Dansons avec les pirates [PV- Nathaniel & Reynagane]

Que le vent poussiéreux de ma terre natale m'avait manqué !

Je le respirais de nouveau comme si j'étais en apnée depuis ce sinistre jour. J'avançais à côté de ma chère Nyana dans ce paysage que nous foulions enfin véritablement ensemble. Elle que j'avais rencontrée dans une cale de navire une fois. Elle à qui j'avais adressé la parole dans une cuisine humaine. Elle qui s'était prit des coups de fouet à ma place. Nous étions pourtant là, deux Gräarhs qui avaient réussit à faire basculer leur destin. Je n'oubliais pas tous ces esclaves qu'il restait encore à Caladon. Je ne les avais pas oublié, oh ça non.

Bien que j'étais ravie d'être de nouveau sur Néthéril, plus rien n'était comme avant. Je m'étais imaginée reprendre enfin ce pourquoi j'existais, mais mon espèce était bien plus fier que ce que je pensais. À en connaître Nyana, j'aurais sans doute dû m'en douter. Qui étais-je après tout ? Le vilain petit canard qui avait oublié le caractère farouche de sa propre espèce. On me regardait mal. Comme si j'étais devenue différente. Je ne comprenais pas. À vrai dire, même si je n'en disais rien, cette attitude m'offusquait presque. Mon peuple était en souffrance, mais je le trouvais de plus en plus archaïque, sans ouverture d'esprit. On pouvait bien me traiter d'égoïste, j'étais aussi furieuse que tous sur l'avis de la piraterie. Que je sache, c'était moi qui en avais fait les frais plus que d'autres, non ? J'étais à côté de la plaque ?

Perdue dans mes pensées, j'avançais toujours au pas de ma sœur de cœur. Elle était venue me voir il y avait quelques jours de cela, pour me raconter une bien triste nouvelle. Les yeux enflammés d'une envie de sauver les nôtres, je n'avais pas pu lui dire non quant à cette quête de secours. À cet instant précis, quelques uns des miens se trouvaient exactement dans la même situation que nous quelques années auparavant. Bien des choses aurait changé si nous avions eu quelqu'un pour nous porter secours. Encore fallait-il réussir... Que pouvait bien faire deux Gräarhs face à un camp de pirate ? Je n'en avais absolument aucune idée, mais Nyana était bonne en tactique et... et moi, j'étais... hum, riche d'espérance. Au fin fond de moi, j'avais l'impression qu'on se jetait peut-être à nouveau toutes seules dans la gueule du loup, mais ma sœur de cœur était confiante, pour une fois les rôles était inversés sur le sujet. Elle y réfléchissait depuis plusieurs jours cela se lisait sur son visage.

Le voyage fut long. J'aimais redécouvrir les magnifiques paysages de mon pays. Comme deux Gräarhs voyageuses, l'image me faisait ronronner de plaisir. Puis les jours passèrent et enfin, la zone de détention se dessina au niveau des magnifiques canyons.

Installé dans un petit coin à l’abri, je cachais ma nervosité en me tortillant les griffes.

- Nyana, comment veux-tu que l'on se débrouille ?

Je ne m'étais pas attendue à voir un endroit si grand. En réalité je ne m'étais attendue à rien, mais sur le coup, je me voyais déjà repartir dans un de ces bateaux de malheur. Tournant le regard vers ma sœur de cœur, je plissais les yeux en penchant la tête sur le côté alors qu'elle posait une patte sur mon épaule avec un sourire.


- Rey, tu es mon appât ! Tu vas aller là-bas et trouver quelque chose pour attirer leur attention. Je m'occupe du reste !

Je n’eus qu'à peine le temps d'écarquiller les yeux en grand avant qu'elle ne me touche le front pour ensuite me pousser en avant.

Je déglutissais sans bouger. Le cœur prêt à exploser. Je comprenais rien. Rien de rien. Appât ?! C'était ça son plan ? Moi ? Comme pouvait-e... un bruit sourd me fit dresser le poil sur tout mon dos et je plongeais en avant pour me cacher un coup en réfléchissant à vive allure. « Il faut se calmer. Respire... Oh que les Esprits-Liés me viennent en aide...encore ».

L'esprit légèrement calmé, je repassais en boucle les mots de Nyana. Je devais donc attirer l'attention. Et ce, sans me faire attraper ? C'était quasiment impossible. Impossible en réalité. Je ne voyais qu'une chose, c'était de courir pour que l'on me suive ainsi Nyana aurait un temps supplémentaire... mais si on m’attrapait alors... L'autre solution, c'était peut-être de faire la morte. « Non, très nulle comme idée Rey, tu es débile ? Respire. » Me faire passer moi-même pour une prisonnière qui vient de s'évader ? Cela ne laisserait pas beaucoup de temps à Nyana si une garde se renforçait. Que devais-je faire !?

Je sortais enfin de ma cachette en priant les Esprits pour que Nyana sache ce qu'elle faisait. Je lui faisait confiance, et j'avais confiance également en mes Esprits-Liés. L'une me soufflait de garder espoir comme toujours et c'est comme ça que je me faufilais dans la poussière. Le soir tombait j'avais l'impression et si la vision des humains devenait médiocre, la mienne restait vive.
Il y avait effectivement des gardes un peu partout et de les voir, j'en avais presque la nausée. Mais je me ressaisissais une bonne fois pour toute et je m'élançais tel une ombre. J'avais vu une chose. Une chose qui pourrait bien m'aider. Mes oreilles se plaquèrent sur mon crâne et ma queue vira vite entre mes jambes alors que des cris sortirent de partout. J'arrivais au même moment là ou je voulais et je sautais sur un humain qui venait tout juste de se retourner pour voir ce qu'il se passait. L'adrénaline et l’effroi mêlés je l’assommais en m'excusant un coup. Je me mettais vraiment à penser à n'importe quoi, mais voilà, je tenais entre mes griffes une grande torche enflammé que j'embarquais avec moi dans ma course pour mettre le feu à quelques brins d'herbes asséchés. Si mon cœur n'avait pas explosé avant, il n'allait pas tarder quand je vis les hommes derrière moi se rapprocher. Des petites flammes s'élevaient tandis que je priais pour que Nyana se dépêche. Au même moment, je me prenais les pattes contre un gros caillou et je tombais au sol violemment arrêtant nette ma fuite.

