6 mai 1764 — Abords de Cendre-Terre

Le calme n’était pas tout à fait revenu à Cendre-Terre, après les funérailles du précédent Prince Noir et le couronnement du nouveau, et tous les événements qui s’en étaient suivis. Un changement de dirigeant ne se faisait jamais dans la douceur, chez les vampires, et les dissensions pouvaient encore se faire sentir, même si pour l’heure tous les dissidents avaient ployé le genou. Mais d’autres problèmes pointaient à l’horizon.

Des gräarhs avaient été repérés à proximité de la ville, certes pas assez nombreux pour être considérés comme une armée, mais suffisamment pour ne guère pouvoir être pris pour des voyageurs isolés, et une telle incursion sur le territoire des vampires avait de quoi inquiéter. Achroma avait, autant que possible, apaisé les relations entre les Gräarhs et les Vampires, et escomptait que les races pourraient partager l’île en bonne intelligence. Mais Achroma n’était plus, et le nouveau Prince Noir avait un point de vue bien différent sur la question.

Déjà, un projet de nouvelle ville, plus avancée dans les terres, avait été évoqué, et si les Gräarhs n’en étaient a priori pas encore au courant, il ne faisait guère de doute que lorsqu’ils le seraient, ils n’apprécieraient que moyennement ce manquement à l’accord qui avait été passé. Tout comme l’alliance des Vampires avec les pirates étaient d’ores et déjà sujet à tensions.

Autant de raisons pour lesquelles la présence des Gräarhs devait être élucidée au plus vite. Il était bien sûr possible qu’ils soient là pour une raison tout à fait innocente et inoffensive… mais il était nécessaire de s’en assurer. Ce pourquoi Liv se mettait en route en cette fraîche journée presque printanière.

Il partait à pieds, Ombrenuit ne l’ayant pas encore pardonné son abandon récent et trop long à son goût, mais non pas seul. Il avait été déterminé qu’envoyer une troupe armée manquerait de discrétion et de subtilité, le but étant pour le moment de déterminer les intentions des Gräarhs, et non de causer un incident diplomatique qui précipiterait une potentielle guerre… quoi qu’il puisse arriver à l’avenir à ce sujet. Pour le moment en tout cas, l’heure n’y était pas. Et qui de mieux, pour deviner les arrière-pensées d’un groupe d’inconnu, qu’un Baptistrel se trouvant opportunément sur place à ce moment ?

Liv faisait donc la route avec Valmys, mitigé entre le plaisir de pouvoir passer du temps avec son insaisissable grand-frère, l’inquiétude de le mener vers un danger potentiel, et la culpabilité de le mener à une action que, manifestement, il n’approuvait pas complètement. De fait, il n’était pas un vampire et, bien qu’étant le fils de CendreLune, ne faisait pas partie du Clan, cette affaire ne le concernait pas réellement, pas plus que le conflit qui couvait entre les deux camps. Il avait accepté pourtant, malgré sa réticence initiale, et c’est ainsi qu’ils se retrouvèrent à cheminer tous les deux, accompagnés du serval et de la chienne qu’il aurait apparemment été impossible de convaincre de ne pas suivre les pas du Chantemagma — ce dont Liv était loin de se plaindre, au demeurant. C’est avec une certaine gêne qu’il avait lâché, alors qu’ils se mettaient en route :

« Je suis désolé de te mettre dans cette situation. J’ai cru comprendre que tu n’approuvais pas tout à fait cette petite expédition, ou du moins le rôle qui t’y es confié… Mais ça me fait quand même plaisir d’avoir l’occasion de passer du temps avec toi. »

Les deux frères avaient beaucoup à rattraper, et la conversation avait chaleureusement papillonné d’un sujet à l’autre, notamment sur la nouvelle apparemment du Baptistrel, qui avait valu un long sermon du jeune vampire sur les risques inconsidérés et les solutions raisonnables. Le regard du puîné ne cessait d’aller et venir entre son interlocuteur et ses compagnons quadrupèdes, ne cherchant pas à dissimuler un sourire attendri à chaque fois que ses yeux s’arrêtaient dessus.

Enfin, ils arrivèrent à l’endroit indiqué, et trouvèrent effectivement ce qu’ils cherchaient. Ils avaient profité du couvert des arbres, maintenant que les licornes n’étaient plus un problème — ou du moins, plus autant que lors des premiers jours de Liv dans la région — en veillant toutefois à s’en tenir à l’orée, sans prendre le risque de s’enfoncer dans les profondeurs des bois. De là où ils se tenaient, ils pouvaient voir à distance un petit campement Gräarh, installé prudemment à l’écart de la forêt, leur laissant le loisir d’observer sans se faire remarquer ; du moins pour l’instant.