Ascendance des Étoiles [Verith]

10 août 1764

La couleur du ciel dépassait l'entendement tandis que les pattes poussiéreuse d'une Gräarh voyageuse fendaient le sol. Un dégradé de violet, pourpre et orangé se mélangeant pour ne former qu'une seule et unique palette. Le soleil prenait son temps à l'aube d'un nouveau jour mais la chaleur de cette période commençait dors et déjà à apparaître dans la savane de Néthéril.
Reynagane se figea, pattes sur les genoux pour reprendre son souffle, arrivée sur la crête d'une petite dune sableuse. Il y avait par de-là la pente un troupeau de sthymphalis, puis si l'on tournait le museau vers l'est, il y avait la Légion. Sa Légion. La vie de la femelle n'avait à ce jour plus aucun sens tellement elle vivait dans plusieurs mondes à la fois. Seulement deux mois en arrière, elle décidait de tout quitter pour rejoindre Cordont. Et de nouveau, l'avenir et le hasard lui faisait rebrousser chemin pour revenir encore et toujours à un même point.

Reynagane lâcha un sourire moqueur en reprenant sa marche dans le sable. Les Esprits-Liés semblaient bien être ironique avec elle. Bien des choses avait avancé pourtant, ne serait-ce que dans sa tête. Et c'était tant mieux. La peur avait finit par se ranger avec toutes les autres émotions et la détermination avait enfin finit par prendre le dessus. Il n'y avait pas de mal à douter, ça, la Gräarh l'avait compris. Mais au moins, maintenant, elle ne se retrouverait plus bloquer dans un cercle vicieux de doute et de questionnement. Pour être tout à fait franche, la féline n'appréhender même pas son retour. Une petite pointe appuyait sa poitrine si elle pensait à la présence de Nyana dans les parages mais il suffisait de lever les yeux vers l'horizon pour reprendre confiance.

De loin, la Légion semblait avoir profiter durant ces mois de chaleur intense. Le nouveau Conseil était la vague de renouveau dont tout les Gräarhs de la Légion avaient besoin. On pouvait également distinguer sur un côté des fondations fortifiés sûrement lié à la nouvelle alliance avec l'Empire Sélénien.

Accélérant le pas, à force de penser à toutes les nouveautés de son peuple, elle avait vite envie d'y arriver pour le voir de ses propres yeux.

Un petit gazouillement fendit le calme de la savane au même moment qu'un petit oiseau vert sortait de son gros sac de voyage.

- Tiens donc, une petite boule de plumes qui a déjà finit sa nuit ? Tu m'étonnes Pankhÿ. Tu m'étonnes, graaannndement.

Un ronronnement naquit dans la gorge de la Gräarh alors que Pankhÿ décidait de se dégourdir les ailes autour d'elle. Son petit compagnon de voyage était d'un soutien précieux à ne jamais se sentir seule pour son plus grand bonheur. Elle n'arrivait toujours pas à croire qu'elle revenait ici après tout ce qu'il s'était passé en Calastin. Certes il y avait une raison précise à son retour fugace dans la région mais en même temps, depuis qu'elle était en possession de l'extraordinaire présent de la quatrième Couronnes. Cette phrase n'avait déjà pas beaucoup de sens et sûrement encore plus pour Reynagane qui avait du mal à savoir vraiment pourquoi on lui avait confié une telle encre.

Il avait fallut attendre d'être sortit du gouffre et d'avoir retrouver un environnement plus calme pour découvrir ce que contenait le cylindre métallique que lui avait donné Udyog. Mieux valait ne pas compter le nombre de fois ou elle avait cligné des yeux pour réaliser qu'il s'agissait d'une puissante encre atypique des tatooglyphe Gräarh. Il émanait du liquide une charge magie si intense que Reynagane avait bien vite fait de refermer le cylindre pour ne pas encore l'avoir ré ouvert depuis.  Udyog lui avait demandé d'en prendre soin et de faire le nécessaire pour qu'elle ne tombe pas entre de mauvaise pattes. Cela avait en effet eu son lot de panique et de pression mais peu importait. La femelle ne se voyait pas d'autre choix que de se tatouer cette encre sur le corps pour n'avoir plus de problème à ce sujet. Parfois, elle se demandait si cette acte était prétentieux. Oser imaginer une seconde qu'elle pouvait posséder un tatooglyphe pareil qui rappelons-le était destiné à une autre Couronne, rien que cela. Oh mieux valait ne pas penser à cela. Aujourd'hui, encore fallait-il trouver quelqu'un qui accepte bien de lui offrir ses services, choses qui ne serait certainement pas aisé vu son statut.

Reynagane n'eut cependant pas le temps supplémentaire pour se soucier de ce problème car un autre s'ouvrait soudainement à elle. Ses oreilles virèrent à l'arrière de son crâne, là ou un son étrange se rapprochant de plus en plus du vrombissement se faisait entendre.

- Kya ho raha hai nach ! Pesta t'elle en se retournant d'un bloc. Pankhÿ revient par là.

Le petit oiseau piqua une tête pour venir se loger dans sa capuche alors que Reynagane plissait des yeux pour y voir un nuage de poussière s'élever au loin et se rapprocher avec une rapidité déconcertante vers elle. Sans attendre de comprendre quelque chose, la Gräarh s'élança dans le sens opposé au nuage. Pas après pas, bond après bond, la jeune Gräarh utilisait la Trame comme elle avait réussit à la manier avec Maître Valmys pour se propulser plus loin et plus vite avec le bout de sa queue mais en vain, les vrombissements résonnaient de plus en plus fort et il ne fallut que quelques minutes de plus pour y voir le troupeau de stymphalis charger tout droit sur elle. Quel mal les rongeaient à être effrayé de la sorte pour ne même plus savoir dans qu'elle direction aller ?

Ce qui était sûr, c'est que Reynagane se trouva bien vite bloqué par une colonie en furie d'oiseaux plus grand qu'elle au cri déroutant. Les oreilles en arrière, la féline ne tarda pas de plaquer sa queue au sol pour se propulser au-dessus du chaos général. La chance ne lui souri pourtant pas cette fois, lorsqu'un grand oiseau la percuta sur le côté. Un feulement sortit de sa gueule tandis qu'une douleur électrique lui vrilla le dos. Les quatre pattes à terre, elle envoya une prière aux Esprits pour que les oiseaux ne la piétine pas d'avantage.

¤ La chasse ¤

Chaque jour depuis le début de l’été la savane s’imprégnait d’une chaleur sèche laissant présager un évènement météorologique typique de l’île de Néthéril. Le sol voyait sa teneur en eau s’appauvrir et par endroits des fissures apparaitre à sa surface. L’herbe se faisait de plus en jaune et rêche. La sécheresse s’était abattue sur l’île de l’éternel été. Verith ne pouvait pas dire que cette saison lui déplaisait, bien au contraire. La contrée du continent sauvage l’ayant vu grandir était un canyon particulièrement chaud et sec, autant dire qu’il retrouvait en ce lieu en semblant de celui où il avait passé le plus clair de temps avant de partir à la recherche de son frère. À la place d’un canyon, il avait une savane. À la place de nuée de dragons, il avait un pays de graärh. Ce n’était pas parfait, mais le colérique parvenait pour le moment à s’en contenter. La présence des félins lui était agréable et il prenait un certain plaisir à aider ces derniers. Que cela soit en les aidant à fortifier leur nid-légion, à construire des douves visant à contenir les eaux de la mousson, ou encore comme aujourd’hui de les aider à la chasse. La mousson et ses pluies violentes débuteraient d’ici un mois, pratiquer la chasse à ce moment-là serait plus que risquer, mieux valait faire le plein de nourriture maintenant comme à la veille d’un hiver rigoureux. Aussi, l’enfant de l’orage avait décidé d’accompagner une vingtaine de vaillants chasseurs et leur avait proposé son aide. Un plan assez simple était apparu, ce beau petit monde allait chasser le symphalis en profitant de la présence du super prédateur qu’était le dragon rouge. Les chasseurs repérèrent les traces d’une harde de ces oiseaux terrestres et décidèrent d’établir un piège. Ils se répartirent afin de former un large demi-cercle et déployèrent un filet destiné à combler les trous entre chaque chasseur. Cela n’empêcherait pas les oiseaux de passer, mais cela les ralentirait suffisamment. Le stratagème en place, la tâche de Verith était des plus simples. Il devait attirer la harde jusqu’au piège en les poursuivant. Dès lors les chasseurs se révèleraient et passeraient à l’attaque. Déployant ses ailes, Verith prit son envol et partit à la recherche de ces fameux oiseaux. Il ne lui fallut pas longtemps pour les apercevoir. Ces derniers étaient attroupés autour d’un point d’eau largement restreint par la sécheresse. Le colérique contourna le point d’eau plus loin avant de rejoindre le sol et de se fondre dans son ombre pour par la suite rejoindre les proies. Celles-ci ne remarquèrent pas sa présence et au dernier moment, l’enfant de l’orage surgit de son ombre en poussant un rugissement terrible. Les symphalis, surpris prirent peur et commencèrent à galoper. Verith partit à leur poursuite et prit soin, à l’aide de sa grande taille de veiller à ce que ceux-ci ne se dispersent pas. Les proies, comprenant qu’elles ne pourraient s’enfuir, adoptèrent la même stratégie que les oiseaux fuyant un prédateur et comme un seul être se mirent à courir en zigzag. Malheureusement pour eux, leur prédateur était bien trop fort. Mais heureusement pour eux, le rouge n’avait aucune intention de les abattre à lui seul. Verith se contenta simplement de les poursuivre et de les guider là où se trouvaient les chasseurs.

Alors que la course-poursuite s’opérait, Dwëmmer sur le sommet du rouge commença à s’affoler.

« Lié ! Lié ! Attention ! Je détecte un félin sur le chemin. »

En effet, le rouge qui avait depuis pris son envol et planait en rase-motte braqua son regard plus loin et remarqua la présence d’un félin qui n’était pas un chasseur. Celle-ci se trouvait sur le chemin et allait se faire piétiner. Le colérique ne pouvait cependant pas prendre le risque de faire dévier les oiseaux. Heureusement, plein de ressources qu’il était, il n’en avait pas besoin. Un morceau de son ombre se détacha de lui et fila plus rapidement que le dragon ou la harde jusqu’à la Graärh. Le fragment d’ombre de l’écailleux vint se fondre dans celle de la féline et au moment où la harde de stymphalis lui arriva dessus, un puits d’ombre apparut sous les pattes de cette dernière qui fut aspiré.

L’instant d’après, l’inconnue était au côté d’un des chasseurs. Verith avait lié l’un des morceaux de son ombre à ce dernier.

« Qu’est-ce que ? »

Le chasseur sembla visiblement surpris de l’apparition soudaine et non prévue d’une graärh, lui qui attendait plutôt des oiseaux.

