Comme chien et chat [PV Nessraya]

6 mars 1764 —Nevrast, Nyn-Tiamat

Il faisait encore nuit lorsque Liv se dirigea vers les écuries pour sortir Ombrenuit pour ce qui était désormais devenu leur promenade quotidienne. Il avait plutôt pris l’habitude de la sortir en journée, mais il semblait que celle d’aujourd’hui devait s’annoncer chargée, aussi avait-il préféré anticiper plutôt que de risquer de manquer leur petit rituel. Au reste, la jument ne semblait guère plus dérangée que lui par la pénombre, du moins autant qu’il pouvait en juger : elle n’hésitait pas plus que d’habitude, la foulée aussi sûre qu’à l’accoutumée.

Il essayait de savourer ce moment de liberté et la compagnie de sa monture, mais beaucoup de choses tournaient et retournaient dans son esprit. Le soulagement d’avoir vu, la veille, ses Pères revenir tous les deux de leur excursion dans la forêt était un contrecoup plutôt agréable à l’inquiétude qui l’avait étreint durant plusieurs jours, mais il demeurait quelque peu vexé de ne pas avoir été autorisé à y participer. Alors que Sorel avait pour sa part pu librement partir rencontrer des fenrisúlfr. Ce qui au demeurant ne s’était apparemment pas déroulé au mieux pour lui, même si l’incident s’était heureusement malgré tout bien fini.

Il n’en voulait pas à son frère pour ce “traitement de faveur”, bien sûr — en était-il seulement capable, de toute manière ? — ni même vraiment à ses Pères, en réalité. Il comprenait, au fond, qu’il était jeune et avait encore beaucoup à apprendre, et qu’ils cherchaient simplement à le protéger. Il se remémorait les précieuses paroles de la dragonne Shyven, qui l’avait aidé à le comprendre. Mais cette sensation d’être inutile, de ne pas pouvoir aider, restait infiniment frustrante pour lui, quand bien même il n’avait personne à blâmer.

Ils avaient atteint l’orée de la forêt, et Liv arrêta Ombrenuit pour prendre le temps de considérer les ombres qui s’étendaient devant lui. Sans doute serait-il autorisé à y pénétrer, désormais que les licornes n’étaient plus un danger. Certes, il y en avait sans doute bien d’autres, mais aucunement comparables. Et il était plus que capable de se défendre, au moins contre ceux-là ses Pères pourraient-ils le reconnaître. Sûrement. Toutefois, il n’avait pas encore pris le temps de soulever la question, si bien que son hypothétique exploration forestière devrait attendre. De toute façon, il n’avait pas le temps aujourd’hui ; le jour allait bientôt se lever, il lui fallait envisager de rentrer.

Car il serait attendu à la maison pour rencontrer sa… gardienne ? Protectrice ? Nounou ? Il ne savait pas trop, les termes n’avaient pas été clairement défini. CendreLune lui avait simplement annoncé qu’elle “veillerait sur lui” désormais. Il ne voyait guère quel besoin il y avait à cela ; il avait beau être jeune, il n’était pas un enfant, et il était parfaitement capable de s’occuper de lui-même. Enfin. Ainsi en avait décidé son père, et il ne lui appartenait pas d’en discuter… Et pour tout dire, il était au fond assez intrigué par cette Nessraya.

Il l’avait vue très brièvement, de loin la veille, lors de son arrivée qui avait été fort remarquée, comme on peut l’imaginer. Il n’avait encore jamais eu l’occasion de rencontre de Graärh, et, toute contrariété personnelle mise à part, ce serait certainement une expérience intéressante. Il connaissait l’intérêt et l’affection qu’Achroma leur portait, et était intrigué de se faire son propre avis sur le sujet. Quand bien même il aurait préféré pouvoir le faire dans des circonstances qui ne lui donnent pas l’impression d’être traité comme un gamin incompétent et sans défense. Mais après tout, ce n’était pas sa faute à elle, aussi ferait-il de son mieux pour éviter qu’elle ne subisse sa mauvaise humeur dont elle n’était pas responsable.