¤ Un repas pour le roi ¤

Le plus sombre des plans que les gredins des mers n’avaient jamais pu confectionner était en train de se mettre en œuvre. Les ordres étaient partis depuis Nyn-Tiamat, ils étaient clairs et simples : faire plier l’échine à la savane. Les félins de Néthéril payaient depuis un mois déjà les conséquences de leur attaque contre Athgalan, à savoir la contrattaque des pirates. Nombre de tribus étaient déjà tombées sous les assauts des forbans et de leurs machinations. Les dernières et les plus réactives étaient en train de se rassembler autour de la tribu principale : la légion. Elle était l’ultime cible de la confrérie et subirait son assaut une fois que les pirates auraient fini de préparer leur force … ou plutôt, une fois que le roi de la confrérie serait arrivé. L’elfe sombre tenait à être présent en personne pour porter le coup de grâce à cet ennemi. Mais il n’était pas là que pour cela. Il était également ici pour un tout autre objectif … ou plutôt, son navire, le Maelstrom était là pour le remplir. L’Eärendil avait l’intention de transporter personnellement un chargement d’esclave jusqu’au crépuscule des chimères. Il faut dire que les livraisons s’étaient faites de plus en plus nombreuses et de plus en plus importantes. Peu de navires de la confrérie avaient la capacité pour stocker autant de marchandises d’un coup. Sans compte que ces chargements étaient importants pour la confrérie, car ils devaient permettre la mise en place dessein particulier. Plusieurs campements pirates avaient été dressés à l’Est de Néthéril, témoignant de conquête des pirates sur ces terres. Tous se trouvaient au plus près de la mer, non loin d’une plage ou une crique amarable. Et dans ces différents campements, des quartiers de stockage avaient été mis en place. Celui auquel l’elfe sombre allait débarquer aujourd’hui ne faisait pas exception. Excentré de la savane, à la lisière du canyon, il faisait partie des premiers campements dressés par les forbans lors de leur assaut généralisé. A ce titre, il ne comportait pas un quartier de stockage, mais deux dans lequel se trouvaient de très nombreux esclaves. Une présélection avait été organisée en vue de l’arrivée du roi des forbans. Les plus prometteurs d’un côté, le reste de l’autre. Bien entendu, les familles avaient été séparées. Un climat de peur, de stress et de désespoir régnait dans ces lieux. À titre d’exemple, certains des graärh avaient été crucifiés et exposés à la vue de tous, tandis que chaque matin et chaque soir était organisé des séances publiques de fouettage. Le mental des esclaves devant être brisé pour éviter toutes rébellions.

Depuis la terre, on pouvait déjà voir le bâtiment du roi des gredins approcher. Il serait là dans quelques minutes. Et si le calme régnait en mer, ce n’était pas le cas sur la terre ferme. La cloche de l’alarme retentissait. Le corps d’un garde assommé venait d’être découvert et dans la foulée un incendie s’était déclaré. Les félins avaient-ils eu vent de l’arrivée du roi des pirates ? Escomptaient-ils mettre ce campement à sac pour lui faire parvenir un message ? Peut-être, peut-être pas. Le seul moyen de le savoir serait de mettre la main sur le ou les individus à l’origine de tout ce grabuge … et cela ne tarda pas. Un large trand marchait entre les tentes en flammes, en tenant à la gorge une jeune graärh bien plus petite que lui d’origine garal. Le félin au pelage mariant le blanc et le roux s’arrêta lorsque des gardes arrivèrent à son niveau.

« Tish ! As-tu vu quelque chose ? »

Le graärh au visage à moitié brulé souleva sa prise qui semblait se débattre.

« Votre vigilance laisse à désirer. J’ai trouvé cette petite proie courant et trébuchant, une torche à la main. Est-ce l’arrivée prochaine de notre roi qui vous a poussé à vous aviner assez pour que votre vision se trouble ? Imbibé comme vous devez l’être, vous aurez assurément un goût qui plaira au roi en vous ajoutant au ragoût. »

Les gardes blêmirent un peu à l’idée de finir dans l’assiette.

« Non Tish, ne fais pas ça, ce n’est pas une bonne idée. Tu ne sais où on a trainé, et on a assurément des parasites, il ne faudrait pas prendre le risque d’empoisonner le patron. »

L’un des gardes pointa du doigt Reynagane entre les pattes du félin au visage partiellement brulé.

« Elle revanche, je suis sûr qu’elle aura un goût bien plus exquis que nous et qui plaira à notre roi. Je suis sûr que cela lui plaira. »

Les autres opinèrent vivement du chef et le cuistot de la confrérie grogna. Il prit quelque chose dans sa poche et la jeta aux humains.

« Mangez ça ! Tout de suite ! Ou vous finirez dans mon chaudron ! »

Les humains s’exécutèrent rapidement, venant ingurgiter une espèce de haricot à la couleur vive. Très vite, ceux-ci se mirent à rougir avant de vomir leurs tripes au sol, dessoulant par la même occasion.

« Que je ne vous reprenne plus jamais en étant d’ébriété en dehors des heures de repas. »

Le trand laissa derrière lui les gardes, toussant, pleurant et cherchant désespérément quelque chose à boire pour apaiser leur bouche et gorge en feu, en emportant avec lui la petite féline qu’il conduisit aux cuisines du camp.

« Tu n’aurais jamais dû t’enfuir de ta cage, petite sotte. Au moins dans ma marmite, tu n’auras plus l’occasion de commettre de telles bêtises. »

Tish attacha Reynagane en cuisine alors qu’il commença à cuisiner le repas pour accueillir le roi des forbans. Pendant ce temps-là, la sécurité commençait à se renforcer au travers du campement pirate. Le Maelstrom, lui, venait jeter l’ancre dans la crique et l’équipage s’était mis à débarquer. Nathaniel s’éclipsa rapidement ordonnant qu’on l’on fasse un rapport à son second de la situation. Il avait tenu la barre pendant près d’une journée et souhaitait simplement se reposer un peu. Alors qu’il traversait le camp, une odeur agréable vint le saisir. La cuisine de Tish R'galpapiye était reconnaissable entre mille rien qu’à l’odeur. L’elfe sombre décida alors de faire un détour pour aller saluer personnellement le cuistot cannibale. Le gredin poussa la porte de l’un des rares bâtiments en roi et son regard se posa sur le trand, approchant de la garal un hachoir à la main. Ce dernier, s’arrêtant, feulant.

