Rumeur et informations

La plume grattait le bout de parchemin, laissant l’encre tracer ses mots. La jeune femme lâcha un soupir de soulagement puis, après s’être assuré que la missive soit sèche, la roula et la scella dans son étui de transport. « Lulu? Tu veux bien aller porter ma lettre quand tu iras au marché?  » Demanda-t-elle à son mari en faisant des yeux doux. Elle prit la lettre et la fit léviter jusqu’à Lustiel qui avait lâché un grand soupir. « Quoi?! Je ne peux pas bouger! Jack dort sur moi! Allez, s’il te plait! Tu vas être juste à côté du messager qui pourra l’envoyer, ce n’est même pas un détour! Tu serais un aaaamouuuurr!  » Poursuivit-elle. « Je sais… C’est difficile pour toi, mais c’est difficile pour moi aussi. Je te donnerai des nouvelles régulièrement, promis!  » Fit-elle. C’était probablement son absence imminente qui l’importunait plus que de faire sa requête du jour.


C’était la dernière lettre qu’elle envoyait au conseiller. Dans ses correspondances précédentes, elle lui avait déjà communiqué son désir d’avoir des informations sur son père. C’était sa mère qui lui avait dit qu’elle avait eu l’aide de la part d’Ilhan dans sa quête pour retrouver Siel. Certes, Kyla aurait pu demander directement l’information à sa mère… Mais elle voulait se garder une distance. Elle se connaissait : elle devenait émotive à chaque fois qu’il était question du nouveau vampire et elle ne voulait pas faire subir ça à sa mère. De plus, elle voulait l’information pure et dure, pas une version prémâchée pour préserver ses états d’âme.



C’était la toute première fois qu’elle mettait les pieds à Cordont. Bien que curieuse, c’était le sentiment de malaise à l’égard de cette ville qui avait eu la victoire. Elle ne savait simplement pas d’où venait ce sentiment, mais tant pis, elle devait s’y confronter si elle désirait des réponses. Il fut un temps où la colère et le déni l’y en empêchaient, car elle se disait que Siel était mort à ses yeux ou qu’elle ne voudrait voir ce qu’il était devenu. Chose certaine désormais, c’était qu’elle était déterminée à aller à sa rencontre même si elle en aurait le coeur brisé.

C’était la veille, le 12. que Kyla était arrivée. Malgré la pénombre de la soirée bien avancée, elle avait su se diriger à l’aide de la haute tour. « Pas de bêtises, les amis. On ne les voit peut-être pas, mais j’ai pas envie qu’on nous tire dessus!  » Cet avertissement était adressé aux animaux qui l’accompagnaient: sa monture Althaïenne, son panda roux et son ocelot. Le bruit et la luminosité la menèrent jusqu’à une taverne où elle se lia d’amitié rapidement au tavernier qui lui offrit finalement une chambre en échange de pouvoir flatter Orianna. La chance lui souriait à nouveau…! Ou était-ce son Esprit-Lié du chat qui l’aidait?

La jeune Sainnûr discuta et but avec pratiquement tout le monde. L’alcool lui déliant la langue, elle ne cacha pas qu’elle désirait rencontrer sir Avente. Si tout le monde savait qu’elle voulait le rencontrer, il aurait moins de mal à la trouver, non? Elle aurait dû lui donner un lieu précis de rencontre, mais ça l’avait échappé. Ça et ne connaissant pas Cordont, elle n’aurait su être bien précise.

« Avez-vous entendu?  » Ce qui suivit lui donna le teint livide. Avait-elle bien entendu ses oreilles?! On avait demandé la main de Vex? On, étant le Prince Noir?! C’était quoi cette histoire. « Tu n’as pas l’air bien, Kyla.  » La faute fut donnée à l’alcool. La petite femme s’excusa et s’enferma dans sa chambre. Heureusement, son Esprit-Lié lui accorda un sommeil réparateur.

Kyla eut tout le mal du monde à se lever. Elle avait encore cent et une questions qui lui trottaient dans la tête par rapport à ce qu'elle avait entendu la veille. Il y avait erreur sur la personne, n'est-ce pas? Sa mère n'avait pas déjà remplacé son père dans son coeur?! Peut-être??? Était-ce elle qui trouvait que ça allait vite en affaire? Non, non non. Il y avait erreur. C'était simplement une rumeur parce que des gens les avaient vu ensemble, le Prince Noir et elle. Ça se pouvait!

