Nathaniel, suite aux propos d’Aldaron, était en pleine introspection. À certains égards, on pouvait penser qu’aujourd’hui plus que jamais le gredin prouvait qu’il était bel et bien un elfe. Mettre du temps à changer face à l’évolution d’une situation. L’Eärendil s’était retrouvé plus d’une fois dans des bouleversements profonds de situation, mais c’est bien la première fois que le cadre du forban changeait. Toute sa chienne de vie il avait été un criminel, un bandit, un brigand, un voleur, un violeur, un tueur. Bien entendu, cela il l’était toujours, mais pour la première fois il était à présent à la tête de ce que l’on pourrait appeler un pays. Certes il avait déjà été chef, dirigeant, mais ceux sous sa férule à l’époque n’étaient rien d’autre qu’une bande de moins de rien tout comme lui. Aujourd’hui, c’est cette situation qui avait changé. Il n’était plus exactement à la tête d’une bande de moins que rien. Bien sûr, il y en avait toujours, mais ils étaient justes beaucoup, beaucoup plus nombreux. Leurs destins reposaient sur ses épaules, leurs places dans ce monde dépendaient de lui. Sa mort, sa vie ou même sa moindre décision pouvait tout changer et entrainer d’importantes réactions en chaine impactant plus que de simples marchands et brigands. Sa vie avait de leur valeur, ses décisions avaient de la valeur.
L’introspection de Nathaniel fut coupée par la supplique autoritaire d’Aldaron. Achroma, il ne fallait plus parler de lui, il ne voulait pas entendre parler de lui. Le deuil avait donc du mal à se faire ? Sans doute, le gredin lui-même regrettait sa disparition, en un sein. Une personne qu’il considérait comme du même acabit que lui était partie. Mais visiblement, aux yeux du vampire l’elfe sombre se trompait. Il se berçait d’illusions. Un peu à la manière d’un enfant unique ayant toujours rêvé d’avoir un frère et pensait voir en un ami ce frère qu’il n’a jamais eu. L’Eärendil garda le silence, laissant l’Elusis parler, sentant qu’il en avait besoin dans un sens.
Au dire du vampire, Achroma n’était qu’apparat. Un mouton assez intelligent pour se déguiser en loup, pour faire croire qu’il était un loup, mais qui au fond de lui n’en était pas un. Confirmant l’adage Almaréens selon lequel l’habit ne fait pas le serviteur du néant. Aldaron s’ouvrait à Nathaniel, paraissant aussi faible psychiquement que lui l’était physiquement. Quelle belle paire il formait tous les deux.
« Il n’était pas comme nous. » L’elfe à la crinière d’écume baissa les yeux un instant, réfléchissant. Il y avait du vrai dans les paroles du vampire. Nathaniel ne l’avait pas vu, ou plutôt, comme le disant Aldaron, il n’avait pas voulu le voir et surtout n’avait pas voulu l’accepter, préférant se bercer dans l’illusion qu’Achroma avait tissée pour lui, car il la trouvait bien plus réconfortante.
« Tu as peut-être raison. Tu le connaissais bien mieux que moi après tout. Tu étais bien plus lié à lui que moi. Sentimentalement. Magiquement. En partant, toutes les illusions qu’il a pu tisser ont volé en éclats et tu as pu voir les choses sont un nouvel angle, sous le vrai angle. Je tâcherais de réfléchir à tes paroles, Aldaron. » Après un petit moment de silence gênant suivant un échange plein de confidence, la situation prit une tout autre tournure lorsque le gredin révéla sa bague et que prince passe au-dessus de lui pour le chevaucher. Nathaniel n’était qu’un homme, même épuisé, cela fit à son organisme un effet qu’il ne put, ni ne voulut, réprimé.
« Je peux ? » Le vampire désigna la bague qui ornait le doigt de l’elfe. Le roi de confrérie opina du chef avec un petit sourire taquin.
« Ce n’est pas comme si je pouvais t’en empêcher après tout. » Nathaniel présenta sa main à Aldaron et celui-ci lui retira la bague. Au même moment le sceau de la lignée impériale elfique disparut. Le maitre du marché noir commença à l’observer sous différentes coutures à l’aide de son œil expert alors que le forban profita de la situation pour venir faire glisser ses mains expertes sur les cuisses dénudées de son hôte. Puis il passa son regard sur le reste du corps du vampire qui, dans cette position, n’était plus couvert par les draps, le dévorant de ses yeux. Une fois qu’il eut fini, le prince remit la bague au doigt du pirate. L’espace d’un instant, l’idée de dire « je le veux » sur un ton ironique lui traversa l’esprit, mais il se retint.
