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20 octobre 1764
Naira s’était éclipsé après que l’empereur avait eu accepté sa proposition. Elle s’était dirigée vers l’écurie où sa monture avait été laissée, et avait accepté l’aide se sa garde pour montrer la jument althaïenne. Elle était partie, sans laisser le temps à son garde de prendre sa propre monture après l’avoir posé sur la sienne. Mais il l’avait rattrapé, éventuellement. Autone avait pris l’habitude de devancer son escorte, Naira prenait un peu d’avance, mais elle ne s’échappait pas. Elle voulait quelques mètres d’avances, et faire semblant qu’ils n’étaient pas là. Alors ils se taisaient. Autone fit ralentir sa monture en périphérie du village, caressant la crinière de sa jument, elle écouta le cœur de l’animal. Refermant sa main, elle respira plus lentement. Il lui fallait retrouver du calme, si elle voulait réfléchir à la situation, faire face à Claudius. Elle ne voulait pas contacter Ilhan, pas maintenant. C’était difficile, de vouloir lui faire confiance, mais d’avoir l’impression d’être étrangère. Et pourtant, malgré sa tendance à trop s’inquiéter, Ilhan serait son meilleur conseiller en termes de diplomatie, dans la situation actuelle. Autone avait manqué d’étriper l’elfe que cette conseillère Sélénienne avait interrogé. Son père avait une pire réputation que ceux qui tuaient des dragons. Et ces elfes méprisaient l’immaculation, une nouvelle raison d’être en colère et, honnêtement, troublée. De son point de vue, le père de Naira voyageait tout l’archipel pour sauver les victimes de la peste. Et puis il y avait cette tentative d’assassinat, des hommes qui auraient dû être de leur côté, se retourner contre eux. Des araignées, qui ne croyaient pas en elle. Autone ne pouvait pas leur en vouloir de ne pas l’aimer, mais elle avait une nouvelle chose à craindre. Les althaïens, la toile, ils n’avaient pas demandés à se retrouver dans l’ombre d’Autone. Ce devait être soudain. Ilhan avait immaculé, il avait changé et maintenant, il lui montrait une grande dévotion et la toile n’avait pas à le suivre, là. Mais de là à complètement perdre espoir, à mourir, pour rien. Ils étaient morts pour rien. La toile n’avait pas de fidélité absolue, mais elle recueillait une arborescence d’informations dangereuses. Alors la toile n’était pas forcément de son côté. Elle devait encore y faire attention.
Autone s’amusa un peu avec sa jument, à courir et à la laisser marcher dans les cours d’eau peu profonds. Elle s’arrêtât pour méditer avant de revenir au village, plus calme. Elle eût le temps de réfléchir, de dépenser l’énergie de sa colère. Avant de rencontrer l’empereur, elle laissa la servante qui l’accompagnait pour se voyage peigner ses cheveux, et les coiffer à nouveau, qu’aucune mèche ne dépasse de ses tresses blanches et rousses. Enfin, elle revint dans cette grande salle qui avait hébergé trop de crimes aujourd’hui. Autone laissa ses armes et ses gardes à la porte. Quand elle arrivât, Claudius n’était pas encore arrivé.

La salle fût disposée autrement, parce que les délégations complètes n’allaient pas être là. Naira se demandait pourquoi, de toutes manières, ils avaient organisé presque tout un banquet pour ce qui devait être une réunion diplomatique. Elle comprenait la nécessité de tels évènements, mais elle trouvait ces mesures excessives pour une première rencontre en direction d’un traité. Autant de gens ne faisaient qu’augmenter la tension.

En attendant l’empereur, la monarque repensa aux visions qu’elle avait eu dans la journée. La roue de la réincarnation semblait lui jouer des tours, se jouer de ses principes. Elle avait trouvé des résonnances, entre elle et Smilodaene. Après avoir perdu sa mémoire, elle s’était sentie déconnectée d’Autone, mais puisque la corneille conservait la mémoire de son ancienne vie, elle n’avait pas perdu cette connexion-là. Elle se sentait un peu comme ça, par rapport à Autone, maintenant. Autone était Naira, mais Naira n’était pas Autone. Naira était à la fois un résidu et une somme de ce qui n’était plus. Alors ces anciennes vies, elles faisaient partie de sa somme, sans être elle, aujourd’hui. C’était étrange, de penser à cet homme comme un amant. Elle pouvait voir comment ils avaient un potentiel de travailler ensemble, d’être complices, de développer un partenariat. Elle pouvait le voir après l’avoir observé, son calme, sa fermeté d’esprit. Claudius avait une capacité de naviguer au travers du chaos, c’était étonnant. Elle n’avait pas l’impression que sans lui, elle aurait conservé tant d’autorité. Diplomatiquement, il l’avait fortement couvert, et il n’en avait aucune obligation. Peut-être était-ce la raison qui l’avait gardé près des Kohans aussi longtemps. Claudius savait comment conserver l’autorité et le rang des autres, par l’exemple. Il était plus vieux qu’elle, et probablement plus sage sur certains aspects, certainement plus expérimenté.

Perdue dans ses réflexions, Autone releva la tête en entendant la porte s’ouvrir. Elle lui adressa un sourire poli en se levant, le temps qu’il s’assied. Ils étaient séparés d’un mètre, d’un bout à l’autre de la table.

« Votre majesté. J’espère que vous avez eu l’occasion de vous reposer après ces évènements mouvementés. »
On leur avait préparé un repas, il y avait comme un malaise, chez les domestiques, après cet épisode de poison. Le service en était presque maladroit. Mais ils commencèrent par le vin.

« J’ai eu le temps d’une balade. Et d’une méditation. » Ce qui était arrivé aujourd’hui n’aurait jamais dû se produire. Et la méditation aidait à traverser ces moments où tout débordait, s’inondait. Parfois, lorsqu’il n’y avait rien à faire, le meilleur remède était d’apprendre à demeurer immobile.  « Je vous remercie d’avoir accepté ma proposition. » Et comme par bonne foi, Autone prit une gorgée de vin, malgré l’image du goûteur qui revînt à son esprit alors qu’elle trempait ses lèvres dans l’alcool. L’alcool, il y avait longtemps qu’elle n’avait pas bu. À vrai dire, elle n’y avait pas goûté, depuis sa renaissance. Autone reposât la coupe rapidement, échappant un petit raclement de gorge. Puis réalisant que son geste aurait pu alerter l’empereur, étant donné les circonstances, elle gloussa, un peu embarrassée, avant de s’expliquer.« Je suis désolé. C’est juste que… j’avais oublié ce que ça goûtait, et puisque je me souvenais avoir goûté avant, il m’est échappé que je n’ai pas bu depuis…mon accouchement. »

Elle se souvenait des évènements, des images, mais les goûts, les odeurs, toute sa mémoire sensorielle était absente. Elle la retrouvait, au compte goûte, mais pas complètement. Le rossignol de cendres lui avait redonné ses souvenirs, mais sa limite était de lui montrer de l’extérieur.

« J’ai récupéré mes souvenirs, d’un point de vue extérieur. Je me souviens de notre rencontre, j’ai vu à quel point je semblais être en colère, mais je ne me souviens pas de m’être sentie en colère. Alors, avec autant de recul… je suis désolée d’avoir été aussi… acerbe, avec vous. »

Elle ne le savait pas mais, elle était enceinte, à ce moment. Contrairement aux croyances un peu misogynes, une femme enceinte n’est pas plus agressive juste parce que. C’est un instinct protecteur. N’importe quelle menace sera traitée avec la violence d’une mère ours en présence de ses petits. Oui, avec du recul, la situation était même un peu drôle.