C'est le grondement de son ventre qui la ramena à la réalité. Elle réalisa alors que le soleil avait déjà pris sa place dans le ciel bleuté. Elle se fit rapidement une beauté (pas question de sortir toute échevelé!) et rejoignit le tavernier en espérant un bon petit déjeuner. « Bon matin! » Dit-elle en commandant de la nourriture pour elle et ses compagnons sur pattes. « Pensez-vous que le siège du Conseil des mages sauraient m'aider, si je leur en faisais la demande? » S'enquit-elle. Elle s'imaginait demander aux mages de contacter Ilhan pour lui dire qu'elle était là et qu'il saurait la trouver à la taverne. Mais en même temps, elle se disait qu'il valait mieux simplement attendre et être patiente. Elle ne voulait pas risquer de brusquer l'homme non plus.

Mi-septembre était arrivée et les couleurs azurées d’orange et de brun parsemaient déjà les feuilles des arbres. Une douce brise charriait les effluves de la campagne cordontaise et les bruits de la petite cité chantait le travail, le labeur et une farouche ardeur. Car oui, Cordont avait encore été frappée, alors que le glas de juillet n’avait pas encore sonné. Rog, Couronne de Cendres, avait lancé ses féroces créatures sur la petite cité, avec pour seul objectif de servir sa folle avidité. Sans prendre en considération le nombre de vies qu’il faucherait, ni même les destructions et les ravages qu’il causerait. Ilhan pensait avoir compris que pour la Couronne tout cela importait peu. Les Sans-poils qu’ils étaient ne représentaient à ses yeux que de vulgaires insectes gênants sur son passage. La Couronne ne visait pas forcément leur extermination en tant que telle, elle avait juste des projets et les Sans-poils et autres bipèdes qui avaient la folie de s’allier à eux n’étaient qu’un obstacle à balayer.

Cordont en avait payé les frais. Encore. Cordont la Chue semblait être devenue Cordont la Maudite. Pourtant ses habitants ne se laissaient pas abattre par ses épreuves et reconstruisaient, encore et encore, pansant leur blessure et affrontant leur peur. Ilhan avait une certaine admiration pour cette population aux moyens si limités, si elle n’avait pas reçu l’aide de l’Alliance et de l’Empire. C’était aussi cela qui avait guidé son choix comme lieu de siège pour le Conseil des Mages. Pour lui donner un certain essor, qu’elle puisse, elle aussi, prendre son envol et devenir une cité forte telle qu’elle le méritait. Ça, et son emplacement stratégique en plein centre de Calastin, certes.

L’Althaïen porta alors son regard vers la citadelle du Conseil à la haute tour blanche qui se dressait au fond de la cité, tel un étendard de puissance en devenir. Son cœur battit chamade à cette vue et aux promesses qu’elle peignait sur ce tableau d’apparence rupestre, mais qui avait les allures d’un chef-d’œuvre en devenir.

Cette période avait été éprouvante et chargée, entre la rencontre avec la quatrième Couronne des Cendres, étonnamment non agressives et potentiellement portées à… si ce n’est une alliance, du moins un accord de non-agression… mais également l’appel de son père aux portes de la cité des elfes sur Keet-Tiamat, pour qu’il l’aide à guider ceux le désirant à immaculer. Il y avait eu ensuite ses rencontres avec l’alchimiste et cette étrange alliance qui se formait entre eux deux pour tenter de contrer le pouvoir démesuré des Couronnes. Et au milieu de tout cela, il tentait de concilier une vie de famille, de renouer avec sa femme devenue jeune immaculée et aux souvenirs oubliés. Reconstruire avec elle, reforger les liens qui les avaient unis, qu’elle retrouve l’amour qu’elle avait pu lui porter. Heureusement Naira semblait ressentir si ce n’est de l’amour, du moins une attirance et une affection pour lui, promesses de reconstruction possible et d’un avenir entre eux. Et il avait ses enfants. Leurs enfants. Son fils et sa fille, qu’il chérissait plus que tout, ainsi que les enfants Falkire à qui il essayait aussi de donner de l’attention quand il l’acceptait. Concorder sa vie de famille avec tous ses projets et sa vie politique étaient toutefois compliqué, et il sentait souvent être bien trop absent pour eux, bien peu présent pour sa famille. Quand bien même tout ce qu’il entreprenait visait à leur forger un avenir plus serein…

Mais il n’était nul temps de s’appesantir sur ses rêves ni ses pensées. Il était venu en ces lieux pour régler quelques affaires avec le Conseil des Mages, qui prenait alors peu à peu son propre envol, certes, mais il avait également un rendez-vous.

