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descriptionFaisons fuir les cauchemars ensemble [PV Autone] EmptyFaisons fuir les cauchemars ensemble [PV Autone]

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3 mai 1764, nuit très tard



Pâles rayons lunaires, sombres constellations… Lourd silence mortuaire, odeur âcre de funestes prédations… Aurait-il été devin, qu’il aurait pu lire en ces signes les indices d’un sanglant destin. Mais non, ces signes n’étaient plus le futur, mais le passé. Sanglant, certes, ces signes-là ne trompaient pas, mais un passé révolu, auquel ils ne pouvaient plus rien changer. Tout était écrit, inscrit, jusque dans le marbre noir ensanglanté de Cendre-Terre, jusque dans ses pavés sombres maculés de traces délétères. Un Prince Noir était mort, et un autre était né, baigné dans les cendres et dans le sang, en digne vampire tout en puissance renaissant.

Si Ilhan se sentait encore ébranlé, tout au fond de lui, de l’acte honni qu’il avait dû commettre, il savait aussi devoir y faire face, et avec lui-même être honnête. Tuer de ses propres mains un être vivant souillait votre âme, souillait la sienne du moins. Toutefois, il ne pouvait non plus nier ne pas le regretter. Il avait protégé sa vie et les siens, ni plus ni moins. Et si c’était à refaire, il savait en son for intérieur, qu’il n’hésiterait guère plus… et le referait. Quand bien même ce sang sombre jaillissant sur son visage et maculant ses mains le hanterait à jamais.

Mais pour l’heure, il avait plus urgent que s’apitoyer sur lui-même ou que se plonger en méditation pour mieux réfréner les visions qui l’accablaient. Oui, bien plus urgent. L’inquiétude rongeait son coeur, bien plus que la culpabilité son âme. Oui, inquiétude. Inquiétude pour sa femme, qu’il avait vue, sentie, dans un état catatonique, comme totalement coupée du monde, devenue soudain sourde à tout appel, muette d’horreur et d’effroi en son coeur, sans que l’althaïen ne sache comment l’atteindre. Il avait senti en elle un besoin irrépressible et urgent de solitude. S’il avait hésité quant à la démarche à adopter, comment l’approcher au mieux, comment parvenir à la soutenir et l’aider, un autre appel avait coupé court à tout questionnement. Son fils avait besoin de lui. Inquiétude redoubla alors, pour un autre des siens. Et quand il vit Aldaron se diriger vers la pièce où s’était réfugiée sa femme, Ilhan sut quel choix s’imposait à lui. Impuissance serait son lot pour sa chère et tendre, en cet instant du moins, mais pas pour son enfant. Il l’avait donc quittée, le coeur lourd, lui laissant quelques lambeaux émiettés de son amour désarmé à sa porte fermée, pour se diriger en toute hâte vers ce petit être qui l’appelait.

S’il avait retiré la dague de sa main invalide, il n’avait pas pris le temps de la faire soigner encore, l’enfant étant sa seule priorité alors. Il s’était contenté de la bander et d’essuyer à la va-vite le sang noir qui lui souillait le visage, histoire de ne pas apeurer son fils plus que de raison. Mais tous ses sens s’étaient tournés ensuite vers lui, et uniquement vers lui. Un fils maintenant apaisé qui dormait à poings fermés. Il avait mis longuement à calmer cette crise. Sans doute avait-il eu autant de peine, tant il était lui-même éprouvé. Tant psychiquement que physiquement. Il ne tenait que par sa farouche détermination à faire face et à ne pas céder aux digues de ses traitres émotions. Oui, traitres : en cet instant, elles ne pouvaient être une alliée, quand elles risquaient de le faire glisser sur des terrains minés. Il lui fallait les juguler. Pour le moment du moins. Il y reviendrait plus tard. Quand une accalmie s’offrirait à lui.

Après avoir rapidement cédé aux insistances de Dihya qui avait tenu à lui soigner sa main, quand bien même elle était déjà morte – une main qui semblait d’ailleurs répondre difficilement aux sorts de soins et semblait garder une plaie en partie ouverte même si propre – et après avoir fait un brin de toilette pour ôter de son visage, de ses mains et de son corps cette odeur entêtante de sang, il s’empressa de rejoindre sa femme. Maintenant que l’urgence de son fils était réglée, tout son esprit se tournait vers cette autre source d’inquiétude première, alors qu’il marchait avec célérité vers la demeure des Elusis, trois araignées et cinq gardes vampiriques l'escortant. Silence funèbre répondait à l’écho de leur pas, tandis que leur souffle glacial, du moins pour les vivants, seul troublait la brume ténébreuse qui enlaçait les rues de son austère manteau.

Dès qu’il arriva dans la demeure, il défit baudrier et cape, qu’il confia à une araignée, sans même regarder en sa direction. Son ouïe lui indiqua que cette dernière avait prestement réceptionné le tout. Un lourd silence régnait également dans les sombres couloirs et Ilhan se maudit de le troubler ainsi par les battements de son coeur effréné, qui lui semblait soudain résonner bien trop fort contre ces murs bien trop étroits, ou par ses pas, devenus soudain si lourds… aussi lourds que son coeur, aussi lourds que son âme, ne put-il s’empêcher de penser.

Quand il arriva enfin à la porte d’Autone, il prit une longue inspiration. Il se permit un petit laps de temps, et caressa doucement le bois du battant, avant d’oser l’outrager de trois coups frappés. Trois coups presque sourds. Il ne se voyait pas s’imposer et entrer sans prévenir, mais craignait aussi de la déranger… Voire pire… de la réveiller ? Mais non, elle ne dormait pas. Ses sens de sainnûr entendaient un coeur alerte, un coeur parfaitement vigile, pas de ce battement de coeur calme et paisible du rêveur endormi. Et ce souffle, soudain coupé, qui reprenait tout doucement sa cadence normale, de l'autre côté de la porte… Non, elle ne dormait pas. Il n’attendit donc nul autre signe, pas même qu’elle lui offrit sa permission par des mots, et entra, espérant qu’elle ne lui en voudrait pas pour cette soudaine irruption. Il referma aussitôt la porte derrière lui et, enfin, tout doucement, tourna son regard sombre pétillant d’éclats d’or soucieux vers sa femme éplorée.

Mon aimée, souffla-t-il en un murmure à peine audible.