« Je croyais avoir demandé à ne pas être dérangé pendant que je cuisine le festin du roi. »

Le graärh dont le pelage mariant le blanc et le roux à la perfection se retourna et s’immobilisa en voyant le nouvel arrivant. L’elfe sombre fit néanmoins un rapide coup de main, semblant chasser l’air devant lui, mais envoyant secrètement à Tish l’ordre d’agir normalement.

« Je n’ai pas dû être informé de cette demande, je viens à peine de débarquer. Le roi a humé depuis le large le fumet de ton ragoût et m’a ordonné aussitôt à terre de venir ici pour m’enquérir et l’état du repas. »

« Le repas avance bien, je m’apprêtais à m’occuper d’un des derniers ingrédients. »

Le félin pointa de son hachoir la féline pour accompagner ses propos.

« J’ai remarqué en venant ici qu’un feu avait récemment pris et endommagé certaines tentes. »

« Il y a eu un incident, je m’apprête justement à m’occuper du responsable. »

Les yeux du gredin glissèrent jusqu’à la jeune graärh, un sourire venant étirer ses lèvres et révéler ses dents ciselées.

« C’est donc cette petite dure à cuire qui est à l’origine de ce grabuge ? Cela ira pour toi Tish ? Tu penses parvenir à t’en occuper ? »

L’elfe sombre eut pour seule réponse un grognement à cette blague de piètre qualité voulant lier délinquance et cuisine. Ricanant, Nathaniel vint s’approcher de la prisonnière, se saisissant d’un tabouret pour venir s’asseoir face à elle.
« L’odeur du feu et de la cendre flotte dans l’air, je peux les sentir … elles gâchent les effluves alléchantes qui s’échappent de la marmite. »

Le gredin huma l’air autour de lui, avant de s’immobiliser pour venir poser un regard suspicieux sur son interlocutrice.

« Je ne sens que l’odeur de la peur sur toi … où sont celles du sang … de la sueur … et la crasse … des esclaves ? »

Le chaos que j'avais vainement souhaité, s'éteignait presque aussi vite que lorsque l'on souffle sur une bougie. Ouvrant la mâchoire pour détendre le choc que venait de prendre mon menton, je bifurquais ma tête comme une chouette pour regarder d'un air horrifié l'ombre gigantesque qui venait d'arriver à ma hauteur. Les membres tremblant de la peur mélangée à l'adrénaline, je reprenais appuis en sautant pour mieux fuir mais que mon espoir était toujours aussi beau ! À peine je m'étais remise sur mes pattes pour foncer plus loin que l'on me saisissait ma longue queue avant de me tirer violemment en arrière. Mes babines se retroussèrent et un feulement gagna ma gueule avant que je ne me fasse totalement immobiliser par non pas un de ces petits pirates puants mais bien un lourd Gräarh aux arômes bien trop prononcés.
Ma naïveté à ce moment précis allait me mettre encore en colère pendant de nombreux mois. Car oui, à cet instant j'avais écarquillé les yeux en cessant de me débattre pour regarder dans les yeux le félin. Félin qui avait bien vite fait de m'attacher et de me traîner dans la poussière jusqu'à ce que je mes pattes me portent de nouveau.

- Qu'est-ce que... ? Lâchez-moi ! Sale... sale, brute !

Pathétique.

Comprenant que ce Gräarh n'avait rien d'un gentil, je reprenais mes feulements teintés d'une panique sévère. Là maintenant ? Nyana avait prévu ça ? Oh par les Esprits que va t'il m'arriver... Je ne veux pas y retourner, si ma bonne étoile m'avait offert une seconde chance, je n'en aurais pas droit à une troisième.
Peine perdu, je cessais mes mouvements alors en jetant des coups d'œils courroucés aux alentours juste avant que le Gräarh ne s'arrête pour réprimander des gardes. Je serrais si fort mes mâchoires que mes crocs allaient bientôt se détacher de mes gencives à coup sûr. Je relevais le nom du Gräarh tandis que mon imagination faisait des siennes. Me revoyant dans une de ces cales humides, la peau craquelée par le sel et aussi maigre qu'un clou. Par pitié, pas ça. En plus de la peur, je ressentais une colère. Une colère qui me paniquait encore d'avantage. Une colère si puissante que j'avais soudainement envie de mordre ce fameux Tish. Comment osait-il ?! Comment pouvait-il vivre ici, entouré de toute cette horreur pour servir de tel monstre ! C'est à ce moment précis que je réalisais que cette colère, je l'avais bien déjà ressentis une autre fois, le jour où j'avais croisé le regard de cette Gräarh noire qui supervisait le départ des esclaves. Ils étaient à vomir.

Mes oreilles toujours plaquaient contre mon crâne, je me faisais maintenant embarquer dans un bâtiment qui sentait un mélange de différents aliments. Tout allait de pire en pire, d'abord, ce Gräarh qui semblait être tout à fait sérieux lorsqu'il parlait de cuisiner des membres de sa propre espèce, ensuite, j'avais notamment très bien entendu ce petit détail comme quoi, un certain roi était en route pour venir jusqu'ici. Si je savais que toute cette monstruosité était manipulée par le roi de la piraterie, je priais sincèrement pour ne jamais croiser sa route. Je ne le supporterai pas.

Toujours aussi essoufflée et chamboulée, je regardais tout autour de moi attaché comme une pauvre petite bête qui n'attend plus que son heure de salut. Ce Tish m'horrifiait au plus au point, il était là en train de couper je ne savais quoi en sifflotant comme si tout était normal. Les pattes liées derrière mon dos, j'essayais en vain d'atteindre avec une griffe mon attache. Mon cœur allait me lâcher dans trois, deux, un... la porte s'ouvrit en grand.

