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descriptionToi, moi, et tous les trésors du monde ! [20 juillet] EmptyToi, moi, et tous les trésors du monde ! [20 juillet]

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Pour une crâcheuse de feu, Nahui passait beaucoup de temps dans l’eau.
Se prélassant dans les eaux claires du Tampocuilë, la fille des neiges trouvait quelque apaisement à l'accablant soleil du désert. Si son congénère Nephilith avait été présent, sans doute auraient-ils tous deux pris grand plaisir à profiter des capacités aquatiques de leur espèce. Nahui avait cru comprendre que l’oncle de Shyven se trouvait particulièrement à son aise dans les flots. Un point intriguant, qu’elle avait bien hâte d’explorer avec lui. Mais pour l’heure, le fils d’or et de saphir n’était guère présent. Sans doute bullait-il dans un autre coin de l’archipel, à amasser moult trésor ainsi que les connaissances qui les accompagnaient. Une occupation tout à fait saine et commune chez les dragons.
Par ailleurs, Nahui connaissait une autre congénère qui s’était éprise de cette passion. Bien qu’elle ne l’eût point montré lors de leur dernière rencontre, sans doute intimidée par la présence d’un dragon inconnu, Kaiikathal avait laissé entendre que les butins du Maëlstrom n’étaient pas l’unique possession de son Lié. Hélas, l’instant n’avait été que trop bref, Aldaron et Nathaniel devant chacun repartir vers des terres différentes. Si revoir sa soeur d’infortune avait mis du baume au coeur de Nahui, lui prouvant que les chimères n’étaient venu à bout de son oeuf ou de son âme, la jeune dragonne était restée sur un goût de trop peu, avec la hâte de retrouvailles plus longues, plus intimistes également.

Lié avait alors eu le bon goût d’avoir affaire avec son bipède, celui qui sentait fort. Leurs histoires étaient des histoires aussi barbantes que n’importe quelles histoires de bipèdes. Nahui commençait tout juste à s’intéresser à ces dernières d’une oreille distraite, mais persistait à dire que tout régler à sa façon aurait été bien plus rapide et efficace. Par les flammes, nombre de soucis pouvaient brûler.
Au moins la peau-lit-tique avait l’avantage de lui offrir l’opportunité de retrouver Kaiikathal.

Ses écailles scintillaient de perles d’eau et de soleil. Elle avait choisi, pour une fois, de garder sa taille naturelle, quand bien même cela impliquait qu’elle soit plus petite que l’autre dragonne des environs. Le fleuve n’était pas assez large pour qu’elle puisse s’y amuser à sa taille maximale. Elle pourrait attendre la nuit pour grandir, voler, jouer à s’enrouler autour des tours d’ivoire que le Lié de Kaiikathal avait bâties. Mais surtout voler. Si le désert avait un avantage, c’était qu’elle avait beaucoup moins à s’inquiéter des éventuels obstacles qu’elle risquait de rencontrer là-haut. Nyn-Tiamat avait eu l’idée saugrenue de s’orner de conifères et de montagnes. Nahui s’habituait à sa différence, avait pris le réflexe de tâter les nuances de l’air du bout de sa langue à la façon d’un serpent. Il n’en demeurait pas moins que voler dans ces conditions était bien moins appréciable qu’au-dessus d’un océan, fut-il d’eau, de sable, ou de neige.

En attendant, elle jouait à bondir hors de l’eau pour y retourner à la manière d’un dauphin, se calmant de temps à autre pour se glisser sous l’eau et, par ce biais, aller ennuyer les bateaux. La fin de journée approcha et, à l’instar d’un très lointain ancêtre commun, la dragonne sortit des eaux pour aller s’allonger sur la rive, laissant tout juste la pointe de sa queue jouer à frapper la surface du Tampocuilë. Que faisaient-ils tous ? Elle savait que Lié était avec le Lié-puant de Kaiikathal, mais elle-même ? Restait-elle avec eux ? Pourquoi ? Ne voulait-elle pas plutôt venir et jouer ? Ou manger ? Bonne idée, ça, manger. Nahui chercha autour d’elle, du bout du museau, quelque chose à transformer. Elle trouva son bonheur et, activant son anneau de corne, se trouva bientôt avec une épaisse tranche de viande bien fraîche. A consommer sur place.

Elle avait le nez enfoncé dans son repas, ses crocs dégoulinants de jus, déchirant la chair, lorsque l’intense présence magique de sa congénère parvint à son champ de perception. Sa queue se mit alors à battre frénétiquement contre le sol, d’excitation, tandis que son esprit se projetait sans délicatesse contre celui de sa congénère, avec l’émotion puissante de la joie et du soulagement. Elle ignorait si, comme certains autres dragons Liés, Kaiikathal avait pris le parti de s’exprimer avec leurs mots, après avoir tant moqué Nephilith sur ce point. Dans le doute, elle préférait continuer comme cela pour l’instant.
Les autres émotions qu’elle fit parvenir à la Marche-Tempête furent l’acceptation, l’invitation à se rapprocher. Le repas dont Nahui disposait pouvait se partager. Puis vint une interrogation, curieuse : d’où venait-elle ? Où avait-elle été ? Point de reproche derrière tout cela. En revanche, il n’était pas impossible que Kaiikathal puisse ressentir combien elle avait été attendue, et avec quel engouement.
Tandis que celle-à-l’esprit-solide s’approchait, Nahui sortit enfin son nez de la nourriture, pour tendre le museau vers elle, dans une demande tacite : était-elle ouverte aux démonstrations d’affection ?

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Kaiikathal somnolait tout près de son Lié et d’Aldaron, l’élu de Nahui.
Elle s’ennuyait.
Elle les observait sous une paupière mi-close, les comparant, observant le vampire avec envie alors qu’elle se morigéna la seconde d’après qu’elle n’avait rien à lui envier, et qu’elle trouvait tout ce dont elle avait besoin en Nathaniel, bien qu’elle eût préféré qu’il se parât d’une manière un peu plus voyante, comme quelques pièces d’armures niellées ou des coutures plus raffinées.

C’était elle qui avait insisté pour “participer” à cette entrevue, même si “accompagner” aurait dû elle le mot choisi : elle faisait désormais office d’une présence inutile à la limite de l’agacement, tant elle reniflait d’impatience. Cela faisait une bonne demi-heure qu’ils s’entretenaient à battre la breloque et la dragonne ne se cachait pas de l’ennui qui s'abattait sur ses épaules avec le poids de douze éléphants de Néthéril.
La dragonne des lagunes hérissa la crête tout le long de l’échine avant de l'aplatir : elle sortait et rentrait ses serres de manière compulsive, comme un félin en cage qui attend qu’on lui ouvre la trappe pour foncer droit devant et ne jamais faire demi-tour. Elle était loin de s’en sortir aussi bien dans les situations où elle était condamnée à l’inaction, raison pour laquelle la politique et les maladies étaient ses ennemies jurées.

Eh bien, elle y réfléchirait à deux fois avant d’assister à nouveau à un catilinaire harangue ponctué d’ennuyeuses diatribes qui faisaient serrer les dents et lever les yeux au ciel.

“Nathaniel. J’ai soif.”

C’était une excuse déplorable, elle qui avait étanché son anadipsie moins d’une heure auparavant et qui par conséquent se retrouvait plus remplie encore qu’une laitière gestante ; elle suintait l’eau dont elle s’était désaltérée, et par extension, l’énervement qu’on attribue à un enfant qui veut s’enfuir de table pendant que sa famille psalmodie sur des sujets politico-économique ; bref, rien de ce qui l’intéressait, et tout ce qu’elle abhorrait.
Simulant la déshydratation, elle passa plusieurs fois une langue bifide sur ses lippes écaillées en jetant à Nathaniel un regard malheureux, l’air de dire “cet endroit me fait souffrir, laisse-moi sortir.”
Son Lié eut le bon sens de l’entendre et la comprendre sans avoir à se retourner pour confronter ses faux airs de chien battu. Avec la frustration d’un homme qui espérait que son enfant fasse preuve d’un peu plus d’intérêt pour des activités dites “intellectuelles” mais qui réalise que la nature enfantine ressort d’exigences trop immatures, il l’autorisa à prendre congé.