Il s’avança encore, puis se posta devant elle. D’un geste tendre, il lui effleura la joue de sa main valide, tandis que sa main gantée mimait le geste d’une caresse sur sa chevelure de flamme. Réprimant la légère douleur que ce simple mouvement infligea à son bras.

Il fut tenté de faire appel à Tela, mais réprima cette envie. Si Autone voulait s’ouvrir à lui, il devait la laisser faire… à son rythme. Il se contenta donc de lui offrir sa présence, son regard, ses quelques gestes tendres, sans insistance… attendant. Simplement. Avec force patience.

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Elle avait tout écrit, puis elle avait tout brûlé, et s’était réfugiée dans son bain. Preuve du complot qui venait de se passer, ici, ne pouvait être découverte. Alors le papier tâché par l’encre de ses pensées, de tout ce qui s’était passé aujourd’hui, reposait en cendres dans le foyer. Elle allait être reine. Comment dire cela à Ilhan? Autone s’inquiétait pour son mari, elle ne se souvenait pas l’avoir quitté, elle se souvenait d’avoir été à ses côtés, puis sa mémoire avait disparu jusqu’à ce que ses yeux lui renvoient le reflet de son visage dans la bassine ensanglantée. Il n’y avait plus de sang, maintenant. Que de l’eau, et quelques pétales de fleurs séchées. Autone brossait ses cheveux aux pointes encore mouillées lorsque la porte cognait. Était-ce Ilhan? Dans sa chemise de nuit, elle avança vers la porte qui s’ouvrit, puis s’immobilisa quand il la rejoint.

Ilhan, il avait eu mal aujourd’hui, elle aurait voulu le réconforter, mais elle s’était sentie enfermée dans son mutisme. La petite dame ferma les yeux sous la caresse, elle avait envie de ne rien dire, de l’embrasser, de l’étreindre. Sans rien expliquer, être avec lui. Elle fronça les sourcils, l’air inquiète lorsqu’il bougea sa main invalide. Autone prit délicatement l’avant-bras dans ses mains pour le faire redescendre, murmurant : « Ne te fais pas mal. » Elle se souvenait l’avoir vu souffrir, utilisant sa main gantée.

La petite dame se laissa retomber dans les bras de son mari, trouvant réconfort et refuge contre son cœur. Elle l’entendait battre, ainsi, et aurait aimé pouvoir entendre, comme lui. « Je suis désolé. » Murmura-t-elle encore, « Je…me souviens que nous marchions ensemble. Puis je n’ai aucun souvenir. J’étais seule, ici, quand j’ai repris conscience. La dernière fois… »

Elle s’interrompit. Non, elle ne voulait pas retourner là. « remonte à très longtemps. » Elle avait tant de choses à lui dire. Par où commencer? « Quand vas-tu accepter que Valmys guérisse ta main? » fit-elle en relevant le menton d’un air inquiet. Tenant la main d’Ilhan, elle recula, l’invitant dans son mouvement à s’asseoir avec elle, sur le lit défait de la dernière sieste.

Son aimée, disait-il. Autone posa son front contre celui d’Ilhan, et tout bas lui dit : « Je ne savais pas que nous allions nous aimer. » C’était aussi triste que tendre. « Je ne savais pas…et maintenant j’aimerais que tu restes. Parce que je ne veux pas vivre les prochains mois sans toi. Et je ne veux pas, je ne veux plus élever ton enfant sans toi. Je ne veux pas être plus vielle chaque fois qu’on se retrouvera. Je croyais que nos vies seraient séparées, mais je ne peux plus y penser comme ça. »

Elle s’ouvrait à lui avec une grande culpabilité. Avouer avoir besoin de quelqu’un, n’était-ce pas un fardeau?
« Je vais prendre Caladon avec l’aide d’Aldaron. Pacifiquement, mais arbitrairement. Je vais être souveraine de la cité libre. Plus rien ne sera comme avant. Je suis désolé. Je suis désolé de ne pas pouvoir même te donner de choix. M’en voudras-tu, de faire comme les autres, de te demander de me suivre? »[/color]

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Ne te fais pas mal. Il fut tenté un instant de lui faire écho et de lui renvoyer ses mots. Car il le sentait, elle avait mal, elle aussi. Pas d’une douleur physique, peut-être pas. Quoiqu’elle avait reçu quelques chocs, qui, dans son état, l’inquiétaient aussi grandement. Mais la douleur qu’il sentait en elle semblait plus psychique que physique. Ils étaient tous des écorchés de la vie, mais sa femme avait vécu des horreurs sans nom.

Il fut soulagé de la sentir se lover contre lui. Qu’elle lui fasse au moins assez confiance pour trouver refuge dans ses bras. Il l’enlaça alors doucement, prenant garde à ne pas serrer trop fort pour ne pas la blesser, tout en essayant de lui apporter un peu de sa chaleur. Chaleur du corps, autant que chaleur du coeur. Il se contenta d’écouter, et au mot désolé, il se contenta tout d’abord d’une douce caresse sur ses cheveux de flamme. Non, elle n’avait pas besoin d’être désolée. Il s’apprêtait à le lui dire, mais déjà elle continuait. Il apposa alors un simple baiser sur son front avant qu’elle ne relève les yeux vers lui.

À la question au sujet de son frère baptistrel, Ilhan se contenta d’un léger sourire. Il y pensait souvent, il devait l’avouer. Mais cela lui semblait une solution de facilité. Cette main était une mise en garde, un souvenir frappant de ce qui pouvait tous les attendre s’ils n’y prenaient pas garde. Elle était un témoignage. Elle était aussi un gage.

Il se laissa entrainer par elle, quand elle l’invita à s’asseoir en le tirant doucement vers elle sur le lit. Quand elle posa son front contre le sien, il ferma les yeux et profita de ce petit instant de tendresse comme il les aimait tant, humant son doux parfum de femme qui l’enivrait, écoutant son coeur battant qui le captivait. Non, lui non plus ne savait pas qu’ils allaient s’aimer. Et pourtant, malgré les sombres adages de son lui d’avant, il ne regrettait rien. Non, rien. Toutefois aux mots qui suivirent, il rouvrit les yeux sur elle, plongeant ses orbes constellés dans son regard clair. Pourquoi partirait-il donc ? Et la suite le lui révéla.