Le soleil se leva alors qu’il était sur le chemin du retour. Le temps qu’il rentre et s’occupe d’Ombrenuit, le petit matin était bien installé lorsqu’il sortit de l’écurie. Nessraya était sans doute réveillée, désormais. Il était temps d’aller à sa rencontre.

Dernière édition par Ivanyr Elusis le Mer 10 Fév 2021 - 16:13, édité 1 fois

Elle était réveillée en effet, et il la trouva dans la cour alors qu’il s’apprêtait à regagner la maison. Il avait initialement prévu d’aller se changer avant de la rencontrer. Il espérait simplement qu’elle ne se formaliserait pas trop de l’odeur de cheval qu’il dégageait, et des quelques traces de crocs qu’Ombrenuit aimait laisser sur ses vêtements…

Il prit le temps de la détailler en approchant, le regard plein de curiosité et d’intérêt. Il fut surpris de la trouver plus petite que lui, il lui semblait que les Graärhs étaient réputés être plutôt grands. Peut-être était-elle petite pour les siens ? Si elle était arrivée la veille, et avait sans doute eu l’occasion de se reposer, il restait manifeste qu’elle venait d’effectuer un long et difficile voyage, ce qui n’avait rien d’étonnant bien sûr. Liv lui trouvait malgré tout une certaine majesté, la blancheur de son pelage rehaussée par ses taches noires. Il fut également interpellé par les deux paires d’oreilles qui pointaient sous ses bois.

Arrivant à sa hauteur, elle lui offrit un salut qu’il tenta maladroitement d’imiter en espérant ne pas commettre d’impair, ne connaissant guère les coutumes graärhs. Un sourire en coin fit son apparition au titre dont elle le gratifia. Il ne voulait pas se moquer d’elle, mais personne ne l’avait encore jamais qualifié de “prince”. Du moins pas dans cette vie. Il haussa en revanche un sourcil au mot “gardienne”, mais il ravala les sarcasmes qui lui venaient. Elle se montrait polie et respectueuse, il n’avait pas de raison de ne pas en faire autant. Il nota toutefois avec curiosité qu’elle s’adressait à lui dans la langue commune sans difficulté, alors qu’il était presque certain avoir entendu les gardes dire qu’ils ne la comprenaient pas. Soit elle leur avait joué un bien mauvais — et bien dangereux, pour elle — tour à son arrivée, soit CendreLune avait rapidement trouvé comment pallier ce souci.

« Bonjour Nessraya. C’est un honneur de vous rencontrer. Vous pouvez m’appeler par mon prénom. Ivanyr. »

Il avait ajouté la dernière précision avec un léger retard, même s’il présumait qu’elle était déjà au courant. Fidèle à l’habitude qu’il avait inconsciemment prise au contact de Valmys, rien de ce qu’il avait dit n’était un mensonge : s’il était loin d’être ravi de se retrouver avec une gardienne, il était sincèrement honoré de rencontrer enfin une Graärh.

Un silence quelque peu gêné s’installa, et Liv regarda de gauche et de droite, incertain de la suite des événements, et de comment se comporter avec elle. Il avait l’habitude d’être escorté par des gardes, lorqu’il sortait, et connaissait le protocole alors : il les saluait, par politesse, puis vaquait à ses occupations sans se préoccuper de leur présence à moins qu’ils ne se manifestent à lui pour une raison ou pour une autre. Mais il s’agissait là de quelque chose de différent, et si son père l’avait bien prévenu de son arrivée, il n’avait guère été explicite quant aux détails protocolaires…

Était-il censé vaquer à ses occupations sans lui prêter attention, comme avec les gardes ? Allait-elle le suivre partout et à chaque instant ? Il n’avait guère de protection dans l’enceinte de la demeure Elusis… Était-elle censée lui donner des directives, telle la gouvernante d’un enfant turbulent ? Aucune de ces idées ne lui plaisait guère. Mais sinon… quoi ? Par la licorne, à quoi avait bien pu penser son père lorsqu’il lui avait attribué cette fonction ? Finalement, il décida que le plus simple était de lui demander directement. Il se racla légèrement la gorge, brisant le silence inconfortable avant de reprendre la parole.