Kyla Aërendhyl, fille de Vex'Hylia et Siel Aërendhyl. Elle l’avait contacté il y a peu pour avoir des renseignements sur son père. Si l’Althaïen avait été sur l’instant quelque peu surpris qu’elle le contacte lui plutôt que sa mère, qui devait avoir eu maintenant maintes réponses à ce sujet, il n’en avait rien laissé paraître dans ses réponses. Il pouvait aussi comprendre le besoin de rechercher par soi-même et d’obtenir des informations de personnes qui n’avaient aucun affect et donc qui pourraient lui révéler ce qu’elle souhaitait en toute franchise ou du moins sans la coloration que l’on pouvait donner à ses mots pour émousser une vérité difficile quand on se sentait aux prises avec ses propres émotions ou l'émotion de ses proches.

L’aube avait depuis peu laissé la place aux rayons timides d’un soleil automnal quand il était arrivé. Ses agents n’avaient pas manqué le renseigner sur la jeune femme, et notamment sur son arrivée à Cordont et son installation à la taverne. Sans doute devait-elle y être encore, ou tout du moins le tavernier, qu’il commençait à bien connaître, saurait le renseigner. C’est donc tout naturellement qu’Ilhan s’y rendit, ne manquant pas de saluer les personnes qu’il croisait et pour certaines qu’il reconnaissait sur son passage. Il avait, au fur et à mesure de ses nombreuses visites en ces lieux, noué, comme toujours, des relations. Sans compter la construction du Conseil des Mages qui avait rendu fiers les habitants de la petite cité d’avoir été choisi par l’institution.

Quand il pénétra dans la petite auberge, l’hôte vint aussitôt l’accueillir avec grand sourire et vivifiante présence. Seul un ersatz de politesse retenait le tavernier d’offrir au diplomate une franche accolade, mais Ilhan pouvait sentir cet instinct chaleureux et accueillant qui titillait ce dernier. Pourtant lors de son premier séjour, l’homme ne l’avait pas ménagé… mais l’althaïen ayant réussi à taire ses jérémiades, même s’il n’en pensait pas moins intérieurement, et à faire bonne figure, sans compter les quelques services rendus à la cité, il avait réussi à décrocher une certaine… si ce n’est amitié, du moins un réel respect et un lien franc avec l’homme. Aussitôt il lui confirma que la jeune femme était bien logée ici et n’était pas encore descendu de sa chambre.

Ilhan prit place alors à une table tranquille, et relativement propre, et commanda un petit encas, autant par politesse que par faim. Une heure n’était pas passée que la jeune femme fit son entrée. Le diplomate ne se manifesta pas de suite, se laissant un temps pour l’observer avec attention. Il avait eu quelques rapports de ses araignées à son sujet, mais rien ne valait sa propre observation de la personne pour se faire son opinion. Il sentait la puissance du Chat émaner d’elle et cette attirance qu’elle inspirait vous poussant à lui faire une place près de vous, chez vous, là au coin de votre feu. Un fin sourire s’esquissa à cette pensée. Fin sourire qui s’agrandit plus encore, quand il entendit sa question.

« Pensez-vous que le siège du Conseil des mages saurait m'aider, si je leur en faisais la demande ? »

Le tavernier lança un bref regard vers Ilhan, n’osant répondre sur l’instant, bien qu’un petit sourire en coin étira les traits rudes de l’homme. Ilhan décida alors de le tirer de cette indécision et sortit de son alcôve, à l’ombre si rassurante qu’il aimait tant.

– Très certainement, fit alors l’Althaïen tout en s’avançant calmement vers la jeune femme. Mais je pense que cela sera inutile. Nous nous sommes trouvés.

