- 20 mai 1764
Le nouveau Prince Noir n’était pas resté longtemps à Caladon, juste assez pour, une dizaine de jours plus tôt, destituer Eleonnora Ostiz et faire élire une brillante femme du Marché Noir : Autone Falkire. Il savait qu’entre les mains que la jeune femme enceinte et de son époux, la cité qu’il avait tant chérie brillerait sous de généreux auspices. Et sans lui. Car s’il avait été homme, jusqu’alors, à tendre une main pleine d’or à bien des projets, aujourd’hui, toutes ses préoccupations étaient posées sur son Royaume. Il avait cette pleine responsabilité qui ne pouvait se permettre le moindre faux pas, vu la situation précaire dans laquelle les siens se trouvaient.
Ce fut avec satisfaction qu’il rentrait à Cendre-Terre, défait de ses rôles de Conseiller Caladonien et de Capitaine de la Confrérie. Il était un Prince Noir, et il ne pouvait y avoir la moindre autorité au-dessus de lui, sous peine de voir se lever contre lui une rébellion hasardeuse. Les vampires étaient un peuple sauvage à bien des égards et Aldaron ne retrouvait de plus en plus en lui, lui qui fut prisonnier de Morneflamme. Ici était un monde où seuls les plus forts marquaient leur territoire et avait une place. Un monde de violence dont les cendres de son époux avaient désigné le nouveau monarque.
Ce fut avec fierté qu’il apprit l’investissement de son fils, Ivanyr, auprès de ses nouvelles recrues. Les enfants de la nuit avaient Faim mais ils apprendraient vite et surtout, il viendrait renforcer l’armée vampirique à laquelle chaque membre de la nation appartenait. Près d’un millier d’hommes et de femmes, c’était beaucoup pour ce peuple meurtri par les guerres et le rejet. Le bruit des épées qui s’entrechoquaient témoignaient d’un entrainement qui avait commencé : le cœur du Prince Noir réclamait vengeance. Il ferait couler le sang et le ferait méthodiquement.
La prise en main de Caladon, pour qu’elle ne rejoigne pas l’Empire, était une première pierre à cet édifice qu’il érigeait. Il y avait placé deux brillants éléments qui, il n’en doutait pas, scanderaient la gloire de la liberté sur tous les toits. La seconde étape serait de se tourner vers les elfes et les graärh, leurs proches voisins, pour accroître leur armée plus encore de forces redoutables. Enfin, il comptait bien mettre un terme à l’existence ignoble de ce tueur de dragon, dernier bastion là lui faire craindre un revers de fortune. Une fois cela fait, conquérir Sélénia serait presque une formalité. Le soucis, là-dedans, c’était que Claudius était moins stupide que Victoria, moins jeune et plus expérimenté dans l’art de la guerre. Lui aussi s’était fait des alliés… Cela ne le pousserait qu’à surpasser ses objectifs et se préparer d’avantage au combat. Le voile de la nuit s’étendrait.
Après avoir retrouvé son peuple, puis ses enfants, Aldaron put rejoindre son bureau et fut assez surpris d’y voir un vase rouge. Il ne se souvenait pas avoir réclamer un pareil objet et il saisit le mot qui l’accompagnait. Il serra les mâchoires en reconnaissant l’écriture et du se tempérer pour ne pas calciner le papier.
Aldaron,
Je sais ce que tu vas dire, voir ce que tu vas faire, en reconnaissant mon écriture. Mais je t’en prie, ne brûle pas tout de suite cette missive. Depuis cette terrible bataille, je sais que j’ai brisé en toi tout ce qu’il pouvait l’être. Je n’implorerais jamais ton pardon, pas plus que je ne regretterais ce que j’ai fait.
Seulement, comme tu le sais, par la force des choses, nous allons être amenés à nous revoir. Et je sais que ce jour-là à Selenia, tu m’as apporté ton aide, à ta façon. En faisant rugir les flammes de Nahui contre ce quartier et ce château que j’ai toujours trouvé laid, tu m’as sorti une épine du pied. Je voudrais te dire, qu’aujourd’hui, je pense avoir compris. Il est des choses que ton peuple ne peut plus supporter, et le mien non plus.
Fais-en ce que tu en voudras, mais en guise de main tendue, tu trouveras un présent avec cette missive. Ce sera un moyen pour nous deux de communiquer plus brièvement, et simplement. Je ne veux pas reforger ce qui ne peut l’être. Je tiens simplement à limiter une casse fatale pour nos deux peuples.
Claudius de Havremont,
Empereur de Selenia
Il ne fallut d’un fragment de seconde pour que l’Ast envoie violement voler le fragile vase contre un mur et il ne fallut qu’un fragment de seconde pour que celui-ci revienne en pleine tête de son lanceur, avec la même véhémence. Le corps du Prince Noir tomba à terre.
21 mai 1764, matin
Vaseux, et c’était le cas de le dire, vu que c’était un vulgaire vase qui avait mis KO le si terrible Prince Noir, l’Ast se frotta un front douloureux. Ses mires verdoyantes reposaient sur le récipient rougeâtre… Intact. Contrairement à lui. Ce fut péniblement qu’il se remit sur pieds et ramassa l’objet meurtrier pour le poser sur le bureau, non sans le fusiller du regard. Heureusement que la race vampirique ne connaissait pas de blessure qui ne se guérissait d’elle-même (ou presque), ainsi, il n’aurait pas un subir d’afficher des hématomes dus à une situation si lamentable. Il brûla la lettre et s’en fut ruminer.
27 mai 1764
Ce fut avec, entre les mains, un piège à souris qu’il entra dans son bureau. Il actionna le mécanisme et posa délicatement l’objet au fond du vase. Si c’était puéril ? Absolument, mais il était prince Noir et faisait bien ce qu’il voulait. Il s’installa à son bureau, avec un petit sourire satisfait et commença à travailler sans craindre de trouver le temps long : tout venait à point à qui savait attendre !
Et il semblait que le moment était sur le point d’arriver. Il entendait quelques sons depuis le vase. Il avait déposé sa plume, avec des yeux malicieux en direction de récipient. Il attendait, expectatif, si plein d’un enthousiasme puéril. Ce fut le moment que choisirent deux de ses soldats pour entrer et Aldaron les fusilla du regard et leur faisant signe de ne rien dire. Il fixa à nouveau le vase… Allez… Allez… Il allait quand même bien mettre sa main dedans, par Däddhy !