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descriptionCe qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron] EmptyCe qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron]

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28 Août 1764



La liberté, n’était-ce pas un sentiment universel ? On en rêvait, tous tout en s’enchaînant et regardant ailleurs, feignant de ne pas voir ce qu’on s’infligeait. On préférait blâmer les autres de vouloir être libres, eux-aussi, de partager ce rêve qu’un seul être ici-bas, quel qu’il soit, pouvait réaliser en méprisant celle des autres. Mais il n’y avait jamais aucun gagnant. La liberté était un champ de bataille où personne n’arrêtait jamais de se battre, qu’importe ceux qu’on venait à blesser, y compris ses proches. Quand on renonçait, pour leur laisser la victoire, on saignait. Il en allait ainsi de l’amour, comme une victoire offerte et qui faisait un mal de chien.

Il aurait aimé être moins lucide, de ne pas pouvoir regarder le champ de bataille, comme vu du ciel. Depuis leur arrivée sur Ambarhùna, il n’avait eu de cesse de voir ce monde comme un marasme perdu d’avance. Il s’était battu pour la liberté, forgeant une Alliance des Cités Libres qui, aujourd’hui, se fissurait et venait ployer le genou. Après tous les morts, ils renonçaient et abdiquaient. Et s’il n’avait pas organisé la destitution d’Eleonnora et mené Autone à Caladon, la cité de l’or se serait vendue à la servitude vassale. Mais de qui était-elle encore l’incarnation de la liberté ? Le travail de la nouvelle monarque prendrait du temps. Il leur faudrait prier pour que les cités ne tombent, comme celle des elfes.

Un fléau, peste de corail en son nom, avait conduit le peuple elfique vers son tombeau. Ce ne fut ni les miasmes du Néant, ni les chimères, ni les vampires qui eurent raison d’eux, mais une pathologie microscopique. Il était effrayant de voir comme de si petites choses pouvaient avoir d’aussi grandes conséquences. Fallait-il alors que la destruction frappe pour laisser place à une construction ? Durant des siècles, vampires et elfes se vouèrent une guerre sans merci et aujourd’hui, sous sa couronne, ils étaient réunis. Il était revenu après près d’un millier d’entre eux, vampirisés ou immaculés : soignés de la peste.

Les nouveau-nés avaient été conduits à Hurle-Vent, comme quelques mois plus tôt, il l’avait fait avec le millier d’humains vampirisés à Sélénia. Là-bas, près de la forêt, ils pouvaient chasser le gibier pour apaiser leurs instincts prédateurs en feu. Ils avaient de l’espace pour courir et surtout, ils n’étaient pas soumis à la tentation. A Cendre-Terre vivaient les bipèdes au sang chaud et au cœur battant. Des humains, des elfes, des sainurs, parfois simplement de passage pour le commerce, auraient tôt fait de rendre fous ces nouveau-nés qui devaient apprendre à se maîtriser.

S’ils n’étaient pas présents à Cendre-Terre, le fait qu’Aldaron était revenu de Keet-Tiamat avec un près d’un millier d’elfes vampirisés avait tôt fait de faire croire à ce qui n’était : une chasse de recrues, une vile attaque du gentil peuple de la forêt par les méchants monstres de la nuit. Aldaron savait que cette image collait à la peau des vampires, aussi ne doutait-il pas que les autres nations lui demandent des comptes à ce sujet. Il se savait être droit dans ses bottes et que la vampirisation avait été le salut pour la survie de ces antiques… il resterait à convaincre les autres. Mais pour l’heure… Il était occupé à regarder ses deux fils se battre à l’épée. Non pas qu’il y aurait une colère entre eux : ils s’entrainaient simplement.

Le fait est que les vampires étaient souvent brutaux et le craignaient pas de recevoir des coups. Aussi, voir Siel et Ivanyr, ce cher Feu-Nolan Kohan, pouvait effrayer un œil peu habitué. Ivanyr était encore un nouveau-né, mais il parvenait de mieux en mieux à se tenir. Quant à Siel, bien qu’il ait rejoint le peuple de la nuit plus tard, faisait montre d’une belle maîtrise de la Faim. Il fallait dire que les antiques bénéficiaient de la sagesse et de la mesure des elfes qu’ils furent, là où les humains, même après leur transformation, gardaient leur tempérament fougueux. Pour autant, tous deux avaient le droit de vivre à Cendre-Terre. Leur exil à Hurle-Vent était terminé : il était l’heure, pour eux, de l’entrainement. Au Royaume Erlië, tout un chacun était avant tout un soldat. L’on pouvait être forgeron, pâtissier, ou commerçant à côté, pour servir la nation, mais la place de soldat était primordiale et formait la hiérarchie. Plus on était un bon soldat et plus on montait en grade et plus on était respectés.

Il corrigeait ses enfants, lorsqu’ils faisaient des erreurs. Il repositionnait leur jeu de jambe, participait à leur état d’esprit, corrigeait la trajectoire de leur épée. Il était intransigeant, tranchant et direct. Il n’était pas ici pour faire de la dentelle, et s’il ne manquait pas de les féliciter dans leur geste se faisait précis, il pointait sans détour les défauts dans leur façon de combattre. Lorsqu’il leva les yeux au ciel, lorsque Siel engageait une retraite plutôt que d’attaquer, il vit cette femme, cette elfe, sur les remparts qui bordait l’arène d’entrainement. Elle n’était pas des leurs, alors, elle n’avait rien à faire ici. Comment était-elle entrée ? Mauvaise vigilance de la garde ou avait-elle mis KO ceux qui gardaient l’entrée ? Et pourquoi venir ici, précisément ? Était-ce le Prince Noir qu’elle cherchait ?

« Tu as manqué une occasion de frapper une deuxième fois, Siel. Il est bon d’être prudent, et de reculer quand il le faut. Il est bien meilleur de saisir les opportunités quand elles se présentent de façon aussi évidente. » Siel était un soigneur, il savait qu’il peinait à donner des coups d’épée, en particulier quand son ennemi était son frère et Aldaron le savait. Il était… Sentimental et le Prince Noir l’était aussi. Mis le combat était le combat et il ne devait pas perdre cet objectif de vue. « Reprenez. » Un ordre, net, suivi d’exécution, mais il se retira et gravit les marches qui conduisaient aux remparts pour rejoindre l’elfe rousse. Il aurait été bête de sa part de fuir, Aldaron l’aurait faite rattraper rapidement. Elle avait trop avancé, même par erreur, pour reculer. « Vous n’êtes pas des nôtres. » commença-t-il, en guise de salutations. Ce n’était pas spécialement courtois, mais elle n’avait rien à faire ici, qu’elle s’y soit retrouvée par erreur ou volontairement.

« Rassurez-moi, vous n’avez pas tapé sur mes soldats pour entrer ici, n’est-ce pas ? » La voix était grave, sombre, mais il lui laissait le bénéfice du doute. Ses gardes avaient pu manquer de vigilance et elle se perdre. « Que faites-vous là ? » En vérité, le comment elle était entrée ici ne l’intéressait pas beaucoup. C’était le pourquoi. Quelle intention y avait-il derrière cette venue ?

descriptionCe qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron] EmptyRe: Ce qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron]

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20 août 1764

Grimper à bord de cette frégate avait été plus facile que je l'avais imaginé malgré mon estomac noué par l'appréhension. Les marins s'étaient tout de même sentis obligés de me rassurer sur notre voyage, comme si je n'avais jamais pris la mer auparavant. Ils se méprenaient simplement tous sur le sens de mes tourments que, visiblement, je dissimulais mal. Tant pis. Au moins n'étais-je pas seule pour ce périple de trois semaines.

En effet, Kyla embarquait à mes côtés. Dès l'instant où je lui avais révélé le sort de son père, il était devenu impossible de lui ôter de la tête l'idée de le retrouver. L'attente avait été grande avant que nous soyons en mesure de nous rendre jusqu'à Nyn-Tiamat. Et Kyla était davantage réputée pour sa fougue que sa patience, rendant l'attente parfois compliquée.

Mais nous y étions presque. À bord de la frégate, nous eûmes droit à une chambre confortable plutôt qu'un simple hamac avec le reste de l'équipage. Un confort que j'appréciai à sa juste valeur, Kyla dans un lit, moi dans l'autre. Nos affaires déposées, nous avions trouvé le chemin du pont dès les premiers instants tout en prenant garde à ne pas gêner l'équipage qui remuait dans tous les sens. Le capitaine, une longue-vue à la main, nous avait annoncé des vents très favorables pour notre traversée de la mer. Peut-être arriverions-nous plus tôt que prévu, nous avait-il appris ce matin-là.

Il avait raison. Des vents très favorables et un peu de magie nous firent arriver presque deux semaines plus tôt que prévu. Ce fut donc une traversée record qui nous laissa plus frais que si nous avions passé trois semaines à bord, tel que prévu initialement.


28 août 1764

Je n'aimais pas Cendre-Terre. La température ne m'incommodait pas grâce à ma cape, dont le drapé oscillait entre le blanc et le gris, mais cet endroit me donnait la chair de poule. J'avais été agréablement surprise, en arrivant, de découvrir ici des Vampires comme des Sainnûr et parfois des Humains, mais songer à Siel et à ce qui lui était arrivé ternissait ce tableau que, autrement, j'aurais aimé avec certitude.

J'avais fini par retrouver Siel. La tâche avait été plus simple que prévu. Après tout, les rumeurs allaient bon train lorsqu'elles concernaient les enfants du souverain. Les enfants… Lorsque j'avais reçu la missive de Messire Avente m'apprenant l'identité du vampire ayant transformé mon époux, je n'avais pas su réprimer ma colère. De nombreux arbres et rochers avaient subi un triste et violent sort avant que je ne m'effondre, à genoux, pour laisser place à un torrent de larmes. La crise de panique avait failli me happer complètement, ce soir-là.

" Ne laisse pas tes sentiments dicter tes actions. Tu ignores tout des circonstances de sa morsure. "

Je tournais la tête, croisant le regard améthyste d'Orfraie tandis que je marchais d'un pas rapide. Celle-ci n'avait aucun mal, dans sa forme éthérée, à suivre mon rythme. Les lambeaux de son manteau s'étalaient derrière elle, lui donnant une aura que je trouvais sinistre et qui, à dire vrai, allait très bien avec cet endroit. Elle avait raison. La partie rationnelle de ma tête le savait parfaitement. Elle m'avait même conté sa propre transformation en vampire pour apaiser mes tourments, m'expliquant qu'elle avait offert sa nuque dans l'unique but de survivre à une blessure mortelle.

" C'est peut-être ce qui s'est passé avec Siel. " m'avait-elle dit.

Je peinais à imaginer une telle issue, mais le doute était bien là, perfide. C'était comme la lame d'un poignard logé entre deux côtes. Douloureux en un point précis.

" Il s'entraîne, tu en es certaine ? " Demanda la princesse éthérée pour changer légèrement de sujet. Je glissais un nouveau coup d'œil vers elle, avisant l'épée à son côté. La garde était formée par deux têtes de dragons opposées, leur corps entrelacés formant le manche de l'arme. Une gemme brillante, couleur d'émeraude, était incrustée au bout du pommeau.

" C'est ce que j'ai entendu, oui. " répondis-je dans notre langue après un instant, me moquant bien de passer pour une folle en parlant à voix haute alors que j'étais visiblement seule.

J'arrivais au pied du mur d'enceinte. C'était une arène à l'intérieur. Par moments, on pouvait entendre les bruits du combat, porté par le vent glacé.

" Il y a des gardes. " m'avertis Orfraie. Celle-ci les pointait du doigt. " Faisons le tour pour trouver un passage plus discret. "

Elle s'éloigna et je la suivis. La présence de la princesse avait été, au début, déroutante, agaçante et même énervante. Mais, aujourd'hui, c'était différent. Elle avait quelque chose de rassurant. Notre collaboration forcée s'avérait plus agréable que je l'avais imaginé, bien que je n'étais pas encore habitué à ses apparitions soudaines qui me faisaient sursauter à chaque fois. La dragonnière avait une expérience de la vie qui me faisait défaut mais qu'elle partageait sans gêne. J'en venais à regretter de ne pas l'avoir côtoyé de son vivant et d'espérer, un jour, qu'elle sorte de la glace. Je n'oubliais pas, d'ailleurs, grâce à qui elle était encore là.

" Ce pan de mur semble délaissé par la garde. "

Je levais le nez, relevant très légèrement mon capuchon pour mieux observer le mur d'enceinte. Il y avait une certaine hauteur, mais rien d'insurmontable grâce à un peu de magie. Je clignais des yeux. L'instant suivant, j'observais la ville depuis mon promontoire, ma cape changeant de couleur pour mieux se fendre dans le décor. Hélas, je n'ai eu guère le temps de reprendre mon souffle. Le bruit très distinctif d'un combat vint à mes oreilles, beaucoup plus fort que précédemment, faisant se hérisser les poils de mes bras. De mauvais souvenirs remontaient à ma mémoire en entendant le fracas du métal contre le métal. Des réminiscences que je chassais d'un revers de la main.

Le plus difficile était fait. Il ne restait qu'à suivre ce que j'entendais pour trouver ma route jusqu'à l'intérieur de l'arène. Orfraie se tenait encore là, silencieuse, le front barré par un pli soucieux. Ce faisait-elle du souci pour moi ? Ou avait-elle peur de ce que j'allais faire ?

" Nous y sommes. "

En effet, nous y étions. Je m'arrêtais net en apercevant son visage. Toute la tension accumulée dans mes épaules fut relâchée d'un coup et, sans m'en apercevoir, je serrais les doigts autour de mon bâton de peur de tomber. Siel était là, visiblement fatigué par son combat. Je ne prêtais guère attention à son adversaire, mes yeux dévorant sa silhouette que j'avais eu si peur d'oublier. Il n'avait pas changé, ou si peu, que je me faisais violence pour me remémorer que ce n'était plus mon Siel. Que je ne pouvais pas m'approcher ainsi. Que je ne devais pas. Je ne le connaissais plus, j'ignorais tout de sa possible réaction si nous nous rencontrions.

M'arrachant à ma contemplation morbide, je me rendis compte de la présence du Prince Noir lui-même. Et lui aussi m'avait aperçu. Un frisson parcourut mon échine lorsque je l'entendis ordonner aux deux vampires de reprendre leur entraînement, tandis qu'il tournait les talons et marchait dans ma direction. Instinctivement, je refermais les pans de ma cape sur mon buste comme pour disparaître.

La bienséance reprit le dessus lorsque le souverain fut à quelques pas et j’ôtais mon capuchon. Le ton de sa voix, à première vue tranchant, n'avait rien d'invitant mais la formulation de sa première question sonna presque enfantine à mes oreilles. Je me détendais légèrement tandis que j'avisais Orfraie qui s'était approché du vampire, l'observant de beaucoup trop proche à mon goût.

" Je l'ai connu lorsqu'il était jeune. Je me souviens de l'elfe qu'il était… et du père qu'il a failli à être à cette époque. Cela a bien changé, ses enfants lui sont précieux. "

J'assimilais l'information, prenant le temps de chercher la bonne formulation pour répondre au souverain. Mais je n'avais jamais été douée pour cela.

" Aucun ne m'a vu. " répondis-je froidement à sa première interrogation. Le sous-entendu était à peine voilé et j'entendis Orfraie soupirer en se tournant vers moi. Je l'ignorais. " Je m'appelle Vex'Hylia Aërendhyl. " Poursuivis-je en chassant la froideur de ma voix pour la remplacer par une intonation neutre qui délivrait une information banale. " Je suis venue avec ma fille depuis Calastin pour retrouver son père. "

Je lui offrais un rictus triste, chargé de rancœur et d'ironie. Je n'étais capable que de cela. Je n'avais pas envie de hurler, ni de pleurer alors que cela aurait été des réactions légitimes.

Quelques secondes s'écoulèrent, lentes et longues. Le bruit du combat en contrebas n'arrivait plus à percer le silence que je venais d'instaurer entre nous. Puis je détournais le regard vers les deux combattants, mes orbes volcaniques posés sur l'ancestral.

" Siel est… était mon mari. "

Je déglutis. Prononcer ces mots au passé m'arrachait la gorge. C'était bien plus douloureux que je l'avais imaginé au départ.