Il lui offrit alors un salut à la mode althaïenne, ce salut teinté de la prestance des elfes.

– Que le soleil illumine vos pas, fit-il tout en se courbant très légèrement, une main sur le cœur qui s’ouvrit ensuite vers la jeune femme pour laisser son message s’envoler vers elle. Ilhan Avente, pour vous renseigner, Dame Aërendhyl.

D’un élégant geste de la main, il lui offrit de le rejoindre à sa table. L’heure de ses questionnements avait sonné, ou celle de tout autre besoin qu’elle avait à lui présenter.

Concentrée sur l’aubergiste, Kyla n’avait pas remarqué la présence d’Ilhan. Elle remarqua que quelque chose clochait, car la réponse à sa question se faisait désirer. Avait-elle dit quelque chose qu’il ne fallait pas? Surprise d’entendre la réponse attendue provenant de derrière elle, la jeune Sainnûr se retourna. Après l’étonnement évanoui, c’est le soulagement qui fit surface. « Messire Avente! » Prononça-t-elle d’une voix joyeuse. Il était là! L’homme qu’elle désirait rencontrer afin qu’il puisse la renseigner sur son défunt père et répondre à ses questions.

De son côté, elle fit d’abord un salut elfique puis une révérence féminine où elle croisa les genoux et s’inclina légèrement avec les mains de côté. « Je vous remercie d’avoir accepté de me rencontrer. J’espère que le déplacement s’est fait sans embûche. » Ajouta-t-elle poliment. Elle était vraiment, mais vraiment contente qu’il se soit déplacé pour elle. Il était un homme occupé et pourtant, il avait su lui accorder de son précieux temps.

Kyla accepta aussi son offre et se déplaça à sa table. Elle posa son panda roux sur le sol aux côtés de son ocelot qui se promenait à ses pieds. « Un peu de patience, les amis. Votre nourriture arrive bientôt. » Leur murmura-t-elle. En effet, l’aubergiste devrait apporter la nourriture bientôt. « Je vois que vous avez déjà mangé? Laissez-moi l’honneur de vous payer votre repas, comme cadeau de remerciement pour vous être déplacé suite à notre correspondance. J’y tiens. » Dit-elle. Elle s’enquit également à savoir s’il désirait autre chose. « Une fois arrivée ici, j’étais embêtée parce que j’ai réalisé que je n’avais aucun moyen pour communiquer avec vous pour vous dire à quel endroit où vous pouviez me trouver. J’avais peur qu’on ne se croise pas, même si Cordont n’est pas si grand. » Dit-elle à l’homme en face d’elle. « D’ailleurs… Comment avez-vous deviné que c’était pour entrer en contact avec vous, ma potentielle demande d’aide pour le Conseil des mages? » Poursuivit-elle. Ilhan était un individu intelligent et perspicace. Kyla en savait peu sur le Tisseur et son organisation. Mais elle savait qu’Ilhan était une mine d’informations. Elle se doutait qu’il avait les moyens pour tout savoir, ou presque.

Quelques minutes plus tard, l’aubergiste arriva avec leur déjeuner ainsi que la nourriture pour Ori et Jack qu’il posa devant eux. Elle prit quelques bouchées de son repas, tout en réfléchissant. Par quoi commencer? Ou plutôt comment débuter? Elle se rappelait des paroles de sa mère : “Et j'ai recherché un ancien contact, Messive Avente, pour m'aider.”. C’était Messire Avente qui avait renseigné sa mère sur le devenir de Siel Aërendhyl. Selon ses dires, c’était de lui qu’elle avait appris que son père était devenu un vampire lors de l’effroyable Bataille des Cendres et qu’il se trouvait à Nyn-Tiamat. Mais Kyla avait l’impression qu’il lui manquait des détails… qu’on lui cachait des choses!

