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7 Juin 1764


Voilà bien deux bonnes semaines que j'étais arrivée à Caladon et vivais avec les Espérancieux. Jamais je n'aurais pu imaginer meilleur accueil venant de la grande famille aussi soudée qu'était celle de Belethar. Je me plaisais grandement à découvrir comment pouvait vivre une telle famille humaine et non pas cette fois-ci au fin fond d'une cuisine à l'odeur d'herbe et de sucre mêlées. Comme promis, je racontais pour mon plus grand plaisir des histoires aux jeunes enfants de la maison. Ces mêmes histoires qui m'avaient bercées plus jeune. On m'accordait souvent des cours improvisés pour perfectionner mon langage de la langue commune et mon accent s'améliorait avec. J'écrivais aussi. Un peu laborieusement mais je notais tout de même une amélioration au fil des jours. J'assistais avec joie au repas de famille et comme je n'aurais pu l'espérer, la gêne des premiers jours s'étaient envolées aussi facilement que les Espérancieux m'avaient accepté parmi eux.

Bien que tout ceci était éphémère, j'en savourais chaque seconde et notais de bien mignonnes anecdotes dans mon petit carnet de voyage. Cette vie là apaisait un peu mes tourments dû à ma décision de quitter Nyana et Néthéril tout entière. Bientôt, je repartirais par de nouveaux chemins en direction de Cordont la Chue ou j'espérais trouver quelques réponses à mes multiples questions. Je ne cachais plus mon ambition ni ma hâte quant à ce qui m'attendait. Encore fallait-il que quelque chose m'attende à l'arrivé. Mais passons les tourments pour une fois.

Aujourd'hui, je m'étais presque réveillée en sursaut face aux retrouvailles qui m'attendaient. L'expression était sans doute démesurée mais je n'avais pu que lâcher une simple larme de bonheur lorsque les jeunes mariés et aussi les deux personnes à qui je devais ma liberté m'avait convié à les rejoindre dans la demeure de Dame Falkire. Dame Avente ? Par les Esprits comment cela se passait-il donc pour les formalités ? « Reynagane, se n'est pas l'heure pour se renverser l'esprit. » C'était un véritable honneur de me rendre chez la femme aux cheveux de feu et son jeune époux au regard perçant.

Si j'avais hâte de les revoir, je gardais une certaine appréhension au fond de moi. Celle-ci grandissait d'ailleurs alors que mes pattes enrubannées foulaient les pavés des ruelles de Caladon. Une épaisse capuche sur la tête, je ne me sentais encore peu à l'aise dans cette ville qui faisait remonter en moi des milliers de souvenirs que je croyais disparut en l'espace de quelques lunes.  Alors que je me dirigeais vers le lieu ou j'étais conviée, je prenais de temps à autres un recul brusque sur ma situation. Qu'est-ce que je faisais là, encore, à marcher dans Caladon ? Cette même ville qui m'avait tant fait souffrir. La gräarh qui avait eu cette rage et cette peur en s'échappant de la cité avait-elle entièrement disparut ? Comment avais-je pu si rapidement changer ma vision des choses ? C'était presque... Impensable. Et pourtant.

Le bruit de sabots sur le sol me réveilla et je reprenais alors conscience de milieu qui m'entourait. Levant les yeux pour observer autour de moi, je reconnaissais bel et bien ce lieu. Pas étonnant, j'avais emprunté cette route tellement de fois pour descendre au marché.
Les griffes crispées sur le tissu qui recouvrait ma tête, je reprenais un pas rapide. La tempête lorsque j'étais arrivée en ville paraissait bien loin alors qu'un ciel bleu impeccable s'étalait au dessus de la ville.
Au tournant d'une ruelle, je reconnaissais la grande et belle demeure de Dame Falkire. Et son jardin. Surtout son jardin, pensais-je en échappant un petit sourire tout en revoyant Nyana dans la nuit escalader une grille ou bien encore me pousser fortement dans l'un de ces multiples buissons.

J'arrivais enfin sur le palier de la porte, je soufflais un coup en enlevant doucement ma capuche et alors que j'allais frapper mes doigts frappèrent le vide. Je redressais mes oreilles surprise pour apercevoir une jeune femme qui ne parut pas le moins du monde surprise de voir une gräarh à la porte.

- Bonjour, je... je suis...

- Shäa Reynagane c'est bien cela ? Je vous en prie, entrez.

Tout sourire, l'humaine s'écarta pour me laisser entrer timidement dans la demeure que je reconnaissais néanmoins. Les moustaches frémissantes légèrement de bonheur face à cet accueil, cette même jeune femme me débarrassa de ma grande cape avant de me demander de patienter quelques instants dans une pièce voisine. Je préférais rester debout sous peine de paraître malpolie tandis que mon cœur s'accélérait tant j'avais hâte de revoir mes amis. Riant en silence, ma parole, je considérais la plupart de mon entourage comme des amis, mais c'était peut-être ça la clé de bien des maux.  

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L’échéance approchait. Bientôt sa femme mettrait au monde leur enfant. Quelques semaines encore et un autre être joindrait ses cris aux leurs dans ce grand choeur. Et si Ilhan se réjouissait à cette perspective, il ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter. Cela devenait de plus en plus difficile pour son aimée, de plus en plus délicat. Faire naître un immaculé n’était pas sans conséquence. Et, au fond de lui, de vieux souvenirs revenaient le hanter. Et si jamais… ? Si jamais, comme sa première femme, toutes deux mouraient ? Elle et l’enfant ? Revivre cela une deuxième fois… Il n’était pas bien sûr de pouvoir le supporter. Mais mieux valait ne pas y penser.

Une chose de sûre : il ne commettrait pas deux fois la même erreur d’être loin d’elle au moment fatidique. Certes, il savait qu’Autone aurait souhaité qu’il ne soit pas là. Pour lui épargner de la voir souffrir et de la voir peut-être sur le point de mourir. Et si vraiment tel avait été le souhait de sa femme, sans doute s’y serait-il plié. Mais après en avoir tous deux discuté, elle avait accepté qu’il soit là. Avec toutefois le vœu qu’il ne regarde pas si cela se passait mal. Mais au moins pourrait-il être là, lui tenir la main, la soutenir au besoin…

Un petit cri le fit soudain revenir à la réalité et au temps présent. Mephisto, cette étrange chèvre à l’essence corrompue, dont ils avaient appris la sinistre rencontre avec le Tyran Blanc, cherchait encore à les mordre, voire les manger. Heureusement Ilhan pouvait compter sur Elyas pour l’aider dans cette délicate tâche d’apprendre à sociabiliser ce petit être agressif, sans doute bien perdu. Il avait voulu lui laisser une dernière chance, avant que ne soit scellé son destin d’une bien sinistre façon. Folie ? Peut-être bien. Mais allez savoir…

Il n’avait pas encore fait le transfert de tous ses biens, chèvres et autres, ni de toute sa maisonnée. Le manoir Falkire était bien trop petit pour les accueillir tous, et il fallait encore finir la construction du nouveau domaine de la Monarque, qui serait le domaine Falkire et Avente. Mephisto n’avait été que le premier transféré, bien confiné dans un abri sécurisé que seul Elyas pouvait approcher. C’était là les deux seuls à l’avoir rejoint à Caladon. Bientôt, quand Belethar aurait fini le nouveau manoir du domaine, il pourrait faire venir tout son petit monde. Et faire ses derniers adieux à Delimar. D’ici la fin du mois sans doute…

Un autre cri le tira de nouveau de ses pensées. Décidément ce petit Mephisto donnait du fil à retordre même à ce cher Elyas. Ilhan décida de tenter sa chance. Il n’était certes pas aussi bon dresseur qu’Elyas, et surtout pas aussi doué avec les animaux, mais un lien particulier commençait à se nouer entre Mephisto et lui. Comme si Mephisto reconnaissait celui qui l’avait libéré de ses chaines. Il avança donc à pas lents, puis, arrivé non loin du petit être, s’accroupit et commença à lui parler. En althaïen. De ses accents graves et profonds. L’être continua de montrer les crocs et de chercher à l’embrocher de son étrange queue. À bonne distance toujours, Ilhan continua, avec patience, puis tenta de s’approcher un peu. L’être sembla le laisser faire, même si sa queue fouettait l’air. Encore un petit pas, une main tendue…

Et soudain une ombre se dessina au-dessus de lui, et sembla effrayer Mephisto. Un coup de croc manqua sa main de peu (heureusement il s’agissait de sa main invalide) et fit tomber Ilhan à la renverse. Ilhan grommela quelque peu, puis se releva, reprenant prestance et grâce, tout en époussetant ses vêtements. Puis se retourna et vit….