" Il est bon combattant, mais son cœur a toujours retenu son bras. " Sous mes yeux, je vis Siel manquer une parade pourtant évidente. Sa maladresse me tira un sourire attendri. Puis une pensée fugace vint m'ôter ce sourire. Était-ce pour cette raison qu'il avait été transformé ? Parce qu'il n'avait pas été capable de se défendre ? " J'aimerais connaître les circonstances de sa transformation. "

Je détournais les yeux du combat, me tournant entièrement vers le souverain. La distance, entre lui et moi, me semblait minime. Je pouvais aisément détailler son visage et sa stature. Et il y avait cette aura magique d'une puissance sans doute égale à la mienne. Le cœur palpitant de cette magie semblait être la couronne dont son front était ceint.

Je rajoutais rapidement, sentant ma gorge se nouer soudainement :

" S'il vous plaît. "




n.b : pour le temps de trajet, j'utilise la récompense "réduction du temps de trajet de 3/4".

descriptionCe qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron] EmptyRe: Ce qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron]

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Lorsque le capuchon fut retiré, Aldaron put observer son visage. Elle lui disait quelque chose, mais elle semblait plus jeune que lui. Un peu plus d’une centaine d’années environ. Cela signifiait qu’il avait déjà quitté les siens lorsque la rousse était née. Il reconnaissait, dans ses traits, des elfes plus anciens : son père ? Sa mère ? Eux, il les avait peut-être connus. Mais elle ? Non. Et il ne l’avait pas non plus ramenée de Keet-Tiamat. Lorsqu’elle se présenta, il fit rapidement le lien avec Siel, bien qu’elle le lui confirma en des mots qui semblaient difficiles. Il comprenait, au fond, lui aussi, il avait perdu son mari et il savait quel genre de brasier pouvait dévorer de l’intérieur. Si ce n’était que Siel n’était pas vraiment mort. Il avait rejoint le nuit, bien que pour les elfes, cela ou mourir signifiaient sensiblement la même chose. Il garda le silence, néanmoins, la jaugeant du regard, l’analysant, elle et tout ce qu’elle portait. Il savait combien il avait été en colère contre Claudius quand Achroma était tombé. S’il devait se battre avec elle, il profitait de cette accalmie pour savoir à qui il aurait à faire.

La question à laquelle il s’attendait tomba, évidement. Elle voulait savoir pourquoi et comment. Cherchait-elle un coupable ? Ou un moyen pour se dire que cela avait été inévitable ? C’était les deux, en vérité. Il était autant coupable de négligeance que le transformer avait été une neccessité. Elle n’aimerait peut-être pas sa réponse, mais elle voulait savoir alors, il lui devait au moins la vérité. « Lorsque Claudius est venu à Cendre-Terre pour que nous actions un accord de non-agression, j’ai proposé à ceux qui avaient perdu un proche de se présenter à l’hotel de ville pour d’un moyen de communication soit mis en place entre eux et le parent vampirique de leur proche. Mais je n’ai pas eu de mise en contact, pour Siel. Je me suis demandé si c’était parce que sa famille n’était pas prête, ou parce qu’elle considérait qu’une fois dans la nuit, il n’existait plus. Je me suis demandé s’il n’avait, tout simplement, pas de famille ou bien… Ou bien si, en apprenant que le parent de Siel était le Prince Noir lui-même, ils n’avaient pas pris leur jambes à leur cou. » Car c’était une éventualité à ne pas négliger, pour de nombreuses raisons.

Il dodelina doucement de la tête : « Mais vous êtes là, devant moi, donc cela élimine beaucoup de réponses. » Alors peut-être qu’elle aussi avait droit à ses réponses. « Avant ce que les Séléniens ont appelé la ‘’bataille des cendres’’, les vampires s’étaient infiltrés, par les réseaux du Marché Noir, dans les quartiers pauvres de la capitale. Nous avions mordu un grand nombre de ces miséreux et nous les avons couvré quelques jours, prétextant d’une peste pour éloigner les curieux. Il y en eut tout de même, des curieux, mais jamais des bien futés. Nous les avons assomés, leur avons vidé les poches et libérés dans une ruelle, plus loin. Ils n’avaient rien vu de compromettant et penseraient, en se réveillant, qu’ils se seraient faits attaquer par des pauvres et dépouillés de leur petite bourse. » L’attaque des vampires n’avait jamais voulu être une bataille, à proprement parlé. Pas au début, du moins.

« Le jour de la bataille, Siel s’est introduit dans une maisonnée prétenduement atteinte de la peste, et a très bien compris que ce n’était pas une peste. Il était doué et futé : nous ne pouvions pas prendre le risque qu’il sonne l’alerte. Alors nous l’avons éloigné de Sélénia. Il a été endormi et enfermé dans la calle d’un de nos navires, pour qu’il n’aille pas vendre la mèche sur ce qui se tramait. J’avais pour projet de le relâcher une fois que Victoria aurait abdiqué en faveur de mon époux, mais le coup d’État de Claudius a changé la donne. Nous avons fait retirer nos troupes et les Séléniens mordus en train de se transformer, nous les avons ramené à Cendre-Terre, en bateau. » Il secoua la tête, de gauche à droite, pensif avant de détourner les yeux en direction de Siel. « Je vous avoue que devant la dépouille d’Achroma, penser à Siel était hors de portée. J’ai été négligeant et les nouveaux-nés ont été assez ravis d’avoir... » De la chair fraîche. Il n’avait pas vraiment besoin de prononcer ces mots pour qu’elle comprenne.

« Les aînés l’ont sortis de la mêlée et me l’ont apporté. Je ne pouvais pas le guérir, mais je pouvais encore le sauver. » Alors il l’avait pris pour fils. Il porta à nouveau son regard sur elle. « J’ai une dette envers vous, et envers votre fille, Dame Aërendhyl. Siel a été victime de ma négligeance et ce que vous avez perdu, je ne pourrai jamais vous le rendre. Il est vrai que certaines choses restent, une part de Siel, innée, se trouve encore en mon fils comme en chacun des enfants de la nuit, mais l’environnement dans lequel il grandit, les personnes qui l’entourent, le forgent et le forgeront d’une toute autre façon que ce que vous avez connu. Espérer retrouver votre vie d’avant est illusoire et je vous parle d’expérience. Achroma est mort en libérant Skade. Lorsqu’il est revenu, amnésique, j’ai du refaire mon deuil une seconde fois. Il n’était plus le même et le comparer à celui que j’avais connu autrefois ne nous conduisait qu’à des déceptions réciproques. » Cela avait été dificile, pour eux, cela avait été moins difficile lorsqu’Aldaron avait rejoint, lui aussi la nuit, parce qu’il avait retrouvé immédiatement, ou presque, ses souvenirs.

Ses mires perçantes se plantèrent dans le regard de Vex’Hylia avec un calme olympien, en dépit des révélations qu’il venait de lui faire. C'était son rôle de dirigeant de garder son calme. « Est-ce que vous voulez qu’on aille ailleurs, pour discuter ? » Dans un endroit où elle pourrait pleurer si elle en avait besoin, dans un endroit où le mirage de Siel ne serait pas sous ses yeux, dans un endroit où elle se sentirait moins cernée par les vampires ? Ou peut-être préférait-elle rester, rencontrer Siel ?

descriptionCe qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron] EmptyRe: Ce qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron]

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Quoi de plus ordinaire que de vouloir connaître les circonstances de la transformation de Siel. Il en était toujours ainsi. En tant que soigneur, j'avais souvent annoncé la mort d'un être aimé. Passé le choc, la question qui revenait le plus souvent était : " A t-il souffert ? ". Pendant longtemps, je ne l'avais pas vraiment comprise. Je trouvais cette question glauque. Inutile, si ce n'est en ayant le désir de se faire du mal. La mort n'était pas une notion si habituelle pour les Elfes. Nous vivions si longtemps… La guerre avait changé tout cela. J'avais appris. J'avais compris. Et, aujourd'hui, je me retrouvais dans la position de ces gens qui, le regard plein d'espoir, m'avaient dévisagée autrefois. Aujourd'hui, c'était moi qui dévisageais le Prince Noir, suspendue à ses lèvres. Et je détestais cela.

L'écouter me conter son récit me laissait une sensation semblable à celle que j'aurais ressentie en étant suspendu au-dessus du vide. Je ne savais pas à quoi m'attendre. Je retenais mon souffle tandis que mon cœur faisait une embardée dans ma poitrine. Ses battements cognaient durement jusque dans mes tympans, laissant la porte ouverte à un mal de crâne que je sentais poindre, tout doucement.

" En effet… " répondis-je dans un souffle lorsqu'il évoqua la mise en place d'un moyen de communication entre le parent vampirique et la famille. " Lorsque j'ai appris qui était le parent de Siel… J'ai préféré venir voir tout cela de mes propres yeux. " avouais-je en jetant un regard vers Orfraie. C'était elle qui avait calmé mon angoisse lorsque j'avais appris la nouvelle par l'entremise d'Avente. Elle connaissait le Prince Noir. Ou, en tout cas, connaissait celui qu'il avait été et dont il devait forcément demeurer quelque chose.

Je n'ajoutais pas un mot de plus, joignant les deux mains sur mon bâton pour écouter son récit. Beaucoup d'éléments me manquaient encore, j'étais donc attentive. Lorsque nous sommes arrivés sur Calastin, nous ignorions tout de la géopolitique de l'archipel. Nous n'avions pas idée à quel point les vampires et le Marché Noir gangrenaient Sélénia. Nous ne pouvions pas deviner dans quel bourbier nous venions de nous perdre.

Je jetais un nouveau regard vers Orfraie lorsqu'Aldaron révéla ce qui s'était passé le jour de la bataille. Celle-ci s'était de nouveau approché de moi, les bras croisés sur son buste. Elle voulait autant les réponses que moi-même, devinais-je. Et, lorsque le Prince Noir révéla le sort de Siel, la dragonnière fut bien plus à même de se contrôler. Je portais la main à mon visage, étouffant un sanglot en devinant les mots du souverain. La guerrière, elle, ne montra rien de son trouble… si elle en ressentait un. Dans d'autres circonstances, j'aurais admiré son self-control. J'aurais été envieuse de ce visage de marbre qui ne laissait rien transparaître.

Dans ma poitrine, il me semblait que mon cœur venait d'exploser. La main posée sur mon visage dévia vers ma poitrine dans une tentative maladroite de ralentir les battements frénétiques de l'organe vital qui s'agitait dans ma cage thoracique. Le désir de l'arracher était brûlant, simplement pour ne plus ressentir cette piqûre incroyablement douloureuse qui me clouait sur place. Des larmes, affreusement salées, coulaient librement sur mes joues rosies par le froid. Mais nul sanglot, j'en étais physiquement incapable.

Une partie de mon cerveau comprit le reste des paroles prononcé par le Prince Noir. Une petite partie, lointaine. J'étais ailleurs, remarquant à peine le trouble d'Orfraie, qui me dévisageait. Je comprenais que je ne retrouverais jamais mon Siel, comme Aldaron n'avait pas retrouvé le Achroma de son passé. Je devinais également, à travers ses mots, que nous pourrions peut-être renouer comme le Prince Noir l'avait lui-même fait avec son défunt époux.

Mais tout ceci était occulté. Siel n'avait pas été mordu en plein combat, comme je l'avais imaginé. Il n'avait pas vaillamment combattu avant de se faire prendre. Il avait été victime… d'un oublie. Il était un dommage collatéral. Un malheureux accident si facile à éviter.

« Est-ce que vous voulez qu’on aille ailleurs, pour discuter ? »

Je relevais le regard, sortie de mes pensées par ces quelques mots. Le long de mon corps, je fermais le poing, puis le rouvrais. Un geste qui ne sembla pas passer inaperçu aux yeux de la rôdeuse.

" Non, surtout pas ! " Cria t-elle au moment où je lançais mon poing vers le visage d'Aldaron.

La dragonnière s'interposa dans une vaine tentative d'arrêter mon geste suicidaire, mais sa silhouette éthérée n'opposa aucune résistance. Mon bras passa au travers de son visage en premier, puis le reste de mon corps porté vers l'avant.

descriptionCe qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron] EmptyRe: Ce qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron]

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Probablement aurait-il du lui proposer de s’isoler avant de lui en parler, plutôt qu’après. Cela aurait été plus approprié. Elle aurait toute l’intimité dont elle avait besoin pour pleurer ou hurler à sa guise. Une erreur, une de plus. Probablement était-ce la raison pour laquelle il préférait être dans l’ombre : on n’y voyait pas ses échecs, et lui-même pouvait tourner les yeux, mais il ne pouvait plus être invisible à présent. Sa place était celle d’un Prince et c’était un endroit qui lui déplaisait, à bien des égards. En particulier quand il commettait des erreurs.

Tout Ast et télépathe qu’Aldaron était, il pouvait sentir la tension en elle, le déchirement de ses ambitions, la mouvance de sa volonté qui ployait sous le joug de sa peine et qui déviait vers des horizons qui lui serait funestes, s’il ne faisait rien. Mais avait-il envie de faire quelque chose ? Devait-il vraiment se prendre la tête pour cette femme qui perdait le contrôle ? Si elle levait la main sur lui, il n’aurait qu’à être le Prince Noir, dégainer son épée et lui trancher la tête. Telle était la sentence pour ceux qui osaient toucher à sa toute autorité de Dictateur. Avec le temps, il avait appris à ne plus montrer d’empathie. Plus trop. La loi, chez les vampires, était d’une fermeté nécessaire. Irina Faust avait essayé d’être plus laxiste et leur peuple s’était divisé en clans. Elle était morte. Leur peuple était un peuple dur, aussi l’acte que Vex’Hylia s’apprêtait à commettre serait sans retour. Devait-il y faire quelque chose ?

A bien des égards, il aurait du simplement la tuer. Mais il y avait Siel qui entrait dans l’équation. Et comme tout ce qui touchait de près ou de loin à ses enfants, cela dérogeait à sa fermeté. Siel voudrait, un jour peut-être, retrouver ceux qui furent ses proches… Et si cela arrivait, il aurait été bien inconfortable de lui avouer qu’il avait tranché la tête de son ancienne épouse. Non pas qu’il soit honteux de son acte, car il était naturel pour leur peuple, mais il s’en voudrait d’avoir coupé court à une opportunité, pour son fils. Probablement que cela fut la raison qui le poussa à aider cette elfe en déroute. Ça et, même s’il ne s’avouerait moins, le fait qu’il n’était pas le dicteur inflexible qu’il faisait croire d’être pour son peuple. Il aurait pu brûler vifs Claudius et Toryné, lors de la bataille des Cendres, mais il ne l’avait pas fait. Il savait agir par raison, quand cela était nécessaire.

Il créa une illusion de grande ampleur capable de toucher chaque être à l’intérieur du terrain d’entrainement. Il attrapa son poing, lorsque celui-ci rencontra sa joue et la maîtrisa bien rapidement. Elle n’avait pas l’habitude du combat au corps à corps, lui, il avait appris à Morneflamme, quand la nécessité fit loi. Par une torsion de poignet, il lui cala le bras dans le dos,  et attrapa sa tête par les cheveux pour la lui plaquer, joue contre un mur. C’était brusque, mais il n’avait pas à être tendre avec elle non plus. « Cessez. » fit-il, en un ordre sec et sans appel. « Je ne vous sauverai pas deux fois. » Si elle regardait autour d’elle, elle verrait que sa silhouette se tenait debout devant celle du Prince Noir, bien qu’ils ne soient ni l’un ni l’autre à cet endroit. Une illusion, pour sauver les apparences. « Votre fille a déjà perdu un père, ne faites pas d’elle une orpheline par votre sottise. Si vous m’attaquez, publiquement de surcroît, je n’aurai pas d’autre choix que de vous couper la tête. J’ai une dette envers vous, il serait dommage que vous la consommiez en me poussant à vous gracier. Vous pourriez avoir tellement mieux. »

Son regard se posa sur une silhouette à la cheveulure flamboyante qu’il connaissait bien. Il serra les dents. Que faisait Orfraie ici ? Il savait qu’elle était sous glace, car c’était là qu’il l’avait placée : son apparition relevait d’un effet magique qui semblait émaner de l’anneau à la main qu’il retenait dans le dos de Vex’Hylia. « Orfraie... » Cela faisait longtemps, qu’il n’avait pas croisé le regard de la dragonnière à l’agonie. Son corps était devenu si fébrile, si malade. La placer en stase avait été sa seule option, pour que son esprit perdure et que son corps soit maintenu dans une pseudo vie sans qu’elle ne sente la souffrance que cause l’appel de la mort. Il ne lui avait pas rendu visite, car à chaque fois, cela lui brisait le cœur de voir dans quelle condition se trouvaient les Liés, avec la haine qui s’était déversée sur eux. Naal du Néant méritait de mourir et sa sentence viendrait, tôt ou tard.