« Elle marche avoir toi, n’est-ce pas ? Tu veux savoir pourquoi ? » Oui, cette bague ne marchait qu’avec lui. L’Eärendil l’avait fait essayer à plusieurs individus, elfes, humains ou vampires. Mais le sceau des Evanealle n’apparaissait qu’avec lui. Le roi des pirates avait une petite idée du pourquoi, elle était même assez évidente, pour autant l’accepter était plus complexe. Ses racines, le gredin ne les connaissait pas, il ne les avait jamais recherchés. Et maintenant ? Souhaitait-il les connaitre ? Souhaitait-il les accepter ? Est-ce que cela changerait quelque chose ? Est-ce que cela le changerait ? Lui ? Sa façon d’agir ? Sa façon de se percevoir ? D’être perçu ? Nathaniel craignait autant qu’il désirait cette réponse, cette confirmation, qu’Aldaron pouvait lui apporter. L’espace d’un instant, le forban voulut refuser, puis il pensa à Teotl. Bien que le gredin l’ait abandonné avant sa naissance, lui avait cherché son origine. Avait-il changé pour autant ? Oui, bien sûr, mais au fond il était resté lui-même. Cette révélation risquait donc de le changer, pour autant, Nathaniel Eärendil resterait Nathaniel Eärendil.
L’elfe sombre finit par remonter son regard en direction de celui du vampire cendré. Droit dans les yeux, il lui répondit en opinant légèrement du chef. Aldaron se pencha alors à lui, jusqu’à son oreille. Pour le maitre du marché noir, toute information avait un prix et il lui énonça le sien. Un léger sourire apparut les lèvres du gredin.
« C’est dans mes prix. Mais ne viens pas me le reprocher si je passe l’arme à gauche. » Le forban prit une profonde inspiration, venant rassembler ses forces et puiser encore plus dans ce que le Maelstrom pouvait lui offrir comme énergie. Nathaniel finit par se redresser pour se mettre assis, Aldaron toujours à califourchon sur lui. Ses mains glissèrent sur ses hanches, puis ses flancs et son dos. Si l’une d’entre elles se mit ensuite à descendre en direction de la croupe du prince, l’autre continua jusqu’à l’arrière du crâne de celui-ci. L’Eärendil enfouit son nez dans le cou de l’Elusis, humant sa fragrance, avant de remonter lentement jusqu’à ses lèvres. L’esprit-lié du lion du capitaine du Maelstrom vint imprégner le moindre de ses gestes et l’être de son hôte afin de rendre l’extase de leur ébat la plus délicieuse d’Ambarhùna, de l’archipel et de monde.
***
À bout de souffle, le corps humide, souillé, l’elfe sombre se laissa retomber dans les draps en emportant le vampire avec lui.
« Je me suis senti partir à un moment. Si tu ne t’étais pas autant accroché à moi, j’y serais probablement resté. Tu imagines ? Nathaniel Eärendil, le roi de la confrérie mort en forniquant. On aurait pu en faire une sacrée épitaphe. » Un soupire d’aise s’échappa de Nathaniel.
« Qu’importe que les médecins me rabrouent pour ne pas m’être ménagé. Je me demande. Si à l’époque je n’avais pu percer en tant que brigand, est-ce que j’aurais pu le faire en tant que gigolo ? Et est-ce que cela m’aurait mené où j’en suis aujourd’hui ? À la place de capitaine des gredins, je serais devenu capitaine des catins. Meh, je pense qu’aucun de ces deux chemins ne soit plus reluisant que l’autre pour devenir roi de la confrérie. » L’une des mains du forban vint finalement se mettre dans les cheveux d’Aldaron, autrement que pour les tenir ferment cette fois, venant les caresser avec une certaine douceur.
« Lâcher la bride, cela fait du bien par moments n’est-ce pas ? C’est une sensation … grisante. Cette impression d’être un cheval fou lâché dans un champ qui s’étend à perdre de vue … »