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descriptionFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith] EmptyFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith]

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20 juillet 1764



Ce qu’il fallait reconnaître de Ssaadjith, c’était que ses sentiments jamais ne stagnaient dans la houle de son esprit. Ils flottaient au contraire, toujours à découvert sur ses écailles, dans le tracé pur de ses yeux d’absinthe, vif, extatique, comme un horizon crachinant des émotions par gouttes. De temps en temps, il en attrapait une, s’en faisait un désir et mettait toute son énergie à rendre la chose possible, quitte à faire l’impossible. On ne pouvait savoir si le dragonnet d’obsidienne parvenait  à s’arrimer sur ce flot riche et incessant ou s’il ne faisait que dériver sans cesse. Il était peut-être plus certain de dire qu’il était balloté entre les deux extrémités, tantôt un prédateur avide de nouvelles sensations, tantôt fixé sur un objectif, alimentant sa curiosité à l’ivresse.

Ce jour-là, le dragonnet d’obsidienne avait retenu un désir ; un désir fou qui s’était d’abord coincé entre deux de ses crocs, avant de le picoter dans la gorge puis de lui brûler carrément le cœur. Il lui taraudait tant l’esprit que le petit caméléon qui déambulait imprudemment près de son long corps d’obsidienne n’eut même pas l’honneur de remplir son estomac. Curieux non ? C’est que c’était un désir exclusivement tourné vers le sentimental, et par bien des aspects.

Ssaadjith était jaloux !

Voilà qui était dit. Surprenant, il devait l’admettre. Bien heureusement, il ne se le disait qu’à lui-même ce qui nécessitait bien moins de détermination que de le révéler à un public tout entier. L’humiliation en aurait été trop grande. Mais voilà, il fallait le dire, de longues semaines avaient passé depuis que son frère et lui avaient atteint la spleen-triste-morne-jaunâtre-assommante Néthéril. Ah, il avait oublié un mot : rasante. Cette île était d’une platitude mortifère ! De ce fait, Ssaadjith s’était longtemps absenté dans l’intérieur de la caverne familiale, se contentant de jouer à chasser les chauves-souris, quelques papillons, et à se distraire sur le haut galet de granit que Père lui avait bâti comme trône. Pour lui, il était intolérable qu’une telle terre ait droit à obtenir sa présence pendant plus de quelques instants. Recroquevillé dans son antre, il avait donc laissé son frère-coquille, le petit, le cadet, le gentil et doré-quoique-sablé Nephilith partir seul à l’aventure. Le dragonnet d’obsidienne ne se serait alors jamais douté que son frère trouve qui que ce fut faisant montre d’un peu d’intérêt durant ses longs voyages hors de la montagne. Cela ne lui serait pas même venu à l’esprit.

À l’évidence, il lui arrivait de se tromper. Au retour du doré, Nephilith avait fait la fierté de sa mère sur les longues distances parcourues, sur ses ailes qui grandissaient à vue d’œil. Puis, son petit frère lui avait raconté avoir rencontré un pirate qui séjournait dans une crique et avec qui il avait partagé de grandes conversations, combattu au côté d’une Graärh chassant des bipèdes pour le compte de sa légion et avec qui ils avaient erré dans le désert. Et plus encore, il avait eu droit à des leçons de Nynsith, leur sœur-aîné, sur la mer de Reshenta, durant lesquelles ils avaient chassé et passer le plus clair de leur temps à manger des proies autrement plus attractives que du gnou. Du gnou ! Ce nom même était une insulte à son estomac. Du gnou ! Pourquoi pas du crottin pendant qu’on y était ?
Autrement dit, les péripéties de son frère faisaient déjà grand bruit dans leur famille. Certes, Ssaadjith devinait que cela ne plaisait pas à Père que le doré aille à la rencontre d’humains, mais pour le reste, ça n’en demeurait pas moins de grandes choses.
Et lui alors ? Ne méritait-il pas un peu d’attention ? Sur cette île déserte où le sable était maître, où l’on pouvait se perdre tant les traces laissées par ses griffes se dégradaient au fil du temps, l’attention même ne pouvait-elle pas avoir l’obligeance de venir à lui ?  
Le dragonnet d’obsidienne ne pouvait rester inactif plus longtemps. Il devait aller aval, battre la Savane tant qu’elle n’était pas trop fade et se présenter au monde entier pour que celui-ci le reconnaisse comme la merveille qu’il était. Mais lui, il n’irait pas rencontrer un petit pirate perdu sur une île ou des crevettes dans la mer. Ni même une chasseuse Graärh. Non.

Il allait rencontrer les Graärh. L’heure était venue pour lui de rencontrer la légion dont son Père était devenu le seigneur. Il avait essayé tant bien que mal d’y parvenir, par sa verve fluide et virtuose, et son salut royal que n’aurait pas démérité un roi. Hélas, les petites boules de poils ne l’avaient semblent-t-ils pas entendu à l’époque. Nephilith lui avait dit que c’était des graahron et que de ce fait ils ne pouvaient comprendre toute la finesse de son discours. Quant à leurs surveillants, ils s’étaient montrés rustres et discourtois car ils n’avaient pas levé la petite patte non plus pour lui répondre.

Grand bien leur en fasse ! Ssaadjith ne comptait pas en rester là pour les salutations. Maintenant que les Garal le savaient existant, maintenant qu’ils avaient eu la distinction d’entendre, apprécier dirait-il même, le son de sa voix, il était temps qu’il se manifeste officiellement auprès d’eux.
Ainsi donc, Ssaadjith se tenait sur sa « dune de scène », parmi les plus hautes de la Savane, non loin de là où il s’était installé il y a quelques jours avec Nephilith pour observer la légion des Garal. Il s’était d’abord mis à épousseter les cailloux foisonnants et les galets à l’aide de sa queue. Quitte à ce que l’île soit couverte de sable, autant que la place où il se présente le soit ! Le sol devait être parfaitement en place pour que se griffes ne ripent pas sur un caillou et pour que le noir de ses écailles resplendisse. De même, il attendit que les quelques nuages blancs épars qui se trouvaient dans le ciel fasse leur remue-ménage, disparaisse, levant le rideau pour lui laisser le champ libre.

Tout.
Devait.
Être.
Parfaitement.
En.
Place.

Cela prit un moment. Il mentirait s’il n’admettait pas avoir passé quelques heures à des activités frivoles ; se triturer l’arrière de la crête pour y déloger quelque poussière par exemple ou se lécher l’intérieur des griffes pour les rendre plus rutilantes. Mais c’était aussi l’attente qui poussait les redoutables chasseurs à se saisir de la meilleure des proies. Et la sienne était de taille. Bientôt, sa patience porta ses fruits. Il remarqua non sans plaisir que quelques félins près de leur wigwams avaient commencé à le remarquer d’en haut. En un éclair, il se vit tel que son public devait le voir : un dragon à la mise extrêmement soignée, bien plus que toutes les autres créatures qu’ils avaient pu contempler de leur vivant, en fait bien près d’être divin. Et jeune, surtout très jeune. Ssaadjith eut le sentiment d’avoir éveillé leur curiosité. On le toisait, murmurait l’omniprésence de sa silhouette, on faisait des suppositions sur sa présence, inventait des histoires sur ce dragon qui les regardait d’en haut. Pour tout dire, Ssaadjith en était flatté rien qu’à imaginer ce qu’on pouvait dire sur lui. Mais il attendit encore. Il attendait un dernier spectateur qui devait s’annoncer bientôt. Il l’aperçut dans le ciel au bout de quelques minutes et alors, sa joie se fit extase, son excitation se fit fièvre, à l’excès, irritante presque, proche de la frénésie. Son Père, le Grand Dragon Rouge, Le Colérique, le Soleil Rougeoyant, l’Aile de mort, Feu de l’Ire sans lyre mais Libre toutefois, Voie Carmine et Ecarlate Flocon venait d’entrer en scène. Il poussa un grondement qui fit bondir son petit cœur de dragonnet et se posa avec sa simplicité extraordinaire sur un terrain de sable au milieu de la légion. Voilà ! C’était l’heure ! Il savait que son père serait ici à la légion. Pour quelle raison ? Il l’ignorait. Avait-ce une quelconque importance ? Certes, non ! Car c’était aussi lui que Ssaadjith voulait impressionner par son arrivée. En le voyant faire, son Père serait fier de lui. Il oublierait même les escapades proscrites dont le dragonnet d’obsidienne s’était rendu coupable avec son frère-coquille.

Mais il avait aussi les boules de poil qui le regardait. Il laissa leur curiosité grandir, prenant son temps pour agiter ses ailes à la membrane sans aucune déchirure. Il sentit leur attention s’aiguiser devant l’apparition de ces voiles de ténèbres. Puis il se tint immobile, comme un pan à l’affût. En détournant un peu la tête, il exposa son cou écailleux au miroitement du soleil, fier d’avoir repéré le rayon fugace qui léchait ses écailles et les parait tels des joyaux.

C’était son moment. Son père. Sa légion. Son public.

Soudain il s’arc-bouta, sa queue culminant au-delà de la pointe de ses cornes. Puis Ssaadjith décolla dans les cieux. Un souffle de sable embrassa à grande peine son départ. Il fit quelques pirouettes dans les airs, prit un courant ascendant et engagea une poussée pour grimper dans le ciel. Il se découvrit aux yeux de la légion, sans astreinte aucune. Il virevolta, dansa, gifla un courant de son aile avant de s’élever à nouveau avec panache. Bien qu’il n’ait pas encore beaucoup d’expériences en vol, il savait comment impressionner les gens d’en bas ; ceux qui n’avaient jamais vu leur pitoyable île des hauteurs. Il faillit oublier de doubler la cabriole aérienne avant de faire volte-face. Ce n’était qu’une petite erreur bien maigre. Le reste devait être incroyable à observer pour des boules de poils ! D’autant plus que son frère doré n’étant pas là, il n’y avait que lui pour être admiré. Lorsqu’il se serait posé, il demanderait à ces félins comment on disait dans leur langue : « Rapace des ombres » car cela lui irait bien comme titre ! Justement tout ceci devait s’achever désormais, car ses ailes fatiguaient. Lorsqu’il vira vers les dunes, il se rendit compte toutefois que sa « dune de scène » était trop lointaine pour qu’il puisse l’atteindre avec quelques battements d’ailes. Or, il était fatigué maintenant ! Qu’importe ! Il allait faire mieux ! Il allait se poser sur une de leur maison et s’accrocher au pan de la toile avant de rugir glorieusement.

Ssaadjith fit quelques cercles concentriques autour d’un wigwam qui lui plaisait bien. Sa couleur était de vert nervurée d’or et correspondait bien à l’absinthe de ses yeux. Il tendit les griffes pour s’accrocher à la demeure. Cela aurait pu être une bonne idée. Les wigwams étaient solides. Ils tenaient chaud la nuit, subissaient les vents de l’ile et parfois, les tempêtes.

Mais rien n’avait préparé un wigwam à l’atterrissage d’un dragonnet de plus de trois mètres.

Quel ne fut pas sa surprise lorsqu’il sentit que le wigwam était d’une légèreté consternante ! En vérité, ses griffes se prirent dans la toile et le dragonnet d’obsidienne dégringola, emprisonné dans la bâche, écrasant la demeure sous son poids. Se sentant agressé, Ssaadjith fit la seule chose qu’un dragonnet dans sa condition et dans son état d’esprit pouvait faire, il cracha une langue de flamme ; le feu verdoyant nimba la toile de son éclat grésillant et le wigwam s’embrasa en quelques secondes avec un bruit terrifiant.

Le dragonnet d’obsidienne rugit de colère, déchira les pans de la toile et sortit de la demeure en réitérant ses rugissements. Il se retrouva alors nez à nez avec une dizaine de Garal qui l’encerclait. Le reflet chatoyant des flammes éclairait leur pelage d’un vert émeraude. Des lances et des armes d’hast se tendirent vers un Ssaadjith complètement stoïque. Soudain, il bomba le torse et pencha la tête de côté avec un large sourire :

-Noble auditoire, bonsoir ! Quelle nuit ensoleillée, ne trouvez-vous pas ? Hum… il me semble par mégarde avoir éraflé une de vos habitations (les piliers soutenant le wigwam en question se brisèrent et celui-ci s’effondra dans un nuage de poussière).  Hélas, certes, à part ce somptueux ballet, je n’ai pour vous guère d’autres consolations. Mais enfin, avouez qu’il y avait de quoi admirer ! Car ce que vous n’avez pas senti par vous-même, je ne pourrais par la raison vous en persuader…

Il vit alors une immense ombre revêtir le ciel et le campement. Le sourire de Ssaadjith s’étira comme une ravine. Ses yeux d’absinthe luisirent et son museau s’adoucit en un masque d’innocence pure :

-Père ! Je suis si heureux de vous voir ! Je ne savais pas que vous étiez là. Qu’avez-vous pensé de ma représentation là-haut ?

descriptionFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith] EmptyRe: Flambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith]

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¤ Le final est le tout ¤

Et un de plus se disait le colérique alors qu’à ses pattes se dressait un étrange monolithe cristal luisant d’une couleur bleutée. Une aura étrange se dégageait de l’édifice alors que le dragon approchait son immense paume au centre de laquelle flottait un éclat de la même couleur. La magie émana du rouge alors que le fragment glissa de ses écailles au bloc de cristal. Au moment où les deux éléments entèrent en contact, un flash mauve apparut. La couleur du monolithe avait changé, son bleu tirant vers des tons plus pourprés. Le silence qui régnait en ce lieu n’était entrecoupé que par le sifflement du vent et de faibles murmures provenant de l’édifice. Malheureusement la paix de ce lieu ne dura pas. Ther’Zhi fit son apparition aux pieds du colérique, se mettant à rôder autour du bloc de cristal.

« Voilà une bien belle collection que tu as là. Je me demande bien ce que tu comptes en faire. »

« Cesse ta rhétorique. Tu sais exactement à quoi je le destine. »

Un léger ricanement s’échappa du Tyran alors qu’il posa la main sur le monolithe. Son rire cessa lorsqu’il prit une respiration, semblant venir inhaler une chose que seul lui pouvait sentir.

« Il n’est pas encore prêt. Alors, ne t’en approche pas. »

« Tu sais que tu atteindrais plus vite ton objectif en m’offrant le cœur des graärh. Tu pourrais d’ailleurs obtenir bien plus que la libération de Kälyna. »

« Je n’ai pas la moindre attention de te laisser leur faire du mal, ni de te donner satisfaction … ou du moins une satisfaction trop importante. »

« Tu fais peine à voir Verith. Récolter l’essence de foi que certains graärh daignent bien t’offrir tel un mendiant honteux. Toi qui es pourtant si fier. »

« Ma fierté n’a rien à voir là-dedans. Je suis bien plus honteux de négocier avec toi que d’accepter les dons que certains veulent bien me faire cadeau pour parvenir à mon objectif. Il s’agit plutôt là d’un défi, ou encore d’une punition, ou peut-être d’un peu des deux. »

« Pourquoi une telle contrainte ? »

« Tu le sais très bien ! Car il est hors de question d’être comme toi. Oh certes, je pourrais obtenir de lever la malédiction de Kälyna en t’offrant mille et un cœurs arrachés de force, mais outre le fait que cela me rendrait aussi monstrueux que toi, ma plus grande honte serait d’avoir servi tes objectifs déments. »

« La complétion de ma collection n’est qu’un objectif bien trop humble pour être qualifié de la sorte. Mais soit, je peux comprendre ton avis biaisé sur le sujet. »

Le colérique lança un regard noir à l’adresse du Tyran.

