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description[PV Dragons + Aldaron] Une flamme s'éteint. Empty[PV Dragons + Aldaron] Une flamme s'éteint.

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03 juillet, Gorge du Monde

De toute sa courte vie, Shyven n’avait jamais pleuré. Elle avait vécu de beaux instants comme des moments douloureux, et pourtant, rien n'avait fait flancher l’esprit parfaitement équilibré de la jeune dragonne, qui avait toujours jusqu’à là sû apporter raison gardée à ses sentiments.

Mais depuis quelques jours, s’en était trop pour le jeune esprit de l’Opale, qui avait dû se rendre à une lente évidence : Kaalys, son père, Papa-tout-chaud, celui qui lui avait donné la vie, et fait découvrir ce monde dans toutes ses complexités, allait mourir.

Ce jour, c’était le dernier de son père, qui lui avait intimé de veiller sur sa famille, et sa Nuée plus que tout. Il était décédé dans son nid en haut des montagnes de Nyn-Tiamat, qu’il ne quittait plus depuis plusieurs jours maintenant. Sa fille, inconsolable, était à ses côtés, et l’avait accompagné dans la mort comme il l’avait accompagné lors de sa naissance. Elle était resté avec lui jusqu’au bout, sans faillir. Fière comme une dragonne.

Il n’avait même pas atteint ses dix ans. Ce n’était pas un âge pour mourir. Les Dragons n’étaient pas aussi fragiles que les bipèdes, et n’avaient pas à mourir de la sorte. Ils devaient vivre des centaines d’années, voir même pour l’éternité.

Quand il rendit son dernier soupir, Shyven pleura toutes les larmes de son corps, en plus de souffrir du choc que cela provoqua. Si Kaalys venait de rendre l’âme, la Nature grondait de colère. Une avalanche se créa plus loin dans la montagne, et une grande tempête de glace se forma autour du nid.

Pour la première fois de sa vie, Shyven sentit que tous les mots et les meilleurs sentiments du monde ne suffiraient pas à la consoler.

Elle était abasourdie, et ne trouva rien d’autre à faire que de pleurer, et rester bêtement auprès du corps inerte de son père, qui perdait progressivement toute sa chaleur caractéristique, alors que les éléments se déchaînent tout autour d’eux.

L’on n’était jamais préparé à un décès.

04 Juillet, Cendre-Terre

Au jour d’après, quand les agitations climatiques avaient cessé, le premier réflexe de Shyven fut d’aller avertir Nahui. Elle l’avait sans doute senti, elle aussi, comme tous les dragons présents sur cet archipel, mais elle sentait le besoin de voir quelqu’un de proche.

Elle n’aurait pas la force d’endurer une nuit supplémentaire auprès du corps inerte de son père. Trop de questions, de sentiments et de réflexions s’agitaient dans sa tête. Elle voulait retrouver cette bouffée d’air frais, ce moment de relative tranquillité qu’elle avait toujours quand elle allait la voir.

Bien sûr, elle n’obtiendrait jamais la quiétude totale, mais elle apprécia les soutiens qu’elle trouva dans Nahui, et Aldaron, qui se joignirent à son deuil. Elle resta dans les environs de Cendre-Terre pour la nuit.

Elle n’avait pas la tête à grand chose, et avait surtout besoin de repos.

05 Juillet, Chaine de Montagnes Nin Daaruth

Mettre le nez dehors était quelque chose de très compliqué, et encore plus dans ces montagnes, car partout où elle passait, Shyven avait l’impression de voir, et revivre tous ces beaux moments qu’elle avait passé avec son Père.

Elle ignorait si c’était ses Voix, sa mémoire ancestrale, ou bien sa confusion relative de ces deux jours, qui lui jouait des tours mais c’était ainsi. Elle ne pouvait cependant pas se permettre de se laisser dépérir, elle aussi.

Kaalys lui avait confié une mission : prendre soin d’elle, et de sa Nuée. Les dragons de Tiamaranta avaient dû traverser beaucoup d’épreuves dernièrement, et elle se doutait que cette mort allait susciter beaucoup de réactions. Alors pour réunir sa précieuse Nuée, mais aussi les autres dragons de Tiamaranta qui pouvaient être affectés par cette mort, pour un moment de communion, elle se joignit à la douleur provoquée par la mort de son père, et passa un appel de toutes ses forces à qui voudrait bien l’entendre.

Il était grand temps que sa Race se réunisse pour s’unir.

10 juillet, Gorge du Monde, matin

Shyven avait dormi aux Gorges, près de son père, pour la nuit. C’était leur dernière nuit ensemble.

Nombreux étaient les dragons à avoir répondu présents. La quasi totalité en vérité. Elle avait senti l’ombre imposante de sa Mamie-Montagne et de son Papy-Colère se poser non loin d’ici, et avec eux l’empreinte si particulière de ses oncles-zigotos jumeaux qu’elle n’avait plus vu depuis plusieurs mois. Elle les avait accueilli en pleurs, trop émue par le fait que tous aient fait le déplacement.

D’autres venues avaient réchauffé le cœur de la dragonne : Bien sûr, Nahui et Aldaron avaient répondu présents également, ils furent même les premiers à confirmer qu’ils seraient là. Shyven avait senti aussi dans l’air de vieilles connaissances, qu’elle n’avait plus vu depuis un long moment : Kaiikathal, la dragonne de Nathaniel, était non loin. L’heure n’était malheureusement pas à se tailler une bavette (au grand désarroi de Nahui), mais elle était contente de la voir.

Shyven n’était pas sûr, mais elle avait senti également la présence de sa mère. Comme une perturbation dans les nuages, faisant écho au don familial. Si elle était là, elle n’avait cependant pas choisi de se montrer pour l’heure.

Shyven était enfin entouré des siens, et elle avait convenu que l’on enterre Kaalys, ce jour.

D’autres la rejoindraient, pour faire face à ce décès ensemble.

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¤ Hécatombe ¤

Un souffle, ardent, dessinant une langue de feu dansante venant se tortiller et enserrer un roc dont la teinte se faisait rougeoyante. Un sifflement, strident, un craquement, annonciateur. Verith n’était pas un grand cracheur de feu comme avait pu l’être sa mère ou comme l’était sa femme. Il avait toujours eu du mal dans ce domaine, allez savoir pourquoi, pour autant son esprit aiguisé lui avait comprendre qu’à défaut de pouvoir un jour transformer une montagne en volcan en l’embrassant jusqu’au cœur, il pouvait user de ses flammes de bien des manières. Et c’est justement ce qu’il était en train d’apprendre à ses enfants. Au-dessous de lui, un immense roc qu’il avait arraché du canyon se dressait. Sa gueule ouverte au-dessus, l’enfant de l’orage l’enlaçait d’une chaleur intense. Celui-ci était devenu aussi rouge que ses écailles, des craquelures étaient apparues à sa surface tandis qu’il semblait fondre à certains endroits. De son œil, Verith analysait l’objet, jaugeant la puissance de ses flammes, puis s’arrêta soudainement. Recula son museau, il agita sa queue tel un immense fouet. Celle-ci vint émettre un claquement qui se répercuta dans la savane avant de venir frapper le roc. L’objet décolla avec force, s’éleva dans le ciel telle une boule de feu. Puis, après quelques instants, un sifflement encore plus strident se fit entendre et le roc explosa un d’innombrable éclats embrasés qui vinrent s’écraser sur la terre en une pluie incendiaire. Fort heureusement, les flammes vinrent s’éteindre bien vite. Le rouge avait pris soin de préparer la zone afin que rien ne puisse alimenter ces dernières. La sécheresse frappait Néthéril à cette période de l’année et il n’avait aucune intention de mettre le feu à toute la partie Est de cette ile.

Fier de sa démonstration, le rouge se tourna vers ses enfants et les invita à faire de même pendant qu’il les observait et les conseillait. Mais c’est à ce moment que l’enfant de l’orage ressentit un trouble dans la trame. L’espace d’un instant, son regard se fit sombre et on aurait pu jurer que les filins d’énergie bleutée s’échappant de son œil gauche éthéré avaient viré au noir. Un dragon venait de mourir. Il ne pouvait s’agir que de Kaalys. Ainsi, lui aussi n’avait pu résister aux affres du lien. C’était déjà le quatrième dragon à mourir et le troisième qu’il enterrait. Et comme par hasard, tous des liés. Combien de fois son discours préventif allait-il encore tomber dans l’oreille d’un sourd ?

Étendant son esprit, le rouge chercha à entrer en contact avec Keetech.

« Tu l’as senti toi aussi. Nous devrions y aller. Son corps ne doit pas tomber entre des mains bipèdes qui auraient tôt fait de l’utiliser comme trophée ou pire encore. Emportons Ssaadjith et Nephilith. Ils sont certes jeunes et je préfèrerais ne pas leur imposer cette vision, mais ils doivent regarder en face la réalité du lien. Eux devraient comprendre qu’il ne conduit qu’à la mort. »

Le soir même, la famille libre prenait son envol, suivant la trace laissée dans la trame, gagnant ainsi l’île de Nyn-Tiamat et ses hautes montagnes qui n’étaient pas sans rappeler les crocs-du-dragon d’Ambarhùna. Aguerri, il fallut moins d’une semaine aux géants des cieux transportant leur petit pour rejoindre l’île où sévissait un éternel hiver. Le regard du dragon rouge se posa sur les terres sous ses pieds. Il remarqua que les vampires s’étaient installés plus loin que l’extrême sud de l’île. La légion Vat'em’Medonis avait-elle autorisé cela ? Leur dirigeante ne l’avait pas informé, alors cela devait aller pour le moment. Peut-être l’avait-elle aussi fait par fierté pour ne pas ressembler à leurs voisins de l’ile d’été. Le rouge nota également l’absence de cohorte bipède sur le trajet vers la montagne. Soit ils étaient déjà sur place en train de profaner la dépouille, soit ils n’en avaient pas eu vent. Verith était certes au courant des lois appliquées dans cette région, grâce à Vaea, mais les bipèdes restaient les bipèdes … et le rouge ne pouvait pas dire qu’il portait les vampires dans son cœur, bien au contraire. Après tout, l’un de leurs dirigeants avait tué son frère et ils n’avaient rien fait pour le punir, au contraire, ils l’avaient suivi.

Les flancs de Nin Daaruth furent enfin à porter et les battements des ailes des dragons vinrent très vite outrepasser le bruit provoqué par les sifflements stridents du vent s’engouffrant entre les monts. Sur place, le rouge pouvait sentir la présence de Shyven, mais également des restes de trace magique de Kaalys. Il y avait également une dragonne qu’il n’avait pas rencontrée et non loin d’elle un bipède. Verith ne put empêcher un grondement de faire vibrer son poitrail. En plus de devoir procéder une fois encore à la crémation d’un dragon, on lui imposait la vue d’un bipède ?

Un fracas terrible eut lieu, précédant le déclenchement de quelques avalanches aux alentours alors que Verith se posait à flanc de montagne, enfonçant ses griffes dans le roc pour se maintenir. Son esprit alla directement à la rencontre du bipède, s’apprêtant à le chasser pour s’assurer de faire place nette.

« Bipède … »

Le dragon rouge s’arrêta un instant, retenant son esprit de venir s’écraser de tout son poids contre celui de l’indésirable.

« Bipède lié. »

Le ton se voulait plus apaiser, autant que cela puisse l’être chez Verith, mais une note de mépris ne pouvait s’empêcher de toujours transpirer.

« Je vois. Tu es celui qui a envoyé Vaea me remettre le cœur de ma défunte mère. Je ne serais pas ingrat. J’accorde à ton acte toute la considération qu’il mérite, bien qu’il ne saura jamais éteindre tout le mal que ta race a fait aux miens, ni la magie ignominieuse que tu incarnes. Moi, Verith de l’ire, je tolèrerai ta présence en ce triste jour. »

L’esprit du rouge se tourna lentement vers Shyven, venant lui adresser une caresse mentale se voulant réconfortante.

Dwëmmer, elle, qui avait bien sûr accompagné au son lié, sauta de celui-ci pour rejoindre les escarpements venteux de la montagne, se dirigeant avec agilité vers le couple de lié. Claquant des pinces devant eux, elle se présenta.

« Salutation, je suis Dwëmmer. Pardonnez mon lié, la tristesse étreint son cœur autant que sa colère. C’est déjà le quatrième membre de sa race qu’il voit s’éteindre en moins d’une année. »

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D'un œil averti, la masse immense qu'était Quartzécaille observait son mâle à l'œuvre. Ses flammes ardentes faisaient briller ses écailles aussi bien que celles des enfants, debout près de leur père. Une vision qui rendait la cracheuse de feu particulièrement heureuse, quand bien même le souffle enflammé de son mâle n'arrivait pas à égaler le sien. Une fierté pour la dragonne, qui aimait embêter son compagnon avec cela de temps en temps.

Mais pour le bien de la démonstration, nul besoin de flammes immenses et inaltérables.

C'était désormais aux enfants de passer à l'acte et d'imiter leur père. Keetech s'approcha doucement, autant que sa taille le permettait, et fit glisser son museau contre le cou de Verith, à qui elle jeta un regard attendrit. La dracène avait élevé Nynsith seule. Alors, voir le dragon de l'ire prendre soin de leurs derniers-nés faisait toujours battre son cœur un peu plus fort dans son poitrail cristallisé.

Keetech allait prodiguer à son mâle une nouvelle caresse lorsqu'elle fut interrompue dans son geste. Elle releva son museau vers le ciel, comme si cela pouvait lui permettre de voir jusqu'à l'île enneigée, au loin. Quartzécaille ne pouvait ignorer la nature de cet appel. Elle avait eu la triste occasion d'en ressentir quelques-uns lors de sa longue existence sur le continent sauvage. Mais ici, dans cet archipel, ces appels ce répétaient beaucoup trop souvent à son goût. Ce n'était pas... normal. Les dragons n'étaient pas censés tomber ainsi, tels des châteaux de cartes instables.

Sentant l'esprit du rouge à la lisière du sien, Keetech accueilli la conscience de son mâle en son sein. Elle pouvait sentir sa tristesse, mais aussi sa colère. Une colère tournée vers le Lien, sentiment que la cracheuse de feu comprenait et partageait. Certainement, l'une des plus grandes peurs de la dracène était de voir ses enfants se lier. Elle ne voulait surtout pas les voir s'enchaîner ainsi, livrant leur vie à de fragiles bipèdes qu'un coup de vent pouvait envoyer six pieds sous terre, eux suivant dans leurs sillages.

Sans un mot, Keetech approuva. Ses enfants devaient voir. Il devaient savoir. De plus, si Kaalys était mort, cela signifiait que Shyven n'avait plus personne auprès d'elle. Aucun membre de sa famille, en tout cas. La présence de ses oncles et de ses grands-parents sauraient sans doute, si ce n'est apaiser à douleur, au moins la faire se sentir moins seule dans cette terrible épreuve. À la nuit tombante, la famille entière prit son envol. D'ordinaire, la dracène aimait voler avec toute sa famille. Mais les circonstances rendait ce moment particulièrement amer.

*

**

La puissance combinée des deux dragonnes deux fois centenaire fit voler neige et rocaille. L'écho des battements de leurs ailes provoqua même des avalanches un peu plus loin. Keetech se posa à flanc de montagne, se servant de ses immenses griffes pour se maintenir en place sans effort. Puis, elle étendit son esprit alentour, laissant ses enfants descendre dans la neige. Seule Nynsith décida de garder une distance avec l'évènement, au moins pour le moment.

« Le Lien est un mal terrible, mais la petite vient de perdre son père. Pas de sermon aujourd'hui, Verith. Le corps de Kaalys suffit à nous rappeler à tous à quel point le Lien doit être détruit. »

Keetech laissa son avertissement faire son chemin jusqu'à son mâle, dardant sur lui un regard sévère. La dracène ne voulait pas de drame supplémentaire aujourd'hui, ni ajouter un poids de plus à la tristesse déjà bien lourde sur les épaules de Shyven. Quartzécailles s'en détourna lorsqu'elle fut certaine qu'il n'essaierait pas de massacrer le bipède lié qui osait se tenir tout près. Sans doute, devina t-elle, que le dragon qui s'était attaché à lui connaissait bien la Petite Opale

Pour l'heure, il était impossible pour la dracène d'apercevoir le corps sans vie de Kaalys. De le récupérer pour le brûler, comme ils avaient brûlé celui d'Aïasil. La grotte où il avait fait son nid était bien trop petite pour elle. Mais Keetech pouvait sentir les dernières brides de magie quitter le corps du dragon noir. Un jeune être qu'elle avait eu l'occasion de côtoyé une unique fois, le temps d'une conversation. .

Puis, aisément, la dracène trouva l'esprit de Shyven. Pas seule, mais esseulée. Quartzécaille lui offrit une étreinte mentale, chargé de tout le réconfort et l'amour dont son cœur de grand-mère était capable. Ainsi que d'une invitation claire à se joindre à eux par la suite si elle le souhaitait. Au moins pour un temps. Les contacts physiques comme les bipèdes aimaient en initier n'étaient pas si communs chez les dragons. Petits, oui. Mais une fois adulte, cela devenait toujours plus difficile, la taille n'aidant certainement pas. Alors, tout comme un dragon pouvait parfaitement se passer de parole pour dialoguer, il n'était pas nécessaire d'être physiquement à quelques pas de Shyven pour qu'elle se sente, soudainement, beaucoup moins seule.

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    Cela faisait plusieurs semaines qu’il ressentait la douleur de Kaalys, car le Lien les unissait tous et leur donnait cette conscience partagée. Par lui, il savait quand un des leurs souffrait. Contrairement aux dragons libres, il n’eut pas à sentir sa mort à travers la trame, pour savoir que le dragon d’obsidienne s’était éteint. Les signes avant-coureurs ne pouvaient tromper personne. Aussi avait-il retardé son départ, pourtant urgent, vers Keet-Tiamat. Les ailes de sa blanche Liée sauraient les porter à destination dans les temps. Alors, il avait attendu et il avait rejoint l’Opaline en peine, pour l’accompagner. Devant la dépouille de Kaalys, il s’était senti aussi impuissant que devant une Orfraie qu’il avait placé en stase, grâce à un spirite de l’escargot, et mise sous glace le temps que… Le temps que quoi ? Il trouve une solution ? Y en avait-il seulement une ? La vérité était qu’il avait d’avantage pensé à rompre son lien Inséparable avec Luna, pour que le chagrin de la dragonnière cuivrée ne soit pas trop grand lorsque la princesse elfique les quitterait.

    Cela faisait plusieurs jours qu’il veillait sur Shyven, à Cendre-Terre. Du moins, à distance. Il laissait à Nahui le soin de l’accompagner de sa présence : les dracènes étaient proches et lui, même s’il avait fait part de sa tristesse commune, ne saurait partager cet instant plus que nécessaire. Il avait prévenu Ilhan, dont l’épouse se réveillait en pleine Nuit. Mais pour son propre bien, Aldaron l’avait enjoint à rester près d’Autone pour les funérailles. Un bipède parmi des dragons farouchement libres, ce serait bien assez, quand bien même l’althaïen aurait probablement aimé soutenir Shyven. La vie était assez cruelle pour imposer qu’on n’ait pas toujours tout ce qu’on voulait.

    Les mires verdoyantes du Prince Noir avait suivi l’endeuillée du regard, lorsqu’elle s’était envolée, le soir, vers les montagnes. Il comprenait le besoin de solitude, alors, ils ne l’avaient rejoint qu’à l’aube, pour s’assurer qu’elle allait bien. Du moins, aussi bien qu’on pouvait l’être en aillant perdu un père. Nahui avait trouvé sa place en se lovant contre la sucrée, arrachant un furtif sourire attendri à l’ast devant l’amour que sa Liée portait à sa congénère. Puis il les avait laissées, s’approchant de l’ouverture du nid, à flanc de montagne. Au-dessus des nuages tempétueux, l’agitation formait un orage menaçant. Les prunelles d’émeraude observaient le déchaînement des éléments : il voyait sans voir, son esprit était porté pas une autre vision, un souvenir, qui n’était pas le sien. Edwyn formant le premier des Liens avec le dragon albinos, touchant l’âme en son cœur pour faire émerger une magie interdite. Et particulièrement puissante dont Aldaron avait hérité, comme tous les dragonniers. Il cherchait dans la mémoire des dragonniers à comprendre, pour trouver une solution à cette énigme.

    L’apparition des deux grosses têtes de Verith et Keetech dans son champ de vision de fit ciller, émergeant à nouveau dans le monde réel. L’instant de dissociation le perturba, jusqu’à ce que le grondement des avalanches lui fasse pleinement prendre conscience de la présence de l’Ire et l’Orage (ou du Cirage selon les interprétations). Il s’était attendu à ne pas être bien accueilli mais ne bougea pas de son emplacement pour autant : il ne craignait pas la Colère. Si elle se déchaînait, il avait entre ses mains des pouvoirs suffisants pour l’affronter et échapper à la mort qu’on voudrait lui donner. Le sang avait bien assez coulé. Mais Verith le reconnut et après quelques acerbes propos que le rouge préféra prononcer avant même de saluer sa petite-fille souffrante, sa majesté le « tolérait » ? Aldaron aurait eu le charisme pour le remettre à sa place avec panache, lui et ses convictions biaisées, mais en de pareilles circonstances, il jugea qu’il était inopportun de discuter avec cette tête de mule.

    « Merci. » fit-il d’une voix atone, blanche. Son regard s’apprêtait à couler de nouveau vers les nuages en colère, pour laisser à cette famille des retrouvailles salutaires, en intimité, quand le cliquetis des pinces d’un automate lui fit changer d’avis. Qu’était-ce que cela ? Lié ? Aldaron ne sentait aucun Lien, de quoi cette chose lui parlait ? Il adressa un salut de la tête à l’être qui semblait vouloir arrondir les angles et lui répondit sur un ton paisible et discret : « Je ne doute pas de sa peine, Dwëmmer. Les voies de la haine et du mépris conduisent rarement à la pérennité. » Aldaron en savait quelque chose. « Lorsque nous les empruntons, nous devons sciemment accepter ses conséquences. » Et Verith ne les acceptait pas et préférait se leurrer dans sa prophétie autoréalisatrice sur le Ô grand méchant Lien dévastateur. Oui, le Lien avait causé la mort de Kaalys, par ricochet. Mais c’était la haine et le rejet du Lien et des Liés, depuis si longtemps soutenus par Verith lui-même, qui avait engendré cette vague de meurtres impunis. Il était admis que tuer un dragon, ou son dragonnier était lutter contre le Mal, le détruire.

    Verith avait beau accuser le Lien, ces morts n’était que le symptôme de la solitude dans laquelle étaient plongés les Liés, livrés à eux même, seuls, abandonnés, méprisés. Qu’il se targue que cela appuyait son propos s’il le voulait mais les monstres avaient toujours aimé s’en prendre à des victimes seules, dans leur grande lâcheté. La réalité, quand on acceptait de la voir en face, c’était que la haine et le mépris que le Rouge propageait avait précipité la situation vers une issue tragique. Mais par orgueil, probablement refuserait-il de le voir. « Il m’arrive parfois de rêver qu’une nuée de dragons libres, de dragons liés et de dragonniers s’unissent pour se protéger les uns les autres. » Mais cela n’était qu’un rêve. Il ferait seulement de son mieux pour que cela arrive et que Cendre-Terre soit une ville où s’en prendre au Lien ne serait pas toléré comme à Calastin. Il détourna le regard, laissant les nouveaux arrivants approcher et soutenir Shyven. L’exploration des mémoires des dragonniers avaient quelque chose de fascinant.

    Ce fut alors pensif qu’il s’adressa à la dragonne d’opale, sans que son regard ne quitte les nuages : « Shyven, il y a une île enneigée, un peu à l’ouest d’ici, assez grande pour accueillir tout le monde, si tu le souhaites. » Contrairement à cette grotte qui, bien que douillette, était impraticable pour des dragons de la taille de Verith ou de Keetech.

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Kaiikathal avait ressenti l’appel à bord du Nid-Flottant.

Elle avait d’abord cru à une attaque et s’était lovée dans un coin de cale en attendant son heure. Force est de constater qu’au bout de trente secondes elle était encore en vie. La dragonne s’était relevée, les pattes flageolantes, et Nathaniel avait dû la conduire sur le pont pour lui faire prendre l’air.
Si le Roi des forbans n’avait pas ressenti la douleur lancinante qui lui avait percé le cœur avec la vilenie empoisonnée d’un dard de désespoir aussi fort qu’elle l’avait expérimenté, il avait perçu la souffrance et le trouble qui planaient sur sa Liée. Quand Kaiikathal se taisait de la sorte, c’était que quelque chose de grave s’était produit, quelque chose qui ne concernait qu’elle et elle seule. La Marche-Tempête passa un long moment assise à la poupe, dos au vent, ne partageant ses propres réflexions marmonnées qu’avec le ciel moutonneux au-dessus d’un océan houleux, dont les perturbations fusionnaient avec celles, mentales, de la Liée.

