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descriptionLe TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron] EmptyLe TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron]

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    20 mai 1764

    Le nouveau Prince Noir n’était pas resté longtemps à Caladon, juste assez pour, une dizaine de jours plus tôt, destituer Eleonnora Ostiz et faire élire une brillante femme du Marché Noir : Autone Falkire. Il savait qu’entre les mains que la jeune femme enceinte et de son époux, la cité qu’il avait tant chérie brillerait sous de généreux auspices. Et sans lui. Car s’il avait été homme, jusqu’alors, à tendre une main pleine d’or à bien des projets, aujourd’hui, toutes ses préoccupations étaient posées sur son Royaume. Il avait cette pleine responsabilité qui ne pouvait se permettre le moindre faux pas, vu la situation précaire dans laquelle les siens se trouvaient.

    Ce fut avec satisfaction qu’il rentrait à Cendre-Terre, défait de ses rôles de Conseiller Caladonien et de Capitaine de la Confrérie. Il était un Prince Noir, et il ne pouvait y avoir la moindre autorité au-dessus de lui, sous peine de voir se lever contre lui une rébellion hasardeuse. Les vampires étaient un peuple sauvage à bien des égards et Aldaron ne retrouvait de plus en plus en lui, lui qui fut prisonnier de Morneflamme. Ici était un monde où seuls les plus forts marquaient leur territoire et avait une place. Un monde de violence dont les cendres de son époux avaient désigné  le nouveau monarque.

    Ce fut avec fierté qu’il apprit l’investissement de son fils, Ivanyr, auprès de ses nouvelles recrues. Les enfants de la nuit avaient Faim mais ils apprendraient vite et surtout, il viendrait renforcer l’armée vampirique à laquelle chaque membre de la nation appartenait. Près d’un millier d’hommes et de femmes, c’était beaucoup pour ce peuple meurtri par les guerres et le rejet. Le bruit des épées qui s’entrechoquaient témoignaient d’un entrainement qui avait commencé : le cœur du Prince Noir réclamait vengeance. Il ferait couler le sang et le ferait méthodiquement.

    La prise en main de Caladon, pour qu’elle ne rejoigne pas l’Empire, était une première pierre à cet édifice qu’il érigeait. Il y avait placé deux brillants éléments qui, il n’en doutait pas, scanderaient la gloire de la liberté sur tous les toits. La seconde étape serait de se tourner vers les elfes et les graärh, leurs proches voisins, pour accroître leur armée plus encore de forces redoutables. Enfin, il comptait bien mettre un terme à l’existence ignoble de ce tueur de dragon, dernier bastion là lui faire craindre un revers de fortune. Une fois cela fait, conquérir Sélénia serait presque une formalité. Le soucis, là-dedans, c’était que Claudius était moins stupide que Victoria, moins jeune et plus expérimenté dans l’art de la guerre. Lui aussi s’était fait des alliés… Cela ne le pousserait qu’à surpasser ses objectifs et se préparer d’avantage au combat. Le voile de la nuit s’étendrait.

    Après avoir retrouvé son peuple, puis ses enfants, Aldaron put rejoindre son bureau et fut assez surpris d’y voir un vase rouge. Il ne se souvenait pas avoir réclamer un pareil objet et il saisit le mot qui l’accompagnait. Il serra les mâchoires en reconnaissant l’écriture et du se tempérer pour ne pas calciner le papier.

    Aldaron,

    Je sais ce que tu vas dire, voir ce que tu vas faire, en reconnaissant mon écriture. Mais je t’en prie, ne brûle pas tout de suite cette missive. Depuis cette terrible bataille, je sais que j’ai brisé en toi tout ce qu’il pouvait l’être. Je n’implorerais jamais ton pardon, pas plus que je ne regretterais ce que j’ai fait.

    Seulement, comme tu le sais, par la force des choses, nous allons être amenés à nous revoir. Et je sais que ce jour-là à Selenia, tu m’as apporté ton aide, à ta façon. En faisant rugir les flammes de Nahui contre ce quartier et ce château que j’ai toujours trouvé laid, tu m’as sorti une épine du pied. Je voudrais te dire, qu’aujourd’hui, je pense avoir compris. Il est des choses que ton peuple ne peut plus supporter, et le mien non plus.

    Fais-en ce que tu en voudras, mais en guise de main tendue, tu trouveras un présent avec cette missive. Ce sera un moyen pour nous deux de communiquer plus brièvement, et simplement. Je ne veux pas reforger ce qui ne peut l’être. Je tiens simplement à limiter une casse fatale pour nos deux peuples.

    Claudius de Havremont,
    Empereur de Selenia


    Il ne fallut d’un fragment de seconde pour que l’Ast envoie violement voler le fragile vase contre un mur et il ne fallut qu’un fragment de seconde pour que celui-ci revienne en pleine tête de son lanceur, avec la même véhémence. Le corps du Prince Noir tomba à terre.

    21 mai 1764, matin

    Vaseux, et c’était le cas de le dire, vu que c’était un vulgaire vase qui avait mis KO le si terrible Prince Noir, l’Ast se frotta un front douloureux. Ses mires verdoyantes reposaient sur le récipient rougeâtre… Intact. Contrairement à lui. Ce fut péniblement qu’il se remit sur pieds et ramassa l’objet meurtrier pour le poser sur le bureau, non sans le fusiller du regard. Heureusement que la race vampirique ne connaissait pas de blessure qui ne se guérissait d’elle-même (ou presque), ainsi, il n’aurait pas un subir d’afficher des hématomes dus à une situation si lamentable. Il brûla la lettre et s’en fut ruminer.

    27 mai 1764

    Ce fut avec, entre les mains, un piège à souris qu’il entra dans son bureau. Il actionna le mécanisme et posa délicatement l’objet au fond du vase. Si c’était puéril ? Absolument, mais il était prince Noir et faisait bien ce qu’il voulait. Il s’installa à son bureau, avec un petit sourire satisfait et commença à travailler sans craindre de trouver le temps long : tout venait à point à qui savait attendre !

    Et il semblait que le moment était sur le point d’arriver. Il entendait quelques sons depuis le vase. Il avait déposé sa plume, avec des yeux malicieux en direction de récipient. Il attendait, expectatif, si plein d’un enthousiasme puéril. Ce fut le moment que choisirent deux de ses soldats pour entrer et Aldaron les fusilla du regard et leur faisant signe de ne rien dire. Il fixa à nouveau le vase… Allez… Allez… Il allait quand même bien mettre sa main dedans, par Däddhy !

descriptionLe TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron] EmptyRe: Le TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron]

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26 avril, Empire Sélénien

Claudius soupira, froissant le papier qu’il tenait entre ses doigts, avant de le jeter, celui-ci rejoignant une petite pile de nombreux autres papiers. Il inspira lentement, avant de lever les yeux au ciel, ayant un petit frisson de douleur au coeur. Pourquoi était-ce aussi difficile de trouver des mots à cet instant présent, lui qui avait pourtant fait l’impossible en unifiant une bonne fois pour toute à nouveau ses terres qui étaient sous une seule et même bannière ?

Probablement car il savait que quoi qu’il advienne, la lettre qu’il écrivait avait de bonnes chances de subir le même sort que les autres boules de papier qui gisaient à côté du bureau de Claudius. Et qu’il ne pourrait très probablement rien faire contre cela.

Il se devait d’être fort pour ses proches, et ne rien laisser transparaître pour son peuple qui attendait beaucoup de lui. “Un dirigeant se doit d’être un phare dans la brume pour ses citoyens” se rappelait le Havremont. Des vieilles maximes de son Père qu’il n’avait jamais pris bien sérieusement, lui qui était deuxième de la famille et donc a priori jamais voué à gouverner quoi que ce soit hormis une troupe de soldats.

Mais la force du Destin était parfois étonnante, et son engagement répété avait mené à cette situation, où on l’avait choisi Lui, plutôt que son frère Lucilius, ou un autre. Un choix logique pour de nombreux séléniens, et un choix qu’il avait accepté et était honoré de remplir.

Mais voilà. Le poids des gouvernants était ce qu’il était, et spécialement depuis qu’il avait tué Achroma sous les yeux de son mari, Claudius n'était plus le même homme.

Des guerres, il en avait mené beaucoup. Des hommes, il en avait vu beaucoup mourir par sa main ou pas. Mais parmi toutes les batailles qu'il avait mené, rares étaient celles qui l'avait affecté comme la Bataille des Cendres. Probablement parce qu'il avait du faire face à un ennemi surpuissant qui demandait de lui de ne pas baisser sa garde un instant sous peine de mort, mais aussi parce que cette bataille, n'était pas qu'une simple guerre.

C'était un couteau dans le cœur qu'il planterait lentement dans celui d'un de ses amis de toujours. Aldaron. Nombreuses étaient les choses qu'ils avaient vécu ensemble, que ce soit lui ou sa famille d'une façon générale.

Que ce soit sous le nom de Triade, ou bien sous d'autres identités, Claudius et sa famille avaient toujours été proches de l'elfe devenu vampire.

Jusqu'aux derniers instants, Le Havremont avait essayé de s'expliquer, mais rien n'y faisait. L'Amour était plus fort que la raison. Alors ils avaient guerroyer, et miraculeusement, Aldaron avait survécu.

Le Havremont était content pour lui, sincèrement, mais il savait que les temps allaient être durs. Aldaron avait hérité de la grande force et du peuple de son défunt mari, tandis que Lui était désormais à la tête d'un Empire qui était certes ruiné et loin d'être remis sur pieds, mais qui avait tellement plus d'alliés qu'il n'en avait jamais eu.

Autrement dit, si un prochain conflit devait naître, Claudius savait de son expérience de militaire que celui ci serait dévastateur.

Le Havremont regarda le Vase Rouge qui se trouva en face de lui, et revint à sa lettre.

Dire que le sort de milliers de personnes reposaient peut-être sur cet objet était quelque chose qui grisait Claudius.

L'objet ne payait pas de mine, mais quand il avait demandé à ses mages et enchanteurs de lui trouver quelque chose qui pourrait offrir une communication directe à longue distance, on lui avait amené ceci. Un vase qui ne payait pas de mine, mais qui par un système de runes complexes (auquel Claudius ne comprenait pas grand-chose au-delà de ce qu'on lui avait expliqué), celui-ci était incassable, et pouvait transmettre des objets et des paroles à un autre vase identique.

Le deuxième vase était en cours de finition, celui-ci trouverait sa place à Nyn-Tiamat. Mais pour que le mécanisme fonctionne, il fallait qu'Aldaron joue le jeu. C'était cette partie qui l'inquiétait le plus, considérant toute la haine viscérale que le Prince Noir devait porté à l'Empereur en ce moment. D'où l'importance de bien choisir ses mots.

Mais que dire à un de ses meilleurs amis auquel on avait brisé le coeur ? Claudius se pencha sur son fauteuil, avant de se redresser, la plume à la main. La Vérité serait un bon début. Car ils allaient tous deux devoir faire preuve de confiance, et a minima de responsabilités s'ils ne voulaient pas que la situation dégénère.

Claudius prit donc sa plume, et griffonna ce à quoi il pensait. Cela dura plusieurs minutes, puis on vint toquer à sa porte. C’était un de ses serviteurs, chargé de faire en sorte que le message, et le vase arrive bien jusqu’à l’autre bout de l’Archipel.

Il vit le vase et la lettre, et visiblement confus de voir cette dernière, il fit interloqué à son futur Empereur :

“Votre Majesté Impériale, à qui devons-nous adresser ceci ?”

Le Havremont regarda le jeune homme un instant, avant de répondre :

“A Aldaron Elusis, Le Prince Noir de Nevrast. Dites que cela vient de l’Empereur en personne.”

***

20 mai 1764, Empire Sélénien.

Claudius fulmina, regardant le vase avec un brin d’impatience clairement visible dans ses pupilles. Nous étions la veille de son Sacre en tant qu’Empereur, il était tout juste rentré de sa visite à Nethéril, et pourtant, pas une seule fois le vase n’avait bougé en son absence.

Du moins, c’était ce que sa femme qui avait été au Palais pendant son temps d’absence le lui avait fait comprendre. Claudius se tempéra : il savait que par bateau, le trajet prenait plusieurs semaines. Mais tout de même. L’Empereur fulmina d’impatience.

Il espérait simplement pouvoir être là au moment où Aldaron décidera de s’en servir. Certes, d’ordinaire il n’était pas ailleurs que chez lui très souvent, mais sa récente accession à la Couronne des Hommes avaient changé nombre de choses, et il avait aussi dû programmer de nombreux déplacements pour s’assurer de renforcer son terreau d’alliés et partenaires qui allaient façonner l’Empire demain.

Claudius maugréa, et nota dans son journal :

« 20 mai.

Rien. »


27 mai, Empire Sélénien

Claudius maugréa une nouvelle fois, alors qu’il regardait le vase présent dans son bureau. De retour de son déplacement à Délimar, et toujours rien. Cette fois-ci s’en était trop pour le vieux Havremont, qui décida (non sans pester quelque peu) de se pencher au-dessus du vase. Il s’apprêta à dire quelque chose pour que les paroles soient transmises, mais il n’en eut pas le temps.

Alors qu’il pencha sa tête, le vase gonfla quelque peu. Claudius eut soudainement les yeux remplis d’étoiles, se disant qu’enfin, son ancien ami s’était décidé à l’utiliser ! Alors qu’allait-il lui dire, ou bien lui transmettre ?!

Mais hélas, la déconfiture fut à la hauteur de son espérance : il n’eut pas le temps de s’écarter, qu’un vil piège à souris se propulsa depuis le fond du vase … Jusqu’à atterrir sur son nez, avant de se refermer.

S’ensuivit un cri de douleur surprise, et une très longue liste de jurons fleuris :

« Par les Huit ! Vampires bons à occire ! Aldaron, vous êtes vraiment le dernier des gamins faiblards ! Allez vous faire voir à Délimar ! »

Et d’autres qu’il était bon de ne pas retranscrire ici sous peine de choquer les populations n’étant pas habitués à des crises de colères d’un vieux militaire cinquantenaire.

Après avoir retrouvé ses esprits, Claudius entendit justement à travers le vase un grand éclat de rire. Fronçant les sourcils, le Havremont reprit son sérieux, s’enleva très déli-ca-te-ment le piège de son nez, et se pencha (quoi que pas trop) près du vase pour qu’il puisse se faire entendre :

« J’imagine qu’au moins comme cela, tu as compris l’utilité d’un tel vase, Aldaron ! »

Il toussa légèrement, essuyant une petite larme et se frottant encore son nez blessé.

« Puisque tu es là, pourquoi ne pas parler quelques minutes ? Je ne serais pas long. Cela fait longtemps que nous n’avons pas eu un brin de causette tous les deux, et je souhaitais que l’on parle. De Dirigeant à Dirigeant. »

Claudius pencha son oreille, et ajouta :

« Pourrais-tu donc renvoyer ta Cour venu assisté à la Déconfiture de l’Empereur, un spectacle poignant qui ferait grand rire à l’auberge du Chien qui Pète de Cendre-Terre, et pourrions-nous tranquillement des sujets qui vont préoccuper nos deux peuples ces prochaines semaines ? Merci beaucoup. »

descriptionLe TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron] EmptyRe: Le TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron]

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    L’attente, silencieuse. Puis le soudain ‘clap’ d’une arme qui s’actionnait. Puis il y eut un blanc, bref, mais palpable, avant que les jurons de l’Empereur ne viennent jusqu’à eux, avec une telle véhémence que la situation en devait drôle. Il ne put s’empêcher de pouffer de rire, tout en expliquant aux deux vampires ce qu’il avait mis dans le vase. Les éclats de rire étaient à la hauteur des vociférations de Claudius, pris sous le joug de la douleur. Ah ! Voilà, il se sentait mieux. C’était absolument puéril, mais il se sentait vengé de ce vase incassable qui l’avait mis KO. Apaisant progressivement son hilarité, notamment par ce que la présence de Claudius avait le don de ne plus le faire rire, il se posa dans le fond de son fauteuil et tendit la main vers les vampires présents. Il s’agissait de messagers et une fois les parchemins transmis, il les congédia d’un geste autoritaire de la dextre… A plus forte raison que Claudius le réclamait. Discuter donc ? S’y sentait-il prêt ?

    Une fois seul, il s’installa en tailleur et prit le vase, qu’il posa dans le creux formé par ses jambes, son bord venant reposer contre son ventre, tandis qu’il encerclait le récipient dans ses bras, comme il aurait pu tenir un enfant. Est-ce qu’il avait envie de lui parler ? Absolument pas. Est-ce qu’il devait lui parler ? Probablement, et fort heureusement pour Claudius, Aldaron suivait son devoir plus que ses envies, dans la mesure où ils ne convergeaient pas véritablement. « Si cela peut te rassurer, j’ai découvert qu’il était incassable lorsque j’ai voulu le briser contre un mur et qu’il m’est revenu en pleine face. Je pense avoir fait le tour de ses propriétés, à présent. Pour ce sujet-là, disons que nous sommes quittes. » Pas pour d’autres ? Il n’en savait rien. Brûler la noblesse avait été une vengeance, mais aussi et surtout une nécessité pour que Claudius saisisse les pleines opportunités de son règne. La véritable vengeance aurait été de brûler vifs les assassins de son son époux sans aucune autre forme de procès.

    Mais il les avait laissé vivre. Il ne se passait pas un instant sans que son cœur saigne de son choix quand sa raison psalmodiait que c’était celui qu’il y avait à faire. « J’ai congédié mes deux messagers. » Il lui signalait qu’il n’y avait pas eu tant de public que cela, bien qu’il ne doutait pas que l’histoire de la tapette ferait aisément le tour de Cendre-Terre. « Je n’ai pas de Cour. » Pas de conseillers, pas de nobles viciés pour lui chuchoter leur cancans et désirs pernicieux à l’oreille. « Je suis un dictateur. » Verrait-il alors à quel point de fermeté le conduisait le sentiment de trahison ? Toutes ces trahisons. Il n’avait pas peur d’affirmer à quel point il n’était pas le genre de Prince Noir à discuter. Il était celui qui décidait. Il tranchait à tête à ceux à qui cela ne plaisait.

    Il aurait voulu lui adresser quelques propos acerbes, l’envoyer bouler en bonne et due forme. Il avait le verbe, la prestance, le tact. Il ne manquait pas de le faire lorsque cela se montrait nécessaire. Sur l’instant, il se trouvait las et n’en éprouvait pas même la force. Les occuper pour les prochaines semaines ? Etait-il vraiment obligé d’ouvrir les négociations avec ce meurtrier ? Devant le silence qui s’était installé, ses doigts tapotaient sur le bord du vase. Et s’il partait ? S’il laissait Claudius en plan ? Il ferma les yeux, tâchant de vider son esprit de toutes ces émotions. Ni haine, ni colère : ce ne serait que contre-productif ? Voulait-il seulement que ce soit productif ? Et s’il mettait de l’huile sur le feu ? Une part de lui en mourrait d’envie, l’autre le refusait. Ce fut alors en pleine sincérité qu’il ouvrit finalement une discussion : « Je ne sais pas ce que je vais faire de toi, Claudius. » Les choix étaient vastes, mais aucun ne le satisfaisait. Il y avait toujours quelque chose qui le dérangeait.

