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descriptionUn songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech) EmptyUn songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech)

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9 mai 1764


Kaiikathal émergea du sommeil de façon très agréable, par paliers imperceptibles, tandis que le monde extérieur s’infiltrait graduellement dans sa conscience. À la dernière étape du processus, elle finit par ouvrir les yeux et vit un soleil éclatant percer l’univers.

Elle dressa la tête dans ces premiers instants juste à l’aube, alors que le monde dormait encore, et regarda la ligne d’horizon se préciser à l’endroit où elle touchait le ciel. Elle lui paraissait très éloignée. Elle avait laissé l’océan derrière elle durant son vol la veille au soir, et rien ne dissimulait plus le bord du monde sinon quelques arbustes évoquant des balais plantés la tête en haut, ainsi que des collines basses. L’aube grise s’attarda un moment, éclairant le sol, soulignant les touffes d’herbe pâle et les buissons plus foncés qui se détachaient sur la terre sombre.

Puis, progressivement, le bleu se répandit à travers le ciel immense en avant du soleil, et la couleur réapparut - mais une couleur étrange et terrible. La terre sablonneuse qui les entourait était aussi rouge que la partie visible d’une côte cassée, à croire qu’on l’avait peinte avec un pinceau. Les herbes étaient jaunes comme le foin, jusqu’au dernier brin : au-delà des canyons, dans les quelques nappes rouges et ocres qui ponctuaient le sol, on n’apercevait pas la moindre touche de vert.

Il n’y avait pas un nuage dans le ciel, pas une goutte d’eau en vue, et pas le moindre souffle de vie alentour. C’était la région la plus déconcertante que Kaiikathal eût jamais vue : même certaines régions de Nyn-Tiamat, aussi désertiques et froides soient-elles, ne dégageaient pas une pareille sensation d’étrangeté - on trouvait au moins des épicéas et de l’herbe digne de ce nom ; quand il n’y avait pas d’eau, rien n’y poussait et l’aspect de son sol n’avait rien de plus curieux que de la roche, de la neige et quelques arbustes desséchés.

Kaiikathal marmonna pour elle-même. C’était des sermons à son encontre, ce qui était exceptionnel pour sa personne.
C’était un instinct qui l’avait conduite ici, ou plutôt une intuition, un message invisible réceptionné au plus profond de son âme et qui avait fait chemin jusque dans sa tête pour y germer comme une idée sortie de nulle part. Elle avait donc quitté le nid-flottant pour s’aventurer dans ce milieu hostile, mais l’entreprise s’avérait ardue et déjà, elle voulait faire demi-tour et troquer son escapade insensée contre sa paillasse au soleil, celle où elle faisait ses meilleures siestes.

Mais un sentiment de futilité l’habitait depuis qu’elle était arrivée ici, qu’elle repoussa péniblement : elle se dit qu’elle devrait s’estimer heureuse d’avoir quelque chose à faire, même si elle ne savait pas par où commencer.

Du sommet de son perchoir, elle avisa le dédale rocheux qui s’étirait sous ses yeux, immobile, stoïque. Ceci, elle le savait très bien, n’était que la partie exhumée de ce labyrinthe, dont les galeries obscures s’enfonçaient dans l’intimité de la terre. Oh, elle avait suffisamment entendu parler des Karapt pour se tenir raisonnablement éloignée du fond du canyon, qui était de toute façon trop étroit pour qu’elle puisse y loger les deux épaules.

Elle déploya les ailes et l’air vint gonfler les deux membranes qui la firent décoller. Elle repéra l'ancien camp pirate, leva les yeux sur l’horizon pour analyser sa position par rapport à celle du soleil levant et décida intuitivement d’une trajectoire à suivre. Que le vent la porte, elle irait là où il la conduirait.

Dans cette région-ci, le canyon se courbait et se recourbait en des centaines de crevasses et parois qui épousaient la forme ondoyante d’un serpent géant. Du côté qui marquait la grande frontière avec les grandes plaines de Néthéril, les monts opposaient au souffle brûlant de la savane une façade abrupte et noble érigée en arc de cercle. Elle suivit donc un chemin aérien qui faisait parallèle à cette même falaise, en faisant cap sur le sud.

Plus d’une demi-heure qu’elle parcourait les canyons et une excitation fébrile la fit frissonner en dépit des rayons mordants du soleil sur sa nuque. Elle avait aperçu un pic rocheux plus haut que les autres sur lequel se poser : lorsqu’elle l’eut atteint, elle s’y percha à la manière d’un lézard et contempla l’enchevêtrement de galeries en contrebas : c’était très élevé, assez pour qu’elle se blesse si elle se laissait tomber.

“Qui se jetterait du haut de cette falaise comprendrait que le monde est amarré en contrebas” déclara-t-elle avec philosophie, avec pour tout auditoire sa propre suffisance et se demandant d’où lui venaient de telles paroles, et pourquoi elle les avait énoncées tout haut.

Était-ce un rêve, une pensée intime, un message mental ? Cette motivation infondée la frustrait autant que la raison du pourquoi elle l’avait réceptionnée. Elle aurait juré qu’il ne s’agissait pas de son imagination, elle qui était bien trop pragmatique pour imaginer plus que des rhinocéros laineux en bas frangés de laine rose. Était-elle la seule a avoir perçu cette intuition ?

descriptionUn songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech) EmptyRe: Un songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech)

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De loin, la montagne semblait se mouvoir lentement. Comme au rythme d'une respiration régulière. Une montagne qui, dans l'obscurité, paressait surmontée de piques abruptes aux bords irréguliers. Mais, dans la lueur du jour nouveau, ces crêtes se révélaient être d'immenses cristaux turquoise. Ils reflétaient, renvoyaient, la lumière du jour à mesure que le soleil s'élevait dans le ciel, baignant le monde en contrebas de magnifiques couleurs flamboyantes.