« Si mon père m’a prévenu de votre rôle de… gardienne, j’ai bien peur qu’il n’ait guère été précis quant à ce que cela signifie exactement… Puis-je me permettre de vous demander ce que vous avez prévu à ce propos ? »

S’il continuait de se montrer parfaitement poli et respectueux envers la Graärh, la manière dont il avait accentué le mot “gardienne” avait quelque chose de désagréable.

Le jeune héritier avait été clair et désirait que je l’appelle par son prénom. Si cela pouvait le rassurer, rendre notre nouveau lien moins formel et plus intime. Je voulais montrer ma vision des choses, lui apprendre ce que l’on avait pu m’enseigner. Le bipède sans poil brisa ce nouveau silence qui c’était installé entre nous. Il semblait être en désaccord avec la décision de son père et je ne pouvais que comprendre, mais il était jeune, remplis de fougue et la jeunesse apporte les expériences souvent malheureuses. Mon rôle était de l’aider à grandir mentalement.

« La d’où je viens, on apprend aux jeunes nos légendes, ainsi que notre manière de combattre. C’est ce que votre père souhaite que je vous enseigne, la sagesse de mon peuple. Auprès de moi, vous aller apprendre bien plus que ce que vous espériez. Chaque histoire nous offre des leçons, mais aussi la force de continuer à avancer. »

Je lui tendais ma patte pour lui faire comprendre que s’il désirait connaître les mystères de ma race, il allait devoir la prendre. Je ne le forcerais pas, mais je garderais toujours un œil sur lui, un œil bienveillant, prête à offrir ma vie pour le sauver. Je suis petite, plus petite que les miens, plus faible à cause de mon ossature, mais je restais tout de même plus forte qu’un humain.

« Acceptez-vous d’apprendre à mes côtés ? De m’offrir cette chance d’oublier mon passé ? »

Mon regard azuré se plongea dans les siens. Il pouvait y voir ma détresse, car je pouvais paraître sûr de moi, mais je n’étais qu’une femelle brisée, fatiguée. On m’avait tout prix et je cherchais le moyen de continuer à vivre, d’avoir un but dans ma misérable existence. Lui seul, ainsi que le reste des héritiers de son père pouvaient m’offrir cette rédemption et l’abandon de toute vengeance envers mon ancienne Aaleeshaan. Allait-il accepter ? Refuser ? Je ne savais pas vraiment, mais je n’abandonnerais pas, je lui laisserais ma porte toujours ouverte, peu importe l’heure, l’endroit, je lui viendrais toujours en aide-s’il à besoin de moi. Rien n’est figé, tout peut évoluer, tout comme notre relation.

La manière dont elle présentait les choses lui était indéniablement plus agréable ce qu’il avait eu en tête. Il aimait apprendre, sur tous les sujets bien que certains captent davantage son engouement que d’autre, et la culture graärh l’intéressait sans l’ombre d’un doute. Il aimait les légendes, et il était certain qu’il aurait avantage à apprendre de nouvelles techniques de combat. Cependant, il soupçonnait fortement qu’il y avait davantage que ce qu’elle en disait, et son sourcil levé laissait assez voir combien il restait dubitatif. Elle s’était présentée, et lui avait présentée, comme gardienne, non comme tutrice ou enseignante de la culture graärh… et le terme était suffisamment clair pour deviner que ses attributions ne se borneraient pas à ce qu’elle avait évoqué.

Il considéra la patte qu’elle lui tendait, avant de relever les yeux lorsqu’elle reprit la parole, son regard accrochant le sien. Subitement, son expression se radoucit. Il lisait dans son regard tout ce qu’elle essayait de ne pas montrer. La fatigue, qui pouvait être attribuée au long voyage qu’elle avait fait, mais pas seulement. Une ombre de tristesse voilait ses yeux, profonde et lugubre, une blessure qu’il ne pouvait deviner. Qu’avait-elle subi, avant d’arriver ici ? Il n’en savait rien, et ne le saurait probablement pas dans l’immédiat. Mais il commençait à entrevoir pourquoi son père avait décidé de la prendre à son service. Pas seulement par pitié bien sûr, ça ne ressemblait pas à CendreLune, il fallait qu’il y trouve aussi un bénéfice, mais ce qu’il pouvait avoir à en tirer était assez simple à deviner : la loyauté née de la gratitude. Comment elle avait réussi à si vite gagner assez sa confiance pour qu’il lui confie ses enfants, en revanche, cela restait un mystère.

