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4 mai 1764, à l’aube

Elle ne s’était pas exactement attendue à ce que les funérailles se passent dans le plus grand calme et le respect absolu. Ce dernier point était, par ailleurs, discutable puisque les vampires avaient bien respecté l’événement. Ils s’étaient simplement contenté d’attendre sa fin pour s’engouffrer dans la brèche et lâcher la bride à leur brutalité. Il n’y avait rien à leur reprocher et Liz préférait ne pas bénéficier d’un traitement de faveur qui pourrait bien l’abriter de la réalité. On pouvait dire, sans se tromper, qu’elle avait eu un baptême du feu - ah ! pas mal pour une incinération… - plutôt particulier, un début sans douceur dans une vie qui en manquerait certainement, de toute façon.
La faim dévorante qui l’avait habitée durant l’intégralité de l’événement l’avait ravagée, mettant à mal un contrôle bien fragile qu’elle avait à peine commencé à avoir. Ça avait été un exercice intéressant, pour rester polie. Un exercice qui l’avait laissée épuisée, comme fragile. Elle avait l’impression d’être un bout de corde qu’on aurait effilé au couteau jusqu’à n’en laisser que quelques brins, tendu sous la tension de maintenir les deux extrémités ensembles.

Elle avait besoin de Liv.

Si Liz avait bien appris une chose depuis son éveil, c’était bien combien la vie était plus facile lorsque son frère était avec elle. La nouvelle née se sentait alors un peu moins fine, un peu moins sur le point de se briser. A cet instant précis, une brise un peu plus forte aurait pu la balayer et la disperser dans le vent, ne laissant rien derrière elle.
Peut-être ressentait-il le même besoin qu’elle. Pour l’heure, cependant, elle savait qu’il se trouvait aux écuries, certainement occupé à câliner sa jument.

Liz n’était pas certaine de savoir si s’exposer à nouveau à l’extérieur était une bonne idée. Les funérailles terminées, elle s’était réfugiée dans un bain qu’elle avait fait préparer dès son entrée dans la maison familiale. Un bain chaud, parfumé de préférence, avec tous les outils nécessaires pour nettoyer sa peau de toutes traces. Le sang, l’affrontement, la mort, rien de tout cela ne lui posait problème.
Elle ne pouvait en dire autant de la détresse qu’elle avait deviné chez son frère, son Inséparable, celui qu’elle protégerait de tout, envers et contre tout, mais comment le protéger contre le souvenir d’un mort ? Comment le protéger d’une peine qu’elle ne pouvait partager que dans une moindre limite, elle qui n’avait même pas eu le temps de connaître son père ? Liz c’était surtout concentrée sur l’odeur de bois brûlé, l’odeur de feu qui s’était accrochée à ses vêtements et qu’elle ne pouvait pas ignorer. Elle se trouvait toujours dans l’air, c’était inévitable, mais au moins la nouvelle née ne se déplaçait-elle pas en portant sur elle les traces de ce à quoi elle avait assisté.

Toutes ces raisons faisaient qu’elle se tenait actuellement face à la porte de sa chambre. Finement habillée, avec distinction mais moins de prétention qu’elle ne l’aurait fait en temps normal, elle considérait la poignée de sa porte avec conflit. Sa faim n’était, en théorie, qu’un mauvais souvenir qu’elle avait assouvi aussi vite que possible et à la première occasion. Elle pouvait cependant toujours en sentir les effets brutaux sur son corps, pouvait sentir les résidus la hanter. Liz avait besoin de sortir de sa chambre, de quitter la maison et de s’éloigner des potentielles proies qui en parcouraient les couloirs, elle qui avait déjà senti un domestique humain passer à sa portée et n’avait pu s’empêcher de le suivre avec une l’attention appuyée du prédateur. Retrouver Liv semblait être l’option la plus sûre et la plus efficace de s’échapper de cette prison qui n’en était pas une.

Carrant les épaules et prenant une profonde - et inutile - inspiration, Liz s’empara de la poignée de la porte, l’actionna et, avant d’avoir pu changer d’avis, s’engouffra dans le couloir. L’odeur de la proie était plus forte. Son visage se ferma tandis qu’elle carapaçonnait sa résolution jusqu’à en faire une froide détermination. Si elle avait suivi la trace olfactive, elle serait sortie plus vite mais elle décida d’aller dans l’autre sens, de peur de perdre le contrôle, d’accélérer le pas et de retrouver la créature dont le sang appelait à ses sens.
Se déplaçant à un rythme rapide, elle s’arrangea pour ne croiser le chemin de personne et parvint jusqu’à la porte qui donnait sur la cour de la maison. C’était un grand bâtiment et la cour, à la hauteur du reste de la bâtisse, offrait un espace ouvert et un changement d’air plus que bienvenu pour la vampire.
L’odeur de feu, de bûcher, continuait de s’accrocher à l’air mais il était également lavé entièrement de l’odeur de sang chaud. Il était frais et propre, autant que faire se pouvait, et l’absence soudaine de porte lui permit de se détendre quelque peu.

