Le voyage jusqu’à Khokhattaan lui parut interminable. Assis comme il pouvait, lui qui débordait d’énergie, il passa l’essentiel du temps en bateau à assaillir l’équipage de question. Parmi lesquelles “Quand est-ce qu’on arrive” et “comment ça s’appelle, ça ?” dans une langue commune à couper au couteau. Le graärh ne tenait pas en place et la découverte de ce bâtiment, même s’il s’agissait d’un petit bateau, continuait de l’impressionner. Il manquait cruellement d’espace, l’horizon n’était composé que d’eau à perte de vue, quoique l’île se trouvait au loin mais en attendant, il y avait une restriction assez sévère de l’espace qu’il pouvait couvrir pendant toute une journée. Lui qui débordait d’énergie et d’envie de découvrir, il se retrouvait coincé sur un bateau. Il oscillait entre enthousiasme curieux à poser toutes les questions qui lui traversaient l’esprit, consignant les réponses et ses observations dans un carnet qu’il avait attribué à la connaissance navale. Il y nota notamment le fait que plusieurs types de bateau existaient et que celui-ci, un petit brick, était l’un des plus rapides et faisait partie de la petite variété.
La taille du bateau lui faisait se demander, exactement, de quelle taille étaient les plus gros d’entre eux. Avec des mots qui peinaient à faire sens pour le graärh, l’un des matelots tenta de lui décrire les frégates puis les navires de lignes, énormes et conséquents.
Le voyage se fit sous le signe de l’ennui et de l’impatience mais également sous celui de l’apprentissage et de la découverte. L’excitation était omniprésente, bien entendu, mais voir Khokhattaan approcher, à la fois si vite et si lentement, rendait le temps restant insupportable.
Son arrivée sur le port de la capitale humaine, de l’empire, fut pour le moins déconcertante. Débarquant avec ses maigres possession, son bâton et sa petite sacoche accrochée à l’épaule, le graärh observa les alentours, partagé entre l’effarement et la curiosité.
S’il y avait eu du monde durant l’attaque des chimères pour protéger le baôli, s’il avait cru côtoyer quantité de sans-poils au domaine, il n’était manifestement pas prêt pour la vague humaine qui se tenait sur le port, se déplaçant d’un bateau à un autre, entre les entrepôts et la ville elle-même, entre les entrepôts et les bateaux. Il y avait une marée qui n’avait, à première vue, aucun sens mais qui, tandis qu’il prenait le temps de l’observer attentivement, prenait une forme savante et pratique. Les matelots transportaient des biens d’un endroit à un autre, chargeant et déchargeant, tour à tour désemplissant puis remplissant les navires qui attendaient sagement à quais.
S’ébrouant, sa longue crinière garnie de tresses dont les perles s’entrechoquèrent dans un distrayant cliquetis, Rakesh se mit en route, tâchant de son mieux de s’extraire de la marée humaine qui s’afférait à quais. Sorti du port, il s’immobilisa à nouveau, cherchant à qui s’adresser. Il n’était pas un expert en bipède, loin de là, mais il savait à tout le moins repérer à qui il pouvait demander de l’aide et ces sans-fourrure qui se trouvaient à surveiller le bien-être des citoyens en faisaient certainement partie. Incapable de se retenir, conscient plus que jamais qu’il n’était pas chez lui et qu’il était à la merci du bon vouloir de parfaits étrangers, les oreilles de Rakesh s’orientèrent vers l’arrière tandis qu’il approchait des gardes en armure.
Le regard hostile, un rien dédaigneux, qu’il récupéra n’arrangea rien dans son propre comportement et le graärh se redressa de toutes sa taille, son expression se fermant brièvement malgré lui avant qu’il ne s’incline légèrement sans pour autant perdre de vue qu’ils étaient armés et qu’il n’avait pour toute défense qu’un bâton :
« Bien le bonjour, » gronda-t-il avec un fort accent, modifiant brièvement forçant ses oreilles à prendre une posture plus ouverte et sa queue à s’immobiliser plutôt que de battre l’air avec nervosité. « Pourriez-vous m’indiquer la tente de soin la plus proche, s’il vous plaît ? »
L’un d’eux donna un petit coup de coude avant de lui chuchoter quelque chose à l’oreille qui les fit rire tous les deux. Ils n’avaient peut-être pas croisé bien des graärhs par le passé car l’ouïe de l’Ashüddh capta sans peine leur blague de mauvais goût :
« En lieu et place de ronronnement, j’entends employer herbes et connaissances, mais si cela ne vous fait rien, je trouverais mon chemin par moi-même, » lâcha-t-il avec dédain.