Ce qui était difficile, c’est que Claudius avait tué Achroma, et que Naira était déchirée parce que Achroma avait été son fils, mais aussi et surtout le mari de son père. Qu’Aldaron était en deuil, plus dévasté qu’il ne le savait lui-même. Qu’Achroma était allé trop loin, et avait entraîné Aldaron avec lui. Mais que Cendre Lune n’était pas innocent. Claudius avait tué son enfant, qui l’avait rejeté, dont elle avait oublié l’instinct maternel. Elle ne saurait peut-être jamais, pourquoi elle avait accepté d’être sa mère. Elle n’arriverait peut-être jamais à saisir la rage et la culpabilité qui l’enserrait à sa mort. Claudius avait tué Achroma, mais elle ne se souvenait plus d’avoir été sa mère. Et presque personne ne savait, au sujet de cette adoption. Comment passait-on par-dessus cela? Sinon faire semblant, pour le bien de la diplomatie.

Et pourtant, quand la monarque souriait à l’empereur, elle avait envie de tendre une main.

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Le moins que l’on puisse dire, c’est que les dernières heures avaient été agitées. Aussi, quand Autone eut proposé de faire une pause dans les négociations, Claudius avait accepté avec joie. Car si tout ce cirque avait duré ne serait-ce que cinq minutes de plus, L’Empereur aurait lui-même exécuté le prochain fauteur de troubles aux revendications diverses et variées.

Entre les assassins qui avaient tué son proche conseiller et ami, et les autres basses tentatives d’empoisonnement, la patience de l’Empereur avait été mise à rude épreuve, et des conclusions avaient finalement pu être tirés : les pirates s’étaient mêlés de ce qu’ils ne les regardaient pas – comme d’habitude, aurait presque pu dire Claudius –, et des personnes désespérées plus ou moins en lien ou à la solde d’Ilhan avaient tenté de tuer les dirigeants, parce qu’ils considéraient que « Calastin ne pourrait jamais s’unir ». Claudius avait soupiré, longtemps. Il avait songé longtemps au fait que quoi qu’il fît, jamais son Empire ne connaîtrait de longs moments de paix comme autrefois.

Quand il se montrait conservateur et soutenait le régime en place, il avait eu droit à des vampires à la dent un peu trop longue qui désirait destituer les Kohans, à la famine et la misère. Quand il s’était montré révolutionnaire, et avait pris le pouvoir, il avait obtenu l’unité de la nation mais au prix de batailles sanglantes, qui bien qu’à l’issue heureuse pour eux, avait fait nombre de victimes internes à l’Empire. Et maintenant qu’il était bien établi en tant que dirigeant, et commençait à entrevoir la paix – ou du moins un apaisement des tensions – avec de nombreuses parties prenantes, voilà qu’on tuait ses conseillers, voir qu’on menaçait sa propre vie, dans le but de créer à nouveau des tensions.

Alors voilà, aujourd’hui Claudius était las, et ce jour faisait partie des nombreux autres où le Havremont hésitait à démissionner. Si l’Empereur avait toujours été d’un naturel sûr de lui et jusqu’au-boutiste, il fallait avouer que les récents événements l’avait frustré plus qu’autre chose : il avait la sensation que les gens ne savaient pas ce qu’ils voulaient, que le monde ne comprenait pas, et qu’il peinait à trouver sur quel pied danser pour guider son peuple.

Il avait toujours dans l’idée d’assurer la Gloire éternelle de l’Empire, qu’il jugeait passée depuis cet honteux règne de Korentin Kohan et de sa descendance d’incapables, mais ne savait plus vraiment quoi faire pour y arriver. En vérité, tout ce qu’il pouvait entreprendre lui semblait si futile, quand il suffisait que deux ou trois personnes motivées et avec des idées derrière la tête, composées éventuellement d’un tas de ressentiments pour lui, n’interrompe ce qu’il fit et mette fin à ses jours.

C’était stupide, et ce genre d’événements contribuaient à alimenter la pensée de Claudius qu’il était largement inutile de passer son temps en des débats publics et diplomatiques pour « faire le bien sans violence », quand dominer tout le monde par l’autorité suprême d’un Empire et de son armée pouvait tout aussi bien faire les choses, et plus rapidement.

Mais bon. « Dominer tout le monde par l’autorité suprême d’un Empire et de son armée », c’était bien joli, mais l’Empire n’était ni en position de domination, et – malheureusement pour Claudius – ni en position de faire pression militairement parlant sur toutes les personnes mécontentes, sans qu’on ne menace de sanctions économiques diverses et variées qui finirait d’achever sa Nation qui était de toute manière sur le point de s’épuiser.

Alors on revenait au point initial du débat, le serpent se mordait la queue : on essayait de débattre avec son prochain pour inventer des mesures – qui seraient éventuellement bafouées dès que l’un et l’autre aurait le dos tourné – jusqu’à ce qu’un Pas-content-notoire ne vienne exprimer son mécontentement et vienne mettre fin aux jours de la vie des dirigeants qui avaient entrepris ces démarches, parce que tout bien réfléchi, tout ceci ne lui convenait pas.

Aujourd’hui, cela avait été des Pirates, des Elfes et d’autres personnes mécontentes habitant Calastin, mais demain cela allait être quelqu’un d’autre. Claudius en avait assez. Assez d’avoir des bâtons dans les roues quoi qu’il fasse pour sortir son pays du bourbier, assez que ce tout-venant essentiellement composé de gens non-importants puisse venir interrompre des négociations importantes, assez d’avoir l’impression que quoi qu’il fît cela ne changeait rien.

Alors il avait fait une chose dont seul lui avait le secret : il était aller se détendre dehors, en frappant un arbre pour évacuer sa frustration d’abord, puis était aller organiser une joute improvisée avec des soldats de l’Empire qui l’avait accompagné. D’accord, c’était une manière étrange de se détendre, mais les combats amicaux avaient pour mérite de focaliser l’attention de l’Empereur sur d’autres choses, et ainsi, il était plus à même de réfléchir en faisant abstraction de tout sentiments négatifs par la suite.

Une fois calmé et largement plus en possession de ses moyens, tout le stress et autres pensées négatives ayant été évacué face à ses pauvres camarades qui avaient dû affronter un Empereur des grands jours, Claudius était revenu dans cette maudite salle de conseil où le cirque avait eu lieu quelques minutes auparavant encore.

Des serviteurs vinrent encore lui faire des sourires mielleux, et le prévenaient de la suite des événements, ce à quoi l’Empereur répondit par un grognement plus ou moins satisfait. Tant qu’on ne venait pas encore lui faire grand cas des rencontres non-violentes, et comme quoi Cordont était vraiment très satisfaite d’organiser un sommet décidant de l’avenir de Calastin, il serait satisfait.

Il soupira une nouvelle fois profondément, terminant de chasser les mauvaises pensées avant de rentrer dans la salle, où une Autone bien pensive l’attendait déjà. Elle leva la tête, et Claudius la salua poliment en s’inclinant brièvement comme il le ferait pour une autre personne qu’il estimait.