Au bonheur de la dragonne, dont les pensées était expressément, que dirions-nous, obsessionnellement tournées vers celle qu’elle avait envie de rejoindre depuis tout à l’heure. Elle se secoua, s’ébroua, pas plus ensuquée par le soleil mordant que le discours des Liés-Bipèdes. Pas le temps de gober les mouches, il lui fallait rejoindre la dragonne iceberg qui l’appelait depuis tout à l’heure, et qui elle aussi avait développé une intense fixette quand la présence de sa compagne d’infortune se faisait sentir.

Elle se ramassa sur ses courtes pattes, battit des postérieurs et se projeta dans le ciel à la recherche de Nahui. Sous le soleil sérotinal, sa crête filtrait un rayon de miel. Elle offrit une vision enchanteresse aux bipèdes en contrebas qui, ébahis, regardaient la mort planer au-dessus d’eux et s’approcher du Tampocuilë avec la ferveur d’une affamée.
Elle louvoya entre les embarcations, s’amusant à dompter la rencontre du vent avec l’humidité de la rivière et s’entraînant à des angles précaires. Ses exercices osés firent blêmir plus d’un matelot et elle s’en amusa, jusqu’à-ce que le fumet de viande vint caresser l’intérieur de ses narines. Elle se laissa guider par le fumet, sachant pertinemment qu’au bout se trouvait sa désirée (c’était, bien entendu, une façon de parler, mais Kaiikathal pensait bien en ces termes).
Elle la vit enfin, allongée comme un lion de pierre, et fondit sur elle sans trop faire attention à la vitesse.

“Ma sœur ! Enfin. Je n’en pouvais plus d’attendre pour te retrouver. J’étais avec Nathaniel et ton Lié, vois-tu ; et j’ai dû prendre part à leur assommant palabre, bien que je n’ai rien eu à partager, car il faut bien admettre que ces choses-là, j’estime qu’elles ne me concernent pas. Mais te voilà finalement. Tu sais, tu me manques tout le temps. Et je ne dis pas ça parce que tu as un gros morceau de viande entre les pattes.”

Elle pressa son museau contre le flanc de Nahui et rencontra son regard d’ébène.

“Mais je ne dirais pas non si tu m’en partageais un peu : c’est la tempête dans mon estomac. Et après nous pourrions profiter des derniers rayons du soleil pour nager ensemble. Je ne sais pas toi mais j’aime digérer dans l’eau, pourtant on m’a toujours dit que c’était mauvais. Je ne vois pas en quoi.”

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La gaieté qui l’avait éprise était un flot continu qu’elle déversait vers Kaiikathal. Ce courant impétueux se teinta des couleurs de l’amusement sitôt que la Marche-Tempête plaisanta au sujet de la viande qui était leur offrande. Nahui peinait parfois à saisir certains aspects du monde, mais quelques Liés, ainsi que ses congénères, partageaient sa notion de l’humour. Un esprit semblable au sien était une brise fraîche jusque sous ses écailles.

Son museau vint contre la tête de celle qui était devenue sa soeur par les liens de la douleur. De nouveau, elle l’incita, d’une petite poussée mentale, à se servir dans la carcasse comme ç’avait été sa propre proie. Elle-même en avait eu son content. Elle s’écarta juste assez pour que la fille du vent salé puisse disposer d’un espace confortable.

Une pensée approbatrice confirma le projet de baignade digestive. Nahui n’avait jamais entendu quelque mot que ce soit en défaveur d’une telle pratique. Néanmoins, il lui vint le réflexe de gratter aux portes de sa mémoire, espérant peut-être secrètement obtenir quelques bribes de sagesse ancestrale sur le sujet. Rien ne lui parvint. Peut-être n’avait-elle pas non plus tant l’envie de se faire dicter ses activités par une voix qui aurait parlé moins fort que ses caprices, moins fort que son affection pour l’esprit-imbrisable. Aussi ce fut en toute nonchalance qu’elle prit les mots pour conforter sa consoeur d’espièglerie.

“- Que la baignade digestive soit bonne ou non, nous la rendrons bonne.”

Certes, de longues heures avaient déjà vu la fille des neiges jouer dans le Tampocuile. Elle ne s’était lassée. La compagnie apporterait un nouvel intérêt à cet endroit. Non sans fierté, Nahui constata pour elle-même qu’il lui était possible de guider sa camarade, connaissant mieux les lieux sous-la-surface, malgré l’avantage certain que pouvait avoir celle-qui-voyait. Ledit avantage perdait de l’avance, dans un milieu où l’écholocation se voyait grandement facilité. Sans le savoir, Kaiikathal mettait Nahui à son aise. En tout cas, Nahui partait du principe que sa congénère ne pouvait considérer le monde par ses sens. C’était bien plus probable que l’hypothèse saugrenue d’une sorte de pitié malvenue. Toutes deux étaient fortes, nulle n’avait à douter de cela.

Tandis que Kaiikathal se réconciliait avec son estomac, Nahui lui fit part de sa compassion quant aux manières de leurs Liés. Les palabres, les manoeuvres tordues, tous ces moyens sans queue ni tête qu’ils s’échinaient à employer pour arriver à des fins parfois si simples ! Cela faisait leur charme autant que cela pouvait être lassant. Par chance, Aldaron progressait, peu à peu, apprenait les mérites d’un bon feu destructeur. Nahui suggéra à sa consoeur de s’essayer à de semblables méthodes pour libérer l’esprit de son Lié : qu’elle le poussa à user des flots comme la partie la plus véhémente de lui le réclamait. Alors peut-être leurs Liés laisseraient-ils, peu à peu, tomber leurs méthodes absurdes.
Elle conta un autre exemple qu’elle avait offert à Aldaron jadis, en lui apportant la couronne de Sélénia. Elle n’avait eu qu’à la demander. N’était-ce pas merveilleux ? Un bipède reconnaissant sa place avait fait son oeuvre. Tous devaient agir ainsi. C’était leur devoir d’apprendre l’Ordre du Monde à ceux qui avaient oublié, en l’absence d’autres dragons.

Nahui se leva, s’étira, se rapprocha prudemment de l’eau, avant d’y bondir, tête la première, ailes repliées, pattes le long du corps. Sitôt que la fraîcheur des eaux l’enveloppa, une vague de bonheur la traversa, qu’elle partagea avec sa camarade. Cette dernière n’avait nul besoin de presser la fin de son repas, Nahui ne faisait que s’occuper. Elle l’interrogea : qu’en était-il d’elle ? N’avait-elle pas quelque anecdote croustillante sur son Lié, à partager ?
Une proposition s’était glissée dans sa demande, en concept sous-jacent, implicite. Plus Kaiikathal lui raconterait sur Nathaniel, plus elle-même serait prête à offrir les meilleurs morceaux de la vie sur Terre à son amie des mers, à valeur égale. L’appétit de Nahui s’était déplacé, de la viande vers les nutriments de l’esprit. Elle présenta sa faim à Kaiikathal, en gage de sa réceptivité.

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“Que la baignade digestive soit bonne ou non, nous la rendrons bonne.”

Chaque pot avait son couvercle, et le couvercle de Kaiikathal était indubitablement Nahui, qui s’accordait à la perfection à son rebord de verre tranchant.

“Voilà une façon de penser qui sied merveilleusement à miennes songeries. Avant cela, laisse-moi croquer un bout de ta bonne viande. J’aime goûter la chair, surtout quand elle est bien juteuse comme ça. Mmmh, délicieux. C’est de la génisse ?”