Kaiikathal se doutait de ce qu’il s’était passé. Du fait de son jeune âge, elle avait plus intensément ressenti le cri d’alarme de Shyven qu’un dragon adulte qui, bien que tout aussi touché par la détresse endeuillée d’un congénère, avait l’expérience du vécu et des années, et un cœur endurci. Kaiikathal prit le temps de digérer la nouvelle de la mort de Kaalys comme elle se remit de cette pernicieuse attaque de panique : en s’isolant un temps pour recouvrer ses esprits.
Elle n’aurait jamais approuvé une décision impétueuse ou hâtive, elle qui s’était souvent sermonnée sur la nécessité de réfléchir avant d’agir (mais malheureusement toujours après avoir agi). La dragonne envisageait de répondre à l’appel de Shyven en dépit des intempéries des derniers jours (les eaux se montraient très agitées depuis quelques semaines, ce qui l’avait plus d’une fois obligée à rester cloîtrée à bord du Maelström). La dragonne, qui était restée figée comme une statue depuis près de deux heures, à bayer aux corneilles, se mit à faire les cents pas sur le pont en gênant les matelots sur son passage sans pour autant leur accorder de son attention, troublée, avant de déclarer à brûle-pourpoint dans l’esprit de l’être qui lui était le plus cher au monde :

“Nathaniel, un dragon est mort.”

Son Lié, qui se trouvait à l’autre bout du navire, entendit néanmoins les mots de la dragonne retentir dans son esprit déjà débordé par d’autres objectifs. Il comprit toutefois où cet échange allait les conduire : s’il avait une influence considérable sur la Marche-Tempête, elle qui était prête à tout pour le suivre, cette influence perdait quand cela touchait aux dragons. Il avait très bien intégré que Kaiikathal avait besoin de rencontrer d’autres dragons pour se stimuler et que l’en empêcher serait contre-productif pour leur relation si étroite.

“N’ai-je pas l’obligation, le devoir de les rejoindre ? Après tout, tu m’as déjà laissé voler de mes propres ailes une fois à la mort d’Aïasil et cela s’était très bien passé pour moi. Laisse-moi y aller, je t’en prie. De là où nous sommes, Nyn-Tiamat n’est qu’à deux jours de vol. Je serai avec Nahui et tout ira pour le mieux, sois-en sûr..”

Après lui avoir fait promettre de voler prudemment, de ne pas s’attarder près des villages et des villes, de ne pas s’adresser aux inconnus, de ne pas provoquer d’autres dragons en duel (ce qui était mal la connaître, car elle respectait tous les dragons de cet archipel !) et surtout de bien se frotter les écailles le soir pour garder un aspect impeccable (il avait ajouté ceci sur le ton de la moquerie, voyant que sa Liée devenait impatiente), il l’avait laissée prendre son envol en direction de l’île enneigée. Bien sûr lorsqu’elle s’éleva dans les cieux et juste avant de partir pour de bon, elle lui rappela, dans un dernier au revoir et pour la énième fois, de remplacer cette déshonorante tête de proue par une sculpture à son effigie. Et puis elle avait disparu dans le brouillard pour de bon.

C’était un endroit que Kaiikathal n’affectionnait guère, mais Nyn-Tiamat était toujours plus vivable que cette maudite savane de Néthéril, son marais nauséabond et ses canyons labyrinthiques, très jolis mais trop brûlants pour qu’y passer plus de dix minutes à se dorer la pilule au soleil soit encore considéré comme agréable et acceptable. Elle voyagea - assez longtemps en fait, car tel est le ressenti général pour tout trajet aussi peu agréable avec à l’arrivée une cérémonie des plus funèbres.

Il lui fallut toutefois faire de nombreuses escales sur d'inconfortables formations rocheuses qui méritaient à peine le nom d’îlot. Maltraitée par le ressac, elle n’avait pourtant pas d’autre choix : il n’y avait pas d’atolls dans cette partie de l’archipel, uniquement des récifs froids et raseurs sur lesquels elle s’abîmait les pattes quand elle prenait sa pause au milieu des eaux capricieuses. Elle dut aussi se nourrir : attraper de la nourriture n’était pas chose aisée dans un coin pareil, et tout ce qu’elle fut un mesure de capturer fut un vieux saumon à l’œil morose, qu’elle soupçonnait avoir attendu près de la surface qu’un prédateur le saisisse et mette fin à sa misérable vie de diadrome.

Si le premier jour fut insupportable, le deuxième se passa à peine mieux : elle commençait à s’habituer au froid et, dès que la lumière du jour disparut derrière les nuages menaçants, elle accéléra le rythme sans plus attendre, pressée qu’elle était de poser pied à terre. Le vol ne fut guère agréable, en dépit de l’absence de soleil direct (car même si elle n’aimait pas que les rayons brûlants carbonisent sa crête, elle appréciait la tiédeur d'un astre printanier). À cause de l’atmosphère brumeuse, elle devait rester proche de la houle pour ne pas perdre de vue l’océan et éviter de se retrouver la tête la première dans l’eau glacée. Elle battit donc des ailes avec consternation, coincée entre des parois de vagues inintéressantes et la surface d’une eau sombre et glaciale habitée de petites créatures tout aussi barbantes, plus ternes que de la poussière, qui n’avait rien à voir avec les poissons colorés des lagons qu’elle aimait embêter en les pourchassant à travers les coraux.

Cette partie des flots étant très agitée, les remous liquides produisaient un curieux bruit régulier en coulant sur les galets lorsqu’elle approcha, ENFIN, du rivage de la partie sud de l’Île, sur une plage croûtée de rochers sombres et écharpés ; trop faible pour mériter le nom de grondement, ce son semblait plutôt appartenir au même silence oppressant qui enveloppait les gorges de Néthéril. Ce n’était pas un bruit que l’on pouvait écouter ; il avait tendance à étouffer tous les autres sons, de sorte que Kaiikathal entendait à peine le bruissement de ses propres ailes.

La dragonne se posa négligemment sur la plage où elle était arrivée en vérifiant bien alentour qu’il n’y avait ni habitation, ni bipède dans les parages. Lorsqu’elle estima que c’était bien le cas, elle envoya une image mentale chargée de satisfaction à son Lié pour le rassurer. Ensuite, elle chercha autour d’elle quelque chose à se mettre sous la dent, car la faim lui creusait l’estomac plus profondément qu’un croque-mort n’enterre un de ces superstitieux humains. Il n’y avait rien de très appétissant ni de plus gros qu’une mouette : à contrecœur, la dragonne se rabattit sur un crabe étrangement blanc et qui n’avait presqu’aucun goût, sinon une texture croquante qui aurait été des plus plaisantes si elle n’avait été excessivement salée. Déçue de ce met, la Marche-Tempête décida de ne plus toucher à quoi que ce soit sur cette plage dégoûtante et reprit son envol en direction de la montagne où Shyven attendait, le cœur lourd, la venue de ses compagnons.

“Ne t’inquiète pas ; j’arrive bientôt !” et la dragonne des lagunes ponctua ce message d’une onde de bienveillance.

Et elle ne serait pas la seule à rejoindre les rangs des endeuillés : elle percevait déjà la présence lointaine d’autres dragons, certains déjà arrivés et d’autres en mouvement. Toutes ces auras semblaient familières à part une seule, si bien qu’elle n’aurait pas à se présenter à trop de monde comme la fois précédente.
La fois précédente.
Kaiikathal avait douloureusement conscience qu’elle ne rencontrait les siens (à deux reprises maintenant) uniquement parce que l’un des leurs avait trouvé la mort. Perspective d’autant plus inquiétante, c’était une fois de plus un dragon Lié qui avait disparu, et elle s’attendait déjà à une longue diatribe d’un Verith de l’Ire plus retors et obstiné que jamais. L’idée qu’ils ne se retrouvent ensemble que lorsqu’un dragon mourrait venait d’accoucher une navrante constatation : pourquoi ne feraient-ils pas tous plus souvent le voyage pour se retrouver sur une île, afin de partager à plusieurs des moments plus agréables, plus joyeux et enrichissant ? Pour Kaiikathal, qui n’avait jamais connu ses géniteurs et éprouvait un besoin constant d’être en contact avec ses frères et sœurs d’écaille, n’être liée aux siens que par le chagrin n’était pas une perspective envisageable.
Qui sait ; peut-être que cette nouvelle rencontre serait l’occasion d’en discuter, si le dragon de l’Ire cessait pour une fois de clamer aux siens que le Lien et tout ça n'était qu'une monumentale aberration et bla bla bla…

Mais l’heure n’était pas au débat, et encore moins en solitaire. Le vent était glacial lorsqu’elle arriva à destination : une haute montagne où s’étaient déjà perchées deux masses immenses dont un énorme arrière-train rouge de colère qu’elle reconnut sur le champ. Elle glapit de joie en identifiant les cristaux qui ornaient les plaques écailleuses de Keetech. Kaiikathal ne sut retenir un roucoulement suintant de plaisir qui voyagea de son cœur à la conscience de la Quartzécaille - par les esprits, quel magnifique surnom ! Kaiikathal en avait déjà un qu’elle trouvait très bien, mais elle espérait s’en inventer un autre aussi, disons, ornementé que celui-ci.
Visiblement, elle arrivait en pleine discussion : elle considéra Verith avec la plus grande attention, le vit se débattre avec ses pensées désobligeantes qui lui brûlaient les lippes avant de la ravaler amèrement. La Marche-Tempête en devina aisément la nature mais ne lui en garda pas un chien de sa chienne : après-tout, il ne connaissait rien du Lien (mais n’avait donc pas d’avis à émettre sur ce-dernier, et là-dessus, elle n’en démordait pas : c’était bien Nathaniel qui lui avait répété qu’elle ne pouvait pas savoir quel goût un repas avait avant de l’avoir goûté !).

“Bonjour Keetech ! Et bonjour, Verith.”

Celui-ci accueillit sa bienvenue avec une politesse glaciale, l’air de dire “tu sais très bien ce que je pense de tout ça”. Kaiikathal l’observa, pensive, avant de se rendre compte de quelque chose : les auras de Verith et Keetech étaient si imposantes qu’elles lui avaient masqué la présence d’autres êtres, dont deux qui suscitèrent particulièrement son intérêt. Comme elle battait des ailes en faisant du sur-place, elle se pencha et vit deux minuscules dragons juchés tout près des griffes de leurs parents, qui s’apprêtaient à explorer les environs. L’un d’entre eux ne lui était pas inconnu : c’était Nephilith. Il était venu lui aussi ! Il était toujours aussi charmant avec sa belle couleur dorée. Inversement, elle n’avait jamais rencontré l’autre qui était aussi noir que l’obsidienne de ces montagnes. Elle le dévisagea de la tête à la queue : oh, il n’était pas vilain lui non plus, même si moins spectaculaire que son frère. Elle comprit tout de suite qu’il devait s’agir de Ssaadjith, le frère de Nephilith, dont le doré lui avait tant parlé et celui que Keetech avait mentionné lors de leur rencontre, il n’y avait pas si longtemps de cela. Elle avait parlé de le rencontrer : voilà qui serait chose faite !

“Salutations, Nephilith ! Je suis vraiment ravie de te revoir. Quant à toi, tu dois être Ssaadjith. Enchantée de faire ta connaissance.”

Nephilith semblait très content de la voir, mais Ssaadjith était plus difficile à cerner. Kaiikathal les salua d’un geste de la queue, leur promettant de remettre leur petite discussion à plus tard : car elle appréciait l’idée de faire la conversation à ces deux mâles de son âge - ça ne pouvait qu’être amusant.
Mais d’abord, elle devait rejoindre Shyven, dans la montagne.
Kaiikathal trouva bien vite l’entrée de la grotte : plus elle s’approchait de l’endroit depuis lequel l’appel mortifié avait retentit, plus elle sentait la présence d’autres dragons. Il y en avait une qui l’intéressait plus que les autres, et elle ne fut pas épargnée par l’indécente décharge de joie que Kaiikathal lui envoyait à chaque fois qu’elles se retrouvaient, car elles avaient traversé les plus grands dangers et partageaient un lien presqu’aussi fort que celui qui les inféodait à leurs Liés respectifs.

“Nahui, ma sœur !” puisque c’était ainsi qu’elle la considérait. “Je suis si heureuse de te revoir ! Oh-”

Submergée par le plaisir de retrouver sa compagne de galère (toujours aussi impudiquement, alors qu’une dragonne pleurait en cet instant la mort de son père-dragon), Kaiikathal n’avait pas fait attention au bipède qui l’accompagnait et qui était là lui aussi, bien présent. “Bonjour, Aldaron. Je suis contente de te revoir aussi.”

La dragonne avait vaguement capté les pensées du vampire lorsqu’il s’était adressé aux dragons, notamment à Shyven. Ce n’était pas faux, il était injuste que les deux dragons colossaux qui attendaient, maussades, au sommet du pic, ne puissent pas profiter de l’accalmie offerte par la grotte. Autant qu’ils se pèlent tous le derrière au même endroit : au moins, ils auraient une raison d’être encore plus malheureux et désabusés qu’ils ne l’étaient déjà tous. Pour autant, Kaiikathal désirait bien profiter de la chaleur de la grotte et laisser encore le temps à Shyven de veiller son père. Elle s’adressa mentalement à Aldaron :

“Tu as raison à propos de cette île enneigée. Peut-être devrions-nous nous assurer que tout le monde est bien arrivé ici avant de rapatrier le corps de Kaalys là-bas ? Je sens encore quelques-uns des miens approcher. Ainsi, nous pourrions en profiter pour lui adresser une pénultième cérémonie en le faisant voler une dernière fois. Il mérite bien cela.”

Voilà qui serait à la hauteur d’une solennité mortuaire pour un dragon.
Kaiikathal éprouva une petite pointe de jalousie : elle aurait, elle aussi, aimé emmener Nathaniel avec elle et le présenter à ses congénères, mais son Lié n’était pas aussi facilement libéré par le cours des évènements, ce qui était une petite frustration de temps en temps. Non pas qu’elle voulait l’exhiber à tout le monde, non - enfin si, peut-être un peu, parce qu’il était vraiment le meilleur des Liés. Mais qu’il découvre le monde auquel appartenait sa dragonne lui ferait encore plus plaisir que toutes les pièces d’or. Ou peut-être pas autant quand même, mais presque.
Elle s’emmêla dans ses pensées, se débattit avec, puis mit de côté son petit égo et s’approcha de la dragonne pâle et de l’opalescente. Kaiikathal ne lui sauta pas au cou comme à l’accoutumée, seulement empêchée par le fait que ce n’était par-dessus tout pas le bon moment, d’autant plus que Nahui semblait offrir à Shyven le meilleur soutien qu’il ait été possible de lui donner. La bleutée à la crête de soleil s’approcha alors doucement de son amie et la caressa sympathiquement du bout de la queue :

“J’espère que tu vas bien et que le voyage s’est bien passé pour toi et ton Lié.”

Elle plongea son regard dans celui de Nahui, qui s’était brièvement détournée pour la saluer : les yeux de sa sœur de misère étaient pareils à deux étangs noirs et profonds dans lesquels son reflet se noyait. Kaiikathal n’avait pas besoin de lui dire à quel point elle était au-delà de réjouie de la revoir : elle en était presque soulagée, comme un manque immuable qui ne se comble que lorsque l’on retrouve un être cher duquel on est sans cesse séparé par la distance ; le genre de douleur qui saisit un cœur, l’étiole et le déchire à mesure que l’éloignement s’agrandit. La trouver ici, saine et sauve en bonne compagnie, était plus que rassurant. Et tout ça, Nahui pouvait très bien le sentir. S’entendant comme larrons en foire, les deux dragonnes n’avaient même pas besoin du dialogue pour se comprendre.

Kaiikathal cligna des paupières ; ses nictitantes passaient incessamment sur la surface brillante de ses mirettes à cause de l’air sec de la caverne. Possiblement aussi à cause de l’émotion. Elle se fit la réflexion qu’elle n’était pas tout à fait la même dragonne, selon qu’elle était avec Nathaniel à bord du nid-flottant et entourée de bipèdes insignifiants, ou en compagnie des dragons. Tout était plus naturel avec eux.
La dragonne s’approcha prudemment de Shyven. Elle savait qu’il ne fallait pas trop embêter les êtres affligés, aussi prit-elle des précautions pour lui signifier sa présence. Kaiikathal pressa amicalement le museau contre la joue de sa camarade et lui transmit ses pensées les plus réconfortantes avec la sincérité du monde, en espérant que cela servait à quelque chose. Dans ce genre de moment délicat, nul besoin de mots, ou bien l’on pouvait s’en passer facilement. Un simple geste pouvait transmettre bien plus que se confondre en excuses à base de désolation et de compassion.

Peut-être était-ce la crainte d’affronter le redoutable moment qui la poussa à prolonger ses condoléances silencieuses à la dragonne églantine. Mais elle finit par rompre l’échange mental et prit son courage à deux ailes en esquissant un demi-tour très raide vers Kaalys.
Il était immobile et d’une pâleur austère, même pour un dragon de sa couleur : il était plus blanc que blanc. Kaiikathal sentit une angoisse et un sentiment d’irréalité lui nouer les tripes. Le long visage du défunt s’était creusé, ses traits s’étaient émaciés, ce qui lui faisait atrocement prendre conscience que toute vie en lui s’était éteinte pour ne jamais revenir et qu’il n’était plus qu’un amas organique. Kaiikathal ne détourna pas le regard, pour autant qu’elle voulait déjà en finir avec cette journée sordide. Elle se fit violence en approchant de cette ancienne connaissance avec qui elle avait si peu échangé ; se lamenta de ne pas avoir plus approfondi que ça les liens qui auraient peut-être pu les unir, car c’est toujours dans la mort d’un être regrettable que l’on éprouve les remords les plus cruels.
Péniblement, elle s’approcha de cette tête amaigrie et le caressa d’un dernier souffle de vie. C’était dur d’être le témoin de ce genre de choses. Kaiikathal ne put s’empêcher de se demander combien d’autres verrait-elle partir ainsi, et qui viendrait la veiller le jour où elle quitterait ce monde pour d’autres lieux plus reposant.

Lorsque c’en fut assez pour elle, elle se détourna de Kaalys pour surveiller les environs : elle avertit Nahui qu’elle quittait la grotte pour les attendre à l’extérieur tout près de l’entrée, les laissant tranquille un peu plus longtemps. Par ailleurs, une bonne goulée d’air frais ne lui ferait pas du mal, bien au contraire, en dépit de ce climat si peu convenable pour dragonne aussi précieuse.
La Marche-Tempête serpenta à travers un court dédale de roche grise et gelée qui s’ancrait parfois dans les parois de glace, celles que l’on trouvait plus près de l’ouverture de la caverne. Cheminant jusqu’à bon port, elle réapparut dans un camaïeu de blanc et de gris et fut accueillie par un vent glacial à couper le souffle.
Au lieu de rejoindre les siens sur le sommet de la montagne, qui étaient toujours probablement occupés à leur byzantinisme sur le Lien, elle resta près de l’entrée comme elle l’avait indiqué à sa sœur de galère : la bleutée préférait partager cet instant avec elle-même pour se remettre de cette vision sidérante.

Elle se mit à faire les cent pas pour se tenir chaud, grelottante, car cette mince couche d’écailles immatures n’était indéniablement pas le plus efficace contre cette météo qui mettait sa patience à rude épreuve.
Le temps passait.
Kaiikathal avait conscience de la lente rotation des ombres des branches nues sur la neige, plus bas sur les flancs de la montagne. Tandis que le jour se poursuivait et que les lumières bougeaient elles aussi, la Marche-Tempête, perchée sur un gros rocher rond, vit les basses-terres sombrer dans un calme inquiétant, spectral. Elle sentit qu’il serait bientôt temps de transporter Kaalys vers l’île enneigée en compagnie des autres, comme l’avait suggéré Aldaron.

Elle repensa à ce qu’il avait dit ; pas à propos de l’île, mais des nuées de dragons. Kaiikathal avait vaguement entendu l’idée se répercuter dans sa boîte crânienne. Elle était plus que d’accord avec ça : elle y aspirait, elle aussi. Le plus frustrant dans tout ceci était qu’elle ne comprenait pas pourquoi ce n’était pas une évidence pour tout le monde, que dragons, liés ou sauvages, ne s’associent pas naturellement en une nuée. Pourquoi se contraindre à se ségréguer alors qu’il n’y avait rien pour les séparer et tout pour les unir ? En fin de compte, à eux tous, ils formaient un beau groupe : c’était réellement dommage qu’ils restent disséminés dans l’archipel tout le reste de l’année. Ils pourraient, s’ils le voulaient, faire en sorte qu’ils fassent tous partie de la même nuée. Finalement, la distance importait peu : faire partie de la même grande famille ne ferait que les rapprocher, même s’ils devaient survoler des lieues et des lieues pour se retrouver.

Bien évidemment, c’était plus compliqué que cela, en majeure partie à cause de dragons comme Verith, qui rejetaient catégoriquement le Lien avec toujours les mêmes arguments vaseux et réfutables : le Lien tue prématurément.
C’est le Lien qui m’a sauvée, et sans lui je ne serais plus de ce monde.
Kaiikathal n’éprouvait que reconnaissance envers le Lien qui l’avait tiré des griffes des chimères. En plus de cela, c'était une expérience incroyable et un atout (lorsque l’on choisissait bien, même si le destin jouait sa part des choses). Il ne lui avait apporté que du positif tout au long de sa courte vie et chérissait chaque instant partagé avec Nathaniel : alors entendre une partie des siens lui rabâcher les ouïes que c’était un non-sens, une déviance qui conduisait les heureux élus à leur perte, cela la mettait en colère.
Alors elle prenait sur elle et ignorait savamment les médisances sur sa nature, qu’elles viennent de Verith ou de n’importe qui d’autre.

Elle se demandait tout de même ce que Shyven pensait de tout cela. La dragonne rosacée s’était toujours montrée amicale avec tout dragons liés ; si elle avait eu des préjugés là-dessus, elle s’en était bien cachée : au moins ne montrait-elle aucun signe d’hostilité vis-à-vis de qui que ce soit de Lié ici, et Kaiikathal lui en était secrètement reconnaissante pour cela. Mais le soulagement temporaire que lui procura cette réponse s’évanouit aussitôt qu’elle inclina la tête, l’air méditatif, car éventuellement la disparition de Kaalys avait changé la donne.
Prise de malaise émotionnel, Kaiikathal se dandina sur son rocher : elle ne savait pas ce qu’elle éprouvait, sinon le souci du chagrin que pourrait éprouver Shyven, sur laquelle elle ne pouvait se permettre de s’appesantir. Pas maintenant. Un jour où tout le monde aurait les idées claires, peut-être.

Comme elle commençait à congeler sur place, elle bondit au bas de son rocher de fortune et se remit à tourner en rond comme un animal désœuvré. Elle commençait à s’impatienter et avait hâte de prendre son envol pour se réchauffer le corps, les ailes et le cœur : cela leur ferait du bien. D’ennui, elle se mit à griffonner des formes sur le sol avec la pointe de ses griffes, espérant que le départ était proche.
Pour pallier son agitation, elle assista à toutes les discussions qui avaient lieu sans se départir de son calme inébranlable. Les écouter battre la breloque sans qu’elle ait à intervenir était pour le moins divertissant et amusant : elle sentait que la route serait longue pour qu’ils parviennent tous à s’unir dans le ciment d’une véritable alliance basée sur la confiance et le dévouement.

description[PV Dragons + Aldaron] Une flamme s'éteint. EmptyRe: [PV Dragons + Aldaron] Une flamme s'éteint.

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Flamme ! Non, vent-flamme plutôt ! La flambée marcheuse qui grimpe, qui bondit, qui saute, qui tord du leste, lestée du crachat pur de l’air qui l’envenime, la foudroie, l’anime. Comment le feu pouvait détruire la roche, fallait-il demander ? D’où venait donc cette force coulante qui soufflait autant de destruction ? Sur ce thème, foi de Ssaadjith, il n’y avait plus grand-chose à inventer. Le dragonnet d’obsidienne, dans ses rêves et bien secrètes pensées, en avait damasquiné les plus splendides fresques. Le feu était l’élément des dragons, la maîtrise de leur quintessence ; ils en agitaient l’éventail, d’un bâillement en libérait l’énergie furieuse ; elle était leur parole inarticulée, un flot impétueux et sauvage dont aucun bipède ne comprendrait jamais une traître braise, si ce n’était celle qui scellerait leur destin. 
 
Alors que le pouvoir ardent de son père brisait le rocher immense en face de lui, Ssaadjith rêva avec convoitise de ce don extraordinaire. Il imagina le tenir dans le creux de ses griffes, dans la courbe fluide de ses ailes, le tenir et même l’incarner, dans son cœur battant, dans son sang échauffé par l’ardeur indocile de contempler une aussi monumentale autorité. Lorsque le dragon rouge talocha le roc de sa queue, celui-ci fila dans une ascension lumineuse sous le ciel assombri. Au moment où il explosa, le dragonnet d’obsidienne glapit de bonheur et se perdit en flagornerie, enchaînant bonds et pirouettes d’une simple impulsion de ses ailes. 
 
En vérité, qu’y avait-il de plus beau que de voir les flammes d’un dragon? La réponse était simple : Voir la magie supérieure de son père vaporiser toute chose sur son passage. Grâce à ses enseignements, Ssaadjith ferait bientôt de même, et plus encore. Il deviendrait fort. Ses écailles d’obsidienne s’embraseraient dans le silence des étoiles. Il deviendrait un phénix dans les ombres et tous admireraient son armure flamboyante.
 