La nature s'éveillait au même titre que l'immense dracène. Doucement, sans presse. Les chants des oiseaux lui parvinrent, tout comme le froissement de l'herbe humide sous les pattes de la faune locale. Une paupière écailleuse s'ouvrit pour révéler une orbe turquoise, saisissante de vivacité. Keetech, la tête reposant encore sous ses pattes étendues, darda un oeil curieux sur les alentours.

Dans peu de temps, les chasseurs bipèdes allaient se mettre en route. Les villages allaient reprendre vie. C'était un balai incessant que Quartzécailles aimait observer. Elle apprenait en observatrice silencieuse.

Mais, même Keetech ne pouvait se soustraire à ses besoins fondamentaux. Son estomac, même s'il ne criait pas famine, avait besoin d'être rempli. Et, même si l'île regorgeait de vie par endroit, la dracène préférait chasser en mer. Les proies étaient plus grosses et, surtout, plus savoureuse. La viande de baleine, pour ne citer qu'elle, ravissait le palais de la maîtresse de l'orage lorsque celle-ci parvenait à en tuer une. Parfois, en plongeant profondément sous la surface, d'ailleurs. Une discipline où sa famille, Nynsith, était bien meilleure.

La montagne se redressa lentement et s'étira longuement. Ses ailes immenses, déployées, firent courir leurs ombres sur des centaines de mètres alentours. Sa gueule s'ouvrît pour laisser passer un long bâillement, les crocs immaculés brillants comme des lames d'épée sous la lueur du jour. Enfin, Keetech était prête à s'envoler.

Les arbres se plièrent sous la force de ses ailes tandis qu'elle quittait la terre ferme. Son empreinte, témoin de son passage et de sa nuit ici, servirait sans doute de terrain de jeu pour de jeune Graärh. Portée pas le vent matinal, Keetech fit lentement route vers le sud-est. La mer, nommée par les bipèdes "Reshanta", regorgeait de vie. Les créatures qui y vivaient été une grande curiosité pour la dracène, qui découvrait encore l'étendue du bestiaire de Tiamaranta.

À sa gauche, Keetech aperçue les chemins serpentiforme que formait les canyons de Néthéril. Des fosses profondes qu'elle ne pouvait qu'explorer par la pensée. Elle en connaissait donc peu, comparativement au reste de l'île qu'elle avait plusieurs fois traversée. Et ce matin, poussé par son instinct, la dracène dévia sa trajectoire et plongea lentement vers la surface du monde, disparaissant ça et là derrière quelques rares nuages. Encore que, petits comme ils étaient, ils ne pouvaient dissimuler entièrement sa silhouette longiligne.

C'est à ce moment que la conscience de la dragonne en effleura une autre. Plus petite. Plus jeune. Cette fois-ci, sa curiosité était piquée au vif. Keetech replia légèrement ses ailes et sa chute se fit plus rapide, le vent glissant contre ses écailles et le long de ses cornes sans jamais parvenir à la ralentir.

« Et ce monde ressemble à la mer. Celui qui ne sait pas nager va au fond et se noie. » Répondit la dracène en survolant, enfin, l'endroit où s'était perchée sa semblable.

Une jeune dragonne dont les écailles avaient une couleur semblable au fond des océans. Sombres, pas tout à fait noir, mais d'un bleu profond. La crête, à l'arrière de sa tête et qui serpentait le long de sa colonne vertébrale était d'un éclat doré saisissant. Elle rappelait à Keetech le turquoise du quartz qui avait poussé sur son propre corps, formant des épines dorsales unique en leur genre.

La maîtresse des tempêtes fit demi-tour et se posa aussi délicatement que sa taille le lui permettait, soufflant sous ses ailes la terre et la maigre végétation alentour. Face à elle, sur son promontoire, la jeune dragonne n'était pas plus grosse que l'une de ses griffes. Et encore. En revanche, ainsi perchée, elle était à hauteur de son regard aigue-marine.

« Je te salue, jeune dragonne. Je suis Keetech, fille des tempêtes. »

Doucement, la mère étendit sa conscience jusqu'à celle, moins sauvage, de la dragonne liée. Car il ne pouvait s'agir que de cela. Les dragons libres, la dracène les connaissaient tous. Mais si Keetech était opposé au lien, elle était tout de même plus pondérée que son compagnon. Elle offrait donc une salutation douce et sincère à cette très jeune créature.

descriptionUn songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech) EmptyRe: Un songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech)

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“Je te salue, jeune dragonne. Je suis Keetech, fille des tempêtes.”

Kaiikathal bomba le torse. Formidable créature que cette gigantesque montagne de quartz, qu’elle dévisagea grassement de la tête aux pattes. La phénoménale diversité physionomique des dragons la rendait particulièrement fière de son espèce, Keetech fille des tempêtes n’y faisait clairement pas exception, et elle non plus.

“Eh bien moi, je suis Kaiikathal, et les tempêtes, je leur marche dessus, car c'est bien ainsi que l'on me nomme : la Marche-Tempête. Ou bien, c’est moi-même qui m’en suis attribuée la dénomination. Je ne me rappelle plus. De toute façon ce n’est pas important : ne t’inquiète pas, je suis encore trop petite pour que cela arrive... Nathaniel me dit que cela prendra des années avant que je n’atteigne la taille d’une montagne, et qu’il me faudra la force d’un ouragan pour écraser les tempêtes. Ce dont j’ai hâte.”

La réponse de Kaiikathal était sincère et dénuée d’animosité. Elle qui n’avait rien connu de ses parents de plus qu’une fugace présence maternelle, elle laissa la grande dragonne entrer en elle et goûta aussi bien à sa conscience que la sienne ne le fut. Elle se laissa accueillir, glapit de joie en rejoignant les pattes de son aînée pour se confronter à de puissantes griffes, fines et élégamment recourbées sur une prise ferme.

