« Pitié que ça ne soit pas une robe. » - Toryné.

Lorsqu’un de ses serviteurs vient le trouver en hâte, le prévenant qu’une « petite fille » scandait son nom de manière assez familière dans les couloirs de la tour, le conseiller Dalis resta un bref instant assez perplexe. Cependant, il comprit très vite le sérieux des déclarations qui venait de lui être fait, malgré le fait qu’il soit un maître plutôt agréable et indulgent, les serviteurs ne s’y trompaient et savaient le respect qu’ils lui devaient de par son rang de conseiller.

Toryné cessa donc ce qu’il était en train de faire, principalement de la paperasse, dont il faisait un point d’honneur à remplir avec ferveur et assiduité. Il était encore assez récent quant au poste de conseiller, il devait encore en quelque sorte, asseoir son autorité auprès non seulement de ses confrères, mais également envers son peuple. Il arrivait en quelque sorte de nulle part et le voilà occupant un poste au placé dans le royaume, sans oublier le fait de son apparence si particulière, si lui n’avait aucun complexe, quant à ses tenues et manières, il savait très bien ce que pouvait penser les autres vampires de sa personne. À l’heure actuelle certains l’appelaient encore conseillère notamment parmi les serviteurs, en soi cela ne dérangeait nullement Toryné que de recevoir des appellations féminines, mais dans un poste aussi sérieux que celui-ci, il ne savait si son exubérance et ses facéties avaient véritablement leur place.

Quoiqu’il en soit il ne pouvait laisser quelqu’un crier son nom ainsi partout dans la tour blanche, où confrères et autres vampires pourraient l’entendre, il en allait de sa réputation nouvelle. Il partit donc en toute hâte vers l’origine de cet étrange problème.

Quel ne fut pas sa surprise que d’y voir un visage plutôt familier, son ancienne capitaine, la vampire au corps d’enfant, comment n’y avait-il pas pensé plutôt ? En même, il avait du mal à imaginer la guerrière scander « TORYYYYYY » de cette manière et pourtant, c’était bel et bien le cas.

Il s’approcha d’elle, un sourire quelque peu gêné, il était en soi heureux de la voir, mais elle risquait de le mettre dans une situation délicate.

-Bonjour cher amie, veuillez me suivre dans mes appartements je vous pris, nous pourrons ainsi jouir d’avantage d’intimité, ainsi vous pourrez m’expliquer de quoi il en retourne…

Il laissa Aphaïa le suivre jusqu’à ses appartements, il l’invita à s’asseoir autour d’une table de forme ronde d’un geste ample de la main, sur une chaise plutôt confortable. Lui-même se posa en face d’elle, posant ses mains à plat sur la table et la détaillant du regard, elle était plutôt adorable dans sa légère robe banche, dommage que son bras droit était ainsi ceint de ses plaques de métal, cela gâchait cet aspect enfantin et adorable qu’elle laissait transparaître, bien qu’il sût que cet aspect était trompeur.

-Bienvenu dans mon humble intimité capi… il hésita un moment, était-il toujours correct de la nommer ainsi ? Pour ainsi dire, il ne savait pas comment la nommer… il opta donc tout simplement par un « mon amie » quelque peu forcée pour le coup. Comme quoi je me suis "installé" à Dureroc finalement. Dit-il en écartant les bras, montrant l'étendu de son habitat.

Il jeta un bref coup d’œil derrière lui, une grande pièce, derrière lui, à plusieurs mètres, se trouvait une énorme psyché, imposant miroir amovible sur un meuble ne bois tout aussi imposant, sur lequel était posé moult produit destiné à soigner l’apparence physique de Toryné, cheveux, visage et autre, tous les détaillés seraient impossible tant leur nombre était impressionnant. Le reste de la salle ne présentait rien de véritablement intéressant ou de remarquable, une grande penderie, un lit au dimension démesuré, étrange d’ailleurs pour un être ne dormant jamais.

Son regard se porta de nouveau sur la petite vampire, pourquoi était-elle ici ? Il avait dû mal à s’imaginer qu’elle vienne lui rendre une simple visite amicale… Voulait-elle un service quelconque dû à son rang ? Pourquoi pas après tout, même si, encore une fois, il avait du mal à imaginer son ancienne capitaine profité de ce qu’il considérait comme une amitié, pour obtenir quelque avantage. Mais après tout, il ne l’a ne connaissait pas vraiment…

-Que puis-je faire pour vous dîtes moi ? En quoi puis-je vous aider ma chère ?

Le mouvement, qu’on pourrait facilement qualifier de brusque, d’Aphaïa, montant littéralement sur la table, enfin en parti, eu pour un effet un certain recul de Toryné, qui retira ses mains, les posant sur ses genoux, le sourire tout aussi gêné face à la petite vampire.