Il s’assit, et constata avec surprise qu’on leur avait préparer un repas : à la bonne heure. Claudius haussa les sourcils, et retint un rire nerveux. Au moins, à défaut d’hommes et de femmes pour assurer la sécurité, Cordont ne manquait pas de culot. Oubliant ce léger détail, l’Empereur se focalisa plutôt sur ce que lui narrait la désormais Reine de Caladon. Au moins, elle semblait soucieuse de son état. Claudius répondit sans hésitation :

« De me reposer pas vraiment, mais de me détendre assurément. Vous trouverez sûrement cela saugrenu, encore que j’en doute à la vue de ce que nous venons de vivre, mais j’ai calmé toutes mes angoisses et mes pensées nocives en organisant une brève joute amicale avec mes hommes. Mes vieilles habitudes de soldat font que j’oublie généralement tous mes problèmes en pratiquant une activité physique quelconque. Nous faisions régulièrement des joutes entre soldats dans les moments d’attente ou de calme dans nos activités … Alors c’est ce que j’ai fait. »

Se doutant peut-être que la monarque trouverait cela incongru, et peut-être même fort peu urbain d’organiser une bagarre (encore que fit-elle contrôlée) après de tels événements, Claudius tacha de rapidement changer de sujets :

« C’est moi qui vous remercie d’accepter de vouloir continuer à discuter malgré les diverses … réjouissances de notre journée. » Il y avait évidemment du sarcasme dans cette phrase, mais le Havremont en était bien trop grand amateur pour s’en passer dans des moments pareils. « Et j’espère que malgré tout ce qui nous sépare, nous saurons nous entendre sur les divers sujets préoccupant nos nations respectives. »

Sur ce dernier point, Claudius n’avait en vérité pas vraiment de doutes : si sa dernière rencontre avec Autone avant celle-ci avait été des plus rocambolesques, les choses avaient changé. Les deux étaient devenus dirigeants de leur propre faction et l’Empereur tout autant que la Monarque avaient dû vivre des choses menant à cet état de fait. Les mêmes âmes étaient présentes, mais définitivement pas les mêmes personnes, et cela s’était vu tout de suite dans cette grande séance de collaboration improvisée.

A croire que c’était un test fait par ceux qui ne croyaient plus à la réunification de Calastin. Le Destin était parfois taquin.

Toujours est-il que c’est également au détour de cette conversation que Claudius appris qu’Autone avait donc été enceinte dernièrement … Et ce qui expliqua bien des choses par la suite : si le père était effectivement Ilhan, Autone avait bravé Mort pour donner la vie, et s’en était donc sortie. L’homme savait que les humains et les immaculés ne faisaient pas bon ménage pour ce genre de choses. Claudius haussa les sourcils, impressionné avant de dire :

« Je ne crois pas avoir été informé de cela avant, alors toutes mes félicitations pour votre enfant. Mais également pour votre bravoure. Risquer votre vie pour la donner, voilà qui est tout à fait héroïque. » Claudius bu lui aussi une gorgée de vin avant d’ajouter : « Si cela ne vous dérange pas, accepteriez-vous que je vous fasse parvenir quelque chose pour lui ? Comment s’appelle-t-il d’ailleurs ? ». Se rendant compte qu’il était peut-être un peu trop intrusif d’un seul coup, Claudius se tu un instant, et occupa ses pensées à autres choses. La grande passion du Havremont pour la famille était peut-être trop visible de temps en temps.

Mais après tout, voilà qui était une démarche diplomatique intéressante. Donner un cadeau au fils de la Monarque de la Caladon montrait que quelque-part, Claudius reconnaissait ce régime en place. Certes, c’était aussi une manière personnelle de montrer de l’affection pour la vie sur Calastin, mais de cela, Le Havremont n’était pas obligé d’en faire grand cas.

Toujours est-il que Claudius écouta paisiblement les excuses de la Monarque, et eut un petit geste de balayement d’un mouvement de main, une fois qu’elle eut terminé.

« Ne vous en faites pas. C’est plutôt moi qui devrais m’excuser. Voyez-vous, ces derniers mois ont eu le mérite de me recentrer sur ce qui comptait vraiment pour moi. La famille, et l’héritage qu’on en a, en sont deux. Vous aviez probablement vos raisons d’agir comme vous l’aviez fait, à notre arrivée ici. Et je comprends ce qui vous reliait à cette forge… Sans compter sur le fait que réquisitionner un bâtiment ayant appartenu à un haut-dignitaire de l’Alliance n’était pas la décision la plus intelligente que la Couronne ait prise. »

Mais cette décision n’était pas la première bêtise que les enfants de Korentin avaient prise. Au contraire, elle venait se rajouter à la très longue liste qui avait conduit à la perte de notoriété, crédibilité et à la déchéance de l’Empire.

« Tout cela est du passé, Dame Falkire. » finit par faire Claudius dans un petit soupir. Il s’arrêta un instant pour s’étirer, avant de reprendre : « Et puisque nous sommes ici tous les deux, autant parler d’avenir pour nos peuples. » Il posa ses deux mains sur la table, avant de se pencher vers celle-ci et d’avoir un regard droit sur la monarque : « Nous avions de nombreux points à notre ordre du jour, dont beaucoup de choses concernant Cordont. Pour être tout à fait franc avec vous, je ne me battrais pas bec et ongles pour la conserver dans notre giron. Alors quoi qu’il advienne, je propose que ce dont nous discuterons ici fasse acte pour aussi longtemps que nous deux serons en vie. Il est grand temps de clore ce chapitre de nos deux peuples une bonne fois pour toute, pour construire quelque chose de plus serein. »

Claudius inspira lentement avant d’expirer discrètement. Il était directif, et espérait que la Monarque de Caladon ne s’en trouverait pas lésée. Mais la journée qu’il venait de vivre lui avait fait prendre conscience que cette situation hybride dans laquelle se trouvait Cordont avait engendré trop de non-dits, et de problèmes diplomatiques majeurs, qu’ils auraient tous pu éviter si les choses avaient été fait intelligiblement initialement, et sans que tout le monde n'y mette son grain de sel.

Il était grand temps de corriger le tir une bonne fois pour toute.

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Pas si étonnant, ni choquant pour Autone d’entendre que l’empereur se détendait en pratiquant des joutes amicales. Une manière productive de passer la frustration. Puis, elle était familière avec les manières des soldats. Feu son mari était capitaine lorsqu’elle l’eut rencontré, puis elle avait été au milieu de tout cela, quand elle avait servi. Lorsque Claudius lui rendit ses remerciements, elle hocha simplement la tête. L’humain parvint à arracher un sourire poli, mais sincère à la jeune immaculée, par sa surprise. Autone avait assumé, fautivement, que la rumeur avait voyagé. Mais il semble que leur discrétion avait porté ses fruits. La petite dame fût touchée qu’il veuille offrir un présent à l’enfant. Elle dût se retenir de répondre, simplement, le prénom de sa fille. Elle devait garder le secret d’Ilhan, et cela nécessitait quelques mensonges.

« Bien sûr, c’est une attention délicate. Ilhan et moi ayons maintenant deux enfants ensemble. Aranlith et Amarante, un garçon et une fille. Ils sont arrivés… un peu trop tôt. Mais ils vont bien, à présent. »


Aranlith était son enfant, elle l’avait reconnue, et ne mentait pas. Comique, qu’ils étaient tous deux arrivés prématurément, chacun à leur manière. Si elle se sentait en conflit avec l’idée d’élever l’enfant de Victoria, c’était une autre histoire. L’admiration de Claudius était douce amer, parce qu’elle n’avait pas seulement risqué sa vie. Autone n’avait pas exactement survécu. Puis cela avait été compliqué, et un peu solitaire, pendant un temps. Mais Naira laissait de côté ce pincement aigre qui surgissait dans sa poitrine, pour le bien de la situation.

C’est drôle, parce qu’au moment où la monarque songeât que Claudius s’était fortement amélioré en diplomatie, il se mit à être plus direct. Rien de mal à cela, Autone appréciait de ne pas avoir à passer des heures sur la pluie et le beau temps. Elle aimait un peu moins la manière dont Claudius prenait le contrôle, mais c’était bien naturel. Puis, elle lui pardonnait, considérant tout le respect qu’il lui avait montré au cours de la journée.