    « Je t’ai laissé en vie, pour avoir encore de choix de ce que j’allais faire de toi. Et plus j’y réfléchis et moins, je sais. Je voudrais que le peuple humain ait une chance. » Son regard se fit flou, perplexe et lointain. Une part de lui aimait toujours ce peuple. Même en l’affamant par le marché noir, il avait cherché à lui donner une chance d’ouvrir les yeux sur la lignée Kohan. « Mais j’exècre l’idée que cela t’offre l’honneur d’en être le vecteur. J’ai l’impression de te faire un cadeau que tu ne mérites pas. Mais tu es efficace, dans ce domaine Du moins, en ai-je l’impression. » C’était bien là le problème. Sans quoi le dilemme n’existerait pas. Aldaron avait appris à être froid, même avec ceux qu’il aimait. Car en étant intransigeant, il s’évitait d’avoir à subir les petits qu’on lui faisait dans le dos. « De quoi souhaites-tu que nous discussion ? Je n’ai pas encore défini les dates de notre prochaine invasion. Nous sommes en train de former nos nouvelles recrues. » Les Séléniens avec lesquels ils étaient partis, de toutes évidences. « Mais dès que j’en saurai un peu plus, je te passerai l’information. » Oui voilà, il lui enverrait une carte d’invitation à la foire à la baston. « Comme cela nous fixerons un créneau ensemble. »

descriptionLe TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron] EmptyRe: Le TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron]

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Claudius fit tourner sa tête et passa sa main derrière la nuque quand il entendit Aldaron enfin se décider à parler, après quelques minutes d’attente. Une petite humiliation valait bien le fait d’enfin parler de nouveau à son grand ami. Bien qu’aujourd’hui évidemment, le contexte avait changé, et l’un et l’autre se nourrissaient beaucoup de rancoeur, parfois justifiée, parfois pas tellement.

La vérité c’est qu’Aldaron et Claudius avaient fait des choix de vie différents. Mais d’une certaine façon, ce qui les avaient mené à s’opposer l’un et l’autre de la sorte c’était l’Amour.

L’Amour de son Pays pour l’un, l’Amour de son prochain, de sa famille, pour l’autre. Et à présent ils étaient à deux sommets différents par cet amour.

Une bien triste histoire, qui aurait fait tout l’or des dramaturges inspirés par la débâcle qu’avait connu leur histoire, songea Claudius. Peut-être d’ailleurs était-ce déjà en cours d’écriture, il ne savait pas ce qui se tramait dans le monde artistique.

Le Havremont eut cependant un brin de sourire quand il entendit la première réflexion de son ami :

« Si cela peut te rassurer, j’ai découvert qu’il était incassable lorsque j’ai voulu le briser contre un mur et qu’il m’est revenu en pleine face. Je pense avoir fait le tour de ses propriétés, à présent. Pour ce sujet-là, disons que nous sommes quittes. »

Claudius prit alors un fauteuil pour s'asseoir près du vase, avant d’ajouter quelque chose pendant le silence qui se remettait à planer :

“Je te reconnais bien là.” fit-il simplement, songeant aux gamineries qu’ils avaient fait pour moins que cela dans le temps et … À sa cité qui avait brûlé quand Claudius avait tué Achroma. Pris d’impulsivité, Aldaron pouvait vraiment faire n’importe quoi. Ce qui n’était pas vraiment rassurant maintenant qu’il avait les pleins pouvoirs, songea Le Havremont avec quelques sueurs froides.

Mais il reprit son sérieux par la suite. Il avait négocié et avait eu affaire avec pire que lui. Bien que de nombreuses choses les avaient séparés, il connaissait Aldaron.

Il entendit effectivement par la suite que le Prince Noir avait congédié ses hommes, et qu’Aldaron lui rappela son statut par la suite. Ce qui fit ni chaud ni froid à Claudius. Lui, était Empereur. Empereur de la ruine, mais Empereur quand même. Il n’avait pas besoin de lui rappeler.

Chacun faisait ses choix au moment de gouverner, et si Aldaron n’avait jamais été préparé à ça, Claudius l’était. Par son éducation, par ses ambitions, par son statut auparavant d’homme militaire de poigne. Depuis son jeune âge, où il jouait à la guerre avec d’autres enfants nobles, le Havremont savait où était sa place. Est-ce qu’Aldaron pouvait en dire autant ? Claudius n’en savait trop rien. L’Elfe qui était devenu Vampire avait toujours pour habitude de diriger des gens, mais il est vrai qu’il était toujours entouré ou dans l’ombre à ce stade. Devenir le visage de sa nation devait probablement lui faire un sacré choc. Sans quoi il ne répéterai pas à Claudius, qu’il était effectivement Dictateur des Vampires.

Car Le Havremont le savait.

Pour autant, il laissa les quelques secondes, minutes peut être, de silence s’écouler, jusqu’à ce qu’Aldaron veuille enfin entamer une réelle discussion. Il avait ouvert la porte si le Prince Noir le souhaitait, il ne devait pas surrenchérir.

Claudius fut cependant surpris de ce qu’il entendait :

« Je ne sais pas ce que je vais faire de toi, Claudius. »

Oh ? Eh bien tant mieux. Claudius avait bien une idée de ce qu’ils pouvaient faire, c’est même ce pourquoi il avait engagé la discussion. Mais il laissa là la réflexion du Prince Noir, et attendit la suite.

« Je t’ai laissé en vie, pour avoir encore de choix de ce que j’allais faire de toi. Et plus j’y réfléchis et moins, je sais. Je voudrais que le peuple humain ait une chance. »

Claudius haussa un sourcil, mais passa cette remarque. Aldaron devait bien se sentir en confiance s’il avait pour idée de vouloir l’instrumentaliser. Il n’était pas un de ses innombrables pantins en Caladon, qui se disaient “libres”, mais qui étaient pourtant incapables de réfléchir par eux-même. Il n’y avait qu’à voir ce qui s’était passé à Delimar, dès la première faiblesse venue.

“L’Alliance des Cités Libres”, définitivement la plus grosse blague qu’il avait vu en cinquante ans d’existence.

« Mais j’exècre l’idée que cela t’offre l’honneur d’en être le vecteur. J’ai l’impression de te faire un cadeau que tu ne mérites pas. Mais tu es efficace, dans ce domaine Du moins, en ai-je l’impression. »

Claudius eut un nouveau petit rire. Il ne put s’empêcher de répondre :

“Disons que, ironiquement, nous nous sommes bien trouvés.”

Et en vérité, pour les plus complotistes, cette attaque des vampires qui kidnappaient Victoria, pour ensuite aboutir au coup d’état de Claudius aurait pu effectivement paraître comme une vaste prise de pouvoir d’une alliance de dirigeants hyper-puissants qui auraient pu s’entendre par la suite.

Mais voilà. Achroma n’avait jamais su rester à la place qui lui était indiqué, et Monsieur le Parangon s’était senti poussé des ailes. Sûrement à cause du Lien, dirait Naal. Sauf que ironiquement, L’Elusis n’était pas un dragon, et le feu du Soleil avait fini par le consumer.

Définitivement, une histoire qui ferait vendre bien des places à un quelconque dramaturge ambitieux.

« De quoi souhaites-tu que nous discutions ? Je n’ai pas encore défini les dates de notre prochaine invasion. Nous sommes en train de former nos nouvelles recrues. Mais dès que j’en saurai un peu plus, je te passerai l’information. Comme cela nous fixerons un créneau ensemble. »

Claudius eut cette fois un rire jaune, avant de répondre :

“Allons Aldaron. La précédente bataille ne t’as pas suffit ?”

Un petit sourire espiègle se fit sur son visage, avant qu’il ne contre-argumente :

“Effectivement, n’hésite pas à passer …” Claudius prit là une petite inspiration, puis continua : “L’Empire tout entier …” Il leva alors un doigt pour lui même “la flotte Delimarienne et les glaçernois enragés n’attendant que mon signal pour vous sauter dessus …”, un deuxième doigt, puis il reprit : “Les mages d’Ipse Rosea que nous contrôlons à présent grâce à l’habile manoeuvre de la Dame Dalis” un troisième doigt, et il continua : “mais aussi Les légions graärh qui n’attendent que l’instant où ils pourront vous faire payer leur mise en esclavage”, et enfin il leva un dernier doigt : “Et si je lui promets qu’il y aura du dragon lié au banquet, je suis même sûr que ton grand ami Naal du Néant pourra venir vous accueillir. Bien que cela m’attristerait. J’aime bien Nahui, malgré qu’elle s’enflamme un peu facilement.”

Qu’Aldaron le veuille ou non, en quelques semaines l’échiquier politique avait changé. L’Empire était peut être dans une situation économique délicate, mais ils avaient à présent des alliés, tant est si bien que Claudius était presque sûr que si effectivement il y avait un autre conflit, ils seraient à armes égales.

Le Havremont eut un petit soupir, avant de reprendre, presque tout de suite pour ne pas que le dirigeant se fasse des idées :

“Mais nous sommes entre nous. Soyons réalistes. Je ne veux pas de tout ça. Je ne veux pas d’une nouvelle guerre pour mon peuple. Nous peinons à essuyer les stigmates de la faim et de la crise que tu as provoqué, et nous reconstruisons avec nos pauvres moyens, nous faisons ce que nous pouvons.” Claudius soupira, puis leva la tête, avant de reprendre : “J’ai même dû m'abaisser à faire ce que je n’avais jamais fait jusqu’à lors. Quémander de l’aide aux Baptistrels qui ont eu la gentillesse de venir nous aider. Pas pour moi, mais parce que la situation humanitaire était alarmante chez nous.”

Mais cela, Aldaron devait le savoir parce que Valmys, un de ses fils, avait répondu présent pour construire une partie de l’Imbrûlée avec le peuple sélénien.

“C’est quelque chose que tu n’entendras pas souvent de ma bouche, Aldaron, mais je crois bien qu'aujourd'hui, je n’ai plus tellement envie de guerroyer. Et je suis presque sûr que toi non plus.”

Même si la rage l’habitait, l’Elusis avait perdu son Mari, son Inséparable. Par la faute de Claudius qui s’en voulait encore, mais qui n’avait pas le choix s’il voulait survivre sans abandonner son âme, en plus de son coeur qu’il avait déjà perdu. Il avait hérité de jeunes vampires, qu’il devait sûrement éduquer pendant plusieurs semaines avant qu’il n’ait la pleine possession de tous ses moyens.

Claudius soupira, avant de reprendre :

“C’est pourquoi je voulais te parler aujourd’hui. Je voudrais faire ce que nos ancêtres n’ont pas réussi à faire, il y a des centaines d’années de cela. Éviter une guerre totale, qui emporterait toutes les civilisations sur son passage. Car c’est ce qui se passerait si toi ou moi, nous décidions de nous déclarer la guerre.”

Conscient de l’effet que cette annonce pouvait avoir, le Havremont précisa de suite sa pensée :

“Je ne cherche pas à te tromper, et je parle aussi sincèrement que je puisse le faire à quelqu’un que je considérais comme mon Ami jusqu’à il n’y a pas si longtemps que cela. Et si je fais la démarche de t’en parler c’est que je voudrais que nous aboutissions à un accord qui soit juste pour nos deux peuples.”

Claudius fut un brin souriant cette fois-ci. Si Aldaron était encore l’Aldaron Triade qu’il avait connu, il ne dirait jamais un non franc et massif à une négociation. Pour autant, Claudius savait à qui il avait à faire, alors il tempéra une nouvelle fois :

“Disons que c’est une proposition de … Pacte de non-agression ? Qu’en dis-tu ?”

Le Havremont fit taper ses doigts sur l’accoudoir de son fauteuil. Les mots étaient choisis sciemment. Il était conscient que probablement rien ne pourrait jamais remplacer ce qu’il avait fait subir à Aldaron, et ce que le Prince Noir avait fait subir à son pays. Mais à cause de tout ce qui s’était passé, et tout ce qui se passerait encore, il savait qu’ils allaient au devant d’une grande catastrophe si l’escalade de la violence continuait ainsi.

Ce pourquoi Claudius proposait un apaisement temporaire. Libre à eux de faire évoluer ce pacte par la suite, que ce soit dans un sens négatif ou pas.

descriptionLe TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron] EmptyRe: Le TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron]

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    Le prince noir arqua un sourcil. La précédente bataille ? Quelle précédente bataille ? Ah ! Le fameux événement qui avait été surnommé ‘’la bataille des cendres’’ ? Cet événement où l’armée entière de Sélénia avait combattu contre une vingtaine de vampires préparant leur fuite et quelques troubles faits du Marché Noir venus semer la zizanie ? Où l’armée sélénienne au complet avait combattu Achroma Elusis pour enfin le défaire ? Il appelait cela une bataille ? Une armée entière contre une vingtaine de vampires ? Comme sa fierté et son pseudo panache était risible ! Se sentait-il obligé de faire la liste de ses forces pour se convaincre lui-même qu’il saurait faire face au peuple vampirique et à la flotte pirates, ainsi que deux dragons ? Ce genre de chose, c’était comme la confiture : moins on en avait et plus on l’étalait. L’Ast roula des yeux. Ce qui était triste n’était pas qu’il ait ‘’quémandé’’ de l’aide aux baptistrels (car il n’avait pas du avoir à insister longtemps), c’était qu’il se sentait le besoin de justifier la puissance de ses forces là où le caractère redoutable des vampires ne faisait pas l’ombre du moindre doute.

    Tout ce que voyait Aldaron, c’était une Sélénia brisée, sans or aucun pour payer ses soldats dans une seconde guerre. Des dévots du Néant insupportables mais démunis de la protection de leur Dieu, qui suivaient un meurtrier. Un Naal du Néant qui jusque là n’avait tué que des dragonnets. Il savait que Verith était toujours en vie et comme Claudius avait fait la rencontre du colérique, il ne doutait pas que l’autre psychopathe avait du croiser sa route… Et ne l’avait pas tué. Alors pour qu’il arrive à tuer une dragonne aussi grande que Nahui, il lui faudrait beaucoup, beaucoup d’hommes. Et Aldaron n’était pas Nolan. Quant aux glacernois, si Tryghild n’avait pas réussi à tourner pleinement le dos à Aldaron, même une fois devenu vampire, c’est qu’il y avait encore la possibilité de les diriger vers de meilleurs sentiments, à plus forte raison parce que l’immaculation saurait les orienter vers un retour à la lumière. Ipsë Rosea avait été très grandement affaiblie par la maladie. Quant aux graärh, ils subissaient grandement, au cours des dernières années, les méfaits des pirates qui les persécutaient. Alors très honnêtement ? Aldaron était persuadé que les forces n’étaient pas si égales que Claudius s’en vantait.

    L’avantage des pirates et des vampires, c’était que dès qu’une tête était coupée, une autre revenait à sa place, par la loi du plus fort. Pour les Séléniens, tout comme les graärh (dont ils avaient l’exemple sur Nethéril), si leur dirigeant venait à mourir, le reste du peuple était désœuvré. Or les pirates avaient de remarquables assassins. Un pour Claudius et un pour Naal et que deviendrait ce fier empire en ruine ? Une proie facile. Claudius avait bien vu ce dont avait été capable de Marché Noir. Croyait-il vraiment que le prince noir viendrait se battre à la loyale ?  Quelle innocence ! Pour l’instant, Aldaron ne le comptait pas le détromper sur ses croyances. Il allait le laisser être persuadé leur égalité : la réalité ne ferait que le frapper plus fort encore. Il n’allait pas non plus évoquer ses atout comme Claudius se plaisait à le faire. C’était ainsi qu’on faisait la guerre : en ne jouant pas ami/ami avec son ennemi. Ou si. Mais de façon prudente et Claudius ne l’était pas. L’excès de confiance était un ami bien trop traître, ou le manque de confiance. Claudius lui faisait l’effet d’un chaton qui gonflait dos et poils pour paraître plus imposant et effrayer le prédateur. Aldaron n’était pas effrayé, et il restait un prédateur.

    Il savait qu’il pouvait tomber. Il savait aussi que Sélénia pouvait faire mal à son peuple. Mais quant à savoir qui gagnerait cette guerre ? Il n’avait aucun doute sur sa propre victoire. Les pertes étaient peut-être le prix à payer pour éviter cette rivalité pernicieuse. Mais, en vérité, ce qui le retenait beaucoup dans son attaque de Sélénia… C’était son propre allié. Car une fois que pirates et vampires auraient conquis le monde, les pirates ne s’arrêteraient pas, contrairement au peuple de la nuit. Ils vivaient sur le dos des autres et comme il n’y aurait plus d’autres que les vampires, Aldaron savait très bien comment Nathaniel retournerait inévitablement sa veste. Cela était un juste argument et Claudius ne l’avait pas mis en avant, préférant rouler des mécaniques à la place. Il avait choisi la rivalité plutôt que la raison. Cette rivalité ne donnait à Aldaron que d’avantage envie de lui rouler dessus pour lui montrer combien il se trompait, alors que la raison lui aurait permis d’être d’avantage dans une posture de paix… Une paix qu’il semblait réclamer dans une simili trêve tout en ayant brandi de fouet de son armée un peu plus tôt. N’était-ce pas hilarant ? Sûrement que si le sujet n’avait pas été aussi important, Aldaron se serait mis à rire.

    Ils avaient troqué un orgueilleux Kohan contre un Havremont… Avaient-ils vraiment gagné aux changes ? Etait-ce alors l’humanité, si éphémère, qui se montrait aussi incurablement fière et incapable de retenir une leçon ? Le silence d’Aldaron, désabusé, était à la hauteur de sa peine. Il avait aimé, sincèrement, le peuple humain. Mais indéniablement, ce peuple manquait terriblement de longévité et par conséquent, de vision sur le long terme. Claudius voyait la guerre et les conséquences directes de celles-ci, là où Aldaron voyait bien au-delà. Cette guerre, si importante pour Claudius, n’était d’une étape, un caillou sur son chemin et sur celui du peuple de la nuit. Il y eut un long silence, même après la proposition de Claudius. Il avait fermé les yeux, tâchant de poser ses mots avec toute la sagesse que le saumon lui offrait lorsqu’il s’agissait de formuler un propos avec un minimum d’éloquence.