***

Margaux avait été prévenue et tout était prêt pour l’invitée de la maison Falkire. Maison Falkire et Avente, devait-elle dire maintenant ? Quelle situation étrange de passer d’espion de Dame Falkire à gardienne de maisonnée, voire un semblant de garde-du-corps. Mais parlant invitée… Celle-ci venait apparemment d’arriver. Nul besoin de l’entendre frapper. Margaux guettait et en bonne espionne, dotée de bons stratagèmes pour garder une surveillance là où elle le souhaitait, notamment en cet instant sur la porte, sut avant même que les pattes velues ne se posent sur le bois, que la Graärh était là. C’est ainsi que Margaux ouvrit la porte et se retrouva avec un poing dressé… et rencontrant soudain le vide. Si elle n’avait pas une si grande maitrise d’elle-même, Margaux aurait sans aucun doute ri de la situation, qu’elle avait sciemment provoquée, taquine qu’elle pouvait être parfois.

Au lieu de cela, elle offrit à la Graärh un grand sourire, où politesse lissait ses traits. Mais dans ses grands yeux bruns, un œil avisé ne pouvait manquer la petite lueur amusée.

- Bonjour, je... je suis...

- Shäa Reynagane c'est bien cela ? Je vous en prie, entrez.

Une fois la Graärh entrée, Margaux s’occupa de l’invitée avec déférence, comme s’il s’agissait de la plus haute noblesse de l’ancienne Cour sélénienne. Autone et Ilhan avaient été clairs : cette hôte devait être traitée avec considération. Puis, après l’avoir conduit dans une pièce voisine, Margaux demanda à une de ses paires d’aller prévenir Dame Falkire, pendant qu’elle allait prévenir le Tisseur.

***

Votre invitée est arrivée, mon seigneur.

Ilhan sourit à ses mots.

Merci Margaux. Même s’il est inutile de m’appeler mon seigneur en ces lieux.

Sans doute conseils inutiles, Margaux n’en ferait qu’à sa tête sur ce point-là. Ilhan sortit du box sécurisé, sur le seuil duquel Margaux se tenait sans y être entrée. Une Margaux qui déjà repartait à ses occupations. Il n’eut guère besoin de se tourner vers Elyas que déjà celui-ci s’occupait de nouveau de Mephisto.

Merci Elyas et bon courage. J’espère que nous parviendrons à l’amadouer et qu’il nous fasse confiance.

Un simple signe de tête lui répondit de la part du chevrier. Il n’était guère bavard. Et cela ne dérangeait aucunement Ilhan. Ils n’avaient pas besoin de parler pour se comprendre tous deux.

Ilhan passa rapidement se changer, pour éviter toute odeur de chèvre malvenue sur ses vêtements, ce qui ne prit que quelques minutes à peine, se permit quelques touches de parfum tout althaïen, puis alla rejoindre leur invitée. Il trouva la Graärh debout, au milieu du petit salon, regardant autour d’elle.

Bienvenue dans cette maisonnée, chère Reynagane, fit-il alors, en langue Gräarh, pour annoncer son entrée.

Quand bien même l’ouïe fine de la Graärh n’avait pas manqué d’entendre ses pas approcher.

Se disant, il lui offrit le salut à la mode Graärh, en la regardant droit dans les yeux, comme pour bien lui montrer que, pour lui, ils étaient à statut égal. Il ne pouvait certes pas ronronner pour souligner cette salutation, mais le coeur y était. Et parlant de coeur, il enchaîna avec le salut althaïen, portant une main à son coeur, puis l’envoyant vers Reynagane, paume vers le haut.

Que le soleil guide vos pas… mon amie ? Si je puis me permettre de vous appeler amie, reprit-il cette fois en langue commune.

Les mots ne devaient pas être donnés à la légère chez les Graärh. Aller droit au but, être direct et franc, tels étaient leurs préceptes. Ne pas parler pour rien, ne pas donner sa parole sans la tenir.

Il lui indiqua alors un des fauteuils, l’enjoignant à se mettre à l’aise si elle le désirait. Non loin, une petite table leur tendait les bras et leur offrait avec abondance boissons fraiches et quelques mets d’accompagnement : fruits, friandises diverses, petites pâtisseries dont certaines althaïennes… De quoi émerveiller les papilles, et rassasier la gourmandise.

Puis-je vous servir quelque chose à boire ?

Il lui indiqua les boissons, desquelles il se rapprocha, prêt à faire le service. Il avait demandé à ce qu'ils ne soient pas dérangés, pas même par un serviteur pour venir faire le service.

N’hésitez pas à vous faire plaisir également, ajouta-t-il en désignant les mets à côté. Toutes ces gâteries sont pour vous.

Certes, pour sa femme et lui aussi. Surtout lui, qui grignotait toujours un petit quelque chose en toute occasion…

Et racontez-nous donc ce que vous devenez. Je suis tellement heureux de vous revoir !

À peine disait-il cela, qu’il entendit des bruits de pas. Des pas qu’il connaissait bien. Et c’est avec un grand sourire, une carafe à la main, les verres toujours vides, qu’il se tourna vers sa femme.

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Elle avait repris son habit noir après le décès d’Achroma, puis sa taille s’était élargie et elle avait dû emprunter une robe appartenant à Satie parce qu’elle n’avait jamais vraiment prévu avoir d’autres enfants, surtout lorsqu’elle avait commandé les robes noires dans l’année suivant le décès de Matis. En se préparant, Autone se demandait quand les habits de deuils ne seraient plus habitudes, et quand le monde retrouverait un peu de paix. Mais la paix, ce n’était pas vraiment ce qu’elle voulait, non ? Quelque part, elle se sentait hypocrite. Dans la glace, Autone voyait à nouveau la veuve politicienne qui s’était battue pour l’indépendance, et avait poussé pour la préservation de l’armistice. Mais dans son ombre, elle était violente par la pauvreté infligée au peuple de Sélénia. Trahir, voler, tuer, était-elle vraiment mieux que ce qu’elle combattait ? Ces réflexions passaient sur un visage de fer, alors que la petite dame décorait son cou et ses oreilles de pierres précieuses. Par-dessus sa manche gauche, le bracelet que son mari lui avait offert lors de leur union.

Il lui restait quelques mois, ou quelques semaines, avant de donner naissance, et de ne plus être humaine. Elle le niait, encore un peu, mais le savait tout de même. Dans un coin de son esprit qui ne se révélait qu’à l’occasion dans ses pensées, elle le savait. La dame Falkire avait été élue, et elle instaurerait bientôt sa monarchie. Une reine, on l’avait appelée. Elle n’avait jamais voulu ce titre, mais le pouvoir vient souvent du respect des autres. Il suffisait qu’un noble entende Ilhan appeler sa femme « Ma reine » et certains se questionnaient sur la manière dont ils devaient s’adresser à Autone.