Kaiikathal dû se décrocher la nuque pour la regarder droit dans les yeux. Elle avisa, non sans envie, les gemmes précieuses qui ornaient la dragonne et surmontaient les arcades de ses yeux. “Tu es de toute beauté !” déclara-t-elle tout en s’imaginant arborer les mêmes incrustations sur son propre crâne, elle que le monde n’avait gratifiée que d’une simple crête solaire qui faisait tout de même sa fierté. Seulement, Kaiikathal avait un sentiment de déjà-vu. Une réminiscence s’insinua dans son esprit, alluma une étincelle qui fit jaillir quelques souvenirs de la mémoire de la Marche-Tempête, des souvenirs qui lui appartenaient autant à elle qu’à un autre. Tout s’illumina.

“Tu es Quartzécaille, n’est-ce pas ? La Mère de Nephilith, le beau doré aux yeux de saphirs, et de Ssaadjith le noir aux yeux d’émeraude, que je n’ai jamais rencontré. Mais j’ai bien vu ton premier fils, oui, et nous avons pérégriné ensemble à la recherche de son frère. C’était il y a quelques mois, mais ma mémoire me fait défaut, et je ne saurais dire quand exactement. Il faut dire que je ne porte pas les calendriers dans mon cœur.”

Elle minauda, trop heureuse d’être en compagnie d’un nouveau congénère pour masquer sa joie et ses tendances à se pavaner devant tout être semblable. En fin de compte, sa virée improvisée avait, en l’espace de quelques secondes, pris une tournure excellente !

“C’est un plaisir de faire ta connaissance, en tout cas. Mais il me semble que ta demeure se situe dans la savane, auprès de la légion Vat’Aan’Ruda. Me trouverai-je sur ton territoire, où est-ce, comme moi, ce pressentiment qui t’a conduit jusqu’ici ? Je m’explique. Hier, j’ai fait un rêve. Et au réveil, je ne m’en suis pas souvenue !” s’exclama-t-elle en levant une patte minuscule d’un geste théâtral. “Mais !” et elle l’abattit aussitôt sur le roc, creusant d'infimes sillons crémeux dans la pierre rouge “J’ai eu une sensation. Un instinct. Une intuition, vois-tu. Et puis, je me suis sou-ve-nue ! Je te montre.”

La dragonne ferma les yeux, inspira, expira - soupira également, du fait de la chaleur - inspira encore, faisant mijoter sa consœur et, dans le même temps, mettant à l’épreuve sa patience.
Puis elle s’ouvrit lentement à Keetech et lui transmit son souvenir, son Rêve.

Il y avait un dragon blanc. À première vue, il semblait excessivement grand, mais lorsque l’on y regardait de plus près, il s’avérait épouvantablement squelettique. Il n’avait que les écailles sur les os, et à peine suffisamment de muscles pour se mouvoir à travers les airs qu’il fendait néanmoins de ses traits émaciés. La créature, au moins aussi haute que Keetech, avait perdu tout de sa majesté, une vision d’horreur qui glaçait le sang de la Marche-Tempête. En dépit des maigres forces qui se consumaient en lui, le dragon volait à tire-d’aile, une allure remarquable pour son état lamentable. Il semblait animé par quelque chose d’invisible, un motif bien à lui que Kaiikathal n’était pas capable de déterminer. Elle ressentait en tout et pour tout uniquement sa peur, une peur inhabituelle pour un dragon de ce gabarit que même les tornades ou les éruptions les plus acariâtres n’auraient su mettre en déroute. Il survolait les forêts, les mers, et enfin le désert à la recherche de quelque chose et au moment où il semblait plonger dans un canyon…

Le songe noircit, Kaiikathal se sentit aspirée vers l’arrière et se secoua pour chasser cette affreuse image de sa tête. Elle cligna des yeux, comme si son réveil précédent n’avait été qu’imaginaire et qu’elle venait juste de s’éveiller là, tout de suite, entre les pattes protectrices de Keetech.

“C’est ainsi que je me suis retrouvée ici” balbutia-t-elle, encore troublée par le réalisme de ce songe pourtant si lointain.

descriptionUn songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech) EmptyRe: Un songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech)

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En voilà une belle dragonne songea Keetech. Une dragonne au caractère d'acier. Effrontée, même. Mais Quartzécaille était de bonne humeur et ne souhaitait pas réprimer la fougue de la jeunesse. Quand bien même Kaiikathal annoncé marcher sur les tempêtes, il en fallait davantage à la dracène pour en prendre ombrage. De plus, la mère pouvait le sentir, la jeune créature ne pensait pas à mal.

Et puis, il y avait ce nom. Nathaniel, un nom bipède. Son lié, sans doute possible. Un nom qui n'était pas inconnu à la dracène, puisque son mâle avait eu des déboires avec cet homme. Ce pirate. Ainsi, la petite dragonne en était une également. L'instinct de Keetech lui murmurait que Kaiikathal allait tout avoir d'une bonne pirate en grandissant, il n'y avait qu'à l'écouter parler. Elle avait déjà un certain talent oratoire qui n'était pas sans rappeler à la fille de l'orage son propre fils,  Ssaadjith.

La grande dragonne courba légèrement le cou pour pouvoir observer Kaiikathal. Elle était si petite. Si menue. À côté de sa griffe, elle paraissait être une fourmi.

“Tu es de toute beauté !”

Criant de sincérité, le compliment fit bomber le torse à Keetech. La dracène n'était pas dépourvue de fierté et chaque compliment coulait sur elle comme d'agréable rayons de soleil. Il était bon, de temps en temps, de se faire flatter l'égo.

« C'est exact, petit rayon de soleil. » répondit Quartzécaille d'une voix profonde, se baissant un peu plus pour que son museau soit face à Kaiikathal. Pour pouvoir la regarder dans les yeux sans que la petite n'ait besoin de se casser le cou. « Ainsi, tu as rencontré mon premier fils... Ta verve me rappelle celle du second. Je crois que, lorsque tu le rencontreras, tu sauras trouver en lui un adversaire à ta taille. En matière de joutes verbales, du moins. »

Quoi que. Pas seulement, songea Keetech en observant Kaiikathal, avec sa crête solaire, se pavaner devant elle. Il était vrai qu'elle était très belle. Le contraste entre les écailles de son corps et cette crête était saisissant. Impossible de la manquer. Côtoyer Ssaadjith allait être sportif. Et amusant d'un œil extérieur.