La mercenaire finit par briser le silence. « Vous vous demandez sûrement pourquoi je voulais vous parler, en fait. C’est parce j’aimerais connaître l’information sur Siel Aërendhyl provenant de la source elle-même: vous. Je connais ma mère, je sais qu’elle ne veut pas mal faire, mais je sais aussi qu’elle cherche à me protéger, autant physiquement qu’émotionnellement. Je ne vous cacherai pas qu’apprendre la vampirisation de mon père m’a grandement bouleversée… J’ai encore du mal à y croire. Bref. Seriez-vous d’accord de me dire ce que vous savez sur Siel? » S’enquit-elle. « Je sais que toutes informations possèdent un prix. Je n’ai malheureusement pas grand-chose à offrir, mais je vous serai redevable… N’hésitez pas si vous avez besoin à nouveau du service d’une mercenaire. » Proposa-t-elle. C’est ce qu’elle aimait d’être guerrière libre et de ne pas être associée à aucun groupe précis. Étant neutre, elle avait la possibilité de travailler pour toutes factions.

Elle se tut, laissant la parole à Ilhan. Elle était prête à entendre la vérité. Elle savait qu’elle ferait mal, mais elle voulait savoir. Elle avait l’impression que sa vie avait arrêté depuis qu’elle avait su la mort de son père et que sa vie pourrait reprendre seulement lorsqu’elle pourrait en faire le deuil. Certains diraient que ce n’est pas la fin du monde, que c’était loin d’être les Couronnes des Cendres qui frappaient à nouveau. Les gens avaient peur de leurs prochaines représailles. Mais pour Kyla, elle n’y pensait pas, car ça ne l’avait pas encore affectée personnellement.  

Saurait-elle retenir ses larmes ou sa colère? Face à Ilhan, elle espérait que oui. Mais je vous le dis qu’une fois seule, elle la noierait dans le téquila de sa flasque. Depuis son passage au Sanglier Éméché, c’était son alcool favori, celle qu'elle trainait toujours avec elle.

Ilhan observa, avec un certain amusement que ne trahissait que le pétillement de ses yeux sombres, les interactions de la jeune elfe avec ses animaux. Un panda roux, qu’il n’eut aucun mal à reconnaître, et… un petit félin dont il ne connaissait pas le nom. Peut-être l’avait-il déjà vu sur une enluminure ou illustration d’un livre quelconque, mais le nom ne lui revenait pas. En tout cas, il n’avait nullement l’air menaçant. Ilhan était lui aussi en compagnie, même si cela ne se voyait pas, avec Oloreä qui restait au chaud cachée dans sa besace dans le nid douillet confortable qu’elle s’y était fait. Voilà en tout cas un petit point commun entre tous deux : un petit penchant pour la compagnie animale, en plus de l’amour du raffinement elfique.

À sa proposition d’offrir le repas, il la remercia de quelques mots courtois, et d’un sourire sincère. Non, il ne désirait rien de plus, tout était parfait, lui répondit-il également, quand elle s’enquit de ses besoins.

– Effectivement Cordont n’est pas bien grande. Du moins pour le moment.

Il espérait bien qu’un jour cette cité parvienne à prospérer, si un jour elle parvenait à échapper aux catastrophes qui semblaient se déchaîner sur elle.

– Quant à savoir comment j’ai su qu’il s’agissait de vous… Les murs ont des yeux et des oreilles et son truffés d'araignées, chuchota-t-il sur un ton de fausse confidence. On m’a simplement informé qu’une jeune elfe voulait me voir, se trouvait à l’auberge et on m’a fait une description de vous, reprit-il sur un ton plus sérieux. Je savais de par votre lettre que vous m’attendiez à Cordont, il ne m’en fallait pas plus pour additionner les informations.

C’est à ce moment que l’aubergiste les servit. Ilhan prit une petite bouchée, et but quelques gorgées, tout en écoutant Kyla lui exprimer sa demande. Siel Aërendhyl, son père. Il s’en était douté. Il la laissa continuer toutefois. Elle avait donc appris qu’il était vampire, sans doute savait-elle donc quand. Mais savait-elle comment ? Et par qui ? L’althaïen entendait presque ces questions sous-jacentes, non énoncées. Des questions, qu’en tout cas il se serait posées lui-même à sa place.

Il allait lui répondre quand elle ajouta aussitôt qu’elle en paierait le prix. Oui, en effet, les informations avaient un prix aussi. Son offre de mercenaire ne lui était pas indifférente. Quand bien même elle était apparentée à des membres de l’Empire, Kyla était réputée pour aimer avoir une certaine indépendance et surtout ne pas vouloir forcément être pieds et poings liés à une faction. Et comme tout mercenaire, elle respectait le contrat, sa réputation en dépendant grandement.