Elle parlait d’oublier son passé. N’était-ce pas la chance qu’il avait eue lui-même, grâce à ses Pères ? D’une façon bien différente, bien sûr, plus… radicale. Et littérale. Un passé moins sombre, sans doute, également. Mais il comprenait, dans une certaine mesure. Il était, pour sa part, reconnaissant de la chance qui lui avait été offerte, de la vie qu’il avait désormais. Et s’il pouvait offrir ne serait-ce une fraction de ce qui lui avait été offert à Nessraya, si c’était ici, avec eux, qu’elle voulait bâtir une nouvelle vie… eh bien, pourquoi pas ? Si son père l’en avait jugée digne, il pouvait bien faire quelques sacrifices pour elle. Dans une certaine mesure…

Il prit donc la patte qu’elle lui tendait, lui offrant un sourire en retour.

« Je serai honoré de découvrir la culture graärh auprès de vous. »

Sans lâcher sa patte, son sourire se fit mutin, et ses sourcils se haussèrent en une expression malicieuse tandis qu’il se penchait pour lui glisser, comme une confidence :

« Quant aux autres aspects de votre rôle de gardienne que vous auriez pu oublier de mentionner, j’ose espérer que nous parviendrons à trouver un terrain d’entente »

Le mot n’avait cette fois plus la tonalité déplaisante d’un peu plus tôt, il ne l’avait appuyé que pour lui montrer qu’il n’était pas dupe, mais qu’il acceptait de jouer le jeu. Puisqu’ils semblaient amenés à se côtoyer pour un moment, autant que les choses soient claires dès le début. Elle lui semblait assez sympathique jusque-là, avec un peu de chance ils parviendraient à un arrangement qui conviendrait à tout le monde. Tant qu’elle avait assez d’égards pour ne pas le prendre pour un enfant incapable de se défendre, ils devraient pouvoir s’entendre…

Le jeune vampire semble accepter, il prit ma main sans aucune hésitation. Ça me faisait chaud au cœur de réussir cette première approche, je n’avais pas encore perdu mon âme de mère depuis la mort de mon héritier, j’avais besoin de m’occuper de jeune, d’enfant, de vivre ce côté maternel qui m’a été volé par la montagne. Même si c’était un jeune adulte, un adulte qui était censé se maîtriser et avoir une certaine sagesse, je constatais qu’il manquait quelque chose et comprenait que les humains grandissaient moins rapidement que notre espèce.

Un sourire s’affiche sur mes babines lorsqu’il se penche dans ma direction pour me faire part de notre lien qui allait être plus étroit, que parfois, je serais obligé de le suivre même s’il ne le désire pas, c’est ainsi, mais je devais m’assurer qu’ils ne mettent pas sa vie en danger non plus.

« Mon devoir est d’assurer votre sécurité. Dans ma tribu, à votre âge, nous combattons auprès des valeureux Shikaaree. Vous avez encore beaucoup à apprendre, mais chaque chose en son temps. »

Baissant la tête, j’effectue un pas vers l’arrière, en faisant signe aux jeunes vampires de me suivre pour notre première leçon. Avant de passer aux entraînements physiques, nous devions d’abord connaître l’histoire de notre sainte terre. De celle qui nous a vu grandir et qui a subit nos pas et notre colère.

« Je proviens d’une terre où notre passé est tout aussi important que notre avenir. L’histoire de nos ancêtres vie dans nos gênes, ils nous offrent la force nécessaire pour vaincre nos ennemis, pour avoir le courage d’avancer. »

Un peu à l’écart du monde, je m’installai sur le sol, croisant mes pattes en invitant du regard le jeune homme à me rejoindre. On avait beaucoup à partager, mais chaque chose devait venir naturellement et nous procéderons dans l’ordre, sans forcer le destin. Je devais le laisser se développer, apprendre à son rythme, pour que cela ne paraisse pas être une corvée.