Mais aujourd’hui, elle revoyait une amie. Oserait-elle la considérer ainsi. Autone ne savait toujours pas comment balancer sa vie personnelle et sa vie publique. Était-il trop tard pour faire comme Aldaron, et simplement être authentique, toujours? La petite dame ne pouvait chasser l’impression que sans ses masques, ses mensonges et ses faux semblants, elle ne pouvait être politicienne, et encore moins régner. Une servante cogna à la porte de sa chambre, venant lui annoncer que son invitée était arrivée. Autone termina une dernière tresse, avant de remonter ses cheveux à l’aide d’une épingle. On l’aidât à descendre les escaliers, puis elle excusa la servante en s’approchant du boudoir. Et malgré ses pantoufles de soie, ses pas trahissent les sens d’Ilhan. Autone sourit en regardant son mari se retourner, les mains pleines. Un gloussement s’entendit dans un souffle alors que ses joues souriaient. Apercevoir le visage de Reynagane lui réchauffa le cœur, elle aurait voulu en faire une peinture, là, maintenant.
Autone vola un baiser à son mari, sur la joue parce qu’elle était plus timide que lui. Puis elle s’approcha de la Graärh pour la regarder dans les yeux. « Je suis heureuse de vous revoir, en santé. Je ne croyais pas qu’un jour, vous pourriez visiter cette maison, en toute liberté. Et plus que tout, je suis heureuse que vous puissiez être à Caladon, malgré ce que cette ville vous a infligé. Vous serez toujours la bienvenue dans ma demeure. » Un sourire taquin s’élargit sur les lèvres de la monarque. « Et dans ma cuisine. »

La dame releva un peu sa jupe pour s’asseoir sans trébucher maladroitement, puis elle prit une friandise, qu’elle considérait bien mérité. Avec cette grossesse, toutes les friandises étaient bien méritées, chaque jour. C’était étrange, d’avoir tant envie de sucre, parce qu’elle n’avait normalement pas la dent sucrée. Autone comprenait un peu mieux comment Ilhan pouvait autant tomber dans les pâtisseries. Et la bouche pleine, la petite dame attendait que Reynagane réponde à la question d’Ilhan. Quelles étaient les nouvelles?

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Mes yeux curieux passaient d'un objet à un autre tandis que les secondes musicales d'une petite horloge battaient l'air dans la pièce. Il y avait sur une jolie table de multiples petites préparations sucrés et boissons variées et je repérais dors et déjà de loin des petites fraises qui dépassaient de quelques crèmes. Bien que les Gräarhs ne mangeaient normalement qu'une seule et même alimentation cuisiné différemment, je ne pouvais pas cacher que mon temps passé avec les Hommes avait changé un petit peu mon alimentation. Et ce n'était pas pour me déplaire, il n'y avait pas à dire, les Espérancieux m'avaient fait goûté des fruits qui avaient un goût splendide pour les papilles.

J'avançais un pas supplémentaire vers une fenêtre pour apercevoir l'autre côté lorsque j'entendis au loin des pas arriver. Virant comme un piquet vers l'entrée de la pièce, il était absolument impossible pour moi d'enlever le sourire qui élevait mes babines.

Quelques secondes plus tard et voilà que l'élégant Seigneur Avente se découpait au pas de l'ouverture avec un charmant sourire. Son accueil en langue Gräarh me fit sourire un peu plus tandis que j'entamais un salue, patte sur le poitrail et museau vers le bas.

- Seigneur Avente, un grand merci à vous de m’accueillir ici et se serait un véritable honneur pour moi si le lien de l'amitié nous liait.

Moustaches frémissantes, je jetais un bref coup d’œil vers la direction que me montrait Ilhan avant de me diriger vers le fauteuil le plus proche de moi en faisant un ultime signe de tête en signe de remerciement.

- M...merci. Si... vous avez un simple verre de lait peut-être ?

Gênée par tant de gentillesse, j'avançais à petit pas vers la table garnie pour y planter une griffe dans une de ces fameuses fraises. En même temps, de nouveaux pas se faisaient entendre et à n'en pas douter par la légère et douce odeur qui venait jusqu'à mon sens, Dame Falkire arriverait d'une minute à l'autre. Qu'il était bon de les revoir. L’accueil qu'ils me réservaient réchauffait à n'en pas douter mon cœur.

Lorsque le visage d'Autone apparut, je ne pu m'empêcher de rejoindre mes pattes vers mon menton, une fois la fraise avalée. Il n'y avait pas à dire, jamais je n'avais rencontrer plus belle humaine. À en voir le ventre bien arrondis et de ce que j'entendais, le petit ne tarderait pas à voir le jour. Comment ne pas être admiratif devant une femme qui avait fait face aux Couronnes de Cendres tout en portant son petit dans son ventre. Certaines femelles Gräarhs pouvaient bien s'abstenir de certain commentaire concernant la faiblesse des humains comparés à la force des félins.

- Je suis si heureuse de vous voir moi aussi. J'espère que ma présence ne vous importunes pas trop supposant que les derniers instant avant la naissance doivent être bien compliqué. J'espère de tout cœur que vous vous portez bien ? Et vous également Ilhan ? L'attente doit se sentir.

Les yeux pétillants, je me rendais bien compte que les choses avaient bel et bien changé depuis notre fuite de Caladon. Ces deux individus qui étaient maintenant unis par un lien indestructible n'était pas même encore marié le jour où ils nous avaient aidé. Et voilà qu'ils étaient réunis. Oh que c'était beau !

« Calme toi Reynagane, tu pars beaucoup trop là à chaque fois ».

Toussotant légèrement je décidais de m'asseoir en face de Dame Falkire après avoir piocher une seconde fraise sur la table. Consciente de ne pas encore avoir répondu à la demande de Seigneur Avente, j'avalais doucement en cherchant mes mots. Calmant mes émotions en même temps, je tournais mon museau vers mes deux amis avant de commencer :

- Il est vrai que cela peut sans doute paraître étrange de me revoir ici. Mine de rien, il ne s'est pas passé beaucoup de temps depuis...

Je levais une patte en faisant des moulinets avant de reprendre, mes amis comprendraient, pas la peine de revenir dessus.

- La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était au Domaine. À notre retour à la Légion, je dois vous avouer que je n'ai pas tellement réussi à faire comme si rien ne s'était produit chez les Baptistrels. Revenir à une vie d'Ashuddh avec l'espoir de rerentrer dans la Légion, je n'y arrivais pas. J'ai tellement de questions qui attendent des réponses. Des angoisses sur ce qu'il se préparent qu'il m'a été impossible de continuer ainsi. Et puis... je vais être transparente mais si Nyana à magnifiquement réussi à remonter dans l'estime des nôtres, je suis restée loin derrière. Après, comme je le dis, c'était difficile pour moi aussi.

Qu'est-ce que je pouvais tourner autour du pot. Je notais que la fluidité de mes paroles c'était effectivement grandement amélioré en l'espace de quelques semaines.

- Et puis, je me souviens de votre demande, Ilhan, déclarais-je en le regardant, essayer de découvrir un peu plus ce que les anciens pouvaient dire au sujet de la Légion d'Or ou de tout ce qui peut s'en rapprocher. Beaucoup était plutôt réticent à m'en parler tandis que d'autre faisait mine de ne rien savoir. Peut-être que Nyana a réussi à en apprendre plus pendant mon absence. Enfin bon, il est ce qu'il est, lorsque nous avons parlé des anciennes ruines de Cordont la Chue, j'ai eu envie de les voir de mes propres yeux et c'est pourquoi je suis ici aujourd'hui. Enfin Caladon, c'est bien parce que je savais que je pouvais trouver des amis qui m’accueilleraient le temps que je réfléchisse un peu plus à ce que je veux faire. Je suis, on peut le dire, un peu partie sur un coût de tête. Enfin... mon sac était prêt depuis des jours avant mon départ.

Je ricanais nerveusement en passant un doigt griffu derrière une oreille avant de reprendre.

- Belethar m'a dit qu'une expédition était en préparation, je vais bientôt reprendre la route et avec de la chance, je pourrai descendre dans le gouffre. Vous avez déjà la chance d'y voir ces ruines ? Demandais-je curieuse en regardant tour à tour la jeune famille. Voilà un peu le pourquoi du comment. Je ne sais pas si ce voyage me permettra de découvrir de nouvelles choses mais on ne peut pas rester les pattes dans la poussière alors que les Couronnes de Cendres reviennent parmi les vivants. Cette histoire est complètement incroyable. Effrayante... et très excitante d'un côté. J'aimerai... je ne sais pas, j'aimerai tellement faire plus mais à mon échelle, je préfère prendre des notes et comprendre avec ma cervelle de petit oiseau. Les miens peuvent dire ce qu'ils veulent, on est pas obligé d'avoir un rang particulier pour faire quelque chose de sa vie, n'êtes vous pas d'accord ? Et ce n'est pas parce que j'ai quitté la Légion que l'on doit me blâmer pour cela.

