Restez unis, cela sera la deuxième condition à la pérennité de mon soutien. »

L’enfant de l’orage ferma les yeux, venant se gratter une nouvelle fois l’œil gauche.

« Enfin, ma protection ne sera pas éternelle. Œuvrez à votre autonomie et non à votre dépendance. Telle sera mon ultime condition. »

Les chefs de tribus se regardèrent entre elles l’espace d’un moment, échangeant quelques mots avant de se mettre rapidement d’accord et venir poser un genou à terre face au colérique. Verith, toujours la patte se frottant à l’œil, les invita à se redresser avant de se retourner vers Asolraahn.

« Je t’ai autrefois donné une de mes écailles, Marche-Rêve. Tu en as fait bon usage, je te la reprends. »

Le ton du rouge était soudainement devenu plus ferme et incisif. Tranchant à la suite du discours. Pourtant, ce brave Asolraahn n’avait rien fait pour irriter le dragon, mais la douleur de son œil commençait à lui vriller l’esprit à mesure qu’elle grandissait. Dwëmmer communiquait à temps réel les informations qu’elle parvenait à obtenir au sujet de la montée d’énergie qui n’avait fait que croitre. Ils finirent par la localiser, celle-ci provenait de lui, ou plutôt de l’intérieur de lui. Verith parvint à l’attraper et comptait bien lui trouver un moyen de l’expulser.

« Remets-moi également ton bâton. »

Les mots prononcés à Alford Gorder lui revinrent alors en mémoire.

« Je ne suis pas un Dieu, je ne suis pas le Tyran Blanc. J’aide ce qui mérite d’être aidé. Je protège ce qui mérite d’être protégé. Je détruis ce qui doit être détruit. Je crée ce qui doit être créé. J’observe la justice des dragons. Tu es guidé par l’honneur. Tu protèges les tiens. »

De son autre patte, le rouge fit un mouvement de griffe en direction du ciel. L’écaille et le bâton s’envolèrent alors avant de se mettre à flotter au-dessus de la tête des félins. Verith ouvrit alors son œil gauche. Ce dernier était rougi, car de nombreux vaisseaux à l’intérieur avaient cédé sous la pression. De la paupière du dragon se mit à couler du sang alors que les taches rougeâtres présentes dans l’œil de l’enfant de l’orage commencèrent à tourner au bleu. L’écaille de Verith se mit à tourner sur elle-même avant de venir se désagréger, se transformant en une tornade de paillette d’or.

« Asolraahn ! Soit honoré par mon présent. Comprends l’étendue de ce qu’il représente. La fidélité à ton peuple sera ton salut, ton honneur. Ta trahison sera ta damnation. À toi, protégé du dragon rouge, moi, Verith de l’ire, fils de l’orage et héritier de la lignée des dragons d’orage, je te fais cadeau de mon enrichissement naturel. »

Tel un torrent vivant, la trame vint entourer l’arme. Des sons se firent alors entendre. Celui de la nature qui s’éveille, de l’arbre qui grandit, de la vie qui s’éveille. Un flash lumineux émana du bâton avant qu’il ne retombe au sol avec violence et fracas, se plantant dans ce dernier, le fissurant. Puis, autour de lui, la nature se mit à lentement à fleurir.

L’œil droit du rouge suivit la chute du bâton, tandis que le gauche se faisait consumer, une fumée bleuâtre s’échappant de sa paupière. La douleur, elle, s’effaçant à mesure que celui-ci disparaissait.

« Lié ! Masse critique atteinte ! Votre œil ! »

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Asolraahn en avait des frissons dans le dos, et il se doutait qu’il n’était pas le seul. Les Garal, bon public, passaient du sourire à la joie franche, de celle qu’on ne peut vaincre pour la journée. Massés face à la silhouette du dragon rouge, ils avaient retrouvé le réflexe de l’espoir et faisaient circuler fiasques et gourdes en pointant leur doigt sur leur gardien. Le Colérique avait bien parlé, de cette voix si caractéristique qui illuminait les sombres jours. On ne pouvait guère y rester indifférent, d’autant plus lorsqu’elle provenait d’un être aussi imposant et majestueux. Mais cette fois, les mots avaient bien plus de valeurs que lui.

Du temps avait passé depuis ces évènements terribles au marais d’Athvamy. Ce soir-là, la bataille avait coûté tout ce qui était cher aux Garal, et le géant opalin y avait perdu des frères et des sœurs. Il y avait également sombré dans un désespoir funeste. Bien qu’il appartienne aux Trand, il avait quitté sa légion à Paadshaïl et avait trouvé dans le soutien de Néthéril et de sa Kamda Aaleeshaan l’espoir d’une nouvelle maison où vivre. Cela aussi, il l’avait perdu dans ce marais boueux. Brisée et dans une situation incertaine, la légion avait failli s’éteindre d’elle-même, ses propres tribus l’abandonnant dans la savane. Aujourd’hui, en aval de la plus terrible bataille de la Savane, et en contemplant les regards de ses pairs, Asolraahn comprit que cette époque était désormais révolue : La légion Vat’Aan’Ruda était enfin réunie et libre. Combien de fois le géant opalin avait-il rêvé de cet instant ? Sans doute une de trop. Mais qu’y pouvait-il ? Il ne s’attendait certes pas, plusieurs mois auparavant, à ce que le dragon rouge vienne lui dispenser force et conseil. Et si on lui avait dit autrefois qu’il participerait à une grande bataille dans le Sud où il serait l’ancre de la victoire pour son peuple, il ne l’aurait certainement pas cru.

Il ne s’attendait pas non plus à ce que le Colérique se montre si prompt à dévier l’attention de la légion en sa défaveur. Comme s’il ne voulait pas que ses efforts n’entraînent une loyauté trop grande des Garal envers lui. Pourtant il ne pouvait croire que son plan fonctionnerait. Il n’y avait qu’à voir l’air de profonde admiration que tous portaient au grand dragon rouge qui se tenait devant eux, de leur regard hiératique alors que ses ailes venaient grandir d’un masque rougeoyant dans le firmament. Il était un héros de légende, et ses actes resteraient dans les mémoires, même lorsque les descendants de la nouvelle génération seraient morts. Peut-être même le Colérique deviendrait-il un mythe pour le commun des Garal, le sauveur ailé qui germait de la terre et que son ombre ne suivait pas, mais précédait. Il y avait là tous les ingrédients d’une belle histoire à conter les jours de cérémonie.

Quelle ironie. Lui qui ne souhaitait pas intervenir dans ce conflit était maintenant un protecteur. Tant mieux. Asolraahn était au fait de ce qui avait lieu au Nord. Verith de l’Ire y était connu sur chaque île qui portait des bipèdes. Son nom seul suffirait à inspirer la crainte et donnerait du poids à leur légion dans les choix du monde, bien que le géant opalin comprenne son désir de ne pas se mêler de leurs futures affaires. Il n’était pas un mercenaire à qui l’on pouvait confier des tâches ingrates ! Cette bataille était, il l’espérait, la dernière qui verrait son aide requise.