Il avait fait du chemin, depuis leur dernière rencontre, à Keet-Tiamat. Savait-elle ce qui était arrivé à son peuple ? Que les siens étaient morts ? Qu’Aldaron avait pris sous son aile le beau peuple, majoritairement transformé en ces monstres de la nuit que les elfes haïssaient tant ? Il avait probablement beaucoup de choses à lui dire, mais il devait s’occuper de la rousse avant. Lentement, il détourna le regard pour le poser sur une Vex’Hylia coincée entre le mur et lui. « Je sais ce que vous ressentez, Dame Aërendhyl. » fit-il d’une voix grave, en langue elfique, soufflée sur le dessus de sa tête. Chaque mot prononcé avait son emprunte poignante. « A la différence de vous, je n’ai aucun espoir de retrouver une part de ce que j’ai perdu et je n’ai pas brûlé vif Claudius de Havremont, quand bien même je le pouvais, quand mon cœur a crié vengeance. » Oh oui, il le pouvait. Sa dracène l’aurait fait avec plaisir si cela avait pu réduire, ne serait-ce qu’un peu, la douleur de son Lié.

« Pour vous et lui, il y a encore de l’espoir. Gardez une peu de dignité. Je ne vous laisserai pas mettre en péril la possibilité que mon fils… Mon fils, Dame Aërendhyl... » Insista-t-il pour qu’elle comprenne à quel point le bonheur de cet homme lui importait : probablement désiraient-ils alors la même chose. « ...Retrouve les siens, s’il vient à le désirer un  jour. Je vais vous relâcher et vous me suivrez. Nous irons ailleurs, à l’abri et vous pourrez hurler de toute votre soul, briser tout ce que vous voulez. Ne me faites pas regretter d’avoir été indulgent avec vous. Je ne me montrerai pas aussi compréhensif une seconde fois. » A ses mots, il la relâcha et recula de contre elle. Orfraie avait disparu. Devait-il toucher l’elfe pour voir son ancienne amie ? L’illusion de Vex’Hylia  vint jusqu’au mur, pliée dans sa douleur : charge à la vraie Vex’Hylia de reprendre. Aldaron rejoignit l’image de son illusion et la remplaça quand celle-ci se dissipa.

« Venez, j’ai quelque chose à vous montrer. » Il lui tourna le dos et se dirigea vers la sortie. Qu’elle vienne ou non, il aurait fait ce qu’il pouvait pour elle. Il quitta le terrain d’entraînement et marcha sur les pavés, au dehors, silencieux. Plus loin, il entra à l’intérieur d’un grand manoir, probablement l’un des siens et sortit dans la cour intérieure du bâtiment. Sous le soleil hivernal, les fleurs d’hiver, blanches et rouges, qu’Aldaron, spirite du colibri, avait fait pousser pour elle, se tenait le cercueil de glace de la princesse elfique.

descriptionCe qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron] EmptyRe: Ce qu'il reste d'autrefois [Vex & Aldaron]

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Orfraie s'était interposée dans l'espoir de m'éviter le pire. Pour faire en sorte que je ne regrette pas ce geste inconscient. Si elle avait été bien vivante, présente en chair et en os, elle aurait été capable d'arrêter mon bras. De stopper ma folie. Malheureusement, elle n'était qu'une silhouette éthérée dans l'incapacité d'arrêter mon poing. J'entendais à peine son cri alors que le visage du prince noir était plus proche que jamais. Hélas, je n'étais pas particulièrement adroite. Je n'avais jamais frappé ainsi, encore plus de la main gauche.

Les doigts du souverain s'enroulèrent autour de mon poignet. Glacée jusqu'au sang par ce contact, j’eus à peine le temps de comprendre ce qu'il se passait. Le bras tordu dans le dos, une pointe de douleur me fit grimacer. Il était hors de question que le pitoyable gémissement qui se trouvait au bord de mes lèvres en franchisse la barrière. Contre ma joue, je sentais la rugosité du mur, quand bien même ce dernier n'était qu'illusion. Je prenais peu à peu conscience de ma situation ainsi que de la puissance du Prince Noir. Quelle idiote j'étais.

Les paupières closes, frissonnant encore sous le contact de sa peau froide contre la mienne, j'écoutais. Et je ne comprenais pas tout à fait où il voulait en venir. Comment cela, me sauver deux fois ? Me demandais-je.

" Ouvre les yeux, sotte enfant. " Entendis-je en face de moi. C'était Orfraie, dont le ton de la voix ne laissait pas de doute sur son état d'esprit présent.

Mais j'ouvris les yeux, obéissante, et, en me tordant un peu, découvris un double de moi apparemment en grande conversation avec Aldaron, a à peine quelques pas.

Je détournais mon attention vers le Prince Noir, hochant doucement la tête pour lui signifier que j'avais bien compris ses paroles et que, surtout, je ne comptais pas faire n'importe quoi s'il me libérait. Mais c'est alors que son attention fut accaparée par autre chose. Par Orfraie. Je fermais les yeux, comprenant que le contact physique entre lui et moi lui permettait de la voir. Une donnée que je ne possédais pas jusqu'ici, mais qui était précieuse.

" Aldaron. " Entendis-je dans sa bouche.

Dans ma position, il était compliqué d'observer correctement l'échange. Mais je vis la bouche d'Orfraie, garnie de crocs d'ailleurs, se tordre en une étrange grimace, comme si elle ne savait pas quoi dire ou cherchait ses mots. Cette constatation me fit froncer les sourcils, mais je n'eus guère l'opportunité de pousser ma réflexion plus loin, le Prince Noir reportant son attention sur moi.

Ses paroles, bien que dures, étaient justes. Je le savais parfaitement. J'avais longuement eu l'occasion d'y penser ces dernières semaines, depuis que je connaissais l'identité du père vampirique de Siel. Et même si l'entendre appeler mon époux "son fils" brisait quelque chose en moi, je devais l'écouter. Je devais ravaler ma fierté, ma rancœur, et faire ce qu'il venait dire si je voulais avoir une chance, même infime, de retrouver une partie de ce que j'avais perdu. Si je voulais que Kyla retrouve, en quelque sorte, son père. Parce qu'il était certain, au fond de mon cœur, que je voulais que Siel soit de nouveau dans ma vie comme dans celle de ma fille, même s'il n'était plus exactement celui que j'avais épousé. C'était dur à admettre, mais Aldaron avait raison sur toute la ligne.

Finalement libre de mes mouvements, je me redressais, massant mon bras endolori. Je fis ensuite un pas vers mon illusion, plaçant un nouveau masque sur mon visage afin de cacher toute ma détresse présente. Lorsque l'illusion se dissipa, je gardais un visage fermé, aux yeux brillants, mais au masque intact. J'étais beaucoup trop fière pour craquer devant Aldaron, encore moins après ce qu'il venait de se passer. J'étais déjà bien assez honteuse.

" Pense à ta fille la prochaine fois que tu veux faire quelque chose d'aussi stupide. " Fit Orfraie à ma droite. Je posais sur elle un regard sombre. " Tais-toi, ça suffit. " Répondis-je froidement, ces quelques mots me valant un haussement de sourcils de la dragonnière. Celle-ci disparut ensuite, comme si elle n'avait jamais été là. Ce n'était pourtant pas la première fois que je lui répondais sèchement de la sorte, qu'avait-elle pour prendre la mouche aussi facilement ?

Pensive, je jetais un coup d'œil vers Aldaron en repensant à la gêne palpable de l'ex-dragonnière lorsqu'elle avait eu l'occasion de lui parler. Était-ce lié ? Une question qu'il allait me falloir élucider dès que possible.

" Navré, votre majesté. Ceci ne vous était pas adressé. "

Je lui emboîtais le pas, la curiosité l'emportant. Bien vite, le silence nous entoura. Consciente du malaise, je ne fis rien pour le briser et me confortais plutôt dans ce calme soudain. Il était salvateur afin de remettre, une bonne fois pour toutes, mes pensées bien en place.

Le manoir qui se présenta à nous, après cette courte marche, me laissa davantage curieuse que méfiante. Quel était cet endroit exactement ? Me dis-je en le suivant à l'intérieur, puis dans la cour du bâtiment. Des fleurs d'hiver, très belles, avaient poussé tout autour… d'un cercueil de glace.

Je compris aussitôt, en le voyant, qui se trouvait à l'intérieur.

Je m'approchais lentement, poussée par une curiosité morbide. La surface du cercueil laissait entrevoir une silhouette toute vêtue de noir et dont la chevelure, tout aussi sombre, contrastait avec une peau particulièrement claire. Autant que celle du vampire, en vérité. La voir ainsi, comme morte, était étrange. J'avais l'habitude, désormais, de l'avoir à mes côtés même lorsque je voulais un peu de paix. Pour moi, elle était vivante. Impalpable, mais bien vivante. Apercevoir son corps sans vie, juste sous mes yeux, me troubla plus que je l'imaginais. Je détournais les yeux vers Aldaron.

" … J'aurais aimé la rencontrer avant tout cela. " m'entendis-je dire. " En chair et en os, sans cette mélancolie au fond des yeux. " me sentis-je obligé de rajouter après un instant. " Je n'ai pas apprécié la première fois qu'elle est apparue. Mais je me suis habituée et, honnêtement, j'apprécie ses traits d'esprits comme ses conseils, même si elle n'y met pas toujours les formes. Elle est quelqu'un de bien... Était quelqu'un de bien... Comprenez que j'ai de la difficulté à parler d'elle au passé, comme vous avez pu vous en rendre compte. "

Soudainement, elle était de nouveau à côté de moi. Je sursautais légèrement, ayant encore de la difficulté à m'habituer à ses apparitions soudaines. Vêtue exactement comme je pouvais l'apercevoir à travers la glace. Les mains liées dans le dos, le visage fermé, elle ne me regardait pas, les yeux rivés sur sa dernière demeure.

" Je ne serais sans doute jamais dragonnière et je n'étais pas dans l'archipel lorsque tout ceci est arrivé… les Chimères… La mort de plusieurs dragons… Mais je sais au fond de moi que ce n'est pas juste, pas normal de laisser cela arriver. " Je détournais le regard vers Orfraie, consciente que pour le Prince Noir, je regardais le vide et parlais à moi-même. " Souffres-tu ? " Murmurais-je dans l'espoir d'une réponse négative, comme pour me rassurer que le fantôme qui m'accompagnait depuis plusieurs semaines n'allait pas soudainement disparaître en me demandant d'abréger ses tourments, maintenant que j'étais face à sa tombe.

" Plus physiquement. " répondit-elle, cette fois-ci en posant ses yeux sur moi, puis sur Aldaron. Elle avait ce même air que tout à l'heure, me semblait-il. Et je compris enfin ce qu'il voulait dire. Je soupirais, puis me tournais entièrement vers le Prince Noir, lui tentant ma main gauche. Celle-là même qui avait essayé de le frapper.

" Orfraie souhaite vous parler. "

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Le Prince Noir s’était arrêté et avait jeté un coup d’œil par-dessus son épaule… C’était à lui qu’elle venait de dire de se taire, là ? Elle voulait vraiment qu’il s’énerve ? Ses sourcils se froncèrent avant qu’elle n’explique que cela ne lui était pas destiné. Ce devait être pour Orfraie, dans ce cas : elle avait dû enfoncer le clou. Il reprit sa marche, silencieux. Elle l’avait appelé Majesté ? Personne ne l’avait appelé ainsi, ici. Probablement parce qu’il y avait veillé. Il n’avait rien de majestueux pour être nommé Majesté, ni rien de plus haut que les autres pour qu’on l’appelle Altesse. Il n’avait pas besoin de titres : à ses yeux, ils n’étaient là que pour caresser l’orgueil des hommes qui doutaient d’eux. Aldaron, lui, ne doutait pas de sa place. Elle était, au fond, celle qu’il s’était dessinée depuis des années.

Depuis sa plus tendre enfance, son père lui apprenait à prendre des décisions sages et il n’avait pas été un très bon élève mais, il essayait, aujourd’hui. Au milieu de ses erreurs, il y avait aussi des réussites. Il avait réunifié le peuple vampirique. Cela s’était parfois passé dans le sang et une discipline de fer, mais le peuple de la nuit était ainsi formaté. Et aujourd’hui, il réunissait elfes et vampires sous une même bannière, après des siècles et des siècles de guerre. Il était la Triade. Il y avait au fond de lui encore une part de son frère et de sa sœur de cœur, cette famille qui avait fait le pari de la tolérance, bien avant les autres. « Mon peuple m’appelle Aldaron, ou Triade. Faites à votre guise. Les titres ne sont bons que pour ceux qui aiment être rassurés à les entendre et je n’ai pas besoin d’être rassuré. » Il n’en avait pas dit d’avantage, cela serait bien suffisant pour qu’elle sache comment s’adresser à lui, à présent.

Dans le jardin de fleurs, il était resté à l’entrée, la laissant avancer vers le cercueil de glace qui se dressait au milieu des fleurs rouges et blanches. Il cueillit l’une de ses créations, observant la danse des pétales entre ses doigts. Le pistil était d’un violet qui rappelait les mires de la princesse. Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu ici. La dernière fois remontait… Et bien, à sa mise sou glace. Une part de lui se sentait honteuse et l’autre se pardonnait : la voir ainsi était une souffrance et personne n’aimait souffrir. Il l’avait bien plus souvent qu’à son tour, ces derniers mois. Orfraie, ce n’était pas qu’un passé douloureux, c’était son avenir. Un rappel qu’en ce monde existait des fanatiques désireux de tuer dragons et dragonniers sans remord. Alors, c’était un triste monde, un monde qui avait la mémoire trop courte pour se souvenir de tout ce que les dragonniers avaient fait pour lui. A pas lents et mesurés, il approcha. La neige grinçait sourdement sous ses pas.

« Comment faites-vous cela ? Comment êtes-vous liée à Orfraie ? » Qu’avait-elle de si spéciale ? Elle ne l’avait même pas connu, alors pourquoi ce lien ? Peut-être que cela valait mieux que ce soit quelqu’un qu’elle n’ait pas connu. Aldaron, lui ; il aurait probablement été fou s’il avait eu la voix d’Orfraie dans sa tête, non pas que la princesse soit désagréable, au contraire, mais il l’avait connue. La revoir, c’était lui rappeler chaque jour sa perte et comment il l’avait perdue. Il aurait pu le faire, de surcroît. Sa télépathie lui aurait permis de discuter avec Orfraie comme il le voulait. Mais il ne l’avait pas fait. Il prit sa main et s’il était toujours ferme, son geste était bien plus doux, cette fois-ci. Il prit même le soin d’utiliser le médaillon qu’il avait autour de son cou et qui donnait l’impression que son corps n’était pas froid. Ses doigts étaient chauds, comme pourraient l’être ceux d’un humain ou d’un elfe.

La silhouette de son amie réapparut. Il posa sur elle ses mires verdoyantes, le visage fermé tel un masque sur ses émotions. Lui parler ? Que lui dire ? Ça ne valait franchement pas le coup d’être un spirite du saumon si c’était pour ne pas savoir quoi dire dans ce genre de situation ! Il fallait croire que l’éclair de colère avait eu son effet, puisque qu’il prit enfin la parole, d’une voix grave et sombre : « Blanche comme la lune qui éclaire la nuit. Rouge comme les cheveux de la flamboyante. Et améthyste, comme ses yeux. » Il eut un sourire en coin, fugace, éphémère. La fleur avait été faite à l’image de la princesse. C’était sa manière de lui rendre hommage. « Je suis désolé de ne pas être venu plus souvent. Tu aurais peut-être voulu avoir des nouvelles et savoir comment avançait le monde, j’imagine. Mais c’était… Compliqué pour moi de te voir ainsi. »

Il avait eu son lot de morts. Il n’avait pas besoin de venir entretenir son souvenir de la sorte. S’il était sincère, dans le fond de ses yeux, il ne montrait pas l’ampleur de sa tristesse ou de sa douleur. Ceux qui l’entouraient n’avaient pas besoin de savoir combien il revivait Morneflamme chaque jour, d’une manière différente. « Luna est auprès d’Autone, à Caladon. Autone y est devenue reine et Luna la protège. Ta fille se porte bien. Je fais ce que je peux pour les protéger. Caladon reste ma maison, même si je m’y rends moins…. Personnellement. » Lui n’y était pas, mais le Marché Noir, oui. C’était suffisant pour garder un œil sur Luna. Est-ce qu’elle voulait vraiment des nouvelles ? Il n’en savait trop rien. Il la darda d’un regard perplexe, sensiblement  troublé de la voir encore debout tout en étant allongée dans le cercueil de glace. Mais qu’importait le trouble, il restait l’impassible Prince Noir. La faiblesse ne faisait plus partie de son langage depuis qu’il portait cette couronne de cendres. « Est-ce que tu m’en veux ? De ne pas être venu ? » demanda-t-il qui ne montrait pas de remord pour autant. Il ne regrettait pas de ne pas être venu : parfois, il acceptait de se donner le droit de se protéger contre la souffrance gratuite. Lui reprocherait-elle ?