Bon eh bien alors ! Il n’y avait pas de temps à perdre ! Son petit frère ne pouvait-il pas lui faire un peu de place ? Leur père attendait d’eux des prodiges similaires, et il n’y avait bien entendu que lui pour gratter du pouvoir par ici. C’était désormais à son tour d’épater l’île de ses flammes diaprées !
 
Mais alors qu’il s’avançait avec la grâce d’un paon au milieu des résidus carbonisés, Ssaadjith fut pris d’un vertige qu’il tenta de réprimer en vain. Il eut la sensation qu’on lui avait arraché un morceau de son âme et qu’on l’avait plongé dans l’eau gelée d’un lac. L’écho insidieux de cette douleur  s’exprima comme s’il discourait en hurlant dans le cénacle de son esprit. Bref. Tonitruant. Brûlant. Et puis, ce fut terminé. Le dragonnet d’obsidienne tremblait de la crête à la queue. En relevant le museau vers ses parents, il les vit plonger dans une communication mentale. Il sut alors que quelque chose venait de se passer.
 
Les deux dragons se tournèrent ensuite vers les dragonnets et leur apprirent que le père de Shyven était mort et qu’il leur fallait en toute hâte retourner sur la terre de Nyn-Tiamat. Cette annonce fut suivie d’une protestation exaspérée de la part de Ssaadjith et il ne tarda pas à leur communiquer des images d’un immense dragon noir perclus d’une colère crasse. Alors quoi ? Un dragon à plusieurs centaines de lieues d’ici était mort et il ne pouvait plus apprendre à se métamorphoser en un dangereux monstre exalté ? Pouvait-il au moins cracher ses flammes pour impressionner la galerie ? Fracasser un rocher de sa taille pour se défouler un peu de cette profonde frustration ? Il n’y eut pas de réponse à ses suppliques, mais le regard de sa mère était éloquent. Au bout de quelques minutes qui leur permit de reprendre leurs esprits, Ssaadjith insista à nouveau, prétendant qu’il risquait de bouder longtemps et de ne rien dire de gentil à Shyven si jamais il ne pouvait pas calciner un petit quelque chose avant de partir. On lui céda finalement une petite leçon.
Mais il n’y eut plus la même verve pour l’enseignement, ni la même ferveur à suivre ses impressionnantes capacités. Sa famille était déjà ailleurs. Bientôt, le même état envahit le dragonnet d’obsidienne à sa grande déception. Du feu hargneux qui couvait en lui ne restait plus qu’un souffle contenu et mince, qu’il projeta néanmoins sur le rocher, parce qu’il était pour lui encore une braise, un feu clos en train de se consumer lentement et qu’en l’attisant un peu, à l’envie, il pensait le mettre à nouveau en flamme, pour le réchauffer un peu sans doute, ou peut-être, pour que lui-même retrouve sa flamme. Mais il s’avéra que les ultimes scories de sa volonté n’étaient plus qu’un brandon timide, aujourd’hui attisées, demain simple cendres.
 
***
 
Le voyage fut vertigineusement long et se déroula sous ses yeux mornes. Les ailes de ses parents battaient un air sépulcral sur fond d’un vent siffleur qui ne dénotait d’aucune joie. Il y avait deux choses qui agaçaient relativement Ssaadjith : La première chose, c’était que perché à bord du navire Verith, le dragonnet d’obsidienne s’ennuyait fermement. Parfois il trompait son ennui par le truchement d’une petite fantaisie à l’encontre de leur escl… de Dwëmmer l’araignée mécanique, rien de bien cruel toutefois ; une griffure éraillant discrètement sa cuirasse métallique ; sa queue faisant glisser l’une des trop nombreuses pattes du serviteur, quoique panégyriste serait le bon terme pour désigner ce misérable courtisan de Père. Mais jouer avec l’ennui ne permettait pas de s’en départir.
La seconde découlait de la première. En vérité, voilà une heure que son appétit vorace tendait ses chélicères vers lui : 
 
-Père, pourrions-nous faire un sort à un élan ou un loup ? Je suis affamé et je ne vois que de larges banquets là-dessous ! (Le vent sifflait, rageur, éventait ses paroles dans un tourbillon, mais le dragon rouge devait forcément avoir entendu ses pensées) Pèèèèèèère, par pitié, à l’aide, au secours, je meurs de faim ! Nous allons voir un mort, ce n’est pas comme s’il allait détaler comme un lapin !
 
Ajoutons à cela l’irritation enfantée par la raison de ce voyage. Lui qui n’avait reçu que bien peu d’attention ces dernières semaines de la part de ses parents adorés, voilà qu’on tournait maintenant toute mire sur la dépouille de son obscur beau-frère. Tout le réconfort et les élans d’affection de Nephilith pour calmer son orgueil blessé n’y changèrent rien. Qu’y avait-il donc de s’y important à aller voir leur congénère mort ? Ce n’était pas lui qui était trépassé, il n’y avait pas mort d’homme ! Etait-ce pour les confronter à la nature du Lien et à ses conséquences qu’on les forçait à partir en direction du Nord ? De grâce, il n’était plus un dragonnet ignorant. Il avait déjà suffisamment à faire avec le lien fraternel que Nephilith et lui partageaient, ne les autorisant quasiment jamais à avoir de l’intimité. Il savait également que le même sort funeste était arrivé à trois autres de leurs semblables qui avaient eu la faiblesse de se lier à un bipède. 
 
Jamais trois sans quatre, pouvait-on dire. 
 
Et cela continuerait ainsi tant qu’il y aurait des dragons pour être séduit par cette perspective. Ah… les engrenages complexes de son esprit révélèrent enfin une réponse logique et cohérente avec leur voyage : Verith de l’Ire et Keetech Quartzécailles, les deux plus puissants et plus vieux dragons de l’Archipel, escomptaient convaincre non pas seulement lui mais tous les dragons encore vivants de refuser le Lien, son frère compris, et le cas échéant, de s’en détacher. Perspective étrange s’il en était. Mais ils avaient un argument plutôt frappant. Eux-mêmes étaient libres et ils étaient immenses, puissants et vénérables. C’était déjà trois bonnes raisons qui avaient largement convaincu Ssaadjith de ne pas se laisser attraper par le premier mammifère venu, qu’il soit poilu, aux oreilles pointues, imberbe ou blafard comme un cadavre !
 
Le dragonnet d’obsidienne se leva et huma l’air avec un sentiment de complaisance renouvelé. Il connaissait maintenant le but de ses parents-gigantesques-astucieux-intelligents-sournois et il les aiderait avec joie pour servir l’intérêt des dragons libres ! Bien sûr dès qu’il se montrerait, il paraîtrait évident qu’être d’un tel bord avait de multiples avantages : En premier lieu, ses géniteurs ne pouvaient pas mourir de la malencontreuse fragilité bipède. En outre, on pouvait être un magnifique spécimen tel que lui ! Pas exactement aussi magnifique que lui évidemment, car en ce sujet, on touchait au prodige inné, mais l’on pouvait au moins s’en rapprocher. 
 
C’est avec ces pensées en tête qu’il attendit impatiemment leur arrivée sur l’île. Au même instant, les nuages s'estompèrent comme balayés par le vent glacial et révélèrent le soleil, gigantesque astre déversant sa lumière en un halo blafard et radieux de clarté. Sa silhouette se découpait sur le ciel d'ardoise tel un portail vers un monde de songe et de mélancolie. Les branches des forêts en contrebas, qui jusque-là étaient restées raides et immobiles, accompagnèrent la brise froide et humide, se métamorphosant en des lianes épaisses aux couleurs mystiques, guidées par les faisceaux solaires. Les grands dragons traversèrent ces bois et poursuivirent leur chemin plus haut encore. Ils atteignirent le nadir des nuages et bien vite les grandes montagnes du Nord.
 
En contemplant enfin les géants de Nin Daaruth, le cœur de Ssaadjith battit une mélodie endiablée. Oh comme il était heureux que ce dragon soit mort en un tel lieu ! Cela lui permettait de revoir enfin ces géants de pierres, ces terres boisées aux énigmatiques énergies, cette froideur tangible du climat de givre. Nyn-Tiamat, comme de juste, abritait cette expression du Figé, ce bonheur du lieu qui se garde intact dans ses périls et sa majesté malgré le temps qui file. Ssaadjith reconnut absolument tout de son dernier passage et en découvrit encore. Finalement ce périple en avait valu la peine au moins pour ça. A défaut de participer à des funérailles moroses, au moins aurait-il ce passe-temps. 
 
Mais lorsqu’ils se posèrent, Ssaadjith se retrouva confronté à la chose la plus improbable qui soit. Au terme de la mort d’un des leurs, alors que le Lien en était le plus parfait coupable, un bipède se dressait de toute son éclatante impertinence devant eux. Le dragonnet d’obsidienne fusilla le vampire du regard avec une haine aucunement voilée. Il avait songé au début que c’était sans doute là leur repas pour tant de lieues parcourues. Il était vrai que lui-même avait fait de gros efforts pour venir jusqu’ici et il eut été heureux de voir un banquet là où se dressaient de timides fougères. En ressentant l’énergie qui émanait de lui, Ssaadjith découvrit toutefois que ce vampire était un lié. Il rugit en direction de la créature maudite en signe d’alerte, mais son père l’avait déjà vu. Excellent ! Il allait y avoir enfin confrontation. Le dragonnet d’obsidienne attendit avec impatience que le Rouge anéantisse l’être pernicieux face à lui. A son grand désarroi, il n’en fut rien. En lieu et place d’une bataille acharnée, quelques paroles furent échangées et son Père se retira. Pas d’effusion de haine. Pas de sang versé. Pas de flammes soufflées. C’en était trop pour Ssaadjith. A quoi pouvait bien servir ces cérémonies si l’on n’y cuisait pas un bipède ou deux ? 
 
La mine ronchon, il descendit du géant de rubis et suivit son petit frère jusqu’à l’entrée de la caverne. En approchant du vampire et de son dragon, Ssaadjith s’arrêta et recula son long cou, sa collerette palpitant tel un lustre secouée par le vent. Il émit alors un vrombissement venu de l’intérieur de son estomac, un grognement sourd auquel il ajouta tout le piquant d’une colère froissée. Ce fut un son subtil certes, quoiqu’assez démonstratif de son état d’esprit, d’autant plus lorsque deux rangées de mâchoires aiguisées étaient là pour soutenir le discret chahut. La pupille vipérine de ses yeux se posa sur le vampire, lentement, comme le faisait son père quand il y avait matière à punir, cherchant son regard, l’accueillant, le goûtant allègrement, comme un met que l’on lèche par plaisir avant de l’engloutir. Que lui importait que son père ait autorisé ce bipède dans leur petit comité, que lui importait son indulgence fanée envers celui-ci en particulier ou que lui importait même la puissance qu’il dégageait. Depuis quelques temps, Ssaadjith était persuadé que loin de les haïr comme il le prétendait, le dragon rouge avait de la sympathie avec certains de ces êtres inférieurs. Ce n’était pas son cas et il décida qu’aujourd’hui il ferait étalage de sa pensée. Il fallait ajouter à cela que la dragonne qui le reliait à leur monde déployait une ostensible collection de magnifiques écailles d’argent. Leur éclat étincelant le rendit mort de jalousie. Il était déjà dur de traîner avec un doré en brillance constante sans avoir à en côtoyer d’autres. En même temps, il songea cette fois que ses propres écailles étaient bienvenues car elles étaient sobres et élégantes. Tout compte fait, l’étincelant n’avait du bon que dans certaines circonstances. Au mieux, il se les ferait peindre en certaines occasions. Il avait déjà vu les Graärh faire de même avec leur tatouage après tout.
 
Il salua donc la dragonne-liée par respect en émettant un roucoulement enjôleur, ignorant superbement le fait qu’il avait menacé son Lié l’instant d’avant.
 
Bien ! Ceci étant fait, il rejoignit sa tendre Shyven, rosée à vif par le chagrin. Il fut par la même occasion épié par une créature qu’il n’avait encore jamais vue : une boule d’écailles tout de bleu vêtue qui avait l’air de connaître Nephilith. Comment donc ? Une nouvelle dragonne que son petit frère avait eu l’ambition de lui cacher ? Intéressant ! Charmant ! Attrayant, quoique drôle, mais surtout fascinant ! Le dragonnet d’obsidienne s’ébroua les écailles et les ailes avec un soin particulier. Bien que profondément offensé par le regard élogieux qu’elle porta au doré, son accueil distingué pardonna cette faute. Ssaadjith gonfla son petit poitrail de fierté et eut le désir de lui répondre par la même amabilité : Ses ailes frétillèrent avant de plonger bas, sa patte avant droite se recula tandis qu’il inclinait de façon bien théâtrale sa tête couronnée de cornes. Il se promit évidemment de discuter avec Kaiikathal ultérieurement. Elle découvrirait bien vite que Nephilith n’était qu’un érudit raseur et qu’il était bien plus plaisant de le suivre. Mais tout d’abord, il lui fallait réconforter - si si bien entendu qu’il le pouvait, pas d’inquiétude - la pauvre éplorée. Il se figura un masque de grand malheur et se rendit auprès de la dragonne de l’équilibre. Si ses semblables se faisaient une obligation de ne pas trop la déranger, Ssaadjith fut comme à son habitude l’exception qui confirmait la règle :
 
-Shyven, fit-il en la couvrant de vagues de réconfort, ma chère nièce, que de malheur qui t’arrive aujourd’hui ! Je suis navré du sort de ton père, j’en ai l’œil qui luit. 
 
Il fila comme un serpent et franchit le barrage d’écailles des autres dragonnets. Arrivant face à la Rose, il passa une longue aile noire au-dessus d’elle et posa sans avertissement son museau contre le sien avant de reculer et de lui dire sur le ton de la confidence : 
 
-Désormais, et je ne te dis pas ça en tant que dictame, tu fais partie de la famille. C’est Mère qui n’ose pas le dire trop fort, mais nul ne sert d’être subtil. Je ne te dis pas ça pour remplacer ton père, car bien entendu voilà, il n’est plus là, mais il est toujours bon de savoir où sont ses alliés… et aussi où sont les nuisibles. Je ne prétends pas tout savoir de tes penchants, ma douce, ai-je parlé du Lien, oui tel est ma cible. Le lien fabrique son gibier. Il fait les proies parmi lesquels il choisit celles qu’il veut dévorer. Penses-y, et n’oublie pas ici ce que je t’ai dit. 
 
Un large sourire dessiné sur son museau, le dragonnet d’obsidienne la laissa avec son petit frère et porta un regard au fond de la caverne. Le corps gisait à l’intérieur, maigre et immobile, comme une tapisserie en guenille dont on aurait mal brossé la surface. L’amusement de Ssaadjith s’évanouit et avec lui toute trace d’assurance. A mesure qu’il l’observait, ses écailles furent parcourues de fourmillements extrêmement désagréables et il lui sembla que l’air devenait chaud, brûlant. Si brûlant en fait qu’il sentait ses pensées fondre dans sa tête. Il en oublia presque de respirer et se reprit à grande peine, lui qui avait déjà la sensation d’étouffer dans cette fournaise. Il eut bien tenté de bouger pour reprendre ses esprits, mais faire un mouvement lui donnait l’impression qu’un vent circulaire le fouettait de sa vélocité inébranlable en continu, s’enfonçait dans sa gorge, descendait, disloquait tout sur son passage jusqu’à son ventre. Alors le dragonnet d’obsidienne secoua la tête en grognant, préféra rester stoïque, persistant à regarder ce corps qui jamais plus ne se relèverait, raclant frénétiquement de ses griffes, quoique sans colère, le sol rocheux. 
 
A l’image d’un endeuillé qui venait d’apprendre la perte de sa famille, Ssaadjith ne comprenait pas jusqu’alors ce que cet évènement avait comme portée sur sa vie. Il ne connaissait guère Kaalys et ne s’était jamais intéressé à son beau-frère. Apprendre sa mort n’avait été qu’une nouvelle de plus, sans importance, et de ce fait-là important, qui s’ajoutait à la liste juste au-dessus de « le faon a un meilleur goût que le lapin ». Ce n’était qu’en contemplant sa dépouille dans cette caverne à l’air poisseux que le dragonnet d’obsidienne mesurait à présent l’impact de cette tragédie. La présence de cette silhouette familière, aux écailles noires comme les siennes, lui infligeaient l’horreur d’un sombre présage qu’il détesta au plus haut point. Elle incarnait la figure active et solide de la fin, puisque derrière elle se tenaient les prémisses du déclin de leur race, elle qui sur cet archipel était déjà si prématurément affaiblie par la perte d’une poignée des leurs. Tel était le fardeau que le Lien avait apposé sur eux, au prix d’une joyeuse amitié avec un élu de pacotille. Ssaadjith se félicita de ne pas avoir eu la bêtise de se lier avec un bipède et ne le ferait jamais ! Et dire que l’un d’entre eux attendait tranquillement à l’extérieur, comme un rapace toisant patiemment de son œil aguerri l’arrivée d’un propice dîner.
 
Il retrouva bientôt ses couleurs, noires sur noires, et tourna dare-dare son cou serpentin vers sa nièce. Il sifflota avec la délicatesse d’un crochet vénéneux : 
 
-Je t’attendrai dehors auprès des miens. Pense à ma proposition, cela t’évitera de cruels lendemains. 
 
Il sortit de la caverne en bondissant, léger comme un cabri, sur la roche pleine de suie. Il avait déjà laissé glisser les émotions qui quelques instants auparavant l’avaient pris. Y demeurait encore la colère de ce que le Lien avait forgé au cours des derniers siècles et de ce qu’il représentait. Si son père disait vrai, alors les autres dragons-liés subiraient le même sort, et peut-être, lorsque tous seraient tombés, les bipèdes tourneraient leur regard vers ceux qui étaient encore libres.
 
Ainsi sortit Ssaadjith de la caverne-tombeau, songeur. Le vampire-lié parla, proposa d’amener le corps du dragon noir sur une île enneigée loin du domaine draconique. Ce bipède posté là lui rappela furieusement la raison de leur venue ici. Une lueur prédatrice fusa dans le regard du dragonnet d’obsidienne. Nephilith sentit ce qui allait alors se produire. Il voulut sortir de la caverne à son tour pour l’en empêcher mais Ssaadjith fut plus rapide, de cette énergie franche qui l’avait toujours animé. Il prit appui sur un rocher qu’il usa comme d’un perchoir, se dressa de toute sa hauteur en prenant un air outré et en clignant des yeux vivement. L’air profondément innocent, il jouait là le rôle fervent d’un dragonnet qui allait poser une question à laquelle il ne pourrait pas comprendre la réponse. Il se tourna vers Keetech et rouspéta avec le ton enfantin d’un mauvais garçon pour que tous l’entendent :
 
-Mère, quelle est donc la raison qui autorise ce bipède à tremper dans nos pas ? Est-ce donc ainsi qu’autour du défunt nous devons converser en émoi ? Je croyais que les bipèdes-liés étaient de déviants bourreaux patentés. Pour le dire franchement, ne vient-il pas se recueillir devant une tombe qu’un jour lui-même devra creuser ? N’était-ce pas ce que Père avait dit ? Ne l’a-t-il pas mentionné une fois le dernier souffle de Kaalys parti ? Qu’en vérité certains d’entre nous prennent parti pour ce lien, ce second cœur aberrant, tout près d’éclater, qui bat auprès du nôtre. Mais voilà le quatrième de notre peuple pour qui arrive la fin, son deuil aurait pu être évité si du lien il n’était pas devenu l’apôtre. Alors que devons-nous faire pour préserver, protéger, garder dirais-je, ceux pour qui le danger demeure ? Un peu de mesure par conjecture bien sûr nous permettrait d’y voir plus clair qu’à cette heure.
 
Il faisait risette de sa figure de petit angélique. Il avait l’air mignon, le Ssaadjith, mignon comme un poussin avec cette mine et ses yeux d’absinthe. Jouer le rôle d’un dragonnet ingénu et candide avait ses petits avantages. Il espéra que son discours et son attitude feraient mouche, et qu’au moins quelques dragons réagiraient. Il avait en effet le désir qu’à tout le moins dans ce mélodrame, quelques escarmouches éclatent pour le divertir. Pour tout dire, ce funeste moment commençait à l’ennuyer, et il avait envie d’une franche pétarade. Ce n’était quand même pas grand chose à demander que d’avoir un peu d’action !

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Nahui avait estimé avoir été plutôt sage, selon tous les critères. Elle avait accepté de quitter son nid près de la cheminée en sachant qu’il y aurait beaucoup d’inconnus, rassurée à l’idée que ce soient des dragons, encouragée par l’idée de soutenir sa pitaya favorite. Déjà ces derniers jours avaient été voués à sa présence. Sachant que rien ne consolait de tels moments, la liée de cendres avait surtout offert à sa tendre amie la chaleur de sa présence, ainsi qu’un esprit plein d’affection contre le sien, si elle le désirait. Elle lui avait apporté sa nourriture, avait veillé à ce qu’elle ne manque de rien. Pas question de l’abandonner maintenant. Ce jour était important ; Nahui espérait qu’il aurait, sur sa douce amie, les bénéfices que de tels rituels ont parfois, fermant des fragments de temps pour en ouvrir d’autres, apaisant les peines.

Celle-qui-voyait-par-la-magie était restée auprès de sucrécailles, jusqu’à ce que les autres représentants de leur espèce arrivent. Elle s’était alors détachée un peu, non sans lui assurer de rester dans les environs. Ainsi avait-elle pu suivre les “salutations” qu’avaient offertes sa belle-famille la famille de Shyven à son Lié. Là aussi elle avait été sage, se contentant de grincer des dents, muscles raidis, en laissant Aldaron gérer. Son “bipède” était bien plus valeureux que ce que ces aveugles-de-l’esprit voulaient admettre. Elle fut encore très sage en se retenant de goûter cette “Douemeur”, comme façon de faire connaissance et l’examiner. Et… Par le dragon-esprit, qu’est-ce que le frère de Nephilith venait de tenter vis-à-vis d’elle ? Là n’était plus question de sagesse, car l’inaction de la dracène était liée à sa perplexité.

Au moins avait-elle eu Kaiikathal comme porteuse de paix. À sa joie sans ambages Nahui répondit plus calmement, d’une étreinte mentale où la joie se mêlait à la peine ressentie par empathie envers Shyven, ainsi que les ronchonnements dus aux manques de respect envers son Lié. Aussi sa réponse fut parsemée de sous-entendus : aussi bref que fusse le trajet de Centre-Terre jusqu’ici, il avait été plus appréciable que les attitudes de certains.

Elle avait été sage, mais passé un certain moment elle ne pouvait plus rien promettre. Ce fut le cas lorsque le dragonnet roucouleur s’éleva pour leur offrir son laïus d’inepties. La colère gronda en Nahui. Lentement, profitant que l’attention de tous était ailleurs, la fille de Nessie se mit à grandir. Elle ne cessa sa croissance que lorsque sa taille dépassa celle du frère de Nephilith, perchoir compris.

“- Cesse !”

L’ordre avait été dirigé vers Ssaadjith, tout en étant audible par tous. Un mot, accompagné de son concept, d’un cri rauque de colère, et de l’émotion qui allait avec. Nahui avait désormais une posture agressive, le dos arrondi, la tête basse, crocs visibles, écailles hérissées. Ses muscles étaient bandés. Toutefois, elle n’attaqua pas.

”- Tu insultes Shyven. Nous sommes réunis pour la soutenir. Que tu le veuilles ou non, elle nous a invités, Aldaron et moi.” Quand bien même Shyven n’eut invité que Nahui, c'eût été hypocrite de ne pas tolérer la présence d’Aldaron. Ils n’allaient pas l’un sans l’autre. Elle était lui, il était elle. ”À moins que tu ne veuilles ajouter à sa peine, il te faudra nous tolérer pour l’heure.” Il n’avait pas tant de choix, à vrai dire. Personne ne faisait de peine à Shyven en sa présence. Si elle pouvait se retenir d’attaquer, elle ne pouvait garantir de contenir ses pulsions protectrices à l’égard de sa délicieuse pitaya.

Se reprenant, elle remit ses écailles en place, redressa la tête. S’ils étaient maintenant tous sur la même longueur d’onde, peut-être pouvaient-ils revenir sur des sujets tout aussi importants. Nahui  parla désormais à Kaiikathal majoritairement, sans exclure les autres :

”- Il ne manque plus que Nynsith, et nous serons au complet. Si tout le monde ici approuve l’idée de nous diriger vers l’île-côté-couchant, nous pourrons nous y diriger.” Elle aurait également pu proposer de lui rendre ses derniers hommages ici, dans son nid, afin qu’il se reposât dans un lieu qui était sien. Mais déjà l’idée de l’île paraissait avoir fait son chemin. Elle n’avait nulle envie d’engager des débats inutiles, tant que Shyven ne s’y montrait pas encline. Puis, à la cantonade, elle ajouta: ”Est-ce que l’un de vous tient particulièrement à porter Kaalys pour son dernier voyage ?” Elle pouvait se proposer, du haut des cent mètres qu’elle pouvait atteindre. Néanmoins, elle se doutait que la famille plus proche du défunt réclamerait peut-être cet honneur. Loin d’elle l’idée de les en priver en ce cas. Elle allait leur prouver que les Liés, eux, savaient prendre soin de tendrécailles.