Peu importe qu’il s’agisse d’une génisse ou d’une vache de huit ans qui avait enchaîné les veaux, cette pièce de viande était succulente. La dragonne des lagunes se laissa emporter par son voyage culinaire qui l’emmena au-delà de toutes les frontières de l'imaginaire tant ce tendre mets était délicieux. Elle en aurait fait trois fois le tour du monde d’euphorie.

Elle écouta avec un plaisir non dissimulé les histoires de Nahui et de son Lié. Que de fascinantes aventures vivaient-ils tous les deux, ce n’était à la fois rien de ce qu’elle et Nathaniel vivaient, et tout pareil en même temps ! Kaiikathal comprenait vite que les couples de Liés expérimentaient le lien de plein de façons différentes, mais qu’ils étaient tous unis par ce sentiment d’unité si spécifique à leur nature, qu’aucun non-lié n’était capable d’envisager.

“Des anecdotes sur Nathaniel ? Oh ma chère !” s’écria-t-elle d’un glapissement strident qui fit lever des têtes méfiantes, celles de tous ceux incapables de percevoir les pensées d’un dragon. “J’en ai plein !” car le péché mignon de la bleu-doré, si elle en avait un, était bien les ragots. “En ce moment, mon doux Nathaniel est comme un poireau.”

Elle se lécha les lippes à la manière d’un félin venant de terminer son repas, et plongea dans l’eau en soulevant une gerbe de gouttelettes pour rejoindre sa tendre et chère là où personne ne viendrait les déranger, à quatre ou cinq mètres sous la surface du Tampoculië. L’eau était étonnamment claire et la lumière du désert filtrait incroyablement bien le liquide.

“L’autre jour, vois-tu, l’une de ses dames de content, ou de joyeux, je ne sais plus comment on dit, lui faisait des yeux de crapaud mort d’amour. Je crois qu’elle était en chaleur, ce genre de machin bizarre qui touche soi-disant les femelles, en tout cas ça ne m’est jamais arrivé, à moi. Bref : figure-toi que je les ai malencontreusement surpris - mentalement bien sûr, loin de moi l’idée de vouloir m'immiscer dans de telles affaires, car je t’assure que cela est véritablement gênant - en train de fricoter pas loin du Maelström ! Quelque chose d’impensable je t’assure. Ils étaient tous les deux dans la même pièce, je les ai très bien visualisés, malgré moi, eurk ! Il lui a même dit un truc, je ne sais plus trop quoi… ah, ça me revient, c’était une phrase comme “Je les connais les zoulettes comme toi, elles finissent toujours par tâter de mes bouboules”. Peut-être pas mot pour mot mais je t’assure que c’était l’idée ! Et attend, ce n’est pas tout. Elle lui a répondu sur ce même ton lascif : “Tu m’en veux pas, je t’emprunte tes belles bouboules mon mignon.” Enfin c’était un bidule dans ce genre-là quoi. Sur le coup je n’ai pas vraiment compris ce qu’il se passait, à part que j’avais chaud tout partout quand je pénétrais son esprit. Et là, il m’a envoyée bouler ! Je l’ai vraiment mal pris. Alors je suis partie bouder quelque part en mer. Au bout de quelques heures je l’ai senti à nouveau errer dans la sphère de mon esprit pour me chercher. Je ne lui ai répondu que quand j’étais réellement calmée, même si j'étais vraiment très vexée. Il m’a dit qu’il s’excusait, m’a fait comprendre cependant que ce genre de chose arrivait de temps à autre et qu’il fallait que je le laisse tranquille quand ça arrivait. Tu parles ! Je ne vois vraiment pas ce qui peut être plus important que moi. Mais bon. C’est comme ça.”

La dragonne rejoignit sa sœur de lune au fond du fleuve.
Il n’y avait pas grand chose d’intéressant à regarder depuis la surface. On distinguait à peine Kaiikathal sous les vagues, qui progressait lentement dans l’eau peu profonde. Des nuages se soulevaient chaque fois qu’elle sondait le sable et que des poissons surpris s’égaillaient.

Nahui s’était plantée en suspension au fin fond du courant, là où ce dernier était le moins fort et permettait par conséquent à la faune et la flore de vivre leur vie tranquille. De petites plantes vertes, qu’il était impossible de savoir s’il s’agissait d’herbes ou d’algues, se laissaient bercer au fond de l’eau. Les quelques perches et autres petits poissons argentés assez téméraires pour habiter en ces lieux vagabondaient entre leurs filaments kakis.

“Oh Nahui, je suis si triste que tu ne puisses assister à tout ceci. Laisse-moi le voir pour toi. Regarde dans ma tête à quoi cela ressemble. C’est trop chouette.”

Kaiikathal s’ouvrit à elle sans inhibition aucune, car elle serait prête à lui remettre son propre cœur entre ses griffes si sa vie en dépendait.

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“- De la génisse ? Je ne sais pas. Peut-être. J’y suis allée un peu au hasard.”

Du bout de l’esprit, elle indiqua à Kaiikathal le bijou qui trônait à la base de sa corne gauche. Un anneau y trônait, pulsant d’une magie ancienne. Rapidement, Nahui lui transmit le proche souvenir d’une chasse qui n’en était pas une : elle présenta le souvenir, sans image, de son museau rencontrant quelque bout de bois de bonne taille et, l’objet faisant son office, le bois se changeant en viande. Le message n’était pas dénué d’enthousiasme. Oui, elle aussi trouvait que ce don était merveilleux. Elle présenta également sa plus grande fierté : le conifère qu’elle avait changé en pitaya géante pour Shyven ! La pitaya avait été si grosse qu’il avait fallu qu’elle grandisse pour la transporter jusqu’à un endroit adéquat pour la stocker.
Elle ne s’attarda pas sur le fait que la pitaya avait commencé à rouler vers Cendre-Terres.
En revanche, elle put raconter, sans se défaire de la joyeuse énergie que cela lui procurait, d’autres objets en sa possession qui lui étaient chers. Il y avait ce petit bout de métal qui, actionné en vol, faisait apparaître des bavettes devant son museau. Bien pratique pour les long trajets… Pour qui n’en abusait pas. Puis il y avait ce bijou-d’yeux, don de feue sa mère, qui lui permettait de grandir et rétrécir à loisir !

Vint le tour de Kaiikathal de raconter ses histoires, et Nahui fut toute ouïe. Dès le début, sa camarade sut capter son attention, imposant le mystère. Un poireau ? Comment pouvait-on être poireau ? Un bref instant, elle imagina si, en guise de Lié, elle avait un fier légume. Par le dragon-esprit, le contact mental serait bien plus… bien moins…
Elle laissa échapper quelques bulles, sous l’eau, sous l’effet de l’amusement.
L’histoire prenait place. Plus Kaiikathal avançait dans son discours, plus Nahui lui reconnaissait de vraies qualités dans cet exercice. Elle parvenait à saisir l’attention et à la garder. Elle pouvait tout rendre intéressant. Un don certain, que Lié aurait sans doute adulé. Le seul mot “bouboule” lui arracha de nouvelles bulles d’amusement. Il n’y avait bien que les bipèdes pour user d’éléments aussi ridicules dans leurs parades nuptiales. Dès qu’il fut question d’envoyer “bouler” Kaiikathal, Nahui partagea avec elle son indignation. Comment ! Alors lui aussi faisait cela ! Les Liés n’étaient-ils tous que des goujats sitôt que leurs trompette reproductive se mettait à jouer ? Inadmissible, vraiment.

“- Ils sont stupides. Mon Lié aussi réagissait comme cela, jadis, quand il s’accouplait avec “son piou-piou d’amour”. Ils sont toujours présents dans notre esprit quand on fait la sieste au soleil, mais il faudrait que leur existence et la nôtre soient défaites sitôt qu’ils en vivent de croustillants moments ! Quelle indignité. Nous les acceptons en entier, ils se doivent de nous accepter entières en retour !”