Autone demeura calme, sans changer sa posture, elle sourit. Son regard clair ne semblait pas refléter combien la situation était sérieuse. Peut-être était-elle encore trop jeune? Tout ce qu’elle parvenait à penser, c’était que cet empereur devrait se calmer un peu. Et pourtant, au coin de sa pensée, elle songeait à combien Caladon avait cruellement besoin d’une armée, combien elle s’était sentie enragée quand Délimar avait offert son épée à l’empire, et quand Eleonnora manquât faire la même chose. Toute cette rage, aujourd’hui, ce n’était que de la poussière. Elle avait brûlé, et Aldaron avait tout changé en cendres.

Elle n’allait pas récupérer Délimar, et à voir combien leur conviction se balançait, quel intérêt? Elle n’en voulait plus, de ces alliances. Et Caladon n’avait pas d’intérêt en une guerre, en ce moment. Peut-être était-ce ce qui occupait également l’esprit de Claudius? Un traité de paix qui n’était en fait qu’une pause, une parenthèse dans l’histoire de l’empire. Dieu, comme elle haïssait les empires.

« Je souhaite honorer la décision de mon prédécesseur, que d’avoir annexé Cordont. »


Elle la garderait. C’était son père qui l’avait prise, et Naira faisait confiance aux raisons qui avaient mené à cette décision.

« Construire. À quoi pensez-vous? »
Son sourire se fit un peu espiègle, comme pour lui faire savoir qu’elle comprenait que c’était une manière de parler. Mais tout de même. Pourrait-il avoir une idée en tête.
« Je ne sais pas si nous pourront être alliés maintenant. Non seulement nous, souverains, mais nos peuples, doivent rebâtir une certaine confiance. Avant de renaître, je voulais que les guerres cessent, et j’ai encore ce sentiment. Mon seul désir est que l’empire reconnaisse le droit fondamental de Caladon d’être indépendante. »

Et qui que ce soit, vraiment, s’ils le désirent. Mais elle garderait ces idées sous silence. « Ou ma demande, si vous préférez. Et je ne doute pas que l’empire respecte la liberté de Caladon. Mais c’est l’essentiel, vous comprenez? »
Comme elle se souvenait de Claudius, cette idée le mettrait peut-être en colère. Mais elle avait vu, aussi, qu’il avait beaucoup évolué. Naira se demandait comment se révélerait ce nouveau Claudius.

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Claudius s’enquit avec un sourire de la réponse d’Autone au sujet de sa famille. Voilà que le couple royal avait donc une succession assurée, avec deux enfants dont un homme dans leurs lignées … Encore que Claudius doutât du fait que Autone et les Falkire s’étaient encore vraiment installé comme une dynastie qui règnerait longtemps sur la cité-libre, et même si cela advenait être vrai, il douta encore plus que la primauté masculine soit vraiment la règle.

Si cela faisait sens pour un sélénien tel que lui qui avait un vécu avec un millénaire de traditions en tête, peut-être que cela était moins naturel pour quelqu’un comme Autone qui avait d’autres coutumes, et surtout qui faisait tout pour s’arroger des manières de l’Empire. Et surtout, elle était la première Reine de Caladon. Ce simple fait prouvait bien des choses sur l’organisation du pouvoir à l’avenir.

Mais là n’était pas vraiment le sujet de la discussion. Claudius avait suffisamment à faire dans son pays et sur sa manière de sécuriser sa dynastie au plus haut, avant de s’occuper du régime politique des autres, et de faire des commentaires sur ceux-ci. Il tâcha plutôt de noter l’accord d’Autone pour adresser un cadeau, et rattacha ses pensées à ce qui se passait actuellement dans cette salle.

Autone souhaitait garder Cordont, conformément à ce qui s’était passé lors un des nombreux fâcheux épisodes du règne de Nolan Kohan. L’Empereur n’était pas vraiment étonné. Il avait suffisamment grignoter du terrain à l’Alliance, et fait quelque peu explosée celle-ci pour que les revendications d’Autone soient réellement de laisser encore plus de terrain à l’Empire. Claudius haussa les épaules et fit :

« Si vous y tenez, alors c’est accordé. Je m’engage à présenter cette décision au peuple sélénien et à respecter vos nouvelles frontières. »

L’Empereur n’ajouta rien de plus. A dire vrai, Claudius était content d’être enfin débarrassé de cette ville qu’il voyait plus comme une épine dans sa chaussure depuis le début de son règne : beaucoup de bizarreries de Calastin provenait d’ici et mettait potentiellement en danger son peuple, en plus du fait qu’encore beaucoup de rancœur et de vieux conflits émanait de cette ville. De vieilles histoires que certes, personne ne devait totalement oublier historiquement, mais Claudius avait ce désir d’aller de l’avant, maintenant que de nouvelles têtes dirigeaient Calastin. Il fallait clore ces vieux conflits autant que possible.

Ce qui l’intéressa plus en revanche, c’est ce qu’Autone disait par la suite :

« Construire. À quoi pensez-vous ? Je ne sais pas si nous pourront être alliés maintenant. Non seulement nous, souverains, mais nos peuples, doivent rebâtir une certaine confiance. Avant de renaître, je voulais que les guerres cessent, et j’ai encore ce sentiment. Mon seul désir est que l’empire reconnaisse le droit fondamental de Caladon d’être indépendante. »

Claudius pris une gorgée de vin, tout en se frottant sa longue barbe, songeant à la réponse qu’il devait ici apporter. « Le droit fondamental de Caladon d’être indépendante » …Claudius eut un petit haussement de sourcil, un peu agacé par cette remarque. Entendre cela de la bouche d’Autone ne l’étonna pas plus que cela, bien sûr, mais si le temps avait passé, certaines positions de Claudius n’avaient pas changé. En se déclarant indépendante, pour Claudius, l’Alliance avait accompli un vœu égoïste, par orgueil ou par paresse de ne pas vouloir travailler pour faire changer les choses. Cette situation, et tout ce qui s’ensuivait avait causé une guerre, et avait fait perdre à Calastin des années de développement. Les deux morceaux de l’île étaient devenus probablement à jamais fracturés par leurs fautes. L’Empire n’était pas exempt de tous méfaits bien sûrs … Mais Claudius n’avait jamais cessé de penser que la situation aurait pu être différente si l’on avait misé sur le bon Kohan initialement.

Après un long instant de silence, où Claudius s’était brièvement muré dans ses pensées, l’Empereur fit finalement :

« Votre indépendance a été déclaré à la fin de la guerre civile, Dame Falkire. Si cela vous fait plaisir, je peux la réaffirmer auprès de mon peuple, mais vous avez acquis ce droit, entre autres par le sang de nos sujets. N’est-ce pas là suffisant ? » L’Empereur soupira. Sachant que cette phrase aurait probablement du mal à passer, il tempéra ses propos de suite : « Nous avons besoin de Caladon, qu’elle soit un parangon de la liberté et de l’indépendance, une cité forte ou bien vassale de l’Empire. Je comprends que nous ne sommes pas exempts de tous défauts dans cette affaire non plus, et si vous le désirez j’accèderais à votre demande de déclaration de droit fondamental d’indépendance, si cela nous permet de discuter sereinement, mais … Disons que j’aurai aimé dépasser ce stade avec vous. ».