Les termes de son accord ne furent pas vraiment discutés. Du moins, les Aaleeshaan, pour ne pas perdre la noblesse de leur rang, s’étaient d’un commun accord données une petite minute de conciliabule pour avoir l’air de maîtriser la situation. Mais rien ne se contrôlait, à part si l’on voulait perdre doublement le contrôle. C’était une inquiétude qui montait au fur et à mesure que s’égrenaient les informations sur les pirates, leur facilité à se déplacer, à lancer des raids par la mer et par le sol, les risques qu’ils faisaient peser sur leur mode de vie… Et tout à coup, cette idée lui vint que les Graärh peut-être se berçaient d’illusions en s’imaginant vivre loin des autres races, reclus comme des ermites des montagnes, faciles à vivre mais solitaires, face à la puissance des autres peuples. Désormais le Dragon rouge les toisait avec solennité et leur apportait son aide pour s’accrocher à ce nouveau monde qui émergeait des cendres. N’était-il pas temps de sortir du déni ? Asolraahn savait que la protection du Colérique était la seule solution à la pérennité à court terme de leur légion et il était évident que les cheffes le savaient aussi.

Un murmure approbateur gronda donc dans l’assemblée, dès lors que les cheffes de tribu acceptèrent les conditions du Colérique sans contrepartie. Ça y est, c’était fait. Il avait accompli l’exploit de protéger la légion et de lui donner une seconde chance de vie.

Quand le dragon rouge lui fit signe d’avancer, il eut un nouveau frisson. Dans ses oreilles habituées à ses grondements déjà fort rocailleux, la texture de son ton avait encore gagné en rugosité, de telle sorte qu’il s’interrogea : Allait-il payer un prix plus grand encore que ce à quoi il s’était attendu ? Y aurait-il d’autres conséquences pour lui à son appel des cieux ? Après tout, peut-être. Ther’Zhi l’avait averti à ce sujet. Qu’importe en vérité, car le géant opalin n’avait pas menti lorsqu’il lui avait répondu férocement qu’aucun tribu ne serait trop lourd à payer pour voir les Garal être préservé. Il s’avança devant le Colérique en silence et ne dit rien. Il n’émit aucune résistance lorsqu’on lui demanda de remettre l’écaille rouge à son propriétaire. Il n’eut qu’une demi-seconde d’hésitation lorsqu’il lui fallut rendre son bâton. C’est alors que la voix du dragon tonna de nouveau :

« Asolraahn ! Soit honoré par mon présent. Comprend l’étendue de ce qu’il représente. La fidélité à ton peuple sera ton salut, ton honneur. Ta trahison sera ta damnation. À toi, protégé du dragon rouge, moi, Verith de l’Ire, fils de l’orage et héritier de la lignée des dragons d’orage, je te fais cadeau de mon enrichissement naturel. »

Ce que fit ensuite le Colérique, la puissance avec laquelle il le fit, ni Asolraahn ni aucun Graärh doté de l’ensemble de ses sens ne le comprit. Il fallait, les anciens le supposèrent, et les fils de ses anciens bien plus tard, une magie qui relevait d’un phénomène hors du domaine des connaissances mortelles, d’une telle indépendance et d’un tel flux de liberté que sans doute jamais plus on n’en reverrait de sitôt. Peut-être même que le dragon rouge ne sut pas alors ce qu’il convenait de faire, que son instinct de gardien s’était tout bonnement « éveillé » au bon moment. En à peine quelques secondes, le bâton et l’écaille s’élevèrent dans le ciel sous le regard sanguinolent du Colérique, l’écaille se distordant en une pluie de larmes dorées qui gravitèrent en une tornade déchaînée autour de l’arme. Le spectacle de cette lumière fut l’apparition d’un bâton qui s’écrasa jusqu’à la hanse dans le sol meuble de la Savane. Autour des Graärh, le champ de bataille se gorgea de couleur. Aussitôt, leur instinct de survie les tarauda, l’envie panique de sauter sur un rocher en prit certains…. Mais ils demeurèrent, tinrent le coup. La noirceur et la puanteur laissèrent place à des champs de fleurs brillant de la rosée de l’aube ; des bosquets à salicornes sombre, normalement incapables de survivre dans un tel lieu, surgirent dans une fine couche d’eau.

Des cris terrorisés accompagnèrent ces nouveaux éléments. Asolraahn en identifia la source lorsqu’il contempla le Colérique. Son œil gauche s’embrasait, menaçant les baobabs de langue de feu bleutée. Il y avait quelque chose de terrifiant dans cet évènement, à la fois profondément horrible mais que l’on ne pouvait empêcher, car c’était ainsi. Le bâton trônait autour, dans un mélange de flammes et de nature renaissante. Maîtrisant son calme, le géant opalin avança à l’intérieur et le prit de ses deux pattes. Dans un soubresaut, il le déracina du sol et le tint devant son regard. Il inspira à fond, admirant l’arme splendide. Elle faisait six mètres de long, sa pointe pesait près d’une livre à elle seule. Le bois draconique, constellé de motifs écailleux, était lui aussi extrêmement lourd. Pour n’importe qui, il s’agissait d’un outil volumineux, une pièce difficilement maniable et surtout imprécise. Mais dans les pattes d’Asolraahn, le bâton chantait dans l’air et semblait aussi léger qu’une plume.  

Le géant opalin se retourna et fit face aux Garal. Se sachant derrière l’une des plus imposantes créatures de son temps, le géant opalin qu’il avait toute leur attention. Il rugit soudain en levant le bâton haut vers le ciel :

-Aujourd’hui est un grand jour, déclara-t-il à l’assemblée. Ce qui était perdu nous est revenu. Ceci est le premier Jour de la Légion libre de Vat’Aan’Ruda. Surakshaatmak Aag a dit que nous nous sommes sauvés en demeurant unis et il a raison. Il est temps de mettre de côté les stupidités du passé. Regardez-vous tous ! Vous êtes les Rampants des Sables, les Griffes du Nord, les Guépards Célestes et les Chasseurs de Smilodons ; chacun se tient près d’un frère ou d’une sœur qu’il ne connaît pas. Pourtant, vous êtes tous Garal ! (Il ramena son bâton contre lui et poursuivit) J’ai vu le monde au-delà de cette île, j’ai vu les cités de bien des peuples, leurs cultures mais aussi leurs armées et j’ai écouté leurs belles paroles. Ce monde-là n’acceptera pas l’autorité d’une simple tribu. Mais il devra faire avec notre Voix à tous. Reconstruisons ensemble ce havre qui est le nôtre. Rendons à notre légion sa gloire d’antan et redonnons vie à notre Savane !