C’étaient de vraies exclamations mentales, prononcées avec passion. Elle aussi avait souffert de cette solitude imposée, de ne pas partager une émotion pourtant agréable. Jamais elle ne l’avouerait à Lié, mais la disparition de son piou-piou avait eu bien des avantages pour elle et, surtout, pour son exclusivité.

Elle était encore à ronchonner sur la bêtise des bipèdes quand Kaiikathal intervint, pour lui montrer ce qui était… Sans doute son environnement ? Là où Kaiikathal s’attendait sans doute à de l’émerveillement, il y eut beaucoup de perplexité. Ondulant sous l’eau, Nahui vint s’enrouler autour d’elle… Après avoir quelque peu peiné à s’orienter, sous l’effet des images.

“- Ne t’embête pas avec cela. Ce que tu me montres, je le perçois, mais ne puis l’apprécier ni le comprendre. Mais ne t’en fais pas. Mon monde n’est pas sans saveur ni beauté. Il est juste… Différent.”

L’explication était bien plus claire dans les émotions qu’elle transmettait. Les images, quand Nahui les recevait, étaient comme autant d’informations dans une langue inconnue. Son esprit ne parvenait à en tirer quoi que ce soit. Elle offrit à sa camarade le souvenir de cette fois, au sein de Caladon, où Shyven avait également voulu lui transmettre une image, et où Nahui avait juste fait un transfert à Aldaron sans pouvoir faire quoi que ce soit de la myriade de couleurs qui lui était passée sous le nez.

Mais elle avait trouvé de la beauté dans ce monde. Quand elle dormait sur les genoux de Lié devant un bon feu ronflant, c’était beau. Quand ils avaient volés, ensemble, pour la première fois, c’était beau. Quand ensemble ils s’étaient réunis pour soutenir Shyven dans sa peine… Bon, ç’avait été chaotique, mais beau. Mordiller les cornes des copains, savourer un plat délicieux. Pouvoir s’enrouler avec aisance autour d’une congénère dans un lieu où elle se sentait à son aise.
Elle lui partagea tout cela, à son tour, toutes ces sensations de beauté, afin qu’elle puisse en profiter.

Puis vint une beauté un peu particulière : la beauté qui se trouvait dans la conquête, la satisfaction puissante de l’ordre qui se rétablissait. Le plaisir inouï que l’on pouvait trouver à répandre ses flammes sur des quartiers entiers. Les instants précieux où, retrouvant leur intellect, les bipèdes se soumettaient et leur confiaient des présents. Comme ce bipède, à Sélénia, qui lui avait gentiment confié la couronne de son royaume -et le socle qui allait avec.

“- Je sais que Nephilith aurait apprécié tout objet à ajouter à sa collection. Moi, j’apprécie surtout ce qui peut m’être utile. Ou satisfaire Lié. Auquel cas, c’est utile. Mais Lié aime surtout l’or et les couronnes. Toi, que peut-on t’offrir pour ta félicité ?”

Ses crocs vinrent mordiller les cornes de Kaiikathal, en marque d’affection.

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L’or et les couronnes ? Ma parole ! C’était tout ce que Kaiikathal chérissait, juste après Nathaniel et sa douce Nahui. Kaiikathal resta suspendue au-dessus du lit de la rivière comme un gros poisson perdu, qui passait par-là. L’air songeur, elle regardait devant elle non pas les petits alevins argentés qui faisaient leur ballet aquatique par bancs de centaines, mais le miroitement des pièces dorées qui s’écoulaient sous ses yeux comme une cascade d’or et de diamants dont elle parvenait même à entendre les cliquetis lointains, si doux, si délicieux, si délectables. La dragonne laissa échapper quelques microbulles d’air de ses narines qui se refermèrent aussitôt comme des clapets.

“Bah ! Je crois que mes pensées parlent d’elles-mêmes, douce Nahui. En soi, je ne suis pas très différente de ton Lié sur ce point. Encore faudrait-il que j’arrive à être aussi riche que lui, mais ça n’est pas pour tout de suite.”

À son plus grand regret. Kaiikathal ne rêvait pas seulement d’un trésor immense, mais d’un palais d’or et de pierre incrustés l’un dans l’autre : un édifice sauvage et riche, qui associerait ses origines draconiques et l’opulence de son peuple de gredins. Quelque chose à son image. En contrebas, il y aurait la mer, ou l’océan : ce serait son domaine à elle, et elle y serait traitée comme une reine. Elle serait à la fois redoutée et respectée. Et tous les dragons y seraient la bienvenue, les Liés et les Nus, comme elle s’était surprise à les considérer, car il y avait, selon elle, une certaine vulnérabilité à ceux qui n'avaient d’autre lien que le sang des siens.

“En fait, j’aimerais la souveraineté. Ciel, oui, cela me conviendrait parfaitement, tant que mon doux et succulent Nathaniel serait là pour s’occuper des marchands, des guerres, du commerce et de la politique et tout ça.”

Car Kaiikathal s’était fâchée avec les coutumes des bipèdes avant même de fendre sa coquille, et elle le demeurait.

“Oh oui ça fait du bien. Tu peux croquer par ici ? Vers la base. Ah, ah AH ! Tu as touché le point sensible, je le sens. Mmm ! Merci.”

La Marche-Tempête délogea ses cornes des mâchoires de Nahui, avant que ce grattage intensif ne la rende folle (car en vérité, elle adorait se faire gratter les cornes, et cela pouvait durer des heures). Elle donna un coup de reins et de queue dans l’eau pour se surélever par rapport au fond de l’eau et surplomber la dragonne blanche. Puis, avec l’agilité et la rapidité d’un espadon, elle refit surface, fit un bon et replongea aussitôt rejoindre sa sœur de cœur une fois les poumons rassasiés en air frais, car ils commençaient à la brûler avant qu’elle ne se soit décidée à remonter faire le plein.

Une idée saugrenue lui vint à l’esprit : elle ne savait pas comment le bijou, l’artefact, le joli et très attirant (et convoitable, même s’il ne lui viendrait jamais à l’idée de voler Nahui), bref, l’objet magique qui changeait la forme des choses, fonctionnait. Kaiikathal se glissa contre sa sœur, lisant un peu impudiquement dans les images mentales de celles-ci, avant de lui demander :

“Dis, ton machin bidule, là. Il marche comment ? Tu crois que tu pourrais me faire grandir moi aussi, ou ça ne marche que sur les jolies dragonnes comme toi ?”

Dans le fond, Kaiikathal apprécierait énormément posséder un tel pouvoir.
Pour en abuser, bien entendu. Elle se transformerait en astre et aspirerait tout ce qui existe sur ce monde pour n’y laisser que ce qu’elle aime, et ceux qu’elle aime. Mais elle doutait que cela fonctionne ainsi : ce serait alors bien trop simple de détruire le monde.

“Je me demande jusqu’où tu peux grandir. Est-ce que tu choisis ta taille quand tu te fais grandir, ou est-ce que c’est le machin-bidule qui décide ? J’avoue que si je pouvais lui demander, je lui dirais de me faire la plus grande et grosse possible.”

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Des couronnes et de l’or, pour la Marche-Tempête. Fort bien. Ce n’était rien qui soit hors de leur portée. Ceci dit, dans le monde hypothétique des théories, rien n’était hors de leur portée. Dans les faits, elles avaient encore besoin de réclamer et n’étaient servies avant même l’énonciation de leurs désirs, ce qui était un véritable affront. Par chance, quelques bipèdes déjà étaient sur le chemin de la rédemption, à l’image de celui qui avait confié à Nahui la couronne de Sélénia - et son fabuleux socle. S’il le fallait, pour satisfaire l’esprit lumineux de Kaiikathal, Nahui plierait l’échine des non-liés pour obtenir le minerai au son si ravissant.

