5 mai 1764 — Port de Cendre-Terre, Nyn-Tiamat
La vie reprenait ses droits, et Liv tentait de trouver son équilibre, de retrouver ses repères, dans cet univers si familier où, pourtant, tout avait changé. Il y avait le manque, toujours, et cette nouvelle présence, déjà si familière et naturelle, et les habitudes à reprendre…
Il avait été heureux de retrouver Ombrenuit, bien que la jument n’ait pas manqué de lui montrer son déplaisir à avoir été abandonnée si longtemps. Il était évident qu’il allait devoir gagner son pardon avant qu’elle ne l’autorise à la monter à nouveau, mais il avait déjà commencé en passant autant de temps qu’il l’avait pu auprès d’elle, en la bouchonnant avec attention, et en se montrant généreux en friandises. Mais d’autres devoirs l’avaient appelé.
Il avait eu une discussion avec son père, pour l’entretenir d’une idée qu’il avait eue lorsqu’ils étaient encore à Sélénia, pendant qu’il esquivait les gardes de la ville. L’idée avait été approuvée, et il allait maintenant devoir travailler à la mettre en place. Et bien sûr, il veillait également à avoir du temps à accorder à sa nouvelle sœur. C’était une situation compliquée pour elle aussi, et elle aussi devait s’adapter, plus encore que lui. Il avait remarqué que sa présence lui faisait du bien, l’aidait à se sentir mieux et à mieux réfléchir tout en chassant les idées sombres, et il espérait, présumait, que la réciproque était vraie.
Liz avait appris l’existence de son enfant par Ilhan, et Liv était soulagé de ne pas avoir à lui dissimuler la vérité, même si la nouvelle — et surtout l’interdiction qu’elle avait de voir son fils — avait été, bien naturellement, difficile à accepter pour elle. Il l’avait alors soutenue de son mieux. Ils en avaient parlé longuement et, sans qu’il se souvienne si l’idée venait d’elle ou de lui, il avait été évoqué qu’il aille voir Autone, puisqu’elle ne pouvait pas le faire elle-même sans danger pour le moment. Il n’avait, pour sa part, guère d’inquiétude à son propos ; elle était non seulement la femme de son frère, mais elle avait également la confiance de leur père, comme elle avait eu celle d’Achroma, ce qui était pour lui amplement suffisant pour qu’il lui fasse confiance. Mais il comprenait également l’inquiétude de sa sœur concernant la femme qui allait s’occuper de son enfant pour une durée indéterminée, et il lui serait bien plus facile de se montrer rassurant et convainquant en ayant pu se forger sa propre opinion.
Ce n’était pas sa seule motivation, bien sûr ; elle faisait partie de la famille, il n’ignorait pas qu’elle, avec Ilhan et Sorel, avait été attaquée durant les funérailles, il était plus que temps qu’il fasse sa connaissance — et sans doute lui présente ses excuses pour n’avoir pas pris la peine de le faire plus tôt, lorsqu’ils naviguaient ensemble vers la demeure familiale…
Incertain du protocole dans de telles circonstances, autant que de si elle avait envie de le connaître, il avait préféré tout d’abord contacter son frère, et passer par son intermédiaire pour demander une entrevue, s’assurant ainsi qu’Autone ne se sente aucunement contrainte et n’accepte que si elle le souhaitait. Il avait été ravi de transmettre le message et, son épouse ayant accepté, la rencontre fut organisée.
Autone avait proposé qu’elle se fasse sur la Vagabonde, ce que Liv avait accepté sans discuter, bien qu’ils demeurent tous les deux dans la maison familiale par ailleurs. Il supposa que le navire constituait un “terrain neutre” et permettrait d’éviter que l’un ou l’autre ne se sente envahi dans ses appartements, ou au contraire mal à l’aise de se trouver dans ceux de l’autre.
Il n’avait pas fait d’effort particulier sur sa tenue, si ce n’était passer des vêtements propres et aussi peu froissés que possibles, et il espérait qu’elle ne lui en tiendrait pas rigueur. Ce n’était, à ses yeux, pas un manque de respect envers elle, mais simplement une façon de se montrer tel qu’il était plutôt que de chercher à l’impressionner. Toutefois, ne voulant pas arriver les mains vides, mais n’ayant pas le temps de trouver un cadeau approprié, il avait pris la peine de faire un détour pour cueillir quelques fleurs qui poussaient en bordure de la ville.
Il se sentait un peu idiot désormais, avec son pauvre bouquet dépareillé dans les mains, mais c’était trop tard pour changer d’avis : il arrivait au port. On lui indiqua qu’Autone était déjà là, et son escorte resta à quai avec d’autres gardes de la famille déjà présents tandis qu’il montait à bord. Sans l’être autant qu’avant sa première rencontre avec Ilhan, il se sentit un peu nerveux. Le retour sur le navire lui rappela le temps qu’il y avait passé, et les mauvais souvenirs qu’il évoquait, mais il les chassa fermement, se concentrant sur le bruit de ses pas sur le pont, sur la sensation de Brise d’Argent à son côté.