Il pointa le bâton sur un terrain vierge appela la magie du bâton. Il y eut alors un pur mouvement furtif dans la terre. Un vent du souterrain qui gargouillait sa litanie, montant crescendo. Il décéléra et prit consistance dans une forme noueuse d’écorce, jusqu’à perdre sa vitesse pour devenir lenteur et vie. Des racines désarticulées poussèrent dans l’indifférence des yeux grands ouverts des Graärh, se propulsant comme un lit de rivière qui auraient perdu sa gravité. Les racines devinrent branches, les branches devinrent tronc. Un baobab de plusieurs mètres dansa à une vitesse insoutenable avant de s’arrêter franc sur quarante pieds :

-Que cet arbre soit le symbole de notre délivrance. Rentrons maintenant. Chantons de concert ! Et célébrons notre victoire !

Les Garal ronronnèrent de triomphe. Ils rangèrent leurs armes et firent le premier pas vers leur cité, afin de retrouver les leurs et de goûter à la fête qui se préparaient. Ce soir, ils dîneraient dans l’allégresse et les querelles passées céderaient la place au récit de leur succès. Demain en revanche risquait d’être une journée compliquée. Mais il s’agissait d’un autre jour.

Le géant opalin retourna auprès du Dragon rouge et lui jeta un regard empli de doute :

-Ils nous attendent pour un grand festin. Mais je ne suis pas le centre de leur attention. Eh bien,… tu ne t’attendais quand même pas à ce que les miens t’oublient si vite alors que tu les as sauvés de la destruction ? Tu es notre Gardien. Quant aux légendes, mon peuple croit à ce qu'il a envie de croire. La vérité n'y change rien. Il a besoin de héros, et s'il n'en a pas, il s’en invente.

Il toucha de la paume de la patte le bâton, remontant le long du manche jusqu’au nuage de poussière d’or qui virevoltait au sommet :

-Était-ce donc cela le prix à payer pour une telle arme ? Si c’est le cas, il est très lourd. Les dragons sont-ils donc des êtres si étanches à la notion de sacrifice qu’ils offrent un tel cadeau au premier venu ? (son sourire disparut soudainement) Qu’as-tu vu en moi qui mérite une telle attention ?

descriptionUne clameur adressée aux cieux [PV Verith] EmptyRe: Une clameur adressée aux cieux [PV Verith]

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¤ Don et sacrifice ¤

La morsure du feu. Verith, dragon de son état, l’avait pourtant connu une fois, lorsque la déesse de cet élément en personne était venue lui brûler l’une des pattes. Punition pour avoir osé la défier en tentant de venir en aide à un bipède qu’elle venait également de marquer par le feu. Une histoire, passée, que l’enfant de l’orage n’aurait pas pensé connaitre à nouveau. Pourtant ce fut le cas, à quelque détail près. Une fois de plus, il ressentit la morsure du feu, mais cette fois-ci il en ignorait l’origine. La douleur tiraillant son orbite atteint son point le plus culminant. Celle-ci résonna jusque derrière le crâne du rouge qui s’efforçait de garder la face devant les félins, mais aussi en raison des pirates qu’il savait encore en fuite. Aucun signe ne devait trahir sa faiblesse, il en allait pour le bien de ses nouveaux protégés, mais également de son honneur et de son orgueil. La douleur pourtant ne dura guère plus longtemps. La morsure du feu vint comme une délivrance alors qu’il voyait son champ de vision se restreindre. Les ténèbres s’emparèrent de l’un de ses yeux … des ténèbres qu’il connaissait bien. Lui avait été maudit par la déesse de Vie, elle qui lui avait enlevé la vue. Que lui arrivait-il ? Quelle était l’origine de tout ceci ? Le rouge allait devoir une fois de plus partir en quête de réponse. Déjà, il sentait Dwemmer gravir son cou avec l’intention de se diriger vers sa blessure. Verith vint clore sa paupière alors que le don qu’il offrait à Asolraahn venait s’abattre sur le sol. Au même moment, Verith se permit de laisser échapper un soupir de soulagement. La douleur, elle venait de partir. Il planta ses griffes dans le sol afin d’assurer sa prise et ne pas se laisser emporter par l’envie de s’étendre au sol afin de chasser les vertiges qui le prenait. Profitant du discours que commençait entamer le marche-rêve, l’enfant de l’orage tâcha de reprendre ses esprits et de chercher à comprendre ce qu’il lui arrivait.

¤ Lié, l’énergie semble s’être stabilisée au niveau de votre orbite droite. Cependant mes capteurs m’informent aussi que vous souffrez d’une blessure. Je ne perçois plus la présence de votre œil. Quelque chose semble s’être logé à sa place et l’a consumé afin de pouvoir s’étendre. ¤

¤ J’ai cru remarqué cela oui. Ne peux-tu rien m’apprendre de plus ? ¤

¤ Si, quelque chose semble prendre place dans votre orbite droite, je n’ai jamais rencontré une telle signature énergétique, mais d’après les données que vous avez pu me partager par le passé, vous si. ¤

L’enfant de l’orage fronça les sourcils et vint concentrer ses sens psychiques vers le phénomène qui venait, semble-t-il, de lui coûter un œil. Quelque chose était effectivement en train de se former. Mais quoi ? La surprise vint toutefois le saisir quand il reconnut, en partie, l’énergie qui s’en dégagea. Effectivement, il l’avait déjà rencontré, mais pas ici, pas sur ce monde. Cette chose, quoi que ça puisse être, venait du plan Astral. Ses séjours là-bas avaient-ils fini par l’influencer d’une quelconque manière ? C’était la seule explication venait à l’esprit du rouge. Était-ce une maladie de là-bas ? Un parasite de là-bas ? Non, cette chose n’était pas vivante. Elle semblait faite de magie et de métal. Bientôt, la lumière commença à revenir dans son orbite droite. Il se mit à voir des striures, des éclairs. Cette chose lui volait la vue pour ensuite la lui reprendre ?

Dehors, les Garal répondaient avec ferveur au discours d’Asolraahn. La noirceur qui s’était immiscée dans leur cœur avait été balayée en une seule journée. L’espoir, tout comme l’œil de Verith, semblait s’être embrasé. Des jours meilleurs attendaient les félins de Néthéril à partir d’aujourd’hui, mais à la condition de ne pas ménager leurs efforts. Le géant d’opale finit par se retourner de nouveau en direction du dragon libre.

« Ils nous attendent pour un grand festin. Mais je ne suis pas le centre de leur attention. Eh bien,… tu ne t’attendais quand même pas à ce que les miens t’oublient si vite alors que tu les as sauvés de la destruction ? Tu es notre Gardien. Quant aux légendes, mon peuple croit à ce qu'il a envie de croire. La vérité n'y change rien. Il a besoin de héros, et s'il n'en a pas, il s’en invente. »

Un léger grondement désapprobateur s’échappa de colosse de flamme.