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La main tendue vers Aldaron, ce geste avait quelque chose de solennel. J'étais venue ici, à Cendre-Terre, en détestant cet homme. Je l'avais frappé. Et voilà que je lui offrais ma main. Dans le but de faire le lien avec une partie de son passé, certes, mais le geste était là.

Je le regardais, l'air grave, avancer sa dextre et saisir, doucement, mes doigts délicats. Le contact était agréable et j'en étais surprise. Je raffermissais ma prise alors que je m'étais attendue à autre chose, mais je devinais que le Prince Noir usait d'un artefact pour faire paraître sa peau aussi chaude que la mienne. Je l'en remerciais d'un fin sourire, croisant ses mires verdoyantes.

« Tout comme votre couronne possède de puissants pouvoirs, je suis détentrice d'un artefact du même genre, mais aux capacités différentes. L'une d'elles m'ouvre les portes de la mort. D'habitude, ils ne restent pas… Mais Orfraie… Orfraie n'est ni totalement vivante, ni totalement morte. »

Elle était apparue comme cela, peu de temps après avoir passé l'anneau à mon doigt. Nous avions longuement dialogué à ce sujet et telle était notre conclusion finale.

Je tournais mon regard vers la dragonnière, qui se tenait entre Aldaron et moi. Elle avait joint les mains devant elle, ses longs cheveux sombres cascadant sur ses épaules et dans son dos. Son regard améthyste ne m'avait jamais semblé si vibrant qu'aujourd'hui alors que, à son oreille, je devinais pour la première fois un superbe bijou représentant un dragon. Son dragon devinais-je.

Je me murais dans le silence, tentant de me faire oublier. Je me sentais intruse dans cet échange. Si j'en avais eu la capacité de la faire apparaître aux yeux du vampire sans devoir nécessairement être présente, je l'aurais fait. Lui laisser mon anneau, en revanche, ne me traversa guère l'esprit. Quelque chose en moi craignait de ne plus revoir le visage de la princesse si j'ôtais le bijou. Elle était une présence à laquelle je m'étais habitué.

Mais aussi discrète que je tentais de me faire, la curiosité était également grande. Prendre part à cette conversation, en quelque sorte, apportaient quelques réponses au sujet du Prince Noir. Quant à Orfraie, celle-ci hocha doucement la tête. Elle sembla soulagée lorsqu'Aldaron lui donna la position de Luna, sa femme, et ce qu'elle faisait. Pour ma part, mon cœur se serra dans ma poitrine. Je ne connaissais pas cette femme, mais je ne pouvais m'empêcher de compatir. De me sentir lié à elle, en quelque sorte. Nous vivions, à peu de choses près, une situation similaire.

« Je ne t'en veux pas. Comment le pourrais-je ? » Répondit-elle enfin, un sourire triste accroché aux lèvres. « Je… Je voulais te remercier pour ce que tu as fait. Pour Luna. Pour Elena. Et pour moi. En dépit de tout ce qui est arrivé… » Elle évoquait ici la disparition d'Achroma, l'accession d'Aldaron au trône. « Tu as pris le temps. Et cela compte beaucoup. »

Orfraie jeta un regard vers le cercueil de glace.

« J'ignore si cela soulagera ton esprit… Mais la glace apaise mon âme. Quant à mon cœur, il sait que ma famille n'est pas seule. Mon esprit, lui, a trouvé à qui parler. » Elle coula son regard vers moi et je le soutenais, comprenant que malgré nos quelques différents, je comptais aux yeux de la dragonnière. Plus que je l'imaginais, visiblement, car je décelais dans ses mires un véritable soulagement. Une part de moi en était honoré, il s'agissait après tout de la princesse de mon peuple. « C'est sans doute égoïste, mais je me satisfais de cet état. Mon corps ne supporterait plus d'arpenter le monde, mais mon esprit reste vivace. Et Vex'Hylia en est le vaisseau, en quelque sorte. »

Son seul regret était d'être séparé de sa femme et de sa fille. La guerrière avait tant vécu qu'il ne lui était plus nécessaire de marcher parmi les vivants. C'était, tout du moins, ce que je comprenais. Serais-je ainsi dans trois cents ans ? Ou la perte de son lien jouait-il dans cette vision qu'elle avait du monde ?

« Alors… Ne te fais pas de mal en venant me rendre visite. Je ne le souhaite pour rien au monde. Toutefois… J'ai une faveur à te demander... Si tu pouvais t'assurer qu'il n'arrive rien de trop fâcheux à Vex'Hylia... Dans la mesure où celle-ci n'essaie pas de se faire tuer à dessein, bien sûr. »

Je fronçais les sourcils tandis qu'Orfraie me jetait un regard entendu, faisant bien sur référence à mon éclat de toute à l'heure. J'eus la décence de détourner les yeux, les joues soudainement chaudes.

« C'est inutile. » me sentis-je obligé de répondre, froidement, tout en ayant le sentiment de n'être qu'une enfant ici.

« Ne te sens pas obligé de venir rendre visite à une silhouette prise dans la glace. Je marche aux côtés de Vex'Hylia, je sais comment avance le monde et maintenant, grâce à toi, je sais que ma femme et ma fille vont bien. Je suis en paix. » Elle fit une courte pause, cherchant visiblement ses mots. « Et pour ce que cela vaut… Je suis fière du père que tu es devenu. » dit-elle en souriant plus franchement, mais toujours en coin. Je comprenais, en voyant son regard, qu'elle n'évoquait pas uniquement ses enfants vampiriques, mais également le Prince qu'il était devenu pour son peuple et tout ce que cela impliquait comme sacrifice. « Mais... Mais si un jour tu en ressens le besoin... Je serais là. » Rajouta Orfraie sans réelle surprise, ayant toujours eu à cœur d'être présente pour ceux qui comptaient... Et cela malgré son état. J'étais admirative de son altruisme.

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La flamboyante était devenue ténébreuse, depuis sa renaissance. Peut-être aurait-il dû gracier ces pétales d’une teinte charbonneuse, mais une part de lui n’avait pas voulu se résoudre à accepter cet état de fait. Pour lui, Orfraie restait une princesse, merveilleuse et étincelante, pas une femme qui était revenue d’entre les morts et qui y avait laissé une part d’elle-même. En dépit de son apparence, elle restait  ce rayon chaleureux venu éclairer ceux qui l’entourent, tant par sa compassion que par sa sagesse. Il la retrouvait là, changée et semblable à la fois. Elle le remerciait, elle le rassurait, elle partageait, et il reconnaissait bien là celle qui aurait pu être sa grande sœur à bien des égards, lui qui avait été si gamin, qui avait eu tant de mal à grandir. Le gain de maturité s’était fait dans la douleur de la perte. Des pertes, elles avaient été si nombreuses que son innocente candeur avait été assassinée plusieurs fois, sans la moindre once d’empathie. Il était tombé de si haut que la désillusion lui donnait parfois l’envie de connaître le trépas à son tour et laisser tout cela derrière lui.

Mais il avait sa famille. Il avait son peuple. Et il avait le Marché Noir. Tous ces hères portaient sur lui un regard rempli d’attentes qu’il aurait été malvenu de décevoir. Il tenait debout, mais n’y prenait que rarement du plaisir. Ses enfants étaient la seule lumière qui éclairait son monde enseveli dans les décombres et la cendre. Mais parfois, ça n’était pas assez, et pour Aldaron, fort heureusement, il y avait le Lien. Tant qu’il existait, tant qu’il ne perdrait pas Nahui comme Orfraie avait perdu Firindal, alors il arriverait à tenir debout. Il partageait avec elle, la même âme, la même force, et la force d’un dragon allait bien au-delà de tout ce que pourraient connaître de simples bipèdes. Ce n’était plus une braise sous la cendre, c’était un nouveau feu, vivace, qui le poussait à protéger les siens.

Les mots d’Orfraie étaient d’une douceur qu’il acceptait volontiers. Dans tout ce marasme, il était rare de trouver de la reconnaissance sincère. Si Vex’Hylia n’avait pas été là et si Orfraie avait été tangible, probablement l’aurait-il serrée dans ses bras. En lieu et place de cela, sa main s’était naturellement et inconsciemment serrée sur celle de l’immaculée, en témoignage de la tension affectueuse qu’il éprouvait. Il desserra doucement sa dextre, lorsqu’il s’en rendit compte, pour une prise d’avantage normale. « Merci. » fit-il pour la princesse, lorsqu’elle lui proposa de revenir vers elle, s’il en sentait le besoin. « Tu as toujours été de bon conseil. » Il parlait notamment du rapprochement avec Celeborn qu’ils avaient initié, jadis, et probablement qu’Orfraie était à l’origine de son déblocage paternel. S’il avait acquis cela, c’était grâce à leur discussion. Il s’était effarouché sur le coup, mais il avait finalement retrouvé son fils à l’agonie, lorsqu’il fut contaminé par la peste de corail.

« Dame Aërendhyl a de la chance de t’avoir à ses côtés. Probablement viendrai-je te rendre visite quelque fois pour bénéficier également de tes lumières. » Du moins ferait-il cet effort, maintenant qu’il savait qu’elle ne souffrait pas et qu’elle avait trouvé un autre moyen de vivre, à travers Vex’Hylia. La voir, même dans ce cercueil, aurait moins cet air si funeste.

« Gérard, viens voir, vite… Je crois que le Prince Noir a une nouvelle compagne, regarde ! Il lui tient la main… Ils vont tellement bien ensemble, elle est si belle ! »

« Mrs Doubtfire, je vous entends. » Et probablement n’était-il pas le seul. Comme les vampires, les elfes ou les immaculés avaient l’ouïe fine, quand bien même la domestique à la fenêtre, appelant son mari, chuchotait. Celle-ci referma aussitôt la fenêtre, prise la main dans le sac. Il roula des yeux et laissa retomber son regard de côté pour vérifier si Vex’Hylia n’était pas devenue plus pâle que lui, vampire qu’il était. Combien de temps cela mettrait-il à devenir une rumeur suffisamment enflée pour conquérir tout l’archipel ? Pour sa part, cela l’amusait beaucoup. Le spectre du Marché Noir était resté menaçant, qu’il existe ou non, par le simple fait qu’il y ait des rumeurs spéculant sur son existence ou son action invisible, amenant un climat de suspicion et un rapport de force en sa faveur. Il ne craignait pas les rumeurs et souvent, il s’en nourrissait et que pourrait-il bien faire de cette rumeur-ci ? Son peuple croirait qu’il se relevait de son veuvage. Mieux, qu’il y mettait littéralement du cœur pour apaiser les tensions entre son royaume et Sélénia. A ses yeux, c’était amusant. Pour toute personne qui savait jouer avec les rumeurs pour en tirer profit, c’était amusant. Vex’Hylia était-elle amusée ?

Il s’orienta vers l’immaculée pour lui annoncer sans détour : « Bienvenue dans le Marché Noir, Dame Aërendhyl. » Ses protégées faisaient souvent partie du Marché Noir sans le savoir. Luna et Elena en étaient aussi, puisqu’Aldaron déployait les siens pour veiller sur elles. Il aurait pu simplement répondre à Orfraie qu’il protégerait Vex’Hylia, mais quitte à être honnête, il préférait redorer le blason du Marché Noir, pour spécifier que son rôle n’était pas seulement de créer la famine à Sélénia. Le Marché Noir protégeait, valorisait des talents, aidait à la reconstruction et au progrès. C’était une ombre et Vex’Hylia pouvait être certaine qu’elle serait protégée aussi sûrement que Sélénia avait croulé sous la famine.  L’Ast trouvait la comparaison amusante et ironique. Il savait déjà qui il affecterait à Vex’Hylia : Léon. Le vampire était d’une discrétion sans pareille.

Par ces mêmes mots, il confirmait, si besoin en était, que malgré la chasse aux sorcières de Claudius, le Marché Noir restait infiltré dans l’empire, tout en respectant le pacte de non-agression qui les liait. L’action du Marché Noir dans l’Empire se résumait à de la protection et de l’espionnage. Ils étaient en dormance, mais ils étaient toujours là. « J’espère que cette annonce ne va pas vous rendre paranoïaque à l’égard de votre entourage. » ajouta-t-il avec un léger sourire en coin. C’était un mensonge pour moitié. S’il ne lui voulait pas du mal, il avouait que cela l’amusait de faire tourner les gens en bourrique grâce au Marché Noir. « Vous auriez tort de trouver cela inutile… Il est si aisé de mourir. » Trop aisé, à son plus grand malheur. La perte frappait lourdement. Il n’aurait jamais cru voir mourir Achroma si promptement.

Le Prince Noir ramassa l’une des fleurs et concentra progressivement les pouvoirs du Colibri sur elle. Les pétales de métamorphosèrent. De délicates teintes blanches et rouges, la fleur vira à la flamme orangée, semblable à s’y méprendre à la couleur de la chevelure de son invitée. Les feuilles à la brase de la fleur brunirent  et se tordirent jusqu’à ressembler à des bois, telle là couronne qui ornaient la tête de Vex’Hylia. Les pistils virèrent à l’or ambré. Certaines fleurs du jardin suivirent également cette métamorphose, comme si une part d’Orfraie trouvait sa place et se réincarnait en Vex’Hylia.

« C’est si romantique, oh Gerard, n’est-ce pas réjouissant de la voir s’épanouir à nouveau en belle compagnie ? »

Cette fois, le regard du Prince Noir se détourna et se posa sur les deux humains scotchés derrière la vitre à les regarder la bouche ouverte de béatitude. Les deux reculèrent et fermèrent le rideau, semblant disparaître pour de bon cette fois. Silencieux, son regard vint se reposer sur Vex’Hylia, puis sur leurs mains unies. En son for intérieur, il s’avouait que le geste était trompeur à qui les regardait de l’extérieur. Il observa l’anneau, usant du don de la Triade pour en découvrir l’histoire autant que les pouvoirs. « Il semblerait que nos maris respectifs nous aient laissé quelques… Bribes d’eux-mêmes. » Littéralement, pour le cas d’Aldaron, puisque la couronne qu’il portait était faite à partir des cendres d’Achroma.

Il releva les yeux sur elle, puis sur Orfraie avant de poursuivre : « En revanche, je n’ai pas de très bonnes nouvelles à t’annoncer, à propos des elfes. Je reviens de Keet-Tiamat où la Peste de Corail qui a frappé Ipsë Rosea… A frappé plus fort encore la capitale. Les explorations sous Calastin ont remonté cette maladie antique que rien ne semble soigner excepté la Haute-Magie… A laquelle nous n’avons accès que par la vampirisation et l’immaculation. » La nouvelle n’était pas réjouissante. « Aegnor n’est plus, je suis désolé... »

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Même coincée entre la vie et la mort, la dragonnière trouvait le courage d'être là. Après tout ce qu'elle avait vécue, même si j'en ignorais une grande part, elle n'hésitait pas à se rendre aussi disponible que cela lui était possible. J'en étais réellement admirative. Et m'en inspirer me semblait être une bonne idée. Le monde avait besoin de personne comme cela.
Et Aldaron, à mes côtés, me semblait soudainement moins inaccessible. Moins froid, moins austère. Il n'était plus le monstre que j'avais d'abord imaginé, celui qui m'avait volé mon époux et pris tant de vie à Sélénia. Je n'oubliais pas ses forfaits, bien entendu, mais j'arrivais à apercevoir le revers de la médaille. À adopter un point de vue plus complet sur ce qui s'était passé.
Et les mots de la princesse raisonnaient en moi. Elle était fière du père qu'il était devenu. Elle me l'avait dit une première fois, mais qu'elle prononce ces quelques paroles à l'égard d'Aldaron me confortait dans l'idée que Siel était en sécurité. Il m'était douloureux d'être séparé de lui, bien sûr. Je ressentais encore de la colère et de la rancœur… Mais ces sentiments étaient relégués dans un coin de mon esprit, enfermés dans une petite boite. J'essayais de voir la situation autrement, sans doute comme Orfraie l'aurait vu elle-même si elle avait été à ma place : Siel n'était pas mort, il était en sécurité et une personne qui l'aimait vraiment prenait soin de lui. Et en cela, je trouvais du réconfort. Même s'il m'était douloureux de laisser ce rôle à Aldaron plutôt que de l'endosser.