A mi-chemin entre l’énervement et l’aveu de faiblesse qui le rendait vulnérable, l’Empereur se renfrogna sur sa chaise. Mais après tout, la réaction d’Autone était naturelle, et il ne pouvait pas vraiment lui en « vouloir ». Autone avait elle aussi des aspirations, des droits, et une vision des choses pour son pays. Tout comme Claudius qui n’avait jamais nié son envie d’en finir avec l’Alliance, depuis qu’ils étaient arrivés sur Calastin, et les avaient toujours considérés comme des traîtres, tous autant qu’ils étaient. Parce que ce conflit était la représentation même d’attaques de choses en quoi il croyait viscéralement depuis le début de sa vie. Se déconstruire n’était pas facile, et ce n’était que quand il avait été mis face à la misère humaine qu’il pensait avoir compris quelque chose d’essentiel dans tout cela. Reprenant son souffle, et essayant de se canaliser, il ajouta :

« Nous autres dans l’Empire, avons cruellement besoin de paix et de soutien pour subsister pour l’heure. J’étais heureux que Délimar et Ipsë Rosea nous accorde ce soutien, mais eux ne peuvent résoudre tous les problèmes. Pour parler franchement, vous êtes un point névralgique de cette île, et cela ne changera pas, que vous soyez une république, une monarchie élective, une oligarchie ou simplement partie de mon empire. Vous êtes une place forte économique notamment. Nous avons besoin de vous pour continuer à exister. »

Le Havremont eut un nouveau petit soupir, et se sentit plus léger, comme si parler de tout cela le libérait finalement d’un poids qu’il avait sur la conscience depuis longtemps. Plus détendu, sa voix se fit plus calme et son ton plus mesuré. Il tâcha de rassurer son interlocutrice :

« Vous n’avez pas à craindre de moi que je n’envahisse vos terres du jour au lendemain. Je ne peux plus faire cela. Et je refuse de faire subsister mon Empire simplement en pillant et brûlant mes opposants. Je ne suis pas un pirate, Dame Falkire. »

Si Claudius était un militaire expérimenté, il n’avait jamais guerroyer par plaisir. Faire des combats amicaux, c’était une chose, mais ôter volontairement des vies pour imposer sa façon de pensée s’en était une autre. Bien qu’ils soient à présent dans l’Empire d’ailleurs, Claudius n’avait jamais insisté par la force des armes pour que Délimar et Ipsë Rosea ne perdent leurs instances d’organisation au profit de l’Empire. Tant qu’ils reconnaissaient l’Empire, et l’ensemble de son corpus fondamental, cela lui suffisait.

« Je suis désolé, mes mots sont durs. » Ajouta brièvement Claudius d’un air triste, en regardant son verre. La diplomatie n’était pas son fort, mais il espéra qu’au moins son côté humain et sa volonté de presque se confier à Autone de cette façon ne tempère les choses. Il se racla la gorge, avant d’ajouter :

« J’imagine que vous vous souvenez de ce que ces assassins ont dit, quelques temps plus tôt. Ils étaient désespérés que le peuple de Calastin ne s’unisse pas. Bien que ces rustres aient eu ce qu’ils méritaient et s’y soient pris de la pire des façons, j’ai beaucoup réfléchi à tout cela. Vous savez, si je me démène autant, c’est parce que je veux retrouver moi aussi un empire uni sous une seule et même bannière. »

Claudius eut un petit soupir, avant de baisser sa tête, pensif. Il aurait tué pour retrouver ce grand empire d’Ambarhùna, qui vivait dans une paix totale, et se demandait toujours longuement ce qui faisait l’étoffe des grands dirigeants à cette époque, qui savaient rassembler toutes les foules.

« Aujourd’hui cependant, je crois que l’idée d’avoir une seule et même nation sur toute cette île ne soit que largement irréaliste. Toutes les cités ont des cultures différentes, des mœurs qu’elles souhaitent garder, des lois particulières, des façons de s’organiser … Il serait déraisonnable de vouloir étendre un seul et même modèle sans partage tout en faisant table rase de l’histoire des peuples et des lieux qu’ils représentent. »

Comme s’il réfléchissait à voix haute, Claudius continua de partager son sentiment à Autone :

« En tant que peuple de Calastin cependant, nous avons peut-être bien des valeurs communes qui nous différencient des autres, vous ne croyez pas ? Malgré nos différences, dans l’adversité de ce jour, nous avons tous deux fait face. Je vous ai fais confiance, et vous m’avez fait confiance, Dame Falkire. C’est de cela dont je parle, quand j’entends vouloir construire quelque chose… »

L’Empereur se frotta la barbe, et ajouta :

« Nos peuples et nous autres, ne nous entendrons jamais parfaitement bien, et nos organisations respectives ne seront probablement jamais compatibles quoi que l’on y fasse. Mais vous comme moi, nous avons des valeurs communes n’est-ce pas ? Nous détestons l’esclavage, par exemple, mais cela peut-être des choses plus primaires … Comme le désir de subsister en tant que nation, comme le souhait de ne plus vouloir de guerre sur notre île… Ou comme le fait de pouvoir compter l’un sur l’autre quand un danger pouvant nous menacer sous toutes les formes possibles, tous les deux, ne survienne. »

Ces quelques choses sonnaient comme véritables aux oreilles de Claudius du moins, et il espéra également pouvoir toucher le cœur d’Autone en parlant de cette façon. Car si aujourd’hui Calastin allait bien … Claudius avait eu vent comme tous de ces graärh qui voulaient anéantir leur espèce, le bureau d’étude botanique et Sulfure les avaient sauvé de ces plantes mangeuses d’hommes, sans compter les manigances des pirates … Et s’il s’entendait bien avec Aldaron pour l’heure, Claudius craignait bien évidemment les conséquences d’un nouveau conflit armé avec sa nation, si l’un ou l’autre se sentait lésé dans ce pacte de non-agression … Claudius finit son intervention par un point ralliant toutes ces pensées :

« Ce que je veux, je pense, c’est, qu’au-delà de nos nations, nous admettions que nous sommes tous habitants de Calastin et qu’en tant que tels, nous puissions compter les uns sur les autres, en toute circonstance. Spécialement au regard de comment s’est déroulé notre histoire sur ces dernières années, et sur comment elle continue de se dérouler. Nous garderions nos appellations d’Empire et d’Alliance des Cités Libres et les territoires qui y sont associés, mais nous pourrions peut-être bâtir quelque chose autour de ce socle commun. Qu’en pensez-vous ? »

En vérité, Claudius espérait que ce discours ne serait pas un vœu qui ne trouve pas de résonance chez Autone, et qu’il puisse être porté par lui et elle. Car s’il n’avait pas l’approbation de l’Alliance, toutes ces discussions ne serviraient à rien.

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Autone fronça les sourcils, mais autrement immobile, elle laissa l’empereur articuler sa pensée. Elle savait très bien les pertes que cette guerre avait engendré. Autone avait perdu son mari, et tous les projets de vie qui étaient tombés aux cendres. Justement, parce que de son point de vue, c’était normal que Caladon veuille son indépendance, que si l’empire avait accepté, personne n’aurait eu à se battre. Et c’est ce qu’elle avait tenté de faire comprendre à Matis, encore et encore, quand il partait risquer sa vie et la laissait seule avec toute leur famille sur les épaules. Non seulement leurs enfants, mais ses sœurs, et leurs familles à elles, qui dépendaient de la carrière d’Autone. Ce qui était égoïste, c’était d’envoyer des hommes se battre, pour rien.

Comme aujourd’hui, les hommes qui s’étaient tués étaient morts pour la même résolution : Rien. Pour Autone, il n’y avait pas d’honneur pour lequel mourir. Et pourtant, son mari bâtissait maintenant une armée pour elle. Tout ce qu’elle abhorrait, elle le revêtait.