Néanmoins, elle croyait en la possibilité pour sa camarade d’infortune de déjà obtenir par elle-même ce qu’elle voulait. Certains disaient que l’or n’était pas pour les dragons. Ils mentaient. Nahui présenta à Kaiikathal tous les pillages qui l’attendaient et tous les non-liés qui pouvaient reconnaître sa puissance et, sur un ordre d’elle, les non-liés pouvaient lui offrir leurs possessions. Elle n’avait qu’à demander. C’était leur rôle d’éduquer ce monde qui avait tant oublié…

Elle cessa de la combler de mordillements pour l’accompagner brièvement à la surface, et replonger à sa manière. Grignoter ses congénères était une façon pour elle de les découvrir, les définir par ses sens. Chacun savait que le goût était bien le sens favori de Nahui… Mais le bout de sa langue parvenait également à donner une forme plus précise aux âmes qui l’entouraient.

Kaiikathal vint contre Nahui, et Nahui chercha à s’enrouler autour d’elle, comme un lierre envahissant. Quand l’esprit inébranlable de la dragonne des océans crut envahir le sien, Nahui s’ouvrit à elle, l’accueillant sans rien lui cacher.
Le machin bidule qui la faisait grandir ? Nahui désigna mentalement ses propres yeux, et l’étrange couche iridescente qui les couvrait. Elle transmit à son amie ses “explications”, qui étaient à moitié des croyances, faute d’avoir pu obtenir une quelconque confirmation de la part de celle qui lui avait offert ce don : le machin s’était instinctivement posé sur ses yeux, aussi doutait-elle pouvoir le retirer. Elle doutait également pouvoir le partager. Le don de sa mère ne se propageait, hélas, que sur son support. Ce n’était pas un manque de volonté de sa part et pour en témoigner, elle offrit à Kaiikathal le concept de Verith, plus grand dragon de l’archipel, vaincu par les deux immenses dragonnes, son orgueil s’effondrant avec lui.

“- ...Je peux aussi rétrécir, avec. Faire la taille d’un lézard, à peu près. C’est plus pratique que ce qu’il y paraît. Mais pour la plus grande taille… Constate donc !”

D’un mouvement puissant de tout son corps, elle se détacha de Kaiikathal pour bondir hors des eaux. Là, sur terre, où elle risquait moins de blesser sa congénère, elle se laissa grandir. Atteindre sa taille maximale, ces fameux “cent mètres” d’après l’approximation de Lié, lui prit du temps. Lorsqu’elle y parvint, Kaiikathal lui parut bien petite. Elle aurait pu en jouer, assurément. Mais l’expérience lui avait apprise que cette taille immense servait mieux aux combats. Pour les jeux, mieux valait avoir la taille de ses camarades. Elle rétrécit donc, de nouveau. Ce faisant, elle rapporta à Kaiikathal le souvenir de l’instant où ils - Lié et elle - avaient trouvé ce joyau. Ç’avait été dans le recoin-à-trésors de Lié. Elle avait failli causer bien des ennuis, à subitement grandir dans des lieux inappropriés !

Une étincelle de malice brilla dans son esprit, quand elle suggéra à Kaiikathal :

“- Allons fouiller le recoin-à-trésors de ton Lié. Peut-être y trouverons-nous également quelque présent draconique pour te faire grandir !”

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“Oh ! Quelle glorieuse idée” rétorqua Kaiikathal en réponse à son amie. “Mais pas celles de la salle des coffres de la Confrérie, bien entendu ; c’est trop loin. Dommage, il y a des montagnes d’or là-bas. Mais nous avons de quoi faire ici sur le Nid-Flottant.”

Cela lui fit oublier ses pensées envieuses à l’égard de Nahui et de son précieux bijou qui lui permettait des choses qu’elle ne pourrait jamais faire, comme rétrécir jusqu’à atteindre la taille d’un coquillage, et se glisser entre les doigts griffus des coraux pour chasser des proies nouvelles et excitantes.

“Ceci-dit, je me demande bien où se trouvent ses plus beaux trésors. La majeure partie de ses richesses réside dans la cale, dans un compartiment sous clé, avec les miennes. Mais je sais que ses biens les plus précieux sont dissimulés dans sa cabine personnelle… Mmh. Viens avec moi !”

Kaiikathal posa le bout de la queue sur l’épaule de Nahui et la conduisit jusqu’à la surface, mue par l’impatience de faire découvrir son monde à sa sœur de galère. Ses narines s’ouvrirent en faisant surface à la manière d’un alligator, à l’instar de ses yeux jaunes et perçants, fendus de leur habituelle pupille noir de jais qui scrutait les mouvements de chacune des âmes alentours. La masse crânienne de la dragonne finit par émerger en grondant sinistrement, même s’il s’agissait de plaisir. L’eau ruisselait de ses embryons de cornes et le long de ses joues écailleuses pour rejoindre l’eau. D’un regard malavisé, elle repéra la position du Maeström dans tout ce fouillis de navires.

“Suis-moi.”

Comme il leur était physiquement  impossible de décoller depuis l’eau, Kaiikathal et Nahui se dirigèrent vers les quais. Une fois hissées sur les pontons où régnait une activité infernale, la dragonne des lagunes s’ébroua à la manière d’un chien mouillé, les poils en moins. Avec l’agitation environnante, l’ambiance était au pied de guerre. Pour cause, Kaiikathal n’avait jamais assisté à une réunion de bipèdes aussi active et bouillonnante, excepté lors de quelques congrès plus ou moins officiels. C’est avec une résignation consternée qu’elle considéra l’essaim de la masse populaire, perplexe.

“Allons-y plutôt en volant.”

Il ne leur fallut pas plus de cinq secondes pour s’emparer du ciel, et moins de trente pour rejoindre le grand quatre-mâts dont les voilures remontées lui conféraient une mine décharnée. Elle avisa la proue, qui n’était toujours pas à son effigie, avec désapprobation et enjoint sa compagne de ne pas payer attention aux faciès inquiets de gredins encore à bord du vaisseau : ils s’étaient presque habitués à la présence de Kaiikathal alors un dragon de plus n’y changerait rien. Elle n’apprécia pas qu’on la défie du regard et fit comprendre par un retroussement de lippes significatif qu’elle faisait bien ce qu’elle voulait, puisqu’elle était une reine ici.

“Bienvenue sur le Nid-Flottant !” commenta-t-elle d’une voix haut-perchée, comme elle le faisait à chaque fois qu’un compagnon venait se poser sur son “humble demeure”. “Ici est aussi ta maison, alors fais comme chez toi.”

Elle l’emmena à travers l’écoutille principale, qui d’ici quelques mois ne serait peut-être plus assez large pour permettre à une jeune dragonne de pénétrer dans les viscères du navire sauf Nahui, que le bijou de sa propriétaire insoumettait aux problèmes de taille. Une fois dedans, Kaiikathal et sa compagne se frayèrent un chemin - non sans quelques difficultés pour la première - au travers de passages étroits, cordages et caisses de matériel et ravitaillement jusqu’à atteindre l’espace où étaient rangés le coffre de magique de la dragonne et un échantillon du trésor de Nathaniel. La dragonne bleue lui présenta non sans fierté la particularité de son coffre sans fond, véritable tonneau des Danaïdes qui avalait tout son or, ses diamants et ses bijoux, et pouvait contenir bien plus que sa simple apparence ne laissait présager.

Cependant, après avoir fait étalage de toutes ces possessions, la session prit rapidement une tournure ennuyeuse, car il n’y avait pas grand chose à dire après avoir montré tout ce qu’on possédait. Kaiikathal hésitait : était-elle en droit de pénétrer dans les quartiers de son Lié en son absence, et encore plus, accompagnée d’une étrangère au Maelström ?
Et puis elle songea que ces pensées étaient dignes des préoccupations polies des bipèdes et estima qu’elle n’avait rien à craindre des réactions de son Lié. Elle n’aurait qu’à se lover contre lui, ou, au pire, lui croquer un doigt.

“On pourrait aller voir dans sa cabine individuelle s’il y a quelque chose d’autre ! Je n’y ai pas mis les pattes depuis belle lurette.”