« Ils arrivent ! »

Le chasseur regarda au loin et remarqua un nuage de poussière.

« Baisse-toi et ne bouge pas ! »

Liant le geste à la parole, le chasseur appuya sur la tête de l’inconnue pour l’inciter à se coucher au sol. Le piaillement d’une centaine de gros oiseaux apeurés vint précéder le son d’innombrables pattes martelant la terre, qui fut lui-même précédé par le rugissement puissant d’une gigantesque créature.

« Maintenant ! »

La voix du chasseur perça au travers de la cacophonie et des chasseurs dissimulés se redressèrent, lance en main, et en même temps qu’eux se levèrent des filets. Les oiseaux s’engouffrèrent dans le piège et les projectiles commencèrent à fuser. Les symphalis paniquèrent, commencèrent à se débattre avant de finalement parvenir à passer outre certains filets. Le piège cessa d’être effectif et les bêtes s’enfuirent à toutes jambes le plus loin possible. Cependant, ni les chasseurs ni Verith ne partirent à leur poursuite. L’objectif avait été atteint et une trentaine de créatures gisaient au sol, mortes ou presque. La chasse était terminée. Mais si celle-ci était terminée et que certains chasseurs se hâtaient d’achever les bêtes pour qu’elles ne souffrent pas plus et préparer leur transport, deux autres se tournèrent vers l’inconnu d’un air méfiant.

« Qui est-elle ? »

« Je ne sais pas, elle est apparue soudainement auprès de moi. »

« Les osselets n’avaient-ils pas dit que la graärh de ta vie apparaitrait aujourd’hui ? »

« Arrêtes de dire des bêtises ! »

Le ton était empreint de méfiance, ils ne la connaissaient pas et le douloureux souvenir de pirates infiltrés chez eux avec l’apparence de graärh était encore frais dans leur esprit. C’est alors que des petits grincements mécaniques se firent entendre. Dwëmmer arrivait auprès du petit attroupement.

« C’est lié qui l'a téléporté auprès de vous. Durant la chasse nous l’avons repéré sur le chemin des stymphalis, manquant de peu de se faire écraser. »

La poussière étouffait de plus en plus la Gräarh piégée au creux d'un chaos de cris et de plumes. La douleur que lui avait infligé le contact avec l'un des stymphalis se répandait lentement, comme le sang qui se déverse dans l'eau. Incapable de relever le museau de peur de se prendre un coup de patte, ainsi donc finirait la vie de Reynagane Shäa ? Était-ce une blague ? De mauvais goût, soyez-en assuré. Reynagane n'en avait pas dit son dernier mot, elle qui commençait enfin à se réveiller de sa torpeur.

Entonnant un chant de murmure dans une valse de prière, la femelle se fit recouvrir en quelque seconde par l'obscurité tout entière. Le cœur prêt à imploser, les crocs serrés, Reynagane ne comprit pas tout de suite que ses pattes avaient subitement quitté la terre ferme, quittant par la même occasion le troupeau en furie.
Ne sachant à quoi se cramponner, ni par qu'elle sorcellerie elle se retrouvait à se déplacer par les airs mais ce qui était sûr, c'était qu'elle ballottait ses pattes dans le vide avec un feulement de peur sortant de sa gueule.
Lorsque le nuage de poussière s'éloigna, la femelle cru une seconde que le monde entier c'était mis en pause lorsque son regard se tournant au ralenti vers le gigantissime dragon aux écailles pourpres qui volait en rase-mottes.

- Svargaadhipati  déclara t'elle dans un souffle, les pupilles étrécit n'osant à peine y croire.

Tout ce passa ensuite à une vitesse folle. Le vide que connaissait son corps cessa brusquement lorsqu'elle se retrouva dans les pattes d'un Gräarh lui aussi déconcerté par ce moment. Le poil gonflé sur la nuque, Reynagane n'eut pas le temps d'ouvrir un temps soit peu la gueule que le mâle lui plaquait la tête au sol en lui soufflant des instructions qui mirent du temps à parvenir jusqu'à son cerveau. Dépourvu de tout langage, la Gräarh observa dans un silence mortel la suite d'une chasse qui était à ses yeux incroyable. Les stymphalis se jetèrent apeurés dans la gueule des Gräarhs. Ses oreilles se plaquèrent à l'arrière de son crâne lorsque Verith aux mille vies poussa un rugissement suivit par l'annonce du signal du mâle à ses côtés.
Une multitudes de chasseurs se dessinèrent alors dans le champ de vision de la féline aplatie au sol. Déjà qu'il était difficile pour elle de croire qu'elle voyait enfin le prodigieux dragon de sang devant elle, il lui fallut prendre deux fois plus de recul lorsque la chasse se poursuivit devant elle en se terminant dans des claquements de filets pièges et de course s'éloignant dans la savane.

La silhouette incroyablement grande du Roi des cieux semblait presque devenir trouble si l'on montait les yeux vers le ciel. Comment Reynagane aurait-elle pu imaginer une seule seconde que son retour dans la Légion débuterait de cette façon ?
Essayant de remettre de l'ordre dans sa tête, il était hors de question pour elle de perdre la face. Autrefois, il y a peu de temps encore, la chose aurait été difficile, mieux valait que cette expérience riche en émotion ne soit la preuve que Reynagane Shäa était sur la pente du changement.

Se redressant, la féline se libéra du poids de son sac sur son dos et vérifia avec des gestes précipitées que le cylindre contenant l'encre puissante ne s'était pas ouvert après tant de remous.

Soulagée de voir que rien n'avait coulé, la Gräarh souffla bruyamment tout en entendant un petit piaillement énervé derrière elle. Pankhÿ qui avait été secoué dans la capuche virevoltait de nouveau pour la première fois bien agacé d'avoir été traité de la sorte.

- Je te demande pardon Pan, cache-toi, il vaut mieux.

Jetant des regards autour d'elle, Reynagane se releva le poil devenue terne par la poussière qui l'a recouvrait. Un bon nombre d'oiseau avait été capturé par les chasseurs et si tous appartenait à la Légion et que la présence du divin était ici, la Gräarh n'était pas rassurée pour autant.

Pendant qu'elle se posait encore et toujours des questions sur ce qu'il venait réellement de se produire, des regards méfiants se dirigèrent de nouveau vers elle tandis que quelques chasseurs revenaient dans sa direction.
Les pattes sur la tête pour faire tomber le sable, la femelle baissa les oreilles légèrement en plissant les yeux en écoutant les chasseurs.

« Ne te laisse pas partir Reynagane ». Cette voix devait devenir plus forte que les autres.

Pattes sur la tête glissèrent sur le poitrail suite à la petite vanne d'un des Gräarhs à celui qui avait tenue le cours de la chasse. « Apparue soudainement ». Par les Esprits, il est vrai que c'était de l'ordre du surnaturel d'avoir été extirpé de la sorte du troupeau. Des cliquetis métalliques que Reynagane reconnue par ces sons si particuliers chassèrent alors les murmures de méfiance venant des Gräarhs.

La Gräarh tourna vivement la tête sur le côté en se redressant surprise de voir arriver un prototype mécanique ressemblant très fortement à une araignée. La silhouette fine, le métal reconnaissable entre mille brillait à certains endroits  grâce aux reflets des rayons du soleil levant. Pas de doute, la mécanique à l'aura puissante venait des profondeurs de la forge d'Udyog.

« C’est lié qui l'a téléporté auprès de vous. Durant la chasse nous l’avons repéré sur le chemin des stymphalis, manquant de peu de se faire écraser. »


Reynagane ne remarqua même pas sa gueule entrouverte, ni son regard rivé sur l'araignée qui venait de s'adresser au Gräarh comme si il s'agissait d'un être vivant à part entière. Bien sûr, il n'y avait plus rien d'étonnant lorsqu'on avait descendu le gouffre au sujet des modèles articulés de la forge. Mais tout de même. Cette finition là, que faisait-elle ici ? Comment avait-elle pu se retrouver sur Néthéril ? En si bon état ? Et d'une aussi grande qualité ?


- On me nomme Reynagane Shäa, je rentre d'un long voyage au-delà de Néthéril déclara t'elle finalement en avalant bruyamment avant de parler.

Le regard de la féline se détacha de l'araignée pour remonter au loin vers Svargaadhipati . Ainsi donc, elle devait la vie au grand dragon ? Voilà qu'elle n'avait plus une dette à payer à un dragon mais bien deux maintenant. Rebaissant les yeux pour ne pas regarder longtemps l'écailleux divin, Reynagane s'adressa cette fois-ci directement aux chasseurs mettant de côtés toutes ses interrogations au sujet de l'araignée métallique.

- Je vous prie de m'excusez. La méfiance dans vos regards n'a pas lieu d'être, si je me doute que personne ne sait qui je suis, je ne suis certainement pas un danger pour vous.

Oui elle savait. Les Gräarhs n'étaient pas du genre à s'excuser, ni même à se justifier.

Laissant ses mots faire leur chemin, Reynagane retourna son museau vers l'araignée dorée en faisant un pas en avant.

- Qu... comment est-ce donc possible ? C'est... tu es intacte. Je vous dois la vie, à toi et ton lié. J'aimerai le remercier en personne si tu m'autorise à me conduire jusqu'à lui dit-elle avec une légère hésitation sur le ton de sa voix. Pouvait-elle ? Avait-elle le droit de parler au Roi des cieux ?

Difficile de retenir les milliers de questions qui voulaient obtenir réponse. Lié ? Comment Svargaadhipati  avait-il eu en sa possession un tel objet ? Comment un tel lien était-il possible entre un dragon et une machine de ce type ? Et bien d'autre encore, la féline sentait qu'elle devait absolument s'adresser au divin Verith, protecteur de la Légion. Udyog lui avait demandé de protéger la puissance que contenait se cylindre. Lourdes responsabilités, elle s'était imaginée une seule et unique chose pour protéger à jamais l'encre destinée autrefois à  Purohit Rakshak. Maintenant qu'elle avait le divin face à elle, tout devenait clair.

- Emmène-moi jusqu'à lui s'il te plaît , j'ai une dette à payer.