Le cauchemar perdurerait encore et encore. Me tapissant comme si je voulais fusionner avec le sol, je jetais un petit coup d'œil vers un nouvel individu qui ne me disait rien qui vaille. Sa voix, jusqu'à  son sourire et son regard qui me faisait penser à un charognard, me glaçait littéralement le sang. Tish continuait d'agiter sa lame tranchante jouant avec une maîtrise parfaite son rôle, je me voyais sérieusement de plus en plus comme une tranche de steak. Alors les Stymphalis ressentaient la même chose ?
Tout dans le nouvel arrivant imposait de se tapir un peu plus par terre. Il n'avait rien d'un homme normale. Celui-ci s'approchait de moi et je plissais les yeux en frémissant. Lorsqu'il prit soin de s'asseoir en face de moi, je déglutissais avec peine avant de me ressaisir un peu. Du nerf pauvre chat ! Nyana avait un plan ! N'est-ce pas ?

Je lui montrais ainsi mes crocs, consciente de ne pas faire peur mais ayant que ça à disposition, eh bien voilà. Plus je l'observais et plus je trouvais une certaine ressemblance avec un requin dans sa façon d'utiliser ses attraits.

Je le défiais soudainement du regard. De toute façon j'étais en si mauvaise posture que la panique devait cesser.

- Keet ! Crachais-je en détournant le regard. Vous pensez sérieusement que je vais répondre à vos questions ?

Je le défiais aussi fermement que mon cœur se liquéfiait intérieurement.

- Je...


Défaillais soudainement.

- Vous n'en avez donc pas assez de semer la terreur ? Cela doit cesser...


Nyana était mon seul espoir. Il fallait que je gagne du temps, malgré ma peur dévastatrice, je me devais de prélever autant de grain de sable du sablier que je le pouvais. Maintenant il fallait savoir quoi faire, j'étais maladroite et totalement inoffensive.

- En plus de nous traiter comme des bêtes, vous voulez nous mangez maintenant ! Par les esprits, quel monstre êtes-vous ? Pourquoi ne pas directement m'achever, comme vous autres les pirates vous faites si bien. J'ai rien sur moi, rien... Aussi courageuse qu'un poisson, et vous êtes là, à venir voir si le repas pour votre roi est prêt ! Parce qu'il mange du Gräarh lui aussi ? Quel mal le ronge !?


Je fermais ma gueule soudainement horrifiée par cette source de parole que je venais de déballer devant un pirate aussi effrayant que possible.  « Par pitié Nyana, dépêches toi ».

¤ Bas les masques ¤

L'elfe sombre se tenait devant la petite graärh à l'origine du grabuge ayant eu lieu peu de temps avant son arrivée. L'odeur de la cendre flottait dans l'air, venant se mêler avec le doux fumet s’échappant de la marmite du félidé cuisinier. Le résultat du mélange de ces fragrances dénaturait ce qui aurait dû être l’œuvre du chef étoilé, devenant insulte à son travail encore inachevé. C'est à cause de ces mêmes fragrances que le gredin commença à s'intéresser d'un peu trop près à la jeune prisonnière, faisant courir le risque à cette dernière de voir sa couverture d'esclave en fuite s'envoler. Ni l'odeur du sang, ni l'odeur de la crasse, ni l'odeur du fer propre à ceux dont les pirates volent leur liberté n’imprégnait la graärh. Le forban ne manqua pas de le faire remarquer à celle-ci et cette dernière ne tarda pas à lui cracher une réponse au visage. Elle ne dirait rien. Un sourire éclaircit alors les lèvres du gredin qui venait d'obtenir exactement ce qu'il voulait. Elle ne voulait rien dire, alors cela signifiait qu'elle avait justement quelque chose à dire, quelque chose à cacher au souverain des mers. Elle n'était pas ce qu'elle prétendait être.

« Vous n'en avez donc pas assez de semer la terreur ? Cela doit cesser ... »

« Oh, c'est donc pour cela que tu es ici ? Pour faire cesser la terreur ? »

La graärh continua à parler, prise d'une soudaine verve, d'un flot inextinguible de paroles. La peur transpirait dans chacun de ces mots et l'elfe s'en délectait comme il l'aurait fait un bon vin. Le gredin leva sa main et vint la poser sur la tête de la féline, semblant venir la caresser avant de lui saisir fermement l'une des oreilles, la tirant et semblant manquer de l'arracher au passage.

« Des bêtes ? Nous sommes tous des bêtes, graärh, elfe, humain, vampire, nous sommes tous bons à être vendus ou mangés. La seule différence c'est que moi, j'en ai pris conscience. La vie est cruelle. Il ne tient qu'à nous de choisir si nous subissons la cruauté de la vie, ou si nous en sommes l'instrument. Toi, tu as décidé d'en être la victime. »

Nathaniel relâcha Reynagane, une poignée de poils lui étant restée entre les doigts après l'avoir agrippé avec violence. L'elfe sombre se mit à se frotter la main, venant agglutiner les brins pour former une bourre.

« Oh détrompes-toi. Tu possèdes beaucoup sur toi. Ta vie, ta force de travail, ta chair, tes dents, tes griffes, ta fourrure, tes os. Chacun possède sur lui plus qu'il ne l'imagine, il suffit simplement de le voir et de savoir l'utiliser. Mais toi, comme beaucoup d'autres, tu possèdes une vision étriquée … limitée … c'est pour cela que tu es ici aujourd'hui. »

Fouillant dans l'une des poches de son manteau, l'elfe vint sortir une paire de poupées de chiffon. Il coupa la bourre de poils de graärh en deux et en mit un morceau dans chacune. Quelques mots elfiques s'échappèrent d'entre les lèvres du gredin avant que de la magie viennent imprégner les effigies. Le forban à la chevelure d'écume vint ensuite les ranger avant de poser de nouveau son regard sur cette dernière, venant graver dans son esprit son apparence.

« Tu es bien trop propre et tu as encore trop de volonté pour t'opposer ainsi à moi. Tu n'es pas un des captifs de ce camp, n'est-ce pas? Il faut être sacrément cinglé pour se jeter ainsi dans la gueule du loup … et en prime suicidaire pour le faire seul … Tu ressembles à une souris effrayée par sa propre ombre … tu transpires bien trop la peur … tu n'es pas toute seule ici … n'est-ce pas? »

Tish se retourna alors, ayant suivi la conversation tout en préparant les autres éléments du plat.