« Je ne peux approuver. Mais je ne peux pas non plus vous dicter votre conduite. »

Oh, cela flattait certes l’égo du dragon qu’il était et jamais il n’avouerait qu’il appréciait cela. Mais ce qu’il avait traversé et vu le poussaient à se méfier des croyances. Depuis le début, depuis le temps où il avait posé une griffe sur Ambarhùna, il n’exigeait des peuples bipèdes et des autres peuples, le respect envers sa race et ce qu’il était.

« Était-ce donc cela le prix à payer pour une telle arme ? Si c’est le cas, il est très lourd. Les dragons sont-ils donc des êtres si étanches à la notion de sacrifice qu’ils offrent un tel cadeau au premier venu ? Qu’as-tu vu en moi qui mérite une telle attention ? »

« Non … Marche-Rêve. Ce sacrifice, il n’est pas lié au don que je t’ai fait aujourd’hui … et il n’était pas prévu non plus. Je n’en connais pas encore l’origine exacte, mais, je pense que tout comme nous avons un impact sur notre environnement, l’environnement à un impact sur nous. »

Faiblement, l’enfant de l’orage vint rouvrir sa paupière droite. Une lumière bleutée commença à s’en échapper, venant baigner de sa lueur le félin opalin, avant de se faire plus légère, semblant s’ajuster automatiquement. L’œil du colérique avait disparu, consumé, pour être remplacé par autre chose. Une chose semblait reposer dans son œil, un soleil bleu enfermé dans une cage d’arabesque aux reflets dorés.

« Dans mon cas, j’ai énormément voyagé, la terre qui m’a vu naitre, la terre a vu naitre mes ancêtres, votre terre, mais mes ailes ne m’ont pas uniquement conduit sur ce plan d’existence. Mes yeux ont vu le monde des êtres qui ont créé les dragons et les bipèdes, ainsi que le monde où les âmes se rendent après le trépas. »

La vue de son œil droit commença à lui revenir. Il se mit à distinguer des filins de magie venant s’unir les unes aux autres afin de prendre une forme. Rapidement, d’autres vinrent se joindre, venant dans un assemblage complexe représenter Asolraahn se tenant devant lui avant de gagner en nettement pour finalement lui offrir une vision digne de celle qu’il avait avant.

« Tu es la deuxième personne que je gratifie d’un don, Asolraahn. J’ai offert mon souffle à une personne qui a fait le choix de me croire et de se joindre à moi dans un combat aux proportions que tu ne peux imaginer. À cause de cela, cette personne en a énormément souffert. Il a plongé, avec moi, dans de profonds tourments. Mais il s’en est relevé. Je l’ai donc récompensé, pour sa dévotion à mon égard, mais pas uniquement. Je lui ai fait don de mon souffle afin qu’il ait les outils nécessaires pour mener à bien une quête que je lui ai confiée. Ce n’était donc pas un premier venu. »

Le rouge marqua une courte pause avant de poursuivre.

« Une autre personne mériterait aussi un don de ma part, car elle m’a accompagné plus loin que quiconque ne l’a jamais fait. Cette personne et moi avons réalisé une chose incroyable. Cependant elle n’a pas besoin de ma force pour accomplir ce qu’elle doit accomplir. Elle non plus n’est pas un premier venu, pour autant je ne lui ai rien offert. Le mérite rentre certes en ligne de compte, mais la nécessité également. »

L’enfant de l’orage vint pointer d’une griffe le guerrier d’opale.

« Toi, Asolraahn, tu ne dois l’attention que je t’ai portée uniquement à toi-même. A tes paroles. A tes actions. Je n’ai rien eu besoin de voir en toi. Tu me l’as montré. Un être soucieux de sa famille et de sa race. Faisant face aux dangers des bipèdes. »

Tout comme lui.

« Tel un dragonnet, tu n’avais besoin que d’une petite brise pour t’aider à t’envoler. Et cette brise fut mes paroles, mes défis. Tu les as écoutées, tu les as surmontés. Et aujourd’hui, la victoire, la survie des graärh de Néthéril, sont de ton seul fait. Tu n’es pas non plus le premier venu. Tu as mérité ce don, mais en tu as également besoin pour accomplir ce que tu dois accomplir. »

Le colérique redressa la tête, venant la dodeliner légèrement pour chasser définitivement les derniers vertiges de son esprit.

« Cependant, le don d’un dragon n’est pas une chose acquise. Il faut s’en montrer digne tous les jours. Car une bénédiction et une malédiction ne sont que les facettes d’une même pièce. »

Bien que calmes, les paroles du rouge sonnaient tel un avertissement à l’adresse d’Asolraahn. S’il devait se montrer indigne de son don, il viendrait le reprendre … ou pire.

« Je participerais à vos festivités de cette nuit. Mieux vaut que je reste dans les parages pendant quelque temps encore. »

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La griffure feutrée des mots d’admonition. Voilà ce qu’Asolraahn appréciait jusque dans le hérissement prononcé de son pelage. Le dragon rouge venait là d’exprimer la totalité de sa sentence : une juste récompense pour le courage et la déférence dont le géant opalin avait fait preuve, ainsi qu’un avertissement ; jamais plus Asolraahn ne devrait flancher ni se montrer déloyal envers la bénédiction du dragon. Rares avaient été les créatures à porter un tel fardeau sur leurs épaules. Il y avait de quoi être à la fois fier et terrifié. Rien ne saurait étancher la colère d’un être aussi puissant si Asolraahn venait à commettre l’irréparable. Le félin en avait conscience. Il était même parfaitement alerte de ce point. Comment en vouloir au Colérique, alors que ses contacts avec la grande majorité des bipèdes semblaient s’être soldés par de terribles drames ? Les idiots pullulaient par le monde et bien peu pouvaient faire le mal. Mais donner une épée à cet idiot, et le mal surgissait comme un geyser. Pouvoir et bêtise ne faisaient pas bon ménage.

Aujourd’hui, il avait ce pouvoir et s’en était servi pour sauver le peuple de Vat’Aan’Ruda. A cette pensée, le géant opalin leva ses yeux glacés en direction du campement Graärh. Il se corrigea aussitôt : pas le peuple. Son peuple. À l’intérieur, son petit Shuu’ran attendait devant la grande porte de la cité. Il était debout, le regard fixe, les coussinets immobiles, sa petite patte serrant résolument son baluchon. Il observait les troupes rentrer au camp en victorieux, et bien que son cœur se réchauffe à l’idée du triomphe de la légion, son regard continuait de filer entre les shikaree, cherchant la fourrure de celui qui l’avait élevé depuis si longtemps. Il avait peur pour sa vie, peur d’être seul au monde, peur d’avoir perdu son dernier parent à la bataille.

Il en était ainsi parce que leurs vies depuis qu’ils s’étaient rencontrés n’avaient été que fuite et faux-semblants. Bien qu’il voyageait avec bonheur à ses côtés, la vie de Shuu’ran n’avait été jusque-là qu’une suite d’errances sans fin. Elle n’avait pas été sans but. Les deux félins étaient partis à la recherche de sa mère Taar’Melaah. Ils étaient allés par mers et montagnes pour trouver un indice sur sa présence. A un moment, grâce au renseignement d’Ilhan Avente, Asolraahn avait cru avoir atteint l’aboutissement de sa quête. Il s’était donné corps et âme à cette tâche, avant sacrifié son rang, son sang et son esprit. Cela lui avait coûté beaucoup, mais rien n’avait été capable de l’arrêter. Il aurait utilisé n’importe quel moyen pour l’atteindre, dusse-t-il être ensuite châtié par les Esprits.