¤ Fin de la chasse ¤

Les oiseaux coureurs paniquaient et leurs piaillement s’élevaient avec fracas jusqu’aux cieux. La terre résonnait sous le martèlement de leur pas. Bientôt, les lances fusèrent quand les proies s’engouffrèrent dans le piège. Verith se positionna à la sortie, bloquant celle-ci. Enfin, c’est plus son statut de prédateur que véritablement sa taille qui bloquait quoi que ce soit au vu de la configuration des lieux. Bien plus petits que lui, les Stymphalis pouvaient facilement lui passer entre les pattes. Certains le firent d’ailleurs tandis que d’autres parvenaient à percer les maillages des filets. Bientôt, le silence vint s’abattre sur la scène. Au sol gisaient de nombreux oiseaux morts ou agonisants que les chasseurs s’empressèrent d’achever pour ne pas les faire souffrir plus que nécessaire. Tôt ou tard, il faudrait que ceux-ci en fassent élevage au lieu de la chasser, mais l’heure n’était pas encore venue. La chasse pouvait largement subvenir aux besoins de la légion et il y avait des choses bien plus prioritaires à faire que de l’élevage. Verith vint enrouler le bout de sa queue autour de l’un des oiseaux puis le jeta haut dans les airs. Le regard du rouge suivit l’ascendance fulgurante de celui-ci jusqu’au début de sa chute. À cet instant, un jet de flammes s’échappa de la gueule du colérique, venant faire rôtir l’animal avant de venir refermer violemment ses crocs sur celui-ci. Il ne fit qu’une bouchée de la bête, au sens premier du terme. Voilà un petit paiement pour sa participation ce jour.

L’attention de dragon libre fut finalement attirée au plus près du sol quand il sentit la voix télépathique de Dwemmer résonner dans son esprit. À côté de l’araignée mécanique se tenait une graärh et non loin de ceux-ci se trouvait deux chasseurs restants sur leur garde. Futile, puisqu’il était là, mais il n’allait certainement pas leur reprocher un tel comportement. Après tout, ils n’avaient pas encore toutes les cartes en mains.

« Lié, elle souhaiterait te parler. Elle dit avoir une dette à payer. »

Une dette ? Oh sans doute cela faisait-il référence au fait qu’il l’avait extirpée de la route de Stymphalis. Avant qu’il ne puisse poursuivre, l’un des chasseurs de la légion prit la parole.

« Je ne vois pas de marque de la légion sur elle, une Ashuddh très certainement … ou encore un pirate déguisé. »

L’esprit du rouge fit vibrer la trame environnante appelant au silence.

« Elle n’est pas un pirate déguisé. Sans quoi je ne l’aurais pas tiré du chemin de ces oiseaux dont cette savane tire son nom. Quant au fait qu’elle soit une Ashuddh, n’oubliez pas que Vaahak Sunaharaanch en était un aussi. Pourtant c’est grâce à lui que les tribus se sont unies.»

Les deux chasseurs baissèrent la tête. Le rouge huma l’air.

« Qui plus est, cette odeur il me semble l’avoir déjà senti sur Asolraahn. »

L’unique œil du colérique se posa sur Reynagane, tandis que le second, artificiel, semblait aussi braqué sur elle. L’intense regard du colosse de flamme pesait sur cette dernière, semblant la traverser de part en part, lisant aussi bien à travers son esprit que sa chair.

« Je suis Verith de l’ire et je sens que tu portes un fardeau … pas uniquement cet étrange objet dont l’intense énergie se dégage de ta sacoche. »

Lentement, l’enfant de l’orage leva une griffe en direction des chasseurs et des cadavres de volatile terrestre.

« Aide ces chasseurs à ramener le fruit de leur chasse. En remerciement, Ashuddh ou non, en mon nom tu auras la possibilité de pénétrer au sein du nid-légion. Nous discuterons sur le trajet. »

Les deux chasseurs se regardèrent l’espace d’un instant avant de hausser des épaules. Si cette décision venait Svargaadhipati, alors ils n’avaient ni l’autorité, ni de raison, ni même l’envie de s’y opposer. Ils se retournèrent alors, faisant signe à l’inconnue de les suivre. Dwëmmer, elle, décida de suivre la nouvelle arrivante.

« Tu sembles avoir fait un long voyage. Il serait dommage que l’accès te soit refusé parce que tu ne possèdes pas le code d’autorisation. Lié n’hésite pas à prêter temporairement le sien à ceux qu’il estime inoffensifs envers la légion et qui aide celle-ci. »

Dwemmer s’arrêta devant l’un des cadavres alors que les chasseurs préparaient le transport des autres.

« Ta structure semble plus faible que celle des chasseurs et par conséquent moins adaptée à cette fonction. Je vais t’aider. »

Quelle fut la rafle que tous se prirent lorsque Svargaadhipati fit résonner sa voix dans les esprits. Reynagane ne pu résister à la tentation de reculer d'un pas alors que les Gräarhs autour semblait se faire plus petit qu'à l'accoutumer en écoutant les dires du gigantesque dragon pourpre.

Relevant le museau vers le ciel pour essayer d'y voir correctement les yeux de Verith, Reynagane se redressa un peu plus, les oreilles se dressant en avant soudainement rassurée et presque heureuse d'entendre la correction du divin face aux remarques des Gräarhs à son égard. La femelle se risqua à jeter un petit coup d'oeil vers les chasseurs qui l'a dévisagé maintenant avec une curiosité abîmée par le mécontentement.
Une rafale vînt plaquer la tunique de la Gräarh dans son dos et la poussière s'accrocha à son poil en voyant un des yeux de Svargaadhipati se braquer sur elle pour se concentrer sur sa toute petite personne. Le cœur vrombissant, Reynagane hocha la tête lorsqu'il eut finit de parler.

"Je vous remercie, Verith de l'Ire."

Préférant ne pas altérer ce qui venait d'être dit, Reynagane peinait à trouver les bons mots dans sa tête en comprenant que le Roi des cieux lui offrait l'entrée dans la Légion alors qu'il venait lui-même de la sortir d'une bien dangereuse situation.

Replaçant son gros sac portant lui-même une multitudes de sacoches sales, la Gräarh ne fit pas attendre les chasseurs qui l'incitèrent à les suivre vers les prises du jour. Trottinant en ballottant son attirail derrière elle, Reynagane fut bien vite rattraper par l'étrange et magnifique araignée dorée.
La regardant de biais, la féline écouta la machine qui ne ressemblait pas tant à cela, lui proposer son aide alors qu'un des Gräarhs lui montrait un des filets qu'il allait falloir déplacer jusqu'à la Légion. Un fin sourire chaleureux s'extirpa des babines de la femelle en voyant déjà l'araignée prendre les devant sur leur objectif. Sans attendre, Reynagane lui prêta pattes fortes et toutes deux entamèrent leur chemin.

- Je te remercie... toi dont je ne connais pas le nom.

Reynagane sembla avoir plus de facilité à s'approprier le fait que la machine soit plus de l'ordre du vivant que de l'ordre du mécanique. Après avoir vu tant de prouesse au sein de la forge. Après avoir vu Udyog en personne créer des pièces de cette acabit, il était difficile pour elle d'être entièrement estomaqué par cette rencontre ni même cette échange. La plus grande question était plutôt comment un dragon pouvait avoir un lien si particulier avec une araignée de ce genre ?

En parlant dragon, la féline se tourna vers la gigantesque créature et encore une fois, elle ne pu s'empêcher pour le coup d'ouvrir la gueule de béatitude. Si Reynagane avait rencontré Nynsith l'hiver précédent, l'envergure de Verith dépassait tout les entendements.

"… Grand  Svargaadhipati. Vous me sauvez la vie, puis vous m'ouvrez la porte de la Légion. Pourquoi ? Comment pourrais-je vous remercier, les mots ne suffisent pas pour l'être que vous êtes. C'est pourquoi..."

Reynagane fit un petit signe à l'araignée de ralentir un instant pour pouvoir attraper le cylindre contenant l'encre si précieuse.

"Lors de mon voyage en Calastin, je suis allée dans les profondeurs des entreprises Ychgama. Sans doute les connaissais vous déjà si... puisque votre Lié  porte exactement les mêmes signes distinctifs que les objets que j'y ai vu là-bas. Dans les profondeurs du gouffre de Cordont, mes amis et moi avons découvert qu'une Couronne de Cendre y forgeait encore de nombreux arts. Je porte un présent dont j'ignore encore la puissance. Je sais juste que cette Couronne de Cendre ne veut pas qu'elle tombe entre de mauvaises mains. J'ai songé à le cacher quelque part dans les canyons, ou que sais-je dans les eaux de peur que je ne le perde. Puis en découvrant l'encre, je pensais, j'ai osé penser que je pourrai me la tatouer. Mais après ce que vous venez de faire pour moi et quand bien-même, qui de mieux qu'un dragon pour protéger une telle magie ?"

Reynagane tendit le cylindre vers Verith de l'Ire en sentant les poils sur sa nuque se dresser.

"Sans doute avez-vous la force de braver n'importe quel maux de ce monde."

Alors qu'elle n'avait pas grand chose pour faire pencher la balance. Elle ne savait même pas ce qu'était réellement cette magie qu'Udyog lui avait confié.

"Je ne sais pas exactement de quoi il s'agit. De l'encre à tatouage Gräarh certainement, mais son empreinte, elle, je l'ignore totalement."

Reynagane reporta son attention vers l'araignée dorée qui faisait avancer le fardeau sans l'aide de la Gräarh. Désemparée, La femelle retourna vite l'aider avant de reprendre la parole en écho à ses précédents mots.

"Verith de l'Ire, je me pose tant de questions. Dwëmmer est intacte. Oserais-je vous demander ou est-ce que vous l'avez trouver... rencontrer ?"

¤ Digne ou indigne ¤

Le museau du colosse de flamme se redressa après que celui-ci ait focalisé son attention sur la nouvelle graärh. Tournant son intérêt vers le reste de la savane, le rouge observa les terres qui s’étendaient face à son regard. Il voyait au loin les grands oiseaux terrestres continuer à fuir à toutes jambes le piège dans lequel ils étaient tombés. Intérieurement, le dragon sourit. Cette chasse ne valait pas celle qu’il avait pu mener avec les siens sur les continents sauvages alors qu’il était encore tout jeune, mais s’était tout de même avérée plaisant. L’esprit de Verith balaya la zone, s’assurant qu’il n’y ait pas de possible individu caché, mais ne détecta rien. Depuis qu’il avait placé cette île sous a protection, le malheur qu’avait fait abattre les pirates sur cette terre ne semblait plus être qu’un souvenir, douloureux bien entendu. Le peuple félin se relevait lentement de ces évènements, le colérique y veillant.

En contrebas, Dwëmmer s’en allait aider Reynagane à transporter la carcasse qui lui avait été désignée. Levant haut ses pinces de métal pour adapter et équilibrer autant qu’il lui était possible le transport du fardeau à la hauteur de la féline.

