4 mai 1764, à l’aube
Elle ne s’était pas exactement attendue à ce que les funérailles se passent dans le plus grand calme et le respect absolu. Ce dernier point était, par ailleurs, discutable puisque les vampires avaient bien respecté l’événement. Ils s’étaient simplement contenté d’attendre sa fin pour s’engouffrer dans la brèche et lâcher la bride à leur brutalité. Il n’y avait rien à leur reprocher et Liz préférait ne pas bénéficier d’un traitement de faveur qui pourrait bien l’abriter de la réalité. On pouvait dire, sans se tromper, qu’elle avait eu un baptême du feu - ah ! pas mal pour une incinération… - plutôt particulier, un début sans douceur dans une vie qui en manquerait certainement, de toute façon.
La faim dévorante qui l’avait habitée durant l’intégralité de l’événement l’avait ravagée, mettant à mal un contrôle bien fragile qu’elle avait à peine commencé à avoir. Ça avait été un exercice intéressant, pour rester polie. Un exercice qui l’avait laissée épuisée, comme fragile. Elle avait l’impression d’être un bout de corde qu’on aurait effilé au couteau jusqu’à n’en laisser que quelques brins, tendu sous la tension de maintenir les deux extrémités ensembles.
Elle avait besoin de Liv.
Si Liz avait bien appris une chose depuis son éveil, c’était bien combien la vie était plus facile lorsque son frère était avec elle. La nouvelle née se sentait alors un peu moins fine, un peu moins sur le point de se briser. A cet instant précis, une brise un peu plus forte aurait pu la balayer et la disperser dans le vent, ne laissant rien derrière elle.
Peut-être ressentait-il le même besoin qu’elle. Pour l’heure, cependant, elle savait qu’il se trouvait aux écuries, certainement occupé à câliner sa jument.
Liz n’était pas certaine de savoir si s’exposer à nouveau à l’extérieur était une bonne idée. Les funérailles terminées, elle s’était réfugiée dans un bain qu’elle avait fait préparer dès son entrée dans la maison familiale. Un bain chaud, parfumé de préférence, avec tous les outils nécessaires pour nettoyer sa peau de toutes traces. Le sang, l’affrontement, la mort, rien de tout cela ne lui posait problème.
Elle ne pouvait en dire autant de la détresse qu’elle avait deviné chez son frère, son Inséparable, celui qu’elle protégerait de tout, envers et contre tout, mais comment le protéger contre le souvenir d’un mort ? Comment le protéger d’une peine qu’elle ne pouvait partager que dans une moindre limite, elle qui n’avait même pas eu le temps de connaître son père ? Liz c’était surtout concentrée sur l’odeur de bois brûlé, l’odeur de feu qui s’était accrochée à ses vêtements et qu’elle ne pouvait pas ignorer. Elle se trouvait toujours dans l’air, c’était inévitable, mais au moins la nouvelle née ne se déplaçait-elle pas en portant sur elle les traces de ce à quoi elle avait assisté.
Toutes ces raisons faisaient qu’elle se tenait actuellement face à la porte de sa chambre. Finement habillée, avec distinction mais moins de prétention qu’elle ne l’aurait fait en temps normal, elle considérait la poignée de sa porte avec conflit. Sa faim n’était, en théorie, qu’un mauvais souvenir qu’elle avait assouvi aussi vite que possible et à la première occasion. Elle pouvait cependant toujours en sentir les effets brutaux sur son corps, pouvait sentir les résidus la hanter. Liz avait besoin de sortir de sa chambre, de quitter la maison et de s’éloigner des potentielles proies qui en parcouraient les couloirs, elle qui avait déjà senti un domestique humain passer à sa portée et n’avait pu s’empêcher de le suivre avec une l’attention appuyée du prédateur. Retrouver Liv semblait être l’option la plus sûre et la plus efficace de s’échapper de cette prison qui n’en était pas une.
Carrant les épaules et prenant une profonde - et inutile - inspiration, Liz s’empara de la poignée de la porte, l’actionna et, avant d’avoir pu changer d’avis, s’engouffra dans le couloir. L’odeur de la proie était plus forte. Son visage se ferma tandis qu’elle carapaçonnait sa résolution jusqu’à en faire une froide détermination. Si elle avait suivi la trace olfactive, elle serait sortie plus vite mais elle décida d’aller dans l’autre sens, de peur de perdre le contrôle, d’accélérer le pas et de retrouver la créature dont le sang appelait à ses sens.
Se déplaçant à un rythme rapide, elle s’arrangea pour ne croiser le chemin de personne et parvint jusqu’à la porte qui donnait sur la cour de la maison. C’était un grand bâtiment et la cour, à la hauteur du reste de la bâtisse, offrait un espace ouvert et un changement d’air plus que bienvenu pour la vampire.
L’odeur de feu, de bûcher, continuait de s’accrocher à l’air mais il était également lavé entièrement de l’odeur de sang chaud. Il était frais et propre, autant que faire se pouvait, et l’absence soudaine de porte lui permit de se détendre quelque peu.
Liz, s’habituant encore à son nom et à quel point il était à la fois étranger et familier, s’immobilisa à quelques pas de l’entrée et ferma les yeux. Elle avait assez confiance pour ne pas s’inquiéter d’une attaque, assez d’assurance pour être persuadée de pouvoir se défendre en cas de besoin, assez jeune pour le croire.
Inspirant une nouvelle fois un air cette fois dépourvu d’odeurs alléchantes, Liz baissa les yeux sur sa tenue et ajusta les plis imaginaires qui s’étaient glissés ici et là. L’écurie se trouvait un peu plus loin, nul besoin de connaître les lieux pour en être assurée.
Liv se trouvait là-bas et s’il ne s’agissait pas des écuries, eh bien elle découvrirait une nouvelle partie des lieux. Sa vie n’était qu’un enchaînement de découvertes, certaines moins plaisantes que d’autres. Ses longs doigts fins se replièrent doucement, comme s’ils se refermaient sur la poignée d’une épée et elle laissa un sourire fin étirer ses lèvres. Oui, vraiment, des découvertes parfois intéressantes qui lui permettaient d’en apprendre toujours un peu plus sur elle-même.