    « J’ai retiré les membres du Marché Noir de ton armée. Et j’ai demandé aux autres, toujours présents dans ton pays, de ne plus mener d’actions visant à vous appauvrir. C’est la raison pour laquelle les marchés te sont devenus plus favorables et que tu n’as pas continué ta chute vertigineuse vers la déchéance. J’ai renoncé à entamer des négociations avec Tryghild et Ilhan pour ne pas déchirer Délimar dans une guerre civile. » Car il l’aurait pu : il était bien assez vicieux pour cela. Mais il avait laissé partir ceux qui avaient été ses alliés, les personnes dont il avait gagné la confiance au fil des années. La manœuvre n’était pas dénuée de sens : il avait ainsi des alliés chez ses ennemis. « J’ai dit à mon fils, Valmys, que te venir en aide était une excellente décision, pas seulement pour le bien être de ton peuple, mais également, pour réparer, au moins un peu, la casse que j’ai causée. Je t’ai laissé, à toi et à Toryné, la vie sauve. Qu’as-tu fait pendant ce temps, Claudius ? » Il laissa le silence peser un court instant avant de reprendre.

    « Tu as mis en place une loi qui vise à débusquer les membres du Marché Noir, alors que ceux-ci ont cessé leur activité néfaste. Que feras-tu lorsque tu en trouveras ? Les condamneras-tu pour vol et contrebande ? Ou les exécuteras-tu pour haute-trahison ? Ou seras-tu aussi laxiste que tu l’as été avec Naal du Néant ? » Car c’était cela, c’était de la haute-trahison. Ils avaient mis en péril tout un peuple. Alors, les tuerait-il ? « Est-ce ainsi que tu conclues un pacte de non-agression ? » Il s’interrompit un bref instant, puis il poursuivit : « Tu as pérennisé une loi par laquelle dragons-liés et liés seront mis à mort s’ils viennent sur tes terres. Qui reste-t-il comme Liés, Claudius ? Nathaniel ? Je te comprends, moi aussi j’ai envie de l’égorger parfois. Luna Kohan ? Qui n’a jamais fait que se battre pour son peuple et le défendre, guerre après guerre, et qui est venue se réfugier chez moi, sous une fausse identité, pour échapper au meurtrier que tu vantes être une force pour ton peuple ? Un psychopathe qui a provoqué et assassiné Firindal et Cynoë, sans aucune autre raison que la haine et le désir de tuer ? J’ai mis sous glace Orfraie Ataliël qui est en train de mourir. Pour la sauver, comme Achroma a sauvé Nolan de la folie de cet homme qui n’a payé pour aucun de ses crimes, parce que tu ne le condamnes pas. » Les elfes n’allaient pas aimer que le peuple humain protège un homme qui avait tué une princesse elfique. Étrangement, Claudius n’avait pas été leur demander une alliance, à eux.

    « Cette même loi qui me condamne à mort, moi, seulement sur le fait d’être dragonnier et rien d’autre (car je ne nie pas mes autres crimes), si j’ai le malheur de mettre un pied sur tes terres là où tu peux venir à Cendre-Terre et en repartir, légalement, en un seul morceau. Toi le tueur de dragon. Est-ce ainsi que tu conclues un pacte de non-agression ? » Il poussa un soupir, et poursuivit, car il était loin d’en avoir terminé : « Non fier d’avoir enjoint ma propre mère à me trahir, tu as été demandé à Caladon de te rejoindre. Mon fief et surtout, mon cordon de survie. Tu as été demander à ma propre fille de me trahir pour te rejoindre. » Se rendrait-il compte de la mauvaise foi avec laquelle il venait lui demander un pacte de non-agression, alors qu’il avait essayé de l’étouffer économiquement et émotionnellement ? C’était une vaste blague. Aldaron avait été obligé d’intervenir à Caladon uniquement pour que les vampires… Survivent ! Et il osait venir lui demander un pacte de non-agression ? L’entièreté de ses actes et ses lois avaient été construites à l’encontre les vampires.

    « Ce n’est pas à moi que tu dois demander si je veux d’un pacte de non-agression, un accord qui soit juste pour nos deux peuples. C’est à toi-même, Claudius. Car malgré tes mots et ta soit-disant volonté de ne plus guerroyer, je ne vois aucun acte de ta part qui constitue ne serait qu’un ersatz de main tendue. J’ai préféré laisser vivre ma propre mère, pour qu’elle te serve, plutôt que de lui donner la mort qu’elle méritait. J’ai préféré accepter que Valmys te vienne en aide, plutôt que de m’y opposer. J’ai accepté qu’Ilhan se fasse virer de son propre peuple et que tu récoltes tous les bénéfices d’une alliance avec les graärh, alors que c’est Ilhan lui-même, mon fils, qui s’est montré digne de la confiance des graärh. J’ai accepté de devoir briser les rêves de ma fille, Eleonnora, parce que tu n’avais rien trouvé de mieux à faire que lui proposer une alliance où elle trahirait son propre père. A cela s’ajoute la mort de mon mari. Je t’en prie Claudius… Toutes tes palabres ne sont qu’une vaste blague. » Il n’avait pas mieux. Aldaron s’était-il serait-ce qu’un peu approché d’un membre de la famille de Claudius pour tenter de les faire trahir leur empereur ? Jamais. Il avait cette décence là. Ce respect-là.

    « Et pourtant, elles ne me donnent pas du tout envie de rire. Je veux des actes, Claudius. Si tu veux que je crois ne serait-ce qu’un peu à tes foutaises, prends au moins la peine de les rendre crédibles. Est-ce qu’on en a fini pour aujourd’hui ? » Parce que pour sa part, il en avait assez soupé. Qu'il revienne lorsqu'il aurait fait un minimum d'efforts.

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que les paroles sincères du Havremont reçurent un accueil pour le moins glacial, à l’image de l’île où habitait Aldaron.

Cela faisait mal, mais c’était ainsi. A force d’agiter le feu, on finissait par se brûler. Alors il s’embrasa, et au moins pouvait-il exprimer ses points d’une certaine façon. Le Havremont le laissa parler, entendant d’une oreille attentive ce qu’il avait à lui dire.

Oui, Le Havremont avait fait tout ça. Et si c’était à refaire ? Il le referait. Plusieurs fois même, et sans sourciller.

Claudius savait pour en avoir fait partie à sa petite échelle qu’une loi n’arrêtait pas les membres du marché noir les plus déterminés, mais au moins cela dissuadait les plus benêts de collaborer. Et cela venait trancher avec la politique des Kohan précédents qui avaient toujours fait l’autruche sur cette question, sans jamais chercher à se préoccuper des choses importantes qui ruinaient ce beau pays qu’était le sien.

Il avait fait imploser une très grande partie de l’Alliance des Cités Libres, et c’était même une réussite pour lui, tant sur le plan politique que sur le plan social. Et il avait demandé à Eleonnora de le rejoindre, c’était vrai aussi. Au moins, Calastin aurait cessé d’être divisé. Le peuple humain, et les autres, enfin unis sous une même bannière.

Il avait tué un dragon, et promulgué des lois contre les liés car là encore, il n’avait pas le choix. C’était soit cela, soit la mort immédiate, ou bien le meurtre de milliers d’innocents qui n’avaient rien demandé à personne. Il soutenait Naal du Néant car contrairement à Aldaron, lui ne voulait pas de mal à son Empire.

Il avait monté des membres de sa famille contre Aldaron, car il n’avait plus le choix que de procéder ainsi pour sa propre survie. Oui. Il avait fait toutes ses choses, il avait incarné le Grand Méchant Traqueur de Vampires, et Briseur de Familles. Mais il était temps qu’Aldaron comprenne que Claudius n’était pas un gentilhomme que l’on pouvait manipuler comme bon lui semblait. Il savait être cruel, tout comme Le Prince Noir et Achroma l’avaient été.

Car Aldaron et surtout son perfide mari n’avaient pas été des tendres non plus, alors tout ceci n’était que justice. Il avait été le bras armé d’un Empire trop de fois bafoué. Et si le Prince Noir s’en mordait les doigts aujourd’hui, c’était bien fait pour lui. Peut-être y réfléchirait-il à deux fois avant de soutenir un génocidaire qui n’avait même pas la décence de se cacher.

Claudius soupira, une fois que la tempête, ou plutôt l'incendie, était passée. Il reprit ensuite :

“Tout ceci, Aldaron, c’est la réalité de la guerre. Nous faisons tous des choses horribles, que l’on pensait ne jamais faire pour survivre à l’extinction. Il n’y a pas d’honneur, de dignité, ou que sais-je encore dans une guerre.”

Car c’est ce qui guettait le peuple humain si le Havremont n’avait pas réagi : l’extinction. Il n’avait pas été tendre, et il avait fait des choses qui paraissaient ignobles dites comme cela par son ami. Le plus terrible dans tout cela ? C’est qu’il ne regrettait rien. Absolument rien.

“J’ai fait ce que j’avais à faire pour survivre, sans marchander ou sacrifier mon pays et ma propre vie. C’était cruel, oui. C’était infâme même. Je te l’accorde. Mais je ne suis pas un bon samaritain. Je n’ai jamais caché l’ambition que j’avais pour mon pays, et les sanctions que je réservais à ses détracteurs. Je veux bien endosser toutes les réputations, et tous les sobriquets que tu trouveras si cela garantit la sécurité et le bonheur de mon peuple.”

Il poussa un grand soupir.

“Je porte tous les stigmates de mes choix sur mes épaules, qui ne sont pas tous des choix fait de gaîté de coeur, bien que je n’en fasse pas grand cas. Tous. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps le jour où j’ai tué ton imbécile de Mari car je savais que je t’avais brisé. J’ai été maudit par Verith, qui m’a volé mon coeur et m’a laissé avec une douleur insupportable à la poitrine jusqu’au restant de mes jours, si je ne récite pas une ode à la gloire des dragons et tous vos mythes à la con, qui divisent des peuples qui devraient être unis …”

A ces derniers mots le vieil homme poussa un puissant cri de douleur qui le força à se plier en deux sur son fauteuil pendant de très longues secondes, sa poitrine trop douloureuse pour penser à ou faire autre chose. Il reprit ensuite :

“J’ai été averti et presque honnit par Ilhan, j’ai subi toute sa haine et son dédain pour notre race. Et quant à la Dame Dalis, tu la connais mieux que moi, digne fils que tu es. Elle est avec moi aujourd’hui, mais qui me dit que dans six mois elle le sera encore ?  Quant à tous les outrages que j’ai pu faire à ta famille, je pense que ce n’est pas la peine que j’élabore sur le fait que j’emprisonne presque ma famille toute entière, et que je les fais surveiller comme des enfants en bas-âge toute la journée, dans la peur que tes sournois soldats de la nuit n’en viennent ôter la vie de quelques uns.”

Le Havremont écrasa une larme qui roula sur sa joue, et continua d’une voix qui se fit de son côté aussi plus autoritaire :

“Tu peux aller même jusqu’à me faire porter les cendres d’Achroma sur ma peau jusqu’au restant de mes jours si tu veux, ou faire tuer ma femme, mes enfants, et mon petit-fils pour que je puisse comprendre ce que cela fait de vivre seul, et abandonné de toute envie de faire quoi que ce soit. Mords-moi, même ! Que je mène une vie de servitude à tes côtés pour toujours, comme un bon petit chien. Je suis sûr que tu y as déjà pensé.”

Grand silence. Claudius inspira et expira profondément avant de reprendre :

“Si tout ceci mène à la sécurité et au bonheur de mon peuple et qu’il puisse rester indépendant de toutes vos emprises, alors je le ferai avec grande joie.”

Il s’interrompit un instant, avant de reprendre d’un ton ferme :

“J’ai tout sacrifié pour mon Empire. J’ai souffert, je continue à souffrir, et je souffrirais jusqu’à la fin de mes jours qui sont plus que jamais comptés. Et mon peuple continuera de souffrir encore longtemps de vos agissements. Alors à présent cesse de faire l’enfant, Aldaron, et dis moi ce que tu veux. Je suis venu dans la volonté d’avoir un accord, et je ne bougerais pas tant que je n’en aurai pas obtenu un.”

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Une part de lui aurait voulu ne pas en arriver-là. Les responsabilités avaient usé le Havremont. Mais comme l’avait dit son ex-ami : c’était la guerre. Alors pourquoi venait-il se plaindre auprès de lui ? Il aurait dû l’arrêter dès la première phrase : elle seule signifiait combien l’empereur n’avait pas saisi un traître mot de ce qu’Aldaron avait dit. S’était-il exprimé en langue elfique ? Il ne lui avait pas semblé. L’ast roula des yeux et le laissa terminer. Et c’était lui l’enfant ? L’humain gémissait comme une pucelle, étalant ses malheurs à un homme à qui il avait arraché la vie de son mari ; un homme qui avait connu Morneflamme, la perte de sa famille de sang, puis de cœur. Il ne lui restait que l’ombre de la nuit. Était-ce une plaisanterie ? Il était loin l’Aldaron qui aurait pu prendre un pitié ce pauvre homme épuisé. Le monarque n’avait pas sonnéà la bonne porte, vraiment pas.

« Premièrement, Claudius, avant que tu me ressortes ton régiment de violons, je vais être clair avec toi : je n’ai cure de ta souffrance. S’il y a bien une chose, dans ce bas monde, qui puisse être le cadet de mes soucis, c’est bien cela. Si tu es malheureux, je te suggère de trouver une autre épaule sur laquelle pleurer. J’ai connu bien pire que toi Claudius, comment oses-tu ? » Oui, bien pire. Rien qu’avec Morneflamme, il explosait le quota. Et Claudius venait se plaindre de quoi ? Qu’il était obligé d’agir contre son gré ? Qu’il avait tellement la frousse qu’il enfermait sa famille ? Qu’il avait été puni du meurtre d’un dragon ? Cela lui faisait une belle jambe. Et Aldaron en avait deux belles à ce rythme-là. « Si les responsabilités que tu as endossées sont trop lourdes pour toi, viens à Cendre-Terre et abdique : je les porterai pour toi. » Voilà qui était dit et qui, Aldaron l’espérait, mettrait fin à ces jérémiades.

« Deuxièmement, je t’ai déjà dit ce que je voulais, si tu m’écoutais un peu au lieu de te regarder le nombril. Je sais ce qu’est la guerre, et contrairement à toi, je ne faiblis pas au premier obstacle. Je n’ai pas pleuré la mort d’Achroma et c’est moi qui porte ses cendres. Je ne suis pas venu débattre avec toi de ce que pousse la guerre à faire et puisque tu n’a pas été en mesure de saisir ce que je t’ai dit, je vais te faire un résumé. » Il prit une profonde inspiration et entama le dit-résumé.

« 1/ Nous sommes en guerre.
2/ Dans cette guerre, tu commets nombres d’actes visant à nuire à mon peuple. Je ne vais pas t’en refaire la liste, à nouveau.
3/ En dépit de cette guerre, je n’ai commis aucun actes visant à nuire à Sélénia, au contraire même, j’ai agi uniquement pour préserver la survie de mon peuple à Caladon et j’ai accepté de ne pas répondre à tes diverses attaques et expansions, quand bien même j’en aurai eu les moyens.
4/ En d’autres mots : je respecte déjà une trêve. C’est toi qui fais la guerre tout seul. C’est à toi que tu devrais demander une trêve.
5/ C’est pourquoi je trouve cela tristement drôle, vois-tu ?
6/ Je suis un homme d’actes. Tes mots et tes promesses sont aussi risibles que la trêve que tu es venu me demander. Alors je réitère mes propos : je veux des actes. Prouve-moi par les actes que tu désires réellement cette trêve. Voilà ce que je veux, Claudius. Des preuves de ta volonté à ne plus être en guerre. Est-ce assez limpide pour toi cette fois, ou je dois recommencer en alignant seulement un sujet et un verbe ? »


L’agacement se faisait sentir, dans sa voix, preuve qu’il fallait vraiment qu’il cesse pour aujourd’hui. Il avait donné plus que de mesure, sans l’injurier comme son cœur en aurait envie. Sa demande avait été nette et propre… Les dés étaient jetés. Il posa le vase, se leva et quitta son office. Que Claudius reste là sans bouger autant qu’il le voudrait : il n’y aurait pas d’accord tant que les actes ne suivraient pas.

29 mai 1764

Le Prince Noir glissa dans le vase un parchemin. Nul piège cette fois. Il s’agissait d’une liste de noms. Une très longue liste : les noms de tous les Séléniens qui avaient été mordus lors de la ‘’bataille des cendres’’ et qui vivaient à présent à Cendre-Terre. Le recensement avait été long, en particulier parce que les nouveau-nés étaient amnésiques, mais le repérage fait en amont de l’attaque simplifiait les démarches. Il donnait cette liste pour que Sélénia fasse son deuil. Pour que les familles des victimes cessent de chercher les disparus et fassent leur deuil. Il quitta à nouveau le bureau.

1 juin 164

Le délai était-il trop court ? Peut-être, mais il ne devait pas tant l’être à qui voudrait bien faire. Il prit le vase rouge et s’installa dans son fauteuil. Il n’avait pas envie de poursuivre cette discussion, mais il le devait, n’est-ce pas ? Il ferma les yeux, tapotant sur le bord du vase : « Et bien ? » demanda-t-il alors, pour avoir l’attention de son interlocuteur… Mais aussi ses réponses.

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Cette discussion avec Aldaron fit penser à Claudius à ces gâteaux au chocolat de sa femme qu’il adorait détester : elle était sans saveur, un brin ferme, pas très passionnante, et par dessus tout il ne pouvait rien dire sans créer un incident d’état plus grand que lui.

Le Havremont soupira, et laissa couler les énièmes paroles d’Aldaron, songeant au fait que la négociation d’un pacte de non-agression était mal parti à ce rythme.

Peut-être qu’à la fin des fins, ces deux êtres n’était voué qu’à la destruction pure et dure, peu importe les décisions prises ? Ce serait cruel. Mais là encore, cela ferait vendre des places de théâtres aux dramaturges, songea Claudius.

A la fin de sa petite liste, Claudius fit simplement au Prince Noir :

Si vis pacem para bellum, Aldaron. S’il te reste un peu de ton dialecte sélénien et d’intelligence militaire, tu comprendras tout seul mes manœuvres de ces derniers jours, et tu arrêteras de crier au loup. Ou si cette simple locution est trop élaborée pour toi, tu pourras demander des comptes à ton chef des armées, ou même à mes soldats que tu m’as volé. Peut-être que ceux-ci se fendront d’un exposé plus détaillé.”

Le Havremont soupira, avant de se lever de sa chaise. Finalement, lui non plus n’avait plus envie de parler.

“Je suis fatigué. Nous reprendrons cette discussion plus tard.”