A cette époque, il aurait usé sans hésitation du pouvoir offert par le dragon pour la retrouver…

-Ta présence réchauffera leur cœur, Roi du ciel. Elle sera toujours d’un grand secours. Je crois qu’en dépit de toute la douleur apportée à cette île, on ne retiendra qu’une chose dans les siècles à venir : On se bat cents fois et un jour, un dragon réduit une armée en cendres. Les miracles comme aujourd’hui sont rares.

Il ne sut pas comment ça se passa. Mais il comprit qu’il avait changé. Le destin de cette légion était au moins pour un temps entre ses pattes et la chaîne qui l’enserrait à ce devoir ne pouvait s’allier à celle qui le tirait vers Taar’Melaah.

Il l’accepta plus vite qu’il n’aurait voulut l’admettre. En vérité, il s’était remémoré une histoire que son père lui avait contée autrefois : celle d’un graahron qui rêvait d’une vie pleine de chasses, d’aventures et de duels. Il était allé voir une vieille Graärh qui fut guerrière autrefois et lui avait demandé : « je cherche une île où me battre et prouver l’étendue de mon courage. »  « Une île pareille existe », avait dit la Graärh.   « C’est celle que tu foules de tes pattes en ce moment même. » « Ca ? » lui avait dit le graahron. « Ca ce n’est que ma terre. Il n’y a ici que ma légion et des proies sans importance ! Moi ce que je veux, c’est devenir un grand guerrier. » La sage guerrière lui avait alors répondu : « Il est facile de tuer et de s’aventurer à travers les dangers. C’est l’apanage de n’importe quelle créature. Si tu veux être un grand et courageux guerrier, il te faudra toutefois apprendre la valeur de la légion. Les plus braves d’entre nous ne sont pas ceux qui chassent pour la gloire, mais pour nourrir leur famille. Ils restent près de leur terre et y promènent leur regard protecteur. Ils ne se battent pas par ferveur d’aventure, mais parce qu’ils doivent défendre leur foyer. Ils sont ceux pour qui la légion est plus importante que leur sang. Garde-toi d’errer par envie de gloire, car elle ne te conduira qu’à goûter l’amertume de la solitude et de la mort. »

C’est alors qu’Asolraahn prit une décision. Lorsqu’il rentrerait au camp, il serrerait son petit-fils dans ses bras et lui dirait qu’aujourd’hui leur voyage touchait à sa fin et que leur maison était ici. Car cette époque, celle où il partait dans une direction à l’aveuglette, de manière imprudente pour la sécurité de Shuu’ran, était révolue. Le Colérique lui avait dit que la survie des Garal était de son fait. Il devait maintenant poursuivre son œuvre et en faire un peuple fort et puissant. Car survivre était loin d’être suffisant. Il était facile de vivoter de quelques terres capturées sur un champ de bataille ; il était bien plus dur d’être la légion prospère que Vat’Aan’Ruda était naguère.

Il se tourna vers l’enfant de l’orage, s’agita légèrement en examinant avec curiosité le nouvel œil du dragon. Avec cet air mystique et son allure souveraine, il avait l’air d’un véritable esprit de la guerre.

-Rien ne sera plus comme avant ici, miaula-t-il avec la gravité d’un violon. C’est une terre brûlée qu’on nous laisse, avec de la cendre pour seule pluie. Une autre querelle avec les sans-poils serait dévastatrice pour nous et je ne parle pas d’une guerre. (Il baissa la tête et ferma les yeux)  Mais je pense qu’à présent, mon peuple n’a que le désir de se barricader dans un wigwam pour se cacher du monde et ne plus jamais en sortir. Ce n’est pas ce que je veux pour lui, Roi du ciel. Je ne veux pas qu’il dépende éternellement de mon aide ou de la tienne pour se protéger. Vat’Aan’Ruda ne doit pas s’isoler. Ses défenses sont fortes, mais il lui faudra apprendre à se débrouiller par ses propres moyens.

Le géant opalin prit Tarama Tish, le bâton à l’écorce carmin, et le pointa en direction de la mer, là où se trouvaient les autres îles :

-Si je ne fais rien, la légion s’abandonnera à la grâce du destin. Les Garal ne portent pas les autres peuples dans leur cœur à présent. Leur haine envers les humains demeurera vivace. Ils ont raison de se méfier. Tout comme tu avais raison de nous mettre en garde. Et moi, j’étais le seul, par les esprits, le seul naïf à ne pas comprendre. Mais je suis néanmoins persuadé que les encourager à rester loin des autres peuples les affaiblira. Ils retourneront à leur ancienne léthargie et les pirates ou un autre peuple reviendront nous disputer nos terres. L’isolement... est souvent synonyme de lâcheté.  

Asolraahn baissa son bâton et s’inclina devant le Colérique :

-Tu m’as confié un grand pouvoir. J’entends en prendre la responsabilité. En dépit de tous leurs manuscrits, les sans-poils oublient vite la valeur d’une parole. Je ne ferai pas de même. J’utiliserai ce pouvoir pour faire en sorte que Vat’Aan’Ruda soit en paix avec l’extérieur, pour que jamais d’autres guerres ne battent le fer à nos portes. Je ferai aussi en sorte de la protéger d’elle-même…

Dans le lointain, on entendait les miaulements de joie des Graärh qui accueillaient leurs guerriers revenus du combat. Et les pleurs aussi. C’était néanmoins bien loin du silence terrible qui avait accompagné le retour de la légion des marais d’Athvamy. Des cendres de la mélancolie et du doute couvait maintenant un feu frénétique. Les Garal s’étaient réveillaient et venaient d’apprendre que malgré tous les maux essuyés, ils étaient forts et avaient encore le courage de défier l’archipel. Asolraahn devait prendre garde à ce que leur flamme ne s’étende pas en un brasier incontrôlable. Il ne pouvait être Kamda Aaleeshaan, mais il tâcherait au mieux d’être leur gardien tant que sa parole aurait du poids à Vat’Aan’Ruda. Il l’utiliserait pour conseiller et dispenserait les conseils de Verith krodh ka s’il en recevait.

Ce fut de cette façon qu’il prit enfin conscience de l’ampleur de son devoir. Et encore, demain n’avait pas pointé le bout de son museau.

-Le temps a fait son œuvre. Il m’a déjà bien changé. Puisse-t-il ne pas trop me changer.