Dernière édition par Nahui le Lun 20 Sep 2021 - 18:42, édité 1 fois

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Nynsith planait haut dans le ciel, au nord de Tiamat. Les plus récentes semaines s’étaient écoulées dans la solitude, par choix, bien qu’Entroxucec n’approuvât pas. L’Ombre était d’avis que la saurienne nécessitait sa famille en ce moment, bien plus que l’isolement, mais elle ne pouvait pas non plus lui forcer la patte. Au-moins était-elle elle-même présente se disait-elle. Depuis que l’Océane avait croisé sa fille quelques mois plus tôt, elle s’était faite distante d’autrui, encore incapable d’accepter ce qui s’était produit, mais également incertaine de comment faire, car à présent elle se disait prête à essayer. Un pas en avant, certes, mais la concernée restait têtue et voulait le faire seul, d’où sa distanciation.

~ Jusqu’à quelle hauteur crois-tu que je puisse aller? ~

~ Pourquoi me poses-tu la question? Tu l’as déjà fait avant non? ~

~ Oui, mais c’était il y a longtemps. J’ai grandi depuis, mon corps est encore plus fort. ~

~ Certainement plus haut que le sommet d’un cumulonimbus. ~

~ Voyons si tu as raison. ~

La Dévoreuse entrepris aussitôt de pousser son corps vers le haut, battant des ailes avec vigueur. Pour s’aider, elle portait attention aux courants d’air autour d’elle, cherchant ceux qui ascensionnaient tout en évitant le reste. Le vent sifflant autour d’elle tandis que la température chutait, à tel point que de petites gouttelettes d’eau parvenaient à se cristalliser sur sa cuirasse, mais seulement pour un bref instant vu l’énergie qu’elle déployait pour dépasser ses limites. Sous elle, Tiamat et son nuage volcanique devenaient deux masses tout en reliefs, perdant leurs détails. Autour, les autres îles se devinaient, mais se perdaient bien vite à travers les couches de nuages. Redressant la tête vers l’azur, Nynsith redoubla d’effort, quand soudainement une sensation de déchirement lui perfora le cœur.

« Kaalys! »

Au plus profond d’elle-même, elle savait déjà qu’il s’agissait de l’ancien Nacré. Et elle savait également que ce n’était pas un hasard que la douleur de sa mort soit si vive chez elle. Incapable de continuer, elle piqua vers la mer en refermant ses ailes, se laissant accélérer par simple gravité.

~ Vas-tu aller à sa rencontre? ~

~ … Je ne sais pas. ~

~ Tu dois le faire Nynsith. Comme tu l’avais fait pour Aïasil. ~

Les images de l’Obsidienne coulée dans la glace, morte en ayant tout perdu, revinrent aussitôt à l’esprit de l’Affamée.

~ Mais Kaalys n’était pas seul. ~

~ Elle aura besoin de toi. ~

~ Elle trouvera quelqu’un d’autre. ~

~ Nynsith! T’entends-tu seulement parler? C’est de ta fille que tu parles! ~

Un long silence suivit. Au moment où son corps allait percuter l’eau, la Dragonne fit appel à la magie de son armure pour se fondre dans l’élément aqueux, se laissant déformer dans l’éclaboussure, puis redevint matérielle.

~ Je vais y aller. Pour ma famille. Mes parents et mes frères ont certainement entendu l’appel aussi. ~

~ Bien. ~

Elle ne mis à nager vers l’est, usant du pouvoir de l’Orque pour fendre l’eau avec encore plus d’efficacité. Si son corps était près pour ce long voyage, on ne pouvait pas en dire autant de son esprit.

***


Nynsith était arrivée avant plusieurs autres, mais m’était pas allée dans la grotte. Elle avait bloqué en devinant la présence de Shyven et s’était installée sur un autre pic, situé à quelques centaines de mètres. De là, elle pu voir les autres se présenter, autant des êtres connus qu’inconnus.

~ Il y a probablement des Liés. Plus que l’autre fois. ~

En y songeant bien, il y avait quelque chose d’ironique quant à sa relation avec sa fille : tandis qu’elle-même avait grandit sans connaître son père qui s’était absenté par devoir, l’Opale avait grandi en ayant une mère absente par choix.

~ Je crois bien qu’ils attendent que tu y ailles. ~

~ Oui. ~

La Chasseresse s’élança donc vers la grotte, saluant sa famille au passage, ainsi que les autres Dragons présents. Elle observant un moment le seul bipède présent avec un mélange de perplexité et de colère sourde, mais se ravisa en voyant le regard de son père. Enfin, elle entra dans la grotte, jusqu’à trouver le cadavre… et la silhouette rosée à ses côtés. À nouveau, un silence lourd de malaise s’installa.

« Bonjour Shyven. Il est triste que nos chemins se croise en un jour aussi tragique, mais maintenant, tous et toutes sont là. »

La Dévoreuse observait le corps inerte de Kaalys qui s’était couvert de glace. Elle ne l’avait jamais détesté, mais elle ne l’avait jamais non plus apprécié. Lui voulait qu’ils s’entendent ensemble, elle avait toujours trouvé qu’ils étaient incompatibles. Mais voilà qu’il n’était plus. Ce corps qui restait, ce n’était plus rien.

« Mes parents n’ont pas encore pu le voir. Je vais le sortir. »

Réchauffant l’air grâce à ses flammes bleues, elle fit fondre la glace tout autour et fit appelle à l’Orque, cette fois pour doucement porter le corps sur un coussin d’eau toujours en mouvement qui glissa lentement vers la sortie. Nynsith marchait derrière, n’accordant même pas un regard pour Shyven.

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que Shyven était bien entouré pour passer cette épreuve. De tous les dragons qu’elle connaissait, tous avaient effectivement répondu présents. Non pas sans mettre leur grains de sel ici et là : Verith, en bon Papy-Colère qu’il était, avait évidemment pesté à la vue d’Aldaron, quoique tempéré par sa non moins tempétueuse Mamie-Montagne. Kaiikathal, Nahui et Aldaron avaient offert tous leurs soutiens possibles à la pauvre Opale … En vérité, tous étaient venus ici pour aider Shyven, ce qui fit chaud au cœur de l’opale, de sentir toute cette vague de soutien soudainement emplir son esprit. Même sa mère, à travers sa Petite-Ombre, et son oncle-zigoto Ssaadjith avaient eu une parole gentille envers elle. Bien qu’évidemment, ce dernier ne put se contenir de faire l’intéressant.

Shyven soupira. Si elle eût pu argumenter longuement avec son oncle sur son lien, elle se contenta d’une réponse sèche après l’intervention de Nahui, ayant suivi leurs altercations à tous deux :

“Aldaron a passé bien plus de temps avec Kaalys que tu ne l’as fait de ta courte existence, Ssaadjith. Il est légitime d'être ici, tout autant que nous. Il partage nos peines, bien que contrairement à toi, il se taise. Je sais que le Lien nous divise, mais il y aura d’autres moments pour en parler. Et ce moment n’est pas arrivé...”

La dragonne d’opale soupira. Elle entendit par la suite sa mère vouloir sortir le corps de son défunt père, ce qu’elle fit prestement. Shyven eut un petit pincement au coeur, en voyant le corps de Kaalys lentement glissé en dehors de sa caverne. Lui qui aimait tant cet endroit, il paraissait incroyablement vide sans lui.

Suivant le mouvement général, l’Opale sortit à son tour de la grotte. Elle préférait largement le froid mordant de l’extérieur, plutôt que les frissons qu’elle ressentait en voyant cette grotte où elle avait passé toute sa courte existence, vide de celui qui avait partagé son quotidien jusqu’à lors.

Shyven se permit de finir sa phrase à l’attention de Ssaadjith :

“Du moins, pas tant que Kaalys ne soit définitivement parti. Après, tu seras libre de nous faire ton récital anti-lien riche en verve et en drame. Si c’est comme cela que tu veux faire ton deuil, alors libre à toi. J’étais en colère contre le Lien aussi, en le voyant dépérir.”

Elle soupira. Ce que la Rosée ne disait pas, c’est que en assistant à toute cette phase de dépérissement de son propre père à cause de ce fameux Mal qui l’avait rongé, c’est qu’elle avait eu le temps d’amplement réfléchir à son sujet, surtout en côtoyant principalement une dragonne liée dans sa vie quotidienne. Cela avait été long et douloureux, mais elle avait fini par accepter le fait qu’il allait mourir. Et d’observer tout cela lui donnerait l’opportunité de se reconstruire.

Mais pour l’heure Shyven n’avait pas franchement la tête à cela. Aussi, elle se détourna de Ssaadjith, et se posa au milieu de la petite assemblée, près de son père. Elle voulait adresser deux mots à tous avant que les choses ne suivent sur leurs cours :

“Je vous remercie d’être tous venus. Même si l’heure n’est pas à la fête, très loin de là, cela fait chaud au cœur de tous vous revoir. Et surtout, merci pour Kaalys …”

Shyven inspira, humant l’air frais du haut de la montagne. Elle en profita, car c’était probablement les dernières fois qu’elles se rendraient en ce lieu précis. Bien que cela ne concernait pas toute la petite assemblée ici, elle avait décidé qu’elle vivrait ailleurs que dans cette grotte. Elle estimait que son nid pouvait être ailleurs, peut-être même d’ailleurs pouvait-elle en avoir plusieurs, dans la mesure où elle comptait voyager. Elle ne voulait pas vivre dans l’ombre de son défunt père, tous les jours.

“Je sais que de nombreuses choses nous différencient. Nous ne serons probablement jamais une Nuée unie.” La Rosée était lucide : entre les comportements des Libres envers les Liés, sans compter les dissensions entre dragons, il eut été stupide à son sens de parler des dragons de Tiamaranta comme une seule Nuée unique. “Kaalys voulait que l’on s’entende. Il aurait été ravi de voir une telle réunion auprès de lui.” Shyven inspira une nouvelle fois, et laissa une larme couler le long de ses yeux. Elle reprit ensuite : “A défaut de nous entendre, je pense que nous devrions nous soutenir. Se saluer quand nous nous croisons, nous soutenir dans les moments difficiles, parler entre nous avec respect et bienveillance, agir quand l’autre est menacé. Faire en sorte que le Feu des Dragons ne s’éteigne jamais. Car si nous sommes différents, voilà une chose qui nous unit, que nous partageons ce feu avec quelqu’un d’autre ou pas.”

En résumé : du bon sens. Ils ne s’entendraient jamais à la perfection, mais l’Opale pouvait au moins essayer de maintenir un certain équilibre au sein de son espèce. Là était sa mission après tout. Shyven soupira sentant une atmosphère lourde venant se poser sur ses ailes d’un coup. Les prises de positions de la jeune dragonne n’étaient pas fréquentes dû à son tempérament qui cherchait plutôt à satisfaire une situation plus globale, mais de cela elle en était certaine. Encore fallait-il le faire avaler à des autres écailleux comme sa mère, ses deux grands-parents ou bien son oncle-grosse-tête, qui avait l’air d’avoir de son jeune âge, déjà un avis très tranché sur la question.

“Je pense que c’est ce que Papa-tout-chaud aurait voulu. Il aurait aimé en tout cas ne pas nous voir diviser.” Finit Shyven, avant de se tourner vers ses deux grands parents.

L’Opale ferma les yeux un instant, cherchant l’esprit attentionné de sa Mamie-Montagne, et le vénérable esprit de son Papy-Colère, cherchant à la foi du soutien et encore une fois un peu de réconfort auprès d’eux. Une fois qu’elle eut trouvé ces deux là, elle voulut leur adresser un mot en particulier concernant la suite de cette cérémonie :

“Je pensais suivre les indications d’Aldaron, et emmener Papa-tout-chaud sur l’île à l’Ouest. Là, loin des bipèdes, il y sera tranquille. De tous ici, je pense que vous serez les plus à même de le porter. Papy-Verith, je t’aime, et je sais que tu prends tout cela très à cœur, systématiquement. Mais tu as déjà eu de nombreuses vies draconiques entre tes pattes. Alors je pensais peut-être que Mamie-Keetech pourrait … ?”

Shyven inclina sa tête devant la Quartzécailles. Plus qu’une suggestion, c’était aussi une demande légèrement dissimulée. Kaalys avait toujours eu de bons rapports avec Keetech. Instinctivement, l’Opale savait que cela lui aurait plu d’être porté par elle. Restait encore à ce que celle-ci accepte …

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¤ Illusion ¤

La présence d’un bipède n’était pas pour faire plaisir à Verith, encore plus lors de l’enterrement d’un dragon et encore plus lorsqu’il s’agissait d’un dragonnier. Mais l’enfant de l’orage ne souhaitait pas laisser la possibilité à ces derniers de le traiter d’ingrat et ainsi le rabaisser à leur niveau. Ce bipède lui avait rendu service en lui rendant le cœur de sa mère qu’elle avait donnée à un bipède et il l’en remerciait en tolérant sa présence en ce jour. Tolérance, le mot était bien choisi, car il ne pouvait décemment pas accepter la présence d’un bipède et encore plus d’un lié en ce jour qui avait vu mourir un dragon par la faute du lien … et donc d’un bipède.

« Le Lien est un mal terrible, mais la petite vient de perdre son père. Pas de sermon aujourd'hui, Verith. Le corps de Kaalys suffit à nous rappeler à tous à quel point le Lien doit être détruit. »

Le colérique tourna son attention vers sa douce qui tentait de prévenir quelques remontrances de sa part.

« Crois bien que je n’y prends aucun plaisir. »

Ce qui était vrai. Ses sermons, à défaut de pouvoir convaincre ceux qui ne pouvaient être convaincus, avaient au moins l’avantage de permettre à Verith de pouvoir se regarder dans le reflet de l’eau en sachant qu’il avait tenté d’éviter une mort tragique aux dragons liés.

C’est avec une infinie difficulté que le rouge parvint à se retenir de rétorquer à l’idée saugrenue, non, profondément idiote, d’une nuée regroupant libre et lié. Au-delà du fait qu’ils avaient l’audace d’user d’un tel mot avec autant de légèreté méritant à ce que le colérique maudisse cent fois leur langue. Une nuée regroupant libre et lié reviendrait à vouloir unir deux éléments incompatibles tels l’eau et le feu. Une nuée comporte uniquement des dragons, or intégrer des liés reviendrait à intégrer leur bipède parasite. Une nuée, c’est être à la fois libre, reconnaitre l’autorité du chef de cette dernière et avoir à cœur de défendre le groupe. Or, les dragons liés auront toujours un intérêt profondément divergent de la nuée, car leur intérêt est celui de leur bipède et un bipède ne peut avoir à cœur l’intérêt de la nuée. Trop égoïstes, trop idiots, trop ambitieux, les raisons sont multiples et cumulatives. Une nuée de libres et de liés ne serait jamais viable. Elle serait sans cesse mise en danger par les actions des bipèdes. Ce bipède aux dents pointues ici présent n’avait-il pas avant tout à cœur son propre intérêt ? Celui de son peuple ? De son royaume ? Que dire du lié du défunt Kaalys qui a causé sa propre fin et par ricochet celle de son lié en engendrant la guerre. Et ça, c’est sans parler du bipède de cette dragonne liée à la crête d’or. Les bipèdes sont indécrottables, bouffis d’arrogances. La nuée aurait dans leur cœur la même place que la lettre Z dans l’alphabet. Ils ne feraient que précipiter sa chute et blesser les dragons, libres comme liés.

Verith arracha de ses pensées de son esprit afin de mieux se concentrer sur le moment présent, tournant celui-ci vers la jeune dragonne qui venait de les rejoindre.

« Salutation, petite écaille. »

Si le colérique cherchait à quitter ses sombres pensées en ce triste jour, Ssaadjith semblait vouloir se donner un malin plaisir à attiser les braises en lui. Mais si l’obsidien parlait vrai, il remettait en cause la parole de son paternel qui à l’instant venait de tolérer la présence de ce bipède. Il voulait une raison ? Verith en était la raison et cela était largement suffisant.

La scène de son premier jumeau ne manqua pas d’entrainer une réaction de la part de la dragonne liée du concerné dont la posture agressive ne manqua pas de déplaire au père protecteur qu’il était.

« ASSEZ ! »

La voix mentale du dragon rouge tonna dans la trame entourant les pics montagneux.

« Ssaadjith ! tu tolèreras la présence de ce bipède, que cela te plaise ou non. Il nous a rendu une chose précieuse appartenant à notre famille. Aussi bipède ou lié soit-il, il mérite notre reconnaissance et par conséquence sa présence. Et si tu es incapable de faire preuve de gratitude, alors tu le feras par égard pour Shyven. »

Le ton du rouge s'apaisa alors qu'il tourna son esprit vers la dragonne rose.

« Shyven, qu'importe la verve avec laquelle ton oncle l'a enrobé, une griffe t'a été tendue. Ne la rejette pas. Tu as encore la chance d’avoir une famille contrairement à tous les dragons que j’ai vus périr depuis que j’ai quitté la terre qui m’a vu naitre. »

Enfin, l'esprit du rouge se tourna vers Nahui et Aldaron.

« Pardonnez mon fils pour son manque de respect. Il est aussi turbulent que je l'étais étant jeune. Nahui, je ne peux qu'admirer ta ferveur à protéger ceux auquel tu tiens. Mais ne réagit pas aussi promptement à une provocation, cela pourrait te causer du tort comme cela m'en a coûté. »

Le rouge observait déjà la magie à l’œuvre au sein de la dragonne et partageait sa vision avec Dwëmmer, déterminant ce qui avait pu faire grandir cette dernière. Se laisser dominer par ses sentiments, Verith en connaissait un rayon, et en répondant à une provocation, on ne fait que prendre le risque de dévoiler son jeu à son adversaire.

Ce fut finalement au tour de Nynsith d’arriver. Le rouge envoya son esprit à la rencontre de celui de sa fille, la gratifiant d’une caresse mentale, la remerciant pour sa présence et l’encourageant. Verith savait qu’il ne serait pas facile pour elle d’être en présence de Shyven. Sans attendre, la dragonne de la faim œuvra pour faire sortir le corps sans vie de Kaalys hors de sa tanière. Une fois de plus le cœur du rouge se serra de tristesse et de colère. Estellen, Skade, Isyndar, Möebius, Atalos, Ashy, Silarae, Trissi, Löthilith, Aïasil, Firindal, Cynoë. Kaalys venait s’ajouter à la triste liste de noms déjà bien trop longue de dragons morts par la faute du lien, des bipèdes, ou encore pour ces derniers. Ce n’était pourtant pas faute de tous les avoir mis en garder, de les avoir prévenus, d’avoir tenté de les convaincre. L’enfant de l’orage ferma les yeux, cherchant à faire le vide en lui alors que sa petite fille prenait la parole. Puis lorsqu’il sentit le regard de cette dernière se poser sur lui, il ne put s’empêcher de rétorquer.

« Je suis désolé, mais nous ne sommes pas une nuée, Shyven. Aussi assurément qu’au jour succède la nuit et qu’à la nuit succède le jour, libres et liés ne seront jamais une nuée. Keetech, Nynsith, Nephilith, Ssaadjith et moi formons sur cet archipel ce qui se rapproche le plus d’une nuée et tu y as toute ta place, si tu le désires. Nahui et Kaiikathal n’en font pas partie, cette illusion doit cesser sur-le-champ. Toutefois, tes paroles n’en sont pas moins vraies, pour autant il est formellement hors de question qu’un membre de ma famille risque sa vie pour venir en aide à un lié mis en danger par la faute de son lien ou de son bipède. Les bipèdes et le lien m’ont déjà pris mon frère, ma sœur et ma mère, et cela est bien assez. »

Le ton et le mot du rouge étaient aussi durs que le roc auquel il se tenait, mais cette petite précision, aussi violente puisse-t-elle être dans ce contexte, était nécessaire. Le colérique ne pouvait pas laisser cette petite assemblée se bercer d’illusions plus abracadabrantesques les unes que les autres. Verith jeta un regard en direction de Keetech. Il cherchait à protéger ce qu’il avait de plus précieux, elle pourrait difficilement lui en tenir rigueur. Tout comme il n’était pas sain de laisser perdurer ce mensonge. Ils n’étaient pas une nuée. Pour autant, cela ne les empêche pas d’être tous aujourd’hui présents pour le dernier hommage rendu à Kaalys. Verith étendit son esprit vers Shyven, venant s’excuser auprès d’elle. S’il pouvait la soutenir et la réconforter, ce n’était que dans une certaine mesure. Il se devait de lui dire la vérité et lui mentir en la laissant se bercer d’illusions ne serait pas lui rendre service.

Le colérique tourna finalement son esprit vers sa douce pour lui parler et uniquement à elle.

¤ Shyven à raison. Il vaut mieux que je passe mon tour pour cette fois, ce fardeau commence à me peser. Sans compter de ma condition. ¤

Verith faisait bien entendue référence à sa malédiction. Mieux valait éviter que Kaalys ne lui glisse d’entre les pattes en plein vol.

« Faisons ainsi. »

Verith approcha son museau de la montagne afin de permettre à Nephilith et Ssaadjith de lui grimper dessus. Il fit également signe à Shyven si elle désirait grimper sur lui pour ce voyage, elle était la bienvenue. Qu’importent les conditions de sa naissance et qu’importe son père, elle est la fille de sa fille, elle est de son sang. Une fois que tout le monde fut prêt, le rouge prit son envol, suivant les indications pouvant conduire jusqu’à la fameuse ile, demeurant toutefois sur ses gardes ne pouvant accorder sa confiance à un bipède.

Une fois sur place, Verith observa le corps de Kaalys être posé au sol.

« Si vous souhaitez partager quelques mots au sujet de Kaalys, c’est le moment. Après quoi, à mon signal, nous inonderons ensemble nos gueules de nos flammes les plus chaudes avant de les déverser sur son corps et lui permettre de rejoindre l’autre côté en paix. Bip ... lié de Nahui. En dédommagement du comportement de mon fils, je vous invite à brûler le corps de Kaalys avec nous. Maitrisez-vous la magie du feu? »

description[PV Dragons + Aldaron] Une flamme s'éteint. EmptyRe: [PV Dragons + Aldaron] Une flamme s'éteint.

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    Retrouver Kaiikathal, la sœur de galère de sa Liée, lui redonna, brièvement, un fin sourire, malgré la tristesse. La dragonne était probablement l’une des raisons pour lesquelles Aldaron avait choisi de faire une alliance avec Nathaniel. Les Liés devaient être dans le même camp. Ils avaient bien assez d’ennemis pour devoir, en plus, s’entretuer. La saurienne de bleu et d’or méritait d’être un argument d’aussi haute valeur que les trésors qu’elle se plaisait à entasser. Oh, d’ailleurs ! Il avait quelque chose pour elle, mais quand le vampire la vit se diriger vers la dépouille de Kaalys, il se dit que ce n’était pas le moment et qu’il aurait le temps, par la suite, de lui offrir son présent.

    Une part de lui regretta de ne pas avoir suivi la Liée du Roi de la Fédération Démocratique des Pirates Confrérie. Cela lui aurait évité de croiser ce dragon sombre aux yeux perçants. Et il lui faisait quoi là ? Une séance d’intimidation ? Ne savait-il pas que l’esprit d’Aldaron avait été rudement mis à l’épreuve par Morneflamme et que son petit numéro n’arrivait pas même à la moitié du tiers du quart de la cheville de ce qu’il avait pu connaître en termes d’horreur et de terreur dans le volcan de la prison ? Petit joueur. Le Prince Noir en roula des yeux et résista de justesse à l’idée d’éclater sa main contre son visage en voyant le même dragon faire… Quoi ? Roucouler ?... Devant la Liée de celui à qui il venait de montrer crocs et griffes. Par tous les Esprits, qu’était cet énergumène ? Ce fut probablement la sidération de Nahui qui manqua de le faire rire. Il pinça ses lèvres en détournant le regard du spectacle : vraiment, il y avait d’autres moments qu’un enterrement pour pouffer de rire…

    Tout comme il y avait d’autres moment d’un enterrement pour tenir de tels propos que ceux de Ssaadjith ! Même Verith avait résisté jusque-là à ne pas faire un long discours par lequel il expliquait combien le Lien, c’était le Mal Incarné ! Ce qui était un exploit et là où le père brillait, le fils se vautrait en mettant, volontairement en plus, les deux pieds dans le plat. Sa perplexité laissa la place à une pointe d’angoisse lorsqu’il vit Nahui défendre sa place (et celle d’Aldaron) auprès de Shyven. Le propos fut appuyé par l’endeuillée rosée, avant que le dragon de l’Ire n’y mette un terme net, sans oublier de terminer par l’inévitable tirade qu’ils avaient pourtant réussi à éviter jusque-là sur le rejet des Liés.  Bien, quelle bonne ambiance, dis-donc !