Si ce fut une surprise ? Non, pas tout à fait. Pour être honnête, il s’en était douté depuis longtemps. Autone avait plus l’étoffe d’une dirigeante que sa prédécesseure. Et les chuchotis de ses araignées lui confirmaient que des choses bougeaient, se tramaient… Il connaissait assez bien les jeux du pouvoir dans l’ombre pour comprendre ce qui se jouait. Ou ce qui allait se jouer. Pour être tout à fait honnête, dès qu’il avait décidé d’épouser Autone Falkire, il avait su que son destin serait lié à cette femme, plus que le destin de cette femme au sien. Il avait su qu’il la suivrait, la soutiendrait, et qu’elle deviendrait bientôt le centre de sa vie, plus encore que tout autre chose.

Mais l’entendre s’excuser de la sorte, ce mot "désolée"venant d’elle, lui rongea le coeur.

Ne sois pas désolée, chuchota-t-il dans un souffle, tout en lui offrant une autre caresse de sa main valide.

Il rabattit une mèche de cheveux derrière son oreille, et laissa sa main redessiner les traits délicats de son visage.

Je le savais déjà. Dès que je t’ai épousée, je savais déjà que tu serais sans doute promise à une grande destinée. Tu en as l’étoffe et la volonté. Je savais, avant même que nous scellions nos destins, que mes jours à Delimar seraient sans doute comptés, et qu’ils seraient dès lors à tes côtés. Et même si quitter l’Océanique me sera dur, je ne regrette rien. Non, rien.

Il lui offrit un chaste baiser, avant de reprendre, posant son front contre le sien à nouveau et mêlant presque leur souffle, quand il laissa flotter ses mots entre eux :

Je veux rester aussi à tes côtés. Je veux vivre avec toi toute l’éternité. Je veux te soutenir, t’épauler, devenir ton ombre zélée. Je ne parviens plus non plus à nous imaginer vivre si éloignés, à nous voir évoluer à distance, séparés, à voir le temps, sans toi, s’écouler. J’ai choisi de t’épouser, et je savais en toute connaissance de cause ce que cela pouvait impliquer. Je ne regrette en rien ce choix, mon petit Rossignol. Non, je ne regrette rien.

Il lui offrit un autre baiser avant de se reculer pour ancrer son regard sombre sur elle, comme pour mieux la transpercer de la force de sa propre conviction.

Je t’aime. Et je suis honoré que tu me demandes de te suivre. Que tu veuilles de moi, auprès de toi.

Lui, le "traitre" qui avait poignardé dans le dos par deux fois ceux qu’il avait dit suivre et servir. Fabius. Puis les almaréens. Cette confiance qu’elle lui accordait malgré son sombre passé lui réchauffait le coeur plus qu’il ne voudrait l’admettre.

Je te suivrai, oui, où que tu ailles, je serais l’ombre de tes pas. Je ne sais comment tu voudras de moi pour t’aider, mais je serais là.

Il baissa légèrement les yeux, puis les releva en lui accordant un pâle sourire.

Il va me falloir juste un peu de temps pour organiser mon départ de Delimar. Je ne démissionnerai que quelque temps après que tu sois élue, pour ne pas précipiter de quelconque rumeur. Il me faudra ensuite encore quelques semaines pour… pour régler quelques affaires, et partir. Moi et les miens, qui vont sans doute vouloir me suivre, eux aussi.

Car qui disait Avente, disait sa petite troupe althaïenne aussi, sa petite maisonnée…

Il ne savait ce qu’il deviendrait réellement. Démissionner de Delimar était une chose. Mais savoir son devenir ensuite en était une autre. Cela voudrait-il dire qu’il abandonnerait la politique ? Cette idée lui vrillait le coeur, mais si telle était là la seule chose à faire pour aider son épouse, alors, oui, il le ferait. Ironique, de sentir un tel sentiment à l’idée de prendre sa "retraite", lui qui pourtant deux ans auparavant n’avait presque rêvé que de cela… Au fond de lui, toutefois, il aurait aimé pouvoir l’aider plus encore, si elle le désirait. Mais il ne voulait pas non plus s’imposer. Ce choix reviendrait à sa femme… sa Reine dès lors.

Je t’aime… Ma Reine. Et je suis heureux que tu veuilles bien de moi à tes côtés pour ce nouveau chemin.

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Surprise, elle l’observait et s’abreuvait à ses mots, le suivait dans chaque regard et dans chaque geste, plus étonnée et plus amoureuse à chaque démonstration de dévotion. Autone ne s’était pas attendue à une telle réponse, ni que son mari lui soit aussi dévouée. Toute sa vie, elle avait été celle dans l’ombre, même au conseil. L’ombre glorificatrice elle agissait toujours pour ceux qui brillaient en s’effaçant : Eleonora, Aldaron, Crissolorio. La petite dame observa son mari, muette, les joues roses, le cœur battant. Sa reine, elle n’avait jamais voulu être une reine. Et c’est ce qu’elle devenait pour tous ces gens. Elle avait si peur de devenir ce qu’elle combattait. De se corrompre ou de se perdre. Mais entendre ces mots sortir des lèvres d’Ilhan, elle ne pouvait que rougir, être touchée, et timide à la fois. Et son cœur semblait s’accélérer le moment de quelques syllabes. Autone sourit, se demandant comment elle avait mérité un mari pareil, sa dévotion. Il lui semblait que les gens lui offraient sa dévotion sans qu’elle comprenne comment ils en étaient arrivés là. Matis et Saemon, aussi, lui avaient donné tant d’allégeance. Et elle ne comprenait pas. Mais elle aimait cela, et ça faisait peur.

Autone prit entre ses mains, celle d’Ilhan, l’amenant à son cœur. « Une grande maison, une grande famille. » Souffla-t-elle en souriant, et le bonheur se tissait dans sa voix murmurante. C’était ce qu’elle voulait, et l’un de ses rêves. Une grande maison rempli des gens qu’elle aimait, de ses enfants, de sa famille, d’animaux. Ils allaient véritablement devoir penser aux animaux, et ne pourraient pas rester dans la maison actuelle des Falkire, beaucoup trop petite pour tous ces gens. « Nous allons construire un endroit, ensemble. » Puis toujours les joues carmin, elle se mit à rire tout bas. « Je ne suis pas une reine. »

Et pourtant, n’avaient-ils pas parlés d’une monarchie? C’était ce que c’était, mais elle n’aimait pas ce nom. Elle n’aimait pas les rois et les princes. Elle posa son front sur le sien, et prit un moment pour repérer tous ses sens, capturer un souvenir dans tous ses détails. Puis elle se recula, et tentât de reprendre son sérieux. Elle avait bien envie de l’aimer, d’y passer la nuit, d’oublier les sujets sérieux. Mais comment pouvait-elle déposer ces sujets sur la table puis refuser de les aborder?