« Le feu … l'incendie, c'était une diversion. Je suis désolé j'aurai dû m'en … »

« Non. Ce n'est pas à toi de t'excuser Tish. Tu n'es pas en charge de la surveillance du camp. Si tu as dû sortir de ton rôle de cuisinier, c'est que quelqu'un d'autre s’est planté … et que quelqu'un d'autre va être ajouté au menu. Mais, nous nous chargerons de ce problème plus tard. Dans l'immédiat, il est important de faire sortir les rats de leurs cachettes. »

Nathaniel se rapprocha de Reynagane et la saisit fermement avant de commencer à la traîner hors de l'endroit faisant office de cuisine.

« Suis-moi et emporte l'attendrisseur à viande. Ces hurlements feront sortir ses alliés. »

Chacun des mots de l'elfe sombre intimait le silence. Une voix grave et aussi tranchante que des lames de poignards, je ne cessais d'avoir les oreilles plaquées contre le haut de mon crâne. Lorsque sa poigne m'agrippa une oreille, mon instinct assez frêle pour une Graärh ne créa qu'un feulement de douleur avec un grondement à peine audible. J'écoutais les lames tranchantes persécuter mes tympans, sans retenir ma peur. Pourquoi tout dérapaient toujours si vite par les Esprits. Ce matin encore, je marchais auprès de Nyana sans savoir où j'allais et voilà que j'allais me faire dévorer. Si je voulais toujours croire en ma chance, je devais m'avouer qu'être aussi proche de la mort à cet instant précis ne m'aidait pas à garder le cap.

Entendre le pirate avouer tout ce qu'ils convoitaient, tous, sur les membres de mon espèces me donnèrent soudain envie de dégoupiller par terre. Se retenant avec force, avoir la preuve de tels actes monstrueux, encore et toujours, me traumatisait d'avantage encore. Qu'aurait fait Nyana ? Oui, c'était peut-être ça la question qu'il fallait se poser. Que ferait Reynagane n'avait rien de très glorieux, mais Nyana, elle, elle ne se serait pas laisser faire. Lorsque l'elfe reprit cependant, je n'eus pas l'occasion de me creuser la tête d'avantage. Le cœur prêt à fondre, il fallait être cinglé disait-il ? Complètement. J'en voulais presque soudainement à mon amie qui m'avait fichu dans cette position sans m'en faire part avant. Ma confiance était atteinte et il faudrait une lourde discussion pour calmer mes pensées. Encore fallait-il avoir l'occasion de parler de nouveau à ma sœur de cœur...

Relevant un petit regard triste vers le pirate lorsque celui-ci compris toute la supercherie, cela en allait être la fin pour moi. Sauf que se qui m'attendait n'était en rien ce que j'avais jusqu'alors imaginé. La force avec laquelle l'immonde personnage me traîna dehors montrait de nouveau à quel point j'étais une Graärh bien pathétique. Un coup d'oeil vers Tish et cet attendrisseur de viande et je grondais de plus belle en hurlant de me lâcher.
Extirpée enfin de mon état second, je me débattais comme je le pouvais. Le pirate était assez intelligent pour me mettre dans une position délicate, comme s'il se prenait pour ma mère à me tenir de la sorte !

- Lâchez-moi ! Sale monstre.

Je répétais, consciente que c'était inutile. C'est plus une nouvelle sensation de frayeur qui m'enveloppa lorsque l'une de mes pattes, griffes dehors atteignit le bras du pirate, déchiquetant ainsi le tissu pour venir écorcher la peau de celui-ci. Je cessais mes mouvements, prenant conscience de mon erreur, le regard passant de mes griffes ensanglantées vers la blessure. Hélas, la blessure n'était en rien comparé à la douleur que je me pris derrière la tête lorsque le Graärh cannibale m'assena un coup violent.

Totalement sonnée et désorientée, j'hurlais une nouvelle fois avant de voir des étoiles danser dans mon champ de vision. Un liquide chaud et épais coulait le long de ma nuque alors qu'une voix lointaine résonnait dans le coin. Nyana... Nyana ?

Clignant des yeux, incapable de faire un autre mouvement, j'apercevais dans une brume irréel la graärh juste devant nous.

- Nyana... va t'en.

Cela n'en valait plus la peine, l'espoir pouvait peut-être s'éteindre aussi vite qu'une bougie. Peut-être que ma bonne toile avait décidé de m'abandonner ce soir. Et elle aurait eu raison.

¤ Choix funestes ¤

D’une main ferme, l’elfe sombre trainait la jeune graärh qui s’était infiltrée dans son camp. Combien étaient-ils ? Combien de félins avaient infiltré la base pirate ? Quel était leur objectif ? Oh cette dernière question le gredin pouvait facilement y répondre. À n’en pas douter ils étaient venus pour libérer les esclaves. Et si l’occasion leur était donnée de tuer quelques pirates ou même leur chef, alors il la saisirait. Cette bande de rats, le gredin allait les faire sortir. Contrairement à eux, Nathaniel avait cure de l’honneur ou d’un quelconque cas de conscience. Il était là pour s’assurer que ses affaires se passent sans difficulté, que ses objectifs soient remplis et enfin que ses intérêts soient satisfaits. Quiconque se mettait en travers de cela allait en payer le prix. Reynagane se débattait sous la prise du forban et bientôt ses griffes vinrent lui lacérer la chair. Le roi de la confrérie étouffa un juron de douleur. Sans son vêtement, sa blessure aurait pu être bien plus grave. Le pirate n’eut pas le temps de retourner une gifle qui se voulait magistrale que Tish vint assommer la féline. Se contrôlant pour ne pas la massacrer tout de suite, l’elfe à la chevelure d’écume reprit de trainer Reynagane jusqu’à un point en hauteur afin d’être aussi visible que possible, mais surtout que sa voix et celle de sa victime portent sur tout le camp. Tish n’était pas loin derrière lui, un attendrisseur de viande à la main. Une fois arrivé sur place, Nathaniel créa un long pieu d’ivoire qu’il planta profondément au sol avant d’y attacher les pattes avant de la féline. Puis, tendant la main derrière lui, il fit un petit signe pour que son cuisinier lui passe son ustensile. Prenant une grande inspiration, l’elfe sombre commença à beugler.