Cependant lorsque cette dernière lui annonça la raison de sa visite, sa gêne s’évapora instantanément, laissant place à une vive excitation. Son sourire gêné laissa place à un bien plus engageant, si grand que ses deux canines, témoins de son appartenance à la race vampirique, furent complètement visible. Lui-même se leva, laissant tombé sa chaise à la renverse et se pencha sur sa table, plaçant son visage juste devant celui de son ancienne capitaine.

-Une robe ? Un rendez-vous amoureux ??? Par mon beau minois, vous auriez dû me le dire plus tôt !

Très vite l’attention de Toryné se porta sur l’intégralité du corps d’Aphaïa, la déshabillant du regard sans grande gêne. Deux choses l’intéressaient dans son observation, la première concernait directement la raison pour laquelle son hôte était ici, il essayait de se faire un premier avis sur quelle robe lui conviendrait le mieux pour un rendez-vous galant, et d’or et déjà, le conseiller savait qu’il serrait compliqué de trouver une robe esthétique qui la mettre en valeur au sein du royaume vampirique, les vampires n’ayant pas vraiment pas une population infantile très représentée… Puis la seconde chose était plutôt pour lui-même… Certes, Aphaïa était adorable pour une enfant et ses yeux bleu acier avaient un certain charme, mais elle restait enfant, du moins physiquement. Fallait-il être dégénéré ou faire complètement abstraction de l’apparence physique ? Peut-être n’était-ce pas si tabou chez les vampires, après tout Toryné avait côtoyé beaucoup plus d’humains dans sa vie que de vampire…

« Fut une époque où tu ne te serais même pas posé la question » pensa-t-il.

Oui, cette sombre époque ou avec sa marâtre, il parcourait les terres des hommes, charmant et tuant pour se nourrir. Parfois dans ses opérations de séduction, les limites étaient bien minces, hommes, femmes, rien ne l’avait arrêté. Il avait presque été une créature sans conscience à cette époque et sans nul doute qu’aucune limite morale ne l’aurait arrêté.

Aujourd’hui, il estimait avoir changé, il était libre de corps et d’esprit, ses choix lui appartenaient et il en assumaient chaque conséquence. Mais il n’avait pas le temps de débattre intérieurement sur ce sujet, ou de se remémorer son passé.

Il recula et ramassa sa chaise, se replaçant sur cette dernière, ses doigts s’entrelacèrent, formant un accoudoir pour sa tête, qui s’y posa délicatement. Il fixa Aphaïa du regard et afficha un sourire plus réservé, quelque peu malicieux.

-J’en suis fort ravie pour vous mon amie, je me ferais un plaisir à vous aider quant à la sélection d’une robe parfaitement adéquate pour votre rendez-vous… amoureux… En parlant de ça ! Pourrais-je avoir d’avantage d’information sur votre... "prétendant", si je puis dire, cela sera important quant au choix de la robe, ainsi que vos goût bien entendu, mais… parlez-moi de lui, ou d’elle.

La curiosité du conseiller venait d’être piquée à vif, non seulement pour les interrogations que venait d’être soulevé au préalable, mais également sur quel genre de vampire, car cela ne pouvait n’être qu’un vampire, avait su charmer le cœur de celle connue comme étant le fléau rouge. Sans oublier bien entendu que Toryné était une bavarde invétérée et qu’il était toujours friand de ragot en tous genre.

-Il va aussi falloir que vous vous déshabilliez, pour les mensurations de la robe, dit-il en décrivant des arcs de cercle avec son index dans sa direction. Gardé ce que vous avez en dessous bien entendu.

Il savait que cela ne la dérangerait pas, après tout, il l’avait déjà vu nu lors de son premier jour à Dureroc, mais en aucun la déshabiller entièrement était dans ses projets, surtout, car ce n’était pas une nécessité.

Toryné écouta attentivement les paroles de sa congénères, animés par un étrange sentiment, excitation et de surprise s’entremêlait dans son esprit, mais une chose était sûre, il avait du mal à tenir en place.

Le fait que son ancienne capitaine fréquente l’un de ses anciens lieutenants lui semblait, en quelque sorte, logique, pour ainsi dire, il avait du mal à voir une guerrière de sa trempe s’amouracher d’un vampire n’étant pas un guerrier, d’autant plus qu’il ne s’agissait pas d’un simple soldat, mais d’un officier, ça correspondait en soi à l’image qu’il se faisait de la vampire.