« Aimer sincèrement, c'est faire passer le bonheur de cette personne avant le sien. » M'avait-elle dit une fois, et j'en comprenais enfin toute la signification.

Ce moment de grande réalisation fut, cependant, soudainement interrompu par une voix inconnue. Je me raidissais soudainement, écarquillant les yeux de surprise comme de stupeur. Le compliment de Mrs Doubfire passa complètement au-dessus de ma tête tant l'idée d'être "la campagne" du Prince Noir me paraissait aussi farfelue que dangereux.

« Quoi… Mais… heu non. » Bégayai-je, soudainement mal à l'aise. Je me passais une main sur le visage, cherchant à retrouver une contenance digne de ce nom. Le sourire moqueur d'Orfraie n'y aidait malheureusement pas.

« Ne dis rien. » Lui ordonnais-je. Je commençais à bien connaître le côté taquin de la princesse dont le sourire était encore plus grand. Un sourire communicatif, puisque mes lèvres finirent par se fendre d'un semblable, un peu en coin. « Moins d'une journée à Cendre-Terre et me voilà princesse. Je ne pensais pas que ce serait si facile d'accéder à la royauté, mon but dans la vie est désormais atteint. »  Orfraie porta la main au visage l'air consternée. Ma blague était-elle si mauvaise ?  « Il me tarde de connaître la réaction de mes supérieurs quand cette nouvelle se répandra. » C'était une drôle de situation, certes, mais une situation qui pouvait vite devenir infernale et qui devrait être gérée avec prudence.

« Le Marché Noir ? » Ce n'était pas réellement une question, mais j'étais surprise qu'il l'annonce ainsi. Mais je comprenais que c'était par ce biais qu'il comptait tenir sa promesse envers Orfraie et garder un œil sur moi. « Des yeux et des oreilles partout… Je n'ai guère de crainte concernant mon entourage, il est plus que restreint. » Répondis-je avec un sourire sans joie. Je n'étais pas des plus sociables, préférant souvent le silence et la tranquillité qu'offrait la solitude. Mais une petite partie de moi, davantage curieuse que craintive, ne pouvait s'empêcher de se demander qui faisait partie du Marché Noir parmi les personnes que je côtoyais régulièrement.

« Cette protection demande-t-elle quelque chose en échange ? » M'enquis-je, soucieuse de ne pas tomber dans un piège et d'être redevable un jour de cette protection… même si je n'avais rien demandé.

« Ces couleurs sont plus justes. » Fit Orfraie, brisant le silence quelques secondes après qu'Aldaron eu utilisé ses pouvoirs pour remodeler une partie des fleurs de ce jardin. Pour ma part, délicatement, je récupérais celle que le Prince Noir tenait encore pour la glisser parmi les quelques fleurs qui ornaient déjà ma tiare.

L'annonce de ce dernier, toutefois, fut comme une chape de plomb tombant dans mon estomac. Je n'étais pas sans savoir ce qui s'était passé sur Keet-Tiamat, mais en entendre la confirmation de la bouche d'Aldaron était différent. Soucieuse de la réaction d'Orfraie, je posais un regard sur elle, celui-ci se voulant aussi doux que possible.

Toute trace de sourire moqueur avait quitté son visage, qui s'était fermé. Ses poings étaient également serrés, remarquais-je. Je sentais, simplement en la regardant, qu'elle refrénait aussi bien sa colère que sa tristesse.

« Tu n'aurais rien pu faire. »

Des mots qui sonnaient creux en comparaison de ce qu'elle devait ressentir. La disparition progressive des Elfes était une chose dont nous avions déjà parlé. C'était inévitable par l'immaculation progressif de la population. Orfraie elle-même était une Sainnûr d'ailleurs… Mais la disparition de l'empereur marquait la disparition de la famille Evanealle et cette constatation était sans doute celle qui la blessait le plus, connaissant l'attachement de la dragonnière pour ses proches.

Celle-ci releva finalement les yeux. Et si elle ne pleurait pas et tentait de ne rien laisser trop paraître de son chagrin, je le décelais pourtant au fond de ses yeux. J'avais si souvent fait la même chose par le passé qu'il n'était plus possible de me duper si facilement…

« Merci… » Répondit-elle d'abord, les yeux posés sur Aldaron. « Il est… il est difficile de me dire qu-que le dernier membre de la famille impériale encore en vie est Elena. Et qu'elle ne connaîtra jamais cette famille. Pas pour les titres ou la richesse, mais pour le reste. » Elle déglutit. « Mais la disparition des Elfes au profit des Sainnûr était inévitable. Tout comme celle des Vampires. À la fin, il ne restera qu'un seul peuple, je ne me fais pas de soucis pour eux. Encore moins sous ta direction. »

Elle eut un sourire triste que je partageais. Il devait lui coûter de se tenir droite devant Aldaron et moi-même. Il m'aurait coûté, en tout cas.

« Peut-être aimerais-tu avoir un peu de temps pour… Pour toi ? Je suis certaine qu'Aldaron sera d'accord pour me parler un peu de Cendre-Terre… ou peut être du Marché Noir. Et si tu veux parler de nouveau… Ce sera toujours possible. »

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Vex’Hylia avait raison : Orfraie n’aurait rien pu faire. Les elfes avaient tenté de se soigner, de fuir, de résister, de s’isoler mais rien n’était parvenu à arrêter le rouleau compresseur qui avait déferlé sur son peuple. Un peuple fier, bien trop fier pour avoir demandé de l’aide. S’ils avaient signalé leurs difficultés, de quelques manières qu’il soit, les vampires ou les humains seraient venu plus tôt. La nature orgueilleuse du beau peuple avait joué contre lui.  Les elfes n’étaient d’ailleurs pas venus tous avec lui. Certains avaient choisi de mourir, d’autres d’aller vers Caladon. Aldaron n’avait pas exigé d’eux qu’ils le rejoignent, il avait exigé d’eux qu’ils guérissent. L’ultimatum avait été poussé au bout lorsqu’il avait juré de mettre la ville à feu et à sang s’il n’y avait eu plus rien à sauver, si les elfes s’étaient montrés bien trop tête de mule pour reconnaître que la Nuit était l’une de leur rare option.

Il ne les aurait pas détruit pas gaité de cœur, mais parce qu’il ne pouvait pas décemment les laisser partir et répandre leur maladie dans tout l’archipel. Les catastrophes d’Ipsë Rosea et de Keet-Tiamat suffisaient amplement. Si nombre d’entre eux avaient choisi de le suivre, c’était parce qu’étant vampire, le seul peuple capable de comprendre leur véritable nature était le sien. Leurs proches, mêmes immaculés avaient suivi alors naturellement. Il y avait alors quelques réfractaires dégoûtés de cette fin et Aldaron ne pouvait pas leur en vouloir. Tant qu’ils étaient sains, ils étaient libres de rejoindre la faction de leur choix.

Il ne pouvait que comprendre la douleur qui était celle d’Orfraie. C’était son peuple et sa famille qui venaient de choir. Se posait évidement la question d’Elena qui devrait vivre sans les siens. Il lui adressa un regard triste avant de baisser les yeux. Que pouvait-il dire ? Elle savait qu’il n’aimait pas la voir souffrir et elle savait qu’il ferait tout pour qu’Elena soit heureuse. Et si son bonheur passait par la mémoire du peuple perdu, alors il lui donnerait de quoi se souvenir. Cela ne remplacerait jamais leur présence réelle, mais aussi dur que cela puisse être, il était très bien placé pour savoir qu’on ne choisissait pas de la vie ou de la mort de ceux qui les entouraient. Il fallait faire avec, ou sans en l’occurrence, et comme ses mères, Elena serait une femme forte.

« Je ferai de mon mieux. » souffla-t-il, bas, en réponse et cela valait autant pour le peuple elfique qu’il avait accueilli en son sein, que pour Elena. Il ferait tout ce qu’il pourrait pour elle. Il avait aussi découvert qu’Elena n’était pas la dernière de sa lignée. Un autre avait été renié : Elros qui n’était autre que Nathaniel. Pourtant, il doutait que cette information soit d’un grand réconfort pour la princesse. Bien au contraire. « Elena n’est pas la seule encore en vie. Tu es là, Orfraie. » D’une façon presque artificielle, mais elle était toujours vivante. Doucement, il lâcha la main de Vex’Hylia, non sans l’avoir serrée brièvement en signe de compassion aussi, pour elle. Les elfes fut son peuple, à elle également. L’annonce devait lui avoir fait quelque chose. Son regard resta porté sur le vide laissé par Orfraie, pendant quelques secondes avant qu’il n’oriente ses mires vers celle qui restait sous la glace. Il posa doucement ses doigts sur la surface lisse et translucide, en une caresse qu’il ne pouvait pas lui donner, mais qui témoignait de son soutien.

A bien des égards, Aldaron évitait de regarder en arrière. Il y avait tout ce qu’il avait perdu alors qu’en regardant vers l’avant, il voyait tout ce qu’il pouvait encore construire. Les regrets étaient des freins et il arrivait que certains ne soient pas capables de s’en défaire, ou, à défaut, d’avancer avec. Il releva le regard et croisa celui de l’immaculée venue lui rendre visite. La lumière, dans ses mires verdoyantes, sembla s’illuminer brièvement, signalant implicitement qu’une idée devait de lui traverser l’esprit, quand bien même le reste de son visage était resté de marbre. « Rentrons, vous risquez de pendre froid. » fit-il finalement. Il n’aurait pas été opportun d’enfler la rumeur de leur amourette en déposant sur les épaules de la sainur la cape portant de blason familial d’Aldaron. Il était joueur, mais tout de même ! Elle serait bien plus confortable devant un feu de cheminée et une bonne tasse de thé.

Il repassa par la porte d’où il était venu et cette fois, il laissa Mme Doubtfire et son mari le débarrasser de sa cape. Avec quelques rougeurs aux joues en croisant le regard de Vex’Hylia, la domestique lui proposa de la débarrasser également, en l’appelant Madame avec un grand M comme si elle était la Dame des Dames, tandis qu’Aldaron leur réclamait d’apporter du thé au salon, camouflant un petit sourire en coin devant la situation.

Le salon était une pièce assez grande et lumineuse, pourvue d’une cheminée où le feu dévorait les bûches sans remords, offrant aux occupants une douce chaleur et une senteur de pins apaisante. Au-dessus de la cheminée trônait une magnifique peinture représentant les trois membres de ce qui fut la Triade. Cercëe, le vampire, avait son habituel air pensif. Corinne, l’humaine, avait un sérieux remarquable là où Aldaron, aux cheveux courts et bruns, et au visage bien moins émacié qu’aujourd’hui, avait une joie infinie dans ses prunelles d’émeraude. On y devinait rapidement toute l’espièglerie et la candeur du personnage d’autrefois. Morneflamme avait radicalement mis un terme à cet air enfantin et innocent. Beaucoup auraient pu affirmer ne pas reconnaître celui qui était aujourd’hui le Prince Noir.

Une part de lui, au fond, était encore l’Aldaron de ce tableau. Tout le reste avait beaucoup changé. « C’est incroyable comme un simple tableau arrive à véhiculer des souvenirs qu’on a probablement nous-même oublié, non pas par la vampirisation, mais par ce que nous vivons. Il m’arrive parfois d’oublier que j’ai vécu quatre siècles dans la plus inébranlable des candeurs. Corinne passait son temps à recadrer l’enfant infernal que je ne cessais d’être, malgré mon âge. » Un bref sourire éclaira son visage avant de s’éteindre à nouveau. « Des tableaux comme celui-ci, il s’en trouve beaucoup pour représenter la famille impériale des elfes. Et bien que ce soit souvent une représentation subjective, il y a une âme, à l’intérieur, quelque chose, parfois même un détail, qui laisse transparaître un fragment de la personne que cela peint. Je suis certain qu’Elena pourra s’en nourrir. » C’était un message d’espoir qu’il voulait véhiculer à Orfraie, bien qu’il soit en train de s’adresser à Vex’Hylia. Etaient-elles dissociables à présent ?

Sur le mur à droite de la cheminée se dressait une vitrine dans laquelle trois couronnes reposaient. L’une était d’or et de saphirs : la couronne de Lyssa Kohan, la Vagabonde. La couronne que Victoria avait décidé de sortir du trésor impérial pour la porter à nouveau. La seconde était sombre et avait été jadis portée par Saeros. La troisième était celle d’Aegnor qu’il avait rapporté de son expédition à Keet-Tiamat. Il la prit entre ses mains et se trouva vers Vex’Hylia. « La couronne d’Aegor renferme tous les souvenirs des elfes trépassés. Chacune de leurs existences est gardée indemne en son sein et lorsqu’Elena sera en âge de… Comprendre et de voir ces souvenirs parfois durs, je la lui léguerai. »

Mme Doubtfire entra à ce moment avec un plateau d’argent où reposaient une théière fumante en porcelaine blanche et deux tasses assorties, ainsi que quelques biscuits et sucreries usuelles. Evidement, elle était entrée quand Aldaron présentait la couronne des elfes à Vex’Hylia. Il faudrait bien peut de temps à la domestique pour imaginer qu’il venait de proposer à la sainur de gouverner les Erlië avec lui, elle pour les elfes, lui pour les vampires. Ses lèvres se pincèrent pour se retenir de rire de la situation et il attendit qu’elle dépose tout cela sur la table. « Cela ira Mme Doubtfire. Je servirai madame. » Il était évident que la domestique avait alors entendu ‘ma dame’, en deux mots.

Elle quitta la pièce alors qu’Aldaron reposait la couronne à sa place. Il s’approcha de la table et tira galamment une chaise pour Vex’Hylia. « Pour répondre à votre question, tout à l’heure, ma protection ne réclame nul paiement de quelque nature que ce soit. Si votre âme se sent redevable, vous serez libre de suivre ou non ce que vous dit votre cœur. Je n’attends rien de vous, si ce n’est que vous viviez sous des jours heureux. Je rends ce service à Orfraie : elle compte beaucoup pour moi, et vous aussi d’une certaine manière. » Il lui servit une tasse de thé… Mais à l’odeur, il constata qu’il était tout de même fortement chargé en gingembre… Qui était assez connu pour ses vertus aphrodisiaque et ce fut, pour Aldaron, le détail de trop qui vint déclencher un rire amusé et sincère. Sacrée Mme Doubtfire, elle avait pensé à tout !

C’est en riant et en faisant trembler la théière qu’il se servit également une tasse. Il ne jugea pas nécessaire de signaler ce qui déclenchait sa soudaine hilarité : l’odeur était bien assez forte pour parler d’elle-même et pour que Vex’Hylia comprenne. Son rire s’apaisa, alors qu’il s’asseyait sur une chaise près d’elle : « Du sucre ? » proposa-t-il avec un fin sourire en coin. « Le Marché Noir semble générer à profusion bien des spéculations, tantôt vraies, tantôt fausses. Que souhaitez-vous savoir ? Il n’y a rien que je puisse refuser de vous avouer, ‘Princesse’. » Il se mordit la langue, pour ne pas rire, et comme très rarement, son visage joueur refaisait surface, comme sur le tableau, comme si le jeu arrivait, au moins pour ces quelques minutes, à effacer l’horreur de Morneflamme.

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Au moment où Aldaron se dégageait avec douceur, Orfraie disparue également pour moi. Subitement, là où le geste du Prince Noir était délicat. J'avais donc bien deviné son besoin de solitude. Une petite partie de mon être se demandait comment elle ressentait le monde lorsqu'elle ne s'y déplaçait pas tel un fantôme. À moins qu'elle fût en mesure de ne pas se monter malgré mon anneau ? C'était une question à laquelle je décidais de trouver une réponse, mais pas immédiatement. Cela pouvait attendre.
Ce qui ne le pouvait pas, en revanche, était l'homme avec qui je venais de partager une étrange proximité. De l'intimité, même. J'en rougissais soudainement, détournant le visage vers la bâtisse qui se trouvait derrière nous afin de cacher mon trouble et de retrouver une contenance. Lui posait sa main sur le cercueil de glace. Lorsque nos mires se croisèrent de nouveau, il n'y avait plus de trace de mon trouble sur ma peau, ni dans mon regard volcanique. Ce n'était pas le cas d'Aldaron. Même si son visage restait de marbre, je décelais une étincelle dans le fond de ses yeux verts. Mais qu'elle en était la source ?

« Merci. » Répondis-je alors qu'il me guidait vers l'intérieur. Lui dire que je ne craignais pas le froid temps que je portais ma cape avait effleuré mon esprit un instant, mais je jugeais rapidement qu'il n'était pas utile de partager cette information.

