Un Valmys n’arrivait jamais seul.
Ce n’était pas vraiment une question de volonté ou non. Sans demander son avis, Deïa et Servalwir étaient sur ses talons sitôt qu’il se levait. Un affront à l’intimité, qu’il leur pardonnait sitôt qu’ils mettaient en place leurs plus adorables expressions, en être faible qu’il était. Il avait bien essayé de les gâter plus que raison, les faire jouer, les couvrir d’affection, les pousser à paresser, mais rien n’y faisait. Deïa était bien trop consciencieuse et Servalwir bien trop jaloux.
Il s’y était fait. En ce jour, ils ne représentaient pas vraiment le principal tracas de Valmys. L’état de son père préoccupait ses pensées. Il savait que ce dernier n’était plus lié à Achroma par l’Inséparable, mais n’était pas dupe. La douleur n’avait jamais attendu les esprits-liés pour abattre les âmes. Ces dernières étaient bien les plus complexes à soigner, y compris pour les maîtres bardes. S’il avait su comment s’y prendre, le jeune Cawr n’aurait sans doute pas eu tant de soucis avec les pirates, avec les miroirs, avec son propre corps.
Valmys avait hésité à se présenter en tant qu’hermine devant son père. Cette apparence était celle qu’il arborait chaque fois que quelque être cher nécessitait une épaule velue sur laquelle reposer sa tête. Néanmoins, pour transporter des présents, être quadrupède n’était pas le meilleur des choix… Pour le moment. Avec quelques inventions de bon aloi, cela pouvait peut-être s’arranger. Pour l’heure, les possessions de Valmys adaptées à sa forme d’hermine se résumaient à un panier, une pomme de pin, ainsi que quelques habits qui doublaient ses capacités à tirer des “aaaaw” d’adoration aux gens.
Bref. Ce fut ainsi que tout ce beau monde arriva dans la pièce où Aldaron s’était retiré. Un serval noir, au poil long, orné d’une cicatrice sur le front. Une husky glacernoise à l’air très sérieux. Un chantemagma, à la mine inquiète autant que désolée. Ses habits étaient bien légers, même pour un immaculé, à cette saison. Couvrants, mais légers. Sa peau s’était parée d’une couleur de cendres, ses veinules portaient le rouge-orangé d’un magma incandescent. Il avait à la main une tasse, ornée d’écritures qui indiquaient clairement l’opinion du jeune Sainnûr sur son père, ainsi qu’une autre tasse, plus petit. Son air désolé venait surtout des champignons qui l’accompagnaient. Ils étaient apparus presque par mégarde pendant que Valmys tentait de préparer une concoction Dawanesque censée aider son père à reprendre du poil du vampire. Ils avaient bien disparu, au bout d’un moment. Mais ce bougre de baptistrel avait voulu re-tenter l’expérience, voir s’il pouvait les invoquer à loisir. Et il le pouvait. Mais maintenant, il les baladait. Eroll, sur le haut de sa tête, chantait un air absolument peu approprié à la situation, ravi. Judith s’était glissée dans l’espèce de poche qui ornait sa tunique, au niveau du coeur. Peppe était sur son épaule, étrangement muet pour le moment.
Servalwir était grognon. Valmys lui demanda donc de rester dans un coin de la pièce, lui promettant des papouilles plus tard. Il fit à Deïa le signe qui indiquait “vaque à tes occupations”. En tout cas, c’était ce qu’il essayait désespérément d’apprendre à sa garde du corps. Il put ensuite, enfin, se concentrer sur l’objet principal de ses -multiples- tracas. Non-loin d’Aldaron, il déposa le mug et la tasse, sans les présenter. Aldaron les testerait bien de lui-même. La tasse avait une odeur champignonnée.
“- Le puits flamboyant était en éruption. J’ai voulu le calmer. Je me suis avancé vers la lave en chantant.” Valmys affichait un petit sourire en coin, amusé de ne pas dire tout de suite à son père les mots qui le rassureraient. Aldaron devait bien savoir le côté casse-cou que son fils dissimulait si bien. Il posa Eroll et Peppe entre les tasses, papouilla du bout du doigt Judith pour la rassurer, puis confirma : “Fusion élémentaire. Il semblerait que l’ensemble des éléments connus aux baptistrels se soit étendu. Nous étudions encore le phénomène. Ce sont bien plus que cinq éléments qui nous attendent… Et visiblement, je suis lié autant à la terre qu’au feu.”
Son regard passa autour de lui. Il connaissait cet endroit, pour l’avoir bâti, mais avait laissé une bonne partie de l’aménagement à ses occupants. Finalement, il décida que la chaise la plus proche était trop loin. Il fredonna légèrement, transformant le sol pour créer sous lui une petite chaise, dont l’apparence mêlait le brut et l’ornement. Assis, il continua, espérant ouvrir l’esprit de son père sur d’autres terres que celle où coulait le sang : “Cela n’a pas été facile, au début. Ma chaleur corporelle est très élevée, si je ne la maitrise pas. Mes premiers habits, je les ai fabriqués avec de la roche, pour éviter de les réduire en cendres.” Sur le coup, il n’avait pas fait le malin. Désormais, le souvenir le faisait sourire, légèrement. “J’imagine que l’information de l’attaque des couronnes de cendres sur le Domaine t’es parvenue ? Ilhan était présent. Sa femme aussi, d’ailleurs. Charmante. Elle m’a appris que je suis la réincarnation du fils de mon serval. C’est incroyable comme parfois le monde peut paraître petit.”
Un instant, il eut l’air troublé. Il oubliait quelque chose. Quelque chose d’important. Ah, oui ! Se levant de nouveau, Valmys écarta les bras, pour aller étreindre son père dans un franc câlin. Sans doute en avaient-ils tous deux le besoin. Le baptistrel se retrouva à soupirer contre l’épaule de son père, comme s’il avait retenu son souffle tout ce temps. D’une voix qui ne connaissait le mensonge, il avoua :
“- Tu m’as manqué, dähddy.”
Mais quel inconscient était-il de relâcher deux secondes son attention. Nahui, dont l’esprit était tout occupé à enlacer également Aldaron, à le réchauffer de sa présence, avait bien senti les odeurs de nourriture. Cessant de singer le sommeil, elle s’étira, avança sa petite tête triangulaire vers les tasses, renifla, et trempa brièvement sa langue bifide dans le contenu. Elle l’estima “pas assez viandard, mais bon pour bipède” et retourna s’enrouler non-loin de Lié, une demi-attention suspicieuse sur le bipède-tout-flammes.