« Dans ce cas, pourquoi ne pas prélever de force leur foi. J’entends ta sympathie pour cette peuplade primitive, mais tu peux très bien l’épargner et aller te servir chez les bipèdes, après tout tu les hais presque autant que moi. Cela te simplifierait bien plus la tâche, d’autant que tu sais que cette méthode ne cause pas de souffrance. »

L’enfant de l’orage gronda et commença à ensevelir le monolithe de cristal.

« Comme je le disais, il s’agit d’un défi, ou d’une punition … ou peut-être d’un mélange des deux. Si arrangement il doit y avoir entre nous, alors autant que celui-ci soit placé sous le joug de la bienveillance et non l’inverse. Tu as causé bien assez de mal du temps où tu étais Vraorg. Alors si je peux empêcher que tu en fasses maintenant que tu es Ther’Zhi, je considèrerais cela comme une victoire pour moi et une défaite pour toi. »

L’image du Tyran souffla du nez avant de disparaitre, laissant de dernières paroles résonner dans la trame.

« Je suis Ther’Zhi, je suis l’incarnation de la victoire. »

Chassant ces mots parasites de son esprit, le colérique prit soit de dissimuler correctement dans le sol le futur paiement de l’albinos avant de déployer ses ailes et de prendre son envol. Voilà quatre mois maintenant qu’il passait le plus clair de son temps sur l’ile de Néthéril. Veillant sur la savane et observant les félins se reconstruire lentement, les conseillant ou les aidant par moments. L’été était déjà entamé, sous la sécheresse de la saison l’eau dans la savane allait se faire de plus en plus rare. Les félins avaient pu prendre des dispositions nécessaires pour faire face. Toutefois, l’automne prochain annoncerait la saison des moussons et des pluies violentes. Verith avait accepté de les aider à creuser un large sillon autour de la ville de la légion pour la protéger des inondations. Le colérique se contenterait d’un coup de griffe et les félins se chargeraient de renforcer et stabiliser ce qui serait à leurs yeux une douve. Il ne fallut que quelques heures de vol du dragon rouge pour rejoindre la légion. Rugissant pour annoncer son arrivée, il vint en toute tranquillité atterrir là où l’attendaient plusieurs félins ayant délimité à l’avance le tracé de la douve. Malheureusement, l’enfant de l’orage n’eut pas l’occasion d’entrer dans le vif du sujet avec les travailleurs de Néthéril, car son esprit ressentit la présence de son fils. Ssaadjith ? Que faisait-il ici ? Le père n’était pas véritablement inquiet pour son fils à l’idée que celui-ci soit aussi proche de la légion, bien au contraire même, car il était plus inquiet pour la légion à l’idée que le premier de ces jumeaux soit aussi proche. Les graärh ne couraient certes pas un grand péril, mais son petit Ssaadjith avait la fâcheuse habitude de commettre des bêtises … volontairement ou non.

« Donnez-moi un instant, je reviens rapidement vers vous, je crains d’avoir quelque chose à régler incessamment sous peu. »

« Rien de grave j’espère, Surakshaatmak Aag. »

« Non rassurez-vous … du moins rien qui doive me soustraire à la parole que vous ait donnée aujourd’hui. En attendant, je vous confie Dwëmmer. »

La petite araignée mécanique qui était sur l’épaule du colérique se hâta de descendre le long de la patte du dragon pour rejoindre le sol et se présenter en claquant des pinces.

« Elle est d’un génie sans pareil, si vous souhaitez lui montrer les plans du projet je ne doute pas qu’elle sera en mesure de proposer des améliorations qui vous seront fort utiles. »

Verith laissa la suite à Dwëmmer alors qu’il pointait son museau en direction de l’Est, là où se trouvait son enfant. Ce dernier avait remarqué qu’il avait l’attention de son paternel et ne semblait attendre que cela avant de se donner en spectacle … pour le meilleur et pour le pire. Celui qui n’était encore qu’un dragonnet aux yeux du colérique vint s’envoler, exposant avec grâce et un certain sens de la mise en scène ses talents de voltigeur aérien au travers d’une petite chorégraphie qui, l’enfant de l’orage n’avait pas le moindre doute, avait été soigneusement travaillé. Verith ne put s’empêcher de regarder la scène à la fois avec le regard d’un père et le regard du dragon qu’il était. Voir son enfant s’améliorer au vol l’emplissait de fierté, mais il ne pouvait s’empêcher d’analyser celui-ci et repérer les nombreux mouvements qui nécessiteraient des améliorations. Le libre ne put s’empêcher de retenir une pensée à l’adresse de Nephilith, espérant que ce dernier volerait un jour aussi bien que son frère en dépit de ses grandes ailes.

Malheureusement, comme beaucoup de choses avec Ssaadjith, ses entreprises finissent souvent par mal tourner. Le rouge nota l’affaiblissement de son enfant. Ce dernier avait surestimé ses capacités. L’atterrissage allait s’annoncer complexe, se doutant que le petit d’obisdien souhaitait retourner là où il avait décollé. « Atterris simplement en planant jusqu’à eux » voulut transmettre le colérique à son fils, mais il se doutait bien que ce dernier ne pouvait se contenter d’un final aussi plat après toute cette mise en scène. Aussi, lorsque ce dernier décida de se poser sur l’une des habitations des graärh, le colérique ferma les yeux, se doutant pertinemment de ce qui allait se produire.

Même si l’ensemble de la prestation est bon, le final demeure l’ultime impression que l’on donne au public et elle est, comme la première, la plus importante. Et même un final plat ou médiocre est préférable à un final raté. Peut-être serait-ce la leçon du jour de Verith à Ssaadjith, mais elle attendrait encore un peu. Le rouge disparut dans son ombre et traversa avec rapidité la légion pour arriver jusqu’à son petit d’obsidien. Le rouge resurgit du sol derrière là où son fils avait pris son envol, reprenant forme physique.

« Père ! Je suis si heureux de vous voir ! Je ne savais pas que vous étiez là. Qu’avez-vous pensé de ma représentation là-haut ? »

Les félins ayant assisté à la scène et ne masquant pas leur agacement, sinon colère à l’encontre de Ssaadjith, se retournèrent vers Verith lorsque le dragonnet s’adressa à lui, notifiant au passage sa présence à l’auditoire. Le rouge lui répondit avec ironie.

« Tu parles de ton interprétation de la parade de la mouche se posant sur la toile de l’araignée, s’empêtrant dedans avant de se faire dévorer par celle-ci ? Quel dommage que le propriétaire de cette habitation n’ait pas été mis au courant de sa participation à cette exceptionnelle représentation. Pas plus que l’araignée. »

Le rouge vint dresser sa queue pour la mettre au-dessus des wigwams et vint prendre le contrôle du fil d’or attaché au bout. Le fil doré pris vie s’enroula autour du dragonnet aux écailles sombres avant que Verith ne le soulève dans les airs. Enchainant, le rouge approcha son museau en direction du sol jusqu’à ce que le bout de celui-ci arrive au niveau du bâtiment détruit. Verith souffla légèrement dessus puis se redressa. Les flammes vertes de Ssaadjith furent soufflées et s’éteignirent alors que le bois, le cuir et le tissu commencèrent à prendre vie. Lentement, les piliers de l’habitation se redressèrent et à se réparèrent, venant reprendre leurs positions originales. À l’intérieur, les objets plus petits et détruits redevinrent comme avant. Puis la bâche calcinée et rongée vint recouvrir les piliers et se mettre à se réparer comme par magie, enfin par magie, sous les yeux des félins qui ne tardèrent pas à applaudir. Reposant Ssaadjith au sol et le libérant de l’entrave du fil d’or, Verith prit la parole.

« Pardonnez mon fils, graärh de l’ile d’été. La turbulence est la marque des enfants qui deviendront un jour des guerriers puissants. Je veillerais à ce que ses atterrissages soient aussi réussis que ses voltiges. »

Le regard du rouge glisse en direction de son premier jumeau.

¤ Tu t’améliores de jour en jour, Ssaadjith. Je parle pour les voltiges, pas pour les bêtises où tu es déjà passé maitre dans la matière. Mais tu aurais peut-être du mieux travaillé ton atterrissage, que tes fanfaronnades. ¤

descriptionFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith] EmptyRe: Flambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith]

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Tohu-bohu et chahut ! Quel était donc tout ce raffut que l’on faisait là-dehors ? Il s’était déjà excusé et on le laissait s’empêtrer comme un fripon sous cette bâche à la texture austère qui poussait des lamentations de douleur, sans doute grâce à ce magnifique feu-fougue qu’il lui avait déversé dessus. Bien fait pour elle à cette svelte toiture! Elle n’avait qu’à se montrer plus bravache et ces chatons auraient dû la faire plus solide. Était-ce de sa faute à lui si sa chute avait suscité tant d’embarras quand un outil aussi défectueux était placé là ? Peut-être que c’était une machination d’ailleurs, un piège tendu aux dragonnets qui voulaient se poser avec élégance sur le domaine Graärh et qui se retrouvaient ensuite dans de beaux draps, si l’on pouvait dire ! Maudits félins ! S’il apprenait qui était le détenteur de cette demeure, il irait lui faire tâter de son feu également, pour la bonne mesure ! Et puis soudain, son père fit son apparition à ses côtés, ce qui ne manqua pas de rassurer le petit dragonnet d’obsidienne. Il poussa un vrombissement dans son ventre qui exprima sa joie toute grande de le trouver ici juste au-dessus de lui. Son Père-tout-puissant-seigneur-des-chats allait sûrement le féliciter pour ses prouesses et aux chats justement, leur expliquer qu’il y avait là erreur.

Hélas, ce ne fut pas en ces termes qu’il s’exprima. La lueur dans les yeux du dragonnet se ternit aussitôt. Il prit un air de parfait colérique et gronda pour lui-même. Comment ça, enfin donc, quoi, que de mésentente ! Lui, faire de la parade ? Jamais !… enfin si, mais il ne l’aurait pas exprimé ainsi. Tant d’autres mots lui vinrent à l’esprit et qui sonnait mieux : Spectacle, représentation, pièce, ballet ! Mais le mal était fait, et le dragon rouge ne semblait pas satisfait de sa prestation. Non guère satisfait. Il ne fallait pas laisser son vol sur une si mauvaise note surtout à ses yeux. Vite ! Il lui fallait rebondir sur cet incident naissant comme un feu de joie. Il esquissa un ronronnement rappelant ceux des félins de Néthéril et lapa l’air de sa langue dans sa direction avant de répliquer à voix basse mais sans masquer sa dignité :

-Oh Pèèèèèère. Tant de critiques, criantes, crissantes même, à la volée en plus, à l’envie, à l’aide, je souffre ! Ne soyez pas si prompt à vous inquiéter de l’araignée-propriétaire. Peut-être que s’empalerait la mouche imprudente qui vole et qu’elle se serait faite dévorer. Mais a-t-on déjà vu une mouche faire une si belle flamme ? (Sa langue râpeuse se gorgea d’une ultime flammèche verdâtre qui s’épaissit dans l’air avant de finir en volute de fumée noirâtre) Je suis sûr que l’arrêt niais aurait été fait ! Ah !  Elle en aurait été tout émoustillée ! Et quand bien même, quel vol cela aura été ne songez-vous pas, père ?!

Ses yeux luisirent avec un mélange de malice et d’une délicate saveur espiègle. Il avait bien mieux réussi son coup que le dragon rouge ne le croyait. Nephilith avait eu toute l’attention de Nynsith. Eh bien, Ssaadjith avait plus : Il avait toute l’attention de leur père ! Il fut même tiré cérémonieusement de son wigwam de malheur par l’un de ses sortilèges. Il demeura pendu en tâchant de rester charmant, les ailes bien déployées, pour s’assurer que les Graärh n’en perdaient pas une miette.

Retenez, retenez, cher félin. Retenez, n’oubliez pas. Franchissez le seuil de votre oubli pour le conserver dans votre mémoire ; ce petit dragonnet flamboyant qui virevoltait sans pressentiment ni humeur, dans la pleine lueur du temps et que la nuit s’effondre sous le poids de son orgueil !

Pendant ce temps, la demeure se reforma par un autre sortilège du dragon rouge et tout fut rétabli en à peine quelques secondes. Il fut ensuite libéré du fil doré qui le retenait. Son père se confondit alors en excuse auprès des félins. Ridicule ! Il avait été splendide. Il n’y avait pas de quoi en faire tout un plat. Rien n’avait été cassé après tout.

Alors seulement, Ssaadjith se retourna dans un grand mouvement dramatique de ses ailes, sa queue claquant dans l’air comme la foudre se joindrait au tonnerre. Les félins furent immédiatement attirés par ce remue-ménage, même si un colosse rouge se trouvait derrière le dragonnet d’obsidienne et Ssaadjith se permit un petit rugissement de convocation. Il le fit avec une indéniable courtoisie, que n’aurait pas démérité un acteur. Il recula lentement une de ses pattes avant d’étirer son long cou et s’inclina devant la foule :

-Mes enfants de la Trime, ainsi s’achève mon crime, fit-il d’un ton badin. Evidemment, je remercie mon père pour m’avoir apporté son soutien. C’est que le désir de vous saluer était trop grand et il a voulu participer à mon entrée. Ceci était notre final. Comme vous le voyez, tout va pour le mieux car je n’ai aucune égratignure et votre nid est plus resplendissant que jamais ! Dorénavant, je vous conseille de l’appeler la « Demeure du dragon » car elle fut très honorablement à nos côtés dans cette mise en scène. J’espère désormais que nous partagerons un jour un peu de lait chaud et d’autres choses ! Que le vent sous vos pattes vous porte où le soleil fait voile et où la lune chemine !

Certes, quelques Graärh ne furent pas dupes de ces enfantillages, mais certains, à commencer par les graahron, furent réceptifs à ses paroles. Leurs yeux le lardaient d’éclairs de curiosité… et d’admiration. Ssaadjith s’en trouva grandi. Il les observa scrupuleusement et nota mentalement chacun d’eux dans un coin de son esprit. Ces petits félins pourraient lui être utiles plus tard. Après tout, lorsqu’ils grandiraient, ce serait ses guerriers, car il avait décidé qu’un jour il commanderait des armées. Autant commencer le travail tout de suite. Manifestement, ses paroles les avaient influencés et ainsi, lorsqu’il reviendrait vers eux, les graahron le reconnaîtraient comme celui qui avait flotté comme le soleil au-dessus de leur campement et avait détruit un wigwam avant de le rendre à sa grandeur d’antan ! Tout ça grâce à son père. Il lui fallait d’ailleurs le remercier sans délai.

¤ Tu t’améliores de jour en jour, Ssaadjith. Je parle pour les voltiges, pas pour les bêtises où tu es déjà passé maitre dans la matière. Mais tu aurais peut-être du mieux travaillé ton atterrissage, que tes fanfaronnades. ¤

Ssaadjith glapit de contentement. Il était aux anges des compliments que lui faisait son père. Il n’en était pas non plus surpris. Comment pouvait-il réagir autrement ? Il était à n’en point douter parmi les meilleurs acrobates. Même les papillons enviaient sa danse. Les autres observations, du reste, n’étaient là que pour faire écran. Il en était persuadé. Et puis, il savait que le dragon rouge attendait beaucoup de lui et qu’il se montrait donc exigeant à son égard :

-Les atterrissages n’ont pas le même prestige, répondit joyeusement le dragonnet du tac au tac en lorgnant une dernière fois les graahron.