Liz, s’habituant encore à son nom et à quel point il était à la fois étranger et familier, s’immobilisa à quelques pas de l’entrée et ferma les yeux. Elle avait assez confiance pour ne pas s’inquiéter d’une attaque, assez d’assurance pour être persuadée de pouvoir se défendre en cas de besoin, assez jeune pour le croire.
Inspirant une nouvelle fois un air cette fois dépourvu d’odeurs alléchantes, Liz baissa les yeux sur sa tenue et ajusta les plis imaginaires qui s’étaient glissés ici et là. L’écurie se trouvait un peu plus loin, nul besoin de connaître les lieux pour en être assurée.

Liv se trouvait là-bas et s’il ne s’agissait pas des écuries, eh bien elle découvrirait une nouvelle partie des lieux. Sa vie n’était qu’un enchaînement de découvertes, certaines moins plaisantes que d’autres. Ses longs doigts fins se replièrent doucement, comme s’ils se refermaient sur la poignée d’une épée et elle laissa un sourire fin étirer ses lèvres. Oui, vraiment, des découvertes parfois intéressantes qui lui permettaient d’en apprendre toujours un peu plus sur elle-même.

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Ces deux derniers jours ne lui avaient paru que chaos. Feu et sang avaient jalonné leur chemin ces dernières heures. Tout ne semblait plus que cendres et terre jusqu’à lui laisser ce goût amer en son coeur. Non seulement les événements s’enchainaient dans un maelstrom incontrôlable, mais il avait en outre dû faire de nombreuses allées et venues entre le palais paternel et la Vagabonde, entre sa femme, ainsi que ses frères et sœurs, ici présents, et son enfant, resté sur le bateau pour éviter d’éventer le secret de son existence… Il bénissait alors la présence de sa fidèle Olorëa qui lui permettait de se téléporter plus vite sur la Vagabonde, ou sa pierre de voyage des anciens, pour laquelle il avait apposé un sceau au sein du palais de son père pour s’y rendre plus rapidement.

Mais tout se bousculait avec férocité, et Violence les lacérait avec détermination pour mieux leur arracher les lambeaux de leur âme. La veille, alors que sa femme semblait en proie à un état de choc inégalé, il n’avait pu rester à ses côtés. Non seulement parce qu’il avait senti comme un besoin irrépressible et impérieux de solitude en elle, et qu’il avait vu ensuite Aldaron la rejoindre, mais aussi parce qu’une urgence l’avait rappelé auprès de son fils, que rien ne semblait calmer. Choisir entre les deux avait été pour l’althaïen un crève-coeur. Mais l’enfant avait besoin du soutien et de l’amour de son père. Sa femme avait trouvé une épaule qui pourrait sans doute mieux la comprendre que lui-même à ce moment-là… Il n’avait pas manqué d’aller la retrouver plus tard ensuite, bien sûr, dès qu’il avait réussi à rassurer l’enfant, et qu’il s’était assuré qu’il serait en sécurité et plus apaisé pour le laisser de nouveau sous bonne garde. Il était resté auprès d’elle le restant de la nuit. Même si sa présence n’était peut-être en rien rassurante pour sa femme éprouvée.  

Lui-même avait peine encore à se remettre du geste qu’il avait commis. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’il tuait un homme. Mais jusque-là il avait tué par intermédiaire, par ordre, ou par les conséquences de ses décisions… ou encore par le poison, traitre, mais fidèle arme de sa famille d’Althaïa. C’était la première fois qu’il tuait quelqu’un de ses propres mains. Ou plutôt de ses propres armes. La première fois aussi qu’il tuait un vampire… Il s’imaginait déjà Delimar l’acclamer pour un tel exploit, tout en se montrant dépitée qu’il l’ait accompli pour le nouveau Prince Noir des vampires et non pour sa propre cité… Lui qui avait manqué Dalis de son javelot de glace, ne pouvant pas même se targuer de cet exploit de tueur vampirique en bon délimarien lors du combat des chimères, il venait de décapiter un enfant de la nuit pour son père lors de son aènement. Oui, sa cité aurait de quoi être bien dépitée, si elle l’apprenait. Il se révélait un piètre guerrier pour elle, mais parvenait à dépasser ses limites pour sa famille de sang et de crocs…

Sur ses pensées, il jeta un dernier regard à l’aube naissante par la fenêtre, puis décida de se lever, le plus précautionneusement possible pour ne pas gêner sa femme. Il préférait la laisser se reposer, elle en avait grand besoin. Il lui offrit toutefois un fugace mais tendre baiser sur la tempe, en espérant ne pas la réveiller, puis passa dans la salle des ablutions. Il rencontra soudain son reflet dans le miroir. Un court instant, il lui sembla revoir ce sang noir qui avait maculé son visage alors. Un court instant, fugaces secondes volées au cours du temps, qui fuit bien vite. Mais qui marqua son esprit de son âpre sceau. Le sceau de la culpabilité, le sceau de la peine aussi. Qu’était-il devenu ? Ou… qu’est-ce que ce monde l’obligeait à devenir ? Il n’aurait su dire. Il passa une main sur son visage, retraçant les reliquats imaginaires de ce sang noir, avant de finalement chasser ces néfastes souvenirs. Non, ce monde ne l’obligeait en rien. Il avait choisi. Et si son geste le hantait, il ne le regrettait en rien non plus. Il avait défendu sa vie et les siens. Point. Ainsi était ce nouveau chemin.