Kaiikathal et Nahui remontèrent le squelette du vaisseau en bavardant gaiement jusqu’à arriver devant l’entrée de ladite cabine. La dragonne eut tout de même un léger moment d’hésitation, mais cela ne l’empêcha pas de mentir au malfrat chargé de surveiller les lieux. Les deux dragonnes n’eurent pas besoin de se faire interroger : la présence de deux dragons était suffisamment convaincante à elle-seule. Elles franchirent sans difficulté le pas de la porte qu’elles repoussèrent en arrière pour se retrouver seule dans cet espace étroit et tout à fait sobre.

“Eh bien ! C’est beaucoup plus petit que dans mes souvenirs. J’ai cru que mon fessier allait y rester.”

Elles reniflèrent toutes les surfaces de la cabine, en examinèrent le moindre recoin comme deux critiques d’arts autour d’un banal tableau. Toutefois, il  y avait une fragrance forte, qui lui rappelait le poisson pourri, mais dont la provenance lui restait inconnue…

“Ça sent tout de même très bizarre par ici. J’espère qu’il se lave comme il faut.”

Quelle honte si son Lié puait effectivement aussi fort que cette odeur ! Pourtant, elle n’avait jamais fait attention, ni même détecté aucune pestilence en sa présence. Ce n’était pas normal. Elle finit par fouiller dans un pot étrange où s’amoncelaient tout un tas de détritus, jusqu’à parvenir à l’objet fautif : un drôle d’agencement de feuilles à la forme tubulaire. Ça sentait effectivement le poisson pourri.

“Mais… qu’est-ce que c’est que ça ?”

Elle était à deux griffes de courir auprès de Nathaniel, quitte à interrompre sa petite discussion, pour lui demander des explications.

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Kaiikathal avait réussi à faire pétiller dans l’esprit de Nahui des étincelles d’intérêt. Des montagnes d’or ? Ooooh que Lié aurait été heureux ! Elle s’imagina creuser dans ces montagnes, faire fondre le si désiré métal, y façonner un nid pour Lié et pour Tendrécailles. Nul doute que cela leur plairait. Est-ce que cela plairait à Kaiikathal ? Sans doute, elles étaient d’une même Nuée, par les pouvoirs de l’anticipation.
S’adaptant à la taille de sa guide, pour pouvoir avancer sereinement, sans réfléchir ni tâter son environnement du bout de la langue, Nahui lui emboîta le pas, songeuse. L’endroit où garder ses plus beaux trésors… Dans le fond, c’était là une question importante, pour quiconque avait des adversaires dotés de la notion d’équipement. Comme par exemple, Lié et ses très chers ennemis Séléniens ! La psychologie de ces derniers était fascinante. Ils gardaient leurs trésors en exposition, mais mettaient des protections autour. Est-ce que, là-bas, la seule vision d’une armure suffisait à dissuader ? Quand bien même l’endroit et la taille de l’armure étaient accessibles à tous ceux qui voulaient se préparer ? Si c’était bien le cas, Nahui devait être terrifiante, pour eux. Cette seule pensée l’emplissait d'orgueil.
Mais s’il existait au moins une façon différente de la sienne de voir les meilleurs nids-à-trésors, sans doute devait-il en exister d’autres, tout aussi improbables. Devait-elle dévoiler à Kaiikathal un secret, en échange du sien ? Elle n’en avait pas tant. La Marche-Tempête s’ébroua. Le geste était plaisant à exécuter, mais Nahui voulait garder encore un peu l’eau qui la couvrait. Le désert était impitoyable et, bien qu’elle n’en souffrit, elle préférait tout de même les températures qui l’avaient jadis bercée, celles qui la berçaient encore lorsqu’elle rejoignait Cendre-Terre. Ainsi, lorsqu’elle s’envola, quelques bipèdes s’interrogèrent sur les gouttes de pluie qu’ils étaient persuadés d’avoir senti.

“- Mon opinion est que les trésors sont mieux gardés contre soi. Accrochés à soi. Assez fort pour que l’on puisse réaliser leur absence.” Profitant en toute paresse des courants ascendants, Nahui réalisa que ses pensées pouvaient également être interprétées pour les trésors qui respiraient. Aucun cas, non, ce n’était pas son opinion. Ces idées ne valaient que pour les objets. Elle écarta vite ces considérations, craignant que le souvenir de quelque perte n’altère son humeur. Au lieu de cela, elle évoqua à Kaiikathal ces bipèdes dont la grande spécialité était, justement, d’ôter les trésors. Certains y parvenaient, justement, même si l’objet était sur la personne concernée. Cela impressionnait beaucoup Nahui.

Elle crut sentir l’excitation de Kaiikathal amplifier au fur et à mesure qu’elles approchaient, sans doute, du Nid-Flottant. Il se remarquait de loin, même pour la fille des neiges. La magie parcourait ce bout de bois plus encore que la sève avait dû le faire jadis. Fascinant autant que prometteur. Nathaniel disposait assurément de moyens que la jeune dracène n’aurait pas associé à quelqu’un qui sentait si fort la morue.
Toujours dans sa même volonté de se simplifier la vie, elle ne changea pas non plus de taille en arrivant à l’intérieur du nid de Kaiikathal, tout à fait persuadée que celui-ci était forcément adapté à leur stature. Ainsi quelques objets divers et variés qui eurent le malheur de se trouver sur son passage se retrouvèrent renversés, compressés, peut-être un peu cassés pour certains. Rien de bien important, sans doute. Kaiikathal l’aurait prévenue dans le cas contraire. Son principal haut-fait consista à embarquer un cordage avec elle et, ipso facto, tout ce que les lourdes cordes pouvaient trainer avec elles.
L’étalage des possessions de sa consoeur obtint son intérêt des plus appuyés. Elle réclama maints détails, de l’origine des objets jusqu’à l’usage qu’en avait Kaiikathal. Du bout du museau, elle approcha le coffre sans fond. Pouvait-on y faire son nid ? Rentrer dedans, et s’y installer ? Et… Si on restait bloqué dedans, pouvait-on cramer le coffre de l’intérieur pour se libérer ? Si passionnantes et importantes que pussent être les réponses, Nahui décida de ne pas aller les quérir de façon empirique. Elle survivrait.

Kaiikathal avait encore de la ressource par-delà ce premier stock de possessions. Des ressources accessibles uniquement à elle et son Lié. La queue de Nahui battit furieusement les airs (et environs) d’excitation, en emboitant de nouveau le pas de sa guide, et grogna avec elle devait l’étroitesse de l’encadrement de la porte. Les bipèdes et leur foutue tendance à créer des environnements rétrécissants…
En tout cas, le lieu était très conforme à l’image que Nahui avait de son propriétaire ; il avait une forte odeur de poisson. Plusieurs fois la jeune dragonne plissa le nez de façon fort peu discrète, comme si elle cherchait un moyen de respirer sans avoir la sensation que la mer entière venait se loger dans ses poumons.
Mieux valait qu’elles se hâtent de récupérer les éventuels objets intéressants pour déguerpir d’ici au plus vite ! Laissant Kaiikathal à ses recherches, Nahui fouina à la recherche d’éléments magiques. L’exclamation de sa consoeur lui valut de se désintéresser du tiroir dans lequel elle avait à moitié enfoncé sa tête pour se rapprocher de ce qui lui valait tant d’émoi. À l’origine, Nahui avait dans l’idée de toucher du bout de la langue ledit objet pour l’examiner. Sitôt qu’elle fut à hauteur de la Marche-Tempête, elle s’arrêta, changeant radicalement de plan.

“- Urgh. De toute évidence, c’est ce qu’utilise ton Lié pour changer son odeur.”  Ses écailles s’étaient hérissées, comme pour effrayer un potentiel agresseur. “Pour le bien commun, je pense qu’il nous faut jeter ceci là où nul odorat ne pourra être outragé davantage.”