Sa collerette frétilla vaniteusement de leur discrète attention. Qui sait ? Il n’existait que deux légions dans l’archipel de Tiamaranta. Peut-être qu’avec un peu de flambée, il pourrait se les acoquiner et avoir sa propre légion à lui ? Ou au moins un clan, c’était un début ! Pour cela, il avait le temps. La toile s'ourdissait d'abord et se tissait ensuite. Mais il en oublia les remontrances qui étaient sur le point de venir assombrir ses oreilles :

-Père, je comprends votre énervement. Je n’aurais peut-être pas dû être si ambitieux (il baissa piteusement sa tête couronnée de cornes et afficha un air tellement contrit qu’on l’aurait cru réel). C’est que je m’ennuie beaucoup sans mon petit frère Nephilith et je me sens si seul. Voilà longtemps qu’il part à l’aventure dans son coin sans me tenir dans la confidence.

C’était un mensonge éhonté, une fable inventée de toutes pièces. En tout cas pour aujourd’hui, car Nephilith était actuellement en train de faire la sieste à la caverne familiale ou non loin. C’était par pure jalousie de son heureuse fortune que Ssaadjith avait eu envie de faire ses actions en solitaire avec la légion. Mais cela, son père ne s’en doutait pas ! Lui et son fils cheminaient sur de grandes routes de terre où des centaines de petites maisons comme celles qu’il avait malencontreusement écrasées s’étalaient, formant des cercles concentriques comme des symboles tribaux qui devaient avoir l’air beau vu des hauteurs. Mais les routes étaient plus larges et désertes, de telle sorte que son Père pouvait poser ses pattes sans écraser les habitants. Charmante attention ! En même temps, n’était-il pas leur seigneur et la cité ne devait-elle pas se plier en quatre pour pouvoir accueillir de pareils invités. Ils allèrent ainsi jusqu’à une zone moins peuplée de la cité des wigwams. Ils avaient fière allure, car bien des Garal les accrochaient du regard. Ssaadjith faisait tout son possible pour se mettre juste devant son père et faire en sorte qu’on le croise non loin d’une griffe ou au détour d’un bout de patte de son parent gigantesque. Parfois, il sortait du rang et allait bondir entre deux wigwams, sous les exclamations stupéfaites des félins.

-Et puis, ajouta-t-il soudain de sa voix la plus poignante,  je sais qu’il a eu le droit de voler avec Nynsith et qu’ils se sont beaucoup amusés tous les deux. Je crains que Nynsith ne me porte pas autant dans son cœur que lui… Moi je n’ai rien eu du tout et je n’ai pu que dormir à la belle étoile, seul, abandonné, délaissé. (Une idée lui vint en tête)  Et j’ai toujours eu en tête les enseignements de ma mère : « Gourmandise rend gras et empêche de décoller à satiété » ! Je ne voulais pas rester sans rien faire une journée de plus. Je veux apprendre pour devenir meilleur chasseur, meilleur guerrier, meilleur voltigeur et meilleur flambeur. Je veux tout devenir, père. Et je me suis dit…

C’était le moment-instant-décisif-ultime-forfait-de-l’heure-cruciale ; la revendication banale posée milles fois qui devait trouver une réponse :

-… je me suis dit que je devais vous suivre et être à vos côtés pour réussir. Si je passe un peu de temps avec vous et les chatons, je ne pourrai que passer maître dans un tas de domaine différents ! N’en seriez-vous pas fier ?

Ssaadjith ponctua son propos de quelques petits vrombissements si doux et singuliers. Cela faisait le bruit d’un tremolo comme un rugissement mais en bien plus léger et bien moins agressifs. En vérité, ces bruits calmaient souvent les colères de ses deux parents adorés et il avait développé depuis longtemps l’art de l’user, sinon à l’usure, plutôt à l’usage de quelques tentatives de persuasions. Son père n’allait quand même pas refuser une demande si bien enrobée ! Pour ajouter à l’effet, il gambadait vivement entre les pattes du géant de rubis, serpentant entre ses griffes et même sous son ventre. Il n’osait pas encore grimper son sur dos car c’était là un acte de pure urgence si jamais il venait à être en danger. Il n’allait pas s’en servir pour adoucir l’humeur de son Père !

A chaque turbulence son utilité…

descriptionFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith] EmptyRe: Flambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith]

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¤ Leçon I ¤

Rien n’avait été cassé … enfin dire qu’il n’y avait plus rien de casser serait plus exact. Ce n’était pas grâce à Ssaadjith d’ailleurs. Peut-être allait-il devoir apprendre à son fils l’importance de réparer ses erreurs. Le regard du colérique se posa sur l’obsidien qui tentait de l’embobiner en vantant sa maitrise du souffle et du vol draconique. Mettre en avant ses talents ne justifierait ni n’amoindrirait ce qu’il venait de faire. Et alors que le rouge clarifiait auprès des félins qu’il tâcherait de faire en sorte que cet incident ne se reproduise pas, en profitant pour leur rappeler que dragon ou non, un enfant restait un enfant, Ssaadjith le malicieux décida de rebondir sur les propos de son paternel. Qui pensait-il duper avec de telles paroles ? Son fils avait encore beaucoup de chemin à faire s’il espérait pouvoir embobiner quelqu’un d’autre que les faibles d’esprit. Mais il ne pouvait nier que la tentative était belle, dommage que la vanité soit aussi criante.

¤ Tu t’améliores de jour en jour, Ssaadjith. Je parle pour les voltiges, pas pour les bêtises où tu es déjà passé maitre dans la matière. Mais tu aurais peut-être du mieux travaillé ton atterrissage, que tes fanfaronnades. ¤

« Les atterrissages n’ont pas le même prestige. »

La réponse de son enfant fut rapide, bien trop rapide. Il devrait absolument lui rappeler l’importance d’un bon atterrissage, aussi bien pour sa survie que pour sa mise en valeur. A quoi bon un vol majestueux si c’est pour n’éveiller que moquerie par une arrivée burlesque.

« Père, je comprends votre énervement. Je n’aurais peut-être pas dû être si ambitieux. C’est que je m’ennuie beaucoup sans mon petit frère Nephilith et je me sens si seul. Voilà longtemps qu’il part à l’aventure dans son coin sans me tenir dans la confidence. »

L’enfant de l’orage arqua un sourcil. Vraiment ? Son instinct de père protecteur le poussa à observer sans plus attendre son petit Nephilith au travers de ses arcanes des ombres. Il avait bien fait de s’emparer d’un fragment d’ombre de chacun des membres de sa petite famille, cela lui permettait d’avoir l’esprit tranquille. Tout ce qu’il vit ce fut le petit doré plongé dans un sommeil profond. Son fils lui mentait, il le savait et il n’aurait pas eu besoin de ce tour de magie pour s’en assurer. Mais le rouge décida de ne rien. Mieux valait laisser croire à Ssaadjith qu’il était le plus malin et qu’il était parvenu à le duper.

« L’ambition n’est pas un mal, mon fils. Mais si tu te fixes des objectifs, tu dois te donner les moyens d’y parvenir. Peut-être aurais-tu dû plus entrainer ton endurance. J’ai eu l’occasion d’assister à quelques spectacles graärh, certains ont duré plus d’une heure. Si tu te donnes en spectacle, assure toi de pouvoir le mener jusqu’à son terme. »

Le colérique laissa le petit d’obsidien continuer à mesure que les deux dragons avançaient, s’en retournant lentement vers l’endroit où les félins préparaient les travaux d’une douve en prévision des moussons. Verith prenait garde où il posait les pattes, veillant à ne pas écraser les habitations à l’inverse de son fils, posant ses griffes à certains endroits que les félins avaient tenu d’aménager pour lui. Sous lui, il pouvait voir Ssaadjith gambader et faire le fier, cherchant à faire l’étalage d’une certaine noblesse, d’une certaine grandeur auprès de la population pour marquer leurs esprits.

« Nynsith t’aime autant qu’elle aime Nephilith. N’en doute pas, Ssaadjith. Mais à l’inverse de toi, ton frère ne dispose pas de la chance de pouvoir voler avec aisance. Pour un dragon, voler correctement est primordial. C’est même une question de survie. »

La dragonne des abysses accordait peut-être plus d’attention à son frère doré car celui-ci en avait peut-être plus besoin que le petit d’obsidien. Mais il y avait aussi une autre possibilité. Nynsith accordait peut-être plus d’attention à Nephilith car elle pouvait s’avérer être une meilleure professeure pour celui-ci que pour Ssaadjith.

« Je ne voulais pas rester sans rien faire une journée de plus. Je veux apprendre pour devenir meilleur chasseur, meilleur guerrier, meilleur voltigeur et meilleur flambeur. Je veux tout devenir, père. Et je me suis dit … je me suis dit que je devais vous suivre et être à vos côtés pour réussir. Si je passe un peu de temps avec vous et les chatons, je ne pourrai que passer maître dans un tas de domaine différents ! N’en seriez-vous pas fier ? »

« Il y a finalement bien de la sagesse en toi, Ssaadjith. Cela ne saurait me rendre plus fier. Je serais heureux que tu passes du temps à mes côtés, mon fils. Cela me permettrait de te donner quelques leçons importantes. »

Faisant attention à son petit qui prenait plaisir à se glisser entre ses griffes, les deux dragons finirent par arriver au niveau des autres graärh. Abrités du soleil sous une toile tendue, trois graärh étaient penchés au-dessus d’une table sur laquelle figurait un plan, mais également Dwemmer. Ils ne purent que remarquer le retour du colérique et le chef du chantier quitta la tente pour venir vers lui.

« Surakshaatmak Aag, je vois que vous êtes allé nous chercher du renfort. »

« En effet, comme vient tout juste de me dire mon fils, il a grand hate de s’impliquer dans les affaires de son père. Aussi je me suis dit qu’il pourrait apporter son concours. »

Le regard du rouge glissa du félin au dragonnet.

« Il n’est certes pas encore capable de creuser des larges sillons d’un simple coup de griffe, mais je ne doute pas qu’il puisse aider pour le déblayage et le transport. Et puis, cela lui fera un bon entrainement s’il souhaite être un jour aussi fort que moi. »

L’enfant de l’orage se recula alors, allant se positionner face au tracé que les graärh avaient fait pour indiquer à Verith où creuser le sillon. Levant une patte, le dragon libre tendre sa paume et ses griffes avant de coller ces dernières les unes aux autres. La malédiction de l’esprit dragon affectait toujours son corps, il lui serait normalement bien impossible de creuser le sillon demandé sa patte et ses griffes étant devenues intangibles. Mais le colérique avait plus d’un tour dans son sac. L’un des joyaux d’une des couronnes ceignant ses cornes vint s’illuminer. Au même instant, les griffes de Verith vinrent se couvrir d’énergie, commençant à crépiter. Sans hésitation, l’enfant de l’orage planta ses griffes dans le sol et à la manière d’une lame tranchant une feuille, il vint trancher la terre en profondeur avant de se retirer, laissant apparaitre un large sillon.

¤ Voici ta première leçon mon fils. Toujours réparer ses erreurs. Pour avoir détruit cette habitation par ton atterrissage, tu vas aider à la protéger des pluies diluviennes qui frappent chaque automne cette région en participant à la construction de cette douve. Tu verras, les graärh t’en seront reconnaissants. ¤  

descriptionFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith] EmptyRe: Flambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith]

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Le sol, des lambeaux de soie enduits de graminées dorées. Le ciel, un étalage liquide moucheté de laine de mouton. Le réel, un tableau de flou brossé au fusain. C’était ainsi que Ssaadjith voyait l’univers lorsqu’il caracolait à côté de son père. Il virevoltait à la façon d’un poisson lâché sur la terre, à la nageoire agile et frétillante, tant et si bien que les pattes du Géant n’étaient plus que de risibles obstacles à frôler. Son sang toujours s’échauffait en la présence de cet énorme rubis scintillant, de ce prisme carmin des possibles qui lui présentait ce qu’un jour il deviendrait : une puissante créature souveraine, un redresseur de destin, tout en griffes et flammes, capable de relever un peuple et de le dresser en fonction de sa vision. Et en plus, il avait le luxe de faire des petits bouts de corvée pour évoquer auprès de ses sbires une sympathie excessive. Vraiment, son père savait y faire avec les chats.

Il ne fallait donc pas rejeter en bloc toutes ses paroles et, pour cette fois, faire marcher les extraordinaires rouages de son intellect pour tracer une logique dans ses propos. Ce fut plus facile qu’il ne le pensait au départ. Il retint ses premiers enseignements ici. Ça pouvait convenir à une maxime simple : « Toute ambition nécessitait de fournir un effort équivalent pour en atteindre le museau ». Quelque chose comme ça. Mais le dragonnet d’obsidienne avait pourtant déjà fourni tant d’efforts ! Il s’était préparé pendant des heures sur la dune, avait lustré ses écailles et martyrisé ses multiples talents pour accrocher le regard des Graärh. Il avait fait acte de prestance ! Son père ne l’avait-il donc pas vu ? N’était-ce pas le plus important dans un spectacle ? Quant à l’endurance, elle se gagnait à force de tentatives. Il lui faudrait donc répéter à outrance sa scénette jusqu’à ce qu’elle fonctionne jusqu’au bout et qu’il puisse se poser avec grandiloquence, en lieu et place du tas de fourrage où il s’était encastré. Son père avait sans doute raison. Il avait peut-être commis une erreur en se posant sur cette habitation capricieuse. De toute façon, il ne l’aimait plus ce wigwam. Rien qu’à le revoir dans l’éclat que lui avait redonné le dragon rouge, il avait déjà envie de le réduire en bouillie une seconde fois. A cause de lui, il n’avait montré que faiblesse et maladresse. Tout était de sa faute.

La prochaine fois, son feu réduirait le wigwam en poussière.

Voilà un premier enseignement qu’il tira de son introduction dans la légion. Ssaadjith en fut ravi. Il apprenait vite !

Mais les engrenages de sa réflexion s’éveillèrent à nouveau à la mention de sa sœur aînée et de son cher frère. Le moins que l’on puisse dire, c’était que le compliment de son père lui plut fortement. Enfin, l’on reconnaissait l’un de ses nombreux talents ! Certes, voler correctement n’était guère plus de son niveau. En l’état, le vol de Ssaadjith incarnait la prouesse pure, la promesse d’un plaisir des yeux dès lors que ses ailes sépulcrales s’élevaient dans le ciel d’été. Plus dangereuse était la situation, plus intenses étaient ses fredaines et plus élégante l’extravagance de ses acrobaties. C’était vrai que Nephilith avait bien des efforts à faire pour le rattraper sur ce terrain-là. Il avait donc bien plus besoin de Nynsith que lui. A cette idée, le dragonnet d’obsidienne se détendit en grondant de satisfaction. Quand bien même, cela n’empêchait pas qu’il avait également besoin de recevoir quelques attentions de la part de sa famille ! Ce n’était pas de sa faute si son petit frère souffrait de quelques lacunes. En outre, il ne courait aucun danger car il avait un frère aîné expert en voltige pour l’aider à survivre si le besoin s’en faisait sentir.

Heureusement, son père avait compris cela. Il savait que Ssaadjith était appelé à devenir le plus grand des dragons. Il le lui rappela en vantant sa sagesse et sa volonté immuable de devenir meilleur. Le museau du dragonnet d’obsidienne frétilla soudain de joie.

Il.
Avait.
Accepté.