J'essayais d'être honnête. Belethar m'avait bien aidé à y voir plus clair dans toute cette histoire et je lui devais une fière chandelle.

- Mais que les Esprits me fasse taire, je n'arrête pas de parler ! Et vous, comment vous portez-vous ? Avez-vous avancer dans certaines de vos recherches ?

Je tournais mon regard vers Dame Falkire avant de poursuivre :

- J'ai appris votre nouveau rôle pour cette ville. Et c'est la plus merveilleuse des choses sachez-le. Je n'imagine même pas la lourde charge que vous avez et que vous allez avoir sur vos épaules mais sachez que vous serez à la hauteur quoique les gens disent.

Je hochais la tête en fronçant le nez pour appuyer mes paroles. Il n'y avait pas à dire, les deux personnes que j'avais en face de moi allait marquer l'histoire et j'étais heureuse de les connaître.

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Un simple verre de lait ? Soit. Le thé étant présent parmi les diverses boissons, du lait y trônait également. Il en servit donc à la jeune Graärh, posant le verre devant elle, s’amusant intérieurement de noter cette petite similitude avec certains félins. La pensée d’une féline, entre tous, passa fugacement dans son esprit. Où était donc Olöréa ? Certes, elle était peu prompte à se montrer quand il y avait quelque invité. Toutefois Ilhan était persuadé qu’elle aurait pu se plaire auprès de Reynagane, au tempérament si doux et si posé. Mais sans doute était-elle en train de ronronner en rêvant sur son lit, à l’étage…

L’arrivée de sa femme le sortit de ses songes. Plus encore l’accueil qu’elle lui réserva en entrant. Un doux baiser voletant sur sa joue. Délice fugace l’enivrant d’amour. Et si ses sens embrasés auraient bien réclamé plus, ses sentiments se calfeutrèrent dans sa pudeur romantique. Une invitée siégeait en leur salon en cet instant, et ils lui devaient de la combler de toute leur attention.

L’althaïen ne put alors que sourire aux paroles de sa femme. Qui donc, en entendant cela, pouvait-il encore s’étonner qu’elle soit parvenue à conquérir adhésion et fidélité d’un grand nombre en Caladon ?

Votre présence ne nous importunera jamais, répondit l’althaïen d’une voix suave et profonde, en un Graärh un peu mieux maitrisé.

Et à l’évocation de la naissance à venir, un sourire, à la fois nostalgique et heureux, empreint toutefois d’une once de sévérité et d’un zeste d’inquiétude, fut sa seule réponse. Oui, la naissance se profilait bien vite. Un peu trop vite à son goût, et pour la mère, et pour l’enfant. Une naissance qui serait bien difficile, il le savait. Ils le savaient tous deux, ajouta-t-il mentalement quand il croisa le regard de sa femme. Il risquait de les perdre tous deux, et chaque fois que cette pensée le rongeait, son coeur s’en affligeait. Mais il n’était nul temps de se perdre en de si sombres conjectures. Ils étaient là pour accueillir leur amie, puisqu’elle les autorisait à l’appeler comme telle. Une appellation qu’il savait d’importance pour les Graärh, et il s’en sentait honoré.

Mais parlez-nous donc de vous.

Quand la Graärh se lança enfin dans le récit de ce qu’elle avait vécu ces derniers temps, il écouta avec une vive attention, tout en prenant place dans un fauteuil à son tour, d’un air digne et noble, jambes croisées, mains posées avec calme sur les accoudoirs. Dans ce petit boudoir, ils formaient soudain un triangle parfait. Et les mots de la Graärh résonnèrent entre eux, contant ses aventures. Même si cela n’avait rien d’un conte pour enfants. Si jeune… et elle avait vécu pourtant déjà tant de choses, tant d’épreuves…

Les orbes sombres de l’althaïen couvaient Reynagane du regard, la transperçant avec force, comme s’il cherchait à lire au plus profond de son âme. Il fut peiné qu’elle ne soit pas parvenue à recouvrer son rang, et qu’elle soit alors séparée de son amie Nyana. Il regrettait en cet instant la culture un peu trop guerrière des Graärh, qui ne vouaient pas aux actes de soutien que Reynagane avait pu apporter toute l'importance qui leur était due, des actes tout aussi primordiaux et déterminants qu’un coup infligé à une Couronne de Cendres. Sans l’aide de chaque personne présente en cet instant, les coups n’auraient peut-être pas réussi à blesser leur cible. C’était un travail d’équipe où chaque membre avait eu son rôle à jouer et son importance. Les Graärh ne le voyaient-ils pas ? Mais non, apparemment non. Et cela lui rappelait en un sens ce dont il avait déjà pu être témoin en Delimar. L’art guerrier prôné comme étendard, parfois au détriment d’autres arts tout aussi nobles et tout aussi nécessaires. En l’Océanique aussi, souvent on ne voyait que le noble combattant et pas forcément celui qui l’avait guéri ou celui qui avait couvert ses arrières…

Il fut affligé à ce court récit et compatissait à son désarroi. À ses questionnements aussi. Des questionnements qui dénotaient une réelle maturité.

Quand Reynagane évoqua sa demande au sujet des anciennes légendes perdues des Graärh, ou plutôt connues que des anciens, Ilhan hocha la tête, sans pour autant l’interrompre. Il comprenait. Pour tout avouer, il s’en doutait un peu également. Les Graärh et leurs secrets… Chaque peuple gardait de tels secrets dans les alcôves de son passé, bien cachés, et le peuple originel de l’archipel n’échappait pas à cette règle universelle.

Pas un mot ne franchit les lèvres de l’althaïen. Et quand la Graärh enchaina sur des compliments envers Autone et sa nouvelle nomination, un doux sourire s’esquissa de nouveau sur ses traits. Il attrapa alors une des fines main de sa femme pour la lui serrer doucement.  

Je suis heureux que tant de gens partagent mon opinion sur… ma Reine

Son sourire se fit taquin à ces deux derniers mots, tant il savait que cette appellation pouvait gêner Autone. Mais en son coeur, c’était ce qu’elle était. Et il sentait que dans le coeur de nombreux caladoniens il en était de même. Il avait ressenti la véritable ferveur de certains dans les rues quand le nom d’Autone se faisait entendre. Elle avait, effectivement, tout d’une Reine. Et plus encore.

Son regard sombre revint se poser sur Reynagane, et son sourire reprit un tant soit peu de sérieux, alors qu'il libérait son aimée de sa fugace emprise.

C’est effectivement une lourde charge, et nous espérons apporter à notre monarque tout le soutien nécessaire pour oeuvrer comme elle le souhaite.

Une œuvre dont elle avait déjà commencé à poser les premières pierres et dont Reynagane avait sans doute déjà entendu parler. L’abolition de l’esclavage, notamment. Et plus encore se préparait. Mais il n’était pas bien sûr que tous trois soient là pour parler politique, et il préférait laisser l’honneur à Autone d’annoncer ces nouvelles et ces lois si elle le souhaitait.

Je compatis à tout ce que vous avez dû traverser. Et à la déception qui a dû être la vôtre. Je ne suis pas certain que cela puisse apaiser votre coeur, mais je suis d’accord avec vous. Je reste persuadé que nous ne pouvons rester les bras croisés, nous ne pouvons pas laisser les Couronnes de Cendres oeuvrer dans l’ombre et risquer de détruire…

Encore, songea-t-il en son for intérieur.

Notre monde.

Il prit une rapide gorgée du vin dont il s’était servi, et reprit :

Je vous remercie également d’avoir essayé d’en apprendre plus sur l’histoire de votre peuple. Mais ce silence auquel vous vous êtes butée n’est en rien un échec. Peut-être votre demande fera-t-elle son chemin dans l’esprit de certains anciens ?