« J’ai peur d’avoir autant de pouvoir. Je ne sais pas si je peux le faire. J’ai besoin de toi parce que tu es le meilleur diplomate et le meilleur politicien que je connaisse. Je vais renvoyer la moitié du conseil, et choisir arbitrairement leur remplaçants. Et, si tu le veux bien, j’ai besoin de toi, comme conseiller. Pour ta diplomatie, mais aussi pour tes idées, ton intelligence et…J’ai besoin de toi pour être une bonne dirigeante, et pour m’aider à apprendre, pour me tempérer lorsque j’irai trop loin. »


La petite dame posa une main sur la joue de son mari, et plongea ses yeux dans les siens. Ses yeux qui renfermaient l’infinité de la terre. « Je ne veux pas que tu reste dans mon ombre, si tu veux briller. Tu es si beau… »
Elle admira son regard, emmêlant ses doigts dans ses cheveux frisés, faisant attention à ne pas défaire les boucles, comme elle savait s’en occuper. « Si tu avais tous les choix du monde, Ilhan, que choisirais tu? Si tu pouvais choisir l’existence de nos liens, de tes responsabilités? Je te veux, près de moi, mais je veux d’abord que tu sois heureux. Et je ne me pardonnerais pas si je devenais ton obligation. »

Mais c’était l’absence d’obligation, la peur du choix qui avait tourmenté Ilhan. Je ne regrette rien, mon petit rossignol, disait-il. Rossignol. Ce surnom qu’elle avait eu à Gloria, dans sa maison de joie, d’un assassin. Ce surnom à moitié poétique, à moitié vulgaire. Laissant aller son regard d’or et de nuit, elle posa sa tête contre son épaule, prit une grande respiration. L’éternité, ensemble. Mais pour cela, elle devait devenir immaculée. Et ils n’en avaient jamais parlés, mais ils le savaient un peu, tous, qu’elle devrait laisser son humanité derrière elle. Il n’y avait plus beaucoup de temps, pour les rejoindre. Mais le choix était impossible, entre faire vampiriser ses enfants, et les voir mourir.


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Oui, une grande maison, une grande famille, acquiesça-t-il en silence, les yeux pétillants d’or et son tambour battant faisant écho à celui de son aimée. Ses lèvres s’ourlèrent en un sourire, tel le parfait reflet de celui qu’elle lui offrait. Oui, construire ensemble une demeure qui pourrait tous les accueillir, cette grande famille qu’ils avaient composée, tous deux, au cours du long fleuve non tranquille de leur vie, et qu’ils pourraient continuer de fortifier ensemble. Oui, ensemble… ce simple petit mot avait une connotation si forte dans le coeur de l’althaïen, bien au-delà de ce qu’il aurait pu croire ou imaginer, même quelques mois auparavant. Ensemble. Ils n’étaient plus seuls, ni l’un ni l’autre. Ils étaient deux. Plus même, ils étaient nombreux, tant de gens tout autour d’eux, des soutiens pour l’avenir, qu’ils allaient, ensemble, bâtir…

Ce simple petit mot manqua le faire chavirer, et, peu confiant en sa voix, il préféra ne pas répondre, laissant les mots de sa femme résonner entre eux et prendre toute leur ampleur. Nul besoin de mots supplémentaires, elle avait tout dit. Et il se contenta alors de serrer doucement les mains qui tenaient la sienne, comme raffermissant ce serment qu’elle voulait lui donner.

Il ne put toutefois s’empêcher de sourire quand elle nia être une reine. Certes, elle n’avait jamais vraiment cherché à l’être. Mais telles étaient souvent les grandes destinées : elles venaient à vous, que vous le vouliez ou non. Et qu’importe le titre qu’elle aurait choisi : pour lui, elle devenait sa reine, son étendard et sa foi. Il serait son ombre et son fervent défenseur, à défaut d’être son roi. Mais il chassa bien vite ces pensées et savoura le doux contact de son front contre le sien, fermant les yeux pour se délecter de chaque sensation. Et manqua soupirer de frustration et de déception quand elle rompit le contact. Son coeur, son irraison, lui dictait de l’embrasser là, maintenant, sans plus attendre, et de sceller leur amour sous le chaste regard de la lune. Mais…

Mais ils avaient bien des sujets à aborder. Bien des sujets à mettre sur table. Leur vie, à tous deux, avait si souvent été tissée d’ombres, plus que de lumières, et le secret avait été un compagnon si fidèle pour eux, qu’ils les avaient laissé planer entre eux, sans les aborder. Certes, chacun d'eux savait pour l’autre, ce que l’autre cachait, du moins le savaient-ils en partie. Et tous deux savaient certainement que l’autre savait… mais entre savoir en silence ou se le dire ouvertement, il y avait un gouffre. Un gouffre qu’ils devaient sans doute franchir. Un gouffre qu’ils allaient franchir ce soir, peut-être ?

Il l’écouta alors s’épancher avec une bienveillance patiente, et même passionnée, buvant ses mots avec avidité. Non pas de cette avide curiosité insatiable, qui parfois pouvait le ronger, mais de ce réel intérêt qu’il portait à cette femme qu’il chérissait. Et si les mots qu’elle lui disait auraient pu paraître vile flagornerie dans la bouche de quiconque autre, il sentait leur sincérité. Et cette foi qu’elle lui vouait, au-delà de simplement flatter son ego, le touchait au coeur et réchauffait son âme troublée. Tous ses mots chantaient son amour, sa confiance, et un instant Ilhan se demanda ce qu’il avait fait pour mériter pareil attachement, pareille dévotion en un sens. Il l’aimait, mais elle l’aimait tout autant. Étrange et déroutant de songer qu’ils avaient su tous deux se trouver, et mieux même, se lier, comme jamais ils n’auraient pu le croire au vu de leur destinée passée.

S’il avait le choix, que choisirait-il ? Mais il avait déjà eu le choix s'il voulait être honnête. Et il l’avait choisie, elle. Son avis n’avait pas changé, et à ce sujet sa volonté restait toujours de fer forgé : il l’avait choisie, elle, et il la choisirait encore, si possible sur un chemin éternel. Que l’immortalité les lie ensuite, serait son deuxième vœu, s’il pouvait en faire un, mais ce choix-là revenait à Autone, sa belle corneille, son aimée et sa reine. Et si elle le faisait, il accueillerait la nouvelle avec une joie renouvelée, décuplée… pour l’éternité.