Fit Claudius, avant de partir en prenant soin de fermer la porte délicatement derrière lui. “Je n’ai commis aucun actes visant à nuire à Sélénia”. L’Empereur roula ses yeux, et soupira longuement. Il détestait qu'on joue sur les mots de la sorte, mais après tout il avait affaire à Aldaron. C'était lui tout craché. Parfois il valait mieux ne pas insister. Au moins Le Prince Noir n'avait pas évoqué le fait qu'il n'était pas impliqué dans les affaires de Selenia. On ne pouvait changer le passé.

29 mai 1764

Le vase gonfla peu à peu, venant troubler la quiétude du bureau de l’Empereur, avant de cracher un petit parchemin et de retrouver sa forme originale. Claudius soupira. Il se jura de ne jamais toucher à cela.

Mais évidemment quelques heures plus tard, la tentation fut trop forte, et le Havremont, bonne poire, soupira en se levant. Il déroula le parchemin, et au fur et à mesure qu’il lisait, il eut un brin de sourire.

Finalement, cette discussion avec Aldaron ressemblait à la bataille des cendres : un début incertain, voir où ils étaient quasiment tous condamnés, mais où l'issue était emplie de surprises positives.

Le parchemin contenant une liste de noms séléniens était enfin une démarche concrète de reconnaissance de ses actions.  En plus de faciliter réellement le travail des forces occupées à la traque des disparus et des morts causés par les vampires.

Claudius s'en contenta et laissa simplement un bout de parchemin qu'il prit sur son bureau et marqua à l'aide d'une plume un simple "Merci." dessus. Il entreposa le bout de parchemin dans le vase, et vaqua à ses occupations.

Peut être pourrait-il faire quelque chose de son côté également.

1 Juin 1764

Un "Eh bien ?" D'une voix que Claudius aurait reconnu entre mille vint troubler une nouvelle fois la quiétude de son bureau.

L'Empereur inspira, priant pour que cette fois-ci son ancien ami soit peut être un peu plus calme. Il se leva de sa chaise, pris quelque chose dans un de ses tiroirs, et se rendit vers le vase, en prenant encore une fois bien soin de ne pas se pencher trop près vers celui-ci.

Il entreposa alors dans le vase un contenant qui était en fait un petit bocal translucide, rempli d'un liquide rouge qu'un vampire reconnaîtrait entre mille.

Claudius soupira, avant de répondre à la question de son ancien Ami :

"Voilà mon geste Aldaron. Du sang de nos prisonniers. Tu n'en as ici qu'un extrait, mais nous en avons prélevé une quantité suffisante pour nourrir un peu de votre peuple. Ce sang, c'est un cadeau que je vous fais. Ce n'est pas un tribu à acheter, et comme cela, nul besoin pour vous d'avoir un esclave humain ou gräarh à siphonner, ou de chasser. C'est un gage de notre bonne volonté."

Le Havremont eut un petit sourire avant d'ajouter :

"Je te ferais bien tout le cérémoniel d'enterrer mon marteau de guerre, et j'accepterai bien volontiers de me faire broyer la main dans une poignée avec toi, mais tu comprendras que ce n'est pas tellement possible à cette distance qui nous sépare."

Claudius marqua un petit silence avant de reprendre :

"J'ai dû être un dirigeant qui devait vite m'affirmer. Il est vrai que j'ai commis des manœuvres d'alliance car je craignais que vos forces liées à tes charmants amis de la Confrérie, ne reviennent plus fortes encore ces prochains jours. Des manœuvres de dissuasion pour l'essentiel. Mais comme son nom l'indique, elles ne sont que dissuasives. Car j'ai bien noté ta volonté de nous laisser en paix, avec le temps."

Claudius roula ses yeux, et soupira, avant de reprendre :

"Que dirais-tu que nous discutions des modalités de cette paix provisoire chez toi ? À défaut de pouvoir nous supporter mutuellement, nous devons au moins faire cela pour nos peuples."

Le Havremont s'arrêta un instant, et termina par une petite question :

"Tu as une arène à Nevrast ? Parole de Havremont, je ne dis jamais non à un combat, même si celui-ci implique ma mort pour que tu puisses venger Achroma, si c'est ce que tu veux. "

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Le vase se mit à grossir avant d’éjecter un flacon de sang qu’Aldaron attrapa d’un geste plein de dextérité. Ses mires verdoyantes en observaient à peine les lueurs carmines tant cela lui déplaisait personnellement, mais dont son peuple avait véritablement besoin. C’est en silence qu’il écouta les propos de l’Empereur jusqu’à sa question et sa proposition. L’Ast secoua la tête de gauche à droite, bien que son interlocuteur ne puisse le voir faire. « Merci. » Il posa le flacon sur son bureau, perplexe et ferma les yeux, venant se frotter l’arrête du nez. « Oh et puis merde. » finit-il par lâcher. Il se leva et le vase claqua lorsqu’il fut reposé à la place où il trônait depuis quelques semaines. Il alla ouvrir un placard et prit une bouteille d’un alcool ambré, particulièrement fort et au goût raffiné. De la même main, il coinça avec son index et son majeur deux verres de bronze adroitement sculptés, en glissant ses doigts à l’intérieur. S’il allait se saouler tout seul dans son coin ? Absolument pas. Il n’aurait pas pris deux verres dans ce cas. Passant près du vase, il lâcha un « J’arrive, Claudius. », avant de s’installer dans un fauteuil confortable, un peu plus loin, près des senteurs d’encens. Il arrivait ? Oui, il allait vraiment faire cela.

Depuis sa plus tendre enfance, Aldaron avait été du genre à aimer transgresser les règles, uniquement pour le plaisir de les transgresser. Tant que cela ne blessait personne, il savourait cette satisfaction qu’on pouvait avoir en s’asseyant exactement là où on ne voulait pas qu’il s’assoit. Alors que le dernier leg des Kohans était d’interdire le séjour des Liés sur les terres Séléniennes, et bien, il fallait se doutait qu’Aldaron viendrait y poser son séant. Posant un index sur sa tempe, trouvant le chemin d’une transe déclenchée par habitude, Aldaron ne tarda à réaliser le prodige dont la Triade tenait le secret quand il avait fallu passer au nez à barbe du Tyran Blanc les vivres de Caladon à Esfelia. Sa doublure se matérialisa, en chair et en os, progressivement devant Claudius, de l’autre côté de son bureau, et dans un geste prompt plein d’une magie assuré, il ferma rideaux et portes, sans bruit, tandis que les flammes du chandelier illuminèrent l’endroit. « Je ne suis pas armé et je… » Il s’arrêta en milieu de phrase et roula des yeux : « Enfin si, je suis armé. » Mais il ne pouvait pas vraiment se couper les mains juste pour pouvoir entrer dans une pièce où se trouvait Claudius. La magie coulait en lui avec une puissance colossale entre celle qu’il avait héritée d’Achroma, ses Esprits-Liés et l’âme palpitante du dragonnier. Disons que lorsqu’il affirmait ne pas être armé, il évoquait le fait qu’il ne portait ni épée, ni arc. C’était déjà pas mal ?

En lieu et place de cela il posa les deux verres sur la table et versa de l’alcool dans chacun d’eux. Fort, l’alcool. Il allait au moins lui falloir cela pour ne pas mettre le feu à celle qui lui jetait le défi de s’appeler l’Imbrûlée. La présence de Claudius le contrariait. Mais il s’était promis de ne rien faire. « Je n’ai pas l’intention de te tuer, Claudius. Si je l’avais voulu, tu serais déjà mort à l’heure qu’il est. » Lors de la bataille des cendres, sous le joug d’un assassin ou même tout bonnement maintenant. Il posa un verre près de Claudius et prit le second tandis qu’il s’asseyait face à lui. Jugeant qu’il regardait Claudius avec un trop menaçant regard noir, il prit une gorgée d’alcool, priant d’adoucir son aigreur. « Tu sais… c’est un peu gelé à Cendre-Terre. Les activités en plein air, ça n’est pas trop optimum. Donc construire une arène… Je t’avoue que je n’y ai pas trop songé. Bien que la beauté de colonnades et de gradins sculptées dans la glace pourrait paraitre alléchante, je le reconnais. Les vampires immaculent et si le peuple de la nuit ne craint pas le froid… Ce n’est pas le cas de notre version vivante. Et je suis la Triade, je ne vais tout de même pas m’engager dans un investissement qui ne nous servirait plus dans dix ans. Nous avons en revanche beaucoup de salles d’entrainement, vastes et prometteuses. »

Très prometteuses. Au fond, qui voulait la paix préparait la guerre, n’était-ce pas ce que Claudius lui avait dit ? La différence se trouvait probablement dans le fait qu’Aldaron la préparait là où Claudius la faisait. Lui prendre Caladon n’était pas ‘préparer la guerre’. C’était s’attaquer à ses terres. Son regard verdoyant se planta gravement dans les mires de celui qui fut son ami et dans lequel il ne voyait plus que l’assassin d’Achroma… Il but une nouvelle gorgée. Il avait définitivement besoin de cet alcool. « Je n’ai pas envie de te tuer, pas plus que je n’ai envie de te faire la guerre. Nathaniel rêve de conquérir ce monde et je sais que si je l’aidais à faire cela, je serai son prochain ennemi. La Confrérie vit en mangeant sur le dos d’autres peuplades, et s’il n’y a plus d’autres que le peuple de la nuit, alors nous entrerions en guerre. Et avant qu’il te vienne à l’esprit de monter une alliance pour le détruire, il me faut te mettre en garde que l’âme pirate jamais ne mourra. Le vice et la cruauté sont en chaque âme : éradique ce fléau et un autre se sentira pousser des ailes. C’est ainsi : nous avons besoin du chaos. Au moins pour que d’autres personnes se sentent vertueuse en regardant la déchéance des hères viciées. Cela les aide à croire que le mal n’est pas en eux. » Lui, savait qu’il était en tout être. Il l’avait vu à Morneflamme.

« Alors non, je ne veux pas te faire la guerre, Claudius. » Et il dansait avec le chaos comme il dansait avec l’ordre. Il valsait avec le vice comme il embrassait la vertu. Était-ce le début de la folie ou d’un équilibre nécessaire que tous pensent être fou ? Il poussa un soupir. « Vas-tu boire avec moi ou m’exécuter d’être un dragonnier sur les terres Séléniennes ? » Cette loi était ridicule, au moins à ces yeux. La provocation n’était dénuée d’un sérieux régalien. « Je ne pensais pas que tu garderais une loi énoncée lorsqu’une pucelle de Reine Kohan a été terrorisée par un dragon grincheux. » Il se gardait bien que lui dire que Victoria n’était pas aussi pucelle que cela. Claudius n’avait pas besoin de savoir. « C’est un leg en tout aveux d’impuissance que tu conserves. Pourquoi ? » Il l’interrogeait sincèrement. Pourquoi ? Après tout ce que les dragonniers avaient fait ? Les combats qu’ils avaient menés pour protéger et sauver les peuples ? Une erreur inconsciente (car en toute honnêteté, aucun dragon lié ni aucun dragonnier n’avaient volontairement voulu libérer les chimères !) et ils étaient bons qu’à tuer ? Le peuple ne pouvait-il pas plutôt être éduqué ? « Pourquoi est-ce que tu laisses Verith faire les lois de ton peuple ? » Il s’adossa dans le fond de son siège et but une nouvelle gorgée d’alcool, avant de lâcher un : « Tu as pris un coup de vieux. » Pragmatique : Claudius avait vraiment l’air avoir pris un coup de vieux. En face de lui, Aldaron avait pris les couleurs du colibri : d'un œil peu averti, on aurait pu dire qu'il avait l'air d'un immaculé tant l'esprit-lié lui ôtait, de jour, de sa pâleur vampirique.

descriptionLe TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron] EmptyRe: Le TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron]

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Un sobre « Merci » était tout ce que Claudius récolta pour ses actes. Le Havremont soupira, un brin soulagé. Savoir qu’ils avançaient enfin mettait en joie l’Empereur, même si bien sûr, il devrait réaffirmer ses intérêts au moment venu.

Un juron plus tard, et Aldaron se trouva à lui dire :
« J’arrive, Claudius. »
. Le vieil homme eut soudainement des sueurs froides : devait-il faire appeler la garde, se saisir effectivement de son marteau de guerre, faire appeler les flottes de Délimar ? Et surtout : pourquoi disait-il ainsi « j’arrive » si sobrement, alors que le Havremont semblait l’avoir satisfait …

Trop de questions, qui trouvèrent cependant une réponse assez rapide, car en grand mage qu’il était, l’Elusis avait de la ressource. Devant lui se dressa progressivement une doublure plus vraie que nature de son ancien ami, qui investit son bureau, et puis ferma les rideaux et les portes rapidement. Claudius écarquilla les yeux un instant, toujours impressionné par des prestations magiques de la sorte. Le Havremont fit sobrement :

« Je t’en prie assieds-toi, fais comme chez toi … » Il y eut un petit silence de gêne, puis Claudius eut un petit sourire, et leva un doigt, avant de préciser sa pensée : « Oublie ça. Mais tu peux quand même t’asseoir. Compte tenu de la discussion que nous avions eu l’autre jour, je n’imaginais pas un entrevue aux chandelles et des bouteilles d’alcool, mais si c’est que tu veux …»

Claudius haussa les épaules, et montra le siège en face du bureau à son homologue vampirique. Il y serait bien, et à bonne distance de lui. Ce qui devrait laisser le temps au Havremont de réagir si l’ambiance devenait délétère. L’Empereur s’enfonça un peu dans son siège, et écouta calmement le Prince Noir qui affirmait très tranquillement être armé. Cela ne fit ni chaud à l’Empereur sur l’instant. L’Humain savait que si le vampire voulait le tuer ici et maintenant il le pouvait. Mais l’inverse était tout aussi vrai, encore qu’Aldaron pourrait s’enfuir si la situation se mettait à être hors de contrôle. Un point pour lui donc. Mais le Havremont était assez serein pour autant. Il savait à qui il avait à faire. Son caractère avait beau changé ces dernières semaines, Aldaron restait à peu près la même personne qu’auparavant. Il suffisait de le voir pour le croire.

« Je n’ai pas l’intention de te tuer, Claudius. Si je l’avais voulu, tu serais déjà mort à l’heure qu’il est. »

Le Havremont se contenta là d’avaler sa salive. Un point vraiment pour lui, donc. Mais il ne contesta pas pour autant : Aldaron avait eu maintes occasions de le tuer après tout. Il le laissa continuer :

« Tu sais… c’est un peu gelé à Cendre-Terre. Les activités en plein air, ça n’est pas trop optimum. Donc construire une arène… Je t’avoue que je n’y ai pas trop songé. Bien que la beauté de colonnades et de gradins sculptées dans la glace pourrait paraitre alléchante, je le reconnais. Les vampires immaculent et si le peuple de la nuit ne craint pas le froid… Ce n’est pas le cas de notre version vivante. Et je suis la Triade, je ne vais tout de même pas m’engager dans un investissement qui ne nous servirait plus dans dix ans. Nous avons en revanche beaucoup de salles d’entrainement, vastes et prometteuses. »

Claudius haussa un sourcil en entendant le nom « Cendre-Terre » : entendait-il par-là Nevrast ? Ou une toute autre ville ? Il garda cela dans un coin de sa tête pour lui poser la question plus tard. L’Empereur pris cependant bonne note de la dernière phrase, et ne jugea pas nécessaire de rappeler que lui, possédait des forces armées prêtes à intervenir si l’occasion se présentait. La discussion commençait bien, il était inutile d’échauder l’esprit de son ancien ami.

« Je n’ai pas envie de te tuer, pas plus que je n’ai envie de te faire la guerre. Nathaniel rêve de conquérir ce monde et je sais que si je l’aidais à faire cela, je serai son prochain ennemi. La Confrérie vit en mangeant sur le dos d’autres peuplades, et s’il n’y a plus d’autres que le peuple de la nuit, alors nous entrerions en guerre. Et avant qu’il te vienne à l’esprit de monter une alliance pour le détruire, il me faut te mettre en garde que l’âme pirate jamais ne mourra. Le vice et la cruauté sont en chaque âme : éradique ce fléau et un autre se sentira pousser des ailes. C’est ainsi : nous avons besoin du chaos. Au moins pour que d’autres personnes se sentent vertueuse en regardant la déchéance des hères viciées. Cela les aide à croire que le mal n’est pas en eux. »

Là, le Havremont haussa un autre sourcil : tiens dont. Aldaron aurait-il peur de Nathaniel, lui qui semblait sûr de lui ? Amusant. Mais après tout, leurs profils se ressemblaient, songea Claudius. Tous deux des elfes, dans une vie ou dans une autre, tous deux dragonniers, tous deux à la tête d’une peuplade barbare et qui pillait les uns pour leur propre bonheur… Tout bien réfléchi, cela faisait du sens. Et évidemment qu’il ne pouvait exister qu’un seul et même peuple avec ce comportement.

L’Empereur se frotta sa barbe fournie, comprenant le dilemme auquel était posé Aldaron. Une situation des plus complexes, et qui alla dans le sens des prochaines paroles du Prince Noir :

« Alors non, je ne veux pas te faire la guerre, Claudius. »

Le concerné haussa les épaules. Il reviendrait à ce sujet plus tard, pour ne pas interrompre son ami, mais il commençait à avoir une petite idée sur la question.

« Vas-tu boire avec moi ou m’exécuter d’être un dragonnier sur les terres Séléniennes ? »

Claudius eut un rire fort qui trancha l’ambiance sérieuse qui s’était installé jusqu’à présent, avant qu’il ne se serve dans le verre et la bouteille que lui avait ramené le Prince Noir. Il répondit ensuite à son ancien ami :

« A la tienne alors, et non rassure toi, pas d’exécution sommaire aujourd’hui ! Et à euh … » Un brin de silence s’installa quelques secondes. Claudius avait besoin de réfléchir à quoi porter un taost sans s’attirer les foudres d’Aldaron. Il reprit une fois fixer : « Tes enfants ? Sorel se plaît bien dans les environs d’ailleurs. Je te rassure, personne ne l’embête. »

L’Empereur savait qu’en parlant gentiment de la famille de l’Elusis, il ne pouvait rien lui arriver. Car là était sûrement le point faible du Prince Noir. Sur ces mots il prit une rasade d’alcool, et reposa son verre. Le liquide chaud vint lui chatouiller les narines : diantre, Aldaron avait choisi quelque chose de fort. Fort heureusement, Claudius avait plus de trente ans d’expérience dans l’armée et par extension autant de liquides infects ingurgités, mais cela aurait surpris plus d’un humain.