« Cette île est minuscule en comparaison du continent sauvage, » répondit Keetech. « On en fait vite le tour lorsqu'on a des ailes aussi grandes que les miennes. Mais lorsque je t'ai sentie, je n'ai pas résisté au désir de te rencontrer. »

Ce n'était donc pas le fruit du hasard, ni un pressentiment qui avait conduit l'imposante dragonne jusqu'ici, mais bel et bien la curiosité face à la jeune âme de Kaiikathal. Les dragons étaient si peu nombreux au sein de l'archipel - par rapport à ce que Keetech avait connu autrefois - qu'il lui était impensable de ne pas prendre le temps de venir rencontrer un congénère.

« Je t'en prie, vas y. »

Face à tant de bonne humeur, impossible de résister. Keetech se laissa faire. Elle accepta en elle la conscience de la petite dragonne, ouvrant son esprit aux images qu'elle voulait tant lui montrer. Des images qui tardèrent, mais la patience de la mère des nuées était à toute épreuve. Il le fallait pour s'occuper de garnements comme Nephilith et Ssaadjith. Ou pour vivre avec le dragon de l'ire. Elle n'était donc pas encore née, cette personne capable d'arriver au bout de la patience de Keetech.

S'ouvrant donc au songe, Quartzécaille observa. De mémoire, elle avait rarement vu un dragon dans un état aussi pitoyable. Les dragons ne se laissaient pas aller ainsi, sauf dans des circonstances extrêmes. Celui-ci semblait avoir été enfermé pendant des siècles, enchaîné sans avoir de quoi se nourrir. Il était effrayant et si Keetech avait dû croiser sa route dans la réalité, probablement aurait-elle glapi d'effroi. Mais ce n'était qu'un songe. Un rêve de dragonnet. Du moins, il semblait.

Revenant à la réalité, Keetech rouvrit les yeux et posa ses orbes turquoises sur la Marche-Tempête. Celle-ci était ébranlée par son rêve criant de réalisme et, par la pensée, la grande dragonne enroula sa conscience autour de la sienne pour lui offrir une pointe de réconfort.

« Un rêve. Mais ces canyons recèlent bien des mystères, » elle jeta un œil alentours. « Lorsque tu visualises ce dragon, éveil t-il en toi des souvenirs issus de notre mémoire ancestrale ? »

descriptionUn songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech) EmptyRe: Un songe bien étrange (Kaiikathal et Keetech)

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Que de compliments ! Keetech était la lumière de l’ombre Verith, elle dégageait une aura de bonté presque palpable, et ce n’était pas sans toucher la dragonne bleutée à la crête de soleil.

“Un adversaire ? Je suis partante. J’aime me mesurer aux autres, du moins quand je sais que je peux faire quelque chose. J’aime moins perdre cependant. Je travaille à accepter le jour où je serai confrontée à la défaite, et Nathaniel m’a assuré que ce jour viendrait mais, foi de dragon, je ne suis réellement pas prête pour cela. Plus tard peut-être affronterai-je Ssaadjith dans un duel amical.”

Kaiikathal, depuis son avant-poste de fortune qui ne valait en rien l’emplacement du crâne de Keetech, qui fournissait nécessairement une vue imprenable sur le panorama environnant, était on ne peut plus ravie : très entichée de son espèce, elle s’attachait vite à tous les individus présents sur cet archipel, et surtout les femelles. Se languissait-elle de la trace maternelle à peine perçue les quelques semaines avant sa longue chute dans les ténèbres ? Une chose était sûre, n’avoir jamais connu Père et Mère avait laissé de profondes marques au fond de son âme, et un inextricable manque était à combler.

“ Un rêve. Mais ces canyons recèlent bien des mystères. Lorsque tu visualises ce dragon, éveil t-il en toi des souvenirs issus de notre mémoire ancestrale ?”

Le dragonne des lagunes baissa la tête, signe de sa réflexion. Elle n’avait pas songé à cette possibilité, et pour cause : n’ayant jamais été éduquée par ses sires draconiens et n’évoluant pas quotidiennement en compagnie des siens ou au sein d’une nuée, elle n’avait pas l’automatisme acquis de se tourner nécessairement vers cette éventualité, qui ressortait pourtant de l’évidence chez les siens. C’était encore une discordance vis-à-vis de sa propre espèce qui l’en éloignait et contribuait à cette carence affective que Nathaniel, combien même il l’aurait voulu, ne pouvait combler. Il avait beau être sa raison d’exister (car oui, elle se jetterait la tête la première dans la mer pour ne jamais plus refaire surface s’il venait à disparaître, n’en déplaise aux anti-Lien), son Lié n’était pas un dragon.

Kaiikathal plongea dans ses propres souvenirs à la recherche d’un indice. De toute évidence, ce n’était pas suffisant : il lui fallait s’aventurer bien au-delà des limites de son esprit pour grappiller un fragment de mémoire collective.

“En fait, je ne suis pas très sûre de savoir comment on fait ça…” déclara-t-elle honteusement “mais je vais quand même essayer.”

Ses quelques rencontres avec des dragons avaient le mérite de lui avoir enseigné nombre d'aptitudes qu’elle n’aurait pas eu le réflexe d’adopter et de travailler livrée à elle-même. Selon eux, tout était question de nature et d’instinct et venait avec le temps. Kaiikathal trouvait le temps relativement long quand on était un dragon d’une année à peine sorti de l'œuf ; elle se souvenait encore de la sensation du chalaze sur ses écailles molles, c’était dire. Elle estimait par ailleurs que le temps lui manquait, se prenant des airs de dragonne accaparée par la vie de bateau (alors qu’elle passait ses journées au mieux à nager avec les bancs de requins, au pire à se disputer avec le serpent et l’abject petit singe qui lui servaient de “mentors” à bord du Maelström.