Quand Claudius prononça un mot en faveur d’Autone. L’empire avait besoin d’eux, et Autone ne croyait pas avoir besoin de l’empire. La petite dame sourit légèrement en voyant ce grand homme se dévoiler lentement, se montrer vulnérable. Peut-être par impression d’une petite victoire, mais surtout au souvenir de ses visions de la journée. Claudius semblait concéder beaucoup de terrain, idéologiquement. La reine ne savait pas si elle pouvait compter sur son honnêteté. Mais elle pouvait lui accorder le bénéfice du doute. Parce que ce qu’elle voyait, comme possibilité, c’est une collaboration.

« S’il y a quelque chose que j’ai appris des livres d’histoire, c’est qu’il faut se méfier des gens qui parlent d’unification. Au début, tout semble beau, les bonnes intentions brillent sous le soleil. Puis les désastres suivent, quand il est trop tard pour changer. »


Autone soupira, relâcha un peu les épaules, et prit une gorgée de sa coupe. « Si je m’adresse à vous en tant qu’homme, Sir Havremont, peut-être me comprendrez-vous mieux. Je n’ai pas besoin que vous écriviez ces mots sur un contrat, ni que vous parliez à votre conseil. J’ai besoin de savoir que je peux vous faire confiance. Que ce genre de conflit soit compris, entre nous, comme essentiellement inutile. Et je crois comprendre que nous arrivons à la même conclusion, même si nos opinions diffèrent. »

Elle avait peut-être été un peu trop politique, dès le départ, alors que Claudius était, comme elle, plus terre à terre que la plupart des politiciens. Naira pouvait se dévoiler un peu, être authentique.

« Je ne peux pas vous promettre qu’en toutes circonstances, nous serons alliés. Parce que je ne sais pas de quoi est fait le futur. Mais je peux vous assurer que nous travaillerons ensemble, tant que Calastin soit menacé. Si vous voulez construire une relation d’entraide, je peux le voir. Ce que je ne peux pas faire, c’est parler en jamais, en toujours. »


Parce que de toutes manières, un absolu était bien plus fragile. Il reposait sur un code noir et blanc. Qu’y avait-il de vrai à construire, là? Peut-être quelque chose de fort, mais qui éclaterait lors d’un grand impact.
« Si nous prenons notre temps, si nous sommes patients, chaque geste, chaque main tendue l’un vers l’autre construit une relation qui peut durer longtemps. Mais ce genre d’alliances, elles grandissent aussi d’une compréhension mutuelle. C’est pour cela, que je parlais de reconnaissance.

Mais dites-moi. Comment Caladon peut-elle vous venir en aide? »


Parce que si Sélénia avait besoin d’aide, ils pouvaient commencer par un premier geste de bienveillance. Les mots, même sur papier, étaient moins significatifs que les actions.
Puis, il fallait garder la vache à lait du marché noir assez en santé pour pouvoir la traire.

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La suite de la discussion se déroula dans une ambiance plus posée, et Claudius constata que Autone fut plus ouverte à la discussion une fois qu’il eut été question de lui concéder des terres, mais aussi une fois que l’Empereur eut admis qu’ils avaient besoin de la puissance économique de Caladon. Pas folle, la guêpe songea Claudius. Mais l’Empereur n’était pas très surpris. La politique de Caladon avait toujours été ainsi : donner aux plus offrants, quitte à aller au mépris des valeurs communes.

Il tiqua cependant quand la Monarque lui disait que les « conflits » comme la guerre civile, étaient essentiellement inutiles. L’Empereur haussa un sourcil, avant de répondre à ce point très précis :

« Inutiles ? Inutiles, au point de sacrifier la vie de nombreux jeunes gens qui auraient voulu voir une Calastin unie, encore aujourd’hui ? Choisissez bien vos mots, Monarque. Ce que je veux bien vous accorder, c’est que ces conflits sont allés trop loin. Mais ils ne sont pas inutiles, bien au contraire. Ces conflits font partie de notre histoire, ont composé, et font partie intégrante de nos nations, que vous le vouliez ou non. Nous devons tourner la page, sans oublier, ou les qualifier « d’inutiles ».  »

Claudius eut un regard dur envers la Monarque de Caladon. « Inutile » se répéta Claudius dans sa tête. Il reconnaissait bien la mentalité mercantiliste de la Revenante : quant il n’y avait pas d’argent à se faire, tout était superflu. Que ce soit L’honneur, les convictions ou bien la vision géopolitique à long terme, tout s’achetait pour ces gens-là. Et tout ce qui ne s’achetait pas, ou se résoudre par des accords commerciaux quelconques était considéré comme inutile. Piètre vision des choses. Mais l’Empereur se raisonna seul. Après tout, il se disait que la détestation devait être semblable de l’autre côté, pour d’autres raisons. Tout ce qu’il devait faire aujourd’hui, c’était trouvé un lieu commun durable, et après, il n’aurait plus à fricoter avec eux pendant longtemps.

Si ce n’était pas pour lui, Claudius devait tenir et ne pas s’emporter pour son peuple qui avait été saigné et affamé par des mois de conflits. Mais il se rendit compte présentement que le chapeau de dirigeant était autrement plus dur à porter que celle de chef de guerre. L’exercice était différent, du moins.

Tâchant d’oublier ces pensées, l’Empereur se concentra sur ce qu’était entrain de dire la Monarque :

« Je ne peux pas vous promettre qu’en toutes circonstances, nous serons alliés. Parce que je ne sais pas de quoi est fait le futur. Mais je peux vous assurer que nous travaillerons ensemble, tant que Calastin soit menacé. Si vous voulez construire une relation d’entraide, je peux le voir. Ce que je ne peux pas faire, c’est parler en jamais, en toujours. Si nous prenons notre temps, si nous sommes patients, chaque geste, chaque main tendue l’un vers l’autre construit une relation qui peut durer longtemps. Mais ce genre d’alliances, elles grandissent aussi d’une compréhension mutuelle. C’est pour cela, que je parlais de reconnaissance.

Mais dites-moi. Comment Caladon peut-elle vous venir en aide ? »


Claudius jaugea la Monarque d’un long regard pendant quelques secondes, faisant durer le suspense, et prenant une gorgée de boisson avant de formuler toutes réponses. Il songeait à sa réponse, sachant qu’à travers ses mots se baserait probablement les bases d’un accord au moins pour une partie de son règne. Ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère.

L’Empereur fit alors :

« Si vous me permettez le calembour, je n’ai jamais parlé d’alliance avec l’Alliance. – un petit sourire taquin se fit voir sur le visage de Claudius avant qu’il ne reprenne son sérieux – La vision … D’entraide que vous me décrivez me paraît bien plus juste, tant que cette entraide est faite en bonne intelligence. Il n’était pas question d’une véritable unification pour moi. Ou du moins pas tout de suite. »

Claudius pris une pause dans son discours. Il était bon de rappeler ces points en premier lieu. La démonstration d’aujourd’hui était belle en matière de collaboration entre Alliance et Empire, mais pour autant, l’Empereur ne pouvait pas prendre de décisions sur le coup de l’émotion. Sans pour autant se fermer toutes les portes. Après tout, Claudius avait déjà gagné du terrain sur Délimar et Ipsë Rosea, alors pourquoi pas Caladon à terme ? Le Havremont ne perdait pas de voir un Empire fort sur toute l’île de Calastin, un de ces jours. L’Empereur repris :

« D’un point de vue plus terre-à-terre, ce en quoi nous sommes d’accord, je pense, c’est que chacun doit impérativement garder sa souveraineté, sa nation, ses lois. Ma première requête relèvera de ce qui nous concerne directement tous deux. Vous aviez des points d’ancrages commerciaux en Délimar et Ipsë Rosea. Je vous demande solennellement de garder ces points d’ancrages, afin que les échanges commerciaux entre l’Empire et l’Alliance puissent subsister. »