Enfin ! Fini les leçons de morale de Mère, fini les récréations rébarbatives et l’ennui dans la caverne, Ssaadjith allait finalement apprendre des choses importantes pour son avenir. Son paternel, qui d’autre, était assurément, indubitablement et immanquablement le meilleur de tous ! Lui ? Oui incontestablement ! Le dragonnet se lova sur une patte du Géant juste avant que celle-ci n’aille s’agiter plus loin :

-Oh comme je me réjouis de votre clairvoyance, minauda-t-il. Vous ne souffrirez nul regret de tant de patience ! Je serai votre élève le plus assidu, le plus têtu et le plus parfait ; le joyau de votre contentement. Alors, commençons-nous séant ? Que dois-je affronter pour ma première leçon ? Mes griffes sont prêtes à égorger des bataillons ! (Comme pour le confirmer, il fendit l’air de ses doigts aiguisés avec un petit rugissement) Allons-nous chasser une meute de smilodons pour un petit délice, brûler du bétail ou aller disputer un bout de viande à un Stymphalis ?

« Surakshaatmak Aag, je vois que vous êtes allé nous chercher du renfort. »

-Comment ?

Le dragonnet d’obsidienne se rendit compte qu’ils n’avaient pas erré dans la cité comme il le supposait préalablement, mais s’étaient en réalité rendus près des douves. Là, plusieurs dizaines de Graärh remuaient la terre sur des sillons déjà ouverts tandis qu’un petit groupe traçait à l’aide d’une couche épaisse de suie le prochain segment. Ssaadjith jeta un bref coup d’œil au sable avant de secouer la tête de dégoût. Les douves, c’était horriblement ennuyeux, tout comme les chats qui y faisaient leur lot de servitude. C’était une chose de se pavaner au-dessus de la légion ; c’en était une autre de s’ensevelir dans leur cité moite où le dialecte étranger le submergeait comme une marée.

Leurs vêtements étaient en outre d’une antiquité inimaginable. Les chatons du crû s’habillaient d’atours d’un goût affreux, au même titre que leur wigwam, dans une mode que même un dragon pouvait juger poussiéreuse. Si les vampires étaient de grands conservatoires du costume, au moins gardaient-ils une esthétique que Ssaadjith avait tolérée. Ici c’était pis que ringard, plus désuet que supportable, au-delà de périmé.

Pourquoi Père l’avait amené ici ? La réponse ne tarda pas à venir et les traits de Ssaadjith ne tardèrent pas non plus à se décomposer. Comment ? Quoi ? Que diable ? Lui bâtir des douves au côté des Graärh ? Non c’était une mauvaise idée, une très mauvaise idée ! Seul son orgueil lui permit de reprendre mesure avant que son expression hasardeuse se fasse trop visible. Il en allait de sa fierté ! L’élasticité des écailles étant moins évidente à observer, personne ne pouvait identifier le changement subtil sur le dragonnet. Mais son Père, lui, pouvait le voir sans difficulté :

-Eh bien, c’est-à-dire… je ne suis pas sûr que…

Son hésitation lui coûta de précieuses secondes pour trouver une échappatoire. Le dragon rouge leva sa patte écailleuse en l’ignorant et l’écrasa contre le sol. Sous l’impact, le sable vola en éclat sur plusieurs queues de dragon. Le temps que le sable ne retombe en des volutes sibyllines, il se tourna ensuite vers son fils et lui décrivit une répugnante besogne à faire. Le dragonnet s’approcha des douves et les renifla lentement. La sècheresse de leur texture lui donna le tournis. Les mires d’absinthe de Ssaadjith grimpèrent jusque dans la direction du dragon rouge. Il y eut un silence, long, fragile, dont le sens se révélait comme la foudre dans le ciel. Son enthousiasme avait disparu et à la place, son cœur se serrait d’horreur. Sa faute était-elle si grave pour qu’il soit puni de la sorte ? Ce n’était pas un enseignement qu’on lui apportait mais un calvaire mortifère, une douche de supplice, une peine de martyr ! Son erreur avait à peine éraflé le toit d’une demeure, de second ordre fallait-il l’ajouter, et on le privait de liberté pour cela ? Quel père en venait à une telle extrémité aussi subitement ? Il n’était qu’un petit dragonnet !

L’expression du dragon rouge était pourtant sans appel. Il s’était joué de lui, l’avait trompé avant de le châtier sauvagement. Construire un fossé, s’enfoncer dans la tranchée basse, dans la terre-meuble-et-aride-qui-fait-tomber-sur-l’arrière-train, c’était digne d’un esclave.

Mais il ne pouvait plus dériver désormais. La route était tracée et le dragonnet poussa un soupir :

-Oui, père, fit-il avec le raclement d’une tombe. Je ferai comme vous l’entendrez.

Nul ne servait de paraître insolent ou pis encore d’implorer. Le dragonnet d’obsidienne avait avant tout de la fierté. Mais une telle cruauté était dure à admettre. Il fallait le contempler pour saisir son état. Cette fois, même les Graärh purent le sentir. A la place de vivacité et vitesse, on ne trouvait chez lui plus que trouble et lenteur. Une aura de tristesse transpirait par gouttes tout autour de lui et le monde paraissait soudain bien gris. Au moins, cela allait peut-être entraîner cette fameuse endurance qui lui avait tant manqué ? L’idée de refaire son spectacle à plusieurs reprises mais sans public ne l’enchantait guère. S’il pouvait fournir ces efforts en montrant aux chats de quel feu il brûlait, quitte à faire des corvées, c’était… pour le mieux sans doute. Il ne pouvait de toute façon pas croire que ce qui se passait ici était sans fondement. Il se dirigea vers la toile tendue où se trouvait les Graärh et accrocha le plus proche des trois du regard:

-Je viens réparer mes erreurs. Je vais vous bâtir la plus belle des douves…

Tout à coup, sa queue battit un peu plus fort. Le dragonnet d’obsidienne sourit :

-Pour cela, je vais avoir besoin de gratter de l’effort avec vous. Je crois me remémorer qu’il y eut tantôt des gestes de votre part pour aider mon paternel doux. Je vais en avoir besoin également. Me suivrez-vous, à petits paturons évidemment, jusqu’à la douvelle ?

Son intervention trouva un bon succès et le Garal, un chat de plus de deux mètres cinquante, quasiment de sa taille mais pas tant, lui répondit avec surprise :

-Bien entendu. Nous n’avons pas l’intention de vous laisser seul dans la tranchée.

Le vouvoiement qu’on lui administra le complut dans son autorité. C’était sans doute parce que son père était encore dans les parages, mais il lui sembla néanmoins entendre du respect dans la voix de son interlocuteur. Et même de la crainte. L’inconnu faisait semble-t-il palpiter le poil. Le dragonnet d’obsidienne commença à caresser l’idée que son « paternel doux » ne comptait peut-être pas tant le punir que lui donner une chance de prouver son ingéniosité ! Voulait-il lui donner une seconde chance ? En ce cas, c’était à lui de prendre les devants :

-Parfait, mettons-nous au travail. Nous n’allons quand même pas nous contenter d’une antiquaille ! Je veux créer quelque chose de magnifique à voir, une douve qui tranche avec l’actuel répertoire.

Ssaadjith prit aussitôt les rennes des opérations. Il ignora l’araignée de métal qui s’apprêtait certainement à répliquer. Cette espèce de mauvaise farce sur pattes avait le don d’agacer le dragonnet même dans ses meilleurs jours avec ses stupides réflexions mécaniques. Il fallait aussi ajouter que lorsqu’il était sur sa lancée, Ssaadjith n’en faisait qu’à sa tête ! Peu importe les améliorations que cette chose infernale aurait en tête, il ne comptait certes pas l’écouter. Il conduisit les Graärh vers le sillon tracé par son père et s’empressa d’effectuer des ajustements. Déjà, quelle était cette ignoble idée de renforcer sur quelques griffes à peine la consistance d’une telle fosse ? Ce n’était pas bien beau à voir et certainement encore moins pratique. Sans doute son père en avait-il assez de mâcher tout le travail de ces besogneux poilus et lui permettait de donner de judicieux conseils pour que les Graärh remplissent une charge de travail plus conséquente ! Il les encouragea donc à accentuer la profondeur du sillon et la creuser pour qu’elle devienne à la fois un obstacle aux éventuelles inondations de la mousson, mais aussi une fortification militaire. Pour cela, les Graärh amenèrent des pieux qu’ils garnirent de pointes de fer avant de les enfoncer dans le sable. Ssaadjith les fit s’entrecroiser pour offrir de véritables obstacles aux attaques.

Pour ne pas paraître insolent envers son père qui devait sans doute le surveiller de loin, le dragonnet d’obsidienne participa aux travaux du sol meuble avec les chats. Au bout de quelques minutes, il se souvint avec tendresse des leçons de Mère, sa tête lovée contre son ventre réconfortant. Au bout d’une heure, il les regretta franchement. Keetech Quartzécailles aurait sûrement quelques soupçons sur les bienfaits de la première leçon de son père. Il pataugeait dans une mer de sable, glissait comme un albatros sur la terre ferme. Le travail dans ce fossé saumâtre empira à mesure que se formaient des nuages de poussière aux reflets troublés autour de lui. Mais les Garal ne se plaignirent pas, alors Ssaadjith s’interdit toute plainte également. Il s’avérait en outre que les chats pouvaient être de splendides ouvriers lorsqu’on leur donnait de bonnes idées. Ssaadjith les observait avec une lueur malicieuse dans le regard. Ils feraient de parfaites recrues pour bâtir un jour son royal domaine !

Pour l’heure toutefois, le dragonnet s’engloutissait dans cette mélasse grainée jusqu’aux flancs, jusqu’à avaler les épaisseurs de gravier limoneux. Si les douleurs de sa chute ne furent pas graves, elles s’ajoutèrent néanmoins à celles de ses pattes effritées.

Du labeur, Ssaadjith n’en retint que le résultat flamboyant qui en sortit. Les Graärh parurent satisfaits bien que profondément exténués du travail accompli. Mais pour le dragonnet d’obsidienne, c’était plus important encore. Voici en vérité une marque que le sable était incapable d’ôter de son inexorable passage. Elle était le fruit de sa réflexion et de ses propres efforts. En avisant l’œuvre produite, les chats se souviendraient du grand dragon noir qui était venu tremper les pattes dans le sable à leur côté et qui avaient fait de belles acrobaties dans le soleil matinal. Il se plut à rêver que la rumeur se répande dans toute la cité et qu’à son retour, les Graärh le voient sous un jour nouveau. Après tout, qu’est-ce qu’un wigwam quand un dragon prodigieux s’employait corps et âme à construire ce qui pouvait sauver votre vie ?

Ssaadjith se perdit ainsi dans ses rêveries. Comme ce serait agréable d’être admiré à chaque jour qui passe. Son père avait vraiment de la chance !

Il parut néanmoins évident qu’avec les pieux rajoutés, l’emploi du chemin se révélait plus qu’impraticable, au bas mot suicidaire. Sssaadjith s’envola non sans relâcher quelques nuages de sable derrière lui et se rendit vers la stature rougeoyante du grand dragon. Face à son père, le dragonnet d’obsidienne prit soin d’atterrir avec plus de doigté que naguère. Il fit quelques bonds pour se délier les pattes puis déclara avec un enthousiasme renouvelé :

-Père, il y a eu quelques menus changements ! La belle échappée de sable que vous nous avez légué risque d’être un peu, un poil dirait-je, plus grande qu’à l’accoutumée. Et plus dangereux aussi, n’est-ce pas excitant ? Si vous voulez mon avis qui est fortement éclairé, il va falloir construire des ponts pour que les chats puissent glisser sur l’eau sans ailes. Et j’ai eu une idée exceptionnelle ! Allons chercher du bois tous les deux ! Nous partirons à l’aventure, c’est tant mieux, et reviendrons avec tellement de ramures que nous pourrons même faire quelques édifices autres que leurs pauvres couvertures. Et si nous nous laissons aller à quelques chasses entre temps, eh bien, cela ne fera pas de mal à notre ventre gargouillant !

descriptionFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith] EmptyRe: Flambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith]

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¤ Leçon II ¤

Était-ce de la déception, de la tristesse qu’il lisait dans l’esprit de son fils ? Peut-être, mais le jugement du petit obsidien était bien trop sévère, pour ne pas dire démesuré, à l’égard de ce qu’il prenait comme une punition de la part de son père. L’enfant de l’orage n’avait jamais eu l’intention de punir son fils, seulement de lui donner une leçon, de l’éduquer, de lui permettre de grandir. Attendait-il de lui qu’il apprenne, de sa participation à ce labeur, uniquement à réparer ses erreurs ? Non. Il souhaitait le voir agir auprès des graärh comme l’aurait un seigneur des cieux, comme lui l’aurait fait. Qui plus est, Ssaadjith avait encore cette caractéristique d’être jeune ou plutôt petit. Il était encore à la hauteur des félins. Il pouvait encore voir les choses selon leur point de vue et l’allier à son intellect draconique. Il donnait à son fils la chance de lui montrer qu’il n’était pas qu’un sale garnement. Il souhaitait apprendre auprès du meilleur, alors il devrait se comporter comme tel.  En voyant son fils, il ne voyait pas un guerrier, du moins pas encore, dans quelques années et après un entrainement, certainement. Peut-être le battrait-il même un jour, d’ici trois ou quatre siècles. Mais pour l’heure, la plus grande force de l’obsidien n’était pas son corps, mais bien sa verve. Alors autant qu’il exploite pour encourager et diriger plutôt que pour semer le mensonge et le doute.

Toujours en gardant son fils dans le coin de l’œil, le regard du dragon rouge se tourna vers l’ensemble du chantier. Scrutateur, il surveillait les travailleurs avec attention, guettant non pas les tirs au flanc, mais plutôt les risques d’accidents. Il finit bientôt par lever ses ailes au-dessus de la zone pour apporter une ombre salvatrice sous ce soleil cruel.

¤ Mh, peut-être qu’il sera possible d’en faire quelque chose à jour. Leur piètre exploit guerrier les écarte assurément d’une utilité sur-le-champ de bataille, mais tout empire a besoin de main d’œuvre. ¤

Le colérique étouffa un grondement en entendant la voix de Ther’Zhi résonner dans son crâne.

¤ Je n’ai aucune l’intention de faire naitre une théocratie. ¤

¤ Oh, pas besoin d’en arriver là. Tu peux très bien te démarquer de moi. ¤

Un sifflement mental s’échappa de Verith qui s’en alla cingler le legs du Tyran qui se contenta de se dissiper en un rire narquois.

***
Loin de l’attention de Verith. Loin de l’attention de l’image du Tyran. Loin de l’attention de Ssaadjith. Dwëmmer, à l’abri du soleil sous une toile tirée, se dressait sur la table où figuraient les plans du chantier. Faisant mine d’apporter des améliorations, l’araignée mécanique faisait face à un jeune félin qui était venu apporter de nouveaux outils. L’héritage antique de la légion de l’or l’avait attiré jusqu’à elle. Elle avait une mission d’une importance capitale à lui donner. Elle n’usa point de télépathie, elle se contenta d’écrire à l’aide d’un fusain des instructions sur un morceau de cuir. Au centre de celui-ci, elle déposa un objet, une amulette sphérique striée d’arabesque aux reflets dorés. Repliant finalement le morceau de cuir, elle vint le sceller à l’aide d’une couture simple avant de dessiner à sa surface un bâton ressemblant trait pour trait à celui que possédait le tribyoon Asolraahn. Le graärh le reconnait d’ailleurs et comprit alors à qui il devait porter cette missive. Le jeune félin avait bien des questions, mais l’araignée mécanique lui fit comprendre que l’instant ne s’y prêtait pas.