    Quelle étrange famille. Entre le sociopathe noir d’oncle, le papi grincheux et la mère qui n’avait pas adressé même un regard à sa fille en passant à côté, Shyven était servie ! Bon, OK, Aldaron avait aussi ses propres spécimens dans sa famille, mais tout de même ! Shyven avait gagné le gros lot ! Aldaron promettait mentalement de ne plus jamais se plaindre de ses propres enfants. Mine de rien, venir à ce genre de petite réunion funéraire, ça aidait à relativiser. Bon ! Changer de sujet ! (Car il hésitait entre lâcher un rire nerveux ou sortir un sarcasme  du style « Oh ne vous inquiétez pas Verith, c’est génial d’avoir un enterrement spectacle, j’adore ça et votre famille a l’air très gratinée pour réussir cet exploit ! », et vraiment, ni l’un ni l’autre n’était une bonne idée. Même si très drôle. Mais pas à un enterrement. Et même si cela aurait valu le coup, il n’avait pas très envie de finir écrasé comme une crêpe entre la montagne et la patte de Verith.) Aussi se tourna-t-il vers Kaiikathal qui grelottait et s’approcha d’elle.

    Il fouilla dans son sac, logé sous sa cape noire, et en sortit un paquet, de la taille de sa main de bipède, enveloppé dans une étoffe d’un vert émeraude. « Tiens, Kaiikathal. C’est pour toi. Je t’ai vue grelotter la dernière fois que tu es venue ici. Je me suis dit que le froid devait t’être inconfortable. » Et son état actuel, à lutter contre le froid montagnard, semblait le confirmer. En ouvrant le paquet, il laissa apparaître une grosse pierre de citrine, en forme de goutte d’eau, dans l’écrin d’un berceau d’or. L’éclat de la pierre fait très nettement écho à la crète on ne peut plus remarquable de la Marche-Tempête. Le mot elfique, « Umba », signifiant « Nuée » était gravé dessus et lorsqu’il apposa la pierre précieuse contre le torse de la dracène, celui-ci sembla se ventouser à ses écailles. Ainsi, elle devait avoir un peu plus chaud : « J’espère te voir plus souvent nous rendre visite et que ton séjour ici te soit, à chaque fois, plus agréable. Nous allons y aller. Nahui et moi allons vous guider. » fit-il en s’adressant, pour ces deux dernières phrases à tous, avant de parler à nouveau à Kaiikathal : « Le voyage n’est pas très long, mais vu la tempête, si tu souhaites t’accrocher à Nahui, je pense qu’elle n’y verra pas d’objection. »

    Il s’approcha de sa Liée qui l’aida, d’un coup de museau sous son pied, à prendre l’impulsion nécessaire pour se hisser sur son dos. Pour être d’avantage visible dans cette tempête (et stable), Aldaron proposa la Fille de la Montagne de prendre sa taille maximale, ce que Nahui fit, bien qu’il doutât que ce soit pour être plus visible dans la tempête, car elle ignorait tout de cette notion de ‘’visibilité’’. Le dragonnier était intimement persuadée qu’elle faisait ça uniquement pour épater la belle-famille et se faire valoir comme un très bon parti. Il le sentait dans sa fierté et secoua doucement la tête de gauche à droite : incorrigible. La blanche étendit ses ailes et ouvrit le vol funéraire, dernier voyage de Kaalys qui survola la forêt dans laquelle le Nacré s’était investi par deux fois pour découvrir et arrêter les méfaits de la Licorne. Mais l’histoire s’était révélée toute autre avec un Arbre-Songe. Malgré la tempête, il sembla au vampire qu’il entendait le claquement des sabots d’un équin au galop, suivant le balai aérien.

    Puis le bruit des vagues les remplaça et les embruns salés succédèrent à l’odeur des pins enneigés. Là, sous eux, minuscule vue d’ici, une île enneigée se dessinait, bordée au nord par des rochers qui la protégeaient du septentrional vent hivernal. Plus ils s’en rapprochaient et plus elle semblait plus grande qu’elle n’y paraissait et pourrait loger sans peine tous les dragons ici, sans qu’ils n’aient à se marcher dessus. Un navire aux voiles incrustées d’algues et de coraux attira son regard. Sa coque de bois, envahie par les coquillages, déchirait la mer sur son passage, alors qu’il semblait s’approcher de ladite île. ¤ C’est le navire d’Achroma. ¤ fit-il aux dragons, par télépathie cette fois, doutant que sa voix perce assez entre la tempête et le vent de leur vol. Il espérait ainsi que les dragons libres n’aillent pas brûler le pavillon qui approchait. Lorsqu’ils furent assez près sans trop risquer d’accrocher le fond, des créatures marines monstrueuses plièrent les voiles et jetèrent l’ancre alors que les silhouettes de son défunt époux et de Lyssa Kohan, fantomatiques, apparaissaient sur le pont.

    Son cœur se serra et Nahui se posa sur l’île. Aldaron put rejoindre la terre ferme, bien que son regard soit tourné vers la mer, perplexe. Achroma venait-il aux funérailles du dragon qu’il avait emporté dans la mort ? L’adieu était assez glauque, mais il comprenait cette volonté. Il n’y avait pas que cela ? La Vagabonde était un navire maudit. Jamais l’âme d’Achroma, pas plus que celle de Lyssa, ne connaitrait la réincarnation. Cela signifiait-il… ? Les mires verdoyantes se posèrent vers Kaalys, installé au centre du cercle de dragons. Il approcha du défunt et posa la main sur son poitrail. Plus exactement sur un blason formé par deux écailles coupées en leur milieu par une lame d’énergie pure et fusionnées pour former un écu. L'un des fragments est d'un blanc d'argent, l'autre d'un blond d'or. L'un est de Silarae, l'autre d'Atalos. Aldaron le détacha pour le tendre à Shyven. N’était-ce pas son héritage ? Le vampire le sentait mais il était préoccupé par une autre pensée.

    A peine l’endeuillée eut-elle prit son leg qu’Aldaron se tournait à nouveau vers Kaalys, en posant sa main sur son torse obscur. Il entendit la parole de Verith, ainsi que l’invitation notée en son esprit en griffe tendue, mais cela lui semblait être un écho lointain. « Je ne crois pas, non. » répondit-il, hésitant, en retard, puisqu’il ne parlait pas de sa capacité à manier le feu, mais du fait que le feu permette à Kaalys de rejoindre l’autre côté en paix. « Enfin si. Ce n’est pas…  Je veux dire… Merci. C’est que… »Il secoua la tête de gauche à droite, pour sortir de ses pensées et s’exprimer clairement, et fit émerger, du poitrail de Kaalys, des filaments oscillant entre l’or et le nacre. Ceux-ci s’étendirent, au-dessus des flots agités jusqu’au torse de la figure fantomatique d’Achroma. A ses yeux cela était magnifique, mais il ne doutait pas qu’il venait de révéler aux dragons libres l’incarnation horrifique de leur pire cauchemar.

    « Achroma est maudit. Je crois que Kaalys ne peut pas partir et… » Il hésita à approcher ses mains des filaments enlacés. Est-ce qu’il pouvait faire ça ? La Couronne lui disait que oui. Est-ce que ça allait lui bruler les mains ? Il approcha, hésita, recula ses mains. Sans la moindre crainte, comme si elle avait déjà fait cela des dizaines de fois, celle qui voyait par la magie, Nahui essaya de l’attraper dans sa griffe mais passa au travers, comme si c’était intangible. Mais pour Aldaron, c’était tangible. Ses doigts entrèrent en contact avec les filaments. Avec le Lien. Et c’était doux. C’était chaud. C’était réconfortant. Les lèvres du dragonnier se pincèrent.

    Le soleil levant inondait la colline où deux Tarenths et deux dragons lambinaient. Un dragon noir et un dragon Albinos. Un homme et une femme. Edwyn et son épouse. De la même manière qu’Aldaron avait fait apparaître le Lien, Edwyn fit apparaître celui qui l’unissait à l’albinos : « Très bien, très bien, je vais t’expliquer : regarde. Tu vois ces filaments dorés ? » Le Lien d’Edwyn était bien plus épais que celui de Kaalys. Et bien plus doré. « Ce sont, en quelques sortes, nos souvenirs communs, la force de notre union. Plus ils sont nombreux et épais, plus ils enrobent solidement le Lien et plus de Lien est puissant. A l’intérieur, ces filaments nacrés, ce sont les lois magiques du Lien. Ce qu’il permet, ce qu’il ne permet pas. Tu entends leur mélodie ? » Il caressa les filaments nacrés « Ils chantent ses lois, ses pouvoirs. Ils sont façonnés en équilibre, en harmonie. Et si j’en touche un seul… » Il vint à joindre l’acte à la parole : « On en entend qu’une. » Celle-ci était la loi par laquelle un Lié mourrait au trépas de l’autre. C’était une note particulièrement sombre.

    « N’est-il pas possible de changer cette loi ? Elle est particulièrement triste. » demanda l’albinos, probablement assez intrigué… Ou intéressé. « Oui, bien sûr. Il faut veiller à rétablir l’harmonie, en compensation. Mais pourquoi la changer ? Je n’imagine pas ma vie sans toi. »


    L’ast cligna des yeux. Ce souvenir n’était pas le sien. Il appartenait à Edwyn. Et la Couronne lui permettait d’y accéder. Il passa sous ses doigts les filaments dorés, et écouta les notes des nacrés, que seuls les Liés semblaient capables d’entendre. Voilà qui était… Inattendu. Aldaron releva la tête et tomba nez à museau devant des écailles rouges. Verith s’était penché sur le problème ? Evidement que ça l’intéressait. « J’ai perdu, moi aussi, un frère et une sœur, Verith de l’Ire. » Sa voix tremblait pourtant sa voix de spirite du saumon ne tremblait jamais. « J’ai perdu un époux auquel j’étais attaché par l’Esprit-Lié de l’Inséparable. » Auquel il avait renoncé. « Je n’appelle pas votre compassion, j’appelle votre croyance ces mots : je comprends votre peine et votre douleur. J’ai servi pendant plus de trois siècles une lignée de rois humains qui avaient mon admiration. Puis il y a eu le Lien. J’ai servi la folie d’un roi-Lié, jusque dans les confins de Morneflamme, pour voir à quel point il était devenu un homme affreux qui se sentait au-dessus des autres. Qui se sentait pousser les ailes de la guerre et de la victoire à n’importe quel prix. J’ai détesté le Lien pour la trainée de sang, de batailles et de malheur qu’il y avait derrière lui. »

    Il martela, la voix plus ferme et assurée : « Le Lien a déversé les Chimères dans notre monde. Le Lien a tué Skade. Le Lien a tué Ashy. Le Lien a tué Silarae. Le Lien a tué Aïasil. Le Lien a tué Firindal. Le Lien a tué Cynoë. Et le Lien a tué Kaalys. Paix à son âme : cela est la vérité. Le Lien est un assassin implacable. Ceux qui sont à l’extérieur du Lien ne voient que cela et nous aussi, nous voyons avec le même émoi et la même peur, sinon pire, que vous. Et nous voyons aussi le phare dans la nuit, la lueur pour nous tous, Naufragés, qui nous serions noyés sans cet être qui, même devant la Roue, nous a promis que nous ne serions plus jamais seul. » Il n’insisterait pas là-dessus. Contrairement à d’autres, son but n’était pas de faire de la propagande pro ou anti-lien. « Et même si les trois derniers couples de Liés venaient à mourir, le Lien, lui, ne serait pas mort pour autant. Il existera toujours, danger ou opportunité, il attendra son heure. En dépit de ce qu’il est et de tous ces morts qu’il traine derrière lui, il existe et le nier, l’éloigner ou l’étouffer ne le tuera jamais. Pire, vous reniez les armes capables de vous sauver. » Comme Silarae les avait sauvé, grâce à son dragonnier, de l’emprise du Tyran Blanc.

    Ses mains se posèrent sur les filaments du Lien qui unissait encore Achroma et Kaalys. « Parce qu’il faut être à l’intérieur pour le détruire. » Il avala sa salive, déglutissant difficilement, et dans une torsion de ses mains, déchira le Lien, entrainant autour d’eux un déchainement magique. La trame vacillait, tremblait avant de se stabiliser à nouveau. Aldaron lui aussi vacillait et tremblait, écœuré par son propre geste. Il avait condamné Achroma, le maudit, à vivre éternellement avec cette déchirure qu’il avait provoqué et il avait brisé un Lien et tout le Sacré qu’il voyait en celui-ci. Autant dire qu’il n’en menait pas large et il l’avait fait uniquement pour que Kaalys parte en paix. Ce ne fut que lorsqu’il se cala au creux de Nahui qu’il retrouva un semblant d’équilibre. Il se sentait épuisé, vidé de son énergie mais Nahui lui en donnerait un peu, au moins pour sauver sa dignité.

    « Edwyn a créé le Lien et l’a forgé avec ses ambitions et les chaînes qu’il désirait imposer. Mais Edwyn est mort. C’est à nous de décider de l’avenir du Lien, et aussi assurément qu’au jour succède la nuit et qu’à la nuit succède le jour, libres et liés pourraient être une nuée. Il ne tient qu’à nous de le décider. Parce que nous avons le même but et qu’à défaut d’une telle alliance, nous abandonner, nous mépriser et nous laisser dépérir, c’est détruire la seule arme que vous avez. Ça ne serait pas votre coup d’essai… » Et il parlait de cette arme unique qui aurait dû tuer le Tyran Blanc au sortir de sa prison, comme la prophétie l’annonçait, plutôt que de passer trois années d’horreur. Mais Verith avait été l’instigateur de sa destruction, comme il était l’instigateur, malgré lui, par sa haine et son mépris, de la destruction des dragonniers seuls capables de toucher à l’Âme… Et au Lien.

    « Alors ne gâchez pas cela à nouveau. Le cœur que Skade avait remis à Achroma pour qu’il renaisse et que je vous ai rendu, vide de son essence… Il était capable de changer le Lien. Et quand Achroma est venu vous voir, cherchant des réponses, il n'en a trouvé aucune. Pas auprès de vous. Mais auprès de Kaalys, cherchant comment sauver les Liés de la mort. Nous approchions, nous avons trouvé une possibilité quasi-viable pour Nolan Kohan. Et Achroma est mort aujourd’hui, par ses propres actes et ses propres erreurs, avant d'avoir pu trouver une solution satisfaisante. S’il avait été guidé, s’il avait fait parti d’une Nuée, peut-être qu’il aurait agi autrement. Peut-être que votre sagesse aurait réussi à le dissuader. A l'orienter vers de plus importants projets. » Ses lèvres se pincèrent. Lui avait été trop envouté par son Inséparable, y aurait-il pu y avoir une autre voie ? Ou était-ce inéluctable ? « Le destin vous est généreux et vous offre une seconde chance. Je le ferai, avec ou sans votre aide, Verith de l’Ire, si je ne suis pas, d’ici là, tombé dans la tombe que, malgré vos convictions, vous me creusez, en répandant le fléau de votre haine, de votre peur et de votre douleur. »

    Il se tut, cette fois, laissant le silence retomber. Il embrassa l’extrémité de ses doigts et déposa le baiser sur le poitrail du défunt. « Merci Kaalys. » Pour lui avoir ouvert les yeux en ce jour.  Il recula de quelques pas en arrière, rejoignant Nahui : « Puissions-nous nous retrouver. » Car il aurait, à présent, droit à sa réincarnation pour revenir parmi les vivants.


Cadeau pour Kaii :


Cadeau pour Shyven :


PS : Dites-moi si ces objet vous vont. Si oui, je fais la demande de don Wink

Dernière édition par Aldaron Elusis le Lun 6 Sep 2021 - 10:05, édité 1 fois

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Malgré les terribles circonstances qui les réunissaient, la Matriarche ressentait tout de même une pointe de bonheur en voyant tous les dragons présents dans l'archipel réunis pour rendre un dernier hommage à l'un des leurs. Et contrairement à son compagnon, ou même à l'un de ses fils, la présence du bipède ne troublait pas Quartzécaille. Naturellement, elle se méfiait, bien sûr. Mais si Shyven acceptait la présence de ce Lié à leurs côtés, c'était un choix que la dracène se devait de respecter.

Peu après l'arrivée de Keetech et sa famille, vint une jeune dragonne qui ne lui était pas inconnue. Celle-ci avait dû faire un long voyage pour arriver jusqu'ici, et le froid ne semblait pas lui convenir, contrairement à Shyven ou Nahui, la dragonne liée du bipède nommé Aldaron.

« Bonjour belle ensoleillée. » Lui répondit la matriarcale en dardant sur elle un doux regard. Leur première et unique rencontre datait de quelques mois en arrière, mais Keetech n'avait pas oublié la jeune dragonne liée et son caractère qui, à bien des égards, lui rappelait celui de son fils Ssaadjith. Mais Kaiikathal avait davantage de retenue que le jeune dragon à la langue bien pendue. Trop bien pendue, même. Ce dernier s'attira bien vite les foudres de son père tandis que Quartzécaille n'était que désapprobation. Mentalement, elle lui assena une petite pichenette sur le museau afin de bien lui faire comprendre qu'elle n'acceptait pas pareil comportement de sa part, peu importait le moment.

La dernière arrivée sur les lieux fut Nynsith. Malgré le profond traumatisme qui entourait la naissance de Shyven, Keetech était heureuse de voir sa fille en ces lieux. La route vers la guérison était longue, mais la présence de la dragonne de la faim en disait beaucoup sur le chemin parcouru depuis la naissance de la petite Opale. La Matriarche offrit à son unique fille une douce caresse mentale, emplit de fierté et d'encouragement.

Le corps enfin à l'air libre, Keetech eut l'occasion de l'examiner. Et son cœur se serra face à cette triste vision. Les écailles sombres, autrefois nacrés, n'avaient plus d'éclat. La silhouette autrefois puissante, avec son large poitrail pareil à un mur ou un bouclier, n'était plus qu'un souvenir. Kaalys avait lentement dépéri avant de mourir. Et Shyven avait assisté à sa lente agonie, sans pouvoir faire quoi que ce soit. La Matriarche sentit la colère s'emparer de son cœur à cette pensée. Une colère dirigée vers le Lien. Mais les mots de la petite Opale surent tempérer les ardeurs de Quartzécaille, qui imagina un autre scénario. Si Kaalys était venu la trouver, comme cela avait été le cas par le passé pour discuter du Lien et de Verith, peut-être aurait-il fait un choix différent vis à vis d'Achroma. Ou peut-être aurait-il été en mesure de faire changer son Lié d'avis. Mais il avait été seul. Du moins, en partie.

Une Nuée... songea Keetech en observant les dragons présents autour d'elle. Celle-ci écouta attentivement les paroles de son mâle. Des mots dont elle avait mainte fois entendue depuis qu'elle l'avait retrouvé. Des paroles avec lesquelles elle n'était pas tout à fait d'accord. Mais l'heure n'était pas au débat, mais bien à l'hommage. Un dernier hommage et un dernier vol pour Kaalys, que la dracène saisit délicatement entre ses griffes. Il était si petit, même pour un adulte, et le cœur de la dragonne se serra encore un peu plus alors qu'elle prenait son envol, suivant la piste de Nahui. D'ailleurs, quelle magie maniait cette dernière pour grandir ainsi ? C'était bien la première fois que la Matriarche observait pareille chose, en dehors de la magie Baptistral qui l'avait fait rétrécir par le passé. Un très mauvais souvenir, d'ailleurs.

Rejoindre la petite île fut aisé. Keetech se posa la deuxième et déposa délicatement le corps de Kaalys sur le sol gelée, partiellement recouvert de glace et balayé par les embruns. Elle s'assit ensuite, faisait barrière de son corps contre le vent glacé venu de la mer. Son regard se porta alors sur le navire qui avait fendu les flots à leur arrivée. Le navire d'Achroma, avait expliqué Aldaron. Quartzécaille ne comprenait pas tout sans toutes les informations nécessaires pour le faire. Mais en effleurant les pensées du dragonnier, cette dernière parvint à saisir l'essentiel et compris à quel triste sort était condamné l'ancien Prince Noir.

Un sort partagé par Kaalys. Les filaments dorés que fit apparaître le Lié de Nahui ne firent que le confirmer. Alors c'était à cela que ressemblait le Lien ? Car il ne pouvait s'agir que de cela, songea la Matriarche en se penchant en avant afin de mieux observer le phénomène. Et Aldaron avait la capacité de le voir. Et de le rompre. Quartzécaille tourne son regard vers Verith, curieuse de voir comment ce dernier allait réagir face à pareille information.

« Aldaron n'a pas tort. » Prononça Keetech, après un moment, lorsque celui-ci eut offrit un dernier au revoir à Kaalys. Que la Matriarche choisisse d'utiliser le nom de ce dernier, et non le simple terme "bipède" en disait long sur ce qu'elle pensait de lui. « Cet archipel ne connaîtra jamais une Nuée comme celle dans laquelle nous sommes nés et avons grandit, cela est une certitude. » Commença la fille des tempêtes en regardant Verith, qui se tenait à côté d'elle. « Tant des nôtres ont disparu. » Et même si Keetech n'en connaissait pas la moitié, la disparition de ces dragons, si jeunes qui plus est, ne pouvait que l'attrister. « Nous pouvons décider de former une Nuée. Une Nuée d'un autre genre. Une Nuée dans laquelle nous nous soutenons, parce que nous sommes tous des dragons. Une Nuée dans laquelle nous protégeons les nôtres pour garantir notre survie à tous. Car c'est le plus important... Et si l'un de nous décide de faire la guerre, tout comme Kaalys a décidé de ne pas suivre Achroma dans la sienne, nous pourrons dire sans remords que nous avons tout fait pour l'en empêcher avant et qu'il s'agit de son choix pleinement éclairé. » Le regard de Quartzécaille balaya l'assemblée qui formait un cercle autour de la dépouille de Kaalys. Des jeunes dragons, des enfants, qui avaient tant à apprendre. « Les Liés, depuis la destruction des Chimères, sont isolés. Mis à l'écart pour un Lien qu'ils n'ont pas choisi. Tués pour une magie hors de leur contrôle. » La dracène fit une pause, son regard se portant de nouveau vers Verith, puis vers Nahui, Kaiikathal et Aldaron. « Je continuerais à penser que Lien est une mauvaise chose temps et aussi longtemps qu'il sera imposé aux dragons. » Et par extension à leurs bipèdes. « Mais il n'est pas logique de détester les Liés pour autant, ou de les mettre à l'écart. Au contraire, cela ne fait que précipiter leur chute en les isolants. » Termina Quartzécaille, en échos aux sages paroles du Prince Noir.

Bien sûr, Keetech comprenait les raisons qui poussaient Verith à agir ainsi. À penser ainsi. À refuser cette idée de Nuée. Il avait souffert. Il avait été trahi. Il avait tendu la griffe et on le lui avait arraché. Quartzécaille entoura le dragon de l'ire de toute son affection, sa queue venant s'enrouler autour des pattes de son mâle en prenant soin de ne pas y toucher pour ne pas révéler son "état". Si la Matriarche comprenait son compagnon, cette dernière avait pourtant pensé chacun des mots qu'elle venait de prononcer. Elle lui transmit cette pensée, nullement désolée, et lui en révéla d'autres. Ces dragons, tous très jeunes, avaient encore à apprendre et pourraient le faire auprès d'eux. Verith et elle-même pouvaient les guider (loin des bipèdes et de leurs guerres), leur transmettre les coutumes de leur race, leur parler de ce continent lointain où vivaient les dragons. Tant de choses que seul un dragon pouvait apprendre à un autre dragon. Et rien n'empêchait de Rouge et sa compagne de se pencher sur une façon de défaire les chaînes des dragons, comme Keetech lui avait promis. De trouver une solution pour leur permettre d'échapper à la mort. Un but qu'Aldaron semblait partager d'ailleurs, à moins qu'il se fut mal exprimé.

« Les paroles de Shyven et du Lié de Nahui sont pleines de sagesses. Nous ne sommes pas obligés de tous parfaitement nous entendre, mais il ne tient qu'à nous, aujourd'hui, de faire en sorte que la mort de Kaalys ne soit pas vaine. »

C'était sa dernière leçon, songea Keetech qui était désormais prête à déverser ses flammes au moment choisi par l'ensemble du groupe.

« Que la paix accompagne ton envol, Kaalys. Que ton voyage se fasse sans encombre. »

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Kaiikathal ouvrit grand les yeux, plus surprise que réveillée. Un cadeau pour moi ? pensa-t-elle avec l’air faussement sincère de celui qui dit “Oh mais il ne fallait pas vous donner tout ce mal, je ne puis l’accepter.” Bien sûr que si, donnez-vous du mal pour moi, il le faut, ça flatte mon égo et c’est bon pour le mental. La dragonne, les griffes des pattes en bouquet de violettes, lança un regard en coin à une Nahui avenante et se laissa approcher par son blafard de Lié tout droit sorti du pergélisol. Comme toujours, le contact de son aura glaciale la surprit. Sans pour autant se laisser intimider, elle courba l’encolure pour mieux apercevoir ce qu’il lui tendait.
C’était un magnifique bijou en forme de larme - très à propos, d’ailleurs. La pierre, infimement oxydée, paraissait dans sa robe jaune citron aux fanfreluches mielleuses. Contrairement aux cristaux de même teinte qui alimentaient sa collection de précieusetés, elle n’était pas transparente, ce qui en faisait un joyau inédit pour son trésor, lequel dégueulait de partout dans le Maelström tant elle trimballait son coffre à droite et à gauche, laissant parfois des sillons d’or dans sa cale personnelle. Je l’ai peut-être un peu trop rempli constata-t-elle d’un air guidé. Il faudra que je fasse du tri. Mais quelle douloureuse pensée que de se séparer d’une seule pièce, fut-elle en cuivre. Pense à autre chose Kaiikathal, ce n’est ni l’heure ni le lieu pour songer à de telles choses.