Elle ne niait pas avoir omis quelques pans de son rôle de gardienne, ce qu’il apprécia. L’omission était une chose qu’il pouvait aisément pardonner, lui mentir les yeux dans les yeux en aurait été une autre, qu’il aurait sans nul doute bien plus mal pris. La suite de sa réponse, en revanche, lui fit hausser un sourcil, pas tout à fait vexé mais pas non plus exactement amusé par la remarque. Il souriait cependant lorsqu’il répondit, d’un ton qui ne manquait aucunement d’assurance.

« Je sais très bien me battre, n’en déplaise à mon père, sans doute pas comme vos Shikaree, mais je suis parfaitement apte à me défendre. Mais vous aurez sans doute l’occasion de le constater par vous-même. »

Cela n’avait rien d’une menace bien sûr, et bien qu’un peu chiffonné, son ton restait amical. Mais après tout, elle avait dit qu’elle était également là pour l’entraîner aux techniques de combat Graärh, elle pourrait donc juger de ses capacités. À la vérité, sa remarque l’aurait sans doute nettement moins vexé s’il n’était pas encore contrarié de n’avoir pas pu participer à l’expédition organisée par ses pères…

Il laissa ce sujet de côté, la suivant en s’intéressant à ce qu’elle disait. L’histoire de ses ancêtres… c’était un sujet un peu particulier, pour un vampire. Il se demandait à quel point elle en avait conscience, ce qu’elle savait sur le peuple de la nuit. Sans doute n’avait-elle pas encore l’habitude d’en fréquenter. Il garda cependant ses questions pour lui-même pour l’instant, davantage curieux de ce qu’elle comptait lui raconter. Il s’installa face en tailleur face à elle, manifestement aucune perturbé à l’idée de s’installer par terre dans la cour, et posa sur elle un regard à attentif, à l’écoute.

Le jeune vampire, mon jeune apprenti, mon protégé s’installa en face de moi. Je le voyais bien plus que comme un être que je devais aider, protégé, j’avais besoin de ce lien, de ce contact particulier. Je me sentais heureuse, réchauffé de voir dans ses prunelles un certain plaisir de découvrir ce que je m’apprêtais à lui dire.

« Bien avant que les sans poils ne peuple cette terre, bien avant ma naissance et celle de mes géniteurs, alors que le blizzard parcourrait cette vaste terre, cachant le sol dur de la terre, les montagnes étaient reines de cette contré isolé. »

Je marquais une légère pause alors que mes griffes faisaient des motifs sur le sol, illustrant mes propos. Notre espèce était très manuelle, raconter l’histoire sous forme d’écrit éternelle était une chose impensable. On devait se souvenir, on devait décorer le sol pour honorer la terre qui nous a vu naître et qui nous a autorisées à grandir en son sein. Il nous a nourri, et offert la vie, notre devoir pour le remercier était de raconter ce qu’on avait enseigné à nos jeunes enfants, à ceux qui devait transmettre à leur tour l’histoire de Nyn-Tiamat. Peut-être qu’elle est fausse, ou peut-être pas, qui peux le savoir ? Ce conte à plusieurs siècles et ni lui, ni moi n’était vivant à cette période.

« Le vent était plus froid, mais fait à la bravoure de ceux qui ont jonché son sol, les montagnes ont accepté ces habitants. Sa température, qui autrefois était invivable pour ceux ne possédant pas de fourrure, déclina pour permettre à ceux qui venaient de s’installer puisse procréer et cultivé des parcelles de terre. Mais la montagne désirait garder les pleins pouvoirs et ceux qui n’était pas aptes à survivre au milieu du blizzard mourrait sans voir le jour se lever. »

Une larme coula le long de mon museau, une larme qui s’écrasa sur le sol, alors que l’image de son enfant perdant la vie au creux de ses bras devenait insupportable, mais elle continuait à raconter ce qu’elle savait, ce qu’elle devait enseigner.

« Ce monde abrite la magie, des forces surnaturelles, qui ne sont pas toute bonne, mais pas forcément mauvaise non plus. Est-ce que cette histoire est vraie ou fausse ? Qui peux le savoir, ce n’est qu’une légende que l’on raconte pour que nous comprenions que rien n’est acquis, que mère nature est bien plus puissante que n’importe qui, et que si elle le désire, elle peut nous voler ce que nous avons de plus précieux en ce bas monde. »

Mon regard s’était posé de nouveau sur le jeune vampire, les yeux légèrement rouges de par ses larmes qu’elle a tenté de cacher, mais je ne baissais pas le regard. Je ne pouvais pas, car cette histoire, j’aurais voulu la raconter à mon enfant, et c’est à lui que j’en fais don.