« L’araignée étend sa toile pour saisir l’insaisissable. Sur l’île lunaire, le Smilodon des neiges se rendra. Au milieu des géants il cherchera l’Épervier. Dans une prison dorée, il enfermera la Blessure Pâle. L’ignorance du seigneur des cieux, il préservera. »

***

Dans le ciel, le soleil avait poursuivi sa course. Sur terre, les graärh avaient poursuivi leur travail. Sous le regard du colérique, la douve se terminait. Sous les conseils de l’obsidien, elle se faisait plus dangereuse. Verith avait pu, de par sa vigilance, put éviter que quelques accidents se produisent sur le chantier. Avertissant lorsque cela s’avérait nécessaire. Usant de son sort d’ombre pour faire de déplacer l’objet ou la personne. La fin des travaux arrivait enfin, félins et dragons avaient bien œuvré. L’attention du rouge finit par être attirée par Ssaadjith qui venait de s’envoler du fond de la crevasse pour se poser devant lui, avec toute la grâce qui lui avait fait défaut il y a peu. Sans un mot, l’enfant de l’orage écouta son fils.

« Il semblerait que cette leçon se soit avérée plus exaltante que punitive, tout compte fait ? L’ébène de tes écailles est certes ternie par la saleté, mais tu en sors grandi. Je ne doute pas que les félins te seront reconnaissants pour ton aide apportée aujourd’hui. »

Tout comme lui l’était. Après tout, Ssaadjith l’avait aidé. Verith n’avait-il pas donné sa parole aux graärh ? Celle d’assurer la protection de la légion ? N’était-ce pas ce qu’il venait de faire aujourd’hui, en participant à la construction de cette douve qui était leur idée, et en mettant à leur disposition l’aide de Dwëmmer et de Ssaadjith pour améliorer leur projet ? L’enfant de l’orage n’avait aucunement l’intention de mâcher le travail des félins ou de leur donner des réponses toutes cuites. Il pouvait en revanche leur donner un coup de patte ou des conseils, d’une manière ou d’une autre. Il avait mis les graärh à l’épreuve en disant qu’il les protégerait jusqu’à ce qu’il soit en mesure de se protéger eux-mêmes et ceux-ci en sortaient grandit chaque jour. Il avait mis Ssaadjith face à une épreuve en le faisant participer à ce labeur et il en était sorti grandis, même s’il ne le savait peut-être pas encore.

« Des édifices ? Je ne suis pas certain que ce soit à nous de construire leurs maisons Ssaadjith. Mais voici ce que je te propose. Nous pouvons toujours leur apporter un peu de bois ainsi qu’un conseil et voir ce qu’ils en font. Il est plus plaisant de voir quelqu’un réussir par lui-même plutôt de le faire à sa place. »

Lentement, Verith commença à s’enfoncer dans le sol, venant intégrer son ombre pour ensuite se glisser dans celle de Ssaadjith.

« Mais avant de rapporter du bois, une chasse me parait être une excellente idée. J’ai hâte de voir si tu as progressé depuis Nyn-Tiamat. »

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Ssaadjith dansait sur l’écume poussiéreuse du sable, faisait des petits sauts comme un chat sauvage en attendant la réponse de son père. Son œil calculateur zieutait avec une joyeuse impertinence l’expression du grand dragon. Il espérait aux bas mots des félicitations pour son travail exemplaire et des excuses pour cet horrible ouvrage qu’on l’avait forcé à faire. Oui tout ça à la fois ! Etait-ce trop demander ? Bien sûr que non ! Même si la réussite de cette entreprise avait gonflé sa fierté comme un jabot bouffi, il y avait peu de chances qu’il l’avoue de cette manière. Pourquoi ? Parce que, en premier lieu ! C’était déjà d’une logique imparable. En second lieu, il semblait évident que les Graärh n’avaient jamais eu réellement besoin de son aide. Ils s’en sortaient très bien tous seuls et auraient pu avancer plus vite sans son concours pour la simple et bonne raison qu’il prenait la place de trois ouvriers bien plus habitués à ces conditions déplorables. En outre, dans ce sable, il ne s’en sortait que difficilement avec ses pattes. Ssaadjith aurait mieux fait de se tenir loin de la douve, proposer ses mirifiques idées, novatrices qui plus est, et commander les travaux de loin. Les chatons se seraient rappelés de lui d’égale façon car la douve aurait été estampillée de son illustre intelligence. Après tout, personne n’avait songé à une telle organisation avant lui ! Evidemment, il était extraordinaire pour ces raisons-là.
 
Il était vrai qu’il n’aurait peut-être pas reçu autant de sympathiques œillades pour sa participation active à cet épouvantable labeur. Mais à dire vrai, le dragon d’obsidienne s’en moquait éperdument, parfaitement oui, et même furieusement de leur estime. Ce n’était que des chats. Certes, qu’ils le contemplent avec admiration, cela avait ses avantages, mais il ne fallait pas oublier où était leur place et quelle était la sienne !
 
En ce sens-là, ce que lui déclara tout d’abord son père tiqua dans son ouïe comme un mauvais bourdonnement. S’il escomptait de lui qu’il vienne régulièrement prêter main-forte dans ce bazar, il allait au devant de grandes déceptions. Jamais Ssaadjith ne s’abaisserait à repêcher chacun des insignifiants desseins de ces pouilleux à poils, ces Garal comme ils aimaient à s’appeler, les esclaves les plus quémandeurs d’aide, les plus assistés des assistants ; ceux qui aimaient miauler, toujours, qui stationnaient allègrement sur leur chantier suranné puisqu’ils tenaient avant tout à attendre un miracle, les bougres ; le miracle justement, en la personne du serviteur obsidien, commodore de la clairvoyance, car quand il s’agit de diriger avec astuce et habileté, il était le maître absolu, cap sur le succès, vent en poupe !
 
Ssaadjith avait certes le désir de marquer les mémoires, mais il y avait de meilleures façons de devenir inoubliable qu’en badigeonnant ses doigts griffus dans la mélasse de quelque douve. Et alors, que lui importerait les regards en biais ou les dénigrements de quelques sauvageons ?
 
Toutefois, pour ne pas heurter son paternel avec une si juste dialectique, il accepta sa remarque et goûta au chorus louangeur des chats approbateurs.
 
Car en vérité, il n’y avait qu’une seule approbation aujourd’hui qu’il voulait entendre et il ne l’avait toujours pas obtenu. Seule la fierté de son père pourrait le satisfaire et il avait bien dans l’intention de prouver sa valeur à ses yeux d’or. Pour un simple éloge de sa part, Ssaadjith était prêt à couvrir la Savane de ses flammes verdoyantes, à détruire des peuples et à raser des cités. C’était un désir égoïste. La fierté du dragon rouge serait le signe de son incontestable triomphe et, par ricochet, cela le rendrait lui-même plus fier que jamais. Ce n’était pas qu’il en avait besoin, car il se savait déjà sensationnel en bon nombre de points, sinon tous, au moins une constellation ! Mais c’était bon de le rappeler parfois au monde entier. Lorsqu’il rentrerait à la caverne, il serait ravi de raconter les éloges de Père et d’admirer la tête déconfite de Nephilith. Car le doré ferait une tête déconfite, à n’en point douter ! Alors seulement, il deviendrait un véritable parangon d’orgueil.
 
Mais pour cela, il fallait qu’il passe plus de temps avec un certain dragon, et moins avec les chats dans les douves-crasseuses-et-indignes-de-lui. 
 
Il tournait autour d’une des gigantesques pattes carmin quand Papa-rouge lava la crasse capiteuse de ses craintes en accédant à ses requêtes. Ssaadjith glapit, ses griffes marquant des empreintes à la mesure de son bonheur. Ses bonds prirent la forme d’une envolée à la mesure de son sentiment fugace, tant et si bien que l’ombre de son père naissant sous lui peinait à capter la sienne. Et comment se sentait-il justement ? Comme un brasier qu’on rallume, en l’alimentant avec des wigwams et du bois, brûlant tout son saoul en laissant sa trace jusqu’aux confins de l’île, qui ne sait plus sa chaleur et qui ne connaîtrait ni barrière ni entrave. Lorsque l’ombre de son père étreignit totalement la sienne, l’Obsidien se sentit plus imposant et plus fort que jamais. Le voilà maintenant qui était accompagné de l’être le plus puissant de l’Archipel. Le second être le plus puissant de l’Archipel, c’est-à-dire lui évidemment, tendit ses ailes vers la couenne lumineuse et fragile de l’horizon. Il les admira à la lueur du soleil avec un regard envieux envers sa propre personne. N’était-il pas splendide ? N’était-il pas rutilant ? Oh si certainement !
 
En contrebas de la colline, les Graärh l’observaient, ébahis. Sans nul doute aucun, ceux-ci devaient être plongés dans une parfaite confusion après avoir vu le petit dragon noir gober allègrement la totalité de l’ombre du rouge. Ssaadjith s’amusa de leur murmure et de l’interrogation dans leurs yeux. Il bomba le torse et lâcha un filet de fumée noire de ses naseaux en tâchant d’entretenir leur trouble. Peut-être après tout détenait-il une puissance insoupçonnée pour avoir ainsi happé son paternel ? Peut-être y avait-il eu un combat intérieur entre le Géant de Rubis et l’Obsidien et que c’était lui qui l’avait remporté ? Peut-être était-il le vrai roi des cieux ? Qu’est-ce que ces chats pouvaient bien y connaître à tout ça ?
 
En tout cas, son père l’estimait suffisamment pour lui mêler sa propre ombre à la sienne et l’envoyer chasser. C’était déjà une chose qu’ils pouvaient retenir.
 
Soudain, Ssaadjith décolla dans un soubresaut qui souleva le sable et ébranla les piquets de la tente Graärh. Il atteignit le ciel, flaira un courant dans le vent qui le porta loin au-delà de la légion. Il abandonna la cité, les murs et les douves pour remonter en piqué vers le canyon et adressa un rugissement au ciel avant de replonger dans la Savane. Certes, ce petit esclandre ne passerait pas inaperçu et n’était pas le summum de la futilité lorsque l’on était un chasseur. Mais Ssaadjith s’en moquait. A aucun moment, sa présence ne devrait passer inaperçue même pour ses proies. Le sentiment pusillanime que son rugissement provoquerait auprès de la faune locale était bien trop jouissif à concevoir pour l’ignorer. Quant à la chasse, point d’inquiétude ne tarissait ce goût affirmé de la bravade. Le temps dissiperait la peur, et l’excitation née ajouterait le jus tant désiré à la viande de sa future victime. Voilà tout ce qui comptait. Car aujourd’hui, le dragonnet d’obsidienne n’allait pas se contenter d’un banal vampire à labourer de ses griffes. Son père voulait voir ses progrès. Cela signifiait qu’il lui fallait dégoter quelque chose de plus séduisant à dévorer. Et de plus mortel :
 
-Merci, père ! dit-il d’une voix savoureuse tandis que ses ailes l’élançaient sous le rideau du ciel. Nos chasses m’avaient manqué. Voir des bipèdes moins, immanquablement, car je ne comprends toujours pas pourquoi les Graärh devraient avoir un traitement de faveur par rapport aux autres. En dépit de leur tempérament fascinant, ils sont si primitifs. Ils sont tous faibles d’esprit après tout ! Mais j’ai de toutes petites miettes de souvenirs qui remontent à califourchon dans mon estomac : le vampire que j’ai tué par exemple ! Oh et ce Fenrisulfr à l’odeur de poil mouillé ! Dragodoux, dragodur, ma mémoire s’enfuit-elle, non je le jure ! Ce monstre avait bien failli m’attraper. Mais à la trappe comme prévu, je l’ai amené ! Amené pour vous, Père, vous souvenez-vous ? Mais maintenant, c’est différent. Je suis sûr, sûrement, en tout cas assuré, que le Fenrisulfr s’il se trouvait ici, je le soufflerais moi-même d’emblée !
 
Son museau se retroussa en un rictus effrayant. Il remonta dans les airs pour que ses proies ne voient en lui qu’un petit oiseau survolant les étendues. Au même moment, ses yeux vipérins grignotaient la silhouette des cimes et les plaines en contrebas, à la recherche d’un point d’eau. Dans un lieu si aride et pauvre en vie, de tels endroits étaient le point d’ancrage d’une vaste coterie de gibier. C’était Nephilith qui avait eu cette idée lors de leurs précédentes escapades. Ssaadjith ne s’ôta pas pour autant le privilège de la faire sienne auprès de Père. Il déclama ses plans avec des termes de son crû, d’un air chantant, comme si les mots sortant de sa gueule sifflaient leur litanie et virevoltaient dans le ton du vent :
 
-Point d’eau ne déroge à la règle, toute pâture s’y rend avec un air espiègle. C’est l’usage dans ce petit patelin aride où suintent rarement de grands volumes de fluides. J’espère y trouver là de quoi mordre à la dérobée, afin que nous puissions en faire notre becquetée. 
 
Suivant un sentier sinueux parsemé de quelques baobabs, Ssaadjith et l’ombre velléitaire du Colérique passèrent au large de la mer septentrionale. Il fut probable que même hors du rugissement tapageur du dragonnet, on le repéra également depuis les tours de guet sur la plage, ainsi que sur les maigres vallons de la Savane, et que cette longue silhouette à ailes de chauves-souris qui ne ressemblait en rien au dragon rouge fut source d’alarme. De même, certains animaux pressaient le pas à son approche malgré ses ruses et filaient à travers la Savane pour trouver un abri. Les habitants du désert ne flânaient pas, c’était le moins qu’on puisse dire. Ils abattaient du chemin avec la vélocité d’une vague déferlante. Mais Ssaadjith n’y prêtait en vérité aucune attention. Ce n’était pas des gazelles ou des antilopes qui l’intéressaient. Il ne s’agissait que de proies stupides et peureuses, des adversaires sans importance, et un mauvais moyen de prouver ses nouveaux talents à Père. 
 
Les plaines qu’il survola étaient mornes. Certes, la chaleur de Néthéril plongeait les steppes et les toundras dans une léthargie étouffante. Les quelques arbres qui demeuraient semblaient se tordre de douleur dans la couverture embrasée du désert. Mais c’était surtout le manque d’eau qui causait à cet endroit tous les tracas et ennuis que Ssaadjith pouvait ressentir. Le mouvement ici bas se révélait piètre, la faune survivait à grande peine et se composait bien souvent de minuscules créatures. Il régnait une torpeur lourde dans ces plaines, un calme pesant, comme si le pays se recroquevillait sous la fournaise. Les vraies proies intéressantes étaient d’une rareté épouvantable. Comment les Graärh prouvaient-ils leur valeur à la chasse quand si peu de véritables ennemis foulaient le sol de leur terre ? Le dragonnet d’obsidienne soupçonnait ces lois d’être bien moins strictes qu’on ne le laissait entendre. Il était persuadé qu’il suffisait d’une petite bestiole tuée pour faire de ces chats des guerriers du clan. Pfeuh ! Quelle grossière marque de bravoure ! Ce n’était pas avec de petites chapelures de poils qu’il allait s’amuser. En réalité, Ssaadjith visait un tout autre but. Il trouva ce qu’il cherchait lorsque le soleil commença à chuter de son céleste piédestal. 
 
En apercevant la meute de smilodons traçant contre une brise chaude de l’Ouest, le dragonnet d’obsidienne fit claquer la membrane fine de ses ailes et prit une trajectoire courbée. Il roula dans l’escarcelle décousue du vent et vira jusqu’à se poser sur un promontoire. Il maintint son corps écailleux au ras du roc, profitant de l’obsidienne de son corps pour se fondre dans le décor. Là, il observa les félins. Ceux-ci se rendaient près d’une oasis dans laquelle un troupeau de plusieurs centaines de Stymphalis faisait un sort au cours d’eau. 
 
Voilà qui était bien mieux ! Ces prédateurs tout en muscles étaient le summum du danger sur cette île ; des êtres redoutés par toute la Savane et même par les Graärh car leur corps taillé pour la vitesse laissait peu de chances à un individu de s’enfuir par la voie de terre. Quant à leurs adversaires, ils étaient rares du fait de leur taille de plus de trois mètres. Quelques Graärh seulement étaient capable de les combattre. Et bientôt, ce serait lui qui rapporterait une de leur peau.
 