“Merci mille fois mon cher ! Pour ce délicieux présent. Saurais-tu me l’attacher à un endroit où il ferait sensation ? Disons, euh, juste là, en-dessous de mon saillant poitrail. Ho oui, ça va faire fureur ici. Béni soit le ciel, je suis splendide.”

Elle se déboîta le cou pour voir l’effet que ça faisait en se regardant à la troisième personne. C’est seulement là qu’elle remarqua l’inscription subtilement gravée, qu’elle prit d’abord pour un défaut sur la pierre avant de comprendre de quoi il ressortait. Elle fit appel aux enseignements de Nathaniel en ce qui concerne la lecture. C’était une activité à laquelle elle accordait peu d’importance et qu’elle trouvait barbante et inutile, puisque son Lié était-là pour l’aider si elle avait besoin qu’on lui lise quelque chose, mais cet entêté de roi des pirates avait insisté pour lui apprendre les rudiments et elle avait accepté de mauvaise grâce, pour lui faire plaisir et rien d’autre. À part passer pour un savant, elle jugeait donc que cela ne servait à rien.

“Ou… meu… ba…” déchiffra-t-elle, elle pour qui les mots résonnaient dans l’esprit comme autant de fragments complexes du monde. Cela dit, l’écho de son sens lui apparut très clairement. “Cela signifie Nuée. Merci, Aldaron. Je suis honorée.”

Accaparée par l’apparence attirante du bijou doré, elle ne fit pas tout de suite attention à la chaude sensation qui l’envahit sitôt que l’elfe vampire eut apposé l’apparat sur ses écailles. Le méchant froid desserra les griffes de son emprise, chassé par une chaleur pulsatile qui recouvrit intégralement la Marche-Tempête. Il n’y eut pas de choc thermique. Lorsqu’elle ne sentit plus de la magie de l’écrin solaire que l’invisible halo vernal qui l’embaumait comme une soyeuse couverture, elle claqua les mâchoires, contente, et releva fièrement le torse. De la neige fondait à ses pattes.

Cependant, le plaisir fut de courte durée. Ici, elle ressentait de plus en plus la tension monter, particulièrement entre Verith et le Lié de sa plus grande amie, ce qui eut le don de l’agacer au plus haut point. Elle maudit cette faculté spécifique à son espèce, d’être capable de percevoir les pensées et ressentis des autres, même vaguement. Lorsqu’il fallut déménager le corps sur l’île qui serait son dernier tombeau, elle demanda à Nahui :

“Tu ne le prends pas mal si j’essaye de porter Kaalys au lieu de grimper sur ton joli dos ? Je ne sais pas pourquoi, je sais qu’ils n’ont rien dit sur le lien, enfin pas encore, mais je sens que ça va venir. Ils m’ont tendue, et ça fait palpiter mon palpitant, et pas en bien. Je crois qu’ils me mettent en colère. D’habitude je zigouille tout ce qui passe à ma portée pour me calmer quand je suis comme ça - des faons, des anguilles, des goélands, des bidules comme ça - mais là... je ne vais tout de même pas vous abandonner le temps d’aller faire un tour dans les bois. J’ai besoin de faire quelque chose de physique, vois-tu. Je vais essayer pour lui rendre honneur et si je n’y arrive pas, je viendrai me jucher sur toi.”

Kaiikathal courut vers le corps du défunt. Consciente de sa petite taille, elle choisit de porter le bout de la queue et fit part de son intention à Keetech, qui la couva tendrement du regard. La Marche-Tempête hocha la tête pour signifier qu’elle était prête. Après quelques derniers échanges auxquels elle n’assista pas, le cortège démarra.

Le trajet fut réduit au vent qui entonnait son hymne funèbre en louvoyant entre les lointains à-pics et le bruissement répété des ailes de huit dragons hauts en couleur. Kaiikathal regretta bien vite sa décision : le vent la maltraitait dans tous les sens, la bringuebalant comme une vieille baudruche. À elle seule, elle ne devait soulever que trois grammes de ce corps rigide et mort. Tous les efforts fournis pour maintenir cette queue en place furent de courte durée. Dépitée, elle accéléra le rythme, rabattit la queue de Kaalys entre les pattes de celui-ci en évitant soigneusement de croiser son regard rempli de rien, sinon du néant, et pourchassa Nahui la géante pour se lover au creux de son cou.

“Ah, ah, là, je me suis surestimée” lui dit-elle, sans même chercher à se justifier. Allons bon, il ne s’agit que d’une queue, et Kaalys se fiche bien d’où elle traîne à présent. Quid de l’honneur et tout ça. Il serait sans doute content que j’aie au moins essayé.

Elle brandit son regard sur la forêt en contrebas, un défilé de pins noircis et tristes à en mourir que l’hiver éternel avait privé de leur pudeur en les dénudant au bon gré du catabatique. Celui-ci plongeait à cœur joie vers le sud, sans se soucier du manège qui avait lieu sur ses courants d’air tranchants. “Ça, c’est un vent à décorner des cocus” jura-t-elle à Nahui en se pelotonnant plus fort contre les écailles de son étoile d’espoir. Ronchon, elle ferma les yeux pour se protéger des rafales imprévisibles et se fondit dans la masse lunaire de la belle dragonne.

Kaiikathal avisa l’écrin de roches anthracites, voûtées et sinistres, dont les silhouettes émergeaient du sol en arches basses. Ces pierres étreignaient la face nord de l’île, qui tenait plus de l’îlot reculé dans sa mer moutonnante, et cette impression serait renforcée dès que les plus gros auraient atterri. La Marche-Tempête se prépara à l’atterrissage, les paupières à demi ouvertes, car la neige était blanche à en blesser les yeux. Elle ne put les rouvrir pleinement que lorsqu’ils arrivèrent à destination : l’îlot n’était pas glacial, mais suffisamment froid et humide du fait de la proximité des eaux. Quelques flaques de neige poudroyaient en son centre. Keetech y déposa Kaalys et tous les dragons se mirent en cercle autour de lui. Désormais, il était leur centre du monde. Kaiikathal se plaça sagement entre Nahui et Keetech.

Elle observa Aldaron, fascinée, tirer le lien magique du corps inanimé. Elle qui avait trouvé le corps de cette vieille connaissance bien macabre, elle fut rassurée de constater qu’il avait finalement subsisté cette partie de lien qui, entre les doigts effilés d’Aldaron, lui apparaissait plus vivant que jamais.
Cependant, elle retroussa les lippes en le regardant rompre le ruban magique sans plus de manières ou formalités. En un geste, il balaya toute sa joie de vivre et fit naître une vive inquiétude en elle.
C’était effrayant. Etait-il capable de faire ça sur elle ? Pouvait-il à tout instant extraire de ses entrailles sa raison de vivre et la briser aussi facilement ? Ou alors, Kaalys était un cas particulier, car il était mort…
Elle espérait que c’était la seule raison qui expliquait cette terrible démonstration.

La dragonne écouta Aldaron, qui, plus ou moins subrepticement, lança les hostilités. Kaiikathal ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel, bien qu’elle l’ai adoré quelques temps plus tôt pour lui avoir offert son joli cadeau.
Il ne fallut pas plus de deux minutes, pendant lesquelles elle contempla son nouveau trésor, avant que l’éternel litige n’éclate de nouveau. Car Aldaron parlait, et tout le monde savait ce que Verith pensait de ses opinions sur LA fâcheuse question, car il n’avait pas besoin de l’exprimer dans leur conscience à tous : le dragon transpirait littéralement le rejet du lien. Elle se sentit visée, et blessée.

Cette fois-là fut de trop. Elle détacha son regard de la larme d’or avec la contrariété d’une personne qui aimerait profiter de son cadeau, mais ne le peut, pour des raisons futiles. D’une attitude rebelle, elle se tourna vers le dragon de l’Ire. Qu’ils soient contre ou pour le lien, elle commençait à en avoir marre de tous ces congénères, adultes qui plus est, qui bavassaient sans retenue sur sa propre nature comme si elle n’était pas là. À l’instar des bipèdes, ils auraient pu s’attabler autour d’une boisson en jacassant comme des oies à faire siffler des oreilles en la présence de Kaiikathal et Nahui que ç’aurait été aussi respectueux. C’était la deuxième fois en à peine une année que cela se produisait, et elle ne comptait pas à ce qu’on ne parle d’elle autrement qu’avec l’étiquette “Liée” à chaque funéraille, comme si Kaiikathal toute entière ne se résumait qu’à un maudit lien. Là, maintenant, elle savait qu’ils communiquaient tous, en silence, avec des mots et des émotions, et que le sujet de la conversation incluait, indirectement, les trois Liés ici-présents, même si ce n’était pas consciemment contre eux (enfin, peut-être pas en ce qui concernait Verith).

Les vieux dragons sont comme les poules. Ils caquettent à qui mieux mieux, dit-elle à Nahui, et à Nahui seule, avant d’ouvrir le bec à l’intention de rouge (dont l’avis tranché était plus limpide que l’eau des sources qui coulaient sur l’inlandsis) et, accessoirement, à tous ceux qui envisageaient le lien de cette même façon ingrate que lui. Lorsqu’Aldaron eut terminé son laïus, il allait de soi que Verith préparait déjà sa riposte. Cette fois, elle parla avant lui, car elle savait très bien ce qu’il pensait de tout cela, mais elle voulait profiter de l’occasion pour enchérir :

“Tu penses que c’est la nature du lien qui nous oppose, mais tu es le seul qui persiste à vouloir nous désunir” osa-t-elle, impavide. “En l’essence, ce n’est peut-être pas la même chose, mais si tu devais perdre ta compagne et ta couvée, je suis convaincue que tu aurais au moins la pensée de te laisser mourir autant que si je perdais mon Lié.” Elle appuya ces mots en soutenant le regard du rouge. “Si mon doux Nathaniel venait à mourir, j’aurais fatalement le cœur brisé, et ça je le sais bien ; mais sois-en sûr, c’est de solitude que je mourrais, et dont nous mourrons, nous les Liés, mais vous tous également. Car les souvenirs sont pires qu’un mortel coup de lame.”
Elle le gratifia d’un long regard indolent, lourd de mépris sciemment dissimulé, après quoi elle poussa un soupir et ajouta en serrant les crocs “Mais qu’est-ce que j’en sais ! Après-tout, je ne suis encore qu’une jeune et naïve dragonnette !”

Si seulement on laissait la respirer un peu, en cessant par exemple de lui rappeler que sa vie était en sursis depuis le jour où elle avait percé sa coquille. La mort n’épargne personne, même les dragons. Elle ne nous prend pas tous, mais elle peut tout nous prendre, que l’on soit Lié ou non. Et les autres jeunes dragons, qu’en pensaient-ils ? Kaiikathal commençait à croire que c’était la vision archaïque de ses aînés qui les empêchait de progresser dans toute cette histoire. Elle se surprit à penser que même certains bipèdes (oui, elle pensait à Aldaron) avaient plus de bon sens que cette grosse tête rouge emplie de crainte et de rancœur. Avec l’âge vient la peur, et la peur fait le loup plus gros.
Et, après s’être renfermée sur elle-même, ne laissant de la place dans son esprit endeuillé que pour Kaalys et Shyven, elle fit volte-face pour se ranger aux côtés de sa sœur d’infortune et laissa Keetech prendre la parole. Au lieu de l’écouter, Kaiikathal appela la dragonne aux écailles lactescentes, une lueur de défiance dans le regard, la jeunesse lui donnait l’envie de commettre tous les affronts du monde.

“Nahui… Nahui !” elle-même ne croyait pas à ce qu’elle s’apprêtait à lui demander. “Imagine qu’un jour on crée notre propre Oumeuba, serais-tu d’accord ? Pas tout de suite, mais un jour ? Je te laisserais volontiers être la cheffe, si tu veux - tu sais, moi, les décisions et tout le toutim, c’est pas trop ma tasse de… de quoi déjà… ah oui, de thé. Je suis plus une dragonne crocs-flammes-griffes, tu vois. Du genre “piquée de la tarentule, à casser des rochers avec le crâne” comme dit Nathaniel. Mais je crois que c'est ce qui lui plaît chez moi. Enfin voilà, que penses-tu de tout ça ? C’est une idée grandiose, n’est-ce pas ? Toi, moi, et tous les trésors du monde. Ah, et aussi plein de bavettes que nous partagerions… Sans parler de nos Liés, bien entendu, ils seraient d’une façon ou d’une autre inclus dans notre groupe, moi ça ne me pose pas de souci, au contraire, il faut se… se moderniser. Nous pourrions même inviter Shyven, et aussi Nephilith et Ssaadjith à se joindre à notre belle Nuée, notre Oumeuba. Ce serait amusant de voir Verith de l’Ire fumant de colère, alors que sa progéniture s’est rangée de notre côté” ajouta-t-elle avec mesquinerie. “Il se transformerait en geyser. Je me demande quelle couleur il prendrait, vu qu’il est déjà tout carmin. Peut-être noir comme son fils. Oh, mais cela risquerait de blesser Keetech. Il faudra être prudent avant de les intégrer dans la Oumeuba. Keetech est gentille.”

La proposition était puérile, mais pas moins sérieuse, et la dragonne avait suffisamment pris le temps de peser le pour et le contre d’une telle Nuée pour proposer son idée (dix secondes, très précisément, c’est dire quelle rapidité d’esprit animait cet être belliqueux).
Elle ne comprit pas pourquoi, tout à coup, tout le monde la regardait.
Ah ! C’est à moi, je crois.
Elle remercia Keetech, qui venait de terminer sa prise de parole, en lui adressant un hochement de tête significatif, et s’avança de trois pas vers Kaalys. Elle prit bien soin d’éviter ce-dernier du regard, car le malaise avait vite fait de s’emparer d’elle, et le déni lui réussissait mieux. Elle ouvrit la gueule, pleine d’assurance, au départ. Et puis elle réalisa bien vite qu’en dépit d’être une forte tête, elle n’était pas tant que ça à l’aise avec tous les mots (sauf quand elle était en colère, et dans ces cas-là, elle devenait très inspirée). Elle l’était encore moins quand tous les dragons ou presque de l’archipel avaient les yeux rivés sur elle. Sa gorge se noua. Sa langue devint sèche. Elle s’éclaircit la gorge.

“Hum hum”.

Elle prit le temps de regarder tout le monde, plongeant dans leurs pupilles pour espérer y grappiller de quoi faire un chouette discours qui pourrait épater tous le monde. En vérité, c’était plutôt la panne sèche. Il ne lui restait plus qu’à improviser. Qu’avait-dit Keetech, déjà ? Ah, oui...

“Merci Keetech. C’est très gentil ce que tu as dit. J’aimerais remercier Kaalys pour sa bienveillance et la compassion dont il a fait preuve à mon égard la fois où nos esprits se sont brièvement effleurés. Hum.” Mince, j’ai quelque chose de coincé dans la gorge. “Je regrette de ne pas plus l’avoir connu et j’aurais aimé qu’il m’enseigne ce qu’il aurait pu sur le lien. Je… oui, oui, je le remercie une dernière fois, pour tout ce qu’il a été et tout ce qu’il sera. Puisse la lumière des étoiles guider ton chemin à travers le monde des esprits, Kaalys. Tu…”

Elle inspira pour reprendre son souffle. Là, il y eut ce petit hoquet qui la fit toussoter. Un drôle de quelque chose se colla sur tout le fond de sa gorge. Tenace, la masse de glaires s’accrocha désespérément dans son pharynx, et la jeune dragonne fut prise d’une violente quinte impossible à réfréner. Les yeux remplis de larmes, elle ne put lutter davantage et sa gorge en furie se déchaîna contre les éléments. D’une prodigieuse éructation (à faire pâlir les plus rustres), elle cracha une série d'étincelles et en moins de quelques secondes, le corps de Kaalys commençait à prendre feu.

La dragonnes des lagunes finit par rouvrir les yeux pour découvrir, ébaubie, le résultat de cette incroyable performance. Non… non ! Mais si, si, c’était bien le défunt qui flambait face à elle.
Kaiikathal fut saisie d’une terreur tout à fait inhabituelle pour elle, qui la fit pousser une exclamation de consternation. Vite, il faut faire quelque chose ! L’éteindre ! Ou l’allumer tous en même temps ! Que chacun dise ses derniers mots là, tout de suite ! pensa-t-elle. Dans sa tête, elle s’efforçait d’adopter un ton calme et résolu, et de se contenir également ; alors qu’en réalité, elle brûlait d’envie de s’envoler loin des flammes et de ne plus jamais retourner auprès de ses compères.

“Oh…” fut tout ce qu’elle trouva à dire, sa verve emportée au fond des flammes avec le reste de sa dignité.

J’ai mis le feu au défunt.

Elle qui s’attendait à être grisée par ce voyage, elle n’aurait pas pensé que les évènements iraient jusque-là. Désormais, entre les chamailleries du rouge et du vampire, les sottises de Ssaadjith et ses propres exploits à inscrire dans les légendes les plus honteuses de Tiamaranta, ces funérailles ne pouvaient pas être pires, n’est-ce pas ? Elle supplia-t-elle le ciel, la mer, la terre et le vent, assaillie par le pressentiment d’un désastre imminent.

... n’est-ce pas ?

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Doux joyaux ! Voyons donc, c’est que sa pique avait eu du succès ! Il faut dire qu’il avait eu l’insolence, non plutôt la hardiesse en vérité, de dire tout haut ce que tant de pauvres hères à la bouche cousue par les principes pensaient tout bas. Hélas, le propre des vérités est qu’elles ne sont pas toutes bonnes à prendre. Il s’agissait d’une arme exquise et dangereuse. Pour certains, elle était aussi savoureuse que la viande fondante d’un bon gibier. Pour d'autres c’était un poison, et pourtant c’était la même chose. Quant aux mensonges, ils étaient légions et faisaient long feu dans la multitude.

Qu’importe. Ce n’était pas pour cela que Ssaadjith l’avait proclamé avec force volupté et grâce.

Pour tout rugir franchement, le dragonnet d’obsidienne s’ennuyait à mourir depuis la seconde où il avait posé la patte sur cette montagne : pas de banquets somptueux pour les accueillir, pas le moyen de lustrer ses ailes à souhait au soleil et pas de bipèdes capturés pour servir de proies dans une chasse trépidante. Il n’était même pas sûr que chasse il y aurait eu, vu l’ambiance morose qui avait frappé sa famille à leur arrivée. De cela maintenant, il était sûr : Ssaadjith haïssait les funérailles. Cela pouvait sembler singulier, étant donné sa volonté manifeste d’infliger mort à autrui, mais c’était ainsi. Il avait ses raisons. Tuer et inhumer, c’était deux activités très différentes. Quand l’on traquait et tuait un smilodon, c’était gratifiant. Cela demandait beaucoup de talents et d’audace, c’était un peu sale, particulièrement rapide et surtout distrayant : en un mot comme en cent, il s’agissait d’un développement personnel tout ce qu’il y avait de plus bénéfique, directe et sans complication. Enterrer un beau-frère mort, par contre, quel supplice ! Voilà en vérité un évènement bien codifié, grégaire et interminable, dans lequel on sublimait les vicissitudes d’une réunion de famille, avec une mine morne et la becquetée en moins. La souffrance sincère de la perte occupait l’esprit de quelques naïfs qui ne voyaient pas les masques attristés et obligés du plus grand nombre.

En outre, les invités avaient une tendance évidente à se rincer l’œil avec des condoléances enjôleuses. Mais derrière, le public aigri et incontinent épiait les défaillances, guettait les indices de discordes avec une passion honteuse, flairait l’indifférence derrière les masques stoïques ! Ah ! Quant à Kaalys, oh il fallait se rassurer mais oui pas de soucis, on allait lui en donner de l’hommage. Après tout, les dragons étaient d’abord venus pour lui : Ils n’allaient pas faire de ce sépulcre une roupie de sansonnet ! Et c’était avec des trémolos très contenus qu’on allait rappeler la peine de Shyven, qu’on faisait étalage de sa douleur, avec un phrasé doux et délicat. Il n’y avait qu’à voir comment chacun d’entre eux avait gobé son chagrin hypocrite. On ne flairait pas les mensonges qu’on se proférait à soi-même.

Sans nul doute possible, Ssaadjith serait mort de cet ennui foisonnant s’il n’avait pas joué de sa verve primesautière pour secouer les basses frondaisons de leur fibre guerrière. Soudainement, l’enterrement avait pris des allures de champ de bataille tel qu’il en avait toujours rêvé. Les banalités affligées de naguère avait laissé place au débat agitée, la joie mesquine d’observer cette douleur s’était changée en protestations véhémentes.

La raison de tout ceci ? Le lien immanquablement, dont Ssaadjith n’avait cure si ce n’était pour créer du grabuge. La réalité était que le dragonnet d’obsidienne se fichait bien de savoir qu’un dragon était lié à un bipède ou libre. C’était leur choix et autant de leviers à manœuvrer pour manipuler ceux qui ne prenaient pas garde vers qui tourner leur cœur.
Ainsi, comme souvent avec Ssaadjith, nul ne devinait où démarrait la facétie, avait-elle seulement commencé d’ailleurs, et quand elle trouvait une fin. La gravité restait chez lui voilée dans le berceau de la farce, recouverte de la même étoffe gestuelle et verbale, la même malice éblouissante. Par de simples mots sur un fâcheux sujet, il amenait l’émotion vive chez ses congénères, un bouquet de cruelle évidence. Le débat pouvait bien être sérieux, quasi mortel, ses écarts et son attitude n’en seraient que plus fantasques et osés.

La braise qu’il avait jetée, il la laissa ainsi croître pour devenir un feu rageur autour de lui. Il laissa le soin à ses interlocuteurs de s’émouvoir. Il y eut d’abord Nahui, dont la colère se répercuta à des lieues à la ronde et sur sa silhouette qui enfla dans le ciel, jusqu’à atteindre la taille d’un géant. Shyven aussi s’interposa contre ses mots, mais son discours fut altéré par l’intérêt que porta très vite Ssaadjith à la dame d’argent. Dans ses pensées intérieures, les paroles furent reçues de bien nébuleuses manières tant c’était ce pouvoir de gigantisme qui le fascina. Et lui arracha une convoitise dévorante. Lui aussi voulait devenir une immense silhouette immaculée dans les écharpes de brume d’une île !

Cette dragonnette devait avoir de l’allure vue de loin, mordicus ! A l’inverse lui était minuscule. Pourquoi diable ses parents ne lui avaient-ils jamais appris à faire de même ? Escomptaient-ils que Ssaadjith grandissent de lui-même ? Cela prendrait des siècles ! Il n’avait pas des siècles à dédier à sa croissance si on pouvait s’en occuper avec la magie. Il faudrait plus tard remédier à ce problème. Il s’apprêtait à leur répondre en des termes éminemment bien dressés, quand il reçut une paire de calottes volages de la belle Quartzécaille. Celle-ci paralysa son esprit aussi sûrement que le venin perfide d’une roona. Le coup de théâtre fut pour son père qui s’éveilla enfin de sa léthargie mais qui, Ô malheur tapissé de disgrâce, décida de porter sa colère sur lui. Si le dragonnet d’obsidienne pouvait ignorer toutes les autres altercations qui tourmentaient sa somptueuse personne, les paroles de Verith le tirèrent de sa fascination pour l’argenté et surent lui faire goûter à un savant mélange de peur et de retenue. Le malicieux regard du petit d’obsidienne s’assombrit. Son père n’attendait pas de réponse. Il stagnait, l’allure égale, la mâchoire dure et les écailles un peu trop rouges à son goût. Il n’était pas très causant en cet instant, mais il y avait silence et silence, et Ssaadjith savait que ce mutisme-là était le plus éloquent. Hélas, les funérailles allaient bel et bien s’orner des tribulations ennuyeuses de la gravité et du deuil. Du moins jusqu’à ce qu’il invente une nouvelle polissonnerie.

Quand même, à son âge, défier quatre dragons et un prince noir en même temps ! Voilà qui n’était guère prudent !

Mais que ce fut pour fuir l’ire paternelle ou pour éviter de se faire brûler le postérieur par sa mère, le dragonnet d’obsidienne décida que vagabonder l’espace d’un instant au théâtre des introvertis pouvait être bénéfique. Après que son père se fut excusé auprès de Nahui et son vampire-lié, il enjoignit ses deux fils et Shyven à monter sur son dos. Les dragonnets escaladèrent le dos du Colérique et Ssaadjith fit une petite place pour sa nièce, entre son frère et lui. La sécurité avant tout ! On ne savait jamais ce qui pouvait arriver dans les hauteurs et la demoiselle avait des raisons d’être étourdie.