« Je te remercie … toi dont je ne connais pas le nom. »

« Je me nomme Dwëmmer. »

Verith redirigea son intérêt en direction de la cohorte de chasseurs qui s’était déjà mise en marche. Tranquillement il vint les contourner pour se placer sur leur flanc droit en faisant quelques pas de géant. Le regard de la nouvelle arrivante vint se poser sur lui et le rouge le ressentit. Tournant son esprit vers cette dernière, il écouta ce que celle-ci avait à lui dire. Après tout, il avait dit qu’il discuterait sur le chemin. Cette dernière remercia le dragon de l’ire et chercha à moyen de le remercier. Relâchant alors la carcasse et faisant un signe à l’araignée mécanique de ralentir, elle vint fouiller dans sa besace pour en sortir un objet cylindrique. Il s’agissait bien là de l’objet émettant une énergie fort singulière que le colérique avait ressentie. Elle lui conta brièvement la manière dont elle avait fait l’acquisition de celui-ci. Le graärh éveilla l’intérêt du dragon rouge, présumant même que celui-ci était en possession d’information en raison de sa proximité avec Dwëmmer. L’enfant de l’orage ne dit mot, attendant que celle-ci termine. Au moment où Reynagane vint tendre l’objet en direction du colérique, celui-ci vint s’enfoncer dans le sol, ou plutôt dans sa propre ombre. La montagne grenat disparut soudainement du paysage et son ombre gigantesque serpenta sur le sol avant de finir se fondre dans celle de l’araignée mécanique.

« Drôle de façon de me remercier que de me confier votre fardeau, jeune graärh. »

Un reproche ? Non, simplement une boutade. L’enfant de l’orage soulignait la situation, mais sentiment pertinemment que la féline ne pensait pas à mal, loin de là.

« Une encre ? Au vu du bruit de liquide s’agitant et de l’odeur caractéristique qui s’en dégage, ton raisonnement est sans doute le bon. Il peut s’agir du même style d’encre que celle que ton peuple utilise pour se tatouer des glyphes sur le corps. Je n’ai pas assez étudié cette caractéristique de ton peuple pour m’en assurer. Mais je connais un graärh au sein de la légion auquel j’apprends à la connaitre qui pourrait le déterminer. Si tu me le confiais, rares seraient ceux en mesure de me le prendre de force, ou de le retrouver si je décidais de le cacher en ce monde ou un autre. La puissance qui s’en dégage est grande, c’est une certitude. Je ressens en elle les mêmes relents d’énergie que ceux nimbant la cavité accueillant le Bâoli. »

Une couronne de cendre lui avait confié cet objet. Le colérique ne savait pas trop quoi penser de ces graärh revenus d’un autre temps, incarnation d’une grande puissance et d’un sombre passé. Les félins n’avaient jamais rien commis à l’encontre des dragons, c’est pour cette raison que le Verith les appréciait. Et ces couronnes de cendres sont justement des graärh. Au vu des actions qu’ils ont pu commettre, ceux-ci ne s’en sont jamais pris aux dragons, ni aucune des deux légions. Les seules cibles de leurs actions furent les bipèdes. Comment pourrait-il avoir un avis négatif ceux eux s’ils s’en prenaient aux ennemis du colérique ? L’enfant de l’orage restait néanmoins prudent. Les légendes graärh dont il avait pris connaissance auprès de Vat’Em’Medonis, et grâce auxquelles, en partie, il avait été en mesure de découvrir le Bâoli, appelaient à une certaine méfiance. Ces couronnes de cendres étaient responsables d’un grand malheur pour le peuple graärh, d’une chute. Verith n’en savait toutefois pas suffisamment. Tout cela était confus, encore plus avec ce que Reynagane venait de lui révéler. Une couronne inactive, forgeant de nombreux arts, offrant un objet puissant afin d’espérer que celui-ci ne tombe pas entre de mauvaises mains.

¤ Lié, votre intuition est bonne. Je ne détecte rien en provenance de ce cylindre révélant une possible nature dangereuse ou piégeuse. ¤

Le rouge garda le silence, semblant réfléchir.

« Serait-ce pour autant une bonne idée que de me le confier ? Ce n’est pas à moi que l’objet a été confié. Contrairement à ce que tu sembles penser, je n’ai jamais mis une griffe dans les profondeurs de Calastin. J’ignore tous des entreprises Ychgama. Pareillement en ce qui concerne cette couronne et ses intentions. Cependant, je ne note rien de dangereux en ce qui concerne cet objet. Son contenu est puissant, rare, mais cela s’arrête là. Si danger il doit y avoir, alors il est autre part. Elle t’a dit ne pas vouloir que celui-ci tombe entre de mauvaises mains. C’est donc son usage qui pourrait se révéler dangereux, si on n’est pas animé de bonnes intentions. »

Verith marqua une courte pause avant de continuer.

« Pour autant cette couronne n’en a pas prohibé l’usage, n’est-ce pas ? S’il s’agit bien d’une encre, alors te tatouer avec n’est peut-être pas une si mauvaise idée. Elle t’a remis cette chose à toi en disant que celle-ci ne devait pas tomber entre de mauvaises mains. Sans doute a-t-elle jugé que tes mains n’étaient pas mauvaises. »

Le colérique marqua une nouvelle mauvaise, laissant en suspens dans l’esprit de la féline les dernières paroles qu’il venait de tenir. Il appartenait à Reynagane de juger si ses mains étaient dignes de se servir de ce don ou non. Le rouge pouvait l’éclairer, mais certainement pas décider à sa place. Mais encore faudrait-il pour cela que le féline se fasse confiance.

« Lié ne m’a pas éveillé sur Calastin, mais sur Tiamat. »

« L’aaleeshaan de Vat’Em’Medonis et feu l’aaleeshaan de Vat’Aan’Ruda m’ont donné la possibilité d’accéder à ma guise au Bâoli. C’est lors d’une de mes nombreuses études du puits des esprits que j’ai trouvé Dwëmmer. L’intérieur de la cavité dans laquelle se trouve le Bâoli est recouvert de glace. Dwëmmer était piégée dans l’une des nombreuses couches recouvrant le sol. Je suis parvenu à l’en extraire. De par ma nature draconique, la magie s’écoule de moi comme l’eau d’une source. Elle y a réagi et c’est éveillée. Tu as dit avoir rencontré, sous Calastin et dans cette entreprise Ychgama, des objets portant les mêmes signes distinctifs que Dwëmmer. J’aimerais que tu m’en dises plus. Peut-être est-ce là-bas que Dwëmmer a vu le jour … il y a longtemps. »

Si elle s'était imaginée un certain effet quant à sa déclaration au sujet du présent d'Udyog chez le dragon pourpre, jamais elle aurait pu imaginé voir de ses propres yeux l'immense créature disparaître pour se mouvoir telle une ombre jusqu'à arriver dans celle de Dwëmmer.

Reynagane recula d'un pas en relevant un peu sa garde avant de serrer les crocs au vu de ce que disait Svargaadhipati. Elle voyait juste au sujet de l'encre mais l'offrir au géant rouge ne semblait pas faire l'unanimité. Pourtant, la puissante voix qui résonnait dans le crâne de la Gräarh semblait convenir que peu serait capable de s'emparer de la chose si il s'avérait garder le cylindre prêt de lui. C'était sans vouloir l'offenser mais plutôt pour respecter ce que la Couronne de Cendre lui avait demandé qu'elle avait proposé cette alternative.
Reynagane écouta les réflexions de Verith avec le plus grand intérêt, mettant de côté ses interrogations personnels. Entendre le protecteur de Néthéril confirmer la puissance de ce qu'elle avait entre les pattes l'effrayait d'avantage. Pourquoi diable Udyog avait trouvé judicieux de donner cette chose à une Gräarh aussi insignifiante et surtout aussi faible qu'elle ? Pour peu elle avait eut de la chance durant son voyage de ne pas se le faire voler. Même si elle le gardait toujours sur elle, il aurait été simple de le lui prendre de force à son humble avis.
Ses oreilles se dressèrent pour écouter la drôle et belle araignée parler avant que l'ombre Verith ne poursuive.

Sage étaient les mots du rouge. Mots que Reynagane prenait plaisir à entendre malgré la force qu'il fallait garder pour écouter la voix du dragon dans sa tête.

« Exact, déclara t'elle à la première question du divin. Vous avez raison, je pensais qu'il serait judicieux de la protéger de cette façon mais cette encre doit peut-être... sans doute pourra t'elle être utile si j'apprenais déjà ses fonctions. Si... se n'est pas trop vous demandez, j'aimerai rencontrer le gräarh capable de m'en apprendre plus sur cette encre. Au vu de mon, rang, lâcha t'elle difficilement, je ne pense pas qu'un gräarh veuillent bien m'aider dans ma quête malheureusement. »

Ses pattes n'étaient sans doute pas mauvaises, certainement. Udyog avait sondé son passé en effleurant à peine une boucle d'oreille. Reynagane pouvait croire qu'il n'y avait alors pas d'erreur.

C'est Dwëmmer qui cassa le silence qui venait de s'installer. Entamant ainsi la réponse à la question de la féline plus tôt et si l'araignée ne déclara qu'une courte phrase, la curiosité de la gräarh explosa. Déjà, Svargaadhipati n'était jamais allé dans les sous-sols de Calastin. Et maintenant, une telle avancée technologique avait été trouvé sur Tiamat ? Comment cela se pouvait-il ?

Verith reprit et alors Reynagane écouta attentivement les paroles du dragon. Mille et une questions débouchèrent soudainement dans la tête de la gräarh lorsque l'écailleux eut finis. C'était totalement et absolument incroyable.
Hochant la tête en faisant bouger ses moustaches, Reynagane rangea le cylindre dans sa sacoche pour s'avancer vers Dwëmmer.

- Je peux ? Demanda t'elle doucement en tendant une patte vers l'araignée mécanique pour la toucher.

Ses pattes se refermèrent sur le métal froid ou des dessins finement sculptés sillonnaient la surface.

« Ces formes ressemblent trait pour trait à ce que j'ai pu voir dans les sous-sols déclara t'elle en suivant d'une griffe un sillon. C'est un art magnifique et c'est pour cela que j'étais étonnée de vous voir en possession d'une telle chose Svargaadhipati. En effet, avant que le groupe dans lequel j'étais ne rencontre Udyog le forgeron, nous nous sommes engouffrés dans les profondeurs des entreprises Ychgama telle est son nom. Vous auriez vu la pointe de la technologie qui nous entourait, malgré la couche de poussière on ne pouvait être qu'émerveillé. Il y avait de nombreux prototypes, pour beaucoup détruit par une autre Couronne de Cendre qui était passé par là peu de temps avant nous, mais aussi par le passage du temps sans doute. Pour d'autres, ils fonctionnaient encore et tout comme Dwëmmer, ils étaient aussi finement travaillé que leurs esprits étaient avisés. Une puissante magie dont je ne connais et ne comprend pas grand chose gardait ces mécaniques « en vie ». Attendez Verith de l'Ire, j'ai peut-être quelque chose qui pourrait vous intéressez. »

La Gräarh quitta sa contemplation de Dwëmmer mais aussi ses souvenirs des aventures sous Cordont pour aller chercher dans son gros sac quelque chose. Réussirait-elle à le trouver dans tout ce bazard ? Elle espérait ne pas être trop longue pour le dragon et un vent de soulagement l'assomma lorsqu'un petit éclat bleuté apparut au fond d'une de ses sacoches.