Allez savoir…

Je suis également d’accord avec vous : nul besoin de rang honorifique pour accomplir de grandes choses et faire quelque chose de sa vie. Parfois même, certains oeuvrent dans l’ombre sans que jamais personne ne le sache et pourtant leurs actes redessinent les contours du monde sans qu’on ne s’en aperçoive. Sans même parfois qu’on leur en rende ensuite hommage… Injustice peut alors ronger nos coeurs à cette pensée, mais au final, je reste persuadé que peu importe ce que les autres pensent, peu importe que nos noms restent gravés dans les pierres contant les légendes ou dans nos livres d’histoire, tout ceci est dérisoire. Seul compte d’accomplir ce que l’on doit. Et on reconnaît son devoir à ce qu’il ne nous appartient pas de le choisir.

Il lui offrit un sourire contrit, silencieuse excuse de cet instant un peu trop philosophique sans doute. Il avança alors une main vers Reynagane et la posa sur une des pattes.

Il ne répondit pas toutefois quant à l’exploration dans les souterrains de Cordont. Il l’y aurait bien invitée, mais tout était déjà organisé. Et cela ne dépendait pas que de lui, pour tout avouer. Pourtant elle aurait été un atout lors de ce voyage en ces sombres contrées… Il pourrait en tout cas essayer de lui obtenir une autorisation pour approcher de Cordont et du gouffre sans avoir trop d’ennuis. Delimar y assurait encore, normalement, la sécurité. Et il était encore, pour le moment, conseiller délimarien. Mais il préférait ne rien lui dire à ce sujet, ne rien promettre, au cas où il échouerait. À la place, il revint sur ce qu’elle avait dit concernant sa place en ce monde.

Peu importe ce que pensent les vôtres, ils ne savent pas ce qu’ils perdent. Pour moi, et je pense que ma femme plussoiera, vous aurez toujours une place ici, parmi nous, auprès de nous, si vous le désirez. Et si vous voulez oeuvrer avec nous, votre aide nous sera que trop précieuse.

S’il avait une idée en tête concernant Reynagane ? Quelques unes, beaucoup même. Ses talents étaient inestimables et elle pourrait les aider à bien des égards. Ses talents de guérisseuse et d’herboriste pouvaient sans doute être utiles à Caladon, ou ailleurs, que ce soit dans l’armée qu’ils formaient, ou simplement dans un petit centre de soin qu’ils pourraient créer, ou à enseigner son art à d’autres si elle le voulait, éventuellement avec le Conseil des mages en soutien. Ses talents de réflexion et son passé seraient un atout non négligeable si elle voulait oeuvrer politiquement en Caladon, et soutenir les actions d’Autone. Son ardeur à vouloir oeuvrer pour contrer les Couronnes était non négligeable aussi et nul doute qu’il y avait matière à explorer pour parvenir à trouver une solution contre elles. Enfin, son passé et sa discrétion, sans compter son apparente envie de voyage et sa soif d’apprendre, pourraient même en faire une merveilleuse espionne… Oui, tant et tant de possibilités en cette Graärh. Comment donc les siens ne le voyaient-ils pas ?

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Autone écouta attentivement les aventures de la Graärh en plongeant peut-être un peu trop rapidement dans les fruits et sucreries. Elle se calma un peu en réalisant que la conversation devenait plus sérieuse, et s’acharna plutôt sur le thé. Plusieurs commentaires passèrent laissant Autone pensive, mais muette. À vrai dire, cette partie de la grossesse devenait plus facile. Moins de nausées, entre autres, puis il y avait toujours beaucoup de compliments. Mais outre qu’on se souciait plus d’elle, elle se sentait étrangement plus écoutée. Mais elle lisait, dans les yeux de son mari, qu’il s’inquiétait pour les mois à venir. Elle n’avait pas de doute qu’elle n’y survivrait pas, pas humaine. Autone ne savait pas si elle avait réellement fait la paix avec cela. Probablement pas, mais elle l’acceptait, malgré l’angoisse, la colère et tout ce qui venait avec la fin de cette maternité. Elle acceptait la douleur et l’anxiété que lui amenait la mort. Mais c’était étrange, et bien sûr elle aurait préféré ne pas avoir à y penser.

Elle rougit en entendant l’infameux titre honorifique que son mari lui réservait. Le petite dame espérait pouvoir passer par-dessus cette gêne. Elle ne pourrait pas régner si elle devait rougir chaque fois qu’on l’adressait. Un léger sourire aux lèvres, Autone posa enfin son thé pour participer à cette conversation bien active. « Je vous interdit de vous qualifier de cervelle d’oiseau, Jeevant Aatma, vous êtes brillante. Et je n’insulterais pas ainsi la pie, le corbeau et la chouette si j’étais vous. » Elle lui fit un sourire taquin.

« Vous serez toujours la bienvenue à Caladon, ainsi qu’au sein de ma maison. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, comptez sur mon hospitalité Reynagane. Je serai heureuse de vous aider, en tant qu’amie. »

L’hospitalité, elle aurait voulu que Caladon soit ainsi, comme Althaïa. « Et mon mari a raison. Nous sommes chanceux du labeur que vous donnez à résoudre ces problèmes. Assudh, Nayaak, reine ou mendiante. Nous partageons les mêmes terres, la même trame. Les noms et les titres changent constamment. Certains cessent de se battre, et certains n’arrêtent jamais. Nous savons qui nous sommes. » Elle n’était que tout juste monarque, et on pouvait pratiquement dire la même chose de sa noblesse. Il y a une poignée d’années, on l’aurait jugée déshonorable. Mais elle était ici, elle avait été Assudh et Nayak. Mendiante et Monarque. Comme le destin était espiègle.

Elle prit la main d’Ilhan, lui glissant un sourire. « Et nous choisissons les nôtres. »
Les siens l’avaient choisie, finalement, lui avaient données tout ce qu’elle devenait. Devant elle, il y avait le début de plusieurs siècles, la fin de son humanité. Combien d’amitiés lierait-elle ainsi, pour les perdre après quelques années?

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Le goût d'une fraise délicate dans la gueule. Des odeurs d'infusions et de lait et des petites moustaches frémissantes de bien être et de satisfaction mêlés face aux deux chers amis de la Gräarh.

Les mots de Belethar avait déjà résonné comme un chant de compréhension ainsi que d'apaisement. Entendre un proche mais différent discours au sujet de la Légion et du ressentiment de la femelle lui faisait grand bien pour se rassurer et envisager la suite de son avenir. Les humains ou autre ethnie avaient beaux être très différents des Gräarhs, Reynagane se plaisait à penser que la logique de ses amis correspondait plus à sa façon de penser maintenant.

À les écouter parler de la sorte, Reynagane se forçait dure et fort à ne pas lâcher le plus gros ronronnement du siècle. Contenue par la politesse et les principes, la Gräarh pencha sa tête en avant en signe de grand respect vers Autone à la fin de ses paroles. Une fois ce geste fait, la féline releva le museau pour plonger son regard tour à tour vers Ilhan puis vers la nouvelle monarque de Caladon. C'était étrange. Vraiment très étrange comme sensation. Comme pensées qui lui traversaient l'esprit en regardant tour à tour les deux personnes qui avaient fait tant pour elle. Comment définir cette sensation qui l'assommait suite à cet échange ? À première vu,  Reynagane aurait pu l'interpréter comme un soulagement au sujet de ce que penser les autres de cette histoire d'honneur mais à s'y pencher de plus prêt, la Gräarh devait bien se l'avouer, elle était soulagée d'entendre qu'Ilhan et Autone l'acceptait telle quelle était et qu'ils étaient prêt tout deux à lui faire une petite place dans ce monde-là. Leur monde. Y avait-elle déjà réfléchis avant ? Y avait-elle songé ? Sans aucun doute si l'on en croyait la vague de chaleur qui lui traversait le pelage.

- Oeuvrer avec vous... Tels avaient été les mots de Seigneur Avente. Se serait pour moi tant d'honneur.

La Gräarh se laissa une seconde à regarder les alentours de la pièce, d'écouter les sons de la ville dehors. Caladon. La ville aux mille et un cauchemar. Ville qu'elle s'était jurée de quitter à jamais, pouvait-elle imaginer une seconde y vivre tout compte fait ? Elle, petite Gräarh qui n'avait aucune connaissance en rien si ce n'était de savoir ou était le meilleur poissonnier ?