Ce n’était pas pour autant qu’il devait céder à l’appel du chaos. Il lui suffisait de retrouver… un juste équilibre. Il songea soudain à la belle dragonne rose, et cette pensée suffit à lui insuffler un peu de chaleur, de cette chaleur rassurante et rassérénante, qui lui avait tant manquée. Une brise de paix souffla sur son esprit et l’aida à recouvrer toute sa maitrise. Son calme intérieur, même si encore fragile et précaire. Oui, tout n’était qu’une question d’équilibre…

C’est ainsi, fort de cette conviction, qu’il sortit de leur pièce attitrée. Il s’empressa alors de prendre des nouvelles de son fils. Tout allait bien, lui disait-on. Il prévint qu’il viendrait le voir dans une petite heure. Il préférait s’accorder encore quelques instants, à pratiquer sa danse méditative, afin de renforcer le calme vacillant qui s’installait laborieusement en lui. Il en aurait besoin, pour ne pas infliger à son fils les afflictions de son âme. Ce petit être n’en avait nul besoin, il avait suffisamment vécu ses propres affres lui-même. Et sans doute aurait-il besoin de force également, aussi bien physique que psychique, pour apaiser les douleurs du petit.

Il se dirigeait vers la cour, assuré de ne trouver personne à cette heure-là. Assurance vite détrompée, quand son regard achoppa une fine silhouette qu’il connaissait bien. Drapée avec une sobriété qui ne lui ressemblait pas, mais tout en élégance qui raffermissait encore sa belle prestance, la jeune femme se tenait là devant l’entrée de la cour, dos à l’althaïen. Ilhan s’arrêta quelques instants et s’accorda ce court moment pour la détailler du regard. Tous deux n’avaient pas encore eu l’occasion de se voir en tête à tête. Trop dangereux, trop délicat, encore, lui avait-on dit. Et il pouvait aisément le croire. Il n’avait que brièvement connu la Faim vorace des vampires, mais il pouvait aisément se l’imaginer. Toutefois le destin semblait avoir décidé que l’heure des retrouvailles avait sonné pour tous deux. Il caressa sa pythie en un geste machinal, alors que ses orbes sombres scrutaient chaque détail. Il aperçut le geste de la jeune femme, comme enserrant un objet imaginaire de sa main d’apparence si fragile.

Il était conscient que ses battements de coeur avaient dû trahir sa présence depuis un moment à l’ouïe fine de la vampire, pour autant, aucun d’eux n’avait encore bougé. Ilhan scruta les alentours rapidement, s’assurant qu’ils étaient seuls. Et son ouïe et sa vision l’en assurèrent. Cette rencontre était placée sous le sceau de l’intimité. Sans doute aussi de celui du danger… mais sa vie, ces derniers temps, en était jonchée… Il choisit alors enfin de rompre lui-même ce silence qui flottait entre eux, et s’avança de quelques pas pour se poster à ses côtés. D'un port altier et noble, sans même qu'il ne s'en rende compte. Et à une distance respectueuse.

Étrangement ni peur ni appréhension ne le flagellaient. Peut-être était-ce là pure inconscience. Mais… Il savait avoir quelques armes pour pouvoir la maitriser un tant soit peu. Au pire, il pourrait toujours appeler son frère à l’aide, grâce à l’anneau. Non, nulle peur. Il savait qu’en ce lieu, il y avait un grand nombre de personnes aptes à lui venir en aide et à intervenir rapidement si besoin s'en faisait sentir.

L’aube nous offre ses timides rayons en cette nouvelle ère, souffla-t-il tout doucement, de ses accents chantants, son regard sombre pétillant tourné vers le ciel.

Nulle présentation. Il avait le sentiment qu’ils n’en avaient nul besoin. Après tout, ils s’étaient déjà quelque peu parlé… à travers l‘anneau. Elle reconnaitrait aisément sa voix. Et peut-être lui avait-on parlé de lui aussi...

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Le chant rythmique d’un battement de coeur à proximité fit légèrement incliner la tête à la nouvelle-née tandis qu’elle écoutait. C’était une chamade familière et étrangère à la fois. Elle l’avait déjà entendue auparavant. Elle n’avait pas ouvert les yeux depuis suffisamment longtemps pour avoir à fouiller une longue mémoire et elle replaça le son aux récents événements et elle se tendit imperceptiblement, son dos se raidissant légèrement tandis qu’elle relevait la tête dignement, sa posture droite et solennelle.
Au moins était-elle sûre qu’il ne s’agissait pas d’un vampire et n’avait, a priori, pas grand chose à craindre d’une quelconque tentative de représaille ou autre. Aldaron et les autres avaient mis à mal la révolte, il était presque certain que tout vampire souhaitant protester contre la prise de pouvoir du Prince Noir avait eu l’opportunité de s’exprimer et d’en mourir… ou de changer d’avis. Pour autant, elle doutait que de telles convictions, bien que tues, puissent disparaître d’un instant à l’autre, que ce changement soit motivé par une épée ou par la peur. La question ne se posait pas cependant, le corps qui approchait n’était pas mort et silencieux. Mais peut-être n’était-il pas seul.