Restant silencieux depuis cinq bonnes secondes déjà, il décida également que la punition était terminée et qu’il pouvait de nouveau prendre la parole. Alors que les ailes rougeoyantes les emportaient dans le ciel, il voulut en vérité faire un effort et tourna la tête en direction de Shyven :

-Je flaire que le bec et les serres de mon récital devront attendre l’accalmie. Dommage, je n’aime point la prose qu’elle soit en cadence ou en petits galops indécis. Enfin laissons cela, il y avait quelque chose - ah oui la nuée - dont je voulais te faire part. Ait connaissance qu’avant même de naître, mon frère et moi errions dans une euphonie de songes dont nous étions fort avares. Il s’est agi d’un havre partagé, que nul sinon nous ne pouvions comprendre. Gemme-écaille pour l’un, cœur d’obsidienne pour l’autre, nous nous laissions glisser dans maintes péripéties oniriques à entreprendre.

Son museau se changea en une grimace madrée au souvenir de certaines aventures. Le firmament s’obscurcit. Un bref coup d’œil au-delà des écailles rubis suffisait à étourdir, vallons et forêts s’amenuisaient en lignes convergentes vers un point de fuite enraciné dans une île. Mais c’était le panorama qui attirait les sens. Depuis cette aire d’aigle, on contemplait aisément le ciel, démesuré et bas, convulsé de nuages en débandade ; une houle retorse, marine et grise, que tranchaient ça et là les silhouettes de quelque oiseaux. Sous cet océan en marche, le monde s’étirait à l’infini, vers le lointain duveteux et sombre :

-En cette ère, j’ai d’abord cru que je tenais à lui parce qu’il était mon frère. C’est bien plus tard que je compris l’évidence de mon écart. Aucun cordon familial ne retenait en nous cette idée vassale. C’était dans notre chair, nos os et notre sang que résidaient la réponse du mystère. Devant le monde vaste et lent, nous découvrîmes que la somme des choses que nous avions vécu en rêve n’équivalait pas au tressage de ce bloc de viande et d’âme, de loin plus important…

Les dômes des collines s’étalaient dans l’indifférence de leur vol, hérissée de forêts drues. Les vallées s’étranglaient sous leur passage. Ssaadjith secoua la tête et redevint l’instant d’après le dragonnet d’obsidienne à l’air pincé et joueur, bien qu’il poursuive studieusement son récit :

-Ou peut-être était-ce cette somme d’évènements qui nous avait fait prendre conscience de notre besoin de sentir l’autre. Qu’importe, je le dis oui, qu’importe alors la distance navrante qu’était la nôtre. Qu’importe que nous volions ensemble ou à contresens, que nos pensées dérivent vers d’autres confins. Ce qui reste et demeure sera toujours cette qualité d’harmonie, largement suffisante car elle supplante l’écho de nos divergents chemins.

Le dragonnet d’obsidienne se leva et fit face à Shyven. Il lui murmura très distinctement :

-Tout ceci, je le déclare et signe pour te tenir un propos accordé. Oui je suis d’accord avec ta proposition d’équipée ! Nous avons besoin de nous soutenir mais pas comme tu l’entends. Nous en avons le bénéfice par les dangers qui menacent notre vaillant régiment. Les peuples bipèdes se liguent contre nous ! Autrefois nous faisions s’effondrer leur mur, ils tremblaient de notre courroux. Désormais, leur cœur est formé d’un autre rempart cuirassé : une magie puissante qui dépassera bientôt de loin ce que nous pouvons affronter. A moins que nous réussissions à les pervertir et à influer judicieusement leur caractère. Pour cela, nous devons devenir plus forts pour que notre Voix ait un poids comme autrefois sur cette terre. En revanche, cependant, nonobstant, nul besoin d’être une nuée unie toutefois. A la lumière de notre destin bien sombre, nous sommes déjà condamnés à nous entendre, ne trouves-tu pas ? Par nécessité, par choix ou par le danger qui couve notre race. Aucun dragon, et oui pas même moi, ne voudra être seul lorsqu’apparaîtra la menace. Alors jouons de notre séparation soudaine. Reçois-nous avec la clairvoyance prodigieuse de notre fin prochaine. Trace ton horizon, petite rose du printemps, nuée ou pas, et laisse de côté tes espérances vagabondes. Il ne faut point oublier de se délecter un tantinet parfois des mélodies secrètes de notre monde.

Ce furent certainement les premières paroles sincères qu’il eut pour Shyven ; peut-être même les seules qu’il eut jamais d’aussi vraies envers elle. Un avertissement avant tout, mais aussi une invitation au soutien. Evidemment, c’était une parole intéressée. Là où il jetait une invective et où d’autres s’époumonaient de corps et de cris autour du lien, sa véritable pensée était tournée vers l’avenir et sur la balance des forces dans l’archipel. Comme il l’avait toujours cité, les elfes gardaient leurs morts en mémoire ou les conservaient dans un dôme de glace ; les humains, les vampires, les Sainnûr ainsi que les Graärh les brûlaient. Lorsqu’un dragon mourrait, les uns dansaient sur son cadavre tandis que les autres festoyaient de son sang. Quant à son crâne, il venait orner le mur de quelque empereur nauséabond dans son château royal. Voilà où résidait le véritable danger pour leur race.

Peu lui importait le lien en réalité. Un dragon était toujours un dragon. Mais au vu du nombre des leurs qui avait péri ces derniers temps, il semblait évident que tout leurs efforts devaient se tourner vers leurs assassins. Or, lien ou pas, la responsabilité de toutes ces tueries était à attribuer aux bipèdes. Eux pouvaient défier leur pleine autorité sur le monde. Que les Liés soient sincères ou non sur leur philosophie n’y changeraient rien. Les bipèdes devaient être matés et demeurés leurs esclaves à jamais. En cela, seule leur propre alliance qu’elle soit physique ou mental, permettrait la réussite de ce projet et la sauvegarde de leur espèce. Il en allait de son avenir. Rien de patriotique là-dedans. Mais s’il voulait devenir un puissant seigneur de guerre et marquer les mémoires, il lui fallait rester en vie. Et pour cela, nul ne servait de fuir et rester le dernier de son espèce. Il était plus facile de se liguer contre un seul dragon que contre lui et le danger projeté d’une vengeance draconique !

Une nuée n’était pas forcément envisageable et son père non plus n’y croyait pas. Mais, les rouages de l’esprit Ssaadjithien se mettant en marche, une collaboration même fragile aurait de quoi renforcer leur influence au sein de l’Archipel. Et quelle puissance ils déploieraient si une alliance se formait ? Plus aucune créature du monde n’oserait lever la patte sur l’un d’entre eux, tant l’aura de leurs pusillanimes représailles les dévierait de cette idée douteuse. D’ordinaire, le dragonnet d’obsidienne n’aimait pas dépendre de la bonne volonté d’autrui, mais il y avait parfois des évènements qui caressaient son penchant pour une coopération solidaire. Il voyait des choses, des trouées dans le cours de l’histoire qui lui murmurait les bénéfices qu’une harde draconique aurait sur sa vie. Être en sécurité par la présence des autres, cela avait certains avantages. Ce dont son père ne saurait le protéger, d’autres pourraient le faire. Quant à lui, il serait leur héraut incontestablement et ferait de sa sublime voix un vent annonciateur pour élever leur harde au rang de légendes. A l’instar d’une troupe de théâtre se préparant à faire sa tournée ! Oh oh mais que voilà une bonne idée ! Ils seraient connus dans l’archipel tout entier et personne ne serait assez fou pour les défier.

Voilà qui lui serait bien profitable. Cela lui convenait assez. Il fallait maintenant que le temps avance et que tous prennent conscience de cette nécessité.

Ils se posèrent sur l’île qu’ils avaient aperçue de loin. De terre et d’eau, une partie semblait émergée tandis que l’autre s’enfonçait dans de profonds rivages, sans que l’une ne domine vraiment l’autre. Bigorneaux et coquilles de grande taille faisaient la part belle au sable noyé, mais rien qui ne s’étendait plus que de coutumes. Tout ceci était d’une étrange beauté sous la lune pleine. Leur feu serait fort ici.
Balloté par le vent, la silhouette maigrelette du corps de Kaalys fut déposée près de monceaux de bois qui faisait penser à un bûcher. Ironiquement, ces funérailles ressemblaient à s’y méprendre à une fin royale. Il était temps pour Kaalys l’écaille de Nacre, la Blanchâme, de s’en aller vers de nouvelles étoiles.

Ailleurs, les fruits de son petit discours d’antan amenèrent sur la question du lien de nouveaux pépins. Un peu trop mûrs, il fallait le dire tant cette recette avait déjà été revisitée. Comme souvent, l’œuvre avait dépassé l’artiste. Si les piques qu’on lui avait envoyé naguère et le regard malveillant du vampire à son encontre avait éveillé son excitation, force était de constater que nul n’avait envie de sortir les griffes. En cela, cette discorde devenait sensiblement ennuyeuse. L’histoire du lien était cousue d’innombrables palimpsestes. Quel était l’intérêt de tant de controverses si cela ne servait pas à verser un peu de sang ? Il n’avait jamais voulu entendre des discussions en longueur ! D’autant plus qu’après des siècles de débat, aucun n’avait jamais vraiment réussi à avancer ses positions sur les autres. A quoi bon croire que quelque chose allait changer maintenant plus que naguère ?

A dire vrai, la seule chose que Ssaadjith avait découvert aujourd’hui, c’était que bien qu’étant stupides d’avoir offert leur liberté à une chaîne magique qui les enserrerait même par-delà la mort, ces dragons-liés pouvaient avoir leur utilité. Et ils étaient charmants par-dessus le marché. Le dragonnet d’obsidienne avait lapé de sa langue râpeuse le goût sucré de leur colère, de leur élan passionné pour leur bipède, et il avait apprécié la force de leur caractère bien trempé. Cela apporterait un brin de joyeuseté à de futures conversations.

Son père leur proposa ensuite de faire un hommage. Le vampire passa, suivi de sa mère et le manège se prolongea à l’infini. Le dragonnet d’obsidienne bailla fort, jusqu’au nadir de son dégoût. Il y avait de plus belle chose à faire que d’entendre parler de quelqu’un que l’on n’avait pas connu, avec vue sur son trépas. De par la mélancolie qui la touchait, Shyven semblait, bien plus qu’eux, en solide forme, infiniment plus que lui en tout cas.

Son hommage, Ssaadjith décida ainsi de le faire à sa façon et dans son intérêt. Il l’accomplit en posant une aile réconfortante sur l’échine fine de Shyven. Il lui fit un clin d’œil et commença à sourire en fronçant les écailles de son museau. Il voulait faire en sorte que la dragonnette accepte entièrement son état d’esprit et pour cela, il avait besoin de se montrer avenant avec elle. Son silence, ou plutôt son absence de folie, était par la même occasion bien bavard. Il était clair que dans cette assemblée, on ne l’aimait pas beaucoup, aucun lié ne l’appréciait, et ni son absence d’égard et ses manières brutales ne pencheraient la balance en sa faveur. Mais l’on pouvait, si l’on y prenait garde, être réceptif au mutisme tranquille qui s’était emparé de lui. Il était exceptionnel et il était judicieux d’en profiter.

La mort de Kaalys, désormais, avait totalement disparu de son esprit. Les émotions et le doute qui s’en dégageaient avaient fondu dans l’opération. Certes, le dragonnet d’obsidienne était touché, mais il n’avait rien changé de son caractère instigateur. Et bien qu’il ne le montrerait pas et ne l’avouerait jamais, il savait que l’avenir n’existerait qu’avec les dragons réunis ici.

Et eux seuls.

Tout à coup, une lueur orangée traversa la frontière de son champ de vision. Elle remonta dans le vert de ses yeux et y imprima la marque forte d’une surprise flagrante. Il se passa alors quelque chose auquel le dragonnet d’obsidienne ne s’attendait pas. Du bûcher funéraire, une gerbe de flammes surgit et s’accapara le corps du défunt. Les yeux écarquillés, le dragonnet d’obsidienne crut que bien trop perdu dans ses manigances, il n’avait pas entendu l’ordre du dragon rouge pour faire feu. Deux choses voguèrent au milieu des flots turbulents de son esprit :

Zut ! Il avait raté le moment le plus divertissant de ces funérailles.

Vite ! Il fallait surenchérir !

Si la série d’étincelles aurait pu lui mettre la puce à l’oreille, l’envie de montrer la beauté de son talent incendiaire fut trop tentante. Il rugit alors avec toute la fougue de son jeune âge et d’un jet un seul, vomit un fantastique torrent de flammes. Une aile toute entière du trépassé se retrouva happée dans un éclat verdoyant. Les flammes mordirent dans ses écailles, faisant rougeoyer ses chairs. Le halo incandescent qui s’empara de la dépouille redoubla, tripla même d’intensité. C’était que s’il était le dernier, Ssaadjith avait bien envie de conclure avec la plus belle de toutes les flambées. Il cracha encore quelques gouttes de braises avant de secouer la tête. Il cligna des yeux et se retourna vers l’assemblée. Mazette ! Pourquoi donc restaient-ils tous immobiles ? Y avaient-ils une dernière révérence à exécuter pour clore la chose ? Ssaadjith la fit assurément, car cela lui était bien agréable. Mais cela ne changea rien à l’affaire.

-Ahem…

Puis il vit la traînée auréolée de lumière ardente dépassant du museau de la Liée pirate, vit l’œillade consternée de sa mère. Il comprit soudain par un savant mélange d’intelligence et de son habitude des fautes trop longtemps dissimulées. L’usage, lui parut-il, était d’afficher une expression horrifiée et d’adopter un ton empli de gêne. Il se retrouva toutefois embrasé par une bordée d’éclats de rire qu’il fut incapable de réprimer :

-Haha ! Des années ! Vrai de vrai ! On s’en souviendra pendant des années ! J’en ai la Nuée, oups, je veux dire la nausée ! Qu’à cela ne tienne, mes flammes sont plus impressionnantes à admirer, je vous en prie, contemplez !

Et sur ces mots, le dragonnet d’obsidienne attendit fièrement la seconde gifle mentale qui n’allait pas tarder à survenir.

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Nahui était une dragonne très occupée.
Une part de son esprit maintenait un contact constant avec Shyven. Juste une présence, solide, un pilier sur lequel s’appuyer. Doucécailles n’était pas seule et, Nahui vivante, ne le serait jamais. Toujours elle aurait une aile pour la protéger du blizzard du monde.
Elle était également très occupée à garder une autre part de son esprit contre Aldaron qui, face au présent de celui qui avait forgé son passé, portait un fardeau bien lourd pour les étroites épaules d’un bipède, si merveilleux soit-il. Aussi avait-elle réduit sa taille, préférant à sa fierté mâchouiller, aussi délicatement que possible, la crinière d’Aldaron, en marque de soutien. Elle lui avait promis qu’ils trouveraient, ensemble, un moyen de libérer les âmes ici entravées.
Enfin elle était très occupée à converser avec Kaiikathal. Cela l’aidait à maintenir les forces dont elle avait besoin pour soutenir ceux qu’elle aimait. La Marche-Tempête avait un esprit inébranlable ainsi qu’une conversation des plus plaisantes. Non pas que tous les grands discours et toutes les chamailleries diverses au sujet du Lien manquassent d’intérêt aux yeux spirituels de Nahui, mais… À quoi bon essayer de convaincre par les mots les sourds-de-l’âme ? La fille des neiges savait avoir raison. L’avenir la montrerait victorieuse en temps et en heure.

Alors que les adultes devisaient d’affaires sombres, les deux jeunes dracènes éclairaient les lieux d’hypothèses épiques. Ce que Nahui offrait à Kaiikathal n’avait rien à voir avec ce qu’elle présentait à ses aimés, ce soutien d’acier, ou à ceux qui l’entouraient, pour qui elle restait de glace. Un engouement sincère avait répondu à la proposition de la Liée des flots. Bien vite, elle lui en fit comprendre la raison : ce qu’elle évoquait, non seulement les Liés des cendres l’avaient déjà imaginés jadis, mais plus encore, c’était là un de leurs actuels projets. Pour être honnête, c’était surtout son projet. Aldaron avait une subtile tendance à s’éparpiller au milieu de bipèdes considérations. Faute d’images, ce fut sous forme de concepts et d’émotions que Nahui transmit ses rêves à son amie. Elle lui présenta les cieux comme un territoire infini, chaque proie de ce domaine vouée aux dragons. Chaque dragon fort, invincible, écailles durcies d’une croissance impeccable, esprit renforcé par la force que l’union permettait. Les bipèdes non-Liés les observant avec la révérence qui leur était due. Verith ronchonnant dans un coin, Shyven et Kaiikathal aux côtés de la tête de Nuée. Des bavettes à foison, des poissons qui bondiraient directement dans le gosier de Liée-des-Mers…

Les narines de Nahui se dilatèrent. Cette odeur… Ce n’était pas une bavette. Elle avait donc bien “vu”. Kaiikathal avait embrasé l’instant et le corps du défunt. La dragonne aux yeux de magie avait-elle manqué quelque signe de départ ? De la gêne de sa congénère, elle déduisit le contraire. Nahui invoqua alors ses meilleures réserves en matière de contrôle de soi pour conserver, au moins en apparence, cet air grave qui seyait à la situation, et comblait la solitude de Shyven. Intérieurement, elle ricanait, amusée du manque de contrôle de celle qu’elle estimait pourtant si forte. La consternation de Liée était également risible. Même si elle ne pouvait rien lui cacher, Nahui faisait de son mieux pour continuer de lui offrir ce sentiment de compassion qui l’habitait toujours, par leur seule présence sur cette île. Avec la plus grande neutralité, elle s’essaya à rassurer Kaiikathal. C’étaient là des choses qui arrivaient. Il fallait commencer à un moment ou un autre, quoi qu’il en fut.

Sans doute aurait-elle dû remettre à sa place, de nouveau, l’impertinent qu’était Ssaadjith. Elle n’en avait pas envie, pas alors qu’il était le seul à partager son émotion. Toute à ses travaux mentaux, elle n’avait guère compris ses maux, tout juste leur intention. Aussi ce fut à lui seul qu’elle envoyait cette pensée, sur le ton du secret :

“- C’est vrai que c’est amusant.”

Jamais elle ne l’avouerait, bien sûr. En attendant, dans une tentative de sauver les meubles, ainsi que la santé psychologique -et peut-être physique- de tous ceux présents, Nahui prit une grande inspiration. À la cantonnade, elle transmit un concept, sobre :

”- Ensemble.”

Un filet de flammes, précis, s’échappa de ses lèvres vers le corps de Kaalys. Elle n’était pas bien douée de ses flammes, ne les utilisant en temps normal que pour carboniser des villes entières. Il n’était guère question de qualité pour l’heure. Il était question d’être présent, pour ceux qui vivaient.

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Nynsith écouta en silence les échanges, sans se donner la peine d’intervenir, tout comme Entroxucec qui s’était repliée sous l’ombre de son aile gauche.

~ Si les relations entre Lié et non-Liés sont si tendues, pourquoi toi et ta famille ne quittez-vous pas l’archipel? ~

~ Si seulement c’était si simple… Mais des actions ont été posées par le passé, des décisions ont été prises, et pour l’heure, nous devons rester et cohabiter de notre mieux. ~

~ J’aimerais voir le continent sauvage un jour. ~

L’Océane eu un pincement au cœur à l’idée de peut-être ne plus jamais y retourner. Voilà un peu plus de quatre ans qu’elle avait quitté sa terre natale avec sa mère afin de rejoindre Verith sur Ambarhùna. Seulement quatre années, mais si chargées qu’elles semblaient plus longues que les huit précédentes.

~ Peut-être un jour y retournerons-nous… ~

Mais dans l’instant présent, l’Affamée assistait aux funérailles d’un compère de race avec lequel elle ne s’était jamais entendue, et comme pour faire écho à cette liaison précaire, les autres Dragons également laissaient savoir qu’ils ne s’entendaient pas, malgré les efforts naïfs de Shyven. La tension redescendit tout de même durant le transport du corps vers un lieu qui n’allait pas être accessible des bipèdes, ou presque. La présence du mort-vivant parmi eux, bien qu’elle soit tolérée par Verith et donc par les autres, restait dérangeante pour Nynsith. Et comme si cela ne suffisant, lorsque tous furent arrivés à l’île, une embarcation bipède se manifesta également, portant à son bord des échos d’outre-tombe. Surprise, la Dévoreuse observa la manifestation physique du Lien, écoutant également les mots d’Aldaron, bien qu’ils fussent adressés à Verith.

~ Il faut être à l’intérieur pour le détruire. ~ se répéta-t-elle en regardant les filaments être déchirés.

Elle écouta aussi les paroles de sa mère qui étaient empreintes d’une sagesse qu’elle-même n’avait pas encore.

~ Il ne faut pas que la mort de Kaalys soit vaine. ~ se dit-elle en portant son regard sur chaque individu présent.

Kaiikathal, qu’elle n’avait croisée que lors des funérailles d’Aïasil, n’hésita pas à se faire entendre à son tour, malgré sa jeunesse.

~ Les souvenirs peuvent avoir raison de nous. ~ songea-t-elle tandis que les premières flammes embrasaient la carcasse de Kaalys.

Oui, le souvenir de sa possession avait certainement eu raison d’elle, le simple fait que Shyven par sa présence lui cause un malaise constant en était l’exemple le plus parlant. Et si, là aussi, la mort de Kaalys pouvait ne pas être vaine? S’il était mort autrement, elle ne l’aurait certainement jamais perçu, mais voilà qu’elle s’était présentée, sachant d’ores et déjà ce qu’elle allait subir.

« Ce serait mentir de dire que je m’entendais bien avec Kaalys. Nos avis divergeaient et auraient toujours divergé. Mais face au pire, c’est son cœur qu’il suivait. Et c’est l’amour qu’il avait pour celles et ceux qui comptaient pour lui qui lui a permis de tenir… Jusqu’à tomber. Cela, je peux le respecter. »

Nynsith tourna légèrement la tête et porta ses yeux sur la petite Opale.

« Je te promets que sa mort ne sera pas vaine. »

Pour la première fois, elle était sereine en observant sa fille. Ramenant son attention sur le cadavre de l’ancien Nacré, elle ouvrit la gueule pour mêler ses flammes bleues aux autres.

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Les discussions continuèrent d’aller bon train, pour une Shyven qui n’avait plus vraiment à cœur d’écouter les opinions de tout un chacun sur le lien, l’ordre métaphysique du monde et tout ce qui s’ensuivait.

Elle avait dit ce qu’elle avait à dire, et à présent elle se tairait. Peu importe ce que les autres en penseraient. Le cœur endeuillé de la dragonne était encore bien trop lourd pour assumer un véritable débat sur le lien, et toutes les questions importantes qui encerclaient cette thématique.

Le débat s’avérerait nécessaire cependant, avec les décisions qui allaient avec. Si tous n’étaient pas d’accord sur tous les termes d’un accord dans cette assemblée, tous étaient au moins d’accord sur le fait qu’ils ne voulaient plus revivre ça. Parce qu’il faisait froid, parce qu’ils s’ennuyaient, parce qu’ils voulaient protéger les dragons, parce qu’ils haïssaient les bipèdes et ne voulaient plus jamais avoir affaire avec eux … Ou tout simplement parce qu’ils avaient le cœur brisé.

Le massacre des dragons qui avait eu lieu en ces quelques mois devait à tout prix s’arrêter, et Shyven était persuadé qu’ils ne gagneraient rien à être divisés comme ils l’étaient aujourd’hui. C’était au contraire un pas de plus vers Mort qui les guettaient. Mais après tout, ce n’était pas le jour pour prendre des décisions. Shyven était certes convaincue de certaines choses, mais elle savait également que prendre des décisions sur le coup de l’émotion était quelque chose que faisait souvent les bipèdes, et qui ne leur avaient pas toujours réussis.

Il fallait plutôt que ce jour serve de choc, et de prise de conscience pours tout ceux présents, car ils étaient tous plus ou moins concernés par le sort des dragons. Chacun d’eux devaient réfléchir à ce qu’ils voulaient vraiment pour leurs races. Ils devraient faire cet effort, pour éviter des ennuis plus grands, plus tard. Certains écailleux partageaient son avis, d’autre pas. Tous autant qu’ils étaient, étaient cependant attachés à ce Monde qui les avaient vu naître et grandir. Car dans chaque âme de dragon qui existait sur ce monde, résidait un fragment de divin. Un fragment de divin qui les poussaient à avoir un regard de dominateur ou de protecteur sur ce monde, ou bien souvent un peu des deux.

Quand un dragon mourrait, c’était un Gardien silencieux de l’Équilibre de ce monde qui périssait avec lui, et qui rendait encore plus vulnérable les autres qui co-existaient avec lui.

C’était d’abord et avant tout ce message que Shyven souhaitait faire passer à tous. Kaalys était certes son père, mais il portait en lui des responsabilités que chaque dragon endossait. Des responsabilités intrinsèques à leurs races que chacun portait différemment, et qui devaient les unir.

Ssaadjith avait beau être très arrogant et stupide parfois … Mais la dragonne d’opale savait qu’il faisait tout cela pour qu’on se souvienne de lui, dans tous les sens du terme. Le dragon noir était suffisamment intelligent pour comprendre que le Monde avait besoin de lui, alors il avait dû simplement décider que lui aussi devait avoir besoin de ce Monde pour subsister. Verith avait beau être souvent très en colère, il avait montré à plus d’un titre que la nature profonde de son combat était aussi dans la survie de son espèce et de ce monde. Il ne se donnerait pas autant de mal dans ses recherches sur le Lien si cela n’était pas le cas.

