4 juin 1764
Néthéril avait trop à offrir, trop d’intérêt à éveiller et trop de curiosité à assouvir. Après sa rencontre avec la graärh, Sorel avait fini par faire demi-tour pour correspondre avec le capitaine du navire pour se mettre d’accord sur un nouveau procédé. Afin d’épargner à Faronlyss de devoir passer plusieurs jours supplémentaires enfermé dans la cage, dans la cale du navire, il avait eu une idée différente. Qui, probablement, ne plairait pas au capitaine… du moins c’est ce qu’il pensait.
A son retour et en exposant son intention au capitaine du navire, celui-ci hocha la tête, son regard rivé sur le fenrisulfr qui rôdait non loin de là, l’apparence rétive et peu amène de l’animal n’aidant certainement pas ses affaires. Ils se donnèrent rendez-vous à l’autre extrémité de l’île, le navigateur garantissant un rythme assez lent pour qu’ils n’aient pas nécessairement à attendre trop longtemps que l’elfe ait fini de traverser l’île pour les rejoindre.
Une fois d’accord avec le navigateur, ils se quittèrent - non sans que Sorel se soit correctement équipé et approvisionné pour une petite traversée de l’île - et le jeune elfe se mit en route pour découvrir ce qu’il pouvait de Néthéril. Il se cantonnerait plus ou moins à la berge nord afin de garder un fil conducteur et ne pas risquer de se perdre par monts et par vaux, ce dont il était entièrement capable après tout. Il y avait tant à voir, tant à découvrir, pourtant lorsque le soleil accrocha une étoile diurne, Sorel en oublia l’horizon ocre parsemé de vert et de marron, de gris et de tant d’autres nuances. Levant les yeux vers un ciel d’un bleu presque parfait, seulement perturbé par d’adorables nuages aux ventres blancs et rebondis, il croisa l’ombre scintillante d’un dragon.
Pendant un instant, l’elfe resta interdit, suivant la silhouette élégante du regard sans réagir. Mais lorsque la réalisation se fit, il émit un couinement d’excitation, sautillant soudain sur place en battant l’air des mains avant de s’élancer sans une once de prudence. Oubliant tous les prédateurs qui parcouraient les terres de Néthéril, tout ce qu’il avait appris sur la prudence à observer, tout ce qui avait justifié la présence de Faronlyss à ses côtés pour garantir sa sécurité, Sorel courut. Trébuchant sur les dunes irrégulières, se prenant les pieds dans les branches mortes ou les arbustes qu’il croisait et dont il n’avait aucune conscience, son regard rivé sur l’immense ombre aux ailes démesurées. Des ailes s’étaient ouvertes dans sa poitrine, battant au rythme de son corps, exultant tandis qu’un rire d’enfant bouillonnait dans sa poitrine avant de cascader hors de ses lèvres en une expression de joie pure et honnête. Sautant d’une dune à une autre, se rattrapant de justesse avec les mains, la gravissant à quatre pattes presque sans qu’à aucun moment le sourire ne quitte ses lèvres, l’elfe en oublia toute prudence et toute attention, seulement conscient de son frère de meute trottinant à ses côtés.
Faron était peut-être prudent pour deux mais Sorel était si loin de ces considérations, si loin de prêter la moindre attention à ce qui pouvait bien entacher la beauté éclatante avec laquelle les Esprits-Liés avaient décidé de le bénir.
L’elfe ne s’arrêta que lorsqu’il s’immobilisa au faît d’une dune ocre, son regard tombant sur une magnifique oasis, un tableau enchanteur de bleu, de vert, de marron et d’or. Le gargouillis enchanteur de l’eau chutant de la cascade et atterrissant dans son bassin naturel lui parvenait depuis sa position, ainsi que le chuchotement secret du vent dans les feuilles. Grisé, Sorel éclata de rire à nouveau, ne croyant pas en sa chance tandis qu’il avisait un long fouet d’or disparaître dans les méandres de rochers gris à l’arrière de la cascade. Se mordant la lèvre inférieure tout en dévalant la vallée de sable, trébuchant et tentant de garder l’équilibre, les bras en croix et battant l’air pour s’épargner une nouvelle chute, il atteignit en courant le bassin d’eau claire. Faron, trop alerte pour se laisser aller, approcha de l’eau et la renifla, intéressé et certainement assoiffé, mais la présence d’un grand prédateur, dangereux, le laissait trop tendu pour s’y abreuver pour le moment.
Lui ordonnant de rester là pour le moment, malgré la claire désapprobation du prédateur, Sorel contourna la cascade à petits pas. Perdu dans sa joie, il longea la cascade en sautant d’une pierre à l’autre, manquant de glisser et de tomber. Il se retint de rire, plaquant une main sur sa bouche tandis qu’un gloussement grimpait à l’assaut de ses lèvres.
Contournant finalement la cascade, il parvint à l’entrée de la caverne où le dragon avait disparu.
Soudain, Sorel réalisa exactement ce qu’il était en train de faire et il recula de quelques pas tandis qu’il se morigénais pour son manque de respect. Hésitant un instant sur la conduite à suivre, trop enthousiaste à l’idée de peut-être rencontrer un dragon en plus de Nahui, qui était déjà une chance à elle seule, comme une étoile filante une nuit de pleine lune, Sorel s’immobilisa. Il se sentait physiquement incapable de tourner les talons et de s’en aller, de quitter les lieux sans peut-être essayer d’établir un contact avec le dragon. Aldaron lui en voudrait certainement de son manque cruel de prudence et d’instinct de survie mais il y avait indéniablement un besoin urgent de voir, de poser les yeux sur cet être magnifique et fantastique. Il se mordit la lèvre inférieure, partagé, presque les larmes aux yeux avant qu’il ne recule de quelques nouveaux pas afin de ne pas se trouver exactement sur le pas de la caverne, à l’entrée même, au point de la bloquer - même si un dragon n’avait aucune chance de se sentir acculé par une petite créature aussi insignifiante que lui. S’il ne pouvait se résoudre à quitter les lieux, il n’avait pas non plus l’intention d’être trop envahissant. Si le dragon refusait de le voir ou de lui parler, il ne s’imposerait pas plus mais il se devait d’au moins essayer.
Une fois situé assez loin de l’entrée de la tanière pour ne pas donner l’impression de trop empiéter sur l’espace du dragon, l’elfe se laissa tomber en tailleur, les jambes croisées et les mains jointes dans son giron, image parfaite de l’innocence et du calme enfantin - c’est à dire débordant d’impatience et d’enthousiaste - Sorel hésita un peu avant de se lancer :
« Hm… monsieur le dragon ? »
Dernière édition par Sorel Gallenröd le Sam 7 Aoû 2021 - 15:35, édité 1 fois