Donc elle se concentra si fort que même un aveugle aurait pu distinguer très nettement les veines gonfler sur son front, si elle n’avait été pourvue que de peau humaine.

Ce qu’elle visualisait était loin d’être très différent de ce qu’elle avait expérimenté lors de son rêve. Elle ne pouvait détacher son regard du portrait moribond qui fendait les cieux à toute vitesse. Elle décelait une autre présence, qui en ces lieux n’existait nulle part ailleurs que dans l’esprit du dragon en fuite.
Les Chimères.

Chose étrange, elle réalisa qu’elle était capable d’entrer dans la conscience de ce dragon. Ce qu’elle y vit fut épouvantable : la silhouette d’une dragonne, un nid détruit et des ombres malfaisantes aux doigts crochus qui cherchaient à déchiqueter toute forme de vie. Paralysée, Kaiikathal prit peur : elle ne comptait pas se retrouver piégée dans ce fragment de cauchemar à tout jamais ! Elle réagit en s’ouvrant à toute vitesse à Keetech, ce qui lui permit de retrouver les pieds sur terre - et de répondre à sa question.

“Je le crois. Ce rêve est à Nous.”

Kaiikathal, de retour parmi les vivants, épousa les terribles rayons du soleil comme un cadeau du ciel. Elle avisa Keetech : elle était trop gentille, trop belle. Elle ne voulait pas la retenir ici, mais elle aimerait bien passer un peu de temps en sa compagnie. Peut-être que…

“Je voudrais pas abuser de ton temps, surtout si tu dois éduquer tes petits. Mais je suis persuadée qu’il y a quelque chose ici qui se cache et que nous devrons trouver ; mais garder secret aux autres.”

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Keetech se voulait bienveillante. Aidante. Son souhait n'était pas de voir la jeune dragonne baisser ainsi son minois, bien au contraire. En tant que dragonne libre, sonder la mémoire ancestrale et écouter la voix des ancêtres étaient deux choses très naturelles chez l'Orageuse… car on le lui avait apprise. Mais qui avait enseigné ces choses-là à Kaiikathal ? Personne. Et surtout pas son bipède.

" Relève le museau, il n'y a pas de honte à ne pas savoir. " répondit Quartzécaille avec bienveillance, clignant doucement des yeux. " Ferme les yeux et concentre-toi sur l'idée de Nous. Étends ton esprit au-delà de ta conscience. " Ce qui était plus simple à dire qu'à faire une première fois, Keetech en convenait.

Mais Kaiikathal était une jeune dragonne qui souhaitait apprendre. Ou était-ce l'impression qu'elle donnait. L'Orageuse la vit fermer les yeux et elle pouvait presque palper la concentration de la Marche Tempête tant elle était intense.

" Alors ? " Demanda Keetech après un instant.

Celle-ci se demandait à présent qui était ce dragon que Kaiikathal apercevait. Ce qu'il pouvait bien fuir. Mais les questions de Quartzécaille furent écartées soudainement lorsque, timidement, la petite dragonne s'adressa de nouveau à elle. Dans le flot de ses pensées, l'Orageuse décela son désir de rester en compagnie de l'un des siens encore un petit peu. Un souhait que Keetech ne pouvait que lui accorder pour l'heure. Elle n'avait rien de prévu et la petite Liée lui était sympathique. Elle avait tant de choses à apprendre, qui plus est, que la grande dragonne ne se voyait pas la laisser tout de suite.

" Ne t'inquiète pas. Mes enfants ont un père qui se trouve auprès d'eux. " répondit-elle afin de balayer les doutes de la dragonne à la crête solaire. " Quelque chose qui se cache et que nous devons trouver, mais garder secret dis-tu ? " Voilà une chose bien étrange à laquelle Keetech ne s'attendait pas. Celle-ci redressa le museau, lançant son esprit alentour. Le canyon était un endroit aride, difficile d'accès, dangereux. Les Karapts vivaient ici et, à par eux, Quartzécaille ne voyait pas vraiment quoi chercher. Ou trouver. La petite était-elle en train de se moquer d'elle ?

" Peux-tu m'expliquer le cheminement de tes pensées ? Que penses-tu devoir trouver ici ? Avec ma taille, je pense être incapable de réellement t'aider si tu décides de t'aventurer entre les falaises. À ma connaissance, seuls les Karapts vivent ici. Serait-ce de cela qu'il s'agit ? "

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"Peux-tu m'expliquer le cheminement de tes pensées ?”

Kaiikathal ne le savait pas, et elle se gratta le menton pour le signifier. Ses pensées n’avaient jamais été très claires, puisqu’elle en avait toujours beaucoup (à défaut de ce qu’on pourrait croire à son sujet). Par ailleurs, elle transportait sur elle la petite bagatelle d’un millénaire d’existence, dans l'œuf certes, mais un millénaire tout de même, et penser, elle en avait trop eu le temps. Si bien que parfois elle s’emmêlait entre ses songes et souvenirs, ne sachant déterminer le vrai du faux, entravée par une liasse incommensurable de réminiscences et de sensations contraires.

“Que penses-tu devoir trouver ici ? Avec ma taille, je pense être incapable de réellement t'aider si tu décides de t'aventurer entre les falaises. À ma connaissance, seuls les Karapts vivent ici. Serait-ce de cela qu'il s'agit ?"

Kaiikathal savait néanmoins qu’elle était capable de lui fournir une réponse digne de cela, c’est-à-dire plus que les images mentales projetée dans l’esprit de Quartzécailles, même si cela représentait déjà une immense réussite. Pour cela, il fallait qu’elle se focalise sur les images résiduelles de sa vision, qu’elle “étende son esprit au-delà de sa conscience” comme le disait si bien la dragonne au cristal de roche.