Assis à même le sol, face à Nessraya, il l’écoutait en silence avec une attention sincère et une curiosité non dissimulée. Le début lui donna l’impression de l’introduction d’une légende comme il en connaissait lui-même, de celles que les humains ou les vampires pouvaient se conter au coin du feu, mais la suite parvint à le surprendre. Ça n’avait pas la structure des légendes auxquelles il était habitué, il n’y avait pas de héros ni de grand combat, pas même véritablement d’histoire à proprement parler, du moins pas au sens narratif du terme. C’était davantage… un constat. Elle semblait davantage lui expliquer des faits que de lui conter une histoire. C’était un peu perturbant pour lui, mais non moins intéressant. Un aperçu d’une culture dont il ne connaissait rien.

Il pouvait sentir qu’elle était particulièrement émue par ce qu’elle lui racontait, et son impression se confirma lorsqu’une unique larme vint s’écraser au sol, sans pour autant interrompre la conteuse. Il se prit à s’interroger sur son histoire, sur ce qui faisait résonner à ce point cette légende en elle, sans pour autant détacher son attention de ses paroles, en arrière-pensée, mais avec une certaine fascination pour le sujet. Peut-être parce que lui n’en avait pas, d’histoire. Pour autant il n’en dit rien, gardant son questionnement pour lui.

Il pencha légèrement la tête en écoutant sa conclusion, considérant la chose, prenant le temps d’intégrer ce qu’elle lui avait raconté et de réfléchir avant de répondre. Elle lui évoquait plusieurs choses, il devait en faire le tri et trouver comment les aborder avant de prendre la parole. Et, puisque cela semblait la toucher personnellement, il voulait aussi éviter de la blesser avec des paroles maladroites.

« “Seuls les plus forts survivent”. C’est la philosophie la plus répandue, et sans doute la plus importante parmi mon peuple. Il n’était pas tout à fait sûr d’être entièrement d’accord avec ça, d’ailleurs, mais c’était un autre sujet. Bien sûr ce n’est pas vraiment la même chose que ce que vous me racontez. Mais… ça s’en rapproche, d’une certaine façon, je crois. »

Peut-être qu’essayer d’établir des parallèles entre leurs deux peuples, leurs deux cultures, était un exercice vain en réalité. Il ne savait pas trop. Son regard se perdit sur l’horizon par-delà le mur d’enceinte, vers les montagnes qu’il ne pouvait pas voir.

« Le blizzard n’est rien pour les vampires. Nous ne le craignons pas, il ne peut pas nous arrêter, et encore moins nous tuer. Nous sommes de ces forces surnaturelles dont vous parlez. Ou du moins nous existons grâce à elles. Un rictus sans joie se dessina au coin de ses lèvres. Aux yeux de certains, ça fait de nous des abominations, qui devraient être exterminées. »

Il haussa légèrement les épaules, et son expression se radoucit alors que son regard revenait sur la Graärh.

« Pardonnez-moi, j’ai digressé il me semble… Je ne sais pas quelle place nous pouvons avoir, dans vos histoires, mais je comprends leur message. »

Le jeune vampire semblait réfléchir à ce que j’avais dit. J’appréciais sa réflexion, et souriais lorsqu’il s’excusa. Chacun devait percevoir ce petit récit à sa manière, il n’y avait pas de mauvaise ou de bonne réponse. C’est ainsi que je percevais les choses. Je ne voulais pas endoctriner l’esprit de ce jeune vampire, il devait réfléchir et voir les choses par lui-même. Je pris mon arc, et le posa devant nous, passant mes griffes dessus.