– Ce serait un plaisir de bénéficier de nouveau de vos services de mercenaire. Discrétion et efficacité sont deux qualités que j’apprécie, et deux qualités que vous possédez.

S’il l’engageait de suite ? Non, il n’avait pas encore de missions à lui offrir. Mais cela ne saurait tarder, car il avait nombre de voyages à prévoir, et pour certains avoir une main armée à ses côtés ne serait pas du superflu.

– Je ne sais si vous avez déjà des contrats pour les mois à venir, mais sachez que bientôt je pourrais faire appel à vous si vous êtes disponible. Nombre de voyages se profilent et votre lame pourrait être la bienvenue, même si qu’à titre dissuasif.

Il reprit une gorgée, roula quelques secondes son verre dans sa main, puis le reposa, avant de planter de nouveau ses orbes sombres dans les yeux de Kyla.

– Oui, je peux vous révéler ce que je sais sur votre père et son devenir actuel. Ce que votre mère vous a révélé est vrai. Aucune des informations en ma possession n’est un secret. Mais certaines peuvent être difficiles à entendre.

Il laissa planer un lourd silence, comme pour lui permettre de se raviser, mais devant l’air déterminé qu’elle lui offrait, il continua.

– Votre père est en effet devenu un vampire. Lors de la Bataille des Cendres, il s’est trouvé acculé, en situation périlleuse et cela lui a coûté… la vie. Du moins, tel en aurait été le cas, définitivement, s’il n’avait pas été sauvé, in extremis, par la seule solution possible à ce moment-là, dans l’urgence : la vampirisation. Cela peut paraître âpre et cruel, un funeste tour du destin, mais ce geste a été fait réellement dans une volonté de sauver. Et non d’aliéner ou de quoique ce soit d’autre.

Il but une autre gorgée.

– Je sais aussi que votre père est actuellement à Nyn-Tiamat et semble avoir trouvé sa place. Il est traité dignement et avec tous les égards qui lui sont dus.

Il lui conta rapidement ce qu’il faisait, comment il y était traité. Sans entrer dans tous les détails, qu’il n’avait pas forcément. Puis, après une petite pause, il reprit, presque en un chuchotis.

– J’imagine que vous voulez connaître le nom de celui qui l’a transformé, de son parent vampirique, de son sauveur ?

Il prit une légère inspiration, toujours l’observant droit dans les yeux.

– Celui qui l’a sauvé, celui qui a tenté qu’il ne vous soit pas totalement arraché, celui qui a tenté de le garder sur cette terre pour qu’il puisse avoir une seconde chance, se nomme… Aldaron Elusis.

Il lui sourit doucement.

– Le même qui m’a sauvé aussi d’un sinistre et douloureux trépas.

Il était connu maintenant qu’Aldaron était aussi son père vampirique, même s’il avait immaculé rapidement et qu’il avait recouvré ses souvenirs par un miracle de la magie, tiré des contes althaïens eux-mêmes, grâce à un vœu que sa fiole des cent et une lunes lui avait offert.

– En quelque sorte, cela fait de votre père mon frère. Même si je sais que la conception de famille des elfes n’inclut pas forcément ce genre de liens… je serais heureux de pouvoir vous compter parmi les nôtres et de vous considérer comme une parenté. Je peux toutefois comprendre votre désarroi et que tout ce que je dis là n'apaise en rien votre peine, votre perte ni votre douleur.

Il approcha sa main, appuyée contre la table, la paume tendue vers le haut, en une invitation à la lui prendre si elle le désirait. Sa voix portait des inflexions assurées et sincères, tentant d’insuffler le réel soutien qu’il aurait aimé lui apporter.

Les murs ont des yeux et des oreilles et sont truffés d’araignées… Kyla se questionna silencieusement quant à savoir à quel point le réseau d’information d’Ilhan Avente était grand. Elle ne réalisait pas l’ampleur de sa Toile, mais elle comprenait qu’il était difficile de lui cacher quoi que ce soit. Elle poursuivit sa pensée en se demandant ce qu’il savait sur elle? Mais finalement réalisa qu’elle n’avait pas grand-chose à cacher et qu’étant donné qu’elle n’était pas une personne d’importance, que les phares ne devaient pas être projetés sur elle. Est-ce que cela changerait avec son désir de rencontrer son père et celui qui l’avait arraché à sa vie mortelle? Peu importe. Elle décida de ne pas s’en soucier.