Il lui sourit tout d’abord simplement, quand elle lui caressa la joue, et quand elle posa sa tête contre son épaule, ce fut à son tour à lui de caresser sa douce chevelure de feu, et d'en savourer le toucher. Son regard erra un instant au loin, rivé non pas sur le mur en face d’eux, mais bien au-delà, comme s’il voyait autre chose qui n’était pas là, ou pas encore.

Je ne savais pas que tu me trouvais si beau, commença-t-il mi-taquin mi-sérieux.

Cette fâcheuse habitude, un peu politicienne, de détourner savamment un sujet par une petite taquinerie ou autre répartie. Une façon souvent de gagner du temps. Mais en ce lieu, les manières courtisanes n’avaient pas lieu d’être, se morigéna-t-il mentalement. Pas entre eux. Il se força alors à reprendre plus sérieusement, sans plus dériver de cette outrageuse façon.

Je suis flatté, et plus même, je suis touché par tout ce que tu me confies. Sache tout d’abord que tu n’es pas, et ne seras jamais, mon obligation. Certes, j’ai envers toi des devoirs. Mais ce qui nous lie, je le pense du moins, va bien au-delà. Non, tu n’es pas mon obligation, fit-il tout en lui prenant avec délicatesse le menton pour ancrer son regard pétillant d’étoiles dorées dans ses perles ambrées. Tu es bien plus que cela. Tu es ma femme, tu es ma reine, mais surtout… surtout…

Il approcha doucement ses lèvres d’elle et lui souffla :

Tu es mon aimée.

Avant de lui ravir un tendre, mais fugace baiser. Oui, son aimée, et elle avait réussi à adoucir la perte de son deuil de plus de vingt-ans...

Puis il s’écarta doucement, mais gardant le contact visuel, il s’efforça d’impulser dans son regard toute la force de sa conviction et de sa dévotion :

Je ne suis pas né pour briller à la lumière. Ma force est bien puissante dans l’ombre pour nourrir celle des autres.

Oui, il serait son ombre et il s’efforcerait d’aider sa femme à en projeter une bien plus grande encore.

Je serais plus qu’heureux et honoré d’être à tes côtés, et d’être ton conseiller. Il est sain d’avoir peur du pouvoir, car cette peur est signe que tu en sens les dangers. Tu as la force et le courage d’affronter cette peur et de la vaincre, et tu as la force et le courage de déjouer ce danger. J’espère pouvoir t’y aider et te prêter ma force également, pour que tu puisses faire face à ton destin avec sérénité.

Il lui prit une de ses mains, et lui déposa un tendre baiser au creux de sa paume.

J’espère aussi que nous parviendrons à épargner à notre table familiale les débats et conversations politiques, susurra-t-il avec un léger sourire, pour tenter de détendre l’atmosphère.

Une atmosphère qui n’était certes pas glacée, ni même austère, mais qui, malgré la douceur de ces instants, résonnait de quelques notes de gravité. Il aurait tant aimé terminer leur conversation là, et se laisser aller à d’autres débats… mais ils avaient encore des choses à se dire. À se révéler. Du moins devaient-ils avoir le courage de les déclarer à voix haute. Face à face. A coeur ouvert, sans ambages.

Mais avant que tu ne m’acceptes auprès de toi, que nous vivions ensemble ou que je ne devienne ton conseiller, je me dois de te révéler quelque chose à mon sujet. Tu le sais sans doute déjà, du moins en partie, sans doute as-tu entendu les rumeurs ou en as-tu eu l’intuition…. Mais il me faut te révéler qui je suis. Les secrets ont rongé ma vie, mais ils ne doivent pas, plus, ronger notre couple ni notre famille.

Il baissa légèrement les yeux et prit une profonde inspiration avant de relever les yeux sur elle. Des yeux devenus soudain aussi noirs que le puits le plus profond, une nuit noire d’encre que la lune aurait décidé de quitter.

Je suis le Tisseur.

Elle connaissait forcément ce nom. Et ce qu’il y avait derrière : la Toile. Elle avait sans doute su que c’était lui, ou s’en était a minima douté. Mais il lui devait au moins de le lui confirmer lui-même.

Je ne pourrais pas tout te dire à ce sujet, et je pense que tu comprends aisément pourquoi. Mais sache que le Tisseur sera ton ombre, tout comme je le suis.

Et cela, sans être un vœu de fidélité de la part de la Toile, l’était de lui.

Et je connais ton appartenance à… une certaine organisation secrète qui aime soutirer l’or dans l’ombre.

Se disant, son sourire se fit taquin, et un brin énigmatique. Marché Noir. Tout comme le nom Toile ne serait pas prononcé, celui-ci non plus. Mais il flottait dans l’air et charriait des flagrances de secret et de machination, d’intrigue et de conspirations, de ces flagrances qu’il aimait tant...

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« Je ne savais pas que tu me trouvais si beau »

Autone se mit à rire doucement, elle ne répondit à cet air taquin qu’intérieurement, songeant que cet homme ne pouvait que savoir comme il était beau, car son charisme lui avait servi maintes fois. Elle se dit aussi, si seulement il savait, combien son sourire lui était doux, combien ses yeux la perçaient au-delà de l’esprit. Autone s’impressionnait plus souvent de la beauté des femmes, mais son mari avait quelque chose d’hypnotisant. Quelque chose qui l’avait poussé, depuis le tout début, à vouloir le protéger, à vouloir chasser quelque chagrin ou douleur qui l’affligerait.

Il lui avait dit, et lui disait encore. Qu’il ne regrettait rien. Autone parvint à l’accepter, qu’elle n’était pas un fardeau, et se laissa couler dans ses mots avant qu’il ne l’embrasse. Et séduite, elle s’enveloppa dans cette idée, ce qu’elle signifiait pour Ilhan. Et malgré qu’il la rassurât, Autone refusait de croire qu’Ilhan était né pour l’ombre. À ses yeux, il déferlait de rayons d’or, comme la lumière orangée de l’aube. Quand il embrassa sa paume, elle laissa sa main rejoindre la joue de son mari et, silencieusement, lui sourit. Elle lui aurait dit qu’elle l’aimait, mais à la place, elle le fit avec ses yeux.