« Graärh de Néthéril ! J’ai une bonne et deux mauvaises nouvelles pour vous. La bonne, c’est que vos frères se sont infiltrés dans le camp. La première mauvaise nouvelle, c’est que nous en avons attrapé une. La deuxième mauvaise nouvelle, c’est que moi, Nathaniel Eärendil, roi de la confrérie, suit ici ! Graärh de Néthéril ! Ouvrez grand vos oreilles. Voilà ce qu’il en coûte si vous osez me chier dans les bottes ! »

Le gredin vint asséner un premier coup d’une violence inouïe, à l’aide de l’attendrisseur de viande, sur la jambe de sa prisonnière. Le bruit d’un craquement se fit entendre. Reynagane revint brutalement à elle et la symphonie de la douleur commença.

De brutaux heurts vinrent stopper la main de Nathaniel. Une graärh avait filé en sa direction, alerté par les cris de sa prisonnière. Des félins ayant rejoint la cause des pirates vinrent se tenir sur son chemin et des combats s’engagèrent alors. La nouvelle venue se révéla être une véritable furie, si bien que ses hommes ne parvinrent pas à la maitriser. Finalement, l’inconnue vint porter son regard sur le souverain des mers après avoir mis à mal ses compatriotes graärh ayant décidé de trahir les leurs.

« Si vous touchez un poil de plus, je viendrai vous arracher chaque œil pour vous les enfoncer au fond de votre gorge… »

Un sourire aux lèvres, Nathaniel abandonna Reynagane qui parvint à gémir quelques avertissements.

« Nyana... va-t’en. »

Un rictus malsain aux lèvres, l’Eärendil vint faire tourner le maillet entre ses mains avant de donner un coup sec en direction du sol pour venir le débarrasser du sang et des quelques poils qui avaient pu s’y incruster.

« Non ! Non … elle ne va pas partir maintenant voyons. Pas après tout le cœur que tu as mis pour la faire venir ici à l’aide de tes cris. Pas après qu’elle soit parvenue à se débattre comme une dragonne. Nyana, c’est ça ? Je suis sûr que l’on peut te trouver un nom bien meilleur que cela. Je te promets de t’en trouver un bien plus adéquat une fois que je t’aurais mis un collier autour du cou. »

L’elfe sombre prit une profonde inspiration suivit d’une profonde expiration. Lentement, le gredin vint faire glisser sa main jusqu’à sa ceinture, venant effleurer l’une des poupées s’y trouvant. Sans surprise il copia l’ornithorynque qui s’y trouvait à l’aide de sa boucle d’oreille.

« Tu as fait deux graves erreurs aujourd’hui. La première, être entré dans ce camp. La deuxième, être venu en aide de ton amie. Je vais te laisser le choix. Choix numéro un, tu te rends sans faire d’histoires et tu finiras ta vie comme esclave. Choix numéro deux. » L’elfe sombre jeta l’attendrisseur de viande encore tâché du sang de Reynagane aux pieds de Nyana. « Tu tues ton ami et tu me prêtes allégeance. Tu rentreras au service de la confrérie et ça t’évitera de finir aux fers. Enfin, choix numéro trois, tu commets une nouvelle erreur. »

Alors que le forban parlait, une pluie commença à s’abattre sur le campement, fruit du pouvoir de l’orque du gredin.

La douleur se propageait aussi effroyablement que le plus mortel des venins. Je serrais les crocs si fort que j'avais la net impression que le goût du sang venait s'ajouter à ma salive. Je retournais dans ma tête les paroles que venais de hurler l'elfe noire à mes côtés sans prendre la peine d'écouter le reste de ce qu'il se passait autour. Puis les secondes passèrent et l'information monta jusqu'à ma cervelle. Est-ce que le pirate avait bien dit roi de la confrérie ?

Mes moustaches frémirent, ou était-ce le vent sur mon museau ? Mon sang ne fit qu'un tour et ma respiration saccadée se changea en un fort grondement. « Je ne sais pas si je le mérite, oh grand Esprit du Raton-laveur, mais j'ai besoin encore une fois de ton aide... »

Je ne pouvais pas rester là, ce n'était plus qu'une histoire de souffrance, de vengeance ou bien de secours. Il fallait gagner du temps, laisser ceux que ma sœur de cœur avait libéré, s'enfuir loin d'ici. Mais je ne pouvais pas gagner du temps dans cet état.
Malgré la souffrance de mes articulations et ma fatigue grandissante face à la perte de mon sang, j'entonnais une prière silencieuse pour essayer de capter le pouvoir de mon Esprit-Lié. Je n'étais sûrement pas digne d'un tel pouvoir, combien de fois m'avais t'il aidé déjà ? Toutes mes prières ne valait pas ce qu'il me donnait en échange.

Je fermais mes yeux, ciblant mon esprit vers la voix de la guérison, en ignorant ce qu'il pouvait bien se passer autour. L'odeur de quelques plantes se firent alors sentir au plus profond de moi. Le son de petites graines s'entrechoquant les unes contre les autres.
Lorsque je réouvris les yeux, la douleur s'était dissipée. On voyait une vilaine croûte de sang séché recouverte par un cataplasme verdâtre sous forme de plâtre cicatrisant. Je chassais une ou deux larmes de reconnaissances en replongeant dans la dure réalité qu'il se passait autour de moi. Tout contre moi, se tenait celui qui portait en lui tout le mal de notre peuple. Celui qui pense avoir la responsabilité et le pouvoir de tout contrôler. Aujourd'hui, il apprendrait que personne n'est assez fort pour se croire plus haut que les autres.