Sous l’ombre maculée par sa splendeur, il entendit alors émerger un son. D’abord grinçant et éraillé, il évolua lentement jusqu’à devenir un grognement. Celui de son père. Ssaadjith griffa le sol de sa patte avec irritation. Il espérait que le puissant-seigneur-de-la-terre-des-chats n’allait pas commencer à faire des remarques sur son choix très élaboré. Il devrait au contraire être plutôt content ! Il allait respecter les us et coutumes des Graärh et revenir avec la gloire. Il y a longtemps, quand Ssaadjith avait chassé un vampire avec son père sur Nyn-Tiamat, un Fenrisulfr lui avait volé le parfum de la victoire sous le museau. Oh bien entendu, ils s’étaient enfuis après coup, sûrement épouvanté par la splendeur qu’il avait dégagé. Mais le véritable duel n’avait jamais eu lieu. 
 
Aujourd’hui, Ssaadjith avait grandi. S’il ne pouvait pas se venger des loups, il allait jeter son dévolu sur les puissants félins du désert :
 
- Père, observez ! Voyez comme ils sont mignons ces chatons-là. Et leur viande doit être succulente. Caressante idée que de les imaginer cuit à la flambée de Ssaadjith, non ? Oh je vous en prie, laissez-moi essayer ! Je ne souhaite que vous rendre fier. Je ne suis pas un Nephilith qui bringuebale de l’aile par temps de marée. J’ai grandi et pris du poids ! Père, dites oui…

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¤ En chasse ¤

L’excitation de Ssaadjith était palpable depuis que son paternel avait consenti à son idée de partir à la chasse. Afin de ne pas gêner son fils dans cette entreprise, le rouge ne tarda pas à se glisser parmi les ombres et rejoindre celle de son rejeton, qui manqua de lui échapper à plusieurs reprises tant celui-ci ne pouvait contenir sa joie et sautillait partout tel le dragonnet qu’il était. Une chasse avec son fils, voilà longtemps qu’ils n’avaient pas pratiqué cette activité ensemble. Voilà l’occasion pour ce dernier de lui montrer ses progrès et de le rendre fier de lui. La fierté de son père, c’est ce que le petit obsidien cherchait. Un jour il faudrait lui apprendre à mieux dissimuler ses pensées, elles étaient aussi visibles qu’un nez au milieu de la figure. Verith s’amusa de l’histoire que lui comptait son fils au sujet de leur première chasse alors qu’il prenait son envol en direction de la savane.

« J’ai une version un peu différente de cet évènement en mémoire, mais cela ne doit s’agir que de quelques détails. »

Des détails comme les remontrances de son père, la frayeur de la rencontre avec le Fenrisulfr, son détalage comme un lapin, le fait que ce soit le loup qui tue le vampire et enfin son plongeon au plus profond d’un point d’eau sombre dont Verith a dû le repêcher.

« Tu fais erreur mon fils. Je n’accorde pas aux Graärh un traitement de faveur. Je me comporte avec eux le plus normalement du monde. A quoi bon être fort si on ne vient pas en aide aux faibles. Les autres, les bipèdes, eux ne méritent pas de comportement normal de ma part. Ma colère et ma haine, mon mépris, voilà tout ce à quoi ils ont droit de ma part au vu de leurs actes contre les miens. »

L’histoire des félins et des dragons était vierge de toutes fautes, de tous conflits. Verith n’avait rien à reprocher à ces derniers. Pour autant, peut-être que Ssaadjith avait raison, bien qu’il exagère un brin. Le rouge ne leur accordait pas un traitement de faveur, pour autant peut-être était-il plus bienveillant à leur égard, car il ne pouvait s’empêcher de voir en leur situation du fait des bipèdes des marques communes avec la situation des dragons du fait des bipèdes.

Depuis les hauteurs célestes, son fils cherchait une proie, ou plutôt une piste le menant vers une proie. Son raisonnement fut des plus justes : là où il y a de l’eau, il y aura des proies. Toute créature a besoin de se désaltérer, même les dragons. En chemin, le rouge nota la présence de quelques bêtes pouvant faire l’objet d’une bonne chasse et d’un bon repas, mais Ssaadjith sembla ne pas les repérer … non, il semblait plutôt les avoir sciemment ignorés. Que cherchait son fils ? Quelle bêtise prévoyait-il encore ?

Enfin, un cours d’eau décent fut repéré. Verith pouvait sentir dans l’air la présence de nombreuses bêtes. Il y avait un troupeau de ces grands oiseaux de la savane dont la viande était présente dans la majorité des repas des graärh de la légion de l’ile d’été. Son fils avait-il l’intention de s’en prendre à eux. Ils avaient pourtant pu en sentir d’autres en cours de route. Non. Avait-il l’intention de s’en prendre à eux, car il s’agissait d’un très large troupeau ? Son fils avait les yeux plus gros que le ventre, comme toujours. Pour autant, cette éventualité vint bien être contrebalancée par une autre quand une nouvelle fragrance parvint aux sens du colérique. Des smilodons, une meute de smilodons. Ceux-ci devaient être en chasse, comme eux. L’obsidien avait-il l’intention de s’en prendre à eux ? Verith n’eut même pas besoin de lui poser la question. Son esprit effleura à peine celui de son rejeton qu’il put capter ses intentions.

Son fils vint finalement se poser au sol, en faisant preuve cette fois d’une certaine discrétion. Il prit également le soin de se mettre contre le vent pour que son odeur ne puisse être portée par ce dernier. Puis, venant se coller au sol, le dragonnet aux yeux d’émeraude se mit à observer ses cibles, tout en venant parler à son père qui ne put s’empêcher de retenir un grondement quelque peu réprobateur.

« C’est vrai, tu as grandi, Ssaadjith. Tu es aussi grand qu’eux et d’une carrure plus imposante. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont plus nombreux que toi. Certes, je doute que leurs crocs et leurs griffes puissent percer tes écailles. Mais tes ailes, en revanche, ne sont pas à l’abri. Tu as tes chances. Mais en sortiras-tu indemne pour autant ? Une aile déchirée met du temps à se soigner et un dragon cloué au sol est un dragon vulnérable. »

Verith observa la scène et mit l’espace d’un instant à la place de son fils. Comment s’y prendre pour réussir cette chasse ? Pour emporter la victoire ? Oh il y avait de nombreuses possibilités. Certaines plus sûres et intelligentes que d’autres. Ssaadjith avait cet avantage que les smilodons s’apprêtaient à chasser les stymphalis. Un prédateur en chasse à son attention concentrée sur la chasse et est moins alerte à ses propres prédateurs.

« Nephilith a peut-être les ailes fragiles, mais il compense largement par son intellect et trouverait assurément comment mener cette chasse à bien malgré ce désavantage. Tu as peut-être de meilleures capacités physiques que ton frère, mais suffiront-elles pour venir à bout du smilodon ? Comme ton frère, tu as tes propres forces et faiblesses. Mais je doute que ta verve et ton talent pour la représentation soient d’une quelconque utilité face à ces grands félins … à moins que … »

Le colérique réfléchit un instant, se mettant une fois de plus dans la peau de son enfant et une idée lui vint. Il se demandait si ce dernier aurait la même idée que lui.

« Soit. Je consens à cette chasse. Mais si je te dis de fuir, alors tu fuiras sans me contredire. J’interviendrai si tu es en danger. »

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Le vent s’était cette fois bien levé, comme si un géant s’était éveillé dans un souffle hagard. Les silhouettes des smilodons étaient étouffées au milieu des fougères sèches de la savane. Elles se déplaçaient avec la dextérité fauve des félins en période de chasse. Leur corps était allongé, fixé contre le sol tel des serpents fureteurs. Depuis son perchoir de fortune, l’astucieux Ssaadjith dévisageait leur manigance avec l’amusement d’un maître d’école ; de celui qui a déjà tout appris et qui voit des enfants tenter d’imiter les plus grands. Il les observait avec cette science calculatrice de l’aigle farfouillant le monde d’En bas à la recherche d’une proie. Son jeu de traque était bien différent du leur. Pour les prédateurs ici présents, ce n’était qu’une chasse de plus, un moyen de se sustenter, reprendre des forces, rencaisser de la vigueur, vivre un jour de plus et se tenir prêt face au cruel lendemain. Ils ne mesuraient pas encore la chance fabuleuse qui les échoyaient, mais Ssaadjith oui… car l’un d’eux allait être la victime du plus prodigieux des dragons. Le dragonnet d’obsidienne n’avait plus qu’à choisir parmi la meute ! Pour lui, cette chasse n’était pas uniquement d’ordre culinaire. Son but était de faire briller son talent, d’entrer bille en tête dans le flux de la représentation, impressionner sans dire, de se saisir de l’inavouée reconnaissance paternelle et de s’y lover confortablement pour à la fin grandir, si ce n’était en taille, bien entendu en orgueil.

Pour rien au monde, il n’aurait raté une telle occasion de prouver sa valeur. Une tempête de sable se serait levée qu’il n’aurait pas déguerpi avant d’avoir réussi à planter ses crocs acérés dans la chair de ces formidables guerriers du sable. Pure curiosité ? Oui, avec l’attente d’une approbation ou d’un compliment de son père. Et au-delà, Ssaadjith le pressentait au fond de lui, éclatait aussi une envie de se rappeler, sous ce plastron poli et noir, sous le déni durci des souffrances physiques, sous l’enveloppe rugueuse de sa confiance et de ses certitudes, derrière le masque assuré et rassurant en bref, la douce caresse du danger sur ses écailles. Après une année à être éduqué et protégé par les deux plus grandes puissances de l’Archipel, Ssaadjith n’avait jamais eu besoin de se battre. Ça ne signifiait pas que l’ancestrale furie draconique qui le peuplait de la crête à la queue ne désirait pas jouer avec la mort.

Ainsi donc, il fit la sourde oreille face aux propos du dragon rouge et remua des flancs avec agacement. Qu’importait les ailes déchirées, les chairs arrachées ou le fait de se rendre vulnérable. Qu’importait aussi l’intelligence preste qui le différenciait de Nephilith, il n’était point bête pour autant ! Juste légèrement moins exceptionnel ! Et puis, ses talents physiques contrebalançaient largement cette petite limite. Son père n’était pas jeune comme lui. Il ne pouvait pas comprendre. Les smilodons, le Fenrisulfr, ses ailes fragiles, sa petite taille, le feu, les chimères. Ces risques-là, le dragonnet d’obsidienne s’en moquait. Mieux encore, il les désirait ardemment. Ils n’étaient que des notes dans une partition dont il était le compositeur, et sa musique toujours émouvait jusqu’à s’enrouler dans l’oreille. Ce n’était pas son manque d’expérience au combat qui le rendrait lâche. Il était Ssaadjith, le Virtuose aérien, l’Inouï et l’Inoubliable !

Et le Virtuose avait déjà un plan.

Son père l’avait-il compris ? Que cela soit vrai ou non, il accepta finalement de le laisser tenter sa chance. Quel dommage qu’il ne soit qu’une ombre parmi son ombre. Ssaadjith aurait vrombi contre la poitrine du dragon rouge s’il s’était tenu là, tant son esprit débordait de bonheur. Il avait à vrai dire déjà omis ses avertissements et le fait qu’il interviendrait dès que la situation s’envenimerait. Il n’y avait aucune raison que cela se passe mal !

Et n’y avait pas de temps à perdre.

Les smilodons se rapprochaient du troupeau. Ils avaient atteint les fourrés à moins d’une demi-lieue de leurs proies et seraient bientôt à portée de chasse. Alors le petit dragonnet se transforma. Au zénith du soleil, passant du versificateur invétéré au prédateur avisé, Ssaadjith se laissa porter par ses instincts primaires et par son prescient museau. Le mouvement de ses pattes devint roublard et sinueux à mesure que lui-même rejoignait la scène qui auparavant se déroulait sous ses yeux. Son corps arbitrait une symbiose de l’aisance serpentine et de l’agilité prudente du loup. Son sang circulait fiévreusement dans ses veines, le brûlait de cette chaleur charnue qui rendait ses bras et ses pattes ruisselant d’exaltation à peine contenue. Ses yeux n’étaient plus que deux émeraudes dirigées vers le troupeau affublé à son végétal, guère au courant du théâtre carnassier dont ils allaient être les acteurs malgré eux. Intacte était demeurée sa voix et presque intacte sa faconde raffinée. Simplement, le lieu et l’affaire ne s’y prêtaient plus et dès lors, l’Obsidien était en toute écaille et pensée articulé vers son épreuve.

Il dévala la pente sans faire un bruit, sans même que le tressautement des joncs ne vienne perturber la surveillance des stymphalis. Il renifla avec envie l’odeur de proie qu’elles dégageaient, observa avec attention leur lenteur tranquille lorsqu’elles agitaient leur cou à la recherche d’un éventuel danger, avant de revenir à leur repas. Oooh, comme c’était tentant ! Comme leur chair devait être succulente avec un brin de flammèche... Le dragonnet d’obsidienne se pourlécha les babines et son ventre gargouilla sous la férule de son appétit incessant. Il poussa un petit grognement sourd. Là n’était pas son objectif, non. Résistez ! Il fallait résister ! Mais c’était si dur… Non ! Résistez !

Au même moment, les smilodons cessèrent tout mouvement. Sans ses sens draconiques, il les aurait perdus de vue. Il eut tout juste l’assurance qu’il se trouvait à l’Est du troupeau, tandis que les smilodons rôdaient à l’Ouest, complètement opposé à lui. Il avait du mal désormais à identifier leur position avec exactitude. Il n’en avait pas besoin. Il lui suffisait de savoir qu’ils étaient proches pour le grand spectacle !

La chasse était une affaire d’ingéniosité, de patience et de planification. Les smilodons l’avaient bien compris et Ssaadjith aussi. Mais son plan impliquait justement de forcer les chasseurs à ne pas respecter ces trois dogmes.

D’un naturel impatient, le dragonnet d’obsidienne décida donc d’accélérer cette traque qui prenait trop de temps au goût de son estomac. Il tendit son long cou et lâcha sur les fougères une langue bouillonnante de flamme. Le tapis brodé d’étincelles se déposa avec nonchalance et l’herbe s’embrasa en se penchant contre le vent. Ce phénomène n’alerta pas immédiatement les stymphalis car, chose étonnante pour Ssaadjith, il avait choisi de s’annoncer en toute discrétion, insidieusement. La fumée noire et la fragrance révélatrice du feu de savane finit néanmoins par faire relever des têtes. Soudain, des fourrés, les stymphalis aperçurent une silhouette sombre qui émergea en rugissant. Ce n’était pas à proprement parler un rugissement de guerrier. A l’échelle d’un dragon, ce rugissement faisait plus penser à un glapissement rauque qu’à une brave clameur. Il se produisit néanmoins un évènement à peine croyable : la terre se mit à trembler. Dans les rafales féroces du vent qui survenaient, le troupeau de stymphalis se mit en branle et décampa en pure torrent dans la direction des smilodons. Ceux-ci, pris au dépourvu, chargèrent dans la mêlée. Le programme était devenu trivial pour eux : Trouver à manger.