Il écouta par la suite les remarques d’Aldaron qui dénonça le fait que Claudius avait laissé cette loi ouvertement contre les dragons liés et les dragonniers. Le Havremont se frotta la barbe encore une fois, et fut surpris d’entendre que l’Elusis qualifia Verith de « dragon grincheux ». Peut-être était-ce parce que concernant l’Empereur, les rapports avec le dragon de l’ire n’avaient pas été si amicaux que ça jusqu’à lors, mais lui n’aurait pas osé un tel qualificatif.

Il entendit aussi sa remarque sur la vieillesse qui avait frappé le Havremont de plein fouet. Là encore il haussa les épaules, et tenta de répondre à toutes les remarques qu’avait présenté Aldaron jusqu’à là :

« Il faut dire que t’avoir comme adversaire me fait avoir quelques cheveux blancs, avant de me les faire perdre. Et voilà longtemps que je n’ai plus pris soin de mon visage, pour les mêmes raisons. » Claudius eut un petit sourire. Il ne cherchait pas à se plaindre, mais là était un constat purement factuel. Il allait bien physiquement, jusqu’à ce qu’il ne se mêle sérieusement de son pays qui tombait à la ruine et au joug des vampires. « Toi en revanche tu as pris des couleurs. Nyn-Tiamat et … Cendre-Terre, comme tu dis, ça vous gagne ? Tu devrais y penser, comme devise pour les prochains membres de ton peuple. ».

Claudius préférait prendre la conversation sur le ton de l’humour, bien que ses pensées et questions étaient sincères derrière ses remarques. Il était vraiment curieux de savoir ce qui était arrivé à Aldaron depuis tout ce temps.

Mais passé cette gentille pique, l'Empereur trouva un peu de sérieux quand il devait aborder des sujets importants. Il commença par cette affaire de lois sur les dragons et les dragons-liés :

"Pour être tout à fait franc avec toi, j'ai beaucoup réfléchi à la question des dragons et de leurs dragonniers, depuis ce tragique incident que nous avons connu. Et dans le fond, je crois que je n'estime être personne pour interdire quoi que ce soit à vous autres."

Claudius s'arrêta un instant, passa ses deux mains le long de son corps, et repris :

"Je veux dire, regarde moi. Comme tu l'as dis, je ne suis qu'un vieux soldat. Je sais mener des hommes vers la victoire, être rassembleur, me servir d'armures magiques et faire deux ou trois artifices … J'ai de la ressource, mais je suis loin de comprendre certaines choses. Je ne suis pas impliqué comme tu peux l'être sur des sujets qui nous dépassent complètement."

Et pour cause : Aldaron allait certainement le prendre pour un enfant, ou à la rigueur comme un huluberlu sorti de nul part, mais c'était ainsi. Claudius avait toujours considéré les sujets de "puissances supérieures", dragons, esprits-liés, et autres grands dangers qui secouaient la surface du monde avec beaucoup de pragmatisme. Il avait fait front avec les Almaréens quand ils avaient envahi Ambarhuna car ils allaient dans le sens des politiques de Fabius, pendant un temps du moins, il avait rejoint la résistance contre le Tyran Blanc car son régime méritait d'être combattu, selon ses propres idéaux, et c'était la même chose pour les Chimères.

Le Havremont ne s'estimait pas comme ce héros dragonnier qui allait sauver l'univers au nom des déesses tout en tutoyant les étoiles, comme d'autres l'avaient fait avant lui. Tout ce qui le motivait était le bien être de son peuple, et la grandeur de son Empire. Et c'était là des causes bien suffisantes pour une vie, avait-il estimé.

"Ce que je veux surtout, c'est qu'on ne fasse pas de mal à mon peuple, et qu'il soit heureux de vivre dans mon Empire. Et que nous nous battions pour des causes justes."

Claudius haussa les épaules, et reprit une petite gorgée de ce breuvage amené par Aldaron. Il reprit ensuite :

"Tu connais mes convictions sur les dragons. J'ai tué et rompu mon serment de défense de l'Empereur coûte que coûte car on menaçait mon peuple. J'ai passé un pacte avec Verith ensuite pour éviter qu'il ne brûle ma capitale, et tout mon peuple avec elle. Il n’est pas qu’un “dragon grincheux”, pour moi. Il est dangereux, en plus du reste."

Claudius eut un petit sourire ironique. Au vue du sort qu'avait connu l'ancienne Majestueuse avec les actions d'Aldaron, c'était bien la peine de se faire maudire et voler son coeur, mais il ne regrettait rien.

"J'ai laissé ses lois en place car à défaut d'être justes et équitables, elles me tiennent éloigné du danger que j'ai connu par deux fois." Et qu'elles font bien mes affaires dans mon entente avec Naal du Néant pensa Claudius, mais ne le precisa pas, ne se doutant pas qu'Aldaron ne manquerait pas de sauter sur l'occasion pour le lui rappeler.

Claudius leva un doigt avant toute interruption et fit ensuite :

"Mais j'ai bien conscience que ces dangers n'auraient pas été causés initialement si mon peuple n'avait pas été aussi bête, et si je ne m'étais pas érigé comme symbole politique par la suite."

Claudius soupira profondément et regarda le sol un instant. La vérité, c'est qu'il aurait été bien plus tranquille si tous ses sujets de Lien, de Dragons et de Surnaturel étaient restés loins de sa vie. Mais après tout, en s'opposant à Achroma et en tuant Cynoë, il l'avait bien cherché.

Il reprit : "J'ai prévu d'éduquer mon peuple, et je ferais ma pénitence jusqu'à la fin de ma vie par la perte de mon cœur et la douleur qui y est associée. J'y fais même un point d'honneur. Une fois que les tensions se seront apaisées, nous tournerons la page, et nous abolierons ces lois digne d’un ancien temps."

Bien sûr, cela prendrait du temps, et des moyens que Claudius n’avait pas forcément à disposition dès à présent, mais les objectifs étaient là, et les programmes en cours de construction. Des conseillers qu’il avait en la matière, et d’autres savants y travaillent très souvent.

Claudius s’étira, et se resservit de cet alcool qui descendait décidément bien, avec le temps. Il se passa ses deux mains sur le visage, faisant une pause un instant pour laisser le temps à son homologue vampire d’assimiler les informations qui lui était donné, et éventuellement se faire son avis.

Il reprit ensuite sur un tout autre sujet :

“J’ai pu constater de moi-même ta remarque sur l’éradication d’un fléau, et la montée en puissance d’un autre. Mais si je comprends bien, te voilà donc dans une impasse car tu crains que tes amis de la Confrérie ne se retournent contre toi si jamais tu me vaincs, et viens à jour à dominer cet archipel. Si tu me permets l’analogie, vous êtes deux meutes à l'affût, et tu as peur que l’une se retourne contre l’autre.”

Le Havremont se frotta la barbe, pensif. Il eut un petit sourire, et un petit feu dans ses yeux se mit à briller. Il avait une idée.

“Changeons un peu de perspectives, tu veux. Et si le mal, et le chaos, comme tu dis, n’était pas là ou tu le pensais ?” L’Empereur baissa les yeux, et ouvrit un tiroir qui contenait des petites figurines à l’effigie de Nathaniel, Aldaron, et de lui-même. “Des symboles militaires pour élaborer nos stratégies.” précisa Claudius à son ancien ami, qui devait se trouver étonné que le Havremont possède ce genre de choses. L’Empereur posa les trois figurines sur la table et commença à parler, en agitant sa figurine :

“Voici un Humain plein de bonnes intentions. Il est arrivé au pouvoir car il veut rassembler son peuple sous la même bannière, toute son île, et même tout Tiamaranta s’il se sent pousser des ailes … Il veut que son Empire soit comme un phare dans la nuit, et qu’il brille pour l’Éternité. Mais voilà, comme rien n’est jamais facile dans la vie, cet acte incroyable n’est possible qu’au prix de grands sacrifices, très contestés. Il doit tuer des dragons, s’allier avec des traîtres, avoir des convictions douteuses, opprimer voir massacrer des peuples -il agita là les petites figurines de Nathaniel et d’Aldaron-, briser des amitiés ancestrales, des couples d’Inséparables, rejeter des créatures mythiques, amener un ordre strict, faire un culte à la gloire de sa personne progressivement et docilement pour faire en sorte que tout le monde l’aime, quitte à sacrifier et juger les plus réfractaires.”

Claudius n’eut pas besoin d’élaborer plus que cela. Aldaron, en grand opposant du Tyran Blanc devait tout à fait se peindre le tableau tout seul. Le Havremont reprit son explication :

“Il rassemble malgré tout des soldats qui croient en lui sur sa route, se fait même des alliés, fait ses premières conquêtes, et devient le symbole de toute une nation, un Empire qui a envie d’un projet comme le sien. Et ça fonctionne.”

Claudius posa le récit un instant, et se saisit des figurines d’Aldaron et de Nathaniel.

“Seulement, son projet ne fait pas que des heureux, et bientôt, des gens dénoncent l’hypocrisie de son discours. Il assure vouloir la paix, mais ne fait pourtant que la guerre, il musèle les peuplades qu’il a conquis, les force à se soumettre à la coutume de son Empire, complote pour évincer les contestataires… Bref, tu m’as compris. Fais ce que tu fais jusqu’à présent.” Claudius agita les deux figurines qu’il avait dans chaque main : “En force de contestation, ils s’opposent ensemble au grand oppresseur qui impose sa loi. Et bientôt un certain nombre de personnes croient en leur discours, ces peuples que l’on voit comme des ignobles personnages prennent soudainement l’image de parangons de vertus, résistants.”. Il s’arrêta et leva un doigt : “Bon d’accord, ce n’est pas très original, mais on aura le temps de peaufiner tout ça en chemin … Jusqu’au jour où …”

Claudius amena les deux figurines de Nathaniel et Aldaron jusqu’à la sienne, et fit tomber sa propre figurine :

“Claudius le Maudit, l’Eternel Empereur, meurt sous les coups des libérateurs Aldaron et Nathaniel. Ces deux peuples autrefois des prédateurs assoiffés de sang, et de biens à piller se retrouvent sur le toit du monde, et s’affichent comme le nouvel Ordre mondial.”

Il leva les yeux vers son homologue et fit :

“Tu auras ta vengeance contre moi, on ne s’alliera pas, et tu donneras à Nathaniel ce qu’il veut. Être sur le toit du monde, ou tout du moins de cet archipel. Et tu le changeras de perspective : assoiffé de chaos, il se trouvera soudainement à faire le bien, contre ses propres intentions. Et moi j’aurais eu mon Empire comme je l’entendais, comme celui-ci qu’il était il y a des centaines d’années.”

L’Empereur se frotta les mains :

“Le seul désavantage est que l’on se fera la guerre, mais après tout cela arrivera bien un jour. Cela sera pour des bonnes raisons : je suis le mal et le chaos, après tout. Et comme l’on m’a bien identifié comme tout ce que tout le monde rejette, et on le tue, pour que chacun puisse vivre en harmonie, sous une même bannière fédératrice.”

Claudius pointa son homologue vampirique :

“La tienne. Qui a le savoir, le charisme, l’éclair de génie, que je n’ai pas. Mais aussi et surtout : qui n’a pas les mêmes intentions mégalomanes que celle d’Achroma.”

Claudius eut un petit rire, avant d’ajouter :

“Décidemment ton alcool me fait de l’effet ! Me voilà à divaguer sur des stratégies douteuses comme je l’aurais fait à mes débuts dans l’armée...” Il reprit un peu de sérieux, et ajouta : “Si je prends mon temps pour développer mon Empire, et centraliser tous les fléaux de ce monde, et que l’on me tue définitivement, penses-tu qu’un mal refera surface de si tôt ? Ou peut être devrais-je redevenir sérieux et réfléchir à des propos plus … Terre à terre ?”

Le Havremont se sentait un brin prophète, et fou aussi. Mais au pire, même si toute cette histoire se terminait par un grand rire et un grand “Non” d’Aldaron, il se disait qu’il aurait bien rigolé à toute cette histoire.

Restait à voir la réponse de son homologue, à présent.

descriptionLe TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron] EmptyRe: Le TéléVase Rouge [Claudius & Aldaron]

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Faire comme chez lui, hein ? Mais il s’en ferait un grand plaisir si le Havremont ne s’était pas ravisé de cette proposition. Il accepta néanmoins le siège et à la réplique de Claudius au sujet de l’entrevue aux chandelles avec des bouteilles d’alcool, il eut envie de lui répliquer qu’il fallait au moins cela à l’Elusis pour arriver à être dans la même pièce que le meurtrier de son époux, sans le tuer. Néanmoins, son regard sans équivoque lui soulignait à merveille si bel et si bien qu’il n’était pas nécessaire d’en venir aux mots qui fachaient. Sa proposition de boire ensemble échauffa un rire de la part de l’Empereur qui ne trouve aucun écho chez le Prince Noir. L’Ast leva doucement un verre lorsqu’il fut question de souhaiter une belle vie à ses enfants. Le geste était discret mais sincère. Dans l’état dans lequel il était, il ne fallait pas s’attendre à de grand élan d’entrain et de joie. Lorsque Sorel fut évoqué, un « J’espère bien. » aussi glacial qu’évocateur de ce qu’il ferait dans le cas contraire, vint à clore le sujet.

Il y avait bien des choses avec lesquelles Aldaron savait être conciliant et même particulièrement généreux, mais ses enfants n’en faisaient pas partie, même lorsque ceux-ci se montraient particulièrement ingrats envers leur père. Il n’y avait qu’à voir ce qu’il avait fait à Caladon dès lors qu’on avait mis Eleonnora sur la mauvaise pente. Il n’y avait certes pas qu’Eleonnora dans cette affaire, c’était aussi une question de pouvoir et d’argent. Mais tout de même : il n’hésiterait pour aucun de ses enfants. Et s’il se savait capable de terribles actes, il savait aussi, et Caladon l’avait montré, que s’il existait une autre voie que celle qui consistait à tout cramer, il l’emprunterait. Il n’avait pas pris le pouvoir d’une façon parfaitement sanguinaire. Il avait même été très diplomate et n’avait enfreint aucune règle de l’état libre. Le Conseil pouvait destituer la Bourgmestre pour des raisons valables (au nom de la liberté, elles avaient été clairement bien reçue par la cité indépendantiste). Et Autone avait été élue par suffrage et obtiendrait du Conseil ce qu’elle voudrait pour se diriger avec une monarchie de l’Or.

La Triade avait très bien su s’accommoder du pouvoir à Caladon et dès lors qu’il possédait la majorité au Conseil, il devenait comme un roi. Il était donc temps de mettre un terme à cette mascarade et d’appeler un chat, un chat… Mais pas en son nom. Il savait que le duo merveilleux d’Ilhan et d’Autone serait le plus à même de faire de Caladon l’étoile dorée qu’elle avait toujours été. Le phare de la liberté lors de l’emprise du Tyran Blanc. Le phare de la liberté refusant de se soumettre à l’Empire. Car Caladon avait quelque chose que n’avait pas Délimar : une réelle envie d’indépendance et de liberté. Délimar s’était détaché de l’empire Kohan pour des raisons sentimentales, tel un vieux couple traversant une mauvaise passe, sur un désaccord malheureux.

« C’est l’esprit-lié du Colibri. » fit-il alors, en explication à son propre teint, d’un ton calme bien que ses yeux semblait hurler un ‘TU SAIS, EN REMPLACEMENT DE L’INSEPARABLE QUE J’AVAIS AVEC MON ÉPOUX QUE TU AS TUE !’ Ses lèvres se pincèrent avant qu’il n’ajoute : « Nathaniel m’a aidé à survivre. » Car la perte de son esprit-lié avait rendu les choses moroses. L’inséparable n’était plus là, sans être totalement absent, le laissant dans un état inconfortable. La venue du Colibri avait été salvatrice. Il ne parla néanmoins pas de l’Arbre-Songe, gardant cela secret en son for intérieur. Si les gens savaient ce qu’il y avait dans la forêt de Licorok, cela pourrait devenir dangereux. Il en était comme un gardien, indirectement. Toutefois, les propos de Claudius au sujet de ces lois anti-Lien eurent le don de le radoucir. Voilà qui était de la bonne volonté, bien qu’aux yeux d’Aldaron, la mort de quelques villageois humains ne valaient pas la mort d’un dragon. Les humains étaient des êtres éphémères qui se reproduisaient à la pelle, leurs vies n’avaient rien de précieux. Mais il ne pouvait pas demander à Claudius d’avoir le même point de vue pragmatique.

« Je n’ai pas peur de Nathaniel. » corrigea-t-il lorsque Claudius l’évoqua. Qu’avait-il à craindre de cet homme ? Il pouvait faire couler la piraterie quand il le voulait. Le fait était qu’il avait besoin de Nathaniel encore quelques années, le temps de se consolider. Aldaron l’avait montré avec Sélénia : il pouvait tuer un pays économiquement. Et les pirates dépendaient à plus forte raison de ses bons liens avec le Marché Noir. Les pirates ne vivaient que sur une petite île : c’était facile à brûler avec un dragon. Et il serait aisé de trouver des alliances pour détruire la Confrérie là où il serait difficile pour Nathaniel de faire une alliance véritable avec qui que ce soit. La bataille contre les chimères en avaient été le théâtre de son incarnation : quand bien même tous se battaient contre les chimères, pirates inclus, les forbans s’étaient pris des tirs ‘alliés’ tant de la part de Sélénia que de Délimar. Il n’y avait bien que les vampires pour respecter leur collaboration. Dans tout les cas, il n’avait pas peur de Nathaniel. Et il n’avait pas peur que la Confrérie se retourne contre le Royaume vampire. Cela n’avait rien d’une crainte car il n’existait aucun aléa : c’était une certitude et il n’avait pas peur de la Confrérie. Il n’avait pas peur de la guerre. Rien de tout cela ne l’effrayait. Il n’en voulait simplement pas. Il ne voulait pas se battre en permanence et verser du sang. Là était la différence.

L’Ast arqua un sourcil à la vue des figurines. Claudius avait un fétiche ? Aldaron aurait préféré ne pas le savoir. Fort heureusement, Claudius le détrompa et entama un exposé particulièrement étrange. Vraiment très étrange et absolument improbable. Il aurait pu croire que Claudius se moquait de lui avec son histoire à dormir dehors… mais non, l’Ast et télépathe le sentait intuitivement : le Havremont avait l’air sérieux. Le Prince Noir cligna des yeux, prit la bouteille et se resservit un verre : il n’aurait peut-être pas du prendre un alcool aussi fort. « Est-ce que... » Il resta perplexe, la phrase en suspens. « Est-ce que tu serais en train de me proposer un viager ? » finit-il par demander, en tout saumon qui n’avait vu que la partie financière sous-jacente à cette… Chose. « Un viager dans lequel je pousse progressivement le petit vieux dans l’escalier ? » Il arqua un sourcil avant de boire une gorgée.