Elle tendit l’oreille, se servant de sa tête haute pour inspirer doucement l’air, tentant de sentir si elle devait s’inquiéter de plus d’une personne mais le vent ne charriait rien d’utile ou de révélateur. Rien de bien différent à ce qu’elle avait pu sentir quelques instants plus tôt. Elle qui ne savait pas se servir d’une arme, pour autant qu’elle sache, elle regrettait de n’en avoir aucune à portée de main. Tout en sachant que tout usage lui serait probablement plus préjudiciable qu’autre chose. Elle risquait davantage de se blesser que de heurter quiconque. Trancher la tête d’une cible à genoux était définitivement plus “facile” que de se défendre face à un assaut réel.
En entendant l’inconnu.e s’approcher, Liz inclina légèrement la tête, son regard cherchant la silhouette approchante. La tension qui s’était nichée dans son corps ne s’apaisa pas tout à fait lorsqu’elle retrouva l’une des personnes présentes lors des funérailles. L’homme avait été attaqué, lui-même, s’était défendu et avait survécu. Cela seul lui indiquait qu’il faisait partie des soutiens d’Aldaron et c’était probablement la seule chose qui importait réellement. S’il avait été la cible d’attaque, il ne faisait assurément pas partie de ceux qui avaient courbés le genou dans l’unique but de survivre un autre jour.

Il s’arrêta à ses côtés et elle prit alors le temps de le détailler du regard. Il sentait… bon mais heureusement il n’était pas humain, ce qui rendait son odeur autrement plus supportable et moins alléchante qu’elle aurait pu l’être. Sa présence n’en tentait pas moins sa Faim. Rassasiée, elle ne devrait pas avoir trop de problème à se contenir mais Liz avait conscience d’à quel point cela n’avait rien à voir avec le fait d’être satisfaite. Elle pouvait bien être gorgée au point de craquer, la moindre odeur la ferait se lever pour en suivre la piste dans l’espoir de goûter. La nouvelle-née sera les lèvres et détourna le regard de la charmante silhouette, son regard retrouvant l’horizon qu’elle observa avec neutralité, le visage fermé. Elle se sentait à vif, les funérailles ne dataient que de quelques heures et elle avait dû être forte et résister, elle n’était pas certaine de pouvoir se contenir encore. Pas pour longtemps. Peut-être que si Liv les rejoignait, elle pourrait se servir de sa présence pour épaissir son armure et affermir sa résolution mais pour l’heure elle était seule.

Un test comme un autre, songea-t-elle avec irritation.

Elle croisa les bras tandis qu’ils observaient l’horizon dans un silence qu’elle considérait tendu mais toute la tension qu’elle habitait fondit brièvement lorsqu’il prit la parole. La voix était familière, autrement plus familière que son odeur et, malgré elle, les yeux de Liz s’écarquillèrent de surprise.
Son regard tomba sur l’anneau qui trônait à sa main et qu’elle avait déjà entrepris d’utiliser, se découvrant un but innocent et bien plus futile que bien de ses comportements depuis son réveil. Elle se rappelait, récemment, l’avoir réveillé au beau milieu de la nuit et s’il n’avait pas répondu avec l’intonation groggy, elle avait néanmoins perçu une once d’irritation qu’elle avait trouvé plus adorable et amusante qu’autre chose. Elle se détendit quelque peu, rassurée quant à la présence à ses côtés, et laissant un discret sourire étirer ses lèvres tandis qu’elle s’autorise enfin à procéder les mots qu’il a prononcé.

Liz hocha doucement la tête avant de hausser les épaules, s’autorisant une once de morgue à percer dans ses mots :

« L’ère est nouvelle depuis quelques jours déjà. Certains l’ignoraient seulement, » lâcha-t-elle tout en observant le ciel se parer de ses plus belles couleurs.

Elle se félicita d’avoir choisi une tenue dans les tons bleus, ceux-ci s’accordant parfaitement à ses cheveux mais également aux teintes chaudes qui coloraient le ciel à mesure que le soleil les gratifiait de sa présence.
Un petit sourire étira ses lèvres tandis qu’elle relâchait doucement sa posture, nouant ses mains derrière son dos dans une posture plus détendue mais digne néanmoins.

« Je prends note que l’aube est une heure suffisamment tardive pour te trouver éveillé, » dit-elle, une once de malice s’enroulant dans ses mots, les teintant d’une note plus joueuse que le ton presque froid qu’elle avait employé une seconde auparavant. Liz risqua un regard en coin à Ilhan sans cesser de sourire. « J’espère que tu ne me tiens pas rigueur de t’avoir réveillé lors de notre précédent échange ? »

Il était bon et rassurant de pouvoir mettre un visage sur la voix qu’elle avait entendue et découverte récemment. Une des rares personnes avec qui elle pouvait prétendre avoir un semblant de relation, malgré son éveil tout récent. Apaisant, également, de savoir qu’il faisait partie de ces gens qui soutenaient son père et non pas d’un éventuel ennemi qui aurait été partisan de la couronne humaine.
Elle résista à l’envie de se rapprocher d’un pas, jusqu’à ce que son épaule ne touche le bras… du non-humain. Liz jeta un regard aux oreilles d’Ilhan mais celles-ci étaient parfaitement rondes comme les siennes.