Puis quand il changea de sujet, avouant devoir lui révéler quelque chose, elle fronça légèrement les sourcils, interrogée. Ne lui avait-il pas déjà tout révélé? Elle lui avait même prié d’arrêter, à un certain point, tentant de le rassurer qu’il n’eût pas besoin de tout lui dire. Qu’il avait droit à ses secrets. Ce petit froncement disparut lorsque la vérité tomba. Autone cligna quelques fois, avant de lui répondre. « Je sais? »

C’est qu’elle avait fait un et deux. D’abord parce que c’était la première chose dont il l’avait accusé lors de leur première rencontre, ensuite parce qu’ils avaient déjà dû discuter d’espionnage, et ça lui était semblé évident, entre toutes les informations qu’il avait recueillies sur elle, et les visions qu’elle avait eues. Autone soupira, passa une main sur son ventre, de haut en bas pour venir soutenir le poids de l’enfant avant de se relever.

Elle se retourna, allât à la cheminée, alimenter un peu le feu de papier. Des lettres ratées, tâchées d’encre qu’elle gardait pour ses feux. Une partie d’elle était un peu en colère, de la même manière qu’elle l’eût été quand Ilhan l’Avait accusé, la première fois. Comme s’il l’accusait injustement. Mais c’était faux, elle n’avait rien d’une innocente. Et puis, Ilhan ne lui reprochait pas, ne la menaçait pas. Il lui disait, par transparence, par honnêteté. La petite dame déplaça une bûche en réfléchissant. « De toutes les choses que tu sais sur moi, de tout ce que j’ai lu dans tes notes, je regrettais ne pas pouvoir obtenir le nom de l’homme qui m’a…accueilli…à Gloria. Parfois je rêve qu’il est encore en vie, qu’il est à Caladon, ou à Sélénia. » Et elle rêvait de commettre des atrocités, parce que la mort n’était pas assez pour tout ce qu’il lui avait pris. Autone se retourna, son masque de fer s’était installé sur son visage, automatisme lié au sujet de la conversation.

« As-tu trouvé des preuves? Délimar sait-elle? » Car c’était important, maintenant. Si Délimar savait, Sélénia saurait bientôt. « Je pense que les gens ne sont pas idiots. Je suis proche d’Aldaron, ce n’est pas un secret, et je ne le cache pas. Mais j’ai toujours été en colère, lorsque les autres font le rapprochement, entre Aldaron, moi et…Tu sais. Parce que l’on s’est rencontré à Morneflâmme. Et que l’on est devenu proches en affrontant le pire ensemble. C’est la vérité. Mais j’ai l’impression que souvent, l’on accorde mes accomplissements à Aldaron. »

Peut-être était-ce vrai, que sans lui, elle n’aurait pas monté si haut dans l’échelle. Le masque de la politicienne tomba, Autone sourit, s’approchant à nouveau de son mari, elle prit sa main. « Je suis reconnaissante de ton honnêteté, de ton support…de ta dévotion. Je ne t’ai pas tout dit. J’ai quelques secrets que peut-être, je ne pourrai jamais dire à voix haute. Certains parce que les mots se scellent à mes lèvres, tant la douleur est léthale. Aussi doué sois-tu, tisseur, peux-tu accepter que certaines parties de moi te demeurent verrouillées? Condamnées? »

Elle avait tué, autant dans les larmes et dans la honte, que de sang-froid. Elle avait volé, trahi et menti. Pouvait-il se l’imaginer?

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Oui, elle savait. Et il savait qu’elle savait. Tout comme elle savait sans doute qu’il savait. Mais entre le fait que chacun sache, en silence, et le fait de se dire les choses, du moins se dire qu'ils savaient, il y avait un fossé. S’ils ne pouvaient certes pas tout conter, ils pouvaient au moins se dire justement ne pas pouvoir tout révéler et pourquoi ils ne le pourraient jamais. Que les non-dits n’aient plus de place entre eux et que chacun sache, comprenne, ce que les silences signifieraient : non pas défiance envers l’autre, ni même peur ou aversion, mais simplement un rôle de l’ombre pour lequel chacun oeuvrait. Qu’ils puissent avancer main dans la main malgré les silences, sans non-dits qui entre eux pourriraient. Oui, elle savait, mais il ne le lui avait jamais dit. Tout comme il ne lui avait jamais dit que certaines choses resteraient dans l’ombre, que ce soit dans la sienne ou dans celle de son aimée. Et cette étape lui semblait importante pour qu’ils puissent avancer tous deux pour un avenir solide construit sur la confiance.

L’althaïen perçut sans peine l’étrange colère qui couva soudain dans l’esprit de sa femme. Tela la lui soufflait, sans qu’il ne s’en rende compte. Mais même sans cela, l’agitation soudaine de sa femme était assez révélatrice. Il laissa ce lourd sentiment s’écouler, à travers le feu palpitant qui déjà rongeait les pages calcinées. Notant à part lui cette déroutante manie qu’avait sa famille de se tourner vers le feu et l’envie de tout brûler pour se défouler de certaines contrariétés ou pour décharger quelque colère. Le feu n’était guère son propre élément. Il avait eu grand-peine à apprendre à en créer un, que ce soit avec ou sans magie… Il préférait le traitre calme de l’eau, ou encore l’étendue infinie du ciel… Éventuellement l’ancrage rassurant de Mère la Terre aussi.

La voix de son épouse, résonnant d’accents à la fois doux et tendus, le tira de ses pensées, et son regard maintenant mordoré revint caresser les traits de ce si beau visage. Se répétant à part lui que, non, tout ceci, cette nouvelle famille qui se construisait autour d’eux, sa femme attendant son enfant, que non tout ceci n’était pas qu’un doux mirage…

Le nom de cet homme ? Il ne l’avait jamais véritablement cherché, pour tout avouer. Mais si elle le désirait… peut-être pouvait-il tenter de le trouver ? Même si avec le temps, et surtout après l’exil, les recherches seraient bien plus difficiles. Mais si c’était cette information dont sa femme avait tant besoin pour tirer un trait sur son passé, peut-être pouvait-il tenter de la lui offrir ? La désirait-elle véritablement toutefois ?