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¤ Retour du champ de bataille ¤

« Je participerais à vos festivités de cette nuit. Mieux vaut que je reste dans les parages pendant quelque temps encore. »

Oui, mieux valait que l’enfant de l’orage reste sur cette ile pendant un temps. Il devait s’assurer que le message adressé aux pirates soit pris au sérieux, même s’il doutait que cela ne soit pas le cas. Mais au vu de la stupidité déconcertante dont sont capables les bipèdes, le rouge ne préférait pas prendre de risque. En restant ici, les observateurs verraient que le colérique tenait sa parole. L’ile était désormais sous sa protection et quiconque la foulerait avec l’intention de faire couler le sang, particulièrement graärh, le paierait. Ce n’était toutefois pas la seule raison pour laquelle le rouge avait l’intention de rester ici. La perte de son œil l’interrogeait et l’inquiétait. Il allait aussi avoir besoin de repos suite à l’intense douleur ressentie en ce jour. Une douleur lui rappelant de mauvais souvenirs alors qu’il était encore sous le joug de la malédiction de Vie. Une autre raison le poussait à rester ici. Son tour de garde des jumeaux approchait. Ce lieu allait être paisible pendant quelque temps et aucun bipède ne risquait de venir ici, mieux valait-il donc les garder sur Néthéril.

« Ta présence réchauffera leur cœur, Roi du ciel. Elle sera toujours d’un grand secours. Je crois qu’en dépit de toute la douleur apportée à cette île, on ne retiendra qu’une chose dans les siècles à venir : on se bat cent fois et un jour, un dragon réduit une armée en cendres. Les miracles comme aujourd’hui sont rares. »

Un miracle, pourquoi pas, mais qui pouvait avoir son lot de frustration pour certain guerrier. Cependant, si contrairement aux bipèdes il permettait d’apprendre au peuple graärh à respecter la puissance des dragons, et surtout faire en sorte de ne pas se la mettre à dos, alors la douleur éprouvée par ceux-ci ces derniers temps serait encore moins vaine.

« Souvenons-nous de ceux qui tombent sous les épreuves, mais n’oublions pas non plus ce que celles-ci nous apprennent. Cela nous permet de devenir plus forts. »

Lentement, Verith commençait à se faire à cette nouvelle présence dans son orbite. Cette chose nouvelle lui servant d’œil, la nouvelle vision qu’il lui apportait. Cela lui permettait, lui semble-t-il, de voir les choses sous un angle quelque peu différent. Le temps lui en apprendrait surement plus.

« Vat’Aan’Ruda va devoir se rebâtir, pas pour se protéger du monde, mais pour pouvoir y faire face. L’horizon comporte son lot d’épreuve et de douleur, mais il comporte aussi son lot de découverte. Certaines souffrances valent la peine d’être endurées. Sans celles-ci, je ne serais pas là aujourd’hui. »

Si Verith regrettait la mort de son frère, de sa sœur et sa mère, il ne regrettait pas pour autant d’être parti du continent sauvage. Certes, sans cela sa sœur et sa mère seraient encore en vie et il n’aurait jamais découvert la mort de son frère. Il n’aurait aussi sans doute jamais subi toutes les épreuves et souffrances et qu’il avait enduré. Mais il n’aurait aussi rien découvert, il ne serait pas devenu plus fort et il serait resté ignorant de beaucoup de secrets de ce monde.

« Tout le monde comprend à son rythme et accepte la vérité à son rythme. Mais si tu as compris le danger que peuvent représenter les bipèdes, si tu as accepté de voir leur vrai visage, alors sache que tu es déjà bien moins aveugle et buté que tous les dragons liés. Pour autant, prescrire tout contact avec les bipèdes n’est pas nécessairement la solution en soi … en tout cas pas une solution que j’accepte encore, car elle me contraindrait à les éliminer jusqu’au dernier. Il ne faut simplement pas leur faire confiance, il ne faut pas oublier ce qu’ils sont, ce qu’ils ont fait et ce qu’ils peuvent faire. Au contact de ces derniers il faut être tel un chasseur en pleine chasse : aux aguets, à l’affut du danger, vigilant. »

L’isolement ? Un synonyme de lâcheté ? Verith ne pouvait totalement donner tort à Asolraahn. Après tout le rouge critiquait la décision de ses ancêtres d’avoir préféré abandonner Ambarhùna pour s’installer sur un autre continent. Avoir voulu s’isoler d’eux plutôt que de les affronter pour leur rappeler leur place et ainsi conserver leur droit sur leur terre natale.

« Puisse la sagesse guider tes actions, Marche-Rêve. Mais n’oublie pas que la paix ne doit pas être acceptée à n’importe quel prix. Par moments, la fermeté et le combat peuvent s’avérer nécessaires sinon obligatoire face à certains, car il s’agira du seul moyen de leur faire attendre raison. »

Oui, c’est facile de dire ça quand on est un dragon bicentenaire capable de réduire en cendres une armée ou de défaire l’esprit-dragon. Mais cela n’en reste pas moins la vérité. Les nobles idéaux peuvent conduire ceux qui les suivent trop aveuglément à leur propre perte.

« Le temps a fait son œuvre. Il m’a déjà bien changé. Puisse-t-il ne pas trop me changer. »

Un léger ricanement s’échappa du dragon rouge.

« Tu m’as rencontré, écouté mes conseils et choisis de suivre une voie qui croise à la mienne. Bien des épreuves t’attendront encore Marche-Rêve. Qui sait ce qu’elles auront comme effet sur toi. Peut-être changeras-tu. Ou peut-être ton jugement se renforcera-t-il. »

D’un léger signe de la patte, le dragon fit signe au félin de marcher avec lui pour rejoindre la légion. De là où il était, de sa part sa vision draconique, il pouvait voir un jeune graärh qu’il reconnaissait regarder un à un, l’air inquiet, les guerriers revenir de la bataille. Nul doute que le petit-fils d’Asolraahn attendait son retour. Sur leur chemin se tenait le Tyran Blanc. Vraorg s’était mêlé au combat ou plutôt à sa fin. L’image du legs victorieux se dressait au-dessus du corps d’un pirate étendu au sol. Ce dernier respirait encore, même si faiblement.

« Regardez ces deux fiers guerriers. »

Le Tyran Blanc, arborant l’apparence d’un bipède albinos pour Verith, et d’un graärh au pelage sombre et aux nobles habits blancs pour Asolraahn, vint planter son épée dans la poitrine du forban au sol.

« Je devrais théoriquement vous remercier pour le divertissement que vous m’avez offert, mais puisque c’est grâce à moi qu’il a pu avoir lieu je pense qu’il est plus exact de me féliciter. »

L’épée de Vraorg commença à luire d’une lueur aussi macabre qu’inquiétante de la pointe de la lame vers sa garde alors que le pirate rendait son dernier souffle dans un râle d’agonie. L’arme semblait absorber quelque chose. Le cœur du forban s’en allait rejoindre la collection de ce legs machiavélique.

« Les voir fuir la queue entre les jambes m’a rendu un brin nostalgique. »

Le Tyran vint retirer son épée du macchabée avant de la faire disparaitre.