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Ilhan remarqua aussitôt le regard que la jeune femme coula sur l’anneau, quand il rompit enfin le silence. Ainsi le reconnaissait-elle au son de sa voix ? Un léger sourire ourla ses lèvres à cette pensée. S’ils ne s’étaient quasi jamais rencontrés en tête à tête, ils avaient pour autant échangé via son anneau unique. Même s’il n’avait pas toujours apprécié tous les échanges, surtout quand elle s’amusait à le réveiller en plein milieu de la nuit, elle fille des ombres quand lui avait besoin de dormir… Il ne lui en voulait pas pour autant. Loin de là. Il était suffisamment taquin lui-même pour savoir combien ce petit jeu avait pu être tentant pour une nouvelle née. Et il ne pouvait nier avoir aimer la saveur de ces petits intermèdes qu'elle lui avait offerts, aussi courts fussent-ils parfois. Il avait beau savoir qu’elle n’était plus Victoria, qu’elle ne lui était plus vraiment liée de la même façon, et plus encore qu’elle était devenue l’inséparable de son frère Liv, son coeur althaïen avait du mal à renoncer à tout lien.

Mais après tout, la vie leur offrait l’opportunité d’en tisser un autre, un nouveau, certes différent, mais qui pouvait être tout aussi fort à sa façon. Et comme si le destin avait entendu ses prières, si tant est que l’on croie encore au destin, ils étaient réunis en ce jour, en cette nouvelle aube, et les premiers fils de ce lien déjà se nouaient. Que ce soit par le silence qu’ils avaient laissé flotter entre eux, fils aériens alors tintinnabulant de pudeur, que ce soit par ce soudain sourire échangé, cette petite connivence que leur voix avait forgée en choeur, ou que ce soit maintenant par les mots qu’enfin ils s’offraient l’un l’autre, dans une nouvelle symphonie fraternelle.

Et à la réponse qu’elle lui offrit, son sourire s’étira encore, se teintant d’une once d’appréciation à ce mordant, tout princier, et d’un certain amusement aussi. Certes l’ère avait commencé dès les premières flammes qui avaient mordu de leur croc acéré les rues de Sélénia. Peut-être même avant, dès les premiers mots d’alliance entre Aldaron et son époux, sans que même eux ne le sussent alors, comme si leur destin était déjà scellé au même moment que leur union.

Tardive, tardive… Il renifla légèrement et d’amusement et de dépit. Pour tout être devant dormir, cette heure était parfois considérée indument matinale ! Bien entendu pour une vampire, cela était tardif, quand la nuit avait de bien plus beaux attraits…

L’aube est une heure parfaite, ni tardive, ni hâtive, la juste mesure du sablier, dans la renaissance d’un cycle éternel. L’aube est mon heure, acheva-t-il avec un léger sourire, empreint d’une certaine nostalgie, le regard soudain tourné vers le ciel.

Et le soleil montant, dans ses pâles rayons. Oui, son heure à lui, Anarórë, lever de soleil en elfique.

Puis, s’extirpant de sa soudaine contemplation, envoyant une brève pensée à son père aimé qui l’avait ainsi nommé, il reposa son regard étoilé sur sa jeune cadette.

Et il serait bien malaisé de te tenir rigueur de quoi que ce soit, chère… sœur.

Oui, il lui révélait son lien fraternel avec elle, alors qu’elle se rapprochait de lui, lui effleurant le bras.

Ou préfères-tu que je t’appelle Princesse, musa-t-il, tout en se décalant pour lui présenter une légère révérence.

Il lui prit alors sa frêle dextre dans un geste agile et lui offrit un baise-main digne d’Althaïa.

Puis se redressant, et lâchant la main volée, un petit sourire taquin se dessina sur ses traits fins. Sourire qui se ternit soudain, quand il réalisa son geste, et surtout l’écho qu’il réveillait en lui. Un écho, un souvenir… ce  geste, ce titre… Cela lui rappelait soudain la fugace relation qu’ils avaient eue. L’éclair tonitruant qui avait foudroyé sa vie une nuit. Ses étoiles d’or constellèrent alors plus vivement l’ébène de ses yeux. Il retint avec peine ses filaments de sortir pour valser dans son dos.

Le souvenir se fit plus fort encore toutefois, plus vivace… Jusqu’à ce qu’il réalise avec qui il était. Une Ast. Une nouvelle née Ast qui pouvait être, à tout moment, tentée de manger ses pensées et de percevoir… Ce Souvenir. D’entre tous. Non, chasser sa pensée, contrôler le flux, inspirer, expirer, faire écran de fumée de souvenirs moins volages, faire de sa mémoire un labyrinthe sans outrage… Oui, voilà qui serait mieux. Contrôler sa pensée…

Mais peut-être ce geste est-il trop outrancier. Je t’en présente mes excuses, fit-il de sa voix basse et grave, presque un murmure.