Il ne voulait rien moins que de s’élancer dans les étendues primitives et libres, découvrir ce qui se cachait sous les cavernes et les grottes, explorer le moindre recoin et découvrir ce qui n’attendait qu’une bonne âme pour être trouvé. Au lieu de quoi, et parce qu’il souhaitait apporter son aide, il se retrouvait coincé dans une fourmilière de pierres et de bois à se voir moqué par quelques chauves-de-corps engoncés dans du métal.
Irrité, il battit l’air de sa queue et se détourna sans attendre. Il trouverait quelqu’un d’autre à interroger ou trouverait de lui-même. Sa fourrure se hérissa sous son irritation mais avant qu’il ne puisse faire quelques pas, il fut rattrapé par le plus âgé de la clique qui l’avait accueilli :
« Ne leur en voulez pas, » lâcha le sans-poil tout en se portant à sa hauteur. « L’attaque que nous venons d’essuyer n’a pas laissé que des traces sur les bâtiments et laissé des blessés. On est tous tendus et après tous les trucs improbables qu’on a vu, un graärh qui débarque pour demander à voir les blessés, c’est probablement la cerise sur le gâteau. »
Curieux, Rakesh abandonna son attitude revêche, inclinant la tête de côté, son regard attentif passant sur la dégaine du chauve. Effectivement, il avait ce que les bipèdes appellaient “des cernes” sous les yeux. Des traces noires très étranges, parfois jaunes, parfois un peu vertes, parfois un peu bleues ou violettes. C’était totalement absurde et pourtant ce n’était pas le premier spécimen à arborer ce type de marque. Interpellé, le graärh jeta un regard en arrière vers le petit groupe de gardes. Peut-être qu’ils avaient des marques similaires et “des traits tirés”, peu importe ce que cela voulait dire mais qui indiquaient de la fatigue voire de la tension.
A l’attention de celui qui l’avait rejoint, il hocha la tête, compréhensif :
« Je vois, » son regard retrouva la rue dans laquelle ils s’étaient engagés sans que le garde ne manifeste une quelconque protestation. « Allez-vous me guider ? »
Le garde hocha la tête avec un petit sourire, sa démarche ferme bien que manquant d’énergie. A en juger par l’état de la capitale, Rakesh réalisait que les gardes n’étaient certainement pas les seuls à être “au bout du rouleau” - encore une expression qui le laissait perplexe. Les citoyens mettaient tous la main à la pâte, déblayant et tentant de reconstruire ce qui pouvait l’être, aidant certains mal en point à se déplacer, tentant de retrouver les leurs s’ils n’y étaient toujours pas parvenus. Il y avait comme une note de désespoir dans bien des voix, une triste symphonie de désolation. Jamais la même, toujours une variante, une nuance, mais il pouvait entendre la même affliction chez tout un chacun. Homme, femme comme enfant.
Les plaines et les grottes l'appelaient mais il ne regrettait pour autant pas d’être venu là, même si c’était difficile.
« Je connais une personne qui devrait pouvoir vous aider et vous accompagner. Faire des généralités et des moqueries déplacées, c’est pas son genre alors je me dis que vous devriez être entre de bonnes mains si vous êtes vraiment là pour nous aider. »
Faisant la moue, sa gueule se tordant brièvement d’une expression maussade, Rakesh jeta un regard en coin au sans-poil et répliqua d’une voix traînante :
« Franchement, à part ça, je vois pas ce qui m'amènerait ici. Peux pas dire que ce soit le meilleur endroit où traîner dernièrement. »
Le garde eut un petit rire et leva un regard un rien plus brillant vers le graärh, qui lui rendit son sourire, bien qu’avec des crocs bien plus longs mais l’expression était clairement enjouée :
« Je vois ce que vous voulez dire. »
Ils arrivèrent devant une structure manifestement temporaire et le garde lui indiqua de l’attendre à l’extérieur avant de s’engouffrer sous la tenture. Conscient d’être visible comme la truffe au milieu de la gueule, Rakesh tenta de se glisser un peu sur le côté mais malgré tout, il attirait le regard. D’autant qu’avec sa crinière, il pouvait difficilement passer inaperçu.