« Je peux affirmer que tu n’as pas de raison de regretter le marché que tu as passé avec moi, Verith. »

L’enfant de l’orage cracha quelques flammèches par ses narines.

« Certes, mais à quel prix. Me retrouver à devoir collaborer avec toi ? J’aurais préféré me faire à nouveau maudire par Vie. »

« C’est ça, drapes-toi dans ta fierté, cela n’effacera pas le fait que par ce marchandage tu as pu obtenir ce que tu souhaitais. Aussi puissant sois-tu, Verith, il y a des choses que tu ne peux accomplir, mais que moi je peux. Dis-moi, combien de temps lui reste-t-il encore ? En mémoire de son ancien amour et vénération envers ma personne, je suis prêt à lui apporter mon aide. »

« Kälyna ne reviendra pas dans ton sillage, plus jamais. Je l’ai extirpé de son trouble. L’inséparable tronqué qui l’affectait n’est plus. N’espère rien d’elle. »

« Certes, certes. Mais ce n’est pas d’elle que j’attends quelque chose. Souviens-toi simplement que je suis disposé à lui venir en aide, si tu y mets le prix. Tu connaissais ma devise, Verith. La balle est dans ton camp. »

Un sourire narquois aux lèvres, Ther’Zhi lança un dernier regard au dragon rouge, puis à Asolraahn avant de disparaitre, s’effaçant sous leurs yeux.

« Je jure devant tout ce qui existe que je finirais par trouver un moyen de lui arracher les lèvres pour faire disparaitre à tout jamais son rictus suffisant. »

Verith ne s’en était pas rendu compte, mais il avait pensé tellement fort ces paroles que celles-ci avaient quitté son esprit pour venir se répandre dans la trame et être perceptibles par tous.

« Ne laissons pas le gêneur perturber nos protocoles de réjouissance par de sinistres calculs qui pourraient venir corrompre notre matrice. »

Dwëmmer, qui était descendu du colosse de grenat dès qu’elle avait perçu la présence de Ther’Zhi avec l’intention de l’attaquer, se tenait à présent posté entre le félin et le dragon et faisait claquer ses pinces pour comme chasser les mauvais esprits.

« Mes capteurs m’indiquent que le mammifère numéro deux attend à la sortie de la colonie. Nous devrions nous dépêcher. »

« Mammifère numéro deux ? »

Le colérique haussa un sourcil.

« Oui, depuis notre première rencontre avec mammifère numéro un » Dwëmmer vint pointer Asolraahn à l’aide de l’une de ses pinces « et à la suite de la directive de lié de ne plus les nommer sujet, j’ai réorganisé ma base de données et donné une appellation mammifère plus numéro à tous les êtres vivants non végétal que j’ai rencontrés jusqu’ici. »

Lentement, Verith vint lever une patte, venant la passer sur son front avant de commencer à se masser la zone au milieu de ses cornes.

« Tu ne peux pas non plus les appeler comme ça Dwëmmer. »

L’araignée mécanique sembla hésiter un instant.

« Réorganisation de la base de données, quelle nouvelle appellation souhaitez-vous donner en remplacement de mammifère. »

« Asolraahn. »

« Modifications effectuées. Reprise. » Dwëmmer vint pointer la direction de la légion à l’aide de l’une de ses pinces. « Mes capteurs m’indiquent qu’Asolraahn numéro deux attend à la sortie de la colonie. Nous devrions nous dépêcher. »

Un soupire de dépit s’échappa du colérique.

« Que mes ancêtres me viennent en aide. Marche-Rêve, poursuivons avant de je ne perds patience. »

Puis, sans attendre, Verith reprit sa marche en direction de la légion. Dwëmmer, elle, se retourna en direction d’Asolraahn et leva les pinces vers le ciel tel un haussement d’épaules avant de commencer à son tour à se mettre en marche pour rattraper le fils de l’orage.

« Ma compagne me rejoindra bientôt, Marche-Rêve. Elle va venir me confier mes deux petits derniers. C’est à mon tour de les surveiller afin qu’elle parcoure l’archipel. J’ai l’intention de les laisser s’approcher de la légion. J’apprécierais que tu en informes les Aaleeshaans à l’occasion des festivités afin qu’elles puissent prendre certaines dispositions s’ils venaient à parcourir votre camp. Nephilith est sage, mais Ssaadjith peut se montrer turbulent, même si son frère sait s’assurer qu’il ne fasse pas de grosse bêtise en sa présence. »

descriptionUne clameur adressée aux cieux [PV Verith] EmptyRe: Une clameur adressée aux cieux [PV Verith]

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Le soleil était haut dans le ciel nacré des nuages d’après-guerre, alors que l’immense silhouette vermeil et le géant opalin faisait route vers Vat’Aan’Ruda. Leur conversation avait laissé Asolraahn dans une grande méditation. Il n’avait jamais sous-estimé le ressentiment du Colérique envers les peuples arrivants de Tiamaranta. A tord ou à raison, le géant opalin avait longtemps fait sienne de telles vues sur les vampires, les elfes et les humains. Mais dans les dernières paroles qu’il put glaner du Colérique, il était difficile de ne pas éprouver la rafale poussive d’animosité qui traînait derrière ; cette sombre rancune faite de souvenirs encore brûlants du passé. Mais il ressentit quelque chose de pire : Le géant opalin n’en était pas sûr.

Et pourtant, il crut déceler de la peur dans le cœur du dragon rouge ; la peur que dans leur folie les peuples de Tiamaranta ne plonge leur propre terre dans le chaos, jusqu’à emporter Graärh et Dragons dans leur sillage. Se pouvait-il que cette idée soit vraie ? Il était de nature populaire que les dragons se faisaient de plus en plus rares sur l’Archipel. Eux qui étaient venus à peine quelques années auparavant avec les sans-poils ne se comptaient maintenant que sur les griffes de la patte. Etait-ce possible que l’hostilité et la répugnance du Rouge proviennent de cette condamnation lente mais certaine de sa race sur l’Archipel, ainsi que sur l’ancienne terre qui avait été la leur. Et puis le géant opalin comprit. Il leva sa longue crinière opaline dans la direction de la tête couronnée de cornes du dragon rouge. C’était d’une telle évidence qu’il se sentit sur l’instant aussi bête qu’un chuchu s’acharnant sur le tronc d’un acacia. Car tout puissant qu’il était, le Colérique n’était pas étanche au plus ultime de tous les instincts. Il n’avait pas peur de mourir ou que son espèce disparaisse. Non. Il avait peur pour sa famille, pour ses petits, ainsi que pour l’avenir qu’il laisserait derrière lui.

Ce n’était pas étonnant qu’il attende beaucoup d’Asolraahn Marche-rêve. La légion de Néthéril était peut-être son seul espoir de faire coexister sa famille avec des bipèdes qui ne seraient ni corrompus par le lien, ni par les vices entourant les empires et royaumes des autres îles. Le géant opalin ne pouvait certes pas croire que c’était là un besoin. Mais… un espoir, ça, c’était une chose rare ; chaud et solide au toucher, l’instant d’après une fumerolle impalpable dans le désert.