Kaiikathal dut se concentrer une fois de plus (la dernière, espérait-elle, car c’était quand même beaucoup d’efforts pour un aussi petit dragon). La dragonne des lagunes put franchir assez rapidement la limite qui séparait son esprit du monde aussi bien présent qu’antérieur pour plonger dans la mémoire collective de son espèce, interprétée par sa sensibilités vis-à-vis des choses du monde (qui expliquait pourquoi elle était la seule, ou éventuellement l’une des seules, dans le cas où personne d’autre ne s’était manifesté ici pour les mêmes raisons, à être réceptive à ce songe si singulier).

C’était une impression très particulière de plonger dans le bain de millénaires de vies daconiques. Elle ouvrit les yeux mais ne distinguait plus le canyon aussi bien qu’avant : il apparaissait comme un filtre assombri en arrière-plan. Devant elle se formaient des fragments insaisissables, des sphères perlées qui flottaient en mouvement. Ce doit être ma façon de vivre et d’interpréter la mémoire collective ! pensa-t-elle en observant, fascinée, les souvenirs et impressions se déplacer sous ses yeux comme dans un rêve : le Rêve de son espèce.

“Ouaw, toutes ces mémoires qui flottent ! Je vois des… des boules de pensée. Elles ont l’air douces et souples…” dit-elle pour Keetech.

Subjuguée par ce panorama onirique, la petite Marche-Tempête eut une réaction toute naturelle pour une dragonne de son âge : elle voulut toucher les sphères qui flottaient devant elle, représentations mentales de cette vaste mémoire. Elle en effleura une de bout de la griffe et fut prise au dépourvu quand l’objet lui renvoya une décharge électrique malvenue. Cela sembla mettre en colère son subconscient, qui lui fit perdre le sens des réalités. Elle se sentit ballotée par des vents plus violents qu’un furieux typhon au-dessus de la mer.

“Au secours ! Je ne maîtrise plus rien, j’ai la conscience qui me suinte par les ouïes ! Il y a beaucoup trop de bouboules de mémoire !!”

Comme elle entrapercevait encore l’ombre des canyons à l’arrière de cette vision, elle se concentra dessus. Elle se figura que ce n’était pas comme ça que les choses devaient se dérouler, qu’avec le temps, l’instinct prendrait le dessus et qu’elle n’aurait plus autant besoin de se concentrer jusqu’à s’aider d’un champ visuel très différent de l’ordinaire, pour comprendre ce qu’elle était en train de faire. Surtout que ce n’était pas pratique du tout ! Mais c’était un pas de plus vers la maturité, qu’il fallait qu’elle dompte en prenant sur elle. Du calme Kaiikathal. Tu vas y arriver.

“Je sais ! Je vais malaxer les boules de ma conscience !!” à un détail près “Mais que celle qui m’intéresse, et plus gentiment.”

Elle se mit au travail et choisit avec soin le fragment qui lui évoquait le plus son rêve. Petit à petit, elle fut capable de mettre des images plus précises et parlantes sur ce qu’elle avait vu. Enfin, en sortant peu à peu de cet état de sidération, elle était en mesure de confier à Keetech les détails qu’elle avait récolté.

“Je crois que le dragon m’a appelé. Il veut que nous le retrouvions. Il est ici, quelque part. Pas lui, mais ses os ! Il veut que nous trouvions ses restes, et que nous les rapportons au ciel pour être plus près de ses enfants. Oh… ce que c’est triste…”

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Keetech prit un air attendri. Malgré le petit caractère que Kaiikathal semblait avoir, celle-ci prenait grand soin de s'appliquer. Et d'appliquer les conseils de son ainée. C'était une bonne chose.

Quartzécaille se souvenait de sa première plongée dans la mémoire collective de sa race. Elle avait bien failli s'y noyer en voulant y plonger le plus profond possible. Et cela malgré les avertissements de sa mère, qui l'avait pourtant enjoint à y aller pas après pas. Logiquement, lorsque la jeune dragonne évoqua ce qu'elle y voyait, Keetech lui transmis le conseil de sa propre mère.

« La mémoire ancestrale est pleine de mystères. Il est tentant de s'y plonger, mais prend garde ! Si tu vas trop profondément trop rapidement, tu pourrais t'y noyer. »

Encore aujourd'hui, la dracène naviguait dans la mémoire des siens avec beaucoup de prudence.

En observant Kaiikathal, la fille de l'orage se doutait qu'à un moment ou un autre, celle-ci allât être submergée. Même sans forcer l'expérience, la première fois était toujours éprouvante. C'était une épreuve en sois. Keetech était donc heureuse, quelque part, que la petite dragonne expérimente tout cela en sa compagnie au cas où les choses tourneraient mal. Si Kaiikathal avait été avec les bipèdes, sans doute, auraient-ils été incapables de l'aider comme elle pouvait le faire.

« Le calme est l'une des clés pour naviguer dans la mémoire ancestrale. » Répondit la dracène pourtant prête à extirper la conscience malmenée de Kaiikathal hors du passé.

Mais cela ne fut pas nécessaire et, quelque part, le poitrail de Keetech se gonfla de fierté. Dragonne liée, certes, mais dragonne avant tout. Débrouillarde avec ça. La petite pouvait être fière d'elle.