« Tu n’es pas… » Il poussa un soupir. « Je te déteste, Claudius. Je t’en veux personnellement et j’ai rêvé plus d’une fois de te tuer mais qu’est-ce que cela changerait si je le faisais, dis-moi ? Est-ce que cela raménerait Achroma ? Je ne crois pas, alors cela ne présente aucun intérêt. » Autant qu’on se le dise, il savait être raisonnable et pas seulement pour des raisons politiques. « Vraiment aucun intérêt. J’ai pardonné, très souvent, à ceux qui m’avaient fait du mal. J’ai pardonné à Nolan, j’ai pardonné à Victoria, j’ai pardonné à Eleonnora. Parce que je les ai aimé. Tout comme toi, je les ai vu grandir, je les ai vu gazouiller en couche culotte. Je t’ai vu aussi. Il fut un temps où je te prenais encore sur mes genoux et si pour toi, humain, cela te semble lointain, pour moi, cela ne remonte qu’à quelques dizaines d’années. » Ses lèvres se pincèrent alors qu’il posait son verre sur la table. Il se repositionna dans le fond de son siège. 40 années n’étaient que 4 ans aux yeux d’un elfe. C’était hier.

« Je tiens à toi et je te pardonnerai un jour. Mais pas en te tuant. Pas en cassant tout ce pour quoi tu te bats. J’ai fait de Sélénia un monde de famine, parce que les Kohans n’étaient pas à la hauteur et que je voulais que le peuple ouvre les yeux. Qu’ils voient comme les Kohans n’étaient pas capables de les protéger. Et Nolan le savait. Je le lui avais fait comprendre, à Cordont. J’ai fait la guerre à Sélénia, parce que je ne voyais personne d’autre qu’Achroma pour reconstruire cette peuplade perdue. Tu ne te dressais pas en chef d’État et tu as attendu que nous soyons aux portes de la ville, comme des envahisseurs, pour te lever, enfin. Il fallait quelqu’un d’autre que Victoria et il n’y avait personne pour le faire. Mais dès qu’il y a eut toi, nous avons cessé. Tu peux dire tout ce que tu voudras d’Achroma : nous n’avons fait qu’évacuer les vampires de Sélénia. Qu’aurais-tu fais d’eux ? Lorsqu’ils se seraient réveillés, affamés ? Achroma est venu mais il ne t’a pas combattu. Il est venu sans son dragon, il est venu sans attaquer et un mage de son ampleur, comme de la mienne, est capable de terraformer cette ville en moins de 10 minutes. Il est venu pour couvrir le retrait des vampires. Nous avions déjà accepté que tu remplaces les Kohans. »

Et il avait brûlé la quartier noble pour cela. Pour faire ce qui devait être fait, pour mettre un terme à ce panier de serpents viciés et donner à Claudius l’opportunité de réussir. « Je t’ai donné toutes les chances, malgré ce que tu avais fait. Ce n’est pas pour détruire tout cela, Claudius. Ça n’est pas mon but. Quant à Nathaniel, croire qu’il puisse un jour être dans le bon camp est une hérésie. Vraiment, si tu dis cela, c’est que tu ne le connais pas assez. Et que tu ne connais pas les pirates. Même s’il possédait tout cet archipel, même s’il était le maître de ce monde, il serait capable de scinder son propre peuple en deux pour pouvoir continuer d’opprimer quelqu’un. Car c’est comme cela qu’il fonctionne, en privilégiant sa personne, au détriment d’autres. S’il m’a aidé, au sujet de mon Esprit-Lié, c’est parce qu’il avait un intérêt personnel à ce que je ne sois pas… Inapte. » Il secoua la tête de gauche à droite. Mais Nathaniel lui était utile, pour le moment. C’était à croire que ce dont il blâmait Nathaniel était aussi de son ressort. Il voyait en lui un moyen, ils s’utilisaient, l’un et l’autre. C’était une forme de relation assez malsaine, mais avait-il d’autre choix ?

« Je ne ferai pas de propagande visant à te faire passer pour un tyran malhonnête. Je t’ai dit ce que j’avais à te dire, je n’ai pas besoin de plus. Je suis en colère contre toi, de façon personnelle, mais politiquement parlant, je te souhaite de réussir. » Il poussa un long soupir avant de conclure avec honnêteté : « Même si j’en doute. Pas de toi. C’est du peuple humain donc je doute, de sa capacité à s’élever et à reprendre de sa grandeur d’antan. Je finis par vous voir comme les elfes vous voient depuis de siècles : des enfants sans éducation destinés à réitérer les mêmes stupidités toutes les décennies. J’avais envie de me battre pour toutes les races. J’étais la Triade pour cela plus que pour le Marché Noir, mais je n’ai plus envie de me battre pour vous. Je... » Il secoua la tête de gauche à droite : « En tuant des dragons et en ne condamnant pas ces actes, vous avez franchi un cap que je n’arrive pas à comprendre. Après tous les sacrifices… Et je ne parle pas des combats que nous avons tous menés avec les Liés à nos côtés. Je parle de suicides pour sauver les autres. »

Trissi s’était sacrifiée pour restaurer la magie. Achroma et Silarae avaient donné leur vie pour libérer Skade de l’emprise du Tyran Blanc. Et tant d’autres. Et tout ça, quoi ? Ils oubliaient ? Pourtant, sans ces sacrifices, il n’y aurait probablement plus personne en vie. Et ça, cela le sidérait. C’était au-delà de ce qu’il pouvait concevoir et comprendre. « Je n’ai pas envie de faire la guerre à ton peuple, ni à toi. Je n’ai pas non plus envie de le diriger. Je vais vous ignorer et je veux que vous en fassiez autant, Claudius. Je t’attends à Cendre-Terre pour que nous scellions cela. »

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Claudius écouta patiemment le Prince Noir, qui eut quelques petites réactions à ce qu’il disait : il fut ainsi mis au courant qu’un nouvel esprit-lié avait choisi L’Elusis : ce qui expliquait les raisons de pourquoi il n’était pas décédé en même temps qu’Achroma. Tout du moins, Claudius le supposa quand Aldaron aborda le fait que Nathaniel l’avait aidé à survivre.

Se contenant de faire toutes blagues sur ce que l’Earandil allait lui demander en échange, l’Empereur écouta patiemment le Prince Noir, et fut particulièrement attentif quand à ses réactions sur son fabuleux plan improvisé.

Une réaction qu’il estima à la hauteur de la surprise de cette idée qu’il avait poussé à partager tout cela avec son ancien ami. Aussi quand il fut question du viager, il ne pu s’empêcher d’émettre un petit rire et de commenter simplement :

“Allons. Même pas une mort de guerrier ?”

L’Empereur toussa légèrement, comme pour changer de sujet et laissa plutôt Aldaron exposer son point de vue sur la situation : un point de vue qu’il trouva très étonnamment raisonnable. C’était à se demander où était passé l’Aldaron qui sous-entendait que la fin de vie de l’Empereur pouvait arriver d’un instant à l’autre quelques jours plus tôt. Le Havremont s’en accommoda bien rapidement cependant : pas question de l’écarter de ses pensées, si c’était ce qu’il pensait fondamentalement.

Le Grand Prince Noir, dans toute sa magnanimité pardonnait ? Tant mieux. Cela faisait bien les affaires de Claudius. Quant au commentaire sur les actions d’Achroma, le Havremont n’en releva pas mot. Il y avait beaucoup à dire, et l’Empereur avait d’ailleurs essayé de beaucoup en dire. Mais Aldaron voyait nécessairement les choses du point de vue de son ancien amant, alors Claudius se contenta d’opiner tranquillement. Après tout, si le Prince Noir pardonnait, pourquoi pas lui aussi.

Finalement, ce fut donc un refus de la part du Prince Noir d’entendre le plan de l’Empereur. A vrai dire, cela n’étonna qu’à moitié Claudius. Il avait beau faire tout son possible pour essayer d’arrondir les angles, et proposer des choses qui l’arrangent lui et son ancien ami, la vérité était que les faits étaient là depuis plusieurs semaines déjà, aussi tristes soient-ils.

Tuer Achroma était la seule solution pour que le peuple humain ne survive tel qu’il l’était. Et rien ne pouvait vraiment racheter cet état de fait. Point final, il n’y avait pas d’autres remarques à avoir que celle-ci. Et c’est quand tout le monde s’était défilé dans son Empire, ou était trop occupé à se regarder le nombril que Claudius avait agi. Il était devenu l’incarnation de ce mal qu’Aldaron décrivait : un peuple probablement bête, qui tuait des dragons et des êtres millénaires, qui faisait fi d’une partie de l’histoire du monde car ils avaient oublié où que leurs vies étaient trop courtes pour être compris des autres races.

Ils étaient de vilains petits canards, tous ensemble, et Claudius en tête de ligne, car il protégeait ce reste de peuple qui pensait comme lui.

Mais l’Empereur n’avait pas eu d’autres choix que celui-ci. C’était un vœu égoïste, qui avait fait beaucoup de mal à ses proches, mais le Havremont restait persuadé qu’il était le meilleur choix pour son peuple, parmi tous ceux à sa disposition. Un point de rupture devait être atteint pour être instigateur de grands changements. La mort de dragons, parachevée par celle d’Achroma représentait ce point de départ.

A charge de Claudius maintenant de construire un peuple fort, qui valait la peine qu’on se batte pour lui. Aldaron avait probablement conscience de cela, sinon il n’aurait pas fait tout ce qu’il avait entrepris jusqu’à présent. Bien qu’ils ne furent pas d’accord en l’instant présent, le temps ferait sûrement son œuvre pour réconcilier les mœurs.

Tout du moins Claudius l’espérait, même s’il gardait la tête froide quant à ceci. Il avait appris à peser les paroles de chacun, particulièrement avec les personnes qui voulaient viscéralement du mal à son peuple. Le Havremont avait coupé une tête d’Hydre en tuant Achroma, tout ce qu’il espérait c’est qu’il n’allait pas se retrouver avec deux autres têtes plus tard.

Finalement quand Aldaron eut fini, et que Claudius eut bien le temps de réfléchir à tout cela, Le Havremont fit :

“Je serai là dans environ trois semaines, le temps de me préparer, et de faire le voyage. Nous hisserons drapeau blanc. Alors touches en deux mots à Nathaniel.”

Claudius se leva sans plus de cérémonie de son bureau. Un bateau pour lui, et un autre navire contenant des délimariens affutés comme des couteaux, au cas-où Nathaniel ou même son ancien ami se prendraient l’envie d’installer un petit comité d’accueil. Ce serait probablement suffisant, sachant que le Havremont comptait aussi sur la franchise politique d’Aldaron pour ne pas tendre de pièges grossiers.

Le Havremont ouvrit la porte, se tenant dans l’encadrure de celle-ci afin qu’aucun regard indiscret ne contemple ce qui se passait dans le bureau. Puis il ajouta un :

“Merci.”

Dans un soupir, avant de fermer la porte. L’heure était désormais à la préparation du voyage.

***

28 Juin

Le voyage avait semblé infiniment long, pour un Claudius qui avait dû batailler bec et ongle pour avoir cette entrevue pacifique. Mais enfin, la vigie avait annoncé ce matin :

“Terre en vue ! Nous voyons les terres enneigées de Nyn-Tiamat !”

Contrairement au plan initial, un seul bateau avait fait le voyage jusqu’ici dans une frégate de taille respectable. Il était venu une délégation officielle, représentée par l’Empereur en personne, et cela serait bien suffisant, ainsi que sa garde personnelle et quelques accompagnants (pas trop nombreux cependant) du proche cercle de Claudius, qui voulaient profiter de l’occasion pour se rendre à la capitale vampire pour diverses raisons. A leurs risques et périls, et pacifiquement. Claudius avait précisé, ne pouvant se permettre que cette visite diplomatique ne se transforme en invasion surprise par leur faute. Il espéra qu’Aldaron avait fait la même discipline à ses sujets pour que tout se passe bien.

Encore quelques minutes à bord, et le Havremont aperçu le port de ce qui devait être ce qu’Aldaron appelait Cendre-Terre, qui prenait en fait lieu et place de l’ancienne Nevrast. La cité avait cependant une avancée et une architecture tout à fait différente, n’ayant plus rien à voir avec ce qu’était l’ancienne Capitale Vampire.

Claudius soupira et se permis d’ironiser à son équipage qui était avec lui sur le pont :

“Ravi de voir que l’argent de Sélénia est bien utilisé …”

Le sarcasme tomba un peu à plat, et Claudius ajusta sa tenue d’apparat. Il avait abandonné son armure contant les exploits de sa famille contre les vampires, ni son armure de bataille en os de dragons les jugeant trop provocantes pour la situation, pour une tenue impériale plus classique. Une toge blanche classique, ainsi qu’un chemisier blanc et un patalon en dessous pour ne pas mourrir de froid, et de bonnes chaussures. Le tout était paré d’une ceinture rouge, et sans oublier sa couronne de laurier, pour rappeler tout l'impérialisme sélénien.

Bien évidemment, il avait laissé son arme dans un endroit sûr du navire. Bien qu’il se sentait presque nu sans, c’était le jeu d’un drapeau blanc. Ce même jeu qui l’avait finalement fait se raviser quant au fait de prendre un deuxième navire.

Claudius soupira une nouvelle fois. Ils arrivaient au port, passant devant le grand phare qui toisait presque d’un regard menaçant le vaisseau impérial.

Le Havremont espérait au fond de lui que tout irait bien.

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    « Nahui ? »

    Le grognement qu’il eut en retour était sans conteste : elle désirait dormir. Elle était lovée en boule dans dans la neige, à moitié posé contre une maisonnée de pierre sombre, dont l’insigne portait le doux nom de « Boucherie - Charcuterie ». A n’en pas douter, l’odeur de la bavette devait être confortable pour son sommeil. A moins qu’il ne s’agisse d’une demande implicite. Le Prince Noir roula des yeux, entra dans la boutique viandarde et en ressortit avec un jarret assez large pour satisfait le petit creux omniprésent de sa Liée. Agitant le morceau de viande sous les naseaux du saurien, il commença à récolter quelques signes de vie très prometteur. Elle finit par se réveiller, attraper le jarret, s’en délecter… Et se rendormir sous le regard blasé du dragonnier, malgré l’amour qu’elle lui envoyait mentalement, en pleine reconnaissance du don.

    « J’ai besoin de toi, Nahui. Le navire Sélénien devrait bientôt arriver, je veux le survoler pour s’assurer qu’il n’est pas armé jusqu’aux dents. » Il doutait que Claudius se permette une telle manœuvre, mais il était de son devoir de s’en assurer. Malheureusement, au mot ‘Sélénien’, une lumière ‘tout cramer ?’ s’était allumée dans l’esprit de sa Liée… Qu’il devait éteindre. Il tapota son museau en lui expliquant que ‘tout cramer’ n’entrait pas dans la définition de ‘paix’ et après un jeu de mot douteux qu’elle fit sur ce qui pouvait sortir de son postérieur draconique, elle finit par comprendre. Il monta sur son dos et après quelques étirements de sa musculature, elle prit son envol et rejoignit les cieux.

    Chez beaucoup, le vol était synonyme de terreur et de nausée. Aldaron, lui, vivait l’instant avec beaucoup de complaisance. C’était probablement l’un des rares moments de sa vie où il se sentait pleinement libre et où les murs brûlants du volcan ne pouvaient plus l’atteindre. Il était au dessus, dans le ciel. Il était loin, si loin qu’il avait le sentiment que cela n’avait jamais exister. Le retour sur terre n’était jamais aisé, le poids sur ses épaules était d’autant plus lourd qu’il n’avait jamais existé là-haut. Sans y songer un seul instant, il savourait le sentiment d’invincibilité qui l’envahissait avec une intensité telle qu’il se sentait capable de tous les prodiges. Il survola la forêt dont les sapins envoyaient des senteurs apaisantes, avant que les vagues de la mer intérieure ne remplace les conifères sous eux.

    Son grondement à flanc de falaise laissa place à un roulis plus discret alors qu’ils avançaient dans les eaux. Le navire au drapeau blanc se dessina, minuscule mais à ses mires vampiriques, il était facilement distinguable. La Confrérie l’avait laissé passer, comme Aldaron en avait convenu. Il descendit à plus basse altitude pour en distinguer aisément les voiles aux emblèmes séléniens. Nul soldat outrageusement armé : Claudius avait tenu promesse. Nahui avait pris une taille conséquente lors qu’elle survolait le navire, poussant un grondement qui effraya brièvement quelques séléniens, de surprise. Il devança leur arrivée au port et s’était posé, donnant l’ordre aux siens d’accueillir le navire à quai. Est-ce que la venue de Claudius faisait plaisir à son peuple ? Pas le moins du monde. Certains avaient trouvé le Prince Noir trop laxiste face à ceux qui avaient tué Achroma Autant dire que l’inflexible dictature avait remis ces malotrus. S’il y avait quelqu’un qui avait droit d’en vouloir à Claudius, c’était bien Aldaron et s’il avait réussi à avoir un minimum de raison face à la situation, les siens devraient en faire autant.

    La loi du talion n’avait de sens que pour ceux qui étaient incapables de sortir de la spirale infernale. L’ast voulait que son peuple croisse et ça n’était pas en allant au front, en étant meurtri par les dépenses d’Irina et de son prédécesseur, qu’ils allaient s’en sortir. Si vengeance il devait y avoir, cela se ferait en en ayant les moyens. L’heure était à tout autre chose, dans le cœur d’Aldaron, surtout qu’en termes de vengeance, Sélénia avait d’ores et déjà payé le prix fort. « Doit-on les tuer ? » lui demanda l’un de ses généraux. La demande était légitime, quand on savait qu’Aldaron pouvait être bien assez fourbe pour montrer patte blanche jusqu’au dernier instant, avant de donner un coup de griffes. Il remua toutefois la tête de gauche à droite, avec douceur, alors que Nahui retournait près de la boucherie, après son vol digestif. « Il n’y a aucune gloire à frapper un homme à terre. » Vraiment aucune. Il n’avait rien à y gagner.