Sans attendre, Ssaadjith décapuchonna ses ailes et se jeta dans les airs. Dans un silence bavard de passion. Au milieu de la cohue, sa silhouette sombre n’était rien de plus qu’un élément dans le décor. A la pointe de son instinct, portant crocs et griffes vers une chasse inconnue et supérieure, il traquait la proie extravagante, moins tangible qu’un filament de sable, moins discernable qu’une lueur qui s’avive et pourtant la plus grosse qu’il n’ait jamais pris dans ses filets. Il monta d’essor mais se guinda. Il dériva dans l’aval et très vite aperçut la bête. Le smilodon traçait à une vitesse ahurissante. Il pourchassait le troupeau avec la même intensité que ses congénères. Sa seule faiblesse était qu’une blessure à la patte le forçait à traîner lors de ses sauts à l’arrière, l’éloignant de sa meute. Suivant sa tactique favorite, le dragonnet d’obsidienne se laissa tomber en vol planté jusqu’à la dune, cherchant l’approche directe, puis il fondit sur l’animal dès qu’il se sut repéré. Le smilodon esquiva l’attaque avec une vivacité impressionnante. Déséquilibré par son propre mouvement, le fauve dérapa dans le sable et fit un tonneau duquel il se rattrapa sans ménagement.

Ssaadjith voulut poursuivre son attaque, mais il fut gêné par une bourrasque poussiéreuse au moment où la bête se relevait. Relâché par l’air, il gronda et fila. Sans se concerter avec soi-même, là au-dessus de cette dune, alors qu’au loin un immense troupeau de bête galopait en saccades, il décida que le smilodon ralenti allait vivre ses derniers instants et qu’il allait le tuer. Il se jeta sur l’immense félin et l’enferma dans ses ailes. Ses pattes, aux griffes larges comme des coutelas empoignèrent, charcutèrent, tranchèrent à l’intérieur du pelage dans une furie torrentielle. Mais le smilodon répliqua avec une force surprenante. Ses énormes muscles l’empoignèrent et le jetèrent dans les airs. Le dragonnet d’obsidienne roula et se releva juste avant que le félin ne le charge. Une patte griffue le cueillit au vol. Ssaadjith vit rouge et s’effondra à nouveau, du sang gouttant de l’arête de son museau. Une rage profonde envahit ses poumons et son ventre gargouillant. Il se releva à nouveau, avec plus de peine cette fois. Le smilodon tournait autour de lui en le toisant hargneusement. Ce fut son museau qui épingla rapidement Ssaadjith. Il déchiffra rapidement ce qui l’avait interpellé. C’était la forme aiguisée de ses crocs, visibles en dehors de sa bouche. Ça se jouait également dans le regard perçant et dans l’attitude aigre que charriaient ses traits tirés par un âge avancé. C’était aussi sûrement les cicatrices ; des balafres hideuses qui avaient arraché la moitié gauche de son visage. Ou peut-être était-ce son œil borgne, un disque blanc d’hostilité qui ne masquait aucunement la répugnance pure que cette bête lui vouait.

Ses pensées se lisaient comme dans un livre ouvert. Le dragonnet était responsable de ses déboires et de l’échec de sa chasse. Il allait désormais jeter son dévolu sur lui en faisant de Ssaadjith sa nouvelle proie. Il crut qu’un duel sanglant allait avoir lieu ici même.

La réalité fut que Ssaadjith était particulièrement ennuyé par les combats et par le sens de l’honneur. Tout ceci ne l’amusait plus. Plus du tout.
Il releva le museau, gonfla son poitrail, et cracha un déluge de flammes d’une puissance extraordinaire sur le félin. Le poil du fauve se teinta l’espace d’une seconde d’un magnifique vert absinthe avant de virer au noir charbonneux. Il n’y eut pas même un rugissement de douleur, et le corps s’effondra dans une mare de flamme. Le dragonnet d’obsidienne émit un glapissement de triomphe et exécuta quelques agiles bonds de circonstance :

-Ainsi se pare le met raffiné de ma réussite : Cuite à la flambée de Ssaadjith !

Après tout, ne venait-il pas de vaincre une des bêtes les plus féroces de l’île en un raclement de griffes ? Bien sûr que si ! Voilà donc en vérité un dragonnet fort plein de fatuité qui sautilla près de la dépouille de son adversaire. Il s’adressa ensuite à son père en images mentales :

-Alors Père, comment m’avez-vous trouvé ? Voyez comme je peux bien me débrouiller ! N’était-ce pas d’une intelligence inimaginable que de renvoyer aux bestiaux leur nourriture dans la figure ? Et puis là comment dire, ils se sont jetés sur leur terrain de façon si prévisible qu’ils ont oublié de me juger à ma mesure. Enchérissons cela avec cette combustion de dragonnades chevronnés. A n’en point douter, je puis avec cette preuve devenir au moins le cuistot de nos poilus protégés. Puis-je avancer mon dit ? Cette chasse, je l’ai bien réussie !

Des nappes de feulement résonnèrent tout à coup à son ouïe, suivis de grondement. Le sémillant draconique jeta un œil en contrebas de la dune et fut sidéré de voir sur le sable lisse quelques smilodons remonter la pente en traînant la patte, la gueule humide de bave.

Le dragonnet d’obsidienne avait de quoi être sur les nerfs. Enfin donc, comment, quoi ? Alors qu’il leur avait livré généreusement une large bande de stymphalis, aucun d’entre eux n’avait été capable d’avoir la moindre prise ? Quelle était donc ce ramassis de maladroit ? Evidemment, il avait prévu dans son plan qu’en attrapant un smilodon, les autres réussissent à s’accaparer une proie et oublie l’absence de l’un des leurs durant le festin. Il ne pouvait pas prévoir que ces bigorneaux fassent de son cadeau un piètre échec ! Restait qu’il revenait tous pour venger leur camarade désormais et que si Ssaadjith adorait la mise en scène, il n’aimait point jouer le rôle du martyr. C’est ainsi que dans un effort courageux pour défendre sa pitance, il lança :

-Père, de grâce ! Dans notre garde-manger rôdent des limaces !

descriptionFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith] EmptyRe: Flambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith]

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¤ En chasse II ¤

Ssaadjith désirait chasser et sa proie n’était pas n’importe laquelle. Un smilodon, tel était sa cible. Un roi des cieux désirait défier un roi de la savane. Son fils souhaitait-il épater la galerie, prouver ce dont il était capable afin d’être reconnu comme le grand prédateur qu’il était. Ici, il n’y avait pas d’autre public que Verith lui-même. C’est donc un message que le dragon d’obsidien désirait passer au dragon de l’ire. Il souhaitait l’attention et la reconnaissance du puissant seigneur des cieux qu’il était. Il souhaitait prouver être le digne héritier de son père. Le rouge avait certes énormément d’attente envers le noir, comme envers n’importe lequel de ses enfants, mais Verith ne désirait pas que Ssaadjith soit uniquement un bon chasseur. Il souhaitait qu’il réfléchisse au-delà de la chasse et qu’il prenne en compte le maximum de variable. Se lancer corps et âme dans une action est une belle chose, mais il faut aussi en prévoir les conséquences, les connaitre et de ce fait être prêt à les assumer si celles-ci en valent le coup. Une chasse peut mal tourner, la proie acculée peut se montrer fort dangereuse, encore plus lorsque celle-ci a naturellement les moyens de l’être.

L’enfant de l’orage consentit bien entendu à la demande son fils, mais prit toutefois le temps de le mettre en garde, mais également de s’assurer que celui-ci lui obéirait si jamais les choses devaient mal tourner. Ssaadjith était encore et serait probablement toujours, un petit dragonnet aux yeux de son père. Un être qu’il lui faut protéger. Le rouge comprit cependant bien vite en survolant les pensées sauvages de son fils que celui-ci ne l’écoutait guère. La fougue de la jeunesse le démangeait, une fougue que le colérique ne connaissait que trop et qui l’avait même poussé à quitter sa terre d’origine pour rejoindre celle qui avait vu naître ses ancêtres dans l’espoir d’y retrouver son frère. L’obsidien devrait un jour apprendre à canaliser cette énergie, à ne pas la laisser dominer sa personne et surtout anticiper les conséquences de ses actions pour ensuite se lancer en avant en pleine connaissance de cause et surtout assumer ce qui pourrait se produire.

Le rouge finit par accéder à la requête de son fils. Si celui-ci tenait tant à lui prouver sa valeur, qu’il le fasse, mais Ssaadjith ignorait peut-être que son père n’attendait pas nécessairement qu’il la lui prouve de cette manière. Ou tout du moins que cela ne suffirait pas. Le colosse de flamme serait assurément fier de son fils si celui-ci était en mesure de réaliser cette chasse. Mais par-dessous tout le colérique souhaitait que le noiraud en tire les bonnes leçons. Dès lors, l’enfant de l’orage se fit silencieux, observant depuis les ombres les actions de son fils, se tenant prêt à agir en cas de nécessité.

Ssaadjith se mit en chasse, devenant l’espace d’un instant un prédateur rusé et avisé. Il se faufila au travers des herbes sans faire de bruit, devenant ombre et silence, prenant en filateur des proies bien trop concentrées sur leur propre chasse. Une méthode qui avait fait ses preuves. Retourner la concentration d’une personne contre elle-même pour la rendre vulnérable à ce qu’elle ne voit pas. Verith sentit toutefois la tentation de l’obsidien à l’égard des stymphalis. Profiter du travail d’autres prédateurs et de l’affolement que cela peut produire chez les proies de ces derniers était aussi une bonne méthode de chasse. Un peu moins valeureuse certes, mais tout aussi valable. Mais le rouge savait que la proie de son fils n’était pas les grands oiseaux de la savane. Toujours en silence, il observait ce dernier faire. Il était bien loin des grands félins de la savane à présent. Comment comptait-il s’y prendre ?

C’est alors que sous les yeux du dragon rouge la stratégie du dragon se mit en marche. Son fils tendit le cou et vint cracher une faible gerbe de flammes afin d’enflammer la brousse. Était-ce donc ainsi que s’y prenait son fils ? Soit, pourquoi pas. Il approuvait même s’il considérait cette méthode forte dangereuse en raison de la saison sèche et des potentielles conséquences que cela pourrait avoir sur les graärh, ses protégés. Toutefois, ils étaient loin de tout aussi il n’y avait aucun risque qu’un quelconque incendie puisse atteindre les gens de la légion. La stratégie de son fils n’était pas sans lui rappeler celle du milan noir. Le feu était indissociable des dragons, aussi pourquoi s’en priver ? Le feu est un outil et une arme à leur service, Ssaadjith avait donc raison de l’utiliser ainsi. Verith, lui, n’aurait pas agi ainsi, car il n’était de toute façon pas un brillant cracheur de feu, son fils devait sans doute tirer cela de sa mère.

Très vite, le feu vint s’étendre dans la brousse attirant l’attention des stymphalis. Le rouge finit par comprendre la tactique de son fils. Ssaadjith n’avait pas l’intention de retourner la concentration des smilodons contre eux. Il avait l’intention de ruiner leur plan de chasse afin de les obliger à agir dans la précipitation pour ne pas gâcher leurs efforts, ainsi les amener à baisser leur garde et donc commettre une faute. Une faute que le noiraud pourrait exploiter. Cette stratégie était rusée, sinon fourbe, et le rouge se demandait de qui il pouvait bien la tenir. L’enfant de l’orage n’aurait probablement jamais agi de la sorte. Même s’il n’appréciait pas particulièrement le procédé, il ne se permettrait pas juger son fils.

Bientôt, le plan de Ssaadjith entra dans sa dernière phase. Un rugissement de dragon retentit et les oiseaux géants de la savane y réagirent comme un seul être. La terre se mit à trembler sous le martèlement d’un millier de pattes. Bloqué par le feu et alerté par le rugissement, les stymphalis déguerpirent dans le sens opposé, droit en direction des smilodons. Le plan des grands félins de la savane tomba à l’eau, il leur fallait à présent réagir prestement pour faire en sorte que tous leurs efforts ne partent pas en fumée, qu’ils ne se fassent pas écraser par la course de la proie, mais aussi qu’ils tentent à minima de profiter la soudaine panique chez ces dernières. Nul doute que c’était exactement ce que cherchait Ssaadjith. Et dans cette situation où la vigilance de tous à chacun baisserait, il frapperait.

L’obsidien prit son envol, observant depuis les cieux la scène, cherchant la proie la plus adéquate à laquelle s’attaquer. Très vite il en repéra une, un peu à la traine par rapport aux autres qui poursuivaient le troupeau. Descendant depuis les airs, son fils frappa. Ou du moins il tenta. La bête toujours agile bien que diminuée par une blessure parvint à esquiver. Toutefois, sa course s’arrêta. Les autres membres de la meute, eux, s’éloignant toujours un peu plus en poursuivant le troupeau. La proie de Ssaadjith était désormais isolée, il était à présent temps pour lui de l’achever. Cela ne se ferait toutefois pas sans un petit combat. Verith attendait avec une certaine impatience ce moment. Comment son enfant s’en sortirait-il ?

Ssaadjith se posa au sol. Lui et le smilodon se faisaient face. Le regard du prédateur des cieux et celui du prédateur de la savane se croisèrent. Le dragonnet fut le premier à lancer l’assaut en se jetant sur sa cible. Ceux-ci roulèrent sur le sol, des échanges de coups eurent lieu avant que le noiraud ne soit repoussé par les pattes puissantes du félin. Celui-ci ne traina pas et profita de l’occasion pour asséner un coup à son opposant avant de commencer à lui rôder autour. Ssaadjith avait eu l’avantage au début dû à l’effet de surprise, mais le smilodon avait l’intention de vendre chèrement sa peau. Le combat ne serait pas aisé pour le dragon qui n’avait pas su prendre l’avantage dès le début. Le roi de la savane était dans son milieu, fort des années d’expérience bien plus nombreuses que celles du rejeton de l’ire. Verith observait toujours silencieusement le face à face. Le regard du félin lui plaisait. Comme il aurait aimé être à la place de son fils pour faire face à cette bête et lui offrir le combat que ce dernier souhaitait et méritait. Malheureusement pour le rouge, il n’était pas son fils et ce dernier n’était pas lui non plus. Depuis le début Ssaadjith avait choisi son arme pour la chasse. Celle-ci n’était ni ses crocs ni ces griffes. Celles-ci n’étaient ni ses ailes ni ses cornes. L’arme de son fils était le feu.

Le poitrail de l’obsidien se souleva, sa gueule se chargea de flamme, puis c’est un trait enflammé qui jaillit de celui-ci, venant s’abattre sur son opposant. Le feu est un des atouts des rois des cieux, une arme terrible. Il ne fallut qu’un instant pour que le fier smilodon ne s’effondre au sol. Verith soupira intérieurement en sentant la vie s’échapper de la bête. La chasse était terminée et même si le rouge aurait préféré qu’elle soit menée différemment, son fils l’avait tout de même mené à bien. Il avait réussi et avait prouvé, à sa manière, sa valeur à son père. Maintenant, c’était au rouge de l’accepter et c’est ce qu’il ferait.

« Alors Père, comment m’avez-vous trouvé ? Voyez comme je peux bien me débrouiller ! N’était-ce pas d’une intelligence inimaginable que de renvoyer aux bestiaux leur nourriture dans la figure ? Et puis là comment dire, ils se sont jetés sur leur terrain de façon si prévisible qu’ils ont oublié de me juger à ma mesure. Enchérissons cela avec cette combustion de dragonnades chevronnés. A n’en point douter, je puis avec cette preuve devenir au moins le cuistot de nos poilus protégés. Puis-je avancer mon dit ? Cette chasse, je l’ai bien réussie ! »

Verith dirigea son esprit vers celui de son fils et le gratifia d’une caresse mentale.