Et soudain le sujet qu’il avait lancé revint. Des preuves ? Non, pas véritablement. Des suspicions, des faisceaux d’indices, rien de tangible. Rien qu’il ne puisse brandir pour l’incriminer, si tant est qu’il n’en ait eu le désir. Et non Delimar ne savait pas. Il ne disait pas tout à Delimar, seulement les informations cruciales dont, justement, il pouvait avoir des preuves concrètes qui ne se retournent pas contre lui si la cible de l’information venait à les démentir.

Mais en effet, preuve ou non, les suspicions au sujet d’Autone existaient chez toute personne connaissant son lien avec Aldaron, la Triade. Et ces personnes, surtout dans la sphère politique, étaient légion, d’autant plus maintenant qu’Autone était de plus en plus sous le feu des projecteurs. Il comprenait toutefois le ressentiment qu’elle pouvait avoir, quant à cette sensation qu’on ne lui accorde pas forcément ses propres accomplissements pour ce qu’ils étaient : ses propres combats, qu’elle avait menés avec ses propres armes, et ses propres victoires, qu’elle devait à son propre acharnement. Même si Aldaron restait effectivement toujours dans l'ombre à veiller. Autone était une personne de valeur, sur qui l'on pouvait compter et s'appuyer. Et cela, Aldaron l'avait sans doute décelé sans peine dès le premier éveil de leur amitié. Ce n'était pas pour rien qu'il l'avait gardée à ses côtés, des années durant. Même s'il veillait, Autone avait fait bien plus que ses preuves et avait montré qu'elle était capable de réaliser bien des choses seule. Il n'y avait qu'à sortir dans les rues de Caladon pour entendre ce qui se chuchotait sur son nom... Liberté, indépendance, tels étaient les mots qui revenaient si souvent, et ce avec des accents de fierté. Et cela était dû à ses propres luttes, années après années.

Il ne répondit rien tout d’abord, laissant sa femme continuer. Rassuré toutefois de voir son masque tomber et son sourire revenir. Ce sourire… pour lui. Il la laissa prendre sa main, qu’il serra doucement, tentant de retenir sa (maigre) force de Sainnûr pour ne pas la briser. Il sourit à son tour à sa dernière phrase. Un sourire tendre et aimant, teinté de compréhension et de douce tristesse. Il était évident qu’aucun d’eux deux ne pourrait jamais totalement ouvrir leur jardin secret à quiconque autre, quand bien même ils dévouaient à cet autre un amour inconsidéré. Quand bien même ils seraient unis par des liens indéfectibles. Ils étaient ainsi, secret incarné. Et cela ne pourrait changer.

Il caressa doucement la main qui le tenait encore, et de son pouce en redessina les traits. Tendrement, il l’attira à lui, se levant pour la regarder dans les yeux, et lui enserra la taille. Ses orbes pétillants d’or se rivèrent dans ses perles ambrées, quand ses accents chantants se firent murmure :

Tout comme certaines parties de moi le seront aussi, même pour toi. Dès que j’ai scellé mon destin au tien par le sceau du mariage, je l’avais déjà accepté. Nous le savions tous deux, oui, sans nous l’avoir pourtant réellement dit. Voilà simplement que nous nous le sommes enfin, pleinement, avoué. Jamais nous ne pourrons totalement nous révéler à l’autre, malgré tout l’amour que l’on peut se porter.

Une main douce vint remettre une petite mèche derrière l’oreille de sa femme.

Des actes honnis rongent notre coeur et notre âme. Même si je les apprenais, sache que cela n’entacherait en rien, ni l’estime ni l’amour que je te voue, à toi ma femme, et qu’avec toi je souhaiterai encore continuer ce chemin. Mais en serait-il de même pour toi me concernant, si tu apprenais ce que j’ai pu engendré, tous les tourments que j’ai pu causés, et ce des années durant ?

Car si elle redoutait qu’il apprenne des parties de son passé, il ne pouvait nier qu’il en soit de même pour lui. Elle devait bien se douter qu’en tant que Tisseur il avait pris, dû prendre, des décisions cruciales. Parfois, souvent même, fatales. L’espionnage et la traque aux informations impliquaient souvent de devoir se souiller les mains de sang. Pire même… Il était le donneur d’ordre, non pas l’exécuteur. En un sens, de son point de vue du moins, cela était sans doute pire que d'être soi-même un tueur. Pire que de tuer pour se défendre. Si elle savait, l’accepterait-elle tout autant ?

Et sois rassurée, nulle preuve formelle. Et nulle révélation à Delimar non plus. Suspicions résonnent sans doute en tout esprit rationnel. Mais laissons-les se noyer dans leurs doutes irrésolus.

C’était ce qu’il avait fait concernant la Toile et le Tisseur. Et quand bien même maintenant le nom de Tisseur résonnait de plus en plus fort dans son sillage, cela n’empêchait pas la Grande Oeuvre de continuer son ouvrage.

Il accorda un délicat baiser à son aimée, avant de lui souffler lèvres contre lèvres :

Même tes plus sombres secrets ne sauraient me faire peur, car j’en ai bien d’autres également dans mon coeur.

Cela lui donnait peut-être même encore d'autres attraits. Lui qui aimait tant les secrets… Au final, tous deux s’accordaient tant, sur de si nombreux points, même celui de leur passé qu’ils ne souhaitaient révéler en rien…

J’espère simplement que mes propres ombres en rien ne t’effraient.

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L’aimerait-il encore, dans dix ans? Dans cent ans? Aujourd’hui, elle portait son enfant, ils étaient encore dans leur lune de miel. Mais même s’il la prenait, et qu’elle le prenait, avec tout ce qu’ils étaient, leur secrets, erreurs, leur déshonneurs. S’aimeraient-ils encore, lorsqu’elle l’aura suivi dans l’éternité, et que les années les auront usées. À ce quart de siècle, elle se sentait déjà vielle, comme fatiguée de ce qu’elle avait vu. À quoi ressembleraient les prochaines années?

