20 Mai 1764, Nuit
La nuit avait toujours entretenu une relation de “Je t’aime, moi non plus” avec le futur Empereur de Selenia. A la fois douce et tranquille, permettant de s’allonger gentiment et de trouver un repos nécessaire à la vie du vieil humain ...
Mais aussi terriblement stressante, culpabilisante, pour Claudius, qui n’avait eu de cesse de s’agiter dernièrement. C’était d’abord les réunions improvisées dans son bureau, au Palais de ce qui fut autrefois la Majestueuse, pour organiser “l’opération triomphe”, afin de destituer la couronne Kohan. C’était aussi les petits regards avant de dormir, les réveils toutes les heures, de peur qu’un assassin Elusis ne vienne lui prendre sa vie ou sa famille.
Mais aussi et surtout un effroyable sentiment de culpabilité, car là où lui et toutes les armées humaines devaient prendre du repos, au contraire, c’était les plans des vampires qui prenaient vie. Les époux Elusis et leurs cortèges mortels. Les Dragons, Les Pirates, Le Marché Noir, et tout ce qui pouvait mordre jusqu’au dernier petit bout de chair de cet Empire en état de décomposition, auquel le Havremont était plus que tout accroché là où même les têtes couronnées avaient perdus espoir, et avaient rejoindre l’autre côté.
Comment pouvait-il en vouloir à Nolan, ou Victoria ? Après tout, la richesse, la sécurité, la grande famille … C’était triste à dire, mais en se faisant vampiriser, ces deux-là ont eu sûrement un destin plus enviable à ceux de nombreux Séléniens.
Claudius soupira. Ce soir-là, il était seul sur le balcon de son Palais, dominant ce qui serait une grande place une fois les travaux de l’Imbrûlée terminée. Il avait quitté son lit discrètement sans réveiller sa femme, pour méditer.
Demain serait une grande journée, il le savait.
Envers et contre tout, et aussi invraisemblable que cela était, ils avaient effectivement triomphé. Mais au fond de lui, Le Havremont savait que ce n’était pas terminé. Ce temps de paix était aussi fragile que du bois devant un grand brasier. Là-bas, loin sur Nyn-Tiamat, l’opposition reprenait des forces, il le savait. Il ne connaissait que trop bien Aldaron pour savoir qu’il n’allait pas en rester là.
Mais si une nouvelle guerre totale devait advenir entre les peuples ? Tous couraient à un conflit qui allait probablement dévasté cet archipel, qui se rebellait déjà suffisamment contre les peuples qui s’y étaient installés.
Le Havremont savait qu’il allait devoir empêcher cela à tout prix, quitte à risquer sa vie, encore.
Claudius soupira et se releva de son fauteuil, marchant vers l’intérieur du palais. Il ne devait pas penser à cela, lui qui aurait droit à tous les honneurs demain ne pouvait se montrer faible. Les mots de son père lui revint : “Les Chefs, Les Empereurs, ne doivent pas être hésitants. Ils se doivent d’être un phare dans la brume, guidant le peuple.”
Le Havremont eut un petit sourire. Ses parents, là où ils étaient, devaient probablement être très fier de leur fils. Lui qui avait juré de mener une vie pour servir l’Empire, allait désormais incarner son Gardien pour cette vie, et toutes celles à venir.
21 Mai 1764, Matin
Marcher à l’intérieur du Palais Impérial fraîchement construit ce matin avait une saveur toute particulière. C’était un véritable microcosme qui vivait là, et aujourd’hui tout s’agitait comme dans une fourmilière. Quand il pouvait sortir la tête de quelques préparatifs, Claudius constatait avec un amusement non dissimulé tout le balais des serviteurs, soldats, et membres de sa famille qui préparaient la grande cérémonie du Sacre, qui allait se tenir dans la journée.
Le Havremont s’était montré particulièrement insistant quant à celle-ci : bien qu’officiellement Claudius ait été choisi comme dirigeant de Selenia dès la bataille des cendres terminée, il fallait envoyer au peuple un message fort. Au peuple, mais aussi aux puissances étrangères qui pouvaient potentiellement avoir des yeux et des oreilles en Selenia pour regarder cette cérémonie.
Même si l’État n’était pas au beau fixe de sa forme, il fallait montrer qu’aujourd’hui, on ferait table rase avec ce qui s’était produit depuis l’arrivée sur l’archipel. Que L’Empire déchu en Royaume n’était plus, voir qu’il n’avait jamais existé. Que toute la puissance de Selenia, et de son peuple, pouvait encore se montrer.
Que cette journée soit un moment de fête pour chaque personne vivant dans cet Empire, qui avait été trahi, bafoué, pillé, lacéré, trop de fois jusqu’à lors.
Alors ce jour était peut-être un jour de dépense pour un Empire qui n’en avait pas besoin, mais cette cérémonie allait être maintenue. Claudius avait bien fait en sorte d’inviter toutes les personnalités notables de l’Empire encore en vie, mais évidemment aussi toute sa famille, et tous les alliés qui l’avaient aidé de prêt comme de loin à obtenir cette victoire si cruciale.
S’était ajouté à cette petite masse de personnes, le peuple Sélénien. En effet, les hérauts n’avaient pas tardé à transmettre la nouvelle une fois celle-ci connue : le 21 mai, l’Empire allait avoir droit à un Sacre comme il n’en avait plus eu depuis quelques années déjà. Ce peuple, bien que fatigué avait répondu en nombre, et n’avait pas tardé à faire le déplacement pour assister aux festivités promises par leur dirigeant.
Du beau monde en somme. Afin de rendre cette cérémonie visible par tous, le futur Empereur de Selenia avait décidé de l’organiser en extérieur, sur le parvis du Palais qui avait un suffisamment grand espace pour y accueillir un grand nombre de personnes. L’organisation avait été finement étudiée, et l’on avait réparti les différents espaces pour séparer invités de marques et autres proches de la future couronne, du simple petit peuple. C’était là une classification naturelle qui faisait en sorte que chacun puisse se mouvoir, et se distinguer par leurs efforts quant à l’établissement de ce nouveau régime.
L’organisation avait fait en sorte que le peuple soit réparti en demi-cercle, autour d’un promontoire en bois installé là, où se tiendrait la suite des événements. Seulement, à ce tableau en construction, il manquait la pièce maîtresse.
Alors que chacun finissait de s’installer, les deux grandes portes du palais vinrent s’ouvrir, laissant place à une grande salle, où les plus proches pouvaient distinguer l’architecture audacieuse qui la composait.
Illustration :
De cette salle, on y vit sortir un grand homme, paré d’une longue cape rouge carmin, et d’une armure dorée. Une armure d’apparat, qui n’avait plus servi depuis un certain temps : l’armure familiale des Havremont. Le futur Empereur des Hommes sortit d’un pas méthodique, étudié, sous les applaudissements fournis de la population.
D’un grand sourire, il salua au loin le peuple, son peuple, venu l’acclamer. Puis une fois plus proche du cercle, Claudius s’approcha pour prendre un bain de foule, et saluer ses plus proches soutiens qui avaient fait le déplacement pour lui.