L'espoir qui m'avait pour la première fois quitté était revenu à la charge en même temps que le pouvoir du Raton-laveur était venu à moi. Lorsque Nyana s'élança les crocs en avant, le doute s'envola en mille éclats. Tout bascula alors à la vitesse de l'éclair. Des esclaves réussirent à s'enfuir, d'autres avaient une telle rage qu'ils se jetaient également sur les pirates de la Confrérie. De mon côté, je roulais sur le côté en appréhendant la douleur qui était moindre comparée à ce que je pouvais avoir ressentis quelques secondes auparavant. Boitillante, j'évitais un coup en plaçant mes pattes sur mon visage. Ouvrant grand les yeux en voyant un gräarh se jeter sur mon malfaiteur , mes yeux se portèrent sur le dit attendrisseur de viande encore maculé de mon sang. Les membres tremblants, j'évitais un nouveau coup en me projetant au sol avant de ramper vers l'objet de torture. Nyana m'aurait sûrement hurler de fuir. Qu'allait-elle encore dire si nous nous échappions vivante de cette bataille ?

Saisissant l'attendrisseur, je feulais fortement en sentant une main agripper l'une de mes pattes arrières.  Bouffant de la terre au passage, je me retournais difficilement avant de voir un corps saisir cette fois-ci ma queue pour me tirer violemment contre lui. Mon regard brouillée distingua malgré le chaos le gräarh cannibale qui avait bien faillit me cuir et servir en plat de résistance aux autres. Poussant un rugissement féroce, je jetais de toute mes forces l'attendrisseur sur le visage de ce Tish qui avait saisit mon coup et rapprochait ses crocs de mon front. Sans regarder si j'avais réussis au moins à lui déboîter la mâchoire je prenais une grande goulée d'air, avant de m'extirper de ce foutoir en gémissant tout en cherchant d'un œil paniqué ma sœur.

- Nyana ! Feulais-je sans la trouver.

Il fallait partir. Maintenant et tout de suite. Nous n'avions pas fait tout cela pour rien. Voyant une femelle esclave essayer de s'enfuir, je me précipitais vers elle aussi vite que je le pouvais pour lui porter secours. L’attrapant par la taille pour la soutenir, je quittais le champ de bataille , le pelage rouge et poisseux. Ils paieront. Ils le paieront tous un jour.

¤ Mangeur d’espoir ¤

Le masque était tombé et l’elfe sombre révélait à la graärh qu’il maltraitait son vrai visage. Il n’était pas un serviteur du roi de la confrérie, il était le roi de la confrérie. Les paroles, que le gredin avait hurlées dans le campement, résonnaient encore dans l’air comme une sombre menace. À celles-ci vinrent se mêler les cris de douleur de Reynagane. Ici, en sa présence, il n’y avait point d’espoir. Les félins allaient devoir le comprendre. Plus tôt ils l’accepteraient, plus facile se serait pour eux. Ils avaient le choix après tout : le rejoindre, vivre en esclave docile, ou vivre un enfer. Très vite, l’objet de Nathaniel fut atteint. Un autre intrus se présenta à lui, attiré par les hurlements de douleur de sa complice. Le gredin ne pouvait pas rester de marbre face au courage, ou bien la folie, de celle qui se prénommait Nyana. Elle avait infiltré un campement de pirate, et elle se présentait face à lui. Aussi, pour la récompense, l’elfe sombre lui laissa le choix en jetant à ses pieds l’arme avec laquelle il avait meurtri sa complice. Une nouvelle vie s’offrait à elle, sa lutte pouvait prendre fin, le roi de la confrérie lui offrait d’aspirer à de meilleurs jours, des jours où les pirates ne seraient pas ses ennemis. Car oui, le meilleur moyen de ne pas subir les affres de la confrérie, c’est encore de travailler avec elle. Tenant toujours fermement Reynagane d’une main, le gredin attendait la réponse de la nouvelle arrivante. Cette dernière se pencha pour ramasser l’attendrisseur à viande et fit quelques pas alors que la pluie commençait à tomber sous les manigances de Nathaniel.

« Nous ne sommes pas des animaux … »

Le visage du gredin changea, troquant la malice qu’on pouvait y lire pour une déception palpable. Lentement, l’elfe commença à faire bouger ses doigts, venant étendre son pouvoir sur l’eau tombant du ciel. Nyana finit de proférer quelques paroles inspirantes avant de se retourner vers le gredin. Celle-ci se jeta sur lui avec toute la rapidité que pouvait lui offrir sa race, mêler à celle de l’esprit-lié du guépard qui la protégeait. Reynagane profita de la situation pour se débattre, perturbant quelque l’attention du gredin alors que sa consœur jetait en sa direction l’attendrisseur à viande. Nathaniel eut tout juste le temps de balancer devant lui sa main gauche pour parer la course de l’objet. Celui-ci entra en collision violente avec sa prothèse magique qui le repoussa. Malheureusement le choc vint défaire les attaches de cette dernière et tomba du bras du gredin qui n’eut pas le temps de s’en préoccuper se retrouvant aux prises avec une féline enragée qui lui bondissait dessus.

L’elfe sombre bascula en arrière et les griffes de la graärh au-dessus de lui commencèrent à l’assaillir. Usant de sa seule force pour maintenir celle dont la fourrure lui servirait bientôt à la confection de nouvelles pantoufles, il s’assura de ne pas recevoir de blessures de nature à le mettre en danger. Finissant d’étendre son contrôle sur l’eau alentour, il vint réunir celle-ci pour lui donner la forme d’une multitude d’aiguilles. Puis jouant sur la pression il vint les envoyer dans le dos de son adversaire au-dessus de lui. Une averse meurtrière vint s’abattre sur Nyana. N’ayant pas de vue directe, l’elfe sombre ne la frappa pas avec précision, mais là n’était pas ce qu’il recherchait. Profitant des premiers impacts, Nathaniel assena un coup de genou suivi d’un coup de pied pour la repousser. Enchainant avec une roulade arrière et une petite pirouette, le roi des pirates se retrouva à nouveau debout.

Sourire aux lèvres, le gredin vint lécher le sang coulant le long de sa joue. Une nouvelle cicatrice à ajouter à sa collection ?

Des grognements attirèrent son attention. Certains esclaves avaient été libérés et venaient s’en prendre aux pirates. Sans nul doute qu’il cherchait là à faire une diversion pour permettre au plus faible de fuir. Inspirant, la pluie cessa de s’abattre une fraction de seconde, comme si toute l’eau se retrouvait soudainement bloquée en l’air. Tel un éclair, la voix de Nathaniel tonna.