« Ssaadjith, mon fils. Tu t’es montré astucieux et je suis fier de toi. Tu as réussi. Cependant, ne laisse pas cette réussite t’enorgueillir de trop. Cela risquerait de te faire baisser ta garde à l’avenir. »

Toutefois, si la chasse était terminée il fallait à présent en gérer les conséquences. Le rouge avait pu sentir les membres de la meute revenir sur leur pas, allant à la recherche de celui des leurs rester en arrière. Des smilodons arrivèrent non loin de son fils, des feulements de colères sifflant à travers la brousse. Bien qu’animaux ils soient, ils comprenaient en voyant le dragonnet et le félin mort à ses pattes que ce qui venait de se produire était de son fait. L’échec de leur chasse, la mort d’un des leurs. Assurément leurs cœurs étaient remplis d’amertume.

« Père, de grâce ! Dans notre garde-manger rôdent des limaces ! »

L’ombre du dragon rouge vint s’étendre derrière Ssaadjith et l’enfant de l’orage en surgit avec fracas. Les smilodons s’immobilisèrent tous sans la moindre exception. Leur queue se dressa, leurs oreilles se plaquèrent en arrière et leur pelage sa hérissa. Verith posa une patte au sol, puis une deuxième, venant faire trembler la terre. Puis enfin, son regard vint se poser sur la meute face à lui. Tour à tour, il croisa le regard de ceux-ci. Dans sa prunelle luisait une puissante détermination, ainsi qu’un message à l’adresse de ceux qui y regardaient. En ce jour, la meute de smilodons avait perdu. Un roi des cieux avait prouvé sa supériorité sur un roi de la savane. Les règles de la chasse avaient été respectées. À présent, ils étaient temps pour eux de partir et d’apprendre de cette journée, ou de s’entêter et de trouver la mort. Les smilodons se regardèrent un instant puis le plus fort d’entre eux grogna à l’encontre des autres et tourna les talons. Très vite, les autres firent de même, le suivant, et la meute disparut au loin.

L’incident clos, l’esprit et le regard de Verith se reportèrent sur Ssaadjith.

« Tu m’as prouvé aujourd’hui que tu étais un grand chasseur, Ssaadjith. Cependant, tu resteras toujours mon fils. Ce petit dragonnet que je me dois de protéger. »

L’enfant de l’orage commença à lever l’une de ses pattes en direction de son museau.

« Je te laisserais rapporter le fruit de ta chasse à Vat’Aa’Ruda si tu souhaites en tirer une quelconque gloire auprès des enfants de l’ile d’été. »

Le rouge glissa une griffe sous son œil avant de l’approcher en direction du sol, en direction de l’obsidien, une lueur brillant au bout de cette dernière.

« Continue de me prouver ta valeur, mon fils. Et je serais toujours fier de toi. »



Amulette Transcendantale
[Consommable utilisation unique]

Amulette en a l’apparence sphérique, striée d’arabesque et faite dans un métal inconnu aux reflets dorés. En y regardant de plus près il serait possible faire un parallèle avec une cage, car sa surface n’est pas pleine et les arabesques semblent faire office de barreaux. A l’intérieur de cette sphère se trouve une énergie au ton bleuté, ressemblant tantôt à des éclairs, tantôt à un brouillard opaque, tantôt à des filins, léchant les arabesques et semblant tenter d’en sortir sans pour autant y parvenir. Cette lumière mystique semble toutefois vacillante, faible, fragile, comme si le moindre coup de vent risquait de l’étendre. Pour autant, elle captive le regard et l’esprit faisant tant naitre peur qu’allégresse.

Cette amulette fut créée par Verith à l’aide du glyphe « Transcendé le mortel » de L’éther, essence astral. Elle permet d’user du glyphe « Ascension » sans la présence du porteur L’éther, essence astral, et sans sa volonté. Toutefois, l’amulette se brise après son utilisation. L’objet ne peut être glyphé.  

Glyphe : Ascension :

Les actes que l’on accomplit laissent une trace à travers le monde, l’histoire et les esprits, plus ou moins retentissante non seulement en fonction de ce qui a été accomplit que du nombre d’âmes en ayant connaissance. La trace ainsi laissée fait la renommée d’un individu, une célébrité de laquelle découle une énergie, plus ou moins importante suivant l’envergure de cette notoriété, tirée du nombre d’âme en ayant connaissance. Le tout étant parfaitement indifférent aux ressentis éprouvés, car ceux-ci viennent en eux-mêmes alimenter cette renommée.

Le porteur est capable de tirer un pouvoir unique en rapport avec un de ses titres. La puissance de ce pouvoir variant selon la célébrité dudit titre.

Cet effet peut aussi être utilisé sur le titre d’un objet et augmenter ainsi la puissance de ses glyphes/améliorations.

L’Amulette Transcendantale se brise après son utilisation

descriptionFlambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith] EmptyRe: Flambez, flambez, tant que le jeu en vaut la chandelle ! [PV Verith]

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Comme de tout temps et bien encore auparavant, les choses ne se passèrent pas comme Ssaadjith l’avait prévu. Il avait réussi à jeter le troupeau de Stymphalis vers des horizons inconnus, par la prouesse de feu-son-Feu. Cela avait été un outil utile pour la réussite de son ouvrage, mais à la révision de cette petite impatience, le dragonnet d’obsidienne songea que ce subterfuge, bien que spectaculaire, aurait bien mal fonctionné face à des entités un peu plus notoirement connues pour leur intelligence : des vampires ou même des humains avec un sang-froid d’alguazils auraient eu tôt fait de repérer la mise en bouche et de l’avaler tout cru derrière. Le feu avait ses limites. Il lui faudrait réfléchir à une autre façon de diriger les foules.

Puis, il y avait eu ce duel avec le smilodon, court et facile à la fois. Cependant, il avait reçu quelques blessures et cette simple idée lui déplut. Il était un dragon, un mâle qui plus est, rompu aux défis de première patte et à la violence insidieuse. Ssaadjith devait rester parfait en tout temps et instant, et ses ennemis n’auraient pas dû être un fardeau pour sa superbe. Encore une fois, le feu l’avait sauvé, tout allait bien ! Mais contre un petit bonhomme bien cuirassé, que se passerait-il ?
Bien mal à n’en point douter !

Un rugissement le rappela à sa troisième faute. Se laisser croire que des félins réputés les plus féroces de tout l’archipel puisse satisfaire ses desseins. Hélas, il était à conter que les smilodons ne trouvèrent pas trace de proie malgré le cadeau envoyé généreusement par Ssaadjith. Bien sûr demeuraient noués ces écharpes multiples, les échecs…

Alors les prédateurs avaient décidé de jeter leur dévolu sur lui, et maintenant, ce qui devait être le plus puissant dragon de cette terre se retrouvait encerclé par une ribambelle de fouineurs aux muscles noueux et à l’appétit vorace.

Trois fautes en un seul évènement. Paraissait-il étrange que celles-ci soient apparues ? Ou, perspective encore plus improbable, se pouvait-il que le dragonnet d’obsidienne ait décidé de se remettre en question ? C’était ça de passer du temps avec son père ! A son côté, Ssaadjith était en train d’apprendre, de lui et de toutes ses qualités bonnes à prendre. Soudain, le dragonnet d’obsidienne s’assagissait. Il s’assagissait face à l’adversité. Il s’assagissait face à lui-même. A sa façon, il cherchait le nouveau Ssaadjith. Celui qui le dépasserait d’une lieue ou deux. Il s’offrait surtout le luxe d’une dernière chasse face à la bonne volonté de son père : une chasse de ses erreurs, de celles qu’il voulait bien admettre et, plus que tout, qu’il ne voulait plus devoir à quiconque.  Il découvrit une merveille ingénieuse de son esprit - celle que donnait la conscience de n’être plus qu’un morceau de viande dans un mortel festin. Il était à nouveau prêt à apprendre.

La mort le toisait de son œil fauve et Ssaadjith la contemplait, débordant de passion. Il n’avait aucune crainte.

Car qu’est-ce qu’était la mort lorsqu’un immense dragon rouge de son ombre vous serrait bien contre lui ?

Lorsque Père apparut face aux smilodons, Ssaadjith fut émerveillé de voir les félins reculer par sa simple présence. Pas de flammes déchaînées, pas une seule griffe foudroyante pour faire un exemple. La meute comprit en l’espace d’une seconde que leur grief les conduirait à la mort. Ils rebroussèrent chemin sans demander leur reste, sans même prendre la dépouille de leur comparse mort pour repas. Le dragonnet d’obsidienne laissa entrevoir des sillons, ces sillons nouveaux et enfantins qui se creusaient et au fil du temps recueillaient bien malgré lui les larmes d’admiration :

-Père, comme vous êtes le feu ! s’embrasa-t-il. Comme vous vous dressez, brave et hargneux. Je deviendrai bientôt un dragon tel que vous. J’agiterai l’aile et l’on se pliera face au voile de mon joug.

Il parlait avec la fougue de la jeunesse mais il n’était pas si sûr de pouvoir devenir un grand guerrier. Pour le rugir honnêtement, cette idée l’ennuyait car il n’aimait guère se battre. Il n’était certes pas très aguerri. Il ne détenait pas non plus la force colossale des plus puissants êtres de son espèce. Et il fallait admettre que sans son feu, chose abominablement commune entre tous les dragons, il s’en serait sorti bien piètrement face à un prédateur comme le smilodon. Mais la brutalité n’était pas le seul procédé pour réussir à vaincre, n’était pas le seul moyen de devenir Inoubliable. Le grand dragon rouge venait de lui en faire la démonstration. Le dragonnet d’obsidienne avait d’autres atouts dans le creux de son écaille.

Depuis bien des années, il avait découvert que les mots étaient un pouvoir. Ils pouvaient soigner les plus abominables des blessures et aussi frapper plus durement qu’une morsure. En outre, il avait compris quelque chose ici, au détriment de la vie des félins. Dans cette splendide scène de chasse, il n’avait pas été l’invincible dragon vengeur qui faisait étalage de son pouvoir. Il avait été un chasseur, une fine silhouette traçant sa route dans le furtif mouvement et qui à la fin l’avait tout de même emporté. Ce qu’il en retint, ce fut la possibilité incroyable que trop se montrer ne desservait pas toujours ses intentions, et qu’il fallait choisir ses entrées et ses sorties pour avoir ce que l’on désirait.

Ainsi, ce serait sa parole et sa ruse qui deviendraient ses armes. Au lieu de se battre, il inspirerait la terreur ou manipulerait autrui de façon à ce que d’autres se battent pour lui. Il jetterait l’opprobre de ses mots et accuserait d’autres de ses propres méfaits. Il tromperait son monde, instillerait le doute, munirait le sentier menant jusqu’à sa personne de multiples pièges redoutables et soigneusement orchestrés. Gare au miroir aux alouettes ! Alors seulement, au moment le plus opportun, lorsque le coup de théâtre pointerait le bout de son museau, alors il apparaîtrait. Pas sous la forme d’une ombre ou par de faux-semblants, comme le faisait son père, mais d’un éclat de grandeur étincelant. Comme une étoile qui brille sur le reflet liquide d’un lac. Ceci serait son pouvoir. Et sa force. Il n’appartenait qu’à lui de le développer et d’en faire un instrument mortel.

Mais pour l’heure, la chasse était terminée. En écoutant son père, le dragonnet d’obsidienne se para de plumes de paon et émit des grondements de douceur.

Ssaadjith.

Lui-même.

Un grand chasseur.

Comment, par les chimères, ne pas s’enorgueillir de trop lorsque de tels compliments cajolaient le pelage bouffi de son orgueil ? Y avait-il seulement un espoir qu’une créature tel que lui demeure stoïque face à tant de louanges ? Bien sûr que non ! Alors le petit dragonnet d’obsidienne exécuta quelques foulées triomphales dans les airs, battit des ailes et vola autour de la masse gigantesque que constituait le corps de son père. Il se posa ensuite face au cadavre fumant du smilodon et se l’accapara d’une patte. Oui ! Père avait raison, encore une fois. Il irait remplir son estomac avec un stymphalis, ce serait mieux !

Pourquoi se nourrir de cette dépouille quand il pouvait l’apporter toute entière comme preuve de sa victoire ? Un petit morceau en moins passerait sûrement moins bien auprès des chatons ! Il décida qu’il ferait ainsi. En arrivant avec une telle proie dans les pattes, les Graärh verraient en lui un symbole de force et d’autorité. En outre, ils seraient persuadés que le dragonnet d’obsidienne respectait leurs traditions et mieux encore, les accomplissait avec dévotion. Cela lui attirerait leur sympathie. En pensant à cette petite peuplade de chatons, Ssaadjith s’interrogea alors : Les Graärh et leurs esprits-liés possédaient bien des pouvoirs, souvent mystérieux, pas toujours bien directs, parfois même plutôt sournois ! Qui sait, peut-être avaient-ils quelque secret à lui offrir… ? Après tout, ils en étaient les érudits les plus attentifs. Ils sauraient à n’en point douter se montrer utiles pour lui apprendre les quelques ficelles de leur talent.

Parfait ! Ssaadjith avait une quête, des choses à accomplir et il en fut heureux. Il ne désirait plus se prélasser au soleil des heures durant pour le bénéfice de son échine. La procrastination était un mal dangereux dont il lui fallait se débarrasser au plus vite, car il survenait maintes fois ces derniers temps. C’était bien normal quand on se trouvait sur une île aussi désertique et ennuyeuse. A ce titre, le dragonnet se rappela soudain d’un minuscule-insignifiant-petit détail : la corvée qui lui incombait chez les Graärh lui était quasiment sorti de la tête. Il espérait que ce fut également le cas pour le dragon rouge. Ce dernier tendit soudain sa griffe sous son œil puis vers lui. Le dragonnet en oublia aussitôt ses inquiétudes. Sur cette griffe resplendissait une étoile de chatoyante lueur bleutée. Elle luisit plus fort à mesure qu’elle approchait, glissa de la griffe pour tomber au sol. Ssaadjith s’élança avec vivacité et l’attrapa au vol dans ses crocs avant de la triturer de ses pattes. C’était une amulette et plus encore : c’était un cadeau de son père.

« Continue de me prouver ta valeur, mon fils. Et je serais toujours fier de toi. »

Le dragonnet d’obsidienne releva le coin de ses lippes draconiques et sourit. Incroyable comme ce genre de mot avait le don de le brosser dans le sens de l’écaille. Toute cette histoire avait pourtant si maladroitement démarré ; dans un wigwam en flammes alors que Ssaadjith tentait déjà d’attirer son attention. A entendre ses premiers propos à son sujet, il n’aurait pas cru possible de pouvoir entendre ceux-là également. Ssaadjith se fit la réflexion que le peu d’affection qu’il permettait à son cœur de transmettre, il le vouait avant tout à sa famille. Et à son père. Il l’admirait sans nul doute aucun. Le dragon rouge était de ces forces qui pouvaient soulever des montagnes et faire grandir le soi intérieur de n’importe quelle créature foulant l’archipel. Il était l’Ire de la Colère, ne se brisait ni ne s’inclinait. Il vainquait, tout simplement. Il était le maître du ciel.
Il y avait de quoi être fier d’être son fils.

-Merci père, de ces mots je ressors grandi, fit-il avec déférence. Je saurai vous prouvez ma valeur à n’importe quel prix. Au plus profond de la nuit, j’irai et décrocherai les étoiles. Un jour, vous regarderez avec fierté l’éclat de mes écailles.

Dans un grand geste théâtrale, Ssaadjith traça un sillon dans le sable à l’aide de ses griffes. Puis il poussa un long rugissement, aigue et encore bien léger certes, mais qui signa de son empreinte le serment qu’il venait de jurer. Et la parole d’un dragon n’était jamais, Ô grand jamais donnée à la légère !

N’est-ce pas ?

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