    Un silence sordide accueillit l’arrivée des Séléniens. Le peuple de la nuit se tenait en allée, de chaque côté de la sortie de la rampe qui reliait le navire au quai. ‘Une horde de bêtes tenues au garde à vous’ auraient pu dire les nobliaux de la Couronne Kohans, s’il n’avaient pas péri sous les flammes de son dragon. L’ironie le fit sourire en coin. Leurs odieuses bouches n’avaient plus rien à dire à présent et les répliques dédaigneuses de leurs traits oratoires n’avaient d’égal que le silence qui pesait sur le port. On entendait les pas des Séléniens, sur le bois, et leur écho lugubre. Les mires verdoyantes du Prince Noir se posèrent sur Claudius, avant de couler sur ceux qui l’accompagnaient, en terme d’escorte. Il s’approcha de la délégation, jusqu’à faire face à l’Empereur. « J’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur de ne pas vous souhaiter la bienvenue. » Il coula un regard sur les soldats de la nuit, visiblement mécontents. « Ce serait terriblement hypocrite, pas plus que je n’espérerais que vous ayez fait bon voyage. »

    Il arqua un sourcil, avec un sourire en coin, narquois. « Votre délégation et vous même serez accueillis au palais, pour votre séjour. Vous êtes mes hôtes. Vos marins et votre équipage sont priés de rester à bord de votre navire ou de séjourner à l’hôtel de ville où ils seront encadrés par la garde. Je déconseille vivement aux Séléniens de flâner en ville ou de se mêler à la population. S’ils le font, ce sera à leurs risques et périls. Bien que je fasse régner ici la loi, il n’y a rien que je puisse faire pour lutter contre l’imprudence téméraire ou la stupidité. Si c’était le cas, croyez bien que j’en aurais fait usage, il y a bien longtemps. » Au retour de la magie sur Ambarùna. Là où tout avait commencé.  Ou même plus récemment.

    Il adressa à Claudius un signe de tête pour lui indiquer de le suivre, alors qu’il se dirigeait, à pied sur les pavés humides, vers le palais. L’on se chargerait de décharger le navire. Claudius aurait même la plaisir de retrouver de la viande congelée, principalement du gibier, dans ses cales, pour le voyage de retour. Mais cela était le travail des petites mains, dont certaines portaient le sceau de l’esclavage. « Désirez-vous vous reposer ou prendre un bain ? » demanda-t-il à l’Empereur faisant chemin à ses côtés. « J’hésite à vous proposer de l’alcool maintenant que je sais l’effet que cela vous fait. » railla-t-il.

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Claudius observa le ciel quand Nahui gronda. Lui-même -et surtout ses tympans- se souvenant des cris de rages et de douleurs de Cynoë, eut la présence d’esprit de se boucher les oreilles, mais d’autres n’eurent pas ce réflexe, créant un mouvement de panique subitement sur le navire.

Le Havremont tâcha de rassurer ses suivants :

“Drôle de façon d'accueillir des personnes qui viennent en paix. Nous ne sommes pas les bienvenues et il nous le fait comprendre. Il ne fera rien de plus.”

Du moins, Claudius l’espérait, ne sachant pas vraiment à quoi s’attendre en ces lieux, si ce n’est à ce qu’ils avaient discuté auparavant. Aldaron avait promis, mais pouvait-on réellement lui faire confiance ? Après tout, même s’il avait été son ami, l’Elusis n’avait pas hésité à saigner Selenia à blanc via une famine et une crise financière provoquée par ses petites mains, et celle du Marché Noir. Claudius soupira. Oui, la guerre faisait faire des choses horribles. Il espérait au moins que la paix remettrait un peu d’ordre dans leurs relations.

Du reste, son navire put accoster tranquillement. Fort heureusement, bien que des regards pesants se firent sentir sur les visages de la délégation impériale, aucun projectile ne fut lancé, pas plus qu’il n’y eut de feu de dragons, ou de bruits d’épées -ou de tout autres lames- qui se firent entendre. Bien. Claudius fut au moins un tant soi peu détendu.

L’accueil du Prince Noir contribua à détendre l’atmosphère également. Aussi hostile soit-il, reconnaître un visage connu en ces terres de glaces où Claudius avait l’impression que n’importe quel bruit jusqu'à celui du vent qui balayait le port pouvait le tuer, avait un effet apaisant.

Avec le temps, Le Havremont n’était plus tellement un homme de voyage et d’aventure. Il préférait de loin le confort de son chez soi, et surtout de se préoccuper de son empire, de ses citoyens. Voyager sans objectif guerrier, particulièrement en terres ennemies, n’était plus vraiment dans les habitudes de l’Empereur. Mais il devait s’y faire : avec sa nouvelle fonction, il était le premier homme de cette Nation. Celui qui devait les représenter, et qui devait faire porter la voix des sans voix de Sélénia, qui n’avaient que trop subi de choses ces dernières années. C’est ce qui lui donna l’énergie de répondre aux premières “salutations” du Prince Noir :

“Nous savons pourquoi nous sommes là et c’est bien suffisant.” Répondit Claudius d’un ton plutôt neutre en proposant une poignée de main à son confrère vampirique, quitte à risquer de se la faire broyer. Il décida de ne pas provoquer le Prince Noir plus quie cela. Il n’avait pas envie de discuter, pas aujourd’hui alors que les relations étaient encore tendues. En vérité, il avait envie de passer le moins de temps possible ici.

Une nuit de repos, et ils partiraient tôt le lendemain matin, si ce n’est de suite, dépendamment d’à quelle heure finiraient les négociations. Ceux qui le désiraient pouvaient rester, mais il n’était pas question que Claudius et la délégation officielle ne restent plus longtemps que le strict nécessaire. Une fois que l’Empereut eut écouté les modalités d’accueil du Prince Noir, Claudius se permis de préciser :

“Il n’est pas impossible que tu trouves certaines personnes dans les rues de ta ville. J’ai proposé à ceux qui ont été concernés par les disparitions dont tu m’as transmis la liste de venir ici. Peu ont accepté, mais quelques-uns ont tout de même souhaité venir, pour en apprendre plus. Ceux-là se comptent sur les doigts de ma main. La délégation officielle et donc moi, partirons dès que nous aurons terminé. Mais pour les autres, il est possible qu’ils restent plus longtemps. J’ai cependant veillé à avertir ces gens-là, s’ils font ce choix. Ils savent ce qu’ils risquent, et ont pour ordre de ne pas déclencher d’esclandres, sous peine de sévères condamnations une fois rentrés dans l’Empire… Même si j’imagine ce que tu réserves aux délinquants dans ta juridiction.”

Après tout, Claudius n’autorisait officiellement pas les séjours des vampires dans l’Empire. Si la réciproque n’était pas officiellement vraie, il eut été confusant de dire qu’un impérialiste était vraiment le bienvenue en Nyn-Tiamat. Le Havremont tenait de ce fait tout de même à préciser qu’il avait pris ses précautions.

Pour le reste, Claudius tâcha d’observer la ville, qu’il n’avait à vrai dire jamais vu de ses propres yeux. On lui avait rapporté que Nevrast était passé par plusieurs états dans sa construction, et que celui-ci était le plus avancé qu’elle n’avait jamais connu : et pour cause, il fallait admettre que la ville imposait le respect. Du moins de ce qu’il en voyait : il s’interrogea quant à ce grand édifice au milieu de la ville qui semblait contenir des ingénieux systèmes de monte-charges capables de transporter des humains. Est-ce que la ville portuaire était elle aussi en dessous d’immenses souterrains où il y avait des golems ?

Claudius tâcha de garder ses réflexions pour lui, se doutant que de toute façon Aldaron ne serait pas disposé à lui donner de réponses dans l’immédiat. Le Vieil Empereur se frotta la barbe. Il avait en revanche une autre question qui le démangeait, à laquelle il n’avait pas eu de réponses :

“J’imagine que Cendre-Terre fait écho à la bataille des Cendres, n’est-ce pas ?”

Après tout, Le Havremont avait aussi décidé d’établir sa nouvelle capitale comme L’Imbrûlée, précisément comme pied de nez à la tentative de conquête des vampires. Il comprendrait si tel était le cas pour la capitale vampire également. Et puis il fallait bien le mentionner : c’était probablement une manœuvre politique. De quoi facilement faire table rase sur le passé. Encore que Claudius n’était pas encore convaincu du fait que les vampires s’attachent vraiment à ce genre de considérations …

Une fois qu’ils furent vers les environs du palais, Claudius étudia les propositions du Prince Noir, qui l’invita généreusement à se détendre une minute. L’Empereur considéra cette proposition une minute, avant de faire un petit mouvement de tête de la gauche vers la droite :

“Tu ne m’en voudras pas, mais je crois que je vais décliner pour l’instant. Avant de me détendre, j’aimerai que nous réglions nos affaires. Ce n’est pas que ta cité et ta compagnie me déplaisent … Mais en fait, si, toute cette ambiance ne me met pas à l’aise, et je pense que tu comprendras aisément pourquoi. Pour l’heure, je ne suis pas exclusivement ici en tant qu’une de tes connaissances proches, mais aussi et surtout en tant que dirigeant.”

Claudius avait volontairement utilisé le terme de “connaissance proche” plutôt qu’“ami”, ne voulant pas offensé Aldaron si celui-ci se revendiquait en tant qu’ami du Prince Noir. Déjà que celui-ci le vouvoyait en présence de ses sujets, il eût été bon de ne pas trop attirer les regards curieux. Car après tout, Claudius pouvait parlementer et avancer avec Aldaron. Ça n’était pas le cas avec Achroma, et ça ne serait probablement pas le cas avec d’autres personnes qui auraient les dents longues au sens propre comme au figuré.

“Je me sentirais mieux une fois que nous aurons conclu notre accord, et je pense que tu pourras sortir des rafraîchissements … Si tant est que nous ayons besoin de nous rafraîchir dans ces terres de glace … Une fois que nous aurons acté tout cela. Qu’en dis-tu ?”

Le Havremont toussa légèrement avant de conclure :

“Je ne sais pas si tu as prévu une salle de travail où nous serons tranquille pour travailler, mais je voudrais bien y être conduit, à moins que tu aies prévu d’autres choses. Sois tranquille pour la délégation. Je suis sûr qu’elle vivra très bien sa vie sans moi, dans l’espace qui leur est réservé.”

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Lorsque Claudius lui signifia que certains Séléniens étaient présents pour retrouver un proche perdu, à la suite de la bataille des Cendres, il resta perplexe. Bien, que voilà une malheureuse nouvelle : le navire de Claudius contenait un nombre effrayant de gens qui avaient une très concrète et virulente raison d’en vouloir à son Royaume. Il ne doutait pas que l’option de Nahui en matière de ‘’tout cramer’’ aurait raison de ses hères en colère en moins de temps qu’il ne le fallait pour le dire, mais il espérait ne pas avoir en découdre. « Les nouveau-nés ne sont pas à Cendre-Terre. Ils ont été conduits à Hurle-Vent en prévision de votre arrivée. Non pas que je refuse que les tiens investiguent sur ceux qu’ils ont perdus, mais les nouveau-nés, en particulier ceux issus du peuple humain, ne savent pas dompter leur Faim en l’espace de quelques mois. Je voulais éviter des accidents. Déjà que nombre des plus âgés peinent à se contenir, la horde des plus jeunes est d’autant plus incontrôlable. »

Il s’adressa d’une voix plus forte pour les humains venus là pour leurs proches disparus : « Hurle-Vent est à un jour de marche en direction de la forêt, là où les jeunes peuvent courir et chasser du gibier pour apaiser leurs pulsions. Comme je l’ai dit : je n’ai aucun remède contre l’imprudence téméraire ou la stupidité. Vagabonder à Cendre-Terre est un risque, aller là-bas avec vos cœurs battants pleins de vie et de sang tout chaud est un suicide. Mais si certains d’entre vous sont enthousiastes à l’idée de se faire déchiqueter par leur propre frère, ou leur femme, ou que sais-je… Je vous en prie. Je me réjouis que l’Empire offre un repas qui crie et qui se débat à mes nouveau-nés. Je comprends que vous souhaitiez en apprendre plus sur vos proches disparus et c’est tout à fait louable de votre part. Mais il est trop tôt encore pour risquer une approche. Ceux qui le souhaitent peuvent aller au palais où il sera mis en place un moyen de communication entre vous et le parent vampirique de votre proche. Vous pourrez avoir de ses nouvelles. Lorsque le parent jugera propice, vous pourrez discuter avec ceux qui furent les vôtres. »

Il porta son regard sur Claudius avant d’entamer sa marche vers le palais : « Nous sommes des vampires, Claudius. Les tiens auraient tort de faire la même erreur que Victoria. » A imaginer qu’ils puissent être dociles et domesticables, surtout à un âge si jeune. Et qu’une venue aussi prompte soit une bonne chose. Même si Claudius les avait prévenus, Aldaron ne pouvait qu’être accablé par tant d’imprudence. Peut-être que son amour de jadis pour les humains le poussait encore à les protéger d’eux-mêmes. Il trouvait louable qu’on veille essayer de renouer, mais il était encore bien trop tôt. Parler avec un nouveau-né, c’était perdre son temps. Tout ce qu’ils entendaient, c’était la Faim et la violence. Seuls les Antiques et quelques bien éduqués par les Anciens ou encore les Elusis, arrivaient à une stabilité plus précoce. Du reste… C’était une horde. Quand prendrait-on les vampires au sérieux ?

Hurle-Vent, ce n’était pas une ville qui figurait aux accords avec les graärh. Il ne doutait pas que Claudius en connaisse les termes vu son récent rapprochement avec les félins et que les questions seraient naturelles si elles étaient posées. La première fut au sujet de Cendre-Terre. « Pas du tout. Il n’y a que les humains pour nommer une ville en fonction de la provocation qu’elle pourrait attirer. » Il parlait évidemment de l’Imbrûlée. « Et les pirates, cela va sans dire. Cendre-Terre est un hommage à l’égard d’Achroma, donc le bûcher ardent est à l’origine de la couronne que je porte et de la pluie de cendres qui a recouvert son fief. Achroma a longuement servi les intérêts des vampires, pendant des siècles. Il a veillé sur le peuple endormi, jusqu’à ce que la magie revienne. On l’appelait le Double Royal sous la régence de Saeros. Il aurait pu prendre sa place, mais a préféré être une figure de soutien et de sagesse. Il s’est également sacrifié pour libérer la dragonne Skade de l’emprise du Tyran Blanc, renversant ainsi très nettement le cours d’une bataille qui aurait dû être notre fin à tous. Et lorsque le peuple de la Nuit, meurtri par le règne d’Irina et de son pacte sordide avec les graärh, s’est divisé, il a impulsé de le resouder et probablement y serait-il parvenu pleinement s’il n’avait pas eu à composer avec une opportuniste. Je sais ce que tu penses de lui et je ne nie pas ses erreurs, mais ici, il est un héros et une figure de légende. Cendre-Terre est un hommage. »

Il entra dans le palais et les lourdes portes ouvertes par des gardes offraient à la vue des arrivants une immense salle du trône, bordé de statues d’illustres personnages de l’histoire vampirique. Dont une représentant Achroma, la main posée sur l’épaule d’un Aldaron de marbre blanc. Aux balcons, au-dessus, des curieux les regardaient entrer. En levant les yeux, il reconnu une partie des Elusis, intrigués, dont les inséparables Ivanyr et Elizabeth aux visages Kohans, mais également un sainur d’environ 16 ans en apparence, tenant dans ses bras un petit de même race qui semblait avoir tout aux plus cinq ans : Voronwë et Circë Elusis. « Mais il n’a pas de cheveux ! » fit-il le plus petit, en regardant Claudius, comme choqué par cet état de fait, avant que Voronwë ne lui mettre une main devant la bouche pour qu’il se taise, rougissant de honte. Il fallait dire que dans le silence, la remarque s’était clairement faite entendre.

L’Ast se râcla la gorge et se dirigea vers une salle en passant entre deux colonnes à la gauche du trône. La salle comptait une table ronde d’un bois sombre et six chaises confortables : une pour chaque Général et une pour le Prince Noir. A la demande de Claudius de commencer par traiter de cet accord, l’Ast répondit avec un sourire en coin, en bon grand gamin qu’il fut toujours : « Je suis heureux que tu aies refusé : j'aurais été contrarié de t'offrir autant d'hospitalité. Je t’en prie, assieds-toi. » Il désigna la table de la main, l’invitant à prendre une chaise tandis qu’il prenait place dans la sienne. C’était amusant, de voir Claudius à la place de l’un de ses Généraux. Dans une réalité alternative, cela aurait peut-être pu être le cas.

« Bien, commençons, dans ce cas. Discutons, puis je ferai venir un scribe pour que nous établissions tout ceci par écrit. Par pacte de non-agression, nous entendons réciproquement de ne pas engager de combat l’un envers l’autre. Ma promesse ne vaut que pour mon peuple : bien que je sois allié avec les pirates, je n’ai aucune prérogative pour leur interdire quoi que ce soit. Mais je m’engage à ne pas les utiliser à mes fins indirectes. Leurs actes seront de leur ressort, tout comme j’accepte que les graärh ne répondent pas de ta volonté. » En particulier en raison du fait qu’Aldaron avait rompu le traité de la honte qu’Irina avait accepté. Il savait très bien ce qui lui pendait au nez et que Claudius ne rentrait pas en ligne de compte. « Je ne leur cherche pas la guerre : mon peuple grandit et nous avons besoin d’espace pour les nouveau-nés, plus sauvages. Achroma avait amorcé une renégociation de ce traité honteux qu’Irina avait signé avec la légion, se présentant à la Kamda avec une corne de licorne pour prouver sa valeur au combat. Nous avons respecté leur coutume et Illidim lui a indiqué… Réfléchir. Achroma est mort et je suis revenu avec un millier de vampires bien jeunes qu’il me fallait isoler. J’ai rompu ce traité par nécessité. Si les réflexions d’Illidim la portait à vouloir descendre jusqu’ici, j’aimerais que tu restes extérieur à ce conflit, par respect envers notre pacte de non-agression. Les graärh scelleront seul leur destin s’ils ne sont pas capables d’entendre que je ne leur veux pas de mal. »

Il poussa un soupir, avant de poursuivre : « Les miens ont besoin de se nourrir. Un don ponctuel, bien qu’apprécié à sa juste valeur, ne saurait répondre à un peuple qui se nourrit de sang sans avoir le droit d’en verser et sans pouvoir revendiquer d’indépendance nourricière. Les vampires qui se repaissent du sang deviennent de plus en plus rares, tant par l’immaculation que par l’effet de Licorok sur leur nature, les rendant Ast et par conséquent, indépendants du sang pour vivre. C’est une situation provisoire, tout comme la famine qui frappe Sélénia. La présence de nombreux dragons sur Nyn-Tiamat aide grandement à la prolifération de la faune et de la flore et bien que nous en perdions un, bientôt… » Kaalys, indirectement tué par l’homme devant lui. « Le gibier, lui, ne manque pas et mon peuple est un peuple de chasseurs qui, hélas, ne sait se repaître de chair animale. Contrairement au tien. » Du moins pour le moment. Une fois que les sainurs seraient majoritaires, le gibier serait un met savouré à sa juste valeur, mais en attendant ? Les humains pourraient en profiter. « Je ne saurais engager d’accord commercial, évidemment, pour l’heure, avec l’Empire Sélénien. Mais je vois dans cet échange provisoire, un moyen de payer la dette que nos peuples ont l’un envers l’autre. Nous pourrions les annuler, mutuellement, mais je doute que la rancœur s’apaise avec le silence. Mets fin au Marché Ecarlate en donnant à mon peuple ce que les tiens lui ont interdit d’arracher tout en l’engouffrant dans des dettes inhumaines et je te ferai parvenir en retour de quoi nourrir, au moins en partie, ton peuple qui crie famine par ma faute. Appelons cela des dédommagements de guerre. »

Silencieux, enfin, il laissa la proposition en suspens.