- Je ne sais pas comment vous montrer à quel point ce que vous venez de me dire me touche. Au plus profond de mon cœur ajouta t'elle en tapotant son poitrail avec sa grosse pattoune. Non pas que je ne vous croyez pas capable de tant de bonté mais, comment dire, depuis mon départ de Néthéril, je ne voyais que mon objectif d'atteindre Cordont. Alors entendre qu'il y a peut-être un après à toute cette histoire me redonne espoir pour la suite.

Souriante, le regard pétillant, Reynagane s'attaqua à son bol de lait frais en laissant échapper cette fois-ci un ronronnement sonore.

- Oups, pardon. Rigola t'elle gênée avant de reprendre une tête concentrée pour ne pas montrer une vague d'émotion dans son regard. J'aimerai beaucoup vous être utile si vous pensez que j'en suis capable ! Bien au contraire, alors, je ne sais pas ce que peux faire une Gräarh telle que moi pour vous aider... Tout me paraît si compliqué.

La Gräarh posa son bol sur la petite table avant de reprendre une fraise. Il fallait absolument qu'elle fasse goûter cette chose au premier Gräarh qui pointerait le bout de son museau devant elle.  

- Mais je suis prête à apprendre. Je comprend vite et...et les Espérancieux m'apprennent à écrire et lire comme il se doit.

La femelle sentait son cœur vibrer d'un air de renouveau. Une bouffée d'espoir et d'oxygène bien vite assombri par des souvenirs moins chaleureux.

- Il y a beaucoup de choses en quoi j'aimerai croire qu'un jour je puisse être capable de les réaliser. Dont une histoire qui me pèse le cœur. De ce que je comprend l'esclavage sur Calastin diminue de plus en plus. Si c'est une bonne chose d'un côté, j'ose penser que nombreux Gräarhs vont se retrouver exactement dans la même situation que moi. À moins que je ne sois vraiment le seul vilain petit canard ricana t'elle avant de soupirer.

Reynagane se souvenait très bien des simples Gräarhs qui l'avaient accueillis sur leur bateau de pêche. Anciennement esclave qui n'avait pas eut le courage de repartir sur Néthéril. Certains trop âgés, ou d'autres encore ayant trop peur d'affronter ce retour que Nyana et elle avait naïvement cru facile. Il n'était pas trop tard pour tout ces Gräarhs, Reynagane en avait la certitude mais avant toute chose, l'esclavage devait être éradiquer, partout. Les pirates, il s'agissait d'une toute autre histoire à ne pas mélanger.

- Enfin bon, je ne sais pas pourquoi je vous dis ça, rien n'est clair dans ma tête. Enfin si, une chose. Je souhaiterai être des vôtres. De ce pourquoi vous œuvrez vous. Je pensais dure comme du fer pendant longtemps que j'avais abandonné ma seule et unique famille sous les coups d'un égoïsme sans faille alors que la réalité était tout autre. Pendu sous mon nez comme une araignée en train de tisser sa toile.

La Gräarh plongea son regard dans ceux alors d'Ilhan avant de lancer un sourire des plus sincère à la femme aux cheveux enflammés.

- En quoi pourrais-je vous être utile ? Je ne sais pas si créer un lien avec les Gräarhs de Néthéril comme le fait l'Empereur me siérait ajouta t'elle avec une pointe d'humour noir. En revanche me battre pour la libération des miens ou encore contre le fléau de la piraterie serait pour moi une véritable source d'inspiration. Il y a des maux que je remarque profondément encrée dans ma chair et me battre pour les soigner ferait de moi une autre Gräarh. À voir si j'en ai la force et le courage... Moi qui essaye de ne plus montrer ma peur même si je l'a sens encore prête à bondir à tout instant. Dans tout les cas, j'espère ne pas vous décevoir, vous qui me donnez votre confiance depuis le début.

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S’il ne fut guère étonné qu’Autone soutienne sa proposition d’accueillir Reynagane à Caladon parmi eux, il fut heureux de l’entendre dire de vive voix. Il sentait que la Graärh avait besoin d’entendre ces mots. Elle semblait avoir beaucoup souffert du rejet des siens, ce qui se comprenait pleinement. Et son estime d’elle-même, déjà bien peu élevée de par son ancien esclavage, était réduite en miettes. Il était temps que cela change, qu’elle puisse voir l’éclat de son aura dans un miroir et non plus le reflet du pâle fantôme de l’esclave d’antan.

Il serra la main de sa femme quand elle la lui saisit, et lui sourit en retour, une chaleur palpitant en son coeur à ce simple geste. Même si un éclat de vive inquiétude brûla au fond de ses orbes sombres. Bientôt, elle mourrait. Il le savait, elle le savait, ils le savaient tous. Et cela, à cause de lui. Pour autant, loin de lui en vouloir, elle semblait encore lui accorder la grâce de son affection, voire de son amour. Oui, ils s’étaient choisis en un sens. Étrange avait été ce moment où tout avait basculé, mais il ne regrettait en rien ce choix-là. Des regrets, il en avait eus, mais Autone n’en faisait pas partie. Sa mort, oui, mais sa transformation potentielle et sa renaissance parmi les éternels, non. Avec lui, elle rejoindrait une nouvelle aube, pour reconstruire un jour nouveau, et brillerait d'un feu plus ardent que le soleil lui-même.

La voix de Reynagane le tira de ses pensées et le replongea dans la réalité du moment présent. Oui, il y avait un après à son esclavage. Comme il y aurait peut-être aussi un après aux Couronnes de Cendres. Ils feraient tout ce qui était en leur pouvoir en ce sens. En tout cas, Autone et lui avaient le pouvoir de lui proposer un après à sa situation, et ce dès maintenant.

L’althaïen ne put laisser échapper un petit sourire amusé en entendant le ronronnement et en voyant le grand félin se pourlécher les babines. Même en sachant que les Graärh n’avaient rien des chats, il ne pouvait s’empêcher de penser à Olörea en voyant Reynagane agir ainsi. C’était tout à fait... eh bien tout à fait félin. Quand elle s’excusa de son comportement, qui selon Ilhan n’avait nul besoin de pardon, il se contenta d’un geste signifiant qu’il n’y avait rien de mal. Et son regard amusé devait parler pour lui.  

S’il pensait qu’elle en était capable ? Bien évidemment. Il ne le lui proposerait pas, si tel n’était pas le cas, il était du genre à sélectionner les talents qu’il voyait, et non à s’encombrer d’incompétents cancrelats incapables de rien. Et oui, elle apprenait vite. Très vite même. Avec une ouverture d’esprit bien supérieure à la norme de son peuple. Reynagane était hors-norme, extraordinaire de talents et de potentiels, et malheureusement elle ne voyait pas une once de tout ce qui couvait de merveilles en elle. Et d’ailleurs, elle venait de prouver elle-même sa vivacité d’esprit alors qu’elle abordait un point crucial dans lequel elle pourrait aider : la libération des esclaves Graärh. Car abolir l’esclavage était une chose, tenter d’en réparer les méfaits en était une autre. Et il leur restait encore à offrir un avenir à tous ces Graärh, qui, comme Reynagane, n’étaient pas parvenus à se faire accepter de nouveau dans leur tribu ou leur légion.

Mieux même, elle proposait deux axes d’attaque. Aider les siens suite à la libération de l’esclavage… et le fléau de la piraterie. À ces mots, sur ses lèvres s’étira un sourire des plus énigmatiques, où le mot complot aurait pu se murmurer sans peine.

Oh oui, vous en avez la force et le courage, répondit-il tout d’abord d’une voix basse et profonde.

Ses accents althaïens ressurgissaient pour mieux faire chanter ces mots et leur donner une tonalité presque solennelle.

Avoir peur ne veut pas dire manquer de courage ni de force. Cela signifie juste que vous avez toute l’intelligence pour comprendre le danger que vous vous apprêtez à affronter. Le courage est alors d’y faire face, en toute connaissance de cause. Ceux qui le regardent en face en prononçant son nom sont bien plus braves que ceux qui lui foncent dessus l’épée à la main en toute inconscience. N’en doutez jamais.