À l'intérieur, Mme Doubfire s'empressa d'apparaître à l'entrée de son maître, lui ôtant sa cape. Je l'observais faire, trouvant dans cette vielle humaine quelque chose de presque maternelle. Et lorsqu'elle se tourna vers moi pour récupérer ma propre cape, je manquais de refuser poliment, avant d'accepter face à son regard plein de caractère, rougissant légèrement sous l'appellation de Madame. Dans quoi m'étais-je fourré ?

Sous le doux tissu de ma cape, je portais une tunique carmine sans manche. Une tenue définitivement peu adaptée aux environnements froids mais qui mettait ma silhouette en valeur. Qu'est-ce que cette vielle madame Doubfire allait imaginer encore ? Me demandais-je en suivant Aldaron vers le salon. Je frictionnais mes bras un instant, jusqu'à ce que la chaleur du feu crépitant ravive mes sens. Je m'en approchais et tendais la main vers lui, savourant cette sensation qui se répandait dans tout mon être. Les veinules qui parcouraient mes épaules et mes bras semblaient luire légèrement sous la lueur des flammes.

Je laissais finalement traîner mon regard alentour, notant une pièce agréablement lumineuse pour une cité que j'avais, au départ, imaginé bien sombre. Même le parfum de pin qui flottait dans la pièce m'était agréable. Mais, ce qui attira le plus mon regard fut le tableau placé en évidence au-dessus de la cheminée. La Triade, devinais-je. L'un des nombreux surnoms du Prince Noir d'ailleurs. Le voir si jeune et si différent était étrange. Si j'avais découvert ce tableau dans un lieu autre que la demeure du Prince, il m'aurait été plus difficile de deviner que cet elfe aux cheveux bruns et le vampire qui se trouvait derrière moi étaient la même personne.

Une part de moi se sentit privilégiée alors que le souverain vampirique me contait ce que ce tableau représentait pour lui. J'avais de la difficulté à l'imaginer jeune et plein de candeur, mais lui comme moi avions un vécu qui nous avait changé. Tout s'expliquait. La suite était destiné à Orfraie, mais je hochais la tête. Lentement, le regard perdu dans les flammes. Je n'avais jamais rencontré Elena, qui n'était qu'un bébé. Mais j'avais cette sensation de la connaître.

Je tournais lentement le regard vers Aldaron, le bruit de ses pas me parvenant sur ma droite. La vitrine avait été complètement éclipsée par le feu et le tableau, mais j'y notais à présent la présence de trois couronnes, dont une qui ne m'était pas inconnue. Je l'avais vue, autrefois, ceindre le front d'Aegnor Evanealle. Ainsi, le Prince Noir avait récupéré un trésor impérial… Et comptait l'offrir un jour à Elena, et non la garder comme un trésor. Ou comme un rappel que lui était toujours là, mais pas les elfes. Un sourire éclaira brièvement mes lèvres tandis qu'une grande partie de moi aurait aimé la porter, juste quelques instants, pour le savoir qu'elle contenait. En avais-je le droit ? me demandais-je.

Ma réflexion fut interrompue par l'arrivée de madame Doubfire, chargée d'un plateau où reposaient théière et tasses, ainsi que quelques biscuits dont je sentais le délicieux parfum. La petite dame dissimulait très mal son sourire. C'est qu'elle devait être ravie que son Prince ait trouvé une Dame ! Pour ma part, je dissimulais mon trouble et pensais aux conséquences d'une telle rumeur. Lui, en revanche, ne cachait pas réellement son hilarité, me faisant hausser un sourcil bien haut en signe de désapprobation, exactement comme une certaine princesse l'aurait fait à ma place.

« Vous ne comptez pas lui dire, n'est-ce pas ? » Lui demandais-je en m'asseyant, après que madame Doubfire ait quitté la pièce. Je parlais doucement, imaginant déjà la veille dame coller son oreille contre la porte pour entendre nos "mots d'amour". Une partie un peu folle de mon être trouvait cela excitant d'avoir une relation secrète, tandis que la part plus terre à terre désapprouvait complètement. « Je vais avoir des ennuis. » commentais-je, avant de hocher la tête.

J'étais satisfaite de ne rien devoir à personne concernant cette protection dont je ne voulais pas. J'avais toutefois toujours cette désagréable impression de n'être qu'une enfant. Mais, encore une fois, mes réflexions furent troublées par madame Doubfire. Ou par son thé, tout du moins, qui sentait le gingembre à plein nez. Et si l'odeur était si forte pour moi, toute Sainnûr que j'étais, c'était qu'elle devait avoir forcé la dose. Mais pourquoi du gingembre ? Et pourquoi si fort ? Et pourquoi Aldaron riait ? Le voir rire était définitivement très étrange, d'ailleurs. Et faisait même un peu peur.

J'eus un mouvement de recul tandis que je passais en revue les vertus du gingembre. Avant de comprendre.

« Oh… Je vois. » dis-je d'une petite voix en observant ma tasse. J'eus un rire nerveux. « Deux sucres, merci. »

Je portais la tasse à mes lèvres, serrant les dents face au goût particulièrement fort et sucré du breuvage. Une boisson qui, malgré tout, me fit du bien et me réchauffait de l'intérieur.

La question d'Aldaron, qui me permettait d'assouvir toute ma curiosité vis-à-vis du Marché Noir, me laissa silencieuse un instant. Plusieurs longues secondes, même, durant lesquels je fixais tantôt ma tasse, tantôt le Prince Noir qui m'apparaissait sous un jour nouveau et déroutant. J'étais arrivé en détestant cet homme et voilà que la découverte de ce côté taquin attendrissait dangereusement mon cœur ! À moins que ce fut l'effet du gingembre, qui commençait à faire chauffer aussi bien mes joues que le creux de mon ventre. Et soudain, il y eu cette pensée parasite : le gingembre étant un vasodilatateur, aurait-il de l'effet sur le vampire en face de moi ? Normalement oui, car du sang coulait encore dans ses veines. Toutes ses veines. Allait-il ressentir le même "inconfort" que moi ? Mais en même temps, murmura une petite voix, cela faisait si longtemps que…

« Ahem… » Je reposais ma tasse avant de m'étouffer avec mon thé tout en la gardant entre mes mains soudainement moites. « J'ai déjà eu à faire au Marché Noir. À l'époque, il soutenait l'effort contre le Tyran. » Une période pendant laquelle je m'étais trouvé "du mauvais côté" et où j'avais rencontré plusieurs passeurs. Un détail qu'Aldaron pouvait deviner… ou pas. « J'aimerais en savoir plus sur sa création et son histoire. Comment un simple elfe, aujourd'hui vampire, est arrivé là. »

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Une lueur de malice traversa brièvement son regard lorsque Vex’Hylia lui demanda s’il comptait ou non expliquer à Mme Doubtfire qu’il n’y avait aucune romance entre eux. Il ne confirmait ni n’infirmait, laissant au silence la possibilité de faire fleurir tous les possibles. Un regard, un sourire et souvent un silence, c’est ce par quoi il avait répondu, chaque fois qu’on lui avait demandé si le Marché Noir était toujours debout sur Tiamaranta. Aldaron avait laissé l’imagination faire le reste : certains disaient qu’il ne souhaitait pas révéler son existence, d’autres pensaient que la Triade le faisait croire pour conserver son aura de puissance, alors qu’il n’en était rien et d’autres, enfin, se disaient que le Marché Noir n’existait plus et que si Aldaron ne répondrait pas, c’était parce que la réponse lui était douloureuse, alors il l’esquivait. La vérité, c’était qu’il aimait bien jouer avec les silences. Il était souvent intéressant et même révélateur de voir ce qu’on en imaginait ou en inventait.

Il lui servit deux sucres avant d’en faire de même de son côté en espérant que cela viendrait adoucir la surcharge de gingembre. Mais à la première gorgée qu’il prit, il sut que cela ne suffirait pas. La grimace qu’il tira était à la hauteur de ce qui lui surchargeait la bouche : un trop plein de saveurs sans subtilités. De longues secondes passèrent pendant lesquelles il n’eut guère de réponse. S’essayait-elle, elle aussi, au jeu du silence ? Non, il la sentait… Egarée. L’ast qu’il était ne lui sentait brièvement aucun but tandis que son regard oscillait entre lui et la tasse. Il arqua un sourcil, avant qu’un sourire en coin ne vienne troubler la linéarité parfaite, jusqu’ici, de ses lèvres. Le gingembre avait-il cet effet ? Sentant la chaleur dans son propre ventre, il se doutait que pour elle, ce devait être pire. Les vampires étaient moins affectés par les toxines que les vivants. Mais il sentait et se doutait alors de ce qui pouvait perturber son invitée. Mme Doubtfire pouvait être ravie : ça avait marché.

La question sur le marché noir l’étonna. Il lui proposait de lui révéler ce qu’elle voulait sur l’organisation, et au lieu de lui réclamer la liste des infiltrés à Sélénia, elle préférait revenir aux fondations. C’était surprenant. Et en même temps, habile : il ne lui aurait donné aucune liste si elle lui avait demandé de but en blanc. Mais en avançant progressivement, en s’assurant de sa coopération à chaque petite question, elle aurait de plus grande chance qu’il laisse glisser de petits secrets. Était-elle ce genre de tacticienne ? Ou bien était-ce qu’elle ne cherchait pas réellement à savoir ? Il était curieux et la suite de cette conversation lui indiquerait probablement s’il s’agissait d’une tactique ou de la curiosité amicale. Il se redressa un peu dans son assise pour défaire une bourse de sa ceinture qu’il posa sur la table et ouvrit. Il y prit une pièce d’or : une pièce sélénienne à n’en pas douter, puisqu’il y avait le profil de Nolan Kohan gravé sur l’une de ces faces. Il la déposa près d’elle, sur la table.

« Voilà comment, Dame Aërendhyl. Ce n’est pas plus compliqué que cela : l’or. » Si son ventre lui chauffait, son timbre de voix, grave, avait repris une expression des plus sérieuses. « L’or n’a ni patrie, ni loyauté, ni religion. Elle n’a pas d’éthique, pas de morale, ni d’amour. L’or est une fiction et probablement la rumeur en laquelle tout le monde croit et dont personne ne doute. C’est plus séduisant qu’un leader charismatique, plus vénéré que les Dieux, plus puissant que des lois. C’est au-delà de toute rationalité. Pour une et une seule raison : l’or, c’est le pouvoir. » Il pencha la tête sur le côté, songeur. « Les séléniens ont rejeté les Kohans et Claudius clame, à qui veut bien l’entendre, un culte de l’Empire. Pourtant… Si je payais une miche de pain, à un sélénien, avec cette pièce gravée du visage de Nolan, croyez-vous que par patriotisme, malgré toute sa dévotion à la cause de Claudius, ce sélénien refuserait cet argent ? Même si elle vient d’un vampire ? Et si j’avais acquis cette même pièce en ayant vendu un esclave aux pirates, croyez-vous que par éthique ou sens moral, il la refuserait également ? L’écrasante majorité prendrait cette pièce d’or, parce qu’avec elle, on peut avoir tout ce qu’on veut ayant cette valeur. Vous comprenez ? »

Il prit une gorgée de son thé, refit une brève grimace même si, la seconde gorgée passait mieux que la première. « Et pourtant, l’or, c’est tout de même le matériau le plus inutile qu’il soit. Avouons-le. Il n’est pas solide, on ne peut pas en faire d’arme, il se plie trop facilement. » Il reprit la pièce et la plia en deux entre ses doigts.  « Alors on lui a trouvé une utilité. On a inventé une histoire selon laquelle un sac de farine valait ces dix grammes d’or. Un kilo de pomme en valait deux. Et tout le monde y a cru. Quel que soit votre pays, votre race, votre religion, tout le monde y croit, alors que c’est plus grande arnaque de tous les temps. L’homme qui a lancé cette… Rumeur est véritablement mon héros. Je donnerais beaucoup pour pouvoir le rencontrer. » Mais il y avait de fortes chances pour qu’il soit mort. Il haussa les épaules à cette idée. Le monde était rempli d’histoires. Les gens se pliaient aux lois parce qu’on croyait en elles. On faisait confiance à l’engagement des gens qui signaient un contrat ou qui le juraient au nom de Néant, ou sur la tête de leur mère. Mais ce n’était que des croyances, des histoires qu’on se racontait et en lesquelles tout le monde y croyait.

« On peut faire beaucoup de choses en créant des histoires, ou des rumeurs, Dame Aërendhyl. Vous n’aurez des problèmes que si vous perdez foi en elle et ne le voyez que comme ce qu’elle est : un vulgaire mensonge colporté par des gens qui ont envie d’y croire, et qui ne va vous apporter que des ennuis. Il y a de la magie, dans chaque rumeur, c’est à nous d’en exploiter le plein potentiel. C’est comme cela qu’est né le Marché Noir. Trois spirites du saumon avec des contacts et se monte un marché à Gloria. Des rumeurs disent qu’un elfe, un vampire et une humaine vivent ensemble et qu’ils ont renoncé à leur nom de famille pour leur nouvelle fratrie. N’est-ce pas une curiosité ? N’irait-on pas voir de plus près cette elfe qui vit parmi les humains, ce vampire tel un gentil monstre et cette humaine qui a la folie de ne pas habiter avec des gens de son peuple ? Le marché grandit et nous connaissons l’histoire de l’or par cœur. Une rébellion éclate, mais l’or est plus puissant que les convictions ou la patrie. Plus puissant que les races qui cohabitent péniblement, et pour la première fois, à Aigue-Royale. La tyrannie s’installe, mais l’or est plus puissant que la peur, plus puissant que le culte au Tyran Blanc, ou que la haine qu’on lui voue. On se fiche bien d’avoir dans sa poche des pièces d’or à l’effigie de ce monstre, tant qu’avec, on peut acheter ce dont on a besoin. L’Alliance déclare son indépendance à l’Empire, mais s’accommode facilement de retrouver dans ses bourses des pièces d’or au sceau impérialiste. Et inversement, d’ailleurs. »

Il marqua un silence avant de poursuivre : « Il y a des choses en lesquelles on croit, comme la patrie, l’éthique, les lois ou même l’amour… Et puis, il y a l’or pour transcender tout cela et n’en faire que des attachements secondaires. On a beau aimer son enfant de tout son cœur, dans la famine frappe et qu’on doit nourrir 5 autres enfants, on en vend un sur le marché des esclaves pour sauver les autres. On accepte tous, d’une manière ou d’une autre, ce moindre mal et un gain d’argent, c’est souvent s’assurer des lendemains meilleurs. » Il avait bien plus que cet exemple en tête, tant de situations où l’argent devient vainqueur. « Nous avons été à Keet-Tiamat, avec la Confrérie pirate. Ils étaient là pour s’approprier terres et reliques. Ils étaient là pour la richesse. Le royaume vampirique accuse de sérieuses dettes avec le marché écarlate mais je n’ai pas voulu de ces trésors, de ces… Bouts de métaux dorés, qui ne valent rien, en réalité, si ce n’est la valeur qu’on croit collectivement lui donner. J’ai, en revanche, donné à chaque elfe qui le voudrait, la possibilité de rejoindre mon Royaume, une fois soigné. Parce que dans le vrai monde, celui qui est au-delà des histoires qu’on se raconte sur la valeur de l’or, ils ont bien plus de valeur. »

Il porta sur elle un regard curieux. Qu’en pensait-elle ? « C’est cela mon travail, Dame Aërendhyl, avec le Marché Noir : donner de l’or ou en ôter, à ceux qui croient inexorablement que la valeur de leur peuple dépend de combien leur coffre-fort accumule de pièces d’or. Je distribue le pouvoir, un pouvoir à la fois réel et factice. Et je prends et je protégé les talents, les personnes qui pourraient, par leur don, leur emprunte, changer, selon moi, en bien la face du monde. Ou le sauver des catastrophes que nous traversons. Je les appelle ‘les artistes’. » Et Vex’Hylia en était une, à présent. « Quels genre d’ennuis pensez-vous avoir avec cette rumeur ? Que Claudius vous désavoue ? Que des gens vous agressent parce que vous m’êtes liée ? Pour ma part, je trouve cela intéressant de savoir quelles seraient les réactions de votre peuple et du mien, si une idylle venait à nous unir, tout deux. Cela mettrait en lumière qui sont les personnes qui veulent véritablement une paix et qui sont ceux qui ne vivent que par la haine et la guerre. Cela permet de faire le tri sur les gens qui nous entourent et qui  affirment partager nos rêves et ambitions de vive voix, mais dont le cœur est pétri de mépris et de rancœurs. »

Il but une nouvelle gorgée. Est-ce qu’il faisait chaud ? Il regard les flammes dans la cheminée : elles étaient faibles. Ses mires revinrent sur la femme près de lui : « Je n’ai pas dit la vérité à Mme Doubtfire, mais… Vous non plus, bien que vous en ayez eu l’occasion. Alors je me demande si vous avez vraiment envie que je mette un terme à cette belle histoire ? » Il leva doucement une main vers une mèche de cheveux roux qu’il vint replacer délicatement derrière l’oreille pointue de la jeune femme : « Ou si vous avez envie de voir où cela nous mène ? » Ses doigts effleurèrent sa joue. Il écarta la main et ferma les yeux en réalisant son geste. « Gingembre. » affirma-t-il, en rouvrant les yeux, pour expliquer son moment d’égarement. Il secoua la tête de gauche à droite, reprenant rapidement contenance. « Je suis désolé. »

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La question avait été posée sur un ton tout à fait innocent. Et je ne m’attendais pas à une réponse, quelle soit sérieuse ou non. Ce fut donc avec grande peine que je dissimulais ma surprise lorsqu’Aldaron consentit à me conter la genèse du Marché Noir. Je pris délicatement la pièce d’or, déposée entre nous deux, et la fit tourner entre mes doigts, étonnamment agile. Le profil de Nolan Kohan me toisait tandis que j’admirais de près le détail de la gravure. De l’autre côté de la table, le Prince Noir commençait à conter son histoire.
Je hochais la tête à sa question rhétorique, continuant à jouer avec la pièce, croisant le regard émeraude du vampire alors qu’il était sublimé par l’éclat de l’or. Le feu qui crépitait dans la cheminée se reflétait sur ses deux faces.
Puis j’acquiesçais une seconde fois. En effet, l’or était un matériau peu utile en dehors de quelques recettes alchimiques et, bien entendu, en tant que monnaie. Joignant le geste à la parole, je soulevais la pièce entre mon pouce et mon index, admirant un instant sa surface brillante, avant de la torde sans effort entre mes doigts. Cabossée, presque pliée en deux, la pièce retomba sur la table dans un tintement familier alors que je prenais une gorgée de mon thé, les joues encore chaudes. Même dans cet état, cet or gardait toute sa valeur.