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La tournure de phrase qu’il employa pour répondre à sa petite pique, voulue douce, lui fit hausser un sourcil. Il y avait là une beauté qu’elle trouva étrangement… naturelle au personnage. Si d’autres auraient pu paraître ridicules, lui… s’en tirait avec élégance et distinction. Ce n’était bien entendu pas la première fois qu’il employait un tel langage, impossible de dire, si elle s’attendait à quelque chose de différent une fois de vive voix. Il avait une façon de s’exprimer qui était à la fois si atypique et si familière qu’elle ne savait trop où placer ces sensations. D’autant qu’elle n’avait pas exactement la volonté de batailler avec des énigmes qu’elle ne parvenait pas même à saisir lorsqu’elle s’y employait de son mieux.
Elle ne put s’empêcher un infime sourire de gracier ses lèvres au reniflement peu élégant que sa remarque lui arracha. S’il s’exprimait avec une distinction qu’elle n’avait, jusqu’alors, peu rencontrée - ce qui n’en disait peut-être pas autant qu’elle voulait bien l’imaginer - sa réaction ajoutait un aspect amusant qui ne lui échappa pas.

Elle cilla néanmoins lorsqu’il reprit, l’appelant sa soeur.

Levant le nez vers lui, à mi-chemin entre la perplexité et un sentiment qu’elle peinait à identifier, Liz dévisagea Ilhan. Elle n’eut cependant guère de s’appesantir sur la question qu’il reprenait, pensif, pensant tout haut, sa voix trahissant ses pensées tandis qu’il esquissait une légère révérence qu’il acheva d’un baise-main tout à fait exquis.
Charmée, Liz minauda quelque peu, satisfaite de se faire appeler princesse, plus encore d’être l’objet d’un geste aussi raffiné, exécuté avec perfection. Il venait indéniablement de gagner nombre de points mais un petit élément l’empêchait de glousser comme elle en avait l’intention, ou de répondre avec une révérence à son tour. Comme un élément insistant et persistant, à la frontière de son esprit, à la frontière de ses souvenirs. Elle qui se sentait déjà épuisée et à fleur de peau, c’était une sensation particulièrement irritante, d’autant plus qu’elle tentait de mettre le doigt dessus sans y parvenir. C’était comme l’un de ces moutons de poussière qu’elle aurait tenté d’attraper mais que le moindre déplacement d’air rendait inattrapable.

Pour autant, sa main - métaphorique - attrapa bien quelque chose. Ce ne fut pas son propre souvenir qui finit par voleter à sa portée, mais quelque chose d’autre. D’abord indistinct, elle s’y intéressa néanmoins de près pour le définir. Ca, elle l’avait attrapé, ça, elle pouvait l’étudier et le décortiquer, ça, elle pouvait… le mordre. Elle écouta d’une oreille distraite les paroles d’Ilhan, secouant la tête comme pour les repousser, répondant par la même occasion même s’il ne s’agissait là pas de son intérêt premier. Il y avait tant de couleurs et de corps, c’en était particulièrement appétissant et tentant. Elle mordit à pleines dents, oubliant la cour dans laquelle ils se trouvaient, seulement vaguement consciente de la présence d’Ilhan à ses côtés, seul élément tangible qui avait de l’intérêt. Un mince intérêt comparé à celui qu’elle vouait à ce qu’elle avait attrapé et qui… correspondait exactement à ce qui venait de se passer ?

Il était étrange combien la scène était à la fois parfaitement identique et complètement différente. Comme une peinture qui aurait été réalisée instantanément, capturée en un clin d'œil et présentée à ses yeux comme pour comparer. Sa peau, cependant, était plus rosée, une peau délicate et vivante teintée de pêche veloutée. Sa voix, qui prononçait des mots inintelligibles, était bien la sienne mais manquait de sa raideur ou de son piquant. Ilhan… c’était bien Ilhan qui se tenait là, était à la fois le même et totalement différent, il lui manquait… Quelque chose. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus et l’intégralité de ce qu’elle voyait n’avait aucun sens ! Elle ne se rappelait p-...
Elle ressentit comme un frisson lui parcourir le dos, galopant comme un courant glacé. La réalisation était distante cependant car elle en voulait… plus. Elle emmagasina, garda sous le coude, sous un coussin métaphorique, quelque part, pour plus tard, car… si elle n’avait pas faim, elle avait Faim, et il y avait là un repas tout offert. Ce qu’elle avait attrapé était une porte ouverte, un fil qu’elle pouvait tirer pour en avoir plus et à cet instant précis, c’était tout ce qu’elle voulait.

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Alors que la réponse à sa dernière phrase se fit vague, plus un murmure empreint d’une politesse distante ou d’une distance indifférente, il sentit comme un vide se former en son esprit. L’espace de quelques secondes, fugace instant volé, en même temps que ses pensées. Ou plutôt sa pensée, son souvenir. Il se souvenait de s’être souvenu, mais souvenu de quoi ? À quoi pensait-il déjà ? Il fronça légèrement les sourcils, seul signe de son possible trouble. Et soudain, une âpre constatation le frappa. Elle mangeait ses pensées ! Elle mangeait SA pensée, SON souvenir.