« Cela arrive, de temps en temps, que la mémoire ancestrale se manifeste soudainement sans qu'on ne le souhaite. Une simple pensée peut avoir une corrélation avec un souvenir s'y trouvant… Ou y ressemblant. C’est sans doute ce qui t'ai arrivé lorsque tu as survolé cet endroit. » expliqua la dracène. « Un dragon, dis-tu ? Ici ? » Keetech leva le museau vers le ciel, les paupières closes. « Vois-tu, la mémoire ancestrale peut jouer des tours, surtout à un jeune dragon. Les dragons ne sont jamais venus dans cet archipel, nous l'avons découvert en même temps que les bipèdes… Je pense que ce que tu vois ressemble à cet endroit, mais ne l'est pas. Un lieu de notre continent d'origine, sans doute. Il est si grand et si diversifié, cela ne me surprendrait guère. »

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Kaiikathal était toujours empêtrée dans la grande toile cosmique de la mémoire draconique, engluée dans ses liens invisibles, filamenteux et collants. Une myriade d’étoiles témoins du présent et du passé défilaient sous ses yeux, orbes jaunes égarés dans ce monde nocturne et indéchiffrable. La voix de Keetech était de plus en plus éloignée, comme étouffée par cette bulle isolante qui l’englobait. La Marche-Tempête dû se résoudre à l’évidence : elle n’apprendrait rien de plus sur son rêve en restant ici sans rien faire au risque d’y demeurer coincée à tout jamais. Elle commençait à percevoir le danger d’une telle pratique que celle de la mémoire draconienne, d’autant que la dragonne de quartz, désormais refourguée au troisième plan de sa conscience, lui avait envoyé un signal d’alarme sans équivoque. Pour cette fois, Kaiikathal ouvrit ses écoutilles : plus parce qu’elle était dans un univers inconnu et potentiellement périlleux que par raison véritable.

“Tu veux dire que je me suis fourvoyée ?”

S’adresser à Keetech lui permit d’ancrer le grappin d’un fil d’Ariane jusqu’à l’esprit de Quartzécaille. Avec cela, Kaiikathal pourrait retrouver son chemin vers le monde réel car seule, elle n’aurait pas réussi avec la même aisance, et de façon aussi rapide. Comme une âme égarée, elle se lia à cette ligne de vie et la suivit, la suivit jusqu’à-ce qu’un point de lumière se distingue sur l’horizon de la Mémoire. Kaiikathal se focalisa dessus, oubliant les boules de mémoires qui s’éloignaient derrière elle, flottant dans l’océan infini de l’héritage de ses ancêtres. Je vous retrouverai, bouboules de pensée !

Car Kaiikathal, aussi petite et jeune qu’elle était, avait, l’infime espace d’un instant, perçu l’immense potentiel de ce champ des possibles. Ici réside un grand pouvoir… les dires de Keetech avaient confirmé cette intime conviction. ... que je dois absolument exploiter.
Puis, aussi vite qu’elle était entrée dans ce monde, elle en ressorti. Fraîche, neuve, bagagée d’une nouvelle expérience grisante, mais pas plus assagie au vu de ce qu’elle comptait en faire. Cela, elle se garderait bien de le montrer à Keetech, qui venait de lui recommander tout ce que Kaiikathal n’était pas en mesure de mettre en application : la prudence.

Kaiikathal se fendit d’un sourire draconique (ce qui pouvait le plus ressembler à un sourire venant d’un dragon, en fait, leurs muscles n’étant pas les mêmes que les traits communs que partagent les bipèdes). C’était une grimace carnassière à glacer le sang : mais entre dragons, on se comprenait.

“Je te promets que je ferai attention !” déclara-t-elle en mettant sa patte sur le poitrail comme le faisaient parfois les humains lorsqu’ils promettaient quelque chose.

Elle y mit toute sa conviction, jusqu’à se convaincre elle-même qu’elle serait très précautionneuse.
Mais sans laisser le moindre indice qui pouvait suggérer qu’elle retournerait prochainement dans la Mémoire, et toute seule cette fois.
Car il lui semblait qu’elle avait découvert plus qu’un héritage : un vrai trésor, plus précieux encore que les sous d’or qui constituaient la grande part de ses biens.

Retour aux choses sérieuses : le dragon.
Kaiikathal cligna des yeux : elle était à nouveau entre les pattes de la géante, logée dans l’un de ses espaces inter-digité qui formaient un nid confortable, épousant à la perfection le dos de la bleue qui s’allongea tout contre, épuisée de son long voyage, lointain et statique. La dragonnette bailla à s’en décrocher les mâchoires et son estomac se mit à gargouiller en réponse à la pensée qui venait de lui traverser l’esprit. J’ai si faim. Je serais capable d’avaler une baleine.

Elle releva la tête pour percer le regard de Quartzécailles et en sonder le fond de ses grandes prunelles solaires fendues d’une flèche d’abîme, portail vers les pensées les plus sombres et bien dissimulées de la dragonne, qui, en dépit de ses airs de grand bébé, avait déjà le regard perçant et incisif de celui qui répand la mort sur son passage, augure de pouvoir et de destruction.
Un grand bébé dragon dont il faudrait, à l’avenir, se méfier, malgré cette façon braillarde de s’expliquer et cette dégaine juvénile qui ne payait pas de mine.

“Keetech, tu saurais déterminer si oui ou non ce que j’ai vu est vrai ? Car je ne me suis peut-être pas trompée. Si ça se trouve, il y a bel et bien les restes d’un dragon ici et si cela s’avère, j’aimerais être sûre que j’ai accompli ses dernières volontés. Sinon, eh bien… tant pis, je n’aurais qu’à m’en retourner au camp. Mais tu peux vérifier ? S’il-te-plaît !”

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« Hélas je le crains, mon enfant. » répondit la dragonne qui dardait son regard sur la petite Kaiikathal. Nulle trace de déception dans le ton de sa voix, toutefois. Ni de jugement de quelconque sorte. La mémoire ancestrale était si grande, si profonde, si mystérieuse que tous les dragons, un jour ou l'autre, se laissait avoir de la sorte. Et la dracène était loin d'imaginer ce qui traversait l'esprit de la Marche Tempête. Elle ignorait ce que cette dernière comptait faire de ce savoir. Ou à quel genre de mortel elle pouvait bien l'offrir.