Sortant un bout de cristal cassé au milieu de sa patte, la Gräarh se releva pour montrer sa trouvaille à l'ombre draconnique.

« Des cristaux d'un bleu éclatant semblait animer les prototypes. Vous devez le savoir je suppose... En tout cas, il y avait dans certaines pièces un nombre incalculable de morceaux comme celui-ci. Je doute qu'ils aient une utilité maintenant. Pensez-vous ? Non c'est idiot ».

La Gräarh reporta son regard sur le cristal de Dwëmmer avant de venir refermer ses griffes sur son propre petit bout de cristal qu'elle avait ramassé.

« Comment Dwëmmer s'est-elle retrouvée au cœur du Bâoli alors ? Et si elle y était, d'autres sont-ils piégés sous la glace ? ».

Nombreuses choses s'étaient passées au cœur du volcan et la présence de telles mécaniques en son sein n'avait rien à voir avec le hasard. Voilà un point dont Reynagane était maintenant sûr.

« Si on arrache ces cristaux de leur porteur, alors la mécanique cesse de fonctionner. Verith, pensez-vous qu'un dragon puisse réveiller plusieurs prototypes endormis comme Dwëmmer ? »

¤ Vivant ou non ? ¤

La jeune graärh désirait faire la rencontre du maitre tatoueur. Elle précisa toutefois que son rang risquait de lui complexifier la tâche. L’enfant de l’orage restait un brin curieux au sujet de ce mystérieux liquide nimbé de magie. Le colérique ne s’était que très peu intéresser, de près ou de loin, à ces fameuses couronnes de cendre. Peut-être tenait-il là l’occasion de commencer à s’y mettre. Oh certes, il avait bien d’autres affaires plus urgentes à régler, mais peut-être que cela lui ferait du bien de s’intéresser à une nouvelle matière plutôt que de ruminer sans cesse sur les mêmes. Verith annonça alors qu’il acceptait la requête de la féline. Il lui présenterait le maitre tatoueur et l’accompagnerait jusqu’à ce dernier pour étudier un peu plus ce cadeau d’une couronne.

Les couronnes, Verith n’avait pas vraiment d’avis à leur sujet. En dehors du fait qu’il avait des soucis bien plus importants à gérer et une menace bien plus grande à contrer, les couronnes de cendres demeuraient des graärh … et le dragon rouge n’avait rien à reprocher aux graärh. Qui plus est, cette affaire semblait plus concerner les félins entre eux. L’enfant de l’orage ne se sentait donc pas le droit d’intervenir. Toutefois, peut-être serait-il amené à le faire un jour. Après tout, il avait promis à feu Sa’Hila avant son départ pour son combat contre les pirates, qu’il protègerait le Bâoli de tous ceux qui souhaiteraient l’utiliser pour assouvir leur soif de puissance. Si les couronnes avaient le malheur de s’approcher de ce lieu, alors elles trouveraient sur leur route le colérique.

La discussion continua et Reynagane demanda à pouvoir s’approcher de Dwëmmer. L’araignée mécanique opina et laissa la féline l’inspecter tout en décrivant un peu plus ce qu’elle avait pu découvrir dans les profondeurs de Calastin et dans cette fameuse entreprise Ychgama. Verith retint une fois de plus le comportement de ce Udyog, la couronne de cendre forgeron dont elle avait croisé la route. Le colérique avait eu des échos des précédentes rencontres qui, à l’inverse de celle-ci, s’étaient déroulées de manière bien plus conflictuelle. L’enfant de l’orage retint également le fait que Reynagane qualifiait les créations rencontrées là-bas de vivantes, ou du moins similaire au vivant. Tandis que la féline commençait à fouiller dans sa besace, le rouge lui répondit.

« Je comprends ce que tu dis et vois à quoi tu fais référence. Lors de mes premiers échanges avec Dwëmmer j’ai moi aussi l’impression, le sentiment que celle-ci était vivante … dans le même sens que les dragons, graärh ou bipèdes peuvent l’être. Mais … les choses sont plus complexes qu’il n’y parait. Dwëmmer n’est pas faite de chair et de sang. Elle ne me semble pas posséder une âme. Mais … elle a un esprit et est douée de raison ... »

Verith laissa sa phrase en suspens lorsque la féline trouva enfin ce qu’elle cherchait. La graärh ouvrit la main pour faire apparaitre au creux de celui-ci un cristal. Il s’agissait là d’un cristal de magie. Même si ce n’était qu’un fragment et qu’il était abîmé, le dragon pouvait ressentir en son sein une magie complexe. Cela lui rappelait fortement ce qui émanait du propre cristal de Dwëmmer, quand bien l’assemblage de magie en émanant était bien moins complexe. L’attention de l’araignée mécanique continua de se tourner vers le fragment tandis que Verith rapportait la sienne sur Reynagane.

« Je vois … ces cristaux seraient donc un élément vital … un peu comme à l’image d’un cœur. Je ressens encore de la magie dans ce fragment, il est assez semblable à ce que je ressens chez Dwëmmer. Un assemblage complexe, même si bien moindre. Je doute que le prototype, comme tu dis, à qui appartenait ce fragment de cristal, était doté d’un esprit aussi développé et complexe que celui de Dwëmmer. Mais il l’est bien plus que tous ceux que j’ai pu récupérer sur les golems que l’on trouve à la surface de Calastin. »

Le rouge marqua une courte pause avant de reprendre.

« Artificiel. C’est le seul mot qui me vient à l’esprit pour décrire ce qu’est Dwëmmer ou ce que peut être le prototype à qui appartenait ce fragment. Une forme de vie … artificielle. Semblant dépourvu d’une âme … mais doté d’une construction psychique complexe … bien au-delà de ce que l’on pourrait trouver chez les animaux … qui sont eux pourtant pourvus d’une âme. C’est étrange et fascinant à la fois. C’est à se demander comment il faudrait les considérer. »

L’enfant de l’orage chassa ces pensées philosophiques de son esprit pour venir répondre à l’une des questions précédemment posées par la féline.

« J’ignore comment Dwëmmer s’est retrouvée au cœur du Bâoli. Nous avons bien essayé de chercher, mais malheureusement son cristal est endommagé, ce qui semble affecter son esprit … sa mémoire. »

Dwëmmer leva ses pinces et commença à émettre de petits cliquetis avec.

« Données corrompues. Impossible d’accéder aux fichiers demandes. Erreur. Erreur. »

Un petit soupir s’échappa du rouge.

« J’ai bien essayé de voir si je pouvais arranger les choses. Les dragons maitrisent l’art de l’esprit comme nul autre. Mais celui de Dwëmmer n’est pas commun. Sa construction psychique est intrinsèquement liée l’assemblage de magie qui le compose et donc l’intégrité physique de son cristal. Je ne peux donc pas agir dessus comme je le pourrais pour celui d’un bipède ou d’un graärh. »

Son regard se posa un instant sur l’araignée mécanique, puis il reprit.

« Il faut comprendre que le Bâoli est un endroit complexe. Étant à l’intérieur du volcan, il ne me permet pas d’y rendre autrement qu’en y rentrant sous la forme d’une ombre. Et puisqu’il ne me permet que de rentrer que sous cette forme, je ne peux que me fier à ses sens spirituels et magiques. Malheureusement, le Bâoli est aussi un lieu de forte concentration magique. Mes sens sont donc grandement parasités. Si j’ai pu analyser le puits, analyser le lieu est complexe. Mais en me focalisant sur la signature se dégageant de Dwëmmer, j’ai pu rechercher tout ce qui s’en rapprochait à l’intérieur. Malheureusement, je n’ai rien trouvé d’autre. Je suis pour l’heure dépendant de l’avancée des travaux de ton peuple en ce lieu. Et puisqu’il s’agit d’un site important pour les graärh, je ne peux leur en vouloir de prendre en leur temps pour s’assurer de ne rien détériorer. »

Enfin, le dragon rouge conclut.

« Ces cristaux, comme tout en ce monde, ont besoin de magie pour vivre. Dwëmmer était … endormie, pour ne pas dire morte puisqu’elle s’est réveillée à mon contact, lorsque mon esprit et ma magie l’ont touché … un peu comme un moulin à eau qui se remet à tourner quand le courant de la rivière à laquelle il est juxtaposé reprend après avoir été coupé. Donc si une de ces créatures à son cristal en lui et que celui-ci n’est pas trop endommagé, il doit être possible pour un dragon de le réveiller en lui insufflant de la magie. Mais tout ceci n’est pour le moment que théorique puisque je n’ai pas de possibilité de reproduire ce que j’ai fait avec Dwëmmer sur quelque chose d’autres. »

Le regard de Verith revint vers Dwëmmer qui semblait toujours porter un intérêt au cristal dans la main de la féline.

« Je t’ai dit que le cristal de Dwëmmer était endommagé et que par conséquent son esprit … ou plutôt sa mémoire, l’était également, lui étant en partie inaccessible. Puisque je ne pouvais agir spirituellement dessus en raison de la construction différente de la psyché de Dwëmmer, nous avons essayé différemment … en tentant de réparer son cristal. Nous avons pris des cristaux de magie sur certains golems que l’on trouve à la surface de Calastin, ces derniers étant de ce qui se rapproche le plus de son cristal. Malheureusement, ce fut sans succès. Mais le fragment que tu possèdes se rapproche non seulement d’un cristal de magie, mais il est également celui qui se rapproche le plus en termes d’assemblage magique de celui de Dwëmmer. Peut-être que le problème pour réparer son cristal tenait à la qualité du matériau utilisé. Je doute très franchement qu’il puisse entièrement le réparer et j’ignore bien si cela pourrait fonctionner. Mais cet échantillon est différent de tous ceux que j’ai pu voir jusqu’alors. Accepterais-tu de le donner à Dwëmmer ? »

Si on prenait du recul sur la situation, il y avait à ce moment précis, un bien étrange tableau dans la savane de Néthéril. Une Gräarh, plongée à fond dans une conversation avec l'ombre du dragon le plus puissant de Tiamarantia et d'une araignée artificielle qui regorgeait de secrets et de mystères.

S'ils avaient repris leur marche en direction de la Légion et de ce maître tatoueur de glyphes, la conversation n'en démordait pas pour le plus grand plaisir de Reynagane qui écouta les informations de Svargaadhipati au sujet de ces cristaux, avec le plus grand intérêt.