Shyven pensait que ces arguments se tenaient pour chacun d’entre eux, en vérité. Tous ici avaient une raison profonde de vouloir subsister, et surtout de faire subsister ce qui les entouraient. Cependant, ils étaient tous aveuglés par ce qui était pour eux, la meilleure façon de le faire.

Shyven eut un bref instant un sourire qui s’étira sur son visage. Il était amusant de constater que même si les dragons étaient en tous points différents des bipèdes, à quel point parfois ils pouvaient se ressembler. Car cette lubie d’avoir la bonne réponse, et de suivre la bonne personne, était quelque chose d’assurément bipèdique. Les dragons n’avaient pas besoin de guides. Ils étaient suffisamment fort, seuls ou bien avec leurs liés, pour se créer leur propre destinée.

Vint le moment où chacun devaient joindre son feu pour brûler Kaalys, qui fut cependant bien rapidement provoqué par une Kaiikathal qui semblait toute honteuse, et à l’inverse un Sssaadjith qui semblait bien trop heureux de pouvoir faire l’intéressant une fois de plus.

Néanmoins, de cet élan maladroit, en découla une foule de sentiments sincères, et quelques paroles de sa mère, que Shyven entendit lui parler ouvertement, sans qu’elle ne soit elle-même à l’initiative de quoi que ce soit.

« Je te promets que sa mort ne sera pas vaine. »

C’était court, mais à ses yeux, cela valait tous les trésors du monde. Si même Nynsith, sa mère, qui avait toujours nié l’existence même de Shyven à cause du traumatisme des chimères qu’elle représentait, était réussi à passer outre pour aussi prendre conscience de cela, alors tous ceux présents pouvaient aussi le faire.

Rengaillardie par cette heureuse nouvelle, et par toutes les touches de sentiments et d’actions sincères que tous avaient entrepris jusqu’à lors pour permettre à Kaalys de reposer en paix, elle pris une grande inspiration et vint joindre des flammes aussi roses qu’elle au torrent déjà en cours de déversement.

Des larmes draconiques, ces-mêmes larmes que l’on disait capable de nombreuses vertus, coulèrent le long de son corps. Dans le flux d’émotions elle trouva encore la place pour quelques mots :

« Tu auras été mon guide pendant tous ces mois que nous avons partagé ensemble. Je t’aime, Papa. Il ne se passera pas un jour sans que je ne pense pas à toi, et que j’essaie de te rendre fier de moi comme tu l’as toujours été, contre vents et marrées. »

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¤ Prémices ¤

On put entendre les crocs de Verith grincer à force de se frotter l’un à l’autre sous la forte colère qui vint l’envahir lorsqu’un navire surgit des eaux. Il avait toléré la présence d’un bipède, d’un lié, mais il ne fallait pas pousser non plus. Des petites fumées noirâtres s’échappaient de ses naseaux. Il luttait intérieurement pour ne pas déchainer ses flammes non pas sur le cadavre de Kaalys, mais bien sur le navire inconnu. Les fumées devinrent flammèches lorsque le rouge reconnut le bipède qui s’avançait vers eux. Le colérique ne peut retenir son mécontentement, du moins mentalement, puisque ses pensées fusèrent dans la trame alentour. Comment osait-il ? Comment osait-il se présenter ici ? Comment osait-il encore marcher dans le monde des vivants ? N’y avait-il donc pas de limites à l’indécence de ce bipède ? Voilà déjà deux dragons liés à lui qui trépassent et lui est toujours là ? L’une des pattes du dragon de l’ire vint commencer à creuser des sillons sur le sol où il se trouvait, se retenant de faire partir un coup de pattes qui enverraient valser tout ce beau petit monde. Verith pouvait sentir l’esprit de sa douce contre le sien, tentant de le retenir. Retenir un volcan en éruption ? Voilà bien une chose difficile, sinon impossible à faire. La voix de Dwëmmer résonna alors dans son esprit. S’il voulait détruire cette chose, soit, il pouvait le faire, il en avait le pouvoir, mais pas maintenant. L’araignée mécanique réussit à convaincre le colérique de glisser en elle une partie de son ombre. Elle irait se rapprocher du navire en prétextant vouloir observer de plus près et permettrait ainsi d’aller déposer un morceau de l’ombre rouge sur le navire. Il aurait alors tout le loisir de passer ses nerfs plus tard. Ravalant sa rage, l’enfant de l’orage accepta. Mais ce qui allait suivre fit vriller son esprit, dans le bon sens du terme, puisque cela vint profondément changer l’intérêt du rouge … autant que cela put le dégouter.

Sous les yeux de tous, Aldaron usa de cette magie impie que l’on nomme le lien. Et à la surprise de tous, il parvint à sectionner celui-ci, libérant l’âme de Kaalys de celle d’Achroma. Le colérique cessa de grincer des dents et observa avec une rare intensité le vampire, écoutant avec attention ce que celui-ci pouvait dire. Si tout ce qu’il pouvait dire en qualifiant le lien d’assassin était vrai, la vérité finale était encore plus implacable et il venait d’en faire la démonstration : pour détruire le lien, il faut être à l’intérieur. Verith manqua de s’étrangler en avalant cette information véridique. Lui qui désirait détruire le lien n’avait-il d’autre choix que d’en passer par là ? Devait-il à ce point se salir pour y parvenir ? Non ! Il devait forcément y avoir un autre moyen. Les mots du bipède résonnèrent en lui.

« Lorsque l’on allume un feu et qu’on le laisse sans surveillance, il ne faut pas se plaindre que celui-ci incendie la forêt. »

Telle fut la réponse du rouge à Aldaron lorsque celui-ci lui remémora l’incident de la dague. Edwyn et Vie, par leurs actes, par leurs paroles, par leurs trahisons, avaient allumé le feu. Verith était-il l’instigateur de la destruction de la dague ? Il n’avait jamais ourdi sa destruction. Pas plus qu’Alford. Le dragon et le bipède avaient été spoliés par les actes du Tarenth et des Déesses. À quoi ceux-ci s’attendaient-ils ? Qu’ils demeurent sans agir ? Non. L’injustice réclame réparation. Verith n’avait jamais ourdi la destruction de la dague. Il voulait forcer Edwyn à venir à lui. Les Déesses, une fois de plus, sottes qu’elles étaient, se sont évertuées à prendre à la défense d’un homme qu’elles avaient elles-mêmes banni, un criminel selon leurs propres lois. Les mauvais choix, les mauvaises décisions des Déesses avaient une fois de plus conduit le monde sur un sombre destin. Ce n’était pas la première fois. Mais heureusement pour le monde, cela aura été la dernière.

« Achroma a oublié que l’on ne s’adresse pas à un dragon comme on le fait à un bipède. Des réponses ? Ceux qui en ont eu de moi le méritaient. Ils m’ont prouvé leur grandeur. Ancien serviteur de l’assassin de mon frère. Dragonnier encore en vie en dépit du trépas de Silarae. Il ne partait pas gagnant. L’humilité, voilà tout ce qui pouvait lui rester. Une infime lueur d’espoir. Mais il en fut incapable. Et aujourd’hui il est … presque mort. La Voie est exigeante. »

De petites flammèches s’échappèrent des naseaux du colérique alors qu’il écouta les dires de Keetech. Le rouge ne serait sans doute jamais d’accord pour accepter ou même reconnaitre une nuée composée de libre et de lié. Le lien et les bipèdes avaient causé des dommages qu’il jugeait sur l’heure irréversible.

« Tu t‘y prends déjà mieux que lui, Héritier de Larme d’Argent. Mais ne sois pas trop présomptueux de tes capacités. Si Achroma n’a pas réussi sans moi. Pourquoi y arriverais-tu ? Faire confiance … coopérer avec un bipède … une fois encore après le désastre que ce fut avec Edwyn ? Cela mérite réflexion. Mais dans l’immédiat, une affaire plus urgente m’occupe. »

L’enfant de l’orage tendit une patte en direction d’Aldaron puis la referma dans l’air. Son ombre venant croiser celle du vampire et lui arracher celle projetée par son auriculaire droit.

« Je reviendrais. Avec ma réponse. Toutefois, qu’une chose soit bien claire. Je n’ai jamais ourdi la mort des liés. Plus encore, quand tous ceux que j’ai pu rencontrer jusqu’ici n’étaient que des dragonnets. Sans quoi voilà bien longtemps que mes griffes seraient rouges de leur sang. Les bipèdes ont travesti mon message, y voyant là une ode à la violence. Ceux qui l’ont instrumentalisé, ceux qui ont ourdi la mort de Firindal et Cynoë n’agiront plus, j’y ai veillé personnellement. Bien entendu, tant qu’ils ne sont pas directement menacés par des liés, je ne nie pas à quiconque le droit de défense sa propre vie. Mais soyez assuré d’une chose. Je punis toujours la mort d’un dragon. Qu’il soit lié ou non. »

Le regard du colérique se tourna vers Kaiikathal qui semblait prendre son courage à deux pattes pour tenter de le défier sur le terrain idéologique.

« Je suis d’accord avec toi, Kaiikathal. La perte de Keetech, de Nynsith, de Ssaadjith ou de Nephilith me briserait le cœur … autant qu’il fut brisé par la perte de Cymbor, Estellen et Skade. Je suis prêt à reconnaitre que ton cœur serait brisé si ton lié venait lui aussi à mourir. La différence entre toi et moi réside dans le fait que ton âme le serait aussi. À l’inverse de moi, il te serait impossible de survivre. Si tu ne devais pas mourir sur le coup, tu porterais une plaie purulente qui jamais ne guérirait et qui, tôt ou tard, conduirait irrémédiablement à ton trépas. La comparaison avec un souvenir est bonne, mais oui tu es naïve si tu penses qu’elle équivaut à un lien brisé. J’espère que tu n’en feras jamais l’expérience. »

Verith surveillait du coin de l’œil son fils pour qu’il ne fasse pas de bêtise et écouta avec attention les paroles de sa fille. Nynsith semblait appuyé sur un point : il faut être à l’intérieur pour le détruire. Elle avait raison. Les propos du bipède étaient vrais. À l’heure actuelle, il n’y avait d’autre solution que d’être à l’intérieur pour le détruire. Verith espérait vraiment pouvoir éviter cela. Et préférait ne pas avoir à coopérer avec un bipède. Mais peut-être n’aurait-il pas d’autre choix. Encore plus quand ce bipède disait vouloir le faire avec ou sans lui. Le rouge craignait le pire dans ces paroles. Il serait capable de rendre le lien encore pire sans quelqu’un pour le surveiller.

Les discussions furent toutefois arrêtées lorsque Kaiikathal vint éternuer des flammes sur le cadavre de Kaalys. Le rouge lui lança un regard sévère, mais Ssaadjith ne tarda pas à faire de même. L’enfant de l’orage regarda son fils de la même manière avant de soupirer. Il indiqua à tout le monde de mettre le feu au cadavre de Kaalys sans attendre. Verith vint charger sa gueule de flamme et cracha une langue de flamme certes faible, mais bien plus chaude qu’à l’accoutumer. Il fallait au moins cela pour percer les défenses magiques encore présentes, bien qu’affaiblies, pour brûler les écailles et la chair d’un dragon.

Un petit silence s’installa alors que le crépitement du feu dévorant la carcasse du défunt lié s’élevait.

« Ainsi s’en va le dernier enfant de Silarae et Atalos. Puisse-t-il les retrouver de l’autre côté. Puisse-t-il rejoindre Aïasil et Löthilith, ses soeurs. »

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Les mots étaient posés, emplis de sincérités. Même si cela ne plaisait pas à tous, la dracène avait donné le fond de sa pensée sur ce sujet si épineux qu'était le lien. Il ne restait plus qu'à dire au revoir à Kaalys car c'était là, après tout, le sujet premier de cette rencontre draconique. Une rencontre comme Keetech espérait ne pas en revoir de si tôt, pas pour un si tragique événement. Sur cela, tous s'accordaient.

Ensemble, ils allumèrent le feu. Un feu qui les unissait tous. L'orageuse se pencha au-dessus du corps d'ébène qui tranchait tant avec la neige, au-dessus des plus petites d'entre eux, puis ouvrit la gueule. Une gueule garnie de crocs immenses de laquelle s'échappa, particulièrement fin et précis, un fin filet de feu. S'il y avait une chose sur laquelle Keetech avait un excellent contrôle, il s'agissait de ses flammes. Des flammes assez puissantes pour embraser les écailles et la chair de Kaalys, mais assez retenus pour ne pas le carboniser sur le champ. Pour laisser le temps à tous de dire au revoir.

Pour se laisser le temps d'une œillade pleine de remontrances envers son fils, toujours à faire - désespérément - le rigolo.

Et tandis que le corps de Kaalys disparaissait en fumée, Keetech tourna son regard vers sa fille, puis vers son compagnon. Elle aussi avait saisi les paroles d'Aldaron, comprit que le lien ne pouvait être détruit que de l'intérieur. Verith prendrait-il le risque fou de se lier pour y parvenir ? Et sa fille ? Pour sa part, Quartzécaille s'en savait incapable. Si elle tolérait les bipèdes davantage que son mâle, ce n'était pas au point de mettre sa vie entre les mains, en quelque sorte, d'un fragile mortel. Ou pour s'enchaîner elle-même.

« Tu n'y penses pas réellement, n'est-ce pas ? » S'enquit-elle auprès de Verith en souhaitant chasser ses doutes et ses craintes naissantes.

En attendant la réponse, un petit silence s’installa alors que le crépitement du feu dévorant la carcasse s'élevait. Un silence que Keetech vint rompre en tournant son esprit vers Shyven.

« Petite Opale. » Fit doucement la dracène en direction de sa petite fille alors qu'elle seule pouvant l'entendre. « Je tiens à te réitérer mon invitation. Si tu souhaites te joindre à nous, au moins pendant quelque temps, tu es la bienvenue. » Quartzécaille fit une courte pause, prenant le temps de poser ses mires sur la dragonne liée du Prince Noir qu'elle sentait très proche de Shyven.

« Toi et Nahui êtes les bienvenus. »

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Kaiikathal avait passé toute sa vie à introspecter, isolée dans le lit d’un fleuve, à contempler les fragments d’une mémoire brisée et incapable d’en saisir la signification ou l’importance. Elle avait suffisamment ruminé et subi pour qu’elle se soit, au moment où elle eut enfin percé sa coquille, déjà constituée un paradigme dans lequel elle avait bâti les fondations premières de ses propres concepts. Un songe étrange devenu image, celle d’une silhouette dégingandée et de son aura tortueuse à laquelle se raccrocher ; une vision, qui l’avait aidée, protégée, encouragée à surmonter les pires horreurs, le moteur inépuisable d’une volonté ferme de lutter - dans l’espoir qu’un jour, sa chambre de calcium et de minéraux rares s’ouvrirait sur un jour meilleur.
C’était des “Rêves”, ainsi qu’elle les appelait et d’où qu’ils viennent, qui l’avaient menée à la victoire et à la vie. Ainsi, et selon elle, nous entrons dans la vie quand notre “Rêve” commence.

“Tu auras été mon guide pendant tous ces mois que nous avons partagé ensemble. Je t’aime, Papa. Il ne se passera pas un jour sans que je ne pense pas à toi, et que j’essaie de te rendre fier de moi comme tu l’as toujours été, contre vents et marées.”

Que c’est bien formulé, pensa la dragonne en frissonnant. Elle poursuivit en son for intérieur, perdant en poésie :  Moi, je rendrai Nathaniel fier aussi, contre les ouragans et les tsunami.
Parce qu’il méritait la meilleure des Liées, celle qui pouvait  venir à bout de bien plus que des petites bises et des marées minables.

Kaiikathal suivit du regard les dernières volutes de son chef-d'œuvre s’évanouir dans la brise glaciale. Elle se garda de trop lorgner les restes cendreux de Kaalys, plus par égard des autres dragons qu’une preuve de respect envers le défunt, car elle se perdait souvent dans la contemplation de choses mortes. Elle se rappelait la fois où elle avait découvert le corps d’une baleine fortement dégradé sur une plage, et appri par la même occasion que ces imbéciles de cétacés étaient assez bêtes pour aller s’échouer d’eux-même sans même en avoir conscience, sauf lorsqu’il était trop tard.
Elle se souvint d'avoir mangé de cette baleine, et que ça avait goût boeuf.

Ce qui lui fit prendre connaissance du creux qui fendait son estomac. S’ensuivit un séisme gastrique au cours duquel toute la flore contenue dans sa panse cria famine. Outrée d’un tel bruit, Kaiikathal fit comme si elle rien entendu et déglutit quelques gouttes de salive avec la pensée vaine de lester son estomac (elle avait déjà essayé une fois, et ça avait marché). Contre toute attente, cela ne fit que redoubler l’acrimonie de son ventre, et tout le microbiote brandit les pancartes du désespoir affamé, prêt à faire la révolution dans ses tripes. Par tous les roulis de la mer, quand est-ce qu’on mange ? Et qu’allait-elle bien pouvoir se mettre sous la dent, dans cette lugubre contrée ? Même le vent était avide de la moindre miette de neige, rongeant perpétuellement le flanc des montagnes.
Elle ne réussit pas à chasser cette préoccupation de son esprit. Elle ne pouvait pas se permettre de s’attarder sur ce genre de questions pour l’instant, c’était inapproprié. Mais force est de constater qu’un jeune dragon endurait moins bien la faim qu’un congénère adulte, surtout à un moment où sa croissance était effrénée.

Que ce soit le ciel, la terre, l’océan ou les trois en même temps, sa prière fut exaucée mais de pas de la façon à laquelle elle se serait attendue. Une odeur de chair brûlée lui percuta les narines de plein fouet et elle eut un haut-le-cœur en comprenant d’où cela provenait. Cela lui coupa définitivement l’envie de retenter ses coups d'œil malsains.

“Ça sent la tétine par ici, je veux partir” gémit-elle dans l’esprit de Nahui tout en se lovant contre elle. En dépit de sa couleur, Nahui était le brasier réconfortant de nombre de présents ici. Kaiikathal accepta volontiers l’invitation d’Aldaron à se joindre à eux à Cendre-Terre : cela lui donnerait le temps de retrouver le moral, et son appétit qui ne tarderait pas à riposter une fois la cérémonie achevée.

Le corps se consuma entièrement dans un silence solennel qui ne lui seyait pas plus à elle qu’à cet écervelé de Ssaadjith, qui lui plaisait bien malgré ses airs hautains - peut-être parce qu’elle s’y retrouvait un peu.

“Quelles funérailles !” dit-elle a Nahui en accompagnant son jugement d’un éternuement exagéré qu’elle contrôla mieux que le précédent, afin de ne pas immoler sa voisine (ce qui aurait été très fâcheux, bien que romantique) “J’ai badé comme une carotte tiède. Les derniers honneurs, ce n’est décidément pas pour moi.”
Après quoi elle se retira dans son coin et attendit, laissant les autres faire leurs adieux, faisant jouer ses muscles estransinés par le froid.

Elle balaya le glacial paysage du regard et distingua du mouvement au loin. Rapaces, bouquetins et cervidés : des créatures éphémères défilaient au pied des montagnes éternelles.

Kaalys, dragon et Lié que les siens n’avaient jamais abandonné car il les avait aimés autant qu’il l’avait été, était parti. Kaiikathal préférait dire ici, en ce monde, qu’il avait quitté son “Rêve” pour rejoindre une autre demeure plus spirituelle. Quand il serait apaisé, Kaalys rêverait encore et recommencerait sa vie sous une forme nouvelle, comme elle l’avait entendu dire de certaines bouches, des croyances originales mais non moins pertinentes que toutes celles dont elle avait connaissance. Peut-être serait-il une mouche, un humain ou une moule…
Quelle importance. Le “Rêve” en déciderait.  
Pour elle, la vie n’existait pas. Il n’y avait que la conscience, qui se passait des limites.

Dernière édition par Kaiikathal le Mer 19 Jan 2022 - 13:24, édité 1 fois

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Outre le spectacle désastreux de la flambée de Kaalys, dont Aldaron avait détourné le regard, le vampire créa magiquement une gerbe de feu dans le creux de sa main pour l’envoyer rejoindre le brasier. Il était inutile d’user d’une puissante magie pour un feu que d’autres dragons crachaient très bien sans lui. Cette flammèche était sa participation symbolique au brasier. Il avait promis à Vaea de ne pas utiliser cette ressource à tort et à travers.

La réponse de Verith l’avait laissé silencieux, mais il n’en pensait pas moins. Le dragon rouge était imbu de lui-même et s’accordait sa propre tolérance là où ils condamnaient d’autres pour moins que cela. Il avait détruit la dague qui aurait pu tuer le Tyran Blanc. Et si on pouvait lui accorder de l’indulgence pour cet accident, il aurait été bon qu’il soit capable d’en offrir pour d’autres, plutôt que de les condamner. Achroma n’avait jamais ourdi la mort du frère de Verith et il avait été le double royal de Saeros jusqu’à ce qu’il parvienne à se libérer de lui. Il avait suivi le Prince Noir sous la contrainte… Tout comme il n’avait jamais demandé à revivre après la mort de Silarae. Plusieurs fois, il lui avait clamé ne pas avoir voulu de cette renaissance. Mais Skade était passée outre cette volonté.

Verith n’avait aucune indulgence pour les faux pas et les erreurs des autres, mais se comblait lui-même d’un pardon incapable de se remettre en cause. Il n’avait peut-être pas ourdi la mort des Liés, mais la haine ne conduisait pas à des bisous, des câlins et à l’amour de son prochain. Comment avait-il dit déjà ? *Lorsque l’on allume un feu et qu’on le laisse sans surveillance, il ne faut pas se plaindre que celui-ci incendie la forêt. * répondit-il alors. C’était fort à propos, oui, y compris à son propre sujet. Le verrait-il ? Il s’annonçait comme un vengeur, faisant justice des morts des Liés (alors que Naal du Néant était encore en vie), mais il en était le feu initial.

Comment pouvait-il le nier ? Comment pouvait-il encore rejeter la responsabilité sur d’autres ? Comment pouvait-il être à ce point incapable faire preuve de l’humilité qu’il réclamait à d’autres pour leurs erreurs, comme Achroma ? Était-ce si compliqué que cela d’admettre ses erreurs ? Avait-il un orgueil pire encore que les humains ? Son comportement le décevait. Il n’était capable que de juger les autres, sans clairvoyance aucune, buté, têtu. Et il se permettait de croire que c’était Aldaron qui avait besoin d’un chaperon ? L’ast ne niait pas en avoir probablement besoin : au fond, tout le mode avait besoin d’un garde-fou… Mais il aurait aimé que son garde-fou ne soit pas lui-même fou des biais qui le rongeaient et trompaient son jugement.

Les mots de Shyven firent reporter son regard sur les funérailles, et lorsqu’elles furent terminée, Nahui fut invitée. Il rappela à sa Liée qu’ils devaient partir pour Keet-Tiamat, mais il la laissa rejoindre Shyven au moins pour le reste de la journée. Après quoi, l’opale serait avec sa famille et même s’il y avait d’étranges spécimens dans le lot, il espérait qu’elle y trouve le réconfort dont elle avait besoin. Aldaron et Nahui étaient restés auprès d’elle autant que possible pour que la solitude ne la ronge… Il était temps de passer le relai. « Puisse le temps t’apporter l’apaisement, Shyven. » fit-il en s’approchant d’elle pour la saluer, avant son départ. « Chaque jour de bonheur que tu vivras lui rendra hommage. » Il inclina doucement la tête après avoir envoyé un ‘rentre pas trop tard’ affectueux à sa Liée. Il invita Kaiikathal à venir à Cendre-Terre pour se restaurer avant leur départ pour Keet-Tiamat.

Il dessina magiquement un portail qui le conduirait à sa capitale, puisque lui ne pouvait pas voler et que l’eau était bien trop froide pour qu’il rentre à la nage sans devenir un glaçon avant. « Achroma va sentir la déchirure du Lien et l’agonie sans jamais pouvoir mourir. Eternellement. » fit-il à Verith. « Si vous estimez qu’il ne s’agit pas d’un châtiment suffisant, alors je crains que votre geste soit tyrannique. » Car il avait noté le départ de l’araignée et il n’appréciait guère ce qu’il présentait se préparer. Il n’avait pas choisi le mot ‘tyrannique’ au hasard. « Et impardonnable. » Du moins à ses yeux. Il était celui qui avait infligé ce châtiment éternel à l’homme qu’il aimait. Il n’accepterait pas qu’on lui fasse plus de mal encore.

« Je ne suis pas Achroma, Verith de l’Ire. Je ne suis ni lui, ni ses erreurs ou ses réussites. Ma maîtrise de la magie du Lien est bien plus importante. » Achroma aurait été incapable de faire ce qu’il avait fait. « Et je possède la mémoire de celui qui l’a créé. Ma détermination est sincère. Voilà ce que j’ai de plus. » Cela ne lui garantissait pas d’y parvenir, mais il avait plus de chances, c’était certain.

Il saurait où le trouver. Aldaron inclina la tête pour le saluer, franchit le portail et celui-ci disparut derrière lui.

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