Fin septembre 1764
Un pari stupide, et une réaction au mot de l’Empereur en présence. Voilà ce qui avait motivé Claudius à faire une nouvelle rencontre diplomatique disons … Pas comme les autres, avec le désormais nouveau conseiller caladonien, Ilhan Avente.
Si le Havremont avait été surpris de voir que son ex-compère althaïen s’était entiché de Autone Falkire, une figure caladonniene importante de l’Alliance, – ou du moins ce qu’il en restait, pensa-t-il avec un sourire non-dissimulé – au point de quitter le navire de Délimar pour partir vers d’autres horizons … Il n’était cependant pas surpris d’apprendre que son accueil au sein de la cité marchande s’était fait avec une relative bienveillance, et qu’il avait obtenu une bonne place sur l’échiquier de la cité. Ilhan était en effet de ses hommes qui, sans aller jusqu’à dire qu’ils retournaient leurs vestes à tire-larigot, faisaient preuves d’une étonnante capacité … D’adaptation au fil des âges, pour servir leur cause.
Si le dévouement à une cause était un point qui rassemblait les deux êtres, et qui devaient sans doute être partagés par les nombreuses autres personnes de la classe « dirigeante » de ce monde, un point de personnalité qui tranchait entre ces deux hommes était cette fameuse capacité d’adaptation.
Là où Ilhan était en majorité tout en raffinement, beaux mots, réflexion, et subtilité … Claudius était beaucoup plus dans le contact, au sens propre comme au figuré : faire et dire les choses directement au contact de ses détracteurs, imposer sa vision comme une armée instoppable en marche quitte à compter dans ses ennemis les plus puissants de ce monde … Mais bien évidemment, là se dressait une vision partiale des choses, des généralités. Car cela arrivait aussi à Claudius de devoir prendre des temps de réflexion, d’organiser plus en amont des actions, et probablement que l’Avente devait prendre des décisions assez spontanées.
En l’instance, Le Havremont se disait que ce qu’il avait poussé à, lors d’un jour de septembre quelques mois seulement après son arrivée au pouvoir en tant qu’Empereur, être caché dans une des entrées de la grande arène de Délimar noire de monde en attendant qu’on lui fasse signe de rentrer pour un combat d’exhibition d’anthologie entre lui et le conseiller Avente devait au moins faire preuve d’une part de spontanéité.
Mais la vérité, c’était que Claudius avait été bien trop heureux que cet événement se réalise pour ne serait-ce que penser une once de seconde à décliner l’invitation. Si les combats de guerre étaient des jours importants pour le Havremont et des événements qu’il prenait avec le plus grand des sérieux, les combats amicaux comme ceux-ci, ou rien d’autre qu’un peu de fatigue physique et de l’honneur était en jeu, suffisait à rendre le Havremont heureux.
Heureux à plus d’un titre, car là était un des premiers événements officiels du nouveau dirigeant dans ce qui était désormais une cité sous le giron de direction direct de l’Empire, mais aussi heureux pour le pur plaisir du combat. Claudius était un guerrier joueur, et les stipulations de ce combat allait titiller son sens du défi. Pas d’arme, Pas de magie – et l’on aurait pu rajouter pas de larmes – voilà ce que les deux hommes s’étaient promis, et voilà comme les choses s’étaient arrangés. Les règles ? Un duel de poings : le premier qui déclarait forfait, qui était trop sonné pour continuer, où à avoir les deux épaules sol cinq secondes, était déclaré perdant, et l’autre gagnant. Aucun droit à des aides extérieures ou des objets supplémentaires à leur tenues. De la bonne bagarre à l’ancienne, comme disait Claudius à ses compatriotes de l’armée quand il se livrait à des exercices similaires autrefois.