Ces cristaux pouvaient être assez commun finalement mais pour une Gräarh comme elle, ces objets représentaient bien des questions. À en faire peur en y réfléchissant. Un si petit objet, plus ou moins puissant était capable de faire vivre des objets comme Dwëmmer. En y réfléchissant, quelqu'un de mal intentionné, et les Esprits savent qu'il y en a dans ce monde, pourrait créer des armes capables de tout détruire sur son passage.

Clignant des yeux pour chasser de sombres images de son esprit, Reynagane observa tour à tour Dwëmmer et le cristal fragmentée qu'elle tenait entre sa patte. Verith expliqua alors que le propre cristal de l'araignée était bien endommagé affectant ainsi son esprit.
Regardant avec peine Dwëmmer prouver sa perte de mémoire, la Gräarh sentit ses yeux se plisser et mille questions lui tarauder le crâne. Il devait y en avoir des réponses cachées dans cette mémoire dysfonctionnel. Ne serait-ce que la vérité sur la présence de tels engins dans le Bâoli et comment ils avaient pu se retrouver bloquer de la sorte. Les Gräarhs n'avaient-ils pas encore de réponses à temps de mystères ?  
Une mine déconfite passa sur le museau de la féline en songeant une seconde vouloir poursuivre les recherches avec les autres Gräarhs. Mais son statut lui interdisait hélas tout.
Inspirant, mieux valait penser à autre chose, de toute façon, le mal était fait. Svargaadhipati semblait lui aussi embêté par cette perte de mémoire. Si même le grand dragon ne réussissait pas à résoudre ce problème, alors qui le pourrait ?

Fascinée par les explications de Verith, ses recherches et son intérêts pour toute cette part d'ombre inspirait grandement Reynagane au fur et à mesure que les mots s' enchevêtrait dans son esprit.

« Pardonnez-moi si mes question paraissent idiotes » commença t'elle en donnant suite à la théorie du dragon au sujet du réveil de tels objets. « Donc, si j'ai bien compris, la magie qui aurait finalement disparut avec le temps de ces cristaux pourraient très bien refonctionner avec votre aide ? Peu importe la puissance du cristal. Pour valider votre théorie, il suffirait alors juste de trouver de nouveaux mécanismes allant sur le même travail que Dwëmmer ? Alors vous devriez vous rendre dans le gouffre de Cordont ! Il y a des milliers de choses que vous devriez voir de vos propres yeux et peut-être trouverez-vous réponses à bon nombre de questions. Je me serait volontiers portée volontaires pour vous accompagner mais je crains que... ni ma taille, ni même mon esprit vous soit d'une très grande utilité bien que le sujet m'intéresse grandement. Vous pourriez facilement vous glisser dans n'importe quel fissures si vous êtes sous cette forme d'ombre et découvrir plus de salle que nous en avons découvert lors de notre expédition. »

Peut-être même qu'Udyog lui-même aurait des réponses à apporter. La Couronne serait d'ailleurs peut-être plus enclin à répondre à un dragon qui ne participait pas directement à des conflits. Reynagane s'imagina soudainement une seconde devenir un dragon. Tout serait à porter d'ailes et la vie serait tellement plus facile finalement. Il y avait de quoi envier de telles créatures, c'était d'ailleurs bien pour cela qu'il ne pouvait y avoir qu'un profond respect et une grande admiration envers elles.

La Gräarh suivit le regard de Verith pour venir se poser sur Dwëmmer qui effectivement, regardait toujours avec grand intérêt les morceaux de cristaux déposés sur ses coussinets. Reynagane se faisait sans doute des idées, mais la voix de  Svargaadhipati semblait devenu soudainement plus grave. Une pression étrange accompagna la question finalement posée par Verith et c'est avec un étonnement et une curiosité plus grande encore que Reynagane hocha la tête.

« Bie...bien sûr. Se serait pour moi un honneur d'aider Dwëmmer. Enfin, pas moi directement sachant que... hum »

- Tiens Dwëmmer.

La Gräarh tendit sa patte vers l'araignée mécanique et attendit que celle-ci lui débarrasse les morceaux avec ses longues pattes dorées. Y avait-il une chance dans ce hasard complètement fou que la mémoire, ne serait-ce qu'un tout petit morceau, ressurgisse des tréfonds de l'oubli ?

¤ Données du passé ¤

Verith livrait à Reynagane son analyse et ses théories sur les cristaux de magie que l’on pouvait trouver sur Calastin, sur celui qui animait Dwëmmer et très probablement sur ceux qui animaient toutes les créatures de métal dont la féline avait pu croiser la route. Puis craignant de passer pour une idiote, elle posa une nouvelle question au dragon rouge afin de s’assurer de bien comprendre ce qu’il avait pu dire là. L’enfant de l’orage se serait bien gardé de la traiter de la sorte dans la mesure où ni lui ni elle ne maitrisaient le sujet et que cette matière était toute nouvelle. Jusqu’ici, tout n’était que théorie. Il n’y avait pas assez de pratique pour graver dans le marbre de nouvelles connaissances.

« Selon cette théorie, oui. Mon aide ou celle d’un autre dragon en vérité. C’est l’avantage de ma race que d’être des nexus de magie, portant celle-ci en ce monde. Mais jusqu’ici je n’ai vu aucun autre dragon s’y intéresser. Les dragons liés sont trop occupés par les affaires des bipèdes, ma femme est trop occupée à s’inquiéter pour nos enfants et moi-même, ma fille est trop occupée à chasser, et mes deux jumeaux sont trop occupés à profiter de leur jeunesse. Ce sujet semble très intéressant et en dépit de la boule de colère que j’apparais être aux yeux de beaucoup, je suis friand d’aventures, de découvertes et de mystères. Mais, j’ai de bien plus urgentes affaires à régler dans l’immédiat, toutefois une fois que je m’en serais chargé, il n’est pas impossible que je me rende à ce fameux gouffre. Ou peut-être m’y rendrais-je avant ? Il s’est souvent avéré que ce à quoi je porte un intérêt m’aide à régler les difficultés que je rencontre. »

Si Verith était hors de son ombre, sans doute aurait-il plissé des yeux et dodeliné de la tête pour exprimer sa désapprobation quant aux paroles de la jeune féline.

« Tu te dévalues bien trop jeune graärh. Ce dont nous parlons appartient au passé de ton peuple. Tu aurais donc toute ta place dans ce genre d’expédition. Peut-être serait-il même possible que certains mécanismes endormis ne se réveillent qu’au contact de l’un des tiens. La taille et l’esprit ne font pas tout. La foi en soi-même, la détermination, est une force bien plus grande que la taille ou l’esprit. »

Une force qui semblait cruellement faire défaut à la jeune graärh. Du moins pour l’heure.

« Tu y aurais d’autant plus ta place que tu t’intéresses au passé de ta race, là où nombre des tiens préfèrent le garder enterré. Oublier le passé, c’est oublier les erreurs qui ont pu être commises … et prendre le risque de les commettre à nouveau. »

Reynagane finit par accéder à la requête du dragon rouge et se tourna vers Dwëmmer. La graarh vint tendre à l’araignée mécanique une main dont les coussinets étaient recouverts de plusieurs cristaux. L’antiquité féline sembla émettre un petit son, sans nul doute pour exprimer son contentement, et vint se saisir des cristaux un à un. Méticuleusement, Dwëmmer vint assembler les cristaux qui pouvaient l’être. Quant à ceux qui ne pouvaient pas l’être, elle se mit à les tailler, adaptant leur forme pour leur permettre d’être insérés dans la nouvelle composition. Le dragon rouge demeura silencieux, observant l’araignée mécanique travailler. Une fois fait, la structure de Dwëmmer commença à s’ouvrir pour offrir un accès direct à son propre noyau. Lentement, elle vint insérer l’assemblage à ce dernier. Il y eut un crépitement de magie alors que les deux cristaux semblaient fusionner. Le squelette métallique de l’araignée se referma puis elle se tourna vers ses deux interlocuteurs.

« J’ai dû tailler certains des cristaux pour procéder à l’assemblage. Ce procédé a entrainé la destruction irrémédiable des données comprises dedans. Je vais maintenant procéder à un formatage complet de l’assemblage pour l’incorporer à ma matrice et déclencher une restauration d’une partie de mes données. Le formatage entrainera la suppression des données comprises dans les cristaux que je n’ai pas dû tailler pour la fabrication de l’assemblage. Mais avant toute suppression définitive, je peux tenter d’opérer une lecture des données comprises dans ces derniers. »

« Fait le Dwëmmer. Nos souvenirs permettront d’en garder une trace de ce qu’il contenait. »

L’araignée mécanique étendit sa télépathie antique vers le dragon rouge. Dans le même temps, Verith tourna son esprit vers Reynagane, venant enserrer celui de la féline. Le contact intrusif risquerait d’être déboussolant et possiblement douloureux, mais au moins, il lui permettrait de transmettre directement à cette dernière ce que Dwëmmer lui révélerait.

« Lecture des fichiers ».


Une série d’images mouvantes accompagnée de sons, le tout parasité par des troubles flou et grésillements, commencèrent à affluer dans l’esprit du dragon et de la graärh. On y voyait une multitude des créatures de métal de forme humanoïde progresser dans un couloir qui rappellerait surement à Reynagane ceux du bâtiment visité dans les profondeurs de Calastin. Le couloir était illuminé d’une couleur rouge clignotante. Un puissant vacarme résonnait, mêlant le déplacement d’être de métal et une voix.

« Alerte intrusion. Alerte intrusion. Présence d’individus non autorisés dans le secteur quatorze. Analyse. Détection de badges. Analyse. Identification des intrus. Présence confirmée d’anciens employés de la société.  Veuillez procéder à la neutralisation et l’expulser des intrus. Autorisation de recourir à la force. »

Cette voix, bien qu’inconnue à Verith, ne l’était pas pour Reynagane. Il s’agissait de celle de l’Administrateur. Très vite, il est possible de se rendre compte que la vision est celle d’un des hommes de métal. Il s’agit d’une escouade envoyée pour arrêter la fameuse intrusion. Le groupe arrive dans une grande salle ressemblant trait pour trait à la spacieuse salle où Reynagane s’était fait servir un breuvage par l’un des automates. Les créatures mécaniques semblent se mettre en position face à un groupe d’individus. Ces derniers ne sont nuls autres que des graärh. Leur style vestimentaire diffère totalement de ce qui est connu aujourd’hui. Certains sont vêtus d’une armure tandis que d’autres non. Un combat s’engage entre les automates et les graärh. La créature mécanique dont est issue la vision parvient à en achever un dont la main semblait totalement mécanisée.

C’est alors qu’un son strident suivi d’un rugissement de rage se fait entendre.

« UUUUDDYYYYOOG !!! »

La vision se tourne vers la statue de la salle centrale dont la massive tête métallique vient de se faire trancher. Un graärh monstrueux se tient perché sur cette dernière. Son corps est déformé, mêlant chair et métal. L’un de ses bras ressemble à une scie circulaire, l’autre c’est vu remplacer la main par une sorte d’immense pince. Le visage du félin est semblable à un cauchemar, l’acier semblant avoir presque entièrement remplacé sa chair.