Une requête simple, mais qui permettait à Claudius de conserver ses points d’entrée économique, et de garantir une certaine survie de son état de cette façon le temps qu’ils puissent reconstruire une trésorerie suffisamment forte pour imposer leurs propres lois. Comme cela ne changerait pas grand-chose pour l’Alliance, il espérait que cette demande soit facilement accordée. Claudius poursuivi à la suite de cette demande :

« Ma deuxième demande, c’est que nous fassions front ensemble si un danger commun menace la vie sur notre île, sans distinctions. Comme aujourd’hui avec ces assassins, comme hier avec les Ekkinopyres que mon phénix a brûlé, par exemple … Et bien évidemment, comme demain, si des ennemis suffisamment dangereux nous veulent du mal à tous les deux. Vous comme moi savez qu’ils sont nombreux. »

Cela concernait plutôt les forces militaires de l’Empire qui étaient bien plus puissantes que celle de l’Alliance aujourd’hui, mais Calastin avait vu tout un tas de bizarreries surnaturelles surgir depuis leur arrivée sur l’Archipel… Et si Claudius avait fait son possible pour en rester éloigné – mais aussi éloigner son peuple qui n’avait pas besoin de se mêler à ça alors que les dissensions internes étaient fortes – jusqu’à présent, le Havremont savait que tôt ou tard, l’Empire devrait prendre part à la lutte commune, à présent qu’il était à nouveau stable. Il en avait toujours été ainsi, et Claudius ne comptait pas se défiler. Il voulait que l’Alliance s’engage aussi, à soutenir cet effort, si celui-ci devait être fourni.

Cela était dans le registre des demandes qui paraissaient « faciles à accepter » aux yeux de l’Empereur, dont Claudius avait prévu de parler aujourd’hui de toutes les façons. Claudius s’accorda une pause à ce stade, et repris une gorgée de sa boisson. Son regard se perdit dans la pièce un instant. Il avait bien autre chose en tête, et se demanda s’il pouvait en parler dès à présent à Autone. Il inspira, et décida de se lancer :

« Il y a autre chose que j’aurai aimé voir avec vous, Dame Falkire, relevant peut-être d’un sujet plus sensible pour vous. Vous n’êtes pas sans savoir que l’Empire est en lutte constante contre la Confrérie Pirate. Une lignée de conduite agressive que je n’entends pas adoucir comme j’ai pu le faire avec le Royaume Erlië, par exemple. La venue récente de Délimar dans notre Empire renforce nos positions dans cette lutte. Je pense que nous sommes d’accord pour dire que cette nation mène une politique allant à l’encontre de nos idéaux communs, notamment vis-à-vis de l’esclavage de nos amis Graärh, et représente un danger pour nous tous. Vous avez effectué un formidable travail que je salue en désenclavant Caladon de ceux qui profitaient du commerce d’esclaves. Je ne vous demande pas de répondre à mon appel tout de suite, mais j’aimerai vous demander officiellement votre soutien dans cette lutte, par exemple en fermant l’accès à vos ports à tous ceux battant le pavillon de la confrérie … Mais cela pourrait être autre chose, bien sûr. »

Claudius pris une mine sérieuse, d’un coup, et se redressa sur sa chaise. Il reprenait là la posture d’un chef de guerre, qui savait de quoi il parlait. Les tractations pour avoir du soutien dans un conflit était un sujet qu’il maitrisait sur le bout des doigts :

« J’ai conscience qu’aller plus loin dans cette lutte puisse vous faire peur. Mais bien évidemment, nous nous assurerons de protéger vos navires commerciaux. Je m’engage à ce que la flotte délimarienne, mais aussi celle de l’Empire vous soutiennent et vous protègent des pillages, si vous vous engagez dans cette voie-là. Ce conflit-là, n’est pas inutile, et nous défendra de l’idéologie et des pratiques nauséabondes de ces parias. »

Le Havremont poussa un petit soupir, et laissa Autone réa gir à tout cela. Il avait conscience que la pousser à se prononcer sur ces différents sujets allait probablement lui demander de la réflexion, aussi il était pris à lui donner tout l’espace dont elle avait besoin. Ces négociations n’étaient pas choses aisées, et si tous deux avaient des convictions et des intentions bien claires … Ils restaient encore tous deux relativement jeune et apprenants dans leurs rôles de dirigeants suprêmes respectifs.

Claudius estimait donc qu’il pouvait comprendre mieux que personne, dans quelle posture devait se trouver Autone.

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Autone dût se retenir de répondre immédiatement, laissant l’empereur tirer le fil de ses idées jusqu’à la fin. Elle se sentit insultée, et se masqua à nouveau de marbre, se refermât. Elle n’appréciait pas le ton de Claudius, mais fût presque convaincue de laisser aller cet accrochage, puisque l’homme passait à un sujet plus important. Jusqu’à ce qu’il ramène le sujet sur une pique. Définitivement ces deux là étaient fort différents. Ce serait difficile de s’entendre, complètement, mais il valait la peine de persévérer. Mais, elle n’accepterait pas de se faire gronder comme une enfant.

« Si vous voulez que cela fonctionne vous devez commencer par cesser de m’aliéner, consciemment ou non. Je sais très bien les mots que j’emploie, et j’en connais la mesure. Avez-vous pensé qu’ils portent plus de sens que celui qui vous vexe? Pensez-y, un instant au moins avant de me réprimander. Pourquoi sont-ils morts, tous ces gens? »

Autone adressa un regard dur à l’empereur, comme pour lui faire comprendre qu’elle prenait cela très à cœur, contrairement à ce qu’il pourrait penser. Non, elle n’avait pas dit inutile par mercantilisme.

« Je suis sortie de Morneflamme et dès que j’ai pu, je me suis enrôlée pour être sur le champ de bataille quand nous affronterions le tyran. J’étais là, sur les navires, à me battre, armes et magie, contre les chimères. Ceux-là, étaient des combats qu’il fallait mener. Parce qu’ensemble, nous devions défendre notre liberté de penser, la vie des prisonniers, notre droit à vivre sur nos propres terres. Ensemble, nous défendions nos vies.

Mais ces deux hommes, aujourd’hui, ils sont morts pour rien. Et mon mari, au front contre Caladon, il est mort pour rien. C’est l’idée la plus choquante, la plus atroce, et la plus enrageante je le conçois. Mais si l’on ne le dit pas, alors, nous allons continuer de mourir pour rien.

Les combat dans lesquels on s’entretue sont inutiles, pouvez vous concevoir, même si votre vision de l’honneur est différente que la mienne, que je sais très bien ce que je dis. Et qu’il n’est ni question d’or, ni de sel. »


Et ces phrases-là, peut-être étaient-elles inutiles, mais elle ne pouvait pas laisser l’empereur dominer la conversation.

« J’ai décidé de ne pas mener de guerre contre les pirates, pas immédiatement. Parce que je travaille sur des actes de réparation envers les Graärhs qui ont subi l’esclavage. Je concentre mon énergie, et mes négociations, sur ces projets. Cela dit, fermer les portes aux pirates est certainement une idée que je souhaite emmener à mon conseil. S’il n’en tenait que de moi, beaucoup de choses changeraient du jour au lendemain, mais mes conseillers me permettent d’éviter des révoltes. Dans quelques années, nous pourront parler de se joindre dans une lutte contre ces criminels. »


Naïra avait dû être tempérée, tant par Ilhan que par son conseil, lors de l’écriture des nouvelles lois. Elle craignait d’emmener plus de projets, plus d’agressivité.