« Je suis la plus faible de mon peuple. Nos croyances mon fait croire que je devais offrir ma vie à ma dominante. J’étais aveugle, et lorsque j’ai tout perdu, elle m’a délaissé… J’ai compris qu’aucune race n’est supérieur, on est de simple bipède… Elle nous a mentis… »

Je marquais une légère pause, repensant à mon passé, à mon avenir que je traçais. Il était mon avenir, mon futur. Un jour, il enseignera tout ceci à ses enfants, je ne serais plus de ce monde, mais ils auront un peu de moi en eux…

« Mon géniteur et mon amant sont mort pour elle. Ils ont accompli leur mission de guerrier, et je voulais les rejoindre. Mais désormais tout est différent, car ils ne sont que des cadavres dont personne ne se souviendra… Je ne voulais plus de cette vie, j’ai déserté ma terre pour trouver refuge ici. J’ai la chance de vous apprendre mes erreurs et de vous offrir l’art de mon peuple. »

Mon regard se posa de nouveau sur le jeune vampire. Je l’observais avec une grande attention, laissant un sourire prendre possession de mon visage. Je voulais vraiment le meilleur pour lui, pour toute cette progéniture… J’en avais besoin, de ce côté maternel qui m’a été retiré de force…

« Accepteras-tu mon enseignement ? Ma présence à tes côtés ? »

La Graärh ne répondit à ses excuses que par un sourire, mais la compréhension qu’il y lut lui suffit. Il n’était toujours pas certain que sa comparaison se tenait, mais elle semblait apprécier qu’il apporte sa propre réflexion, son interprétation à son histoire.

Il suivit ses gestes du regard alors qu’elle déposait son arc au sol, et il observa l’objet avec curiosité et intérêt. Ce n’était pas l’arme qu’il connaissait le mieux, ni même une qu’il connaissait vraiment bien à vrai dire, préférant le combat au contact pour sa part, mais il en savait suffisamment pour noter quelques différences de conception. Sa connaissance limitée ne lui permettait cependant pas d’en deviner les effets, mais c’était intéressant néanmoins.

Tout en observant l’arc, il écoutait parler Nessraya, non moins attentivement, et fronçait légèrement les sourcils à ses paroles, apportant cette fois encore son interprétation à son histoire, bien que cette fois pas à haute voix. Offrir sa vie… c’était quelque chose qu’il était lui-même prêt à faire sans hésitation. Pour son père, pour son clan. C’était sans doute différent toutefois, car lui ne se pensait pas aveuglé — mais bien sûr, s’il l’était il ne pourrait pas en avoir conscience… —, simplement… dévoué. Mais pour lui ce n’était pas un but, mais un dernier recours s’il fallait un jour en arriver là. Mort, il ne pourrait plus aider, plus servir son clan, plus protéger ses pères. Si son sacrifice était nécessaire, il l’offrirait sans hésiter, mais il n’irait pour autant pas au-devant de la mort sans une bonne raison. Peut-être était-ce la différence entre lui et celle qu’avait été Nessraya. Il savait l’honneur important pour les Graärhs, plus que tout le reste ; considéraient-ils que la mort en était un ?

Il releva les yeux sur elle, et vit qu’elle l’observait, avec attention et bienveillance. Elle le connaissait à peine, venait de le rencontrer, lui mais aussi son clan, son peuple ; il était à tout point de vue un étranger pour elle, et pourtant il retrouvait dans son regard quelque chose de ce qu’il pouvait voir dans ceux de sa famille. Une envie de veiller sur lui. Bien sûr, c’était le rôle que son père lui avait assigné, mais il n’y avait pas que ça. Il lisait dans son regard bien plus profonde que celle qu’on accorderait à un simple emploi. Elle voulait le protéger. De son point de vue, ça avait de fortes chances de s’avérer ennuyeux. Mais ça avait aussi quelque chose de… touchant ? Quelque chose qui lui rappelait son propre dévouement à sa famille.

Il pencha légèrement la tête sur le côté, comme il le faisait parfois sans s’en rendre compte lorsqu’il observait. Il nota avec un certain intérêt qu’elle s’était mise à le tutoyer. Il ne se souciait guère des convenances, et ne s’en formalisait pas le moins du monde, mais le changement l’intéressait. Était-ce parce qu’elle avait partagé avec lui un morceau de son histoire ? Parce qu’elle considérait que la conversation les avait rapprochés ? Pour essayer de l’attendrir ? Était-ce conscient ou involontaire ? Elle ne lui donnait pas l’impression d’être du genre manipulatrice, mais il ne la connaissait pas assez pour en juger vraiment. Il se rappela qu’elle ne parlait pas la langue commune, et que c’était, s’il avait deviné juste, son bracelet qui se chargeait de la traduction pour elle. Comment ce changement se traduisait-il en langue gräarh ? Une question pour un autre jour, mais qui éveillait sa curiosité.