« REMETS-LA-NOUS ET SHÂGRYLÄ T’OFFRIRA LA MORT POUR LE DÉSASTRE QUE TA SOCIÉTÉ ET TES COMPARSES ONT CAUSÉ ! »

Le monstrueux félin bondit vers les soldats automates, commençant à trancher dans le tas. Une profonde rage semble l’habiter et le rendre incontrôlable, ce dernier causant autant de dégât chez les forces de la société Ychgama que chez ses alliées. La vision s’arrête lorsque le bras en forme de scie circulaire s’abat sur le soldat dont est issue la vision.


La vision s’arrêta et Verith revent à lui, retirant temporairement son esprit de celui de Reynagane. Ce qu’ils venaient de voir était pour le moins troublant.

« Les données semblent particulièrement anciennes. Je vais maintenant procéder à la défragmentation, cela prendra un moment. Un pourcent … deux pourcents … trois pourcents … »

L’araignée mécanique continua son comptage, tandis que le rouge tourna son attention vers la féline.

« C’était pour le moins étrange. Je ne m’attendais pas à cela. Ce lieu où tu es allé, dans quel état était-il ? Avait-il des traces de combat ? »

Alors que la féline répondait, le formatage de Dwëmmer se termina.

« Formatage terminé. Tentative de récupération des données. Un pourcent … deux pourcents … trois pourcents … »

Recommençant son petit manège cette fois pour récupérer les propres informations corrompues de son système, le travail de l’araignée mécanique laissa la possibilité d’un nouvel échange avant que celle-ci ne tourne son esprit vers Verith et que le rouge n’en fasse de même pour Reynagane afin de partager ce qui s’avérait être une nouvelle vision.


Cette fois-ci, la qualité des images mouvantes et des sons est encore plus mauvaise que la précédente. Cette fois, c’est à travers les yeux de Dwëmmer que l’on assiste à la scène. La petite araignée est en train d’agiter ses pattes frénétiquement. Le sol sous elle est rougeoyant. Non loin face à elle se dresse une graärh à la fourrure blanche tachetée de noir. Celle-ci se tient devant un puits que Verith peut reconnaitre comme étant le Bâoli. La terre tremble, un bouillonnement se fait entendre tout proche, il y a un véritable fracas comme si une catastrophe était en train de se produire.

« Dwëmmer, connectes-toi à l’institut Vaalaamuk. Un ami y est peut-être … bzzzrrrrcrrr … il faut que tu sois … bzzzzrrrrccrrr … allez ! »

« C’est Ajay …. Crrr … c’est vous … bzz … ment est-ce … zzzt … »

« Rrr … les esprits … bzzz … encore à … crrr … il est entré … zzt … »

« J’entends cela, je vois cela, la terre tremble … bzzzzrrrcrrr … impossible de les joindre, toutes les … rrr … Gry … crrr … partout c’est la … rrrr … »

« Bzzrrrccrrr … mini … zzztt … mais c’est …. Tu dois m’aider. »

« Crrr … tu te rends compte que cela … zrrr … de l’institut, des recherches, de tout l’écosystème de … rrrr … »

« Si nous ne faisons rien … bzzzzrrrccrrr … j’ai absolument besoin du contrôle des Vokar … rrr … le feu de … s’écoule … si je gèle … alors l’archipel tout entier ne tombera pas. »

Un fracas terrible vient empêcher de comprendre la suite des paroles qui sont bien trop parasitées. La graärh met un genou à terre alors que ses mains sont toujours posées sur le Bâoli. Bientôt, le sol rougeoyant autour de la féline commence à prendre une teinte plus sombre puis à se couvrir d’une fine pellicule … de glace ?

« Maitresse. Nous avons le contrôle des Vakar. Je vous y connecte. Connexion établie. »

« Très bien … maintenant, va-t’en. Les autres auront besoin d’aide. Vite ! Je ne sais pas combien de temps je pourrais tenir. »

La féline poussa un terrible rugissement avant qu’une vague de givre ne déferle d’elle et ne frappe Dwëmmer de plein fouet. La vision commence à devenir toute blanche, le son devient de plus en plus étouffé. Quelqu’un semble continuer de parler, malheureusement les paroles sont inaudibles. Finalement, la vision cesse.


Le dragon rouge retira son esprit de celui de la graärh, demeurant silencieux. Dwëmmer, elle, fit de même avec celui de Verith et laissa ses pinces retomber au sol.

¤ De mystères en mystères ¤

Verith était silencieux. Il observait Dwëmmer travailler le cristal de magie et l’insérer dans son propre cœur afin de le compléter, de le réparer. Bientôt la voix artificielle de l’araignée leur parvint. Elle était parvenue à ses fins. Mais avant de révéler certains souvenirs reconstitués de sa mémoire altérée, elle voulait savoir s’il ne valait pas mieux partager les informations contenues dans le cristal offert par Reynagane. Même si l’artefact graärh effaçait ce qui était contenu à l’intérieur, s’il le partageait avec le dragon et la féline, alors ces informations ne seraient pas perdues. Utilisant son esprit pour établir une connexion avec Reynagane et lui permettre de suivre les révélations, Verith laissa les antiques souvenirs couler à travers lui. Ce qu’il vit dans un premier temps était pour le moins troublant. Des créatures de métal, pouvant se rapprocher de Dwëmmer, mais avec une forme humanoïde, ou pouvant encore se rapprocher aux informations partagées par Shäa un peu plus tôt, se révélèrent à eux. Une scène de bataille se déroulait sur leurs yeux, à l’intérieur d’un couloir d’acier. Des félins combattaient ces êtres de métal. Quelle pouvait bien être la cause de cette discorde ? D’autant plus que les graärh remplissaient ici le rôle d’agresseur. La vision gagne en intensité avec l’apparition soudaine d’un nouveau protagoniste. Il s’agissait d’un graärh, encore une fois, mais à l’inverse des autres ce dernier était pour le moins étrange. Oui étrange et encore le mot est faible, une partie de sa peau était faite d’acier, comme s’il avait fusionné avec le métal. L’enfant de l’orage n’avait malheureusement pas d’explication à cela, mais son intérêt fut pour le moins piqué. Si seulement il n’avait pas d’affaires plus urgentes à régler, peut-être se serait-il directement rendu auprès de cette entreprise Ychgama. Tant pis, il passerait pour cette fois, la tâche d’obtenir des réponses irait à quelqu’un d’autre. Lorsque cette première vision prit fin, Verith interrogea Reynagane, qui lui répondit sans attendre.

« Piégé dans le temps … peut-être que les cadavres de ces créatures de métal était encore des stigmates de la scène de bataille que nous venons de voir. Cela pourrait signifier que ces évènements se sont déroulés il y a très, très longtemps. Voilà qui pique mon intérêt. Si ce Rog a aussi causé du grabuge là-bas, alors il était effectivement difficile de distinguer les signes des batailles. »

Le colérique marqua une petite pause, laissant Shäa reprendre.

« Ce félin de métal. J’ai vu beaucoup de choses dans ma vie, mais rien de tel. Enraciner … ou fusionner avec l’acier. C’est assez perturbant. Effectivement il semblait vouloir quelque chose en possession de cet Udyog, le maitre des lieux. Mais il a aussi mentionné quelque chose d’autre. Shâgrylä. Qu’est-ce que cela peut bien être ? Il a dit qu’elle lui offrirait la mort. Peut-être est-ce une personne ? Ce félin agissait sans doute sous les ordres de cette Shâgrylä. Beaucoup de questions auxquelles je n’ai pas les réponses. Si tu devais à nouveau croiser la route de cet Udyog, peut-être devrais-tu l’interroger à ce sujet. En choisissant les bons mots, tu pourrais lui tirer les vers du nez et en apprendre beaucoup. Voyons la suite à présent. »

Le silence se refit et une nouvelle vision apparut. Celle-ci appartenait au passé de Dwëmmer. Malheureusement, elle était fortement parasitée. La mémoire de l’araignée mécanique était décidément en très mauvais état. Une fois la vision terminée, le rouge garda le silence, consultant à nouveau ses souvenirs pour voir s’il n’était pas passé à côté de quelque chose. D’une oreille distraite, il écoutait l’échange entre Reynagane et Dwëmmer. L’araignée mécanique ne semblait pas particulièrement perturbée par l’émergence de ces nouvelles données.

« Cette graärh ne figure pas dans ma base de données. Être lié à elle ? Impossible, seul lié est mon lié. Je ne lui ferais pas d’infidélité. »

L’ombre du colérique dodelina de la tête, arracher de ses pensées par les propos de l’araignée mécanique.

« Ce n’est pas ce qu’elle voulait dire Dwëmmer. »

L’antique artefact félin tourna son attention vers Reynagane, faisant tourner ses pinces.

« Oh, je vois. Peut-être était-ce une amie ? Ou une collègue de travail ? Ou peut-être était-elle celle en charge de graisser mes rouages et entretenir mes circuits ? »

Soupirant, Verith tourna l’ombre de son museau vers le nord. Vers le centre de l’archipel. Vers Tiamat.

« Une légion dont la domination de l’archipel aurait été renversée. En sept jours et cinq nuits … »

L’enfant de l’orage surgit soudainement de son ombre pour venir étendre une de ses ailes, couvrant une partie de la terre dans l’obscurité. Prenant une inspiration, Verith cracha une gerbe de flammes qui vint illuminer la terre en dépit de l’ombre que projetait son aile. Modulant ensuite son souffle, il exulta une épaisse fumée noirâtre. La terre fut à nouveau plongée dans l’obscurité. Le dragon retira ensuite son aile. La fumée, elle, demeura et les rayons du soleil ne parvinrent pas à la percer, laissant une partie de la terre dans l’obscurité. Jusqu’à ce que le nuage sombre ne se dissipe avec le vent.

« Vos légendes sont cryptiques, en plus d’être incomplètes. Cette partie me semblait étrange. Dans un premier temps je pensais qu’il s’agissait là d’une erreur due à vos traditions orales. Mais il n’en était rien. La réponse a toujours été sous mes yeux. Une légion baptisée de cendre après avoir fait déverser le feu pour effacer la honte de ses fautes auprès des Esprits-liés. Comment la lumière peut-elle régner sur l’archipel pendant sept jours sans interruption? Comment l’obscurité peut-elle régner sur l’archipel pendant cinq nuits sans discontinuer ? La réponse est le feu. Un feu si puissant qu’il est capable d’illuminer le ciel pendant sept jours. Un feu si puissant dont sa mort provoquerait suffisamment de fumée pour dissimuler le soleil pendant cinq jours et plonger de ce fait l’archipel dans cinq nuits. »

L’enfant de l’orage étendit à nouveau son esprit vers la féline, partageant à nouveau le souvenir, même cette fois-ci en repassant sans discontinuer le début, un fragment, un son, bien avant les paroles : un bouillonnement. Verith retira ensuite son esprit de Reynagane.