Ce fut alors d’une violente bourrasque de volonté qu’il tenta de rejeter l’assaut de la Faim, faisant appel à toute sa maitrise des arts de l’esprit, comme il en avait fait appel lorsque vile chimère avait tenté de le posséder. Son animis protego l’y aida aussi, même s’il savait ce sort dangereux : ce bouclier mental pouvait, à tout moment, s’il n’y prenait garde, l’enfermer dans son propre esprit. Forteresse imprenable, murée de l’intérieur, barricadée de force et de volonté, aux remparts labyrinthiques, il pouvait s’y perdre lui-même, au point de ne plus trouver la porte à déverrouiller. Il ne le laissa en place que le temps de quelques grains dans le sablier, juste le temps de reprendre le contrôle, de raviver la flamme de sa dernière pensée volée, de son dernier souvenir… si éhonté.

Il manqua rougir quand souvenir lui revint. Il parvint à garder un masque aussi lisse que le marbre, mais de nouveau ses orbes sombres se constellèrent d’étoiles. Et cette fois, ses filaments apparurent et valsèrent dans son dos, telles deux grandes ailes déployées d’un oiseau prêt à s’envoler. Ou d’un oiseau battant furieusement des ailes, sous la colère pulsante. En cet instant, ce fut un maelström d’émotions qui l’envahirent, tandis que ses traitres filaments claquaient l’air tels deux fouets enragés : colère que l’on ose pénétrer son esprit. Son corps avait beau avoir été outragé, et ce à plusieurs reprises, il s’était forgé une fierté de faire de son esprit un château inexpugnable. Mais s’y mêlait aussi honte, certes volage et passagère, ainsi qu’une certaine pointe de fierté envers sa sœur, fierté de voir sa jeune cadette voler de ses propres ailes, découvrir ses pouvoirs, certes encore précaires.

Le cataclysme émotionnel se calma alors presque aussi vite qu’il était apparu, quand cette dernière pensée voleta à lui. Oui, il était fier d’elle, fier de ce qu’elle avait réussi à atteindre en lui, là où d’autres avaient échoué. Certes, il avait réussi à rejeter l’assaut, et à barricader son esprit, mais elle avait tout de même réussi à l’atteindre avant qu’il ne s’en aperçoive. Sans doute parce qu’en sa présence, en la présence de sa famille, il avait baissé sa garde… Erreur ? Peut-être. Sans doute même. En tout cas en présence d’une nouvelle née. Mais fierté restait tout de même ancrée en lui.

Cependant, fier ou non, elle méritait aussi une leçon. On ne s’attaquait pas impunément au mental d’Avente sans s’en mordre l’esprit. Et aussitôt, alors qu’il sentit avoir repris le plein contrôle de ses moyens, il contrattaqua. De sa fidèle Tela, il frappa alors de sa Toile des rêves pour se nourrir, lui aussi, des aspirations et pensées de la jeune vampire à ses côtés. L’attaque fut rapide, une lame éphémère venant sillonner l’esprit de sa cible, sa sœur, plus une fessée à une enfant ayant commis outrage à son aîné, qu’une réelle gifle agacée. Il n’insista pas outre mesure toutefois, ne souhaitant en rien violer son esprit. Il savait trop ce que cet outrage pouvait laisser comme cicatrice pour vouloir l’infliger à d’autres, sauf nécessité absolue. Non, il ne volerait pas ses pensées outre mesure. Il voulait juste…

Juste lui faire comprendre que l’on ne mangeait pas les pensées de ses parents ou de ses frères et sœurs. Juste lui faire comprendre que si elle n’appréciait pas son acte, peut-être l’autre n’appréciait pas non plus, et que si respect mutuel voulait être tissé, cet acte devrait être réprouvé.

Mon esprit reste mon esprit et personne n’a le droit d’y entrer sans mon autorisation, susurra-t-il d’une voix grave et profonde, chargée d’accents, si ce n’est menaçants, du moins grondants.

Puis, songeant que leur bataille mentale ressemblait presque à une chamaillerie d’enfants, à la mode Ast, un léger sourire vint adoucir ses traits tirés, alors qu’il se retirait totalement mentalement. Cette fois, cependant, il laissa ses barrières mentales érigées. Ses filaments se calmèrent enfin et disparurent tout doucement.

Si tu as faim et souhaites manger, je préfère que tu me demandes plutôt que tu me…

Il retint le mot qui lui venait à l’esprit.

voles, offrit-il à la place.

Il attrapa alors de nouveau la main délicate, qu’il serra doucement entre les siennes, tout en fixant leurs mains jointes un court instant. Ses orbes étoilés revinrent graver les traits fins de la jeune princesse, de sa jeune sœur, en son esprit.

Je ne sais si tu as vu ce souvenir… volé… en totalité.

Si oui, sans doute aurait-elle des questions. Était-il l’heure de tout lui révéler ? Était elle prête, capable, d’entendre toute leur histoire ? Courte et bien éphémère histoire, mais qui avait trouvé une conclusion des plus inattendues, incarnée dans une petite vie qui, déjà il le sentait, le rappelait à elle au loin. Son fils. LEUR fils. Devait-il enfin lui en parler ?