Kyla sourit face à ses compliments et acquiesça d’un signe de tête. « Je n’ai aucune contrainte pour le moment, à l’exception d’un projet personnel. » Avança-t-elle en pensant à son futur voyage à Nyn-Tiamat. « Vous n’aurez qu’à prendre contact avec moi, lorsque le temps sera venu. » Dit-elle en sachant très bien qu’il n’aurait pas de mal à la trouver au moment venu. « Tant que cela ne va pas à l’encontre de mes valeurs, je vous aiderai. » Lui dit-elle. L’honnêteté étant un élément très important pour l’ancienne Enwr, il était certain qu’elle respecterait sa parole.

Ceci étant dit, ils passèrent au vif du sujet pour laquelle la jeune femme était là. Elle vivait de l’appréhension face à ce qu’elle découvrirait, mais elle était prête. Son père était à Nyn-Tiamat. Ça, elle le savait déjà et cela confirmait l’information que lui avait transmise sa mère. Elle l’écouta attentivement. D’une part, elle était rassurée de savoir que son père était bien traité. Même si de l’autre, elle se répétait que ce n’était plus son père.

Ses azurs étaient rivés sur Ilhan. Il avait toute son attention. Qui était celui qui l’avait transformé? Qui était son… sauveur?! Le terme la surprit et cela parut sur son visage. « Aldaron Elusis? Le Aldaron Elusis? Le Prince Noir? » S’enquit-elle complètement surprise. Anciennement Triade, sa vieille rencontre avec l’évadé de Morneflamme lui refit surface dans sa mémoire.  

Kyla apprenait alors qu’Ilhan était le fils vampirique d’Aldaron et cela n’aurait pas eu tant d’importance si ce n’était que ça transformait Siel en son frère de la nuit. « Mais. » Marqua-t-elle. Non, elle ne prit pas sa main. Mais ce n’était pas par refus ou pour être impolie. Elle était encore sous le choc de la nouvelle et croulait sous les questionnements. « Je ne comprends pas. Si, je comprends que Siel et vous soyez frères, vu de même. Mais comment ça il l’a sauvé? Qu’est-ce qui s’est passé? N’y aurait-il pas eu d’autres alternatives… que de le transformer? » Une pointe de tristesse s’était glissée dans sa voix. La jeune femme retint néanmoins ses larmes. « Des soins… ? Des potions de guérison… La magie? Je ne sais pas… Peut-être si j’avais été là. » Ajouta-t-elle.

Kyla évoquait son regret de ne pas avoir été là pour Siel. Si seulement elle avait aidé son père? Si elle l’avait suivi, peut-être aurait-elle pu faire quelque chose? Peut-être à travers la myriade de concoctions de son mari. Honnêtement, elle aurait sûrement fini avec le même sort actuel que Siel, mais elle voulait croire autrement. Elle regrettait et culpabilisait.

« Aldaron Elusis ? Le Aldaron Elusis ? Le Prince Noir ? »

En d’autres circonstances, il aurait pu sourire de cette réaction et aurait été tenté de répondre qu’il n’y avait pas trente-six Aldaron Elusis. Toutefois, il sentit qu’en cet instant, cette question était cruciale pour la jeune femme, encore sous le choc de la nouvelle, et que rien ne prêtait à rire en un tel moment. Il se contenta donc de hocher la tête d’un air grave, toujours la main tendue, ses orbes sombres rivés sur la jeune elfe.

Oui, c’était bien de lui dont il parlait. Nul autre que le Prince Noir, le Couronné de Cendres, Nárwëo*. Ni plus ni moins que cette illustre figure de l’Histoire. Et le père de Kyla, malgré cette tragédie, en entrant dans cette grande lignée, pouvait marcher dans les pas de cette légende vivante.