« Cela fait longtemps que je n’ai pas raconté cette histoire. La dernière fois, c’était sur Ambarhùna. Avec une dragonne verte dénommée Ashy. »

Le rouge marqua une petite pause, le temps de dissimuler la pointe de tristesse, dans sa voix naturellement empreinte de colère, à l’évocation de cette jeune dragonnette qui avait trahi sa confiance.

« Je ne suis pas né sur Ambarhùna, mais sur un autre continent encore plus loin par-delà les eaux. Une terre immense et peuplée uniquement de dragon. Parmi eux il y en avait un nommé Tinmeluth. D’entre tous son souffle était le plus puissant, son feu le plus intense. A chaque fois qu’il embrasait le sol, la terre faisait ce même bruit, ce même bouillonnement. Là-bas, de tous il était connu sous le titre de créateur de volcan. Vois-tu où je veux en venir petite graärh ? »

Le feu était la réponse et seul le feu d’un volcan est en mesure d’illuminer le ciel même en pleine nuit avant de le plonger dans une obscurité profonde à l’aide d’un nuage de cendres. Ce fracas semblable à une terrible catastrophe qu’il est possible d’entendre en fond de cette vision n’est ni plus ni moins qu’une éruption. Une montagne en colère qui s’exprime en déversant le feu.

« Tiamat est un volcan. Le Baôli est en son centre et la cavité qui l’accueille est couverte de glace. Vous les graärh, n’êtes pas de grand utilisateur de la magie. Mais grâce à Asolraahn, je sais qu’il existe un esprit-lié dont la bénédiction permet de manipuler la glace : le léopard des neiges. Il y a fort à parier qu’elle en était une spirite. Mais pour être capable d’arrêter l’éruption d’un volcan de cette taille. Elle devait être sacrément puissante. Peut-être y est-elle parvenue grâce au Baôli. »

Le rouge retourna à nouveau dans son ombre et reprit.

« Pour autant il reste encore des questions sans réponse : qu’est-ce qui a pu causer cette éruption ? Que sont les Vokar dont elle fait mention et dont elle besoin du contrôle? Et enfin, qu’est-ce que cet institut Vaalaamuk. Les Ambarhùniens ont baptisé l’île au centre de cet archipel Tiamat, mais son nom graärh est Vaalaamuk. La cavité du Baôli est taillée et comporte de nombreux ouvrages mêmes si piégés dans la glace. Peut-être y avait-il d’autres constructions sur place. Étrange alors que rien n’ait encore été trouvé. Sauf si tout a été détruit. Ou peut-être que le nom Vaalaamuk de cet institut ne fait pas référence à son positionnement géographique, mais à un autre lien avec cette ile. »

L’attention de Verith se tourna vers Dwëmmer.

« Ça peut valoir le coup d’essayer. Dwëmmer, connectes-toi à l’institut Vaalaamuk. »

L’araignée mécanique pencha les pinces sur le côté tout en observant en direction de l’ombre de son lié. Puis elle se tourna vers Reynagane avant de finalement lever ses mandibules en direction du ciel. Une énergie commença alors à se dégager de l’antique artefact graärh. Une lumière se dégagea d’entre ses rouages, en provenance de son cœur. Puis au bout de quelques secondes, plus rien. Dwëmmer baissa les pinces.

« Je ne détecte rien, lié. »

Un petit rire s’échappa du colérique.

« Bien sûr. Cela aurait été trop simple. Si certaines pièces du puzzle pouvaient être acquises aussi facilement, résoudre les mystères serait bien moins grisant. Peut-être pourrais-tu les chercher jeune graärh, après ton passage à la légion. D’ailleurs, il me semble que la ville n’est plus très loin. »

En effet, au loin la silhouette de la cité féline se dessinait déjà depuis un moment.

¤ L’heure est venue de se séparer ¤

Après les révélations qu’avait pu faire Dwëmmer en récupérant les informations contenues dans les cristaux présentés par Reynagane, puis en reconstituant une partie de sa mémoire à l’aide de ces mêmes cristaux, Verith les assimila avant d’en tirer une série de déductions et de théories qu’il ne manqua pas d’imager aussi bien au travers de gestes qu’au travers d’anecdotes. L’enfant de l’orage pouvait sentir l’esprit de la graärh bouillir et si elle avait été capable de la fumée sortirait surement de ses oreilles. La féline traitait à sa manière les informations et sembla s’emmêler les pinceaux, mais le colérique ne lui en tint pas rigueur bien au contraire. Il ne voyait dans ces erreurs d’interprétation que l’engouement de Reynagane à renouer avec le passé de son espèce. Il ne tenait donc qu’au dragon de remettre de l’ordre dans tout cela.

« Calme-toi, jeune graärh. L’engouement et l’excitation face à ces découvertes s’emparent de toi et de ton esprit. Tu pourrais passer à côté de quelques choses d’important ou pire faire une erreur. Je doute fortement que Tinmeluth soit venu jusqu’ici pour créer ce volcan et encore plus le Bâoli. Ce vénérable dragon a certes dépassé le millénaire, mais ce lieu est bien plus ancien que lui. La dernière fois que je l’ai vu, il y a dix ans, il était toujours sur le continent sauvage avec nombres autres dragons. Et au cours de mes échanges avec lui, il n’est jamais apparu qu’il a un jour quitté celui-ci pour venir en Tiamaranta. Non, cet archipel est à mon avis vierge de tout passage de dragons, ou alors ces traces sont habilement dissimulées puisque rien dans les histoires de ton peuple ne fait mention d’élément se rapprochant de près ou de loin de ma race. Même si aucune piste n’est à écarter, aujourd’hui rien ne peut amener à penser qu’un dragon soit un jour passé par ici. Mes propos n’étaient là que pour imager ma théorie sur l’explication de cinq jours et sept nuits mentionnés dans vos légendes. »

Puis vinrent cette fois-ci des propos de la part de Reynagane qui pour le coup étaient parfaitement cohérents.

« Voilà qui peut s’avérer exact en effet. Même si la vision est parcellaire, rien n’indique que cette graärh ait pu échapper à la glace, puisque Dwëmmer elle-même n’a pas pu y échapper. Dès que l’occasion se présentera, je me rendrais au Bâoli pour vérifier cela. C’est une piste qui vaut le coup d’être suivie. J’ignore en revanche si cela nous apportera quelque chose. Si elle se trouve bien sous la glace, alors elle sera assurément morte. Au moins serait-ce là pour ton peuple l’occasion de l’inhumer comme il se doit. »

L’enfant de l’orage réfléchissait déjà à un moyen de s’occuper de la glace recouvrant l’intérieur du Bâoli. Cela n’avait pas été une mince affaire que de tirer Dwëmmer de cette dernière, la glace au cœur du volcan était d’une nature magique puissante. Peut-être pourrait-il la faire fondre avec ses propres flammes, mais il était impossible pour lui de rentrer dans cette cavité autrement qu’à l’intérieur de son ombre.

« J’ignore pourquoi ton peuple a caché son passé, jeune graärh. Il s’agit là d’un acte délibéré. Vos ancêtres cherchaient à dissimuler quelque chose, sans doute pour le meilleur comme pour le pire. J’ignore encore exactement pourquoi, mais je sais d’expérience que lorsque l’on cherche à effacer un fait des mémoires, c’est pour cacher une erreur … une erreur terrible. Malgré le respect que je peux porter à ta race, l’acte de celui-ci est à mon sens folie. Commettre une erreur peut être grave, il est vrai, mais en la dissimulant, on s’empêche d’apprendre de cette dernière pour ne pas le commettre à nouveau. Et pire encore, il se peut que les conséquences de cette erreur ne soient jamais traitées. Dès lors des personnes innocentes se retrouvent confrontées à ces dernières. Cela s’est déjà produit sur le continent d’Ambarhùna que les bipèdes ont fui lors de l’arrivée des Chimères. »

L’ombre du dragon opina du museau.

« Cet Udyog pourrait avoir certaines réponses en effet. Et en ce qui concerne l’accès au Bâoli, les feu l’Aaleeshaan Sa’Hila et l’Aaleeshaan Illidim ont mis en place un système pour en restreindre l’accès. On peut se rendre sur l’île en ayant l’aval de l’une d’entre elles, mais on ne peut se rendre à l’intérieur du volcan qu’avec l’aval de ces deux dernières. Depuis la mort de Sa’Hila, le conseil qui s’est mis en place sur Néthéril peut donner cet accès, mais comme il s’agit du lieu de plus sacré de votre espèce, l’obtenir n’est pas une chose facile. Et en dépit de la renommée dont je bénéficie auprès des vôtres, je ne préfère pas intercéder en faveur d’une personne sur ce sujet. J’ai fait la promesse à feu Sa’Hila de le protéger des personnes souhaitant acquérir la puissance du Bâoli, mais pour le reste, il appartient aux graärh d’en décider. »

La ville légion n’était plus très loin désormais et avec cette proximité, un autre sujet refit son apparition, celui de l’ancre en possession de Reynagane.

« Je t’apprécie petite féline. Je vais t’accompagner. Si jamais cette ancre devait avoir un effet néfaste au moment où elle touchera ta peau, je devrais être en mesure de le ressentir et d’agir en conséquence. »

Sur ces mots, le groupe de chasseurs en compagnie de Reynagane, Dwëmmer et Verith arrivèrent à l’entrée de la ville. Les félins remercièrent le colérique pour son aide lors de la chasse, ainsi que Reynagane et les avoir aidés à ramener le gibier. L’araignée mécanique conduisit son lié et la féline jusqu’à un maitre tatoueur où le colérique intercéda en faveur l’Ashuddh. Le graärh accepta, et s’il était sans enthousiaste au début, il changea du tout au tout en découvrant l’ancre qu’on lui présenta. Jamais de sa vie il n’avait vu une ressource de cette qualité. L’espace d’un instant, il oublia la condition de Reynagane et la remercia, car en ce jour, il allait surement réaliser l’œuvre de sa vie.

Fort heureusement, l’ancre n’eut aucun effet néfaste sur Reynagane. Bien au contraire, le colérique pouvait sentir la magie s’insinuer dans le corps de la féline. Elle devrait être en mesure de supporter ce changement. Le rouge la prévint, puis lui dit qu’elle n’avait pas à s’inquiéter et qu’il était l’heure pour lui de partir, car ses enfants l’attendaient. Dwëmmer et Verith saluèrent une dernière fois la graärh avant de partir, en promettant que leurs routes se recroiseraient un jour.