« Si l’existence de Calastin est menacée, nous combattrons ensemble. »

Non elle ne craignait pas de se battre contre les pirates, et c’était un vilain défaut. Car elle avait été bien trop téméraire dans un passé proche, juste complètement aveuglée par sa haine. Pour sa famille, elle devait faire mieux. Trouver cette tempérance.

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« Ils sont morts pour l’honneur de l’Empire, pour défendre une nation unifiée, pour que l’avenir de leurs enfants ne se constituent pas dans le chaos et la détestation de son voisin. » Dit Claudius en un soupir, à la question de la Monarque, avant de laisser à ses réprimandes, se contentant de les écouter d’une oreille, et d’acquiescer sagement.

Il était las. Claudius se savait obtus, et aimant de son peuple et de sa Nation, mais à écouter ces représentants de l’Alliance, tous les maux de Calastin étaient dû à l’Empire, ou tout du moins, ce n’était jamais de leur faute. Mais après tout, les chiens ne faisaient pas des chats. Il avait essayé d’exprimer les mêmes points de vue à Aldaron, mais celui-ci avait aussi réagi de la même façon : l’Empire, toujours l’Empire, encore l’Empire. Tout était leur faute, et cela justifiait bien des saignées, des famines, et d’orchestrer sa ruine économique.

La vérité aux yeux de Claudius, était que l’Empire faisait tache dans leur plan de domination mondiale. Cet état qui était fort d’une histoire millénaire, cette nation qui était suivie par de nombreuses personnes, cette force militaire qui refusait l’aliénation ou la défaite, contre vents et marées … Toutes ces choses-là, on ne pouvait les acheter. Alors on essayait de l’affaiblir comme on le pouvait, avec un certain succès jusqu’à lors. Ou on disait que « cela ne servait à rien », parce que toutes ces valeurs n’étaient pas le fruit de savantes stratégies, ou de simples calculs matérialistes.

Le Havremont regretta que le dialogue au regard de tout cela soit impossible … Mais c’était peut-être une cause perdue dès l’origine. Après tout, comme l’avait si justement dit Autone « ils étaient différents ». Claudius avait son point de vue sur la question, elle aussi. Qui avait construit, voir forcé, cette différence cependant, cela était libre à l’interprétation de chacun. Plutôt donc que de relancer une nouvelle fois le débat, qui ne servait de toute évidence pas à grand-chose, Claudius garda le silence et écouta plutôt ce que la Monarque avait à dire pour la suite, se contentant d’opiner du chef, comme pour passer à autre chose. Et concernant cette discussion, peut-être que plus tard la Monarque aurait l’occasion de réfléchir plus tard à ce que Claudius avait dit ce jour-là. Tout comme il réfléchirait au discours de la Monarque. Cela serait déjà un semblant de victoire, bien que l’Empereur n’avait que peu d’espoir sur le fait que cette querelle pourrait un jour se régler en profondeur.

Au moins, ils n'étaient plus à couteau tirés l'un envers l'autre et c'était peut-être déjà satisfaisant ainsi. Mieux ne valait pas agiter le soufflet au dessus des braises.

Claudius fut donc déjà plus attentif à ce qu’Autone avait à dire au sujet des pirates, et à ce qu’il avait amené comme autres sujets. Sur son point de vue concernant les forbans des mers, Claudius haussa un sourcil, avant de se contenter d’un air amusé :

« La démocratie est si surcotée… », avec un petit sourire taquin, connaissant le statut particulier de la Monarque de Caladon. Pousse au « crime », lui ? Peut-être. Mais lui était Monarque Absolu en ces terres, et pouvait légiférer comme il le pouvait.

« Il peut se passer de nombreuses choses en quelques années, Dame Falkire. Mais ce qui est sûr, c’est que les Pirates trouveront d’autres moyens d’être nocifs. Nous serons sur le pont pour les en empêcher. Tout est question de savoir comment vous voulez que votre nation se positionne à leur sujet. » L’idée que les Pirates prospèrent était insupportable aux yeux de Claudius, il ne s’en était jamais caché, et avait toujours pris des mesures.

Mais là encore, Claudius constata les mêmes choses qu’il avait dénoncé auparavant : Caladon ne se cachait pas d’une amitié avec le Royaume Erlië, lui-même allié avec les forces pirates. Et certainement que les pirates devaient encore apporter de l’argent à Caladon. Les calculs, et l’achat de la paix sociale, tant qu’on pouvait profiter d’une position dominante. Mais après tout, c’était confortable : en ce moment précis, Caladon souffrait beaucoup moins que l’Empire, et avait une croissance fulgurante. Probablement que malgré toutes ses convictions certaines, Autone restait paralysée par cette culture de sa nation qu’elle ne pouvait pas ignorer.

C’étaient simplement des choix de vie différents. Claudius pensa sincèrement que c’était la chose à retenir de ce dîner, la différence, et qu’il ne devait pas se montrer agressif pour autant. Il fit alors à la monarque :

« Je note cependant votre envie de changer les choses. Et bien que nous soyons si différents … Si vous avez malgré tout envie d’accélérer, que vous craignez des révoltes, ou que vous voulez savoir comment vous y prendre face à certains … Gêneurs ? Vous pouvez toujours me solliciter. Ma vie n’a pas toujours été de tout repos, mais j’ai eu l’occasion de vivre frontalement toutes ces choses-là que vous décrivez. Faites-en ce que vous voulez, mais ma porte vous reste ouverte si vous avez besoins de conseils bienveillants. Nous aurons peut-être un point de vue différent, mais je dois dire que discuter avec vous m’est plus agréable que de nombreux autres diners mondains au sein de l’Empire. »

Claudius ne doutait pas qu’Autone avait tous les meilleurs conseillers du monde à disposition, le premier étant Ilhan qui avait toujours un bon point de vue sur les choses relatives à la gouvernance d’une façon générale … Mais Le Havremont estima que cela était assez juste de laisser cette voie auprès de lui à disposition. Après tout, bien qu’il n’aimât pas vraiment s’épancher dessus, Claudius était fort de quelques réussites.

Autone également, et bien qu’elle était ce qu’elle était, ce qu’il avait dit était vrai : ils n’étaient pas d’accord sur tous les sujets, mais au moins, avec elle, Le Havremont avait l’impression d’avancer. C’était déjà mieux que l’immobilisme de certains nobles séléniens qu’il avait connu, qui avaient la tête tellement enfoncée dans le sable qu’ils auraient presque pu parler avec les verres de terres.

« Je vous prends au mot. La réciproque s’appliquera pour nous aussi, bien évidemment. » fit Claudius d’un petit clin d’œil, quant Autone formula ses vœux pour l’ensemble de Calastin.

Le Havremont s’étira sur sa chaise, et regarda la porte de la petite salle d’un air concerné. A présent qu’ils avaient un semblant d’accord, il lui restait encore quelques petites choses à régler … Et un intrus pirate à interroger. Il se tourna vers Autone avant de lui dire :

« En tous les cas je suis content que nous ayons pu prendre certaines décisions importantes pour nos territoires, et que nous ayons enfin pu parler seul-à-seul, malgré tout ce qui s’est passé ici. Certains de mes doutes sont dissipés, et j’imagine que c’est l’essentiel. Merci d’avoir pris de votre temps pour tout cela. Vous remercierez également votre délégation diplomatique de ma part… Aviez-vous d’autres choses dont vous souhaitiez me parler, Dame Falkire ? Ce n’est point que votre compagnie me déplaît, mais j’ai encore à faire entre ces murs, avant de regagner mes terres. »

Claudius attendit patiemment la réponse de la Monarque, en profitant pour finir ce qu’il avait dans son assiette, et son verre.

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