Il savoura à son tour une petite fraise, l’une des rares à avoir survécu encore à la gourmandise qui résonnait dans cette pièce, puis reprit :

Il y aurait bien des choses pour lesquelles vous pourriez nous aider. Vous avez vous-même soulevé des points intéressants. L’abolition de l’esclavage à Caladon ne signifie pas la fin de toutes ces souffrances, malheureusement. Les esclaves affranchis doivent encore panser leur plaie et apprendre à relever la tête pour retrouver une place en ce monde.

Personne mieux que Reynagane ne pouvait comprendre cela, et le sentir au fond de ses entrailles.

Vous, Reynagane, vous qui êtes passée par ces affres-là, vous pouvez les aider, vous pouvez les guider. Vous pouvez être leur lumière dans la nuit qui est encore la leur. Nous pourrions…

Il se tourna vers sa femme, légèrement hésitant, puis, reprit, songeant que dans tous les cas, soit elle appuyait son idée, soit elle saurait rebondir dessus pour l’adapter aux mœurs caladoniennes et à ses propres souhaits.

Nous pourrions peut-être créer un quartier, rattaché à Caladon, qui pourrait accueillir tous ces affranchis perdus. Et vous pourriez… être leur guide, le responsable de ce quartier, en organiser la construction et la régence. Vous, plus que quiconque, savez ce dont ils auraient besoin, vous êtes sans doute la plus à même de leur offrir un endroit où ils pourraient se reconstruire.

Un autre regard vers Autone, comme pour cueillir son approbation ou ses remarques, puis il replongea ses yeux d’un noir d’encre dans les perles claires de la Graärh.

Quant aux pirates… Gérer ce fléau serait une tâche de longue haleine.

Pour tout avouer, selon lui, il préférait laisser leurs adversaires potentiels, comme l’Empire éventuellement, tenter de gérer ce fléau des forbans. Que les deux s’affaiblissent mutuellement en un jeu du chat et de la souris, pendant que Caladon se renforçait, constituait son armée, ses renforts, ou affûtait ses armes, qu’elles soient de métal, d’or ou de mots. Et ensuite, seulement, ils pourraient aviser s’ils devaient se joindre au jeu et frapper à leur tour.

Nous avons en tout cas plus urgent à gérer les concernant.

Il lança un regard lourd de sens à Reynagane, puis à Autone. L’objet. L’objet que Udyog leur avait demandé d’aller chercher. Objet détenu ni plus ni moins que par… les pirates. Par le roi des forbans lui-même. Il avait tout raconté à Autone, qui pourrait donc comprendre aussi aisément de quoi il parlait.

Je suis en train d'organiser tout un plan pour aller chercher ce qui nous a été réclamé. Une expédition aura sans doute lieu. Mais… Mais il nous faut des yeux et des oreilles là-bas, pour préparer le terrain ou assurer nos arrières...

Bon, certes, il en avait déjà quelques-uns. Peu, mais quelques-uns, une petite poignée. Mais si Reynagane voulait s’y joindre… Sa discrétion et son sens de l’observation, son intelligence et sa vivacité d’esprit, pourraient être de bons alliés en ces terres malfamées.

Ces derniers mots planèrent dans l’air, le sous-entendu potentiel résonnant entre eux sans avoir besoin d’être prononcé : voulait-elle être de ces yeux et de ces oreilles en terre pirate ?

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Aux regards de seigneur Avente et dame Falkire, Reynagane savait qu'elle pouvait déjà compter sur eux pour la suite.
Flattée par les mots d'Ilhan, la gräarh remercia les Esprits d'un petit regard vers le plafond de la pièce pour avoir eut l'inteliigence de recouvrir sa peau d'un poil doré et brillant pour ne pas montrer sa peau rougir comme pouvait le faire les autres bipèdes en temps de gêne.

Bien était pourtant les doutes qui avaient de nombreuses fois prit la tête de la jeune féline pour le tordre dans les sens. La peur, elle lui tenait les tripes depuis si longtemps qu'il avait presque fallut tout quitter de ses habitudes pour qu'enfin elle ne l'a laisse un peu en paix. Si on pouvait dire que la peur avait cesser de venir l'embêter à ce jour.

Reynagane se reconcentra sur ce que disait l'althaïen. Écoutant attentivement la suite de la conversation, Ilhan souleva des points que se soit au sujet des autres Ashuddhs et de la piraterie, les deux animaient la gräarh d'iée toutes inspirantes. De là, elle voyait déjà tout ce qu'il y avait à tracer dans ce monde dans lequel elle voulait ajouter sa patte et dans un certain sens, cela l'a rassura grandement. Elle n'était peut-être pas si perdue que ça finalement.

Les oreilles dressées vers l'avant, les moustaches frémissantes, la belle déposa son verre de lait vide sur la petite table en face d'elle et faillit avaler de travers sa dernière gorgée lorsqu'il fit allusion d'un quartier au sein de Caladon qui pourrait accueillit nombre gräarhs comme elle.

- L'idée qu'une telle chose se produise serait pour moi le plus beau rêve que je puisse aspirer à ce jour réussit-elle à dire en tapotant son poitrail entre deux bouffées d'air. Mais... si je ne doute pas que des gräarhs accepteraient de s'installer dans ce quartier, que je devienne une sorte de « responsable » me fait bien peur je le crains. Ajouta t'elle finalement après s'être calmée. Je vois mal d'autres m'écouter ni même me suivre, je ne pense pas avoir le talent ni même l'assurance à ce jour osa t'elle rire avant de toussoter de manière gênée.

 
Il y avait dans ce projet des choses qui lui plaisait tant. Elle se revoyait déjà discuter avec le gräarh pêcheur, ancien esclave qui l'avait amené à bon port sur Caladon. Il lui avait montré tout son petit équipage de gräarhs qui n'avaient, pas souhaitez rejoindre Néthéril à l'abolition de l'esclavage. Pour ne pas avoir à se battre de nouveau, tels avaient été les mots du diseur de « petite moustache ». Un pied à terre ou les gräarhs pourraient vivre en sécurité en mêlant leur tradition à celles des Hommes pouvait voir le jour ?

Reynagane ne pu cacher l'émotion qui monta en elle.

- Un lieu ou le mot ashudhh serait définitivement éradiquer, déclara t'elle doucement ému.  Comment réagiraient les caladoniens ? demanda t'elle en reprenant un air pensif.  Se serait... un peu déroutant non ?

Reynagane leva les yeux vers Autone pour savoir un peu ce qu'elle pensait de tout ceci. À vrai dire, c'était à elle de décider si une telle idée pouvait un jour naître.

Lorsque la conversation tourna au sujet de la piraterie, là encore le doute assomma la gräarh. Bien vite remplacé par une lueur brillante dans le regard. Cela faisait en réalité un long temps qu'elle réfléchissait à comment jouer un rôle dans ce fléau pirate. Et l'idée de pouvoir aller enfin jeter un véritable œil sur la vie de ceux qui lui avait tout pris lui donnait une bouffée d'ambition et de courage. Elle n'avait plus rien à perdre maintenant, n'est-ce pas ?

Les insinuations de l'althaïen étaient claires et si le doute perpétuait, Reynagane su qu'elle ne demanderait pas de nouveau si ils pensaient qu'elle était capable de rentrer dans un tel système d'espionnage. Pour tout dire, elle commençait à en avoir ras le bol de ce « doute » qui l'empêchait de vivre pleinement.
Les pupilles de la féline s'étrécirent en deux petites fentes en harmonisant ses pensées dans sa tête.

- J'en serais honorée. J'en suis capable.

Disait-elle cela pour elle seule ? Assurément.

- Si c'est possible, je souhaite me joindre aux vôtres sur le terrain. Oui, c'est une opportunité que je ne souhaite pas perdre moi qui cherche un moyen d'en apprendre plus sur tout ces malfrats. J'ai passé trois années à me faire aussi discrète que l'araignée sur le bord de la fenêtre. Il est temps pour moi de comprendre comment vivent ces pirates. Si vous acceptez ma demande, je serai vos yeux et vos oreilles.