« Il y a des choses en lesquelles on croit, comme la patrie, l’éthique, les lois ou même l’amour… Et puis, il y a l’or pour transcender tout cela et n’en faire que des attachements secondaires. On a beau aimer son enfant de tout son cœur, dans la famine frappe et qu’on doit nourrir 5 autres enfants, on en vend un sur le marché des esclaves pour sauver les autres. On accepte tous, d’une manière ou d’une autre, ce moindre mal et un gain d’argent, c’est souvent s’assurer des lendemains meilleurs. »

Je haussais un sourcil par-dessus ma tasse, toisant l’homme sans un mot. Je me demandais, en attendant ces paroles, ce en quoi lui croyait. Ou, plutôt, si son amour pour l’or était plus grand que son amour pour sa famille, par exemple. À en croire Orfraie, il était homme à protéger ses enfants coûte que coûte. Mais était-ce vraiment le cas ? Je me demandais, en reposant ma tasse, qu’elle serait sa décision s’il se retrouvait dans une position inconfortable, devant un choix impossible comme il venait de le décrire. Car il était évident, en tant que mère, que l’or n’aurait jamais autant de valeur qu’un enfant. Mais il s’agissait là d’un exemple parmi tant d’autres.

La réponse à mes interrogations vint rapidement, sans que j’eu besoin de poser la question.

« J’ai, en revanche, donné à chaque elfe qui le voudrait, la possibilité de rejoindre mon Royaume, une fois soigné. Parce que dans le vrai monde, celui qui est au-delà des histoires qu’on se raconte sur la valeur de l’or, ils ont bien plus de valeur. »

Orfraie ne s’était pas trompé, semblait-il. Je ne souriais pas, mais je savais que mon regard parlait pour moi. Je savais qu’il pouvait y lire une certaine satisfaction, tandis que je reprenais une gorgée de mon thé, retenant une grimace. Pourquoi étais-je en train de me forcer à boire ce breuvage ? Était-ce cette agréable chaleur, que je ressentais au creux de mon ventre, qui m’y poussait ?
Fermant les yeux un instant, je respirais longuement, retrouvant en partie mes esprits. Le récit d’Aldaron avait confirmé certaines choses que je pensais de lui… et infirmé d’autres. J’imaginais soudainement un revirement, un monde où, avec surprise, l’or perdait sa valeur. Cela pourrait arriver. Cela aurait pu arriver. Quand j’étais arrivée à Sélénia, j’avais vu quelques humains débrouillards se passer d’or pour y préférer l’échange. Cela aurait certainement déstabilisé le Marché Noir, au moins un temps. Avant que ce dernier ne prenne le contrôle des réserves et des stocks pour contrer ce mouvement.

Puis, je restais pensive, buvant une nouvelle gorgée encore bien chaude. Je devais avouer être en accord avec ces paroles. La seule ombre au tableau était le risque qu’une telle manœuvre pouvait me faire encourir. À moi ou à mes proches.

Je reposais la tasse, encore. Cette fois-ci, elle était vide. Les mains à plat sur la table, je laissais le vampire approcher, remettre une mèche de cheveux à sa place. Le geste, très délicat, fit frémir mon corps entier. Je rouvrais des paupières que je n’avais pas souvenir d’avoir fermé, toisant le Prince Noir avec intensité, les iris aussi ardents que le feu que je sentais croire en moi. Se jouait-il de moi ou ressentait-il la même chose ? Orfraie m’avait dit qu’il était un coureur de jupon. Ou l’avait été. L’était-il encore ? S’amusait-il ?

… Voulait-il s’amuser ?

Ses derniers mots me firent redescendre sur terre. Je pinçais l’arête de mon nez. Une partie de ma conscience me disait clairement que ce n’était pas raisonnable. Une autre, bien plus agréable, trouvait la situation très intéressante. Ainsi que la compagnie et la discussion, bien sûr. Ma réponse vint après quelques instants, ma voix étrangement beaucoup plus chaude que d’ordinaire.

« Une grande partie de moi s’amuse de ce quiproquo au moins autant que vous. Vous m’avez convaincue, je suis curieuse de connaître les réactions des êtres qui m’entourent face à cette rumeur. »

Rien de mal à cela, vraiment. Tout cela n’était que du vent. De la poudre aux yeux pour mieux découvrir qui préféraient le conflit à la paix. Qui prêtait davantage attention aux rumeurs qu’aux faits. Même si la paix avec le royaume Erlië était toute relative. Pouvions-nous seulement parler de paix lorsqu’il ne s’agissait que d'un pacte de non-agression ?
Je devinais déjà les remontrances de ma hiérarchie, le mécontentement de l’Empereur, de sa nièce que je connaissais que trop bien… mais une partie de moi, hautaine, dédaigneuse même, s’en amusait. Je suis immortelle et vous, vous n’êtes qu’un battement de cil dans ma vie. On vous oubliera, vous et vos idées, alors que je serais encore là.

Ce n’était pas mon genre de penser ainsi. De me moquer des autres et de ce qu’ils peuvent bien penser. Était-ce ce maudit gingembre qui me faisait tant tourner la tête ? Ou était-ce vraiment une partie de moi, enfouie, qui s’exprimait un peu plus librement ? Un part plus sombre que j’avais entraperçu, autrefois…
Battant des paupières, je relevais les yeux vers Aldaron. Ma main droite s’avança presque d’elle-même, venant toucher les doigts du Prince Noir. Les caressant, doucement, telle une plume, avant de s’y poser sincèrement. Cela aurait pu passer pour un geste de réconfort aux yeux de n’importe qui, de veuf à veuve.

« L’autre partie de moi se demande bien où est-ce que cette inattendue entrevue se terminera. »

Je haussais un sourcil, lui jetant un regard en coin tout en faisant taire mes pensées les moins sages. La balle était dans son camp, comment et vers quoi le Prince Noir allait diriger cette conversation ? Et pourquoi ?

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Elle avait fermé les yeux, à son geste imprévu et Aldaron ne pouvait s’empêcher de l’avoir noté alors qu’il dardait ce regard volcanique. Une partie de lui se rappelait Morneflamme, juste en regardant ces yeux. S’il n’avait pas cette capacité à rester maître de lui-même, il aurait pu être intimidé. Peut-être l’était-il même un peu, à moins que ce ne soit du au contenu de sa tasse. Le volcan l’avait défiguré de l’intérieur, mais il était reconnaissant de cet apprentissage qui, bien que douloureux, lui avait remis les pieds sur terre et lui avait donné les armes pour affronter, sans craintes, les pires monstres foulant leurs terres.

Puis elle accepta de jouer. A bien des égards, Aldaron était encore un grand enfant. Un enfant qui, eu égard de son statut, ne pouvait plus vraiment jouer avec l’insouciance des plus petits. Mais sous couvert de sérieux, il trouvait bien d’autres jeux et son cœur, en silence, se soulevait d’allégresse à l’idée d’avoir trouvé une partenaire à ce divertissement. Il ne l’avouerait sûrement pas de vive voix, mais il s’en trouvait comme dans un bac à sable, avec une comparse qui avait accepté de bâtir un château, aussi futile et puéril soit-il, avec lui.

Et il sentait d’elle une certaine satisfaction. Elle ne le faisait pas pour lui, ou du moins, pas seulement. Elle semblait avoir vraiment envie de jouer. Le geste de sa main faisait-il parti du jeu ? Les elfes avaient cette beauté et cette délicatesse que n’avait aucune autre race, et certainement pas les humains. La question étira, bien que discret, un sourire en coin sur les lèvres du vampire. Son pouce lui rendit doucement la caresse, alors qu’il savourait la douceur de sa peau. Il s’avouait mentalement qu’une part de lui, profondément triste de la perte d’Achroma, aurait accepté sa tendresse, si elle avait accepté de la lui donner. Une autre, une en deuil, refusait d’accorder son âme, même un peu, à quelqu’un d’autre et s’octroyer des plaisirs charnels ne l’apaisait que sur l’instant avant de lui faire ressentir la perte de son époux encore plus fort. Et enfin, une dernière part de lui éprouvait de la loyauté envers Siel. Tant que leur relation n’était pas tirée au clair, il n’oserait pas le moindre pas, aussi joueur soit-il. Sauf si le désespoir l’emportait. Ou le gingembre.

« Fermez les yeux. » souffla-t-il, en réponse. Aurait-elle confiance en lui ? Au fond, elle pouvait bien les garder légèrement entrouverts. Il ne lui avait proposé pour qu’elle ne rougisse pas trop en croisant son regard pendant qu’il lui répondrait. Il serra doucement la main qui était venue caresser la sienne. Il ferma les yeux alors qu’il se penchait vers elle. Son nez effleurait sa tempe sans vraiment la toucher. Mais elle était là, près de lui, et il était là, près d’elle. Avait-elle peur d’un geste encore plus déplacé ? « En d'autres circonstances, je vous aurai embrassée, et nous nous serions peut-être mutuellement consolé, là, près de la cheminée. » Il écoutait les battements de son cœur, pensif, avant de poursuivre : « Il est loin le temps où j'aurais, insouciant, fait peu d'état sur les conséquences de mes actes. Siel est mort, sans être mort. Vous êtes veuve sans l'être vraiment. Libre et pourtant engagée. »

Le paradoxe méritait d’être rappelé. Lui, il était veuf. Elle, elle avait encore Siel, bien que profondément changé. Pourrait-elle encore l’aimer ? « Quand Toryné m'a mordu… » Tiens, cela faisait deux fois qu’il avouait cette douloureuse vérité, depuis la mort d’Achroma. Cela ne rendait la trahison de la diva bien plus pénible que ce que les gens pensaient. Toryné n’avait pas seulement été sa mère de cœur. Son venin avait coulé dans ses veines pour une renaissance. « Je me suis réveillé et Achroma était près de moi. Nous étions des Inséparables. Dans mon cœur alors, c'était une évidence qu'il m'était destiné. »

Il sentait son parfum, cela avait quelque chose d’envoutant. « Peut-être vous retrouverez-vous, avec Siel. Ou peut-être aurez-vous le sentiment de le perdre une seconde fois en réalisant qu'il n'est plus l'homme que vous pouvez aimer. Ce sont des choses que vous ne pourrez sentir qu'en passant du temps avec lui, pour que vous vous redécouvriez. Même si les premiers instants pourraient vous rebuter. Persistez ? » Du temps avec Siel, pas avec lui. Et pourtant, il n’aurait pas voulu qu’elle parte. Son parfum se gravait doucement dans sa mémoire et les battements de son cœur de vivante résonnaient dans sa tête comme un tambour.

« Je ne ressentirai jamais plus ce que j'ai ressenti avec Achroma. Pas avec un telle intensité. » L'Esprit-Lié de l’Inséparable ne voudrait probablement plus jamais de lui : il avait accepté que son lien soit brisé, pour ne pas mourir et emporter sa dragonne avec lui. Mais à quel prix ? Survivre en ce monde était un crève-cœur. « Et c'est une bonne chose en vérité.  J'étais persuadé du contraire, mais je n'avais plus aucune lucidité. » Un aveu, sincère. Il aurait suivi Achroma même dans les pires horreurs. Ne l’avait-il pas fait ?

« Il y a une histoire, entre Siel et vous, même s’il n’est plus complétement l’homme que vous avez connu. Je ne ressentirai jamais plus ce que j'ai ressenti avec Achroma mais… Je crois encore en l'amour. Celui qui vous met à genoux sans remords, au moindre regard. » Celui par lequel on renonçait à tout pour l’autre. Cela avait quelque chose de magique. « Alors, je ne ferai rien pour vous entraver. » Il rouvrit doucement ses yeux, ses mires caressant du regard sa peau : « L'aimez-vous toujours ? » demanda-t-il, curieux du sentiments qu’elle aurait à son égard : « Pourrez-vous l’aimer, tel qu’il est devenu ? » Certains elfes tenaient les vampires en grande haine et même l’amour le plus fort pouvait ne pas tenir. « Ou le refuserez-vous ? »

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C’était comme un jeu du chat et de la souris. J’y jouais souvent, enfant. Mais là, c’était différent. Plus risqué. Plus excitant aussi. J’avais ce profond sentiment d’être en vie alors qu’après la disparition de Siel, je m’étais senti mourir à petit feu. M’enfermant dans une routine auprès des blessés, ou participant à la construction de l’Imbrûlée. Mais une autre partie de moi, en parfait miroir de ce qu’Aldaron ressentait, refuser de céder à ce petit jeu. D’accepter de me consoler de cette façon. Cette part de moi qui était encore profondément attaché à Siel. Qui avait l’espoir de le retrouver. Il me faudrait tirer cela au clair rapidement.

La caresse de son pouce sur le dessus de ma main me tira de mes songes. Je baissais les yeux sur sa peau pâle alors que sa voix raisonnait doucement. Sans mes sens de Sainnûr, peut-être l’aurais-je manqué.

Fermer les yeux ? Je relevais plutôt mes prunelles vers les siennes, le dévisageant. Que voulait-il accomplir ? Devais-je lui faire confiance au point de baisser ainsi ma garde ? Pouvais-je ? Expirant longuement l’air retenu dans mes poumons, je décidais d’obtempérer. Ma confiance en l’homme était limitée, mais pas celle que je plaçais en Orfraie. Et la guerrière avait confiance en lui, assez, même, pour oser lui demander de veiller sur moi. Je fermais donc les yeux, mais ma main libre se referma imperceptiblement sur ma tasse. C’était là une arme bien futile, mais si je sentais le danger… Je pouvais toujours l’utiliser contre son beau visage.

Les paupières closes, je ne savais pas à quoi m’attendre. Mon rythme cardiaque s’accéléra. Mon souffle également. Je le retins, surprise, lorsque j’entendis Aldaron bouger sur sa chaise. Se rapprocher, jusqu’à ce que je sente son souffle contre ma joue, puis la caresse presque imperceptible de son nez près de ma tempe. Que faisait-il… ? Allait-il dépasser cette limite… ?

Non. Je ne lisais pas dans ses pensées, mais je le devinais dans un état d’esprit semblable au mien. Nous étions tous deux veufs depuis trop peu de temps pour oser faire cela. Et si Orfraie disait vrai, il tenait trop à Siel, son fils, pour lui faire une telle chose.

Malgré mes paupières closes, la tristesse s’empara de mes traits. Je hochais doucement la tête. Le Prince Noir avait raison. Il était le plus raisonnable, malgré l’effet du gingembre qui échauffait nos sens et attisait nos envies.