Il n’attendit que quelques minutes avant que le garde ne revint, accompagné d’une autre personne. Lui accordant un bref regard, le graärh se concentra notamment sur le fait que le garde lui souhaita une bonne journée avec l’intention de s’éloigner. Rakesh inclina la tête, une expression “souriante” sans pour autant montrer ses dents et ajouta :
« Merci pour votre accueil, hm... », il jeta un regard à la ronde, ses yeux bleu vif accrochant les décombres calcinés et ajouta avec une expression un rien absurde : « chaleureux ? »
Éclatant de rire, le garde s’éloigna sans attendre, le laissant avec la nouvelle venue que le graärh observa avec curiosité, son langage corporel aussi ouvert qu’il le pouvait, bien que méfiant de cette nouvelle venue. Une femelle, pour autant qu’il puisse dire. Il tenta un sourire et expliqua :
« J’ai cru comprendre que vous aviez beaucoup de blessés et je me suis dis que je pouvais venir vous donner un coup de main. Patte, » il écarquilla brièvement les yeux avant d’ajouter avec un haussement d’épaule : « Enfin, vous aider quoi. »
La taille du bateau lui faisait se demander, exactement, de quelle taille étaient les plus gros d’entre eux. Avec des mots qui peinaient à faire sens pour le graärh, l’un des matelots tenta de lui décrire les frégates puis les navires de lignes, énormes et conséquents.
Le voyage se fit sous le signe de l’ennui et de l’impatience mais également sous celui de l’apprentissage et de la découverte. L’excitation était omniprésente, bien entendu, mais voir Khokhattaan approcher, à la fois si vite et si lentement, rendait le temps restant insupportable.
Son arrivée sur le port de la capitale humaine, de l’empire, fut pour le moins déconcertante. Débarquant avec ses maigres possession, son bâton et sa petite sacoche accrochée à l’épaule, le graärh observa les alentours, partagé entre l’effarement et la curiosité.
S’il y avait eu du monde durant l’attaque des chimères pour protéger le baôli, s’il avait cru côtoyer quantité de sans-poils au domaine, il n’était manifestement pas prêt pour la vague humaine qui se tenait sur le port, se déplaçant d’un bateau à un autre, entre les entrepôts et la ville elle-même, entre les entrepôts et les bateaux. Il y avait une marée qui n’avait, à première vue, aucun sens mais qui, tandis qu’il prenait le temps de l’observer attentivement, prenait une forme savante et pratique. Les matelots transportaient des biens d’un endroit à un autre, chargeant et déchargeant, tour à tour désemplissant puis remplissant les navires qui attendaient sagement à quais.
S’ébrouant, sa longue crinière garnie de tresses dont les perles s’entrechoquèrent dans un distrayant cliquetis, Rakesh se mit en route, tâchant de son mieux de s’extraire de la marée humaine qui s’afférait à quais. Sorti du port, il s’immobilisa à nouveau, cherchant à qui s’adresser. Il n’était pas un expert en bipède, loin de là, mais il savait à tout le moins repérer à qui il pouvait demander de l’aide et ces sans-fourrure qui se trouvaient à surveiller le bien-être des citoyens en faisaient certainement partie. Incapable de se retenir, conscient plus que jamais qu’il n’était pas chez lui et qu’il était à la merci du bon vouloir de parfaits étrangers, les oreilles de Rakesh s’orientèrent vers l’arrière tandis qu’il approchait des gardes en armure.
Le regard hostile, un rien dédaigneux, qu’il récupéra n’arrangea rien dans son propre comportement et le graärh se redressa de toutes sa taille, son expression se fermant brièvement malgré lui avant qu’il ne s’incline légèrement sans pour autant perdre de vue qu’ils étaient armés et qu’il n’avait pour toute défense qu’un bâton :
« Bien le bonjour, » gronda-t-il avec un fort accent, modifiant brièvement forçant ses oreilles à prendre une posture plus ouverte et sa queue à s’immobiliser plutôt que de battre l’air avec nervosité. « Pourriez-vous m’indiquer la tente de soin la plus proche, s’il vous plaît ? »
L’un d’eux donna un petit coup de coude avant de lui chuchoter quelque chose à l’oreille qui les fit rire tous les deux. Ils n’avaient peut-être pas croisé bien des graärhs par le passé car l’ouïe de l’Ashüddh capta sans peine leur blague de mauvais goût :
« En lieu et place de ronronnement, j’entends employer herbes et connaissances, mais si cela ne vous fait rien, je trouverais mon chemin par moi-même, » lâcha-t-il avec dédain.
Il ne voulait rien moins que de s’élancer dans les étendues primitives et libres, découvrir ce qui se cachait sous les cavernes et les grottes, explorer le moindre recoin et découvrir ce qui n’attendait qu’une bonne âme pour être trouvé. Au lieu de quoi, et parce qu’il souhaitait apporter son aide, il se retrouvait coincé dans une fourmilière de pierres et de bois à se voir moqué par quelques chauves-de-corps engoncés dans du métal.