Elle promettait de faire attention et cela suffisait à Keetech. Quartzécaille s'efforçait d'être une bonne mère, un bon guide, et ne comptait pas assaillir la jeune dragonne de multiples conseils ou recommandations. Kaiikathal allait expérimenter tôt ou tard, seule, et allait commettre des erreurs. De celles-ci, elle apprendrait. Il faut tomber du nid pour apprendre à voler…

Avec amusement, Keetech vit la petite dragonne s'allonger contre l'un de ses doigts, son dos en épousant parfaitement la courbe. Elle ressentit sa faim. Et, en sondant son regard, elle devinait une partie de sa rigolote fourberie. Décidément, Kaiikathal partageait quelques traits avec Ssaadjith, mais la dracène des tempêtes ne comptait pas le réitérer à haute voix. Ce serait à surveiller de loin, en grandissant. Mais comme pour la mémoire ancestrale, Quartzécaille comptait bien laisser la Marche-Tempête faire ses propres erreurs.

« Bien sûr. » Répondit Keetech à la demande de la petite. Sonder la mémoire ancestrale n'était pas bien long, ni si complexe. La dragonne avait des années et des années d'expériences. Et elle avait appris auprès de son peuple. Quartzécaille ferma donc les yeux, son esprit s'enfonçant dans les tréfonds de cette mémoire, les souvenirs virevoltants tout autour d'elle comme des traînées d'étoiles. Mais plutôt que de les poursuivre, la dracène laissa la bonne étoile venir à elle, dansant devant son museau avant qu'elle s'en saisisse, refermant dessus une gigantesque poigne imaginaire, qu'elle seule pouvait voir.

Le souvenir s'offrit à elle, plus net, plus précis. Soudainement, elle volait au-dessus de canyons et la multitude de senteurs qui lui parvenaient ne lui était pas inconnue. Ce dragon savait parfaitement où il était : sur l'ancien continent, bravant l'air sec de ce paysage désertique pour une région plus hospitalière.

Keetech s'extirpa du souvenir. Elle en avait assez vue pour être en mesure de répondre avec certitude à Kaiikathal, toujours délicieusement lové contre ses écailles.

« Tu n'as pas rêvé, ces souvenirs existent bel et bien. C'était le continent sauvage. L'une des nombreuses régions qui le compose. » Une terre draconique que la Marche-Tempête pourrait explorer via ces souvenirs. Il y avait peu de chances qu'elle s'y rende un jour, pas temps qu'elle était lié. Son bipède n'y serait jamais accepté. « Tu ne manqueras pas de découvrir ce lieu via ces souvenirs. Tu apprendras. »


n.b : vraiment désolée pour ce délai >_<

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“Oh.”

La déception était à la hauteur de l’excitation initiale : frappante.

“Le continent sauvage ? C’est là d’où je viens. J’y suis restée des centaines d’années avant de le quitter : d’une façon ou d’une autre, je m’y sens intrinsèquement liée. J’aimerais tant y retourner, un jour. Peut-être saurai-je ce qu’il est advenu de mes parents. Si seulement c’était possible.”

Cette quête parentale se révélait manifestement plus romanesque que fourgonner dans la mémoire draconique à travers un œil pervers. Elle ne s’en remettrait que si elle n’avait aucune autre solution, tant qu’elle n’était pas à court de patience, bien évidemment.

Kaiikathal se perdit dans d’autres rêveries que celles du rêves, les siennes : que seule elle était en mesure de lorgner impunément. Entre les longues phalanges de Keetech qui faisaient barrière entre la jeune dragonne et le monde extérieur, difficile de ne pas se dire qu’elle avait quand même, peut-être, manqué quelque chose, même si la chaîne de cause à effet qui en découlait l’avait conduite au plus merveilleux des Liés. La progéniture de Keetech avait bien de la chance de l’avoir, et ils ne s’en rendaient sûrement pas compte. Kaiikathal était bien consciente qu’il lui manquait quelques “codes” draconiques, et elle n’avait pas tant l’occasion de combler ces lacunes. Le besoin d’attention et de proximité se faisait, de temps en temps, grandement ressentir, au point qu’il lui arrivait parfois de s’isoler des hominidés, qu’elle côtoyait quasi quotidiennement sans vraiment partager d’affinité avec eux, sans chercher à créer des liens. Finalement, quand le seul dragon alentour était soi-même, il n’y avait rien de plus efficace de se trouver un coin tranquille pour passer du bon temps avec soi.

Il fallait dire, concernant les hominidés et leurs habitudes frivoles, qu’ils n’étaient pas très intéressants non plus.

Quand elle pensait de cette manière, les sentiments de Kaiikathal étaient partagés. Une autre partie d’elle s’offusquait : et alors ? tu te débrouilles déjà très bien ! Elle la dragonne se trouvait bête de penser ainsi, car elle était formée à la dure école de la vie et surtout, Nahui était une sœur, une famille en soi, puisqu’elles partageaient sensiblement la même histoire, à quelques détails près. Et ça lui donnait de quoi être fière, et de le montrer, car elle ne voulait pas qu’on s'apitoie sur son sort, mais plutôt qu’on l’admire pour sa résilience ! Aussi, elle se rattrapa promptement en escaladant les écailles de la dragonne de quartz.

“Je ne m’en cache pas. Je me débrouille plutôt bien, d’après Nathaniel je suis l’As de la Dragonnade… Dragonnerie, et caetera et caetera. Sur ce point je suis même plutôt d’accord avec lui. En fait, je m’en sors même formidablement bien étant donné tout ce qui a pu m’arriver. Mais, avouons-le nous : même quand on est un dragon, survivre est plus facile quand une mère est là pour vous apprendre à grimper jusqu’au ciel.”

Sur cette déclaration, elle sauta sans formalité depuis les rêches écailles de Keetech comme une escaladeuse experte en la manière pour se percher sur la formation rocheuse la plus proche, qui se terminait en dent droite et acérée plantée dans le vaste ciel.

Elle parcourut du regard l’hostile océan rouge et oxydé.

“Je ferais mieux d’y aller. Le désert ne prend pas en pitié ceux qui peuvent lui résister.”



Fin du RP

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