Je gardais les yeux fermé alors qu’il continuait, les joues chaudes. La révélation de sa filiation fut une surprise. J’ignorais cette information et la gardais précieusement dans un coin de mon esprit. Quant à Siel, une partie de moi aurait aimé qu’il soit mon Inséparable. Cela aurait été plus facile de le retrouver, bien qu’également beaucoup plus douloureux de le perdre en premier lieu. Un simple regard, un peu plus tôt, et il aurait été… Nous aurions été de nouveaux ensemble. Mais cela aurait été un lien forcé. Nous aurions été destinés alors qu’il ne savait rien de moi et que j’ignorais tout du nouveau lui. L’Inséparable était beau, mais aussi une terrible malédiction. Je m’en rendais compte en écoutant Aldaron continuer son histoire.

« J’en suis venu à la même conclusion… » murmurais-je près de son oreille, alors qu’il expliquait qu’il ne voulait plus avoir à faire à l’Inséparable. « Pendant un instant, j’ai souhaité que Siel soit mon Inséparable. » Continuais-je, ma main quittant la tasse pour se poser doucement sur l’épaule du Prince Noir, caressant celle-ci et remontant jusqu’à son cou. Mais le geste n’avait rien de luxurieux. C’était plutôt du réconfort face à l’aveu d’Aldaron et la triste réalité à laquelle il était confronté : il avait fait des choses terribles en étant complètement aveuglé. Il n’y avait rien de pire que perdre son libre-arbitre… que d’être emprisonné de la sorte, sans barreaux et en étant son propre geôlier.

Le Prince Noir se recula et je laissais ma main glisser sur sa joue.

« J’aime l’homme que j’ai connu lorsque j’étais jeune et insouciante et celui qu’il est devenu par la suite en vieillissant, en étant le père de ma fille. » Répondis-je avec honnêteté. « Et je suis prête à apprendre à connaître la nouvelle personne qu’il est. Tomberais-je amoureuse une nouvelle fois ? Je l’ignore… M’aimera-t-il ? Rien n’est moins certain. Mais je préfère qu’il m’aime pour qui je suis, et non parce qu’une puissance supérieure l’a décidé. » déclarais-je en référence à l’Inséparable, relâchant la joue d’Aldaron. Ma main retomba sur la table, entre nous deux. Je ne quittais pas ses mires du regard, cependant. Le vert des prairies rencontrant l’incandescent couché de soleil une nouvelle fois, reformant un tableau magnifique.

« Si cette magie qu’est l’amour n’opère pas une seconde fois… Je ne forcerais pas le destin. C’est sans doute la plus belle preuve d’amour que, moi, je suis capable de lui offrir. » murmurais-je, les yeux soudainement humides. « Alors, je n’aimerais probablement plus jamais comme je l’ai aimé lui, mon premier amour. Tout comme vous, vous ne ressentirez plus jamais ce qu’Achroma vous a fait ressentir. Mais, qui sait, peut-être que le bonheur frappera une nouvelle fois à ma porte. Et à la vôtre. »

J’esquissais un sourire en coin suite à ces paroles pleinnent de possibilités. J'étais emprunte de tristesse mais rassuré quant à l’avenir.

« Nous sommes beaucoup plus semblable que je l’imaginais. Je suis vraiment désolée d’avoir voulu vous frapper. » Je laissais échapper un petit rire. Mais une larme s’écoula malgré tout, traîtresse. « J’espère que nous aurons l’occasion de nous côtoyer davantage. Sans gingembre. Je vous promets de mettre de côté tous mes aprioris. » Je levais la main vers mon visage, effaçant le sillon humide du bout du pouce. « Je sais que nous faisons partie de camp… opposés, mais aurais-je votre permission pour venir ici régulièrement… ? » Demandais-je, jugeant inutile de préciser le pourquoi de cette demande. « Maintenant que je suis venue ici une fois, je pourrais ouvrir un portail dans un sens comme dans l’autre pour me déplacer rapidement. Je vous promets de ne pas faire de vague. »

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Les battements du cœur de l’immaculée avaient un rythme dont il se souviendrait, à présent. Il était prompt, et serré. La douleur était un sentiment universel. Ou du moins la partageaient-ils tout deux. Il observait son visage, même avec cette proximité. Sa peau, parcourue par les maigres rayons d’un soleil hivernal, avait la couleur de l’ambre. Les elfes avaient une beauté qu’il ne saurait jamais nier et il se laissait volontiers hypnotiser par ce profil. Elle avait souhaité que Siel soit son Inséparable. Il eut un sourire amère, en coin, avant qu’il ne se fane. « Tout le monde rêve du grand amour, de l’amour parfait, fusionnel et personne ne sait quel sacrifice cela requiert. » C’était plus facile de ne jamais se poser de questions, de ne jamais douter, jamais avoir peur. Alors l’idée de cet amour inséparable faisait fantasmer alors qu’il ne s’agissait que d’un lueur où on acceptait volontairement de porter des œillères pour incarner l’essence même du couple.

Avec du recul, il trouvait cela horrible. L’amour inséparable était une torture de chaque jour où suivre l’autre, vénérer et adorer l’autre étaient les uniques préoccupations de l’âme. Il aurait voulu s’occuper des autres, à ce moment-là. Ne pas les faire passer injustement au second rang. Malgré son amour, les regrets étaient profonds. Morneflamme n’avait pas du assez le désillusionner pour qu’il croit encore en pareil sottise. L’amour inséparable était un tombeau. Lui et Achroma. Offraie et Luna. Kalyna et le Tyran Blanc. Esmelda et Kylian. Tant de destins qui avaient sombré alors qu’ils auraient pu s’aimer moins et vivre avec plus de pragmatisme.

La main sur sa joue était chaude. Probablement aurait-il dû la rejeter mais en l’instant, il s’en sentait incapable. Il avait à peine reculé alors qu’elle lui confiait vouloir laisser une chance au destin. En son for intérieur, il se trouvait soulagé que l’elfe qu’elle fut ne rejetait pas le vampire qu’était devenu Siel mais en vérité, il n’en attendait pas moins de celle qu’Orfraie avait accepté de suivre. La princesse avait fait montre d’une ouverture d’esprit exemplaire et les mentalités changeaient, heureusement, bien que certains soient encore réfractaires à ce pardon. Il savait qu’il avait dû tuer des elfes malades, à Keet-Tiamat, pour cela. Parce qu’entre mourir de la peste de corail et devenir un vampire, certains avaient préféré la souffrance et la mort. La nuit faisait encore peur, et heureusement, pour certains points. Pour d’autres… Le chemin à parcourir serait encore long.

Il sentait sa souffrance lorsqu’elle affirma qu’elle ne forcerait pas le destin, pas seulement parce que ses yeux étaient devenus humides. Il posa sa main, sur la sienne. Il y avait effectivement l’option par laquelle seul l’un d’eux retombait amoureux de l’autre. C’était probablement le schéma le plus horrible qui puisse se produire. Mais elle semblait garder espoir, malgré tout, en un avenir quel qu’il soit. Il acquiesça doucement de la tête, son regard restant dans le sien, comme incapable de s’en détacher. Il se sentait bête de sourire, même un peu, lorsqu’elle vint à sourire et même rire, comme pour chasser la tristesse qui marquait encore son visage. « Vous pouvez venir ici quand vous le souhaitez. Les Séléniens ne sont pas interdits de territoire ici, tant qu’ils respectent nos lois. » Et il ne doutait pas d’elle lorsqu’elle promettait de ne pas faire de vague. L’inverse n’était pas vrai. Aldaron avait de la famille et des amis dans l’Empire qu’il ne pouvait plus voir si eux ne se déplaçaient pas jusque Nyn-Tiamat. Et Siel ne pourrait jamais rendre visite à Vex’Hylia et sa fille, même pour essayer de se remémorer des souvenirs, en retournant chez eux.

« Afin de ne pas vous retrouver étendue dans la neige, je vous suggère de vous transporter directement dans ce salon. » Il marqua une pause avant d’ajouter : « Ou dans votre chambre. Je vais vous en faire attribuer une. La téléportation épuise : je dirai à Mr et Mme Doubtfire de prendre soin de vous et de vous laisser reprendre des forces confortablement. » Même s’il doutait avoir besoin de le faire. Au fond, ils prendraient naturellement soin de celle qu’ils croyaient être la nouvelle Princesse. « Vous pourrez séjourner ici autant de temps que vous le souhaitez. » Au moins, elle aurait un endroit où dormir. Les auberges n’étaient pas forcément des lieux sûrs pour des Séléniens. « Et votre fille également. » Ses mires descendirent sur ses mains, pensif quelques secondes, comme s’il pesait le pour et le contre de ce qu’il allait dire.

Puis il retira de sa main gauche une chevalière gravé du sceau de la famille disparue des Leweïnra. « Tenez. » fit-il en prenant délicatement la main de Vex’Hylia et en lui passant la bague au doigt. Evidement, ce fut l’instant rêvé pour que Mme Doubtfire entre pour apporter un plateau de petits chocolats, disposés en forme de cœur dans une assiette. Par tous les esprits, garder son sérieux fut presque impossible, mais il attendit néanmoins que la domestique soit repartie pour laisser son sourire s’étendre, plein d’amusement : « Je crois que vous venez de passer du statut de petite amie à fiancée, félicitations. » Son regard coula sur les chocolats, priants pour qu’ils ne soient pas fourrés au gingembre.

« Cette chevalière est dans ma famille depuis longtemps. Elle permet de prendre contacte avec le patriarche de la lignée et il s’agit de moi, aujourd’hui. Ainsi vous pourrez discuter avec moi, si vous le désirez. Cela ne fonctionne qu’à votre initiative. » Ainsi elle ne serait dérangée lorsqu’elle ne le voulait pas. « Mon père me l’a donné quand je suis parti du royaume elfique. Il espérait que je le contacte pour rentrer et reprendre ma place. Mes responsabilités. » Son sourire se fit pincé et triste : « Je ne l’ai jamais utilisée. » Est-ce qu’il le regrettait ? Au moins un peu, mais il ne pouvait pas changer le passé. Il ne pouvait que continuer d’avancer.

« Il y a quelques semaines… Ou mois, peut-être, quand Luna a conduit Orfraie ici, j’ai essayé de rompre le Lien entre Orfraie et Firindal. Mais j’ai été interrompu et je crois qu’il y a un fragment libre de l’âme d’Orfraie qui est à l’intérieur. Je n’ai pas libéré la vraie Orfraie, seulement un fragment d’elle. Alors je me dis que puisqu’elle vous fait confiance, je peux vous faire confiance aussi pour cela. » Il gardait les mires rivées sur l’emblème des siens, visiblement pensif. « Orfraie finira par mourir, je crois que mes capacités ne me permettent pas de sauver toutes les personnes que j’aime, mais… Une part d’elle restera et vous semblez être la seule à pouvoir la faire vivre encore, à travers vous, alors… » Il releva les yeux sur elle : « Prenez en soin. »

Le silence s'installa, sans qu'il ne dérange pour autant. Sa présence remplissait la pièce, cela lui suffisait : « Voulez-vous que je fasse venir Siel ? Ou si vous n'êtes pas prête... Que je lui parle de vous ? »

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Je baissais les yeux sur cette main posée sur la mienne, sa peau encore plus pâle que je ne l’étais. Même après cette conversation à coeur ouvert, j’étais encore surprise de trouver ici un peu de réconfort. Tout cela était si étrange. Si fou. Mais mon corps parlait pour moi. Ce sourire était naturel, même s’il n’arrivait pas jusqu’à mes yeux.

« Merci. » répondis-je dans un souffle. Venir à Cendre-Terre était ma seule option pour voir Siel. Même si ce dernier n’avait rien à voir avec les Elusis qui avaient attaqué Sélénia, cela ne changeait rien. Il était devenu l’un d’eux et, je le savais, jamais il ne pourrait venir dans ce qui avait été notre maison familiale. Pas en toute légalité, en tout cas… L’idée d’évoquer le sujet avec l’Empereur traversa mon esprit, mais je n’étais pas encore prête à lui ouvrir ainsi ma vie personnelle. Qu’il s’y intéresse autant était également peu certain, même si sa nièce et moi étions amies.

Je relevais le regard, alors que je n’avais pas conscience d’avoir fixé nos mains si longuement. Il me proposait de directement ouvrir un portail pour sa demeure, pour ce salon… ou pour ma chambre. Je n’essayais même pas de cacher ma surprise, mais celle-ci fut rapidement remplacée par une légère rougeur sur mes joues. « Merci… » chuchotais-je. Pendant un instant, l’idée de refuser pareille offre effleura mon esprit… Mais j’étais pragmatique et Aldaron avait parfaitement raison. « Je suis certaine que Mme Doubfire et son époux seront ravis de me voir faire des aller-retour… de quoi nourrir leurs commérages. » terminais-je avec une pointe d’humour, les yeux aux ciel un court instant. « Elle me fait penser à ces grands-mères un peu « gâteau » dont les histoires parlent. Elle m’est sympathique malgré son manque de… subtilité. » c’était sans doute cela qui la rendait si attachante, en vérité, alors que je la connaissais depuis moins d’une heure.

« Je ferais mon possible pour être discrète. C’est chez vous et je ne veux pas m’imposer plus que nécessaire… Tout cela est déjà très généreux. » Je n’y étais pas habitué. Je ne m’y étais pas attendu et j’étais prise de court.

L’évocation de Kyla me laissa un goût amer en bouche. Ma fille avait réagi différemment de moi. De façon plus explosive. Ses mots me hantaient encore : « Les vampires ne sont PAS vivants ! » m’avait-elle crié au visage, sa douleur rendant ses mots tranchants comme des lames. Je ne me risquais pas à évoquer le sujet, toutefois, incertaine que ma voix reste aussi posée.

« Qu’est-ce que… ? » commençais alors qu’il me tendait soudainement la chevalière que j’avais aperçue à son doigt. J’en avais reconnu aussitôt le symbole un peu plus tôt, les Leweïnra ne m’étant pas inconnus. Je me souvenais encore de mon père m’apprenant le nom de toutes les familles nobles de notre peuple. J’avais la sensation que tout cela était dans une autre vie…

Avant que je ne sois en mesure de dire non, Aldaron me passait littéralement la bague au doigt. Et comme dans une mauvaise blague, ce fut le moment choisi par Mme Doubfire pour entrer dans la pièce, chargée d’un plateau garni de petits chocolats. Je ne manquais pas son regard pétillant de bonheur à la vue du geste posé par son Prince. Je l’entendais déjà raconter la scène à son mari, à grand renfort d’exagération et autres fioritures.

Le plateau déposé, je concentrais mon regard sur le Prince Noir et notais à quel point il avait de la difficulté à ne pas rire face à cette situation invraisemblable. Je levais les yeux aux ciel face à ce grand enfant tandis que mon visage se parait d’un petit sourire en coin, amusé comme je l’étais.

« Notre histoire va beaucoup trop vite, Aldaron. » répondis-je avec amusement, glissant un chocolat entre mes lèvres. Je croquais délicatement dedans alors qu’il m’expliquait l’importance de cette chevalière. « Mmh, pas de gingembre. C’est appréciable. » Faire des chocolats n’était pas si simple, ou pas si rapide. Ces sucreries devaient donc avoir été achetés lors des dernières courses de l’humaine, ce qui expliquait l’absence salvatrice de gingembre. Mes papilles s’en régalaient.

Redevenant sérieuse, je levais la main pour mieux observer cette chevalière. Étonnamment, elle ne glissait même pas à mon doigt. Et j’étais désormais en possession d’un moyen direct de communication avec le Prince Noir. Une pointe de satisfaction naquit dans mon cœur à cette idée. Mais elle fut rapidement balayée par l’aveu d’Aldaron, qui ne l’avait jamais utilisé comme son propre père l’avait souhaité. Je serrais doucement sa main en signe de réconfort, alors qu’il poursuivait.

Orfraie était la véritable raison de ce don hors du commun. La chevalière me devint aussitôt très précieuse, car si une partie de l’âme de la dragonnière subsistait, alors je n’avais plus à craindre sa mort. Et elle non plus.

« Vous avez ma parole. » répondis-je, très sérieuse, en relevant mes mires vers les siennes. Je caressais l’emblème des Leweïnra du pouce, pensive. C’était une clé, rappelant que les ancêtres d’Aldaron forgeaient, jadis, des clés magiques.

« Je… Je crois que j’ai encore besoin d’un peu de temps… Mais j’aimerais beaucoup voir cette chambre dont vous me parliez. Pour être capable d’y ouvrir un portail. » précisais-je. « Et peut-être pourriez vous me parler de lui. De comment il est depuis que… que vous l’avez recueilli. »



n.b : merci pour le RP chou

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