Un lien nous unissait avant. Tu l’avais sans doute deviné.

Son regard erra rapidement sur l’anneau des murmures qu’elle portait et sur son propre anneau unique à lui.

Même si tu n’en savais pas la teneur exacte.


HRP : avec toutes mes excuses pour le délai. J'espère ne plus faire autant attendre.

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Oui, un lien les unissait. Et quel lien ! Il était de ces liens aux fils inextricables, qui s’enchevêtraient pour former un tableau des plus complexes. D’aucuns auraient d’ailleurs pensé que leur relation était des plus malsaines. Mais c’était oublié que parmi les vampires les liens se modifiaient et étaient tout autre. Il l’avait vue naître et connaissait ses parents humains, son père notamment. Ou plutôt ses pères, devrait-il dire plutôt ? Il connaissait ses véritables origines, tout autant Kohan, mais possiblement des plus traitres. Il l’avait vue grandir, il lui avait même appris à lire et plus encore, ayant été son précepteur il fut un temps. Oncle, l’appelait-elle.

Ils avaient ensuite été quelque peu éloignés, et il avait retrouvé une jeune fille. Ou plutôt une jeune femme. Une princesse, rapidement devenue impératrice puis reine. Une reine à qui il n’avait su dire non, faible qu’il était. Des unions de grande différence d'âge étaient pourtant légion. Et quand elle s’était infiltrée une nuit dans sa suite à l’auberge… De cette union inattendue était né un enfant, tout aussi inattendu. Un fils. Un héritier Kohan en quelque sorte, même si cette vérité devrait rester tue à jamais. Et enfin, depuis sa vampirisation, d’amants d’un soir ils étaient devenus frères et sœurs. Quel étrange destin et quels étranges liens qui les unissaient…

Des liens qu’il était temps de lui révéler. À cette pensée, il se saisit d’une des frêles mains et l’attira doucement vers un banc. S’y asseyant, il l’invita à prendre place à ses côtés. Ce fut alors d’une voix basse, presque en un murmure, qu’il rompit les droits du silence et lui révéla tout. Ou presque. Il était bien difficile de résumer toutes les années qu’ils avaient pu partager, la complexité de ce qui les liait, et surtout, surtout…

L’enfant. Qu’il était dur de le lui révéler. Il ne pouvait s’empêcher d’appréhender sa réaction. Elle vampire, encore si jeune, et au caractère si vif et emporté, comme il avait pu y goûter quelques instants plus tôt. Mais elle ne pouvait être laissée dans l’ignorance plus longtemps encore. Il sentait, aux sentiments qui couvaient en elle, que plus ils attendraient, plus elle leur en voudrait. Certes, il prenait un risque, mais c’était là un risque calculé. Il était dans la maison Elusis, et pouvait appeler de l’aide au besoin.

Une aide qui déjà se profilait non loin. Il aperçut la fine silhouette de son frère Liv avancer vers eux, d’un pas calme et serein. Il était encore trop loin pour les entendre, et pourtant assez près pour arriver à temps et intervenir si besoin.

Ilhan lui révéla donc enfin l’ultime secret de leur étrange famille. Un secret qui devrait le rester. Il sentit un maelstrom de sentiments palpiter en Liz et s’empressa d’en finir avec ses sombres révélations. Il lui expliqua que l’enfant ne lui était pas enlevé, qu’il en avait la garde le temps qu’elle prenne ses marques… et apprenne à se contrôler. Le lourd regard perçant qu’il darda sur elle à cet instant fut suffisamment éloquent pour retenir les possibles ardeurs meurtrières ou voraces qu’elle aurait pu nourrir contre lui. Si elle souhaitait revoir son fils sans risque, c’était le moment de lui prouver qu’elle en était capable, qu’elle pouvait se maitriser, qu’elle n’était effectivement pas un danger. Il sentit alors sa force de volonté batailler, et il continua, d’une voix plus calme, toujours lui tenant la main qu’il n’avait pas lâchée. Il lui expliqua la couverture qu’ils avaient trouvée pour l’enfant, qui serait officiellement l’enfant d’Autone et d’Ilhan, et ce pour des raisons de sécurité. Une fausse identité, pour une vie plus sûre. Jamais son nom de Kohan ne devrait être révélé, au risque que l’enfant devienne la cible, si ce n’est de meurtres et d’assassinats, de la haine du peuple mis à bas.

Mais, en temps voulu, l’enfant saurait qui était sa mère. Et bientôt ils pourraient se voir. Comme pour sceller cette promesse, il lui apposa un délicat et chaste baiser sur sa main. Puis, sentant qu’elle était probablement à la limite de la rupture et de céder aux digues dressées contre ce raz-de-marée d’émotions contradictoires, il fit signe à Liv de s’approcher, lui qui s’était arrêté à quelques mètres non loin. Ilhan se leva alors, tandis que son frère arrivait. D’un dernier baise-main, il prit congé, ses sombres orbes mordorés transperçant une dernière fois la jeune Ast, puis il laissa les deux inséparables ensemble. La présence rassurante de Liv auprès de sa sœur qu’il saurait apaiser...

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