Asolraahn allait se confier au dragon quand un évènement qu’il n’aurait désiré pour rien au monde se produisit. Comme une vision chatoyante, s’élevant de fragments avant de devenir un grand tout, Ther’Zhi se manifesta sous leurs yeux. Depuis les prémisses de la bataille, la créature n’avait pas changé d’un iota. Mais Asolraahn ne s’y trompait. Il devinait toute la puissance qui tenait dans ce Graärh au pelage sombre et aux nobles habits immaculés :

« Regardez ces deux fiers guerriers. Je devrais théoriquement vous remercier pour le divertissement que vous m’avez offert, mais puisque c’est grâce à moi qu’il a pu avoir lieu je pense qu’il est plus exact de me féliciter. »

Le géant opalin le considéra tandis que la lame terrible de Ther’Zhi s’enfonçait dans la chair d’un pirate à l’agonie. En dépit de son aversion pour ceux qui voulaient il y a encore quelques heures faire de leurs wigwams un grand brasier, le félin eut de la peine pour lui. Il sentit que le sommeil de cette humain n’aurait pas de repos, et que même dans la mort, son assassin serait encore capable de lui faire endurer mille tourments. Il voulut s’avancer avec son nouveau bâton, Sceptre du Colérique, à la patte, mais quelque chose dans la voix du dragon l’invita à rester immobile. La conversation qu’ils eurent tous les deux ne le concernaient pas, et s’immiscer entre eux aurait sans doute crée plus de mal que de bien. Lorsque la silhouette du Graärh s’effrita sous leurs yeux, le Colérique fit tonner le gong de sa colère qui ne parut s’adresser à rien ni personne. Indéniablement, ces deux-là ne s’entendaient guère et ne pourraient jamais s’entendre. Asolraahn ne put s’abstenir d’un commentaire :

-Il est l’incarnation du mal à l’état pur. J’avais des doutes la dernière fois et tu m’as mis en garde. Maintenant, j’en suis sûr. Je prierai les Esprits pour que tu trouves une solution pour te débarrasser de lui. (Il secoua la tête) Être hanté par un individu aussi exaspérant, cela donnerait envie de se crever les oreilles pour ne plus l’entendre. Mais cette attitude de marchand de tapis est au-delà du supportable. Je le préférais encore lorsqu’il ne souhaitait que notre mort.

Son étrange compagnon de métal parut du même avis. Il gambada au côté du dragon rouge comme s’il s’agissait de l’un de ses rejetons puis le pointa de sa pince et l’affubla d’un curieux nom que le Graärh ne comprit guère. Base de données ? Mammifère ? Capteur ? Cela n’avait pas le moindre sens pour lui. Le géant opalin tendit son bâton et donna une petite tape du bout de l’arme pour être certain que l’araignée avait encore toute sa tête. Ou toute matière qu’elle pouvait accueillir à l’intérieur de son armature. Cela n’eut pour effet que de rendre la bestiole plus excitée. Interloqué, Asolraahn se tourna vers le colosse vermeil qui dut s’y reprendre à plusieurs fois avant de lui faire comprendre que le mammifère, c’était un Graärh et que le Graärh, c’était Asolraahn.

En apercevant les traits désemparés du dragon, le géant opalin éclata d’un rire franc, le premier qu’il se permit auprès du grand dragon rouge. Il donna une claque dans ce qu’il jugea être l’épaule de la créature de métal, tout du moins la plus solide et la plus à même de supporter sa force, et lui assura avec joie :

-Ne t’en fais pas, Svargaadhipati mitr. Tu es un ami du roi des cieux et à présent l’ami de la légion. Je te présenterai à mon petit et tu apprendras à connaître Shuu’ran Rashi à ta convenance. Ce soir, tu auras tout le temps d’enregistrer dans ta base-née tous les Graärh dont tu souhaiteras apprendre le nom.

Le dragon rouge, l’araignée mécanique et le géant opalin laissèrent de profonds sillons de sable dans le désert en se dirigeant vers le campement en émoi. A ce moment-là, le Colérique tourna son long cou vers lui et lui confia son désir d’amener sa famille sur Néthéril.

Le géant opalin le contempla avec un air solennel. Il avait toujours ses suppositions qui lui chatouillaient le poil, celles sur la famille du dragon et ses espoirs. Il désirait lui assurer avec tout son honneur, non mieux lui faire le serment, que sa confiance était entre de bonnes pattes, que la sagesse guiderait ses actions et que jamais il ne lèverait son peuple contre lui et sa famille. Mais il se tut à temps. A la place, il porta une patte à sa poitrine et s’inclina. Car il n’y avait pas besoin de le dire. Les mots n’étaient pas nécessaires. Les actes seuls suffiraient à le prouver :

-Ta famille sera toujours la bienvenue sur notre île, Roi des cieux. Au nom de la légion, j’en fais le serment. Ce sera un honneur de recevoir tes dragonnets pour qu’ils goûtent et respirent l’air de notre peuple. (Il eut un drôle de sourire à sa dernière remarque) N’aie crainte pour Ssaadjith. Je ne pense pas qu’il puisse causer tant de soucis que ça… si ? Je ne sais guère comment cela fonctionne chez les dragons, mais chez nous, bien des graahron ont montré par le passé une prompte vocation à la bêtise. Un bon coup de langue les a toujours remis droit sur leurs pattes. Et puis qui sait ? Peut-être se plaira-t-il sur notre île ?

Un bruissement sur le sable retentit ; c’était celui d’un graahron incapable de paroles mais dont le pas rugissant filait de retrouver son père. Asolraahn poussa un long ronronnement et posa un genou en terre pour le saisir entre ses bras. C’était incroyable la force de cette étreinte ; Cette hallebarde fichée à bout portant qui n’avait pour pointe qu’une flambante émotion d’amour ; Cet appel qui disait au géant opalin qu’il existait comme il n’avait jamais existé pour personne ; qu’importe les légions et les compagnons d’armes. Cela le happa dans le présent pur, l’avala. Asolraahn était ici, ici même. Comment pouvait-il répondre autrement que par des ronronnements ? Il était là, son petit était là et ce cri était leur Lien ; une force sans visage, sans patte ni langue, seulement des griffes pour les attirer l’un contre l’autre. C’était plus fort que les Esprits même. Asolraahn le serra contre lui et lui lécha la tête, humidifiant son poil et ses yeux brillants.

-Je suis là. Nous sommes ici chez nous, fiston.

Dans le lointain, le timbre tribal des tambours se parait du rayonnement cristallin des flammes. Leur aura diffuse se peignait dans la brume. Les festivités pulsaient leurs premiers grondements. La bataille était terminée. Quant à la légion, il n’appartenait qu’à elle d’être sauvée.

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