Irrité, il battit l’air de sa queue et se détourna sans attendre. Il trouverait quelqu’un d’autre à interroger ou trouverait de lui-même. Sa fourrure se hérissa sous son irritation mais avant qu’il ne puisse faire quelques pas, il fut rattrapé par le plus âgé de la clique qui l’avait accueilli :
« Ne leur en voulez pas, » lâcha le sans-poil tout en se portant à sa hauteur. « L’attaque que nous venons d’essuyer n’a pas laissé que des traces sur les bâtiments et laissé des blessés. On est tous tendus et après tous les trucs improbables qu’on a vu, un graärh qui débarque pour demander à voir les blessés, c’est probablement la cerise sur le gâteau. »
Curieux, Rakesh abandonna son attitude revêche, inclinant la tête de côté, son regard attentif passant sur la dégaine du chauve. Effectivement, il avait ce que les bipèdes appellaient “des cernes” sous les yeux. Des traces noires très étranges, parfois jaunes, parfois un peu vertes, parfois un peu bleues ou violettes. C’était totalement absurde et pourtant ce n’était pas le premier spécimen à arborer ce type de marque. Interpellé, le graärh jeta un regard en arrière vers le petit groupe de gardes. Peut-être qu’ils avaient des marques similaires et “des traits tirés”, peu importe ce que cela voulait dire mais qui indiquaient de la fatigue voire de la tension.
A l’attention de celui qui l’avait rejoint, il hocha la tête, compréhensif :
« Je vois, » son regard retrouva la rue dans laquelle ils s’étaient engagés sans que le garde ne manifeste une quelconque protestation. « Allez-vous me guider ? »
Le garde hocha la tête avec un petit sourire, sa démarche ferme bien que manquant d’énergie. A en juger par l’état de la capitale, Rakesh réalisait que les gardes n’étaient certainement pas les seuls à être “au bout du rouleau” - encore une expression qui le laissait perplexe. Les citoyens mettaient tous la main à la pâte, déblayant et tentant de reconstruire ce qui pouvait l’être, aidant certains mal en point à se déplacer, tentant de retrouver les leurs s’ils n’y étaient toujours pas parvenus. Il y avait comme une note de désespoir dans bien des voix, une triste symphonie de désolation. Jamais la même, toujours une variante, une nuance, mais il pouvait entendre la même affliction chez tout un chacun. Homme, femme comme enfant.
Les plaines et les grottes l'appelaient mais il ne regrettait pour autant pas d’être venu là, même si c’était difficile.
« Je connais une personne qui devrait pouvoir vous aider et vous accompagner. Faire des généralités et des moqueries déplacées, c’est pas son genre alors je me dis que vous devriez être entre de bonnes mains si vous êtes vraiment là pour nous aider. »
Faisant la moue, sa gueule se tordant brièvement d’une expression maussade, Rakesh jeta un regard en coin au sans-poil et répliqua d’une voix traînante :
« Franchement, à part ça, je vois pas ce qui m'amènerait ici. Peux pas dire que ce soit le meilleur endroit où traîner dernièrement. »
Le garde eut un petit rire et leva un regard un rien plus brillant vers le graärh, qui lui rendit son sourire, bien qu’avec des crocs bien plus longs mais l’expression était clairement enjouée :
« Je vois ce que vous voulez dire. »
Ils arrivèrent devant une structure manifestement temporaire et le garde lui indiqua de l’attendre à l’extérieur avant de s’engouffrer sous la tenture. Conscient d’être visible comme la truffe au milieu de la gueule, Rakesh tenta de se glisser un peu sur le côté mais malgré tout, il attirait le regard. D’autant qu’avec sa crinière, il pouvait difficilement passer inaperçu.
Il n’attendit que quelques minutes avant que le garde ne revint, accompagné d’une autre personne. Lui accordant un bref regard, le graärh se concentra notamment sur le fait que le garde lui souhaita une bonne journée avec l’intention de s’éloigner. Rakesh inclina la tête, une expression “souriante” sans pour autant montrer ses dents et ajouta :
« Merci pour votre accueil, hm... », il jeta un regard à la ronde, ses yeux bleu vif accrochant les décombres calcinés et ajouta avec une expression un rien absurde : « chaleureux ? »
Éclatant de rire, le garde s’éloigna sans attendre, le laissant avec la nouvelle venue que le graärh observa avec curiosité, son langage corporel aussi ouvert qu’il le pouvait, bien que méfiant de cette nouvelle venue. Une femelle, pour autant qu’il puisse dire. Il tenta un sourire et expliqua :
« J’ai cru comprendre que vous aviez beaucoup de blessés et je me suis dis que je pouvais venir vous donner un coup de main. Patte, » il écarquilla brièvement les yeux avant d’ajouter avec un haussement d’épaule : « Enfin, vous aider quoi. »