Sans plus attendre, elle s’empara du pot, le nez fortement froncé, à moitié en apnée. Elle fit signe à Kaiikathal de passer devant, ne serait-ce que pour lui ouvrir la porte, d’un mouvement de tête. Mais comme elles s’approchaient de la porte, une voix désagréable hurla :

“- NAN MAIS OH LES PUCELLES, vous venez en douce et vous repartez avec du butin ? REPOSEZ CA tout de suite ! On vole pas au roi des gredins, nan mais oh ! En plus, j’aurai pas ma paye si vous faites ça. Pas que je m’occupe de ma paye, mais QUAND MÊME, quand on a que ça à faire, c’est important !”

Nahui sentait déjà le mal de crâne monter. Un grondement émana du fond de sa gorge. Elle, elle ne pouvait voir l’allure décrépie de la tête accrochée à la porte de Nathaniel. Aussi profitait-elle uniquement de la douce mélopée et de la concordance avec un petit nexus de magie. Super.

“ -... Veux-tu qu’on s’en débarasse aussi ?
- Allezallez, zou, on range tout à sa place, et on va jouer ailleurs ! Vous pourriez, je sais pas moi, faire usage de votre CORPS tant que vous en avez un ! Nan parce que vous savez, ça part vite ces choses-là…
- … Ton Lié y tient ?
- En tout cas moi de mon temps, quand on s’ennuyait, on allait batifoler dans les prés, pas voler aux presques-honnêtes gens ! Eh mais que faites-vous ? NATHANIEEEEEL !”

Nahui venait de s’emparer de la tête pour mieux la jeter à l’autre bout de la pièce. Elle grognait encore d’agacement en sortant, et laissa Kaiikathal gérer les pirates qui, alertés, s’étaient présentés pour les accueillir.

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Pour changer son odeur ? Mais pourquoi voudrait-il changer son odeur avec ça ? Par ailleurs, Kaiikathal n’avait jamais humé cette infamie ailleurs qu’ici-même et maintenant. Elles se dirigeaient vers la sortie quand une exclamation les fit sursauter, d'une manière si ridicule que Kaiikathal tourna la tête de tous les côtés et mit des années avant de comprendre que l'invective provenait d'en face ; juste un peu en-dessous de son menton. Alors, la chose commença à les menacer.
Ah ! J'avais oublié ce détail... pensa-t-elle en serrant les mâchoires.

Kaiikathal n'en revenait pas. Se faire insulter de la sorte, sous son propre toit ? Impensable. Inimaginable.

“Zanospi ! Pucelle, moi ? Non mais… Pucelle toi-même ! Tu vas faire quoi, nous retenir séquestrées ici jusqu’au retour de Nathaniel pour nous dénoncer ? Comment tu comptes faire ? T’as même pas de bras !”

La tête ne semblait plus jamais s’arrêter de parler. Pire encore, elle déblatérait à un rythme effréné et vraiment insupportable pour les ouïes d’un dragon. Kaiikathal l’aurait brûlée net d’une étincelle s’il ne s’était pas s’agit d’un bien de son Lié, mais cela ne l’empêchait pas de se poser nombre de question au sujet de ce-dernier, à commencer par pourquoi il gardait des trucs puants dans sa cabine personnelle, et quel était l’intérêt de garder un tel objet sur sa porte, en particulier quand on avait un dragon avec un régiment de crocs et une rangée de griffes à chaque patte pour surveiller le bâtiment…

“Je suis pas une pucelle moi ! Tu vas voir ce que tu vas voir !” Elle plaqua ses grands doigts acérés de part et d’autre de la tête, plongeant celle-ci dans son ombre comme une funeste promesse. La dragonne montra les dents et la tête appela au secours.

“Mais que faites-vous ? NATHANIEEEEEL !”

“Oh mais la ferme ! Tu sais ce qu’on dit aux balances ? POULE QUI PARLE A PONDU L’ŒUF !!”

Nahui saisit l’affreuse chose qui parlait plus que Kaiikathal avant que cette-dernière n'ait le temps de la croquer suffisamment fort pour la réduire au silence. Elle la décrocha et la lança dans la pièce ; la tête poursuivit ses brailleries dans les airs et termina sa course contre le mur du fond de la cabine (un bois sec et dur qui mériterait bien un coup de térébenthine),  sans pour autant cesser son capharnaüm.

Kaiikathal enfonça la porte dans le sens de la sortie pour quitter la cabine, l’objet tubulaire et nauséabond en gueule. Il dégageait une telle pestilence qu’elle peinait à respirer sans être prise de borborygmes évocateurs.
En bas de l’écoutille, la dragonne et sa compagne furent accueillies par un salmigondis de flibustiers. À en juger leurs regards mi-intéressés, mi-inquiets, cela faisait quelques minutes qu’ils avaient entendu le raffût d’en-bas.

“Écartez-vous, bande de mécréants.”

“Hé là, ho ! pas si vite, vous foutez quoi en bas ?”

“Et toi tu fous quoi là ? T’es pas censé faire ton boulot, ou je sais pas moi, glander dans un coin en attendant les ordres du chef ?”

Le pirate, qui n’avait pas l’habitude d’entendre des voix dans sa tête ailleurs que lors de permissions arrosées, recula d’un pas et se frappa le front comme pour en faire sortir l’esprit de la dragonne. Pour autant, il ne se laissa pas démonter. Kaiikathal, qui avait la capacité de concentration d'un sansonnet, réfléchissait à comment elle allait expliquer à son Lié la présence de sa tête réduite dans un coin de sa cabine au pied du mur. Oh, ça ira. Il n'aura qu'à la raccrocher.

“Filoute que tu es ! Tu m'écoute ou bien . Tu sais que si tu causes du trouble là-dedans, tu vas nous attirer des ennuis ? Toi tu l’immunité du Roi des Pirates, mais nous ! Ô, brigands, forbans que nous sommes, il n’hésiterait pas à nous trancher la gorge ou trouer le cœur pour un nœud mal serré. Alors dis-nous, qu’est-ce que vous foutez en bas ? Z’êtiez où ?”

“Tu exagères. Le doux Seigneur Nathaniel n’est pas si despotique que cela. Et puis, tiens, pourquoi tu ne lui demandes pas limonité ? Si tu dis que j’ai limonité, tu n’as qu’à la lui demander. Il voudra peut-être bien te la donner.”

Le malotru secoua dramatiquement la tête.

“Et puis quoi encore ! Tu veux que je passe pour une victime où quoi ? Manquerait plus que ça, ça serait la fin pour moi.”

“Par les flammes de mes ancêtres, tu ne sais pas ce que tu veux toi… Té, mais qui est ce blaireau cagueux… Y’en a marre des mecs qui blairottent ! Continue comme ça, et tu vas bientôt rejoindre le pays des grenouilles.”

Kaiikathal savait pertinemment qu’elle était en position de force, qu’elle soit en tort ou non.
Le pirate recula. Des perles de sueur roulaient sur son visage desséché par la rudesse de la mer et bouffi de chaleur. Il savait qu’il avait fait le malin mais qu’il était allé trop loin, et que cela risquait de lui porter préjudice, en particulier si la dragonne, qui n’avait déjà pas la réputation de tenir sa langue, venait à rapporter cet incident au Roi des Pirates. C’est l’hôpital qui se fout de la charité, pensait-il. Maudite vie, injuste… Il marmonna un orémus et intima son groupuscule de le suivre et, de ce fait, d’abandonner la partie… avant de s’apercevoir que les dragonnes n’étaient pas revenues des cabines sans rien.

“Attendez… qu’est-ce que vous avez piqué en bas ?”

Kaiikathal échangea un drôle de regard avec Nahui. Elle rétorqua :

“Soit. Mais je te préviens : ça pue, et tu n’as absolument rien à gagner en y regardant de plus près.”