Cependant un déserteur et pacifiste, comme lui, là, il était d’avantage étonné, mais également intéressé. Lui-même avait déserté lors de l’avènement de Vraorg et était munie d’une profonde affection pour la paix, de son point de vue, il devait donc s’agir d’un très bon parti, même, il se demandait toujours quel genre d’énergumène pouvait s’intéresser au physique enfantin d’Aphaïa. Mais même si l’identité de ce mystérieux vampire l’intriguait au plus au point, sa mission principale restait de fournir la robe adéquate pour ce rendez-vous galant.

Tout aurait pu se dérouler normalement, s’il ne s’était pas s’agit d’elle… À sa demande de retirer ses vêtements, Aphaïa lui fit la confidence, bien qu’il ne dût sûrement pas en être une, qu’elle ne revêtait rien sous ses vêtements. Le conseiller n’eut pas le temps de dire quoique ce soit, que déjà l’intéressé retira robe, comme botte et se retrouva nu devant lui, pour la seconde fois désormais...

Même si cette fois-ci Toryné ne détourna pas le regard, ce dernier, justement, en disait long sur son ressenti, non pas choqué ou gêné, mais plutôt en quelque sorte... médusé.

-D’aaaaaccord… Il soupira et reprit un air jovial. Peu importe… Comme vous devez sûrement vous en douter, il ne serait pas aisé de trouver une robe pour une personne de votre gabarit à Dureroc. Pas besoin d’en expliquer la raison, elle, plus que quiconque devait en être consciente. Par conséquent, il faudra sûrement la faire importer, j’ai des connaissances à Caladon, je pourrais me renseigner pour vous. Cependant, il va me falloir vos mensurations, mais également vos goûts et aussi d’avantage d’information sur cet ancien lieutenant.

Un certain ton malicieux s’était fait sentir sur ses dernières paroles, ce n’était la nudité d’Aphaïa qui lui ferait oublier sa nature bavarde et curieuse ou même qui lui ferait perdre ses moyens, le poste qu’il occupait le mettait dans des situations bien plus délicates ou sujet à tension, la situation actuelle avait même presque quelque chose de comique.

Toryné se leva, plus délicatement que précédemment, puis se dirigea vers son miroir, qui faisait également office de bureau à ses heures perdues. En effet, les soins portés à son corps, à ses cheveux et surtout à son visage, prenaient un temps considérable, si bien que pour garder une certaine efficacité, il était plus que commun pour lui que de s’atteler à de la paperasse sur le meuble ou reposait le miroir. Cependant, ce n’était pas cela qu’il était venu chercher, il avait désormais en main une fine cordelette, sur laquelle des valeurs étaient inscrites.

-Mettez-vous debout sur votre chaise très chère, je vais prendre vos mensurations, et vous allez tout le loisir nécessaire pour me parler de votre charmant amant.

Elle ignorait totalement ce genre de chose, elle était un soldat pas une fille de la noblesse contrairement à lui, elle portait finalement bien peu sa robe et avait encore moins de rendez-vous amoureux, elle n'était pas une sentimentaliste et ne se préoccupait pas plus de son apparence que des gens qu'elle tuait.

- Quelque chose de simple et du moment que c'est blanc. Elle soupirait et se perdait un temps dans ses pensées, elle restait néanmoins perplexe, à cause, de la curiosité de l'homme, qu'elle aurait pu trouver mal placée venant de sa part, mais elle ne lui en tenait pas vraiment rigueur.

Bien entendu qu'elle avait des doutes concernant sa relation avec le vampire dont il était question, et ça n'avait rien d'étonnant, nombreux étaient ceux qui auraient aimé la voir tomber, et elle ne croyait que difficilement aux valeurs portées par le cœur, l'amour était quelque chose de bien obscurs pour la jeune fille. Cependant, elle ne semblait pas vraiment décider de parler de sa relation pas plus que cela semblait être le motif principal de sa venue. Néanmoins, elle lui rendait la tâche plus facile en grimpant sur sa chaise, histoire de simplifier la chose.

- Avant je dois te parler d'autre chose. Son regard furetait nerveusement dans la pièce pendant qu'il s'occupait d'elle, elle ne semblait pas vraiment avoir l'esprit tranquille. Sans doute, voulait-elle s'assurer que personne ne puisse l'entendre.

Elle mettait un long moment avant de se décider à enfin parler, ses sens étaient aiguisés si quelqu'un les écoutait elle l'aurait senti depuis longtemps, elle finissait par lâcher d'un ton désintéressé non sans hausser les épaules :

- Je vais déserter pendant un temps, l'armée bride trop mes mouvements. C'était quelque chose de risqué, de très risquer, les lois étaient très claires à ce sujet.