Il répondit à sa question en haussant les sourcils et en affichant un sourire espiègle.

« Je n’ai pas vraiment le choix de toute façon, n’est-ce pas ? »

Cependant, son regard et son sourire se radoucirent immédiatement, tempérant ses paroles. Il sentait qu’il ne s’agissait pas d’une question de pure formalité, qu’elle l’interrogeait vraiment et sincèrement. Il devinait quelque chose derrière sa question, sans parvenir à savoir quoi exactement. Un besoin, un espoir ? Quelque chose auquel elle se raccrochait, sans tout à fait le montrer. Il ne voulait pas se montrer cruel avec elle, et n’avait pas de raison de l’être. Certes, les circonstances étaient loin d’être idéales pour lui, mais elle n’en était pas vraiment responsable ; elle avait réussi à gagner sa sympathie, et même à lui faire oublier ses frustrations et ses ruminations pour un temps avec sa conversation. Et il ne doutait pas d’avoir bien des choses passionnantes à apprendre d’elle. Alors il reprit, cette fois d’un ton plus amical :

« Mais j’apprécie ta compagnie, et je pense avoir beaucoup à apprendre à tes côtés, oui. »

Chaleureux... Je me sentais presque comme chez moi, presque... Cet être, cet enfant, était bon, je le sentais, ou étais-je encore aveuglé par mes nouvelles convictions ? Je ne saurais le dire, car c'est tout nouveau, un nouvel univers, de nouvelles coutumes, mais je voulais croire qu'il y avait un endroit fait pour moi, fait pour ma pensée et que je serais libre, de mourir avec le sourir, en faisant ce qui me paraissait juste et que l'on se souvienne de moi... Je voulais vivre, et non plus survivre pour protéger celle qui depuis ma plus tendre enfance était mon idole, ma raison de me lever le matin....

Ce lien de sang que j'aimais, que je protégeais était ma plus grande faiblesse, celle qui m'a détruite à un point dont je n'avais pas encore conscience et qui jamais ne pourrais guérir, enfin, peut-être qu'un jour, je trouverais la force d'oublier et de passer à autre chose, de cesser de nourrir ma haine envers cette femelle à qui j'étais prête d'offrir ma vie sans aucune hésitation, sans aucun regret, jusqu'à présent...

« Nous avons tous le choix. Tu peux refuser mon enseignement, car sans le désir, l'on ne peut rien apprendre, cependant, je serais toujours là pour toi et le reste de ta famille. »

Tout comme il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation, je voulais lui faire comprendre que je ne le pousserais pas dans une voie qu'il n'accepterait pas. Les raisons, évidentes, le savoir se fait seulement, quand on le souhaite, car de ceci, né une passion, c'est cette passion qui nous rend meilleur, qui nous pousse au-delà de nombreuses limites et que l'on devient un être exceptionnel.

« Je suis heureuse de t'enseigner l'art du tir, nous nous retrouverons mon jeune apprenti et tu sortirais grandi de cette expérience. »

Je me levais pour mettre fin à notre entretient, je voulais lui montrer tout ce qu'un arc pouvais nous apporter, car il paraît, simple, anodin et en aucun cas dangereux, mais avec ceci entre les pattes, cela demande bien plus que de savoir tirée une simple flèche, il demande des propriété que d'autre art ne demande pas. Des choses qui nous servent dans la vie de tous les jours et dans des moments critique par la même occasion.

J'inclinais la tête respectueusement, avant de lui tendre ma main pour l'aider à se lever. J'avais d'autre enfant à rencontrer, a aimer et à qui enseigner. Ma journée serait bien longue, et cela me demandera plus de temps pour certain, mais j'étais heureuse de ce moment plaisant passé en la compagnie du jeune maître et j'avais hâte de le retrouver à notre prochain entraînement.