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Là où le commun des mortels usait de ses mires pour chercher à travers les couleurs ce que masquaient les corps, Nahui accédait directement aux âmes, à sa manière. Face à elle, les hommes-de-sur-l’eau transpiraient le manque de confiance, une détresse qu’ils s’essayaient de cacher derrière des masques qu’elle ne percevait pas. Bâillant à s’en décrocher la mâchoire, la fille des neiges laissa Kaiikathal tenter de les repousser, dans leur langage. Mais ils traînaient, rechignaient, piaillaient, et c’était long, et c’était inutile… Ne réalisaient-ils pas combien Kaiikathal leur offrait, en leur accordant tant d’attention ? Comme beaucoup trop de bipèdes, ils ne méritaient pas la Marche-Tempête.

La Liée de cendres s’apprêtait à soupirer de soulagement, quand le mouvement général des bipèdes s’esquissa en leur direction opposée. Hélas, l’éclat de lucidité ne dura guère, pour son plus grand déplaisir. Un bref toucher mental vers Kaiikathal lui indiqua que leurs idées étaient semblables, muant son agacement en malice cruelle. Elle plongea le nez dans l’espèce d’objet par lequel elles transportaient l’immondice, ses narines bien refermées, pour attraper l’objet de leur quête.
Elle ne visa pas vraiment. L’objet fut projeté dans la vague direction du bipède. Qu’il atterrisse au sol ou sur sa tête n’importait que peu à Nahui. Sa voix mentale se fit entendre avec des mots bien bipèdes dans les crânes alentours - à l’exception de celui miniaturisé, cela va de soi.

“- Ceci agresse les sens de Kaiikathal. Jetez-le à l’océan.
- Mais…”

Il y eut comme un instant suspendu dans le temps, après le couinement de protestation du bipède. Un instant un brin trop long durant lequel il eut le temps de sentir monter en lui le regret. L’esprit de Nahui prenait de plus en plus de place contre le sien. Sa présence paraissait s’amplifier. Sa taille, également, croissait.

“- Tes sens sont aussi étriqués que ton intellect. Tu grouilles sur la terre, tu t’accroches au bois pour ne pas couler. Kaiikathal s’épanouit des profondeurs d’Océan à la cime des cieux.”

Elle entr’ouvrit la gueule, dévoilant la lueur orangée de flammes contenues.

“- L’odeur nous incommode. Tu crains la Tête de Nuée de ce navire. Crains sa Liée plus encore.”

Elle n’avait pas grandi suffisamment pour prendre toute la place possible. Elle avait grandit suffisamment pour pouvoir étendre ses ailes même en étant coincée dans ce ridicule espace, en ultime démonstration de puissance. Le signe était clair : elle imposait sa domination.

“- Va jeter ceci ! Va jeter tout ce qui, sur ce fragment de Végétal, ressemble à cette horreur ! Une dragonne vit ici, qui mérite bien mieux qu’un affront à son odorat !”

Elle replia ses ailes contre elle et ajouta, d’un ton beaucoup plus calme :

“- Va également me chercher un poisson. Cette chose avait un goût horrible dont je souhaite me débarasser au plus vite.”

Le dernier mot avait été appuyé d’insistance. Nahui revint un peu plus proche de Kaiikathal, dans un contact qui se voulait réconfortant, pour apaiser le manque de respect qui lui avait été fait. A elle seule son esprit s’adressa alors, avec une grande délicatesse et une tendresse certaine :

“- Il nous faudra dire à ton Lié de châtier ceux-là. Qu’ils se souviennent de leur place et de leurs devoirs. Ma pauvre amie, dans quel monde vivons-nous… Mais délectons-nous désormais de leur obéissance, car elle est ce qui te revient.”

Elle-même n'avait nul besoin de bouger pour cela, pouvait se contenter de savourer l'agitation ambiante. Mais pour que Kaiikathal puisse davantage apprécier ce qui aurait dû être son quotidien, elle était prête à se mouvoir, à la suivre là où ses yeux lui diraient d'aller.

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“Va jeter ceci ! Va jeter tout ce qui, sur ce fragment de Végétal, ressemble à cette horreur ! Une dragonne vit ici, qui mérite bien mieux qu’un affront à son odorat !”

“Oui ! Oui, débarrasse-moi de cette chose inconvenante ! Et ne la jette pas dans l’océan, même les palourdes n’en voudraient pas ! Enterre-la là où personne ne la retrouvera jamais.”

“Va également me chercher un poisson. Cette chose avait un goût horrible dont je souhaite me débarrasser au plus vite.”

“Oui ! Oui, va lui chercher un poisson, et pas n’importe quel poisson ! Rapporte-lui une anguille, bien grasse et remplie d’oeufs ! Ma douce Nahui mérite au moins cela, pour l’accueil que vous lui avez réservé ! Non mais cela vous arrive-t-il de faire le ménage au moins de temps en temps ? Quelle honte ! Ha oui, une honte.”

Si Nahui n’avait qu’à activer son bijou magique pour grandir et, ce faisant, conserver cet air d’assurance qui l’accompagnait toujours où qu’elle aille, Kaiikathal avait bien du mal à comprendre ce qu’elle-même ressentait, ni savoir comme elle devait réagir. Car si la situation semblait très comique aux yeux de son amie, la dragonne des lagunes éprouvait de drôles de sentiments loin d’être agréables à vivre. Elle avait vraiment honte d’être tombée sur cette chose dans Nid-sur-l’eau, sentiment multiplié par la présence de Nahui. Et cela, même sans vraiment savoir de quoi il s’agissait. Cela pue, et c’est indéniablement sale ! C’est forcément quelque chose de mauvais. Mais qu’est-ce que ça peut bien être ?

À force de se retourner les idées dans la tête, Kaiikathal finit par se perdre dans le fil de ses propres pensées. On la gratifia d’un regard noir, dont elle avait l’habitude et auquel elle répondit par une rangée de crocs dissuasive (une répartie muette qui faisait effet à chaque fois, avec une redoutable efficacité).

Sa verve retrouvée, elle s’ébroua comme pour se dégager de ces étranges songes en crachant avec humeur :

“Ne restez pas là à battre la breloque ! Au boulot, et que ça saute. Et surtout, qu’on ne vous reprenne pas à contester notre autorité !”

Le groupe eut vite fait de se dissoudre sous les ordres (s’ils étaient à prendre comme tels) de la dragonne. Elle entendit un murmure de reproches, un soupir résigné, mais n’en fit rien : c’était toujours comme ça qu’ils se comportaient avec elle. En râlant, parce qu’ils n’étaient pas certains qu’elle ait le droit de leur donner des ordres à tous bouts de champs, pas plus qu’elle en était sûre elle-même, car on ne le lui avait jamais clairement autorisé ou interdit. Et en même temps, il fallait s’exécuter, car elle avait des griffes trop longues pour qu’elles laissent des marques anodines, des crocs trop profonds capable de percer une main d’un bout à l’autre, et cette effroyable capacité à les brûler vifs, si l’envie lui prenait.

La présence de la dracène glaciale si près d’elle faisait l’effet d’une pression apaisante sur son flanc. Kaiikathal émit un doux grondement, similaire au ronronnement d’un félin bienheureux. Que ferait-elle, sans sa chère et tendre Nahui ?

Parfois, il arrivait à la dragonne ne retomber dans le mutisme quand les mots devenaient un obstacle à sa pensée. Un message passa entre elles, une vibration microscopique qui n’engageait que leurs esprits. C’était un message sororal, un vœu solennel : la promesse d’un dévouement mutuel entre deux âmes qui avaient survécu à la corruption, la peur, la cruauté et la souffrance ; deux âmes qui avaient vaincu les flammes de la perversité et l’ombre du désespoir, et qui ne laisseraient jamais plus personne ne se mettre en travers de leur chemin.

Pour le meilleur comme pour le pire.

Spoiler :

descriptionToi, moi, et tous les trésors du monde ! [20 juillet] EmptyRe: Toi, moi, et tous les trésors du monde ! [20 juillet]

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