Quelque chose de simple et de blanc, bien entendu, il aurait dû s’attendre à quelque chose de sobre venant de son ancienne capitaine, rien qui n’allait vraiment lui permettre d’exprimer son talent en la matière, mais il ne pouvait refuser une telle demande dans tous les cas, plus par pur plaisir que par véritable charité.

Tout en visualisant la robe qu’il allait concevoir, Toryné tournait autour de l’enfant vampire, prenant les mesures nécessaires, taille de robe, tour de taille, hanche, épaule, etc… Le conseiller l’inspectait minutieusement avec un sérieux presque militaire. Il nota les informations récolté sur une feuille qu’il rangea par la suite. Cela pouvait paraître assez dérisoire, qu’un conseiller, et donc le rang et les obligations qui s’y accompagnait, puisse prendre de son temps pour une occupation aussi… secondaire ? Mais malgré tout, il restait assez frivole et aimait s’atteler à ce genre d’occupation.

Mais son attention s’arrêta sur les dernières paroles prononcées par la petite vampire, “déserter”. Cette révélation fut à la fois une source d’interrogation et d’amusement pour le conseiller. D’un côté, il avait presque du mal à y croire, son ancienne capitaine, figure respecté dans le royaume, le fléau rouge… aujourd’hui elle désirait quitter le royaume de son peuple. D’un autre côté, l’ouverture du peuple vampirique au monde et la période paix qui allait de pair avec devait forcément affecter cette guerrière née. Le patriotisme n’est après tout qu’un terme mélioratif pour cacher une obéissance aveugle et une certaine ignorance des réalités de ce monde. En tant que conseillé du royaume, il devrait non seulement en faire part à ses compères, mais surtout arrêter sur-le-champ la guerrière pour trahison. Cependant, il ne préférait pas prendre le risque d’énerver son ancienne capitaine, mais si elle n’était pas en tenue de combat, elle restait plus ou moins une menace et puis surtout… cela pouvait porter certains avantages.

Un service entraînait d’une certaine manière une dette, ou du moins permettait de s’offrir plusieurs possibilités, oui, au fonds de lui, il pressentait qu’il avait tout intérêt à rester dans les alliés de cette vampire.

-Bien, je vois… Je vais donc devoir m’atteler assez rapidement à la tâche… dit-il tout simplement, signe qu’il la couvrirait. Au bien sûr il y avait également le fait que lui-même avait “déserter” et qu’elle n’avait rien fait contre cela, mais Toryné n’agissait nullement pour rembourser une quelconque dette, mais bien par intérêt.

- Je m'en souviendrais, Dalis. Et elle s'en allait rapidement au cas où l'homme changerait d'avis.

Les deux amants avaient tout deux subits de grandes épreuves, la vie les avaient mis à genoux, et à présent, elle comprenait que rien ne changerait à leur situation tant qu'ils se laisseraient faire par les autres, tant qu'elle se laisserait dominer par un pays qui lui ressemblait de moins en moins, ils étaient arrivés à un stade ou les autres étaient devenus des freins à leurs rêves respectifs, elle en avait bien conscience, mais elle ne savait pas quoi faire contre ça, déserter était devenu le seul choix viable, sans doute reviendrait-elle, le chien revenait toujours à son maître après tout. Mais pour l'heure elle ne sentait plus la chaîne qui la maintenait enchaînée à sa fonction. Ne plus sentir ses chaînes avait un goût de félicité, et encore plus quand elle partageait ce ressentit avec la personne qu'elle avait tant attendu..

Partir n'était pas un choix sans conséquences, partir, c'était ce qu'ils avaient voulu tous les deux, depuis sans doute toujours, mais elle se moquait des conséquences, elle ne voyait plus que lui et rien d'autre, c'est tout, ou plutôt elle n'avait plus envie de voir autre chose que lui. Elle avait écouté ses mots, cette promesse à peine dissimulée et elle y avait répondu avec conviction.

Elle aurait tant aimé renier ce destin dont elle ne souhaitait plus, mais souvent l'on meurt comme l'on a vécu et elle en avait bien conscience, longtemps, elle n'avait pas cru à une quelconque fin heureuse, mais aujourd'hui, elle avait envie d'y croire, elle aimerait apprendre à voir le monde comme il le voyait. Voir le bonheur, oublier tout ce qu'ils n'auront jamais, apprendre à être heureux en somme, un mot qui lui était encore bien trop inconnu, et qui avait quelque chose qui lui donnait envie tout en l'effrayant. Elle aurait pu faire demi-tour, rentrer à toute vitesse en jurant qu'elle ne recommencerait plus, mais elle n'en avait pas envie, elle voulait croire en cette nouvelle vie qui lui permettait de voir les choses autrement..

Mais seul l'avenir saurait lui dire si elle s'était fourvoyée ou non.