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Autone rit doucement, d’une voix grave, en entendant le ronronnement. Si elle avait été Graärh, elle aurait probablement ronronné avec elle, c’était un rire de joie. Reynagane avait, comme lors de leur rencontre, une relation brisée avec elle-même. Ce n’était pas tellement étonnant, Autone avait pris quelques années à croire en son pouvoir en sortant de Morneflâmme. La violence, l’esclavage, s’internalise. Autone aurait aimé que Reynagane croit en elle-même. Elle se revoyait, devant Aldaron, qui lui disait que si elle croyait en lui, si elle lui faisait confiance, et qu’il croyait en elle, elle devait se savoir capable des attentes du prince. Si Reynagane admirait la petite dame, elle qui n’avait rien fait que l’aider un peu en temps de besoin, pourquoi ne s’estimait-elle pas autant? Autone savait Reynagane capable. Elle anticipait le moment où la Graärh poserait un pied dans le chemin menant à son pouvoir intérieur.

« Caladon représente…représentera un endroit lugubre, pour bien des Graärhs. J’en suis consciente, je n’en voudrai pas à ceux qui veulent quitter. Je suis devenue conseillère car j’aimais Caladon, car je croyais en ce qu’elle représentait. Et ça me brisait le cœur, qu’il y ait autant d’esclavagistes, parce que ce n’était pas Caladon. J’aimerais que cet endroit ne soit pas que synonyme de cauchemars pour les Graärhs. Qu’il ne s’agisse pas seulement de l’endroit qu’ils ne veulent plus jamais voir. J’aimerais que les Graärhs n’aient pas à fuir Caladon, qu’il y ait une place, pour eux, ici. Je prévois des réparations, parce qu’on n’abolit pas simplement sans rien faire ensuite pour assurer un changement. Mais surtout, j’aimerais que les Graärhs puissent faire partie de Caladon, s’ils le veulent. »

Autone posa une main sur son ventre arrondi, soupira. C’est qu’elle ne savait pas ce qu’elle deviendrait, après sa renaissance.

« Reynagane » commença-t-elle, tournant son regard vers celui de Jeevant Aatma. « Je sais que c’est difficile, de croire en soi, quand on en sort tout juste. Vous êtes tout en droit, de manquer de foi. De ne pas y croire tout de suite. Mais il faut commencer à essayer, parce que vous n’appartenez à personne d’autre que vous-même, maintenant, et pour toujours. Et tant que vous croyez en vous-même, vous ne devez votre intégrité à personne. »

Ça manquait peut-être un peu de clarté. Était-ce trop abstrait? Autone espérait que son amie comprendrait. « Et aux moments où vous doutez, tentez de vous rappeler de qui a foi en vous. Faites cette liste dans votre esprit. Autone, Ilhan, Sire Espérancieux. » Autone sourit, elle ne connaissait pas les autres, mais Reynagane pourrait compléter cette liste. « Nous avons pensé à vous pour une raison, pas par hasard, ou par manque de ressources. Je sais que vous pouvez nous faire honneur. »

Autone hésita à poursuivre, elle était un peu nerveuse, ne voulait pas brusquer Reynagane.
« J’aimerais que les Graärhs aient leur place au sein de Caladon. Je m’en fiche, de ce que les autres penseront, diront. » Peut-être un peu trop d’ailleurs. Il avait été difficile de tenter de réfléchir des projets, quand on lui rappelait qu’elle devait prendre en compte ses opposants. Elle n’avait pas envie de penser à eux, et c’était difficile de construire quelque chose de réaliste et juste à la fois. Les réparations faisaient partie du réalisme, sans elles, rien ne tiendrait.« Ils penseront, ils parleront. Nous ne pouvons changer cela. Caladon, tel que je la pense, aura une place pour vous, que cela plaise ou non. Avec les années les gens verront que cela n’est pas plus mal. Et j’espère qu’un jour, les pensées évolueront suffisamment pour que les Graärhs puissent aussi faire partie de l’administration. »

Elle laissa cette idée en suspens, ne voulant pas pousser la proposition trop loin. Elle voulait pouvoir s’allier avec des tribus, mais il ne s’agissait pas seulement d’alliances. Il s’agissait d’être ensemble, de permettre une intégration.
« Je m’occupe de Caladon. Alors ne vous souciez pas des basses paroles. »

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Les vapeurs des tasses de thé, les bols garnis, les coussins brodés et l'air si léger de la pièce. Des choses anodines qui viennent apaiser des esprits tourmentés comme l'était encore celui de Reynagane.
Les mots de ses deux hôtes venaient adoucir les culpabilités et les larmes versées depuis si longtemps. Ils venaient l'envelopper pour l'éloigner d'un passé entravant et la conduire vers des chemins plus clairs. La gräarh ne savait pas de quoi l'avenir serait fait, mais ce qu'elle savait, c'est qu'elle comptait bien ne plus baisser les bras. Elle avait des idées en tête, des questions qui cherchaient réponses, des expéditions à mener mais en ayant vécu dans ce monde là, elle savait maintenant qu'elle ne pourrait tout faire toute seule. Partir de Néthéril en reposant tout sur la bonté des Espérancieux étaient une chose, partir vers le gouffre de Cordont en traversant prairies et forêts étaient une chose, mais s'armer pour prendre littéralement son avenir entre ses pattes requerrait l'appui d'êtres chers.

Il était bon d'entendre Dame Falkire vouloir changer la vision qu'avait les gräarhs sur Caladon. Non pas que Reynagane n'imaginait pas une seconde la future monarque vouloir le bon pour son peuple, mais plus dans le sens ou cela lui faisait du bien de l'entendre de la voix d'une humain. Quel qu'il soit.

La suite avait don d'embraser des braises que la féline pensait éteintes depuis des années. Les mêmes sensations que lorsqu'elle avait soigné son tout premier patient, il y a fort longtemps, parcouraient sa pelisse et sa peau alors que la femme aux cheveux de flammes terminait ses dires avec un regard assuré sur le visage. Avalant une dernière petite gorgée de lait, la gräarh posa lentement ses pupilles étrécit sur Seigneur Avente avant de les passer sur Dame Falkire. Ramenant son verre vide sur la table, la féline se redressa et par les Esprits, qu'elle était grande la colonne droite et les épaules légèrement en arrière. Un sourire fin sur ses babines, Reynagane savait garder tant de contenue alors qu'à l'intérieur elle avait simplement envie d'exploser tant des portes venaient de s'ouvrir à elle grâce aux jeunes mariés.

- Vos souhaits de voir Caladon devenir un jour une cité ou Gräarhs de n'importe qu'elle endroit du monde puisse être le bienvenu me réchauffe le cœur. Sincèrement. Et je partage ce souhait avec vous et y porte un intérêt bien particulier. Je les ramènerai. Je les convaincrais. Non sans efforts car je sais comment est la mentalité de mon peuple.

De ses mots s'en suivit un léger rire avec une touche d'ironie exaspéré.

- On ne sera sans doute que deux ou trois au début, mais avec du temps et de la patience, je crois en effet que l'on puisse créer quelque chose d'important ensemble. Comment pourrais-je un jour vous remerciez pour tout ce que vous avez fait pour moi. Ce que vous faites encore et ce que, j'en suis déjà mortement honteuse aujourd'hui, vous ferez pour moi dans l'avenir. Ma foi s'est effilochée il est vrai. Mais vient le temps du changement, je le sens et vous m'inspirez, oh vous n'avez pas idée d'à quel point vous m'inspirez. Je visualise... depuis fort longtemps la gräarh que je rêvais être petite. Ce n'était qu'un rêve, mais je crois sincèrement maintenant, avec votre aide et cette liste de proche dont vous avez appuyé l'existence, que cette gräarh peu exister. Et elle existera.

Les yeux soudain devenus aussi dure que de la pierre, seul le sourire accrochait à ses moustaches laissait place à un peu de douceur. Se tournant vers Ilhan, Reynagane pencha légèrement la tête sur le côté.

- Dites-moi comment je pourrais vous être utile sur le terrain. Il est temps pour Shäa de passer à l'action.

descriptionLorsque l'avenir murmure des choses EmptyRe: Lorsque l'avenir murmure des choses

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