« LÂCHEZ LES CHIENS ! »

Aux bruits du combat s’invita très vite celui d’aboiements de molosses furieux.

« Votre rébellion est futile ! Là où je me tiens, nulle lueur d’espoir ne luit pour mes proies ! »

Reportant ensuite son attention sur la féline effrontée, le forban usa une fois de plus des dons de l’orque pour faire bouger les flaques d’eau se formant au sol pour la faire glisser et le tirer vers lui. Attirant au passage sang et morceaux de fourrure que les précédentes aiguilles avaient pu lui arracher.

C’est ce moment que choisit un graärh pour se jeter sur le forban, tout en hurlant Nyana.

« Fuis pendant que je le retiens ! On ne pourra pas tous leur échapper, mais si au moins l’un d’entre nous y parvient, ce sera une victoire. »

Une gerbe de sang s’échappa du félin venu s’interposer. Nathaniel avait fait jaillir de sa main une dague en ivoire de narval, lui plantant dans le ventre.

« Il n’y a pas de victoire pour ton peuple. Je répandrais tes entrailles sur le sol et forcerais cette graärh à les bouffer pendant que tu te videras de ton sang ! »

¤ Fin de bataille ¤

Les sombres menaces de Nathaniel sifflaient entre ses dents aussi assurément que le venin entre les crocs d’un serpent. Mêlant les paroles aux gestes, l’elfe sombre commençait sans attendre à bouger la dague qu’il venait de planter dans le ventre de son assaillant, insufflant en elle la magie de son esprit-lié pour la couvrir d’énergie. Et comme s’il s’agissait d’un simple brin d’herbe, l’elfe sombre vint lui ouvrir panse et déverser sur le sol son sang et ses entrailles. Maculé de ce liquide carmin, le gredin donna un coup de pied ferme pour le repousser avant de venir faire rouler sa dague entre ses doigts et s’apprêter à s’en servir comme d’un couteau de lancer. Malheureusement, il n’eut pas l’occasion de jeter quoi que ce soit, car il se retrouva à devoir réceptionner un molosse. L’animal couina sous le choc alors que le pirate se retrouvait mis au sol. Soudainement, de manière incontrôlable, quelque chose se mit à monter au sein du pirate, comme un frisson mais en chaud qui vint parcourir sa colonne vertébrale. Etait-ce du sang ? La douleur de se retrouver au sol ? L’agacement croissant de cette journée ? Il y avait sans doute un petit peu de tout cela, mais il y avait également autre chose. Ce qui était en train de croitre au sein du forban était de l’ordre magique. Et comme s’il semblait la commander, cette dernière vint répondre à son attention lorsqu’il se mit à pester et à vouloir, non à penser vouloir repousser la bête sur lui. Un choc magique se produisit, très peu puissant, mais suffisant pour pousser la bête sur le côté sans qu’il n’ait besoin de le faire physiquement. Bien trop occupé par l’instant présent, Nathaniel ne réagit pas immédiatement à ce qu’il venait de se produire. Au contraire il se releva dans l’instant pour chercher son adversaire. Malheureusement, sa cible avait déjà pris la poudre d’escampette en emportant son sauveur avec lui. Idiotie que cela, elle s’encombrait d’un poids mort, elle aurait mieux fait de l’abandonner plutôt que de chercher à l’honorer. Une fois encore la voix du gredin tonna dans le camp.

« Rattrapez-moi les fuyards, mort au vif, et ramenez-moi l’ordre dans ce camp où je vous pends par les parties ! »

Une bonne partie de la nuit, les aboiements de chiens, les crics des hommes et plaintes des graärh résonnèrent dans l’air jusqu’à ce que le calme ne s’abatte à nouveau. On comptait quelques pertes, des blessés, ainsi que des évadés. Nathaniel était en train de laver ses vêtements à grandes eaux pour commencer à chasser le sang qui les maculait pendant qu’on lui faisait le rapport de l’incident. L’un de ses hommes lui conseilla d’envoyer des troupes à la poursuite des rescapés et plus particulièrement des deux infiltrés ayant causé tant de bazars. L’elfe sombre était tenté d’accepter, mais il avait une meilleure idée. Retournant sur la place qui avait vu son affrontement avec la féline au pelage sombre, le gredin chercha sur le sol l’objet de son désir. Il mit un petit peu de temps à le trouver, mais finit par sortir du sang et des viscères des fragments du pelage de son ennemi. Sombre et épais. Lavant ses derniers, le gredin s’en retourna vers son navire, tout en indiquant en chemin.

« Que l’on se concentre sur la protection du camp et qu’on prépare le chargement des esclaves. Hâtons-nous de rapporter à Althaïa notre prise avant que d’autres graärh aient l’idée de nous tenir tête. Ils paieront pour cela, comme ils paieront pour Athgalan. »

Sans en dire plus, l’elfe sombre arriva à son bâtiment et y entrant, vint gagner sa cabine. Là, il avait besoin de tout ce qu’il fallait. Il commença par poser sur son bureau les poupées qu’il avait ensorcelées à l’aide de la bourre de la féline aux traits de guépard. Araignée et Raton-laveur faisaient désormais partie de sa collection. Puis, ouvrant le deuxième tiroir de gauche en partant du bas, il sortit un petit coffret métallique contenant tout le nécessaire à son rituel impie. Sans attendre, il s’évertua à l’élaborer deux poupées supplémentaires avant d’insérer en elles les fragments de fourrure de la graärh aux traits de panthère noire qu’il avait pu lui arracher durant leur bref affrontement. Ainsi Guépard et Salamandre se joignirent à son palmarès.

Il aurait tout le temps à l’avenir de personnaliser ces poupées de chiffon pour qu’elles collent aux traits des personnes auxquelles elles étaient liées, mais sur l’heure, l’elfe sombre avait un message à faire passer. En prenant une liée à chacune des deux félines, le gredin se présenta devant le grand miroir décorant sa cabine. Là, un visage carnassier aux lèvres, il laissa sa funeste magie imprégner les deux objets en récitant quelques paroles elfiques. On ne sortait jamais totalement indemne d’une rencontre avec le capitaine Earendil.