« Je n’ai pas peur. »


Murmura-t-elle, un peu sombrement. Autone laissa retomber son front sur l’épaule de son mari. Glissant une main sur son ventre, elle tentât d’y trouver courage. La pensée d’Achroma la hantait. Elle n’aurait pas dû accepter de l’adopter, si elle n’avait pu lui donner ce dont il avait besoin, le suivre ou le protéger. C’était peut-être le deuil, la grossesse, ou cette idée lassante qu’elle avait déjà trop vu d’horreurs pour avoir peur de ce qu’Ilhan avait fait, ou tout cela en même temps qui fit pleurer Autone à nouveau. « Nous étions à Gloria au même moment, et pendant que tu trahissais …l’empereur, je travaillais pour son trésorier. Et je sélectionnais les information que je conservais, et celles que je lui donnais. Il me payait, mais je ne voulais pas qu’ils gagnent. Parce que j’ai vu à Gloria des gens plus maigres qu’à morneflamme. Et eux ils mangeaient comme des truies… » Elle n’était plus tout à fait en sujet, et ses sanglots l’empêchaient de penser à ce qu’elle disait réellement. Autone prit une grande respiration, pour au moins être intelligible. « Ce que je veux dire c’est qu’il n’y a rien de mal, à mes yeux, dans ton œuvre. Tu as agi pour le plus grand bien. Et même…si ce n’était pas le cas. J’aimerais que tu sache combien je t’admire. Ce n’est pas juste, la honte que tu avais…que tu as pour toi-même. Ma seule peur est de te perdre. Ou de perdre notre enfant, et que tu m’aies marié pour rien…et que je t’ai fait tout jeter pour seulement te donner un autre deuil juste parce que je fais des bêtises parce que je ne sais pas pourquoi mais il faut toujours que je cours vers le danger et que c’est plus fort que moi … »

La phrase se coupa dans les sanglots, et elle savait bien que tout cela n’était pas vrai. Que Ilhan ne l’aurait pas marié pour rien. Quand était-elle devenue si romantique? Elle qui avait haï les hommes pendant de longues années, et craché sur l’idée d’un mariage. Elle aimait tant Ilhan, que l’idée de le décevoir ou de le blesser la mettait dans tous ses états. La petite dame essuya ses larmes, et la voix encore à moitié altérée par ses larmes, elle marmonna « Je veux retourner dormir… »

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L’aimerait-il encore, dans dix ans ? Il ne sut pourquoi, soudain, il perçut cette pensée. Pourquoi Tela la lui soufflait-il, sans qu’il ne l’ait demandé. Mais n’avait-il réellement rien demandé ? Il était si avide de vouloir comprendre son aimée, si avide de pouvoir répondre à ses attentes, au point de vouloir lire en elle, voire fusionner… Toujours était-il que cette pensée fulgura en son esprit, telle une pleine lune dans les ténèbres de la nuit.

Oui, aurait-il voulu lui répondre. Oui, aurait-il voulu lui promettre. Mais il avait pour habitude de ne jamais prononcer une promesse qu’il n’était pas sûr de pouvoir tenir. Et s’il savait une chose, c’est qu’ils ne sauraient dire ce que leur réserverait l’avenir. Oui, aimerait-il lui souffler, en un tendre murmure. Mais au lieu de cela, il se contenta de la serrer dans ses bras, avec pour seule réponse son coeur battant de sainnûr.

Et, elle, l’aimerait-elle encore, dans dix ans ? vint la pensée insidieuse.

« Je n’ai pas peur. »

Et cela lui suffit alors. Cela répondait à toutes leurs questions. S’ils n’avaient pas peur d’être ensemble, alors ils pourraient tout affronter même les tempêtes de cendres.

Quand elle lui conta leur histoire à Gloria, il se contenta d’apposer un délicat, volage, baiser sur sa tempe, tout en caressant ses cheveux alors qu’elle avait posé sa tête sur son épaule. Agir pour le plus grand bien. Oui c’était ce qu’il s’était dit. Et ce qu’il se disait encore. Mais il avait aussi appris qu’agir pour le plus grand bien ne voulait pas forcément dire agir bien, ni même pour le bien. Le plus grand bien pouvait faire parfois aussi le plus grand mal, si ce n’est au monde, du moins à une poignée. Toute guerre, même celle inspirée par les plus hauts idéaux, faisait des ravages et comptait des victimes. Il ne se leurrait en rien sur celles qu’il avait sans doute sacrifiées, consciemment ou non.

Il fut toutefois touché en plein coeur quand elle lui avoua l’admirer. Et resta un instant coi, incapable de répondre quoi que ce soit.

Et soudain, ce petit aveu à peine en un murmure : « Je veux retourner dormir… »

Ces simples mots arrachèrent un léger sourire, à la fois protecteur et amusé, à l’althaïen. Un autre baiser sur la tempe de sa femme, une autre caresse sur sa chevelure de feu qu’il aimait tant, et il allongea son aimée tendrement, l’installant dans le lit confortablement. Il se permit une légère caresse sur son ventre arrondi et y déposa un tendre baiser sans lâcher les ambres d’Autone du regard.

Je t’admire aussi. J’espère que tu te souviendras toujours que je me suis lié à toi par amour. Un amour tendre et sincère, un amour plein et entier. Je donnerai ma vie pour toi, n’en doute pas.

Il remonta à hauteur du visage de la jeune femme, plongeant ses orbes sombres dans ses yeux rougis par les larmes, accoudé au-dessus d’elle. D’une main, il replaça une mèche rebelle.

Je t’aime. Tu ne m’as jamais obligé en rien. N’aie crainte de faire des bêtises, à mes yeux je ne vois pas les choses ainsi. Je t’aime comme tu es, j’aime cette façon que tu as d’agir et de défendre tes idées. Et même si je ne peux nier que te voir affronter mille et un dangers me donne des sueurs froides, je ne t’en voudrais jamais et ne t’en empêcherais en aucune façon non plus. Tu es ainsi, et tu n’es pas née pour être enchainée, même par amour. Je souhaite t’aimer telle que tu es, incarnation de la liberté, et ce quoiqu’il puisse m’en coûter.

Un autre baiser, cette fois sur ses lèvres, qu’il caressa d’un doigt avant d’effleurer ses propres lèvres, comme pour mieux les imprégner de ce doux contact.

Je n’ai pas peur non plus, ma Reine d'or. Et j’espère vivre à tes côtés dix ans, cent ans... et plus encore, murmura-t-il, tel un écho des pensées qu’elle avait eu plus tôt.

Cette fois, il la borda, puis s’allongea à ses côtés, sans toutefois s’imposer, ni même la toucher plus que de raison. Il était juste là, sur le lit, près d’elle… et si elle l’acceptait, il resterait là tel un gardien qui veille.

Que les rêves t'emportent et t'apaisent. Je t'aime, ma Reine, fit-il en althaïen, même s'il n'était pas sûr qu'elle puisse le comprendre.

Laissant la tendresse de sa voix porter toute la profonde affection qu'il ressentait.

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