Claudius sautillait sur place, face à la grille de l’arène qui laissait entrevoir le grand espace où les deux hommes allaient bientôt se livrer à un duel qui resterait dans les annales de Délimar. Claudius trépignait d’impatience, alors qu’il entendait au-dessus de lui, le bruit de la foule attendant ce combat avec une certaine hâte également. Le Havremont entendait déjà ceux présents scandés leurs deux noms successivement : « Iiiiilhan ! » « Clauuudius ! ». Tel un lion en cage, l’Empereur attendait qu’à ce qu’on ne le fasse entrer.
Quelques secondes passèrent, et une personne pris place au milieu de l’arène : un almaréen assez petit, d’environ un mètre soixante-dix, et plutôt d’un âge mur. Comme Claudiu l’homme était chauve, avec une petite barbe rasé de près, et était habillé dans une tenue que l’on qualifierait d’une tenue de grand soir : une chemise blanche lacée, un pantalon en cuir noir, et un ruban de tissu habilement assemblé en une forme de papillon sur le col. Il s’éclaircissa la voix et tout le monde se tût alors.
« Mesdames messieurs, bienvenue aux arènes de Délimar, pour un duel d’exhibition historique ! » Il était l’annonceur de ce combat. Ses premiers dires furent suivis de grandes acclamations de la part du public. « Ilhan Avente … et … Claudius de Havremont … S’affronteront dans un combat de lutte, sans magie et sans armes ! » L’annonceur, effectuant bien son travail, pris volontairement des pauses entre les noms pour laisser de la place à la réaction du public, se faisant dans les applaudissements, et dans les huées de certains. En tous les cas, l’affiche semblait passionner le peuple de Délimar. « Sans plus attendre, veuillez accueillir notre premier combattant … »
L’heure était venue. On ouvrit la grille qui séparait Claudius de la poussière de l’Arène. Le Havremont s’afficha dans l’encadrée de son entrée, laissant le public découvrir son visage et la tenue qu’il avait choisi : il était torse nu, arborant seulement sa cape Strënge sur les épaules avec lui, ainsi qu’une tunique d’un rouge carmin caractéristique de Sélénia et des sandales qui venaient lui couvrir respectivement le haut et le bas des jambes, et évidemment ses gants de combat. Il entra d’un pas lent jusqu’au centre de l’arène, proche de l’annonceur, pendant que celui-ci déclinait son identité de manière quelque peu … Théâtrale :
« L’homme approchant du centre de l’arène nous vient tout droit de Sélénia ! Il mesure deux mètres, et plus de cent kilos … Il est Le Tueur de Dragons … Le Gardien de Sélénia … Mesdames et messieurs, Clauuudius de Haaaaavremont !!! »
Des frissons parcoururent l’échine de Claudius, qui à son nom, entendit une réaction du public nourrie entre applaudissements nourris et huées déchainées : si la nouvelle figure représentante de Délimar ne semblait pas encore faire l’unanimité, l’Empereur entendit tout de même quelques personnes scandant son prénom haut et fort, ce qui eut pour effet de le rassurer. Le Havremont n’avait en tout cas jamais connu de telles expériences, et décida de se prendre au jeu de cette théâtralité.
Une fois arrivé au centre, il passa sa main rapidement sur son bras et son avant-bras, comme s’il aiguisait une arme, appelant sa foi dans l’Empire et la Trame pour concentrer un petit peu d’énergie dans son poing. Il se baissa ensuite, et frappa d’un grand coup le sol de son poing gauche, ce qui eut pour effet de lâcher quelques étincelles de lumière jaune-orange inoffensives autour de son corps, qui s’évanouirent bien vite dans l’air. Le petit numéro fut semble-t-il, assez apprécié, dans la mesure où de nombreux applaudissements venaient saluer cette entrée magistrale.
Claudius se releva ensuite, et croisa les bras. Le silence retomba, et de nouvelles exclamations vinrent composées le public, qui scandait à nouveau le nom d’Ilhan. Bientôt, l’annonceur fit …
« Veuillez accueillir notre deuxième combattant … »
Claudius s’étira de tout son long, et fit craquer ses doigts. Il était prêt.