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Claudius eut un visage neutre quand Aldaron lui expliqua la situation quant aux nouveaux-nés à Cendre-Terre. Il n’était pas au courant, mais cela n’étonnait guère l’Empereur, compte tenu de leur état. Lui n’aurait pas essayé d’approcher qui que ce soit, déjà que rien de fouler ces terres inhospitalières le mettait mal à l’aise. Mais, encore une fois, qu’aurait-il pu faire ?

Il écouta sagement l’annonce d’Aldaron qui précisa les instructions pour ceux venu retrouver leurs proches, ne jugeant pas opportun de l’interrompre. Il écouta également Le Prince Noir invectivé l’ancienne Princesse Kohan, et les considérations des humains quant aux vampires. A ces termes, Claudius se permis d’y répondre :

“Crois moi, ils ont bien conscience de ce que cela représente. Je leur ai suffisamment répété … dit-il, laissant émettre un petit soupir. Je ne pouvais rester sans rien faire, pour tous ces gens qui ont perdu leur famille ou leur proche, et qui avaient vraiment besoin de savoir. J’imagine que tu comprends cela, bien qu’ils risquent de tomber de haut en voyant combien ils auront changé.”

L’amnésie, la Faim, les changements comportementaux … Claudius ferma les yeux un bref instant, tirant sa cape pourpre à lui. Tant de choses qui séparait un homme ou un elfe d’un vampire, une fois la transformation complétée. Définitivement, il n’aurait pas souhaité vivre cela dans aucun monde, ou pire, qu’un de ses proches ne le devienne.

Le Havremont eut un petit regard amusé quand Aldaron lui lança une pique sur le nom des villes des hommes. A n’en pas douter qu’il faisait référence à la ville en construction dans l’Empire. Selenia L’Imbrûlée, en voilà un nom provocateur, certes, mais pas que. Elle était la promesse d’une renaissance pour l’Empire, un puissant vecteur d’espoir en devenir qui rassurerait tous les sujets de la Nation. Nouvelle, non-touchée par la décadence et les multiples crises qu’avaient connu sa nation, elle se tenait là fièrement sur le plateau de Calastin, Imbrulée, et, Claudius l’espérait, intouchable. Prête à accueillir des nouvelles lignes de l’histoire de son peuple, et tous ceux qui voudraient bien vivre dans ce pays.

Mais bien sûr, il était aisé de ne retenir que la provocation. Claudius le consentait, il avait choisi le nom de cette ville pour interloqué, envoyer un message. Force était de constater que c’était réussi.

L’Empereur entendit les raisons de pourquoi Nevrast s’appelait désormais Cendre-Terre, et tout le laïus sur la gloire passée d’Achroma, qui laissa Claudius complètement inerte. Il se plaisait même à imaginer ce que la version honnête d’un tel hommage aurait donné : “Gloire à notre nouvelle ville Diktat-Terre !”. L’Empereur roula des yeux : si Achroma avait effectivement accompli des faits héroïques, Aldaron passait bien sous silence les nombreuses provocations à l’égard du peuple humain, la famine et la crise, la mégalomanie de cet homme qui se voyait dominer tout l’archipel et ultimement, la tentative de colonisation par la force de Selenia. Mais après tout, Achroma était son mari.

Claudius aurait été capable de faire des choses au moins aussi stupides que suivre un dirigeant mégalomane par amour. Comme tuer le dirigeant mégalomane en question, et tuer au passage des centaines d’années d’amitié avec Aldaron, par amour pour son pays, par exemple.

Le destin était cruellement ironique parfois. Claudius se contenta de répondre :

“Je vois. C’est un bel hommage.”

Laconique, il décida de ne pas commenter plus, sous peine de remettre un grain de sel dans une plaie ouverte. Et puis après tout, il n’était pas la personne qui dirigeait ce pays. Aldaron pouvait bien appeler ses villes comme il l’entendait.

L’arrivée dans le palais quant à elle se fit plus animée. Et pour cause, ils arrivèrent directement dans la grande salle du trône où sur le balcon, Claudius aurait reconnu entre mille le visage de Nolan et Victoria Kohan. Bien qu’ils furent changés et au teint pâle, le Havremont pouvait attester même de loin qu’ils avaient l’air en meilleure santé, et surtout moins accablé par le poids d’un pouvoir incontrôlable pour des personnes d’un âge si jeune.

Voilà bien une chose que Claudius ne regrettait pas des dernières actions des Elusis : promettre un avenir différent à Victoria et Nolan, qui avaient cristallisé toutes les frustrations d’un peuple et qui auraient immanquablement finit par mourir dans l’exercice du pouvoir, était une sage décision. Auprès d’Aldaron, ils pouvaient au moins grandir dans un cadre sain.

“Ils savent qui ils étaient ?” Demanda Claudius en désignant discrètement les jumeaux. “Ou peut-être souhaites-tu les protéger de tout cela. Je n’ai pas été tendre avec eux, je l’admets. Je pense qu’ils sont mieux ici, avec toi. Après tout, tu es un des seuls à être resté fidèle à la dynastie de Korentin Kohan, jusqu’à ce qu’on ne crache dans ta soupe à toi aussi …”

Mais si l’attention était bien accaparée par ces deux-là, Claudius ne manqua pas d’observer les autres enfants, et notamment le petit qui semblait sainnur, qui prononça une remarque innocente à voix haute, quant à la calvitie du Havremont. Il est vrai qu’il avait perdu ses cheveux, probablement un symptôme de la fatigue et du stress des derniers mois qui ne lui avaient laissé que peu de temps libre pour prendre soin de lui. L’Empereur avait eu l’impression de prendre cent ans en six mois. C’était une sensation particulière au début, mais il avait fini par accepté cet état de fait.

Il était vieux, et fatigué. Ainsi était l’évolution volatile des hommes, largement plus volatile que les vampires, les elfes, ou bien les sainnûr en l'occurrence. Claudius préféra cependant l’humour pour répondre à cette remarque qui avait brisé le silence de la pièce :

“Je te souhaite de ne jamais avoir d’enfants si tu es choisi par l’Esprit-Lié de la Méduse, jeune homme !” fit le Havremont avec un sourire en coin. Les aînés se chargeraient de lui expliquer de quoi il était question. L’invective n’était pas bien méchante, il s’en remettrait.

Aldaron le conduisit par la suite dans une pièce annexe de son palais, duquel il apprécia les nombreux détails qu’il pu constater. A n’en pas douter que l’architecte qui avait conçu ce bâtiment était de grand talent. Pour rompre le silence momentané du déplacement Claudius posa une question pour faire un brin de conversation :

“C’est Valmys qui a construit cet édifice ?”

Peut-être qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre, mais le Havremont aurait facilement mis une pièce sur ce fils d’Aldaron, dont il savait qu’ils étaient très proches l’un de l’autre, et qui ne rechignaient jamais à l’idée de construire des bâtiments.

Ils arrivèrent dans la pièce, et après une petite taquinerie d’Aldaron sur la non-hospitalité qu’il éprouvait, faisait parfaitement écho à ce sentiment de malaise de Claudius, ils purent enfin commencer à travailler.

Le Havremont s’installa à la chaise qu’on lui avait prévu, et il écouta les premières diligences d’Aldaron. Il acquiesça silencieusement quant aux faits que cela ne concernait pas les pirates. Il n’était de toute façon pas question que cela soit le cas, car traités ou pas, il savait que les fieffés gredins qui suivaient Nathaniel n’auraient pas hésité un instant à attaquer un navire impérial. Autant qu’ils restent à cet état de guerre ouverte avec eux.

En revanche, la question des Graärh souleva une autre volonté sous-jacente d’Aldaron : le peuple vampirique voulait évidemment s’étendre, ce qui était logique vu toute la population qu’il avait ramené depuis la Bataille des Cendres, et probablement ailleurs où l’Elusis avait des contacts. Claudius croisa les bras et baissa la tête : il savait ce qu’Aldaron ferait aux Graärh, s’il devait advenir qu’ils en viendraient aux armes. Ils les brûleraient tous, voire pire. De part ses accords avec ceux de Néthéril, et par la sympathie qu’il éprouvait pour cette peuplade qui avait accueilli les hommes de Selenia avec une antipathie moindre qu’à l’accoutumée pour les autres sans-poils, Claudius se sentait affecté par ce potentiel conflit naissant.

Pour autant, avait-il la légitimité de réprimander Aldaron, là ou Claudius n’avait pas hésité un seul instant à essayer d’écraser l’Alliance pour rétablir un Empire fort dans tout Calastin dès qu’il en avait eu l’occasion ? Pas vraiment. Il se contenta alors d’une simple remarque :

“Entendu pour cela. J’entends que ton peuple a besoin de terres pour vivre sur vos terres bien inhospitalières pour les mortels que nous sommes ... “ Il prit une respiration et continua sa phrase : “Si un conflit devait toutefois advenir, j’apprécierais que tu ne vendes aucun être humain aux pirates, ou que tu ne passes le fer aux cous des Graärhs.” Claudius tapota de ses doigts sur la table, et précisa : “Les temps changent, y compris à ta ville chérie, Caladon, où des choses sont faites pour limiter l’esclavage. Même si effectivement, je sais que ton peuple a besoin de terres,et que les actions de nos précédents dirigeants envers ton peuple t'ont laissé un goût amer dans la bouche … Quoique je dise de ton clan, j’ai toujours été hostile à son séjour sur Calastin, sous quelque forme que ce soit. Je n’étais pas de ceux qui voulaient vous accueillir, encore moins de ceux qui voulaient vous exploiter. Par respect pour cela, et pour notre pacte avec les poilus de Néthéril, je me dois de te demander cela.”

Claudius fit une petite grimace, conscient que ce qu’il demandait n’était probablement pas facile à entendre, surtout connaissant le passif d’Aldaron en tant que dirigeant de l’Alliance, qui n’avait pas lésiné sur l’esclavage, il fut un temps. Mais il comptait sur le fait que les choses changeaient effectivement à Caladon, à laquelle il savait qu’Aldaron était fortement attaché, pour qu’il comprenne cette clause. Il n’y avait rien de plus cruel que l’esclavage, et quand bien même il haïssait Achroma de toutes ses forces, il n’aurait jamais souhaité que le peuple vampirique deviennent des “chiens en laisse”, comme on pouvait l’entendre dans certaines sphères de l’Empire, il fut un temps. Si tant est que cela soit seulement possible, compte tenu du tempérament de ces derniers, mais la bêtise des personnes qui tenaient ce genre de discours n’avaient d’égale que leur absence d’âme.

Il fut ensuite question de la terrible affaire de la nourriture, cruciale pour les deux peuples. Aldaron expliqua la situation de son peuple à Claudius, ce que l’homme compris en grande partie. L’Elusis avait pour lui que le Havremont savait ce qu’était un peuple endetté et criant famine.

Celui-ci se frotta la babre et fit : “Je crois savoir mieux que personne maintenant ce que cela fait de crouler sous les dettes, et de vivre avec un peuple affamé, sans rien pouvoir faire. Je ne souhaite cela à personne, pas même à mes pires ennemis. Si tu le désires, alors j’abolierais ce marché injuste. Et puisque tu me proposes d’alimenter mon peuple en viande pour un temps, je te propose de te faire parvenir régulièrement une partie de notre stock de sang frais de nos prisonniers à ton peuple. Dédommagements de guerres, comme tu le disais. Je me dois bien de te rendre la pareille.”

Claudius roula des yeux et revint au silence. Cette proposition ne l’embêterait pas plus que cela : la libre circulation du sang était de toute façon déjà quelque chose d’acté avec le peuple vampire Dalis qui avait choisi de résider dans l’Empire. Il n’aurait qu’à étendre cette clause aux Elusis, et tout irait comme sur des roulettes.

Sentant le silence retombé, Claudius demanda :

“Bien que je me doute de ta réponse, quelle est ta position officielle quant à l’Alliance ? Avec les récents changements au sein de celle-ci, je n’ai pas encore eu le temps de … Dialoguer avec elle. Mais cela fait bien partie de mon agenda. J’aimerai enterrer la hache de guerre, je crois.”

Phrase qu’il n’aurait pas pensé prononcer il y a encore de cela quelques semaines. Mais plus le temps passait, plus Claudius se sentait vieux, et désireux d’une paix durable envers un peuple qu’il n’estimait au final pas si différent que cela d’eux. Après tout, les Kohan, comme ceux qui avaient fondé l’Alliance, étaient tombés.

Il était peut-être l’heure de construire quelque chose de nouveau, en tous points de vue. Tourner une nouvelle page de l’histoire.

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A la question, sur ses jumeaux, Aldaron avait acquiescé. Il ne cachait pas aux siens qui ils avaient été, par le passé, car si ce n’était pas lui, s’en seraient d’autres qui le feraient avec moins de délicatesse. Il y avait quelquefois où le mensonge n’était pas nécessaire. Aux yeux d’Aldaron, la vérité savait triompher à bien des égards, alors il n’avait aucune raison de mentir à ses propres enfants. Ce n’était pas ce qu’ils avaient été qui définissaient ce qu’ils étaient aujourd’hui et ce qu’ils allaient devenir. Mais savoir d’où ils venaient leur donnait toutes leurs chances pour comprendre et défaire ceux qui voudraient les ramener à leur passé ; les Kohans n’existaient plus, mais leur visage serait éternel et beaucoup se tromperaient. Ils étaient des Elusis, à présent, et sur cela, Aldaron n’avait pas non plus menti.

Lorsque Claudius l’interrogea sur l’architecture des lieux, il lui expliqua que Belethar Espérancieux avait bâti ce qu’il y avait à la surface. Valmys avait été à l’œuvre sous la terre et pour créer cette structure vitrée qui permettait à transiter entre ces deux univers. Il avait été très satisfait de leurs services à tous les deux et espérait que leur œuvre marque les temps. Une chose étaient sûr : ils étaient enfin sortis des taudis où les avait cloîtré Irina Faust. Les vampires avaient enfin une capitale dont ils pouvaient être fier.

Sans attendre il entama de discuter des accords entre leurs peuples, puisque c’était ce que Claudius lui avait demandé et qu’Aldaron avait, lui aussi, envie d’en finir. Claudius acceptait. Il n’interviendrait pas si les graärh déclarait la guerre aux vampires, il abolirait le marché Ecarlate et il ferait des dons de sang à son peuple, le temps que les siens deviennent Ast ou Sainur. L’échange était honnête, le Saumon n’avait pas cherché à tirer la couverture à lui. Il voulait que tout cela s’arrête et faire preuve de générosité était une manière saine d’avancer. « Les morts ne font pas de bons esclaves, Claudius. » Car tel était le destin de ceux qui voudraient descendre l’inlandsis pour attaquer son peuple. Il n’y aurait pas de reddition, pas de compromis. L’Ast avait tenter des discussion avec les Trands, s’ils étaient assez stupides pour venir les attaquer, alors il n’aurait pas de pitié pour eux. Ses lois étaient rudes : même s’ils capitulaient ou se rendaient, ils seraient jugés par un tribunal féroce qui les condamnerait à mort. Il n’y aurait pas de pardon, pas de seconde chance. Ceux qui viendraient ici pour se battre mourraient…

Alors ce n’était pas un état idéal pour devenir un esclave. Là-dessus, Claudius avait sa promesse certaine : il n’y aurait pas de survivants, sauf s’ils fuyaient comme des lâches. Mais aucun ne le ferait car ils seraient immédiatement désavoués et bannis par la Kamda Aaleeshaan. Ils continueraient et mourraient en guerrier. Sa question, au sujet de l’Alliance, était bien trop générale. Sa position officielle ? La connaître ne lui apporterait rien. « Il n’y a pas d’accords entre l’Alliance et le Royaume Vampirique, si c’est ta question. » Mais il ne doutait bien que ce n’était pas vraiment sa question. Ou si c’était le cas, sa réponse devait lui faire une belle jambe. « A l’ère du Tyran Blanc, nous étions neuf à avoir fomenté l’évasion de Morneflamme. Neuf sur des milliers d’âme brisées. Neuf, car nous étions seulement neuf à avoir encore envie de nous battre. Lorsque le Tyran Blanc nous a recherché, nos neuf visages étaient placardés sur les murs, contre une belle rançon. Ils nous recherchaient nous, parce que les milliers d’autres n’étaient que de petits lapins faciles à attraper. Ils étaient apeurés, là où nous… Nous voulions encore nous battre. »

Les souvenirs étaient pénibles, mais ils l’étaient moins depuis qu’il avait rejoint la nuit. D’une certaine façon, cela l’aidait à regarder ces souvenirs rapportés avec plus de distance. « Autone était la seule en qui je pouvais avoir confiance, pour l’avenir de Caladon. Pas parce que nous nous aimons, pas parce qu’elle pourrait ne jamais me trahir. Mais parce qu’elle a cette flamme, au fond elle. C’est une combattante et elle ne cessera jamais de se dresser pour sa liberté et pour ceux qu’elle représente. J’avais le choix entre conquérir Caladon ou laisser Autone y prendre les pleins pouvoirs. J’ai choisi de la laisser avancer. Je n’attends pas sa loyauté, ni celle de Caladon. Nous n’avons pas d’alliance, pas d’accord entre nos factions. J’ai seulement l’assurance que l’Alliance restera libre et ne se laissera pas convaincre par le discours d’un Empire qui n’aurait rien à lui apporter. »

Les mots étaient peut-être durs, mais ils étaient dits avec une sincérité qui méritait probablement quelques explications : « Caladon est un joyau qui brille suffisamment à lui tout seul. L’inclure dans un Tout serait lui demander de briller moins fort pour ne pas faire de l’ombre à l’Empire dans sa globalité. Si ce que tu souhaites, c’est enterrer la hache de guerre, je ne saurais que trop te conseiller de mettre un terme à tes rêves de conquête. Tant qu’ils existeront, Caladon ne pourra faire la paix, pleine et entière, avec ceux qui la convoitent. » C’était aussi probablement la raison pour laquelle Aldaron n’y étendait pas plus son pouvoir. Il avait confiance en Autone et Ilhan pour tenir cette barque et il fournirait son soutien aussi souvent qu’on viendrait le lui demander.

Le silence revint, lourdement, avant qu’il n’ajoute : « Je n’ai rien de plus à ajouter à ce compromis. Si tu n’as plus rien, également, je pense que nous pouvons faire venir le scribe et ratifier ce traité. »

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