Il ne prononça toutefois aucun mot de plus, laissant sa réponse silencieuse, lourde de sens, pénétrer pleinement la jeune elfe. Il sentait que l’information était difficile à appréhender pour elle. Nul besoin de Tela pour faire ce constat. Il sentait aussi, pressentait, que seul le temps lui permettrait une pleine acceptation de cette situation. De cette perte aussi en un sens. Même si, aux yeux d’Ilhan, cette tragédie pouvait aussi se transformer en opportunités, en nouveaux liens offerts, en nouveaux chemins moins éphémères. Mais il était dépourvu en cette situation des sentiments d’un enfant encore attaché à un père disparu et il lui était alors bien facile de voir les possibles côtés positifs de tout cela, tandis qu’un abîme sans nom devait s’infiltrer dans l’esprit de Kyla, alors en pleine agonie et en vif déni.

Il ne s’offusqua nullement non plus quand elle refusa de prendre sa main. Là aussi, le temps ferait son office et sans doute était-il trop tôt. Il se permit simplement d’approcher doucement sa main de celle de Kyla, sans toutefois la toucher, ses doigts se contentant de rester quelques secondes en face de ceux de sa "nièce", en un effleurement à peine esquissé, avant de la retirer lentement. Puis il vint poser sa main sur son cœur, en un geste tout althaïen, empreint de gravité et d’une grâce presque altière, puis envoya sa main voleter vers l’elfe paume vers le ciel. Il compléta son geste ensuite en venant porter ses doigts à ses lèvres et à son front. C’était là le geste de salutation althaïenne, qui empruntait à la coutume elfique en y alliant des pans de coutume humaine de la belle Romantique, du moins pour la première partie du geste. Mais plus qu’une salutation, ce geste signait là le vœu que le soleil guide les pas de l’être ainsi salué, et que celui qui lui offrait ce geste restait présent pour lui de cœur, mais aussi, comme le signifiait la suite du geste, d’âme et d’esprit. Il ne doutait pas que Kyla, en elfe de bonne éducation, peuple si proche des Althaïens antan, connaisse suffisamment la culture d’Ilhan pour en comprendre pleinement la signification : même si elle avait refusé sa main aujourd’hui, il attendrait, lui souhaitait que le soleil guide ses pas dans sa douloureuse quête, et surtout resterait là pour elle si elle en avait besoin.

Quant aux restes des questions… S’il pouvait répondre à certaines, il ne pouvait répondre à toutes. Disons plutôt, qu’il sentait, tant elle était encore sous le choc, que le trop-plein d’informations qu’il pourrait apporter pourrait lui être plus néfaste en cet instant qu’autre chose. Et que, peut-être, avait-elle besoin de trouver certaines de ces réponses auprès du premier concerné, qu’elle se sente obligée de le rencontrer, de faire face à ce Prince Noir, à Aldaron Elusis, pour pleinement comprendre que ses intentions au sujet de Siel n’avaient rien eu de néfastes, bien au contraire. Ilhan pourrait dire tout ce qu’il voudrait, tant qu’elle n’entendrait pas, de la voix même du nouveau père de Siel, ce qu’elle brûlait de savoir, elle ne pourrait l’accepter pleinement. Ce serait certes douloureux, mais il sentait que cela lui était nécessaire, indispensable, pour avancer sur les sentiers du deuil et de la renaissance. Car oui, tout cela pouvait aboutir à une renaissance, aussi douloureuse soit-elle, quand bien même elle pourrait faire saigner leurs âmes éplorées. La renaissance d’un nouveau lien. Ou plutôt, de nouveaux liens. Et avec les Elusis, des liens, il y en avait plein qui lui tendraient les mains…

– Je ne pourrais vous expliquer clairement ce qu’il s’est passé. Tout ce que je peux vous dire en cet instant…

Sans que cela ne vous nuise, eut-il envie d’ajouter, mais il se garda bien de prononcer ces derniers mots.

– C’est que Siel s’est retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment, à tel point que sa vie ne tenait plus qu’à un fil et qu’il n’y avait guère, dans une telle urgence, d’autres solutions.

N’y aurait-il pas eu d’autres alternatives ? Possiblement, si le temps n’avait pas tant couru pour sauver Siel… Mais Ilhan s’imaginait ô combien le sablier avait dû se jouer d’eux tous alors, les acculant au mur dans cette ultime extrémité. Tout comme il s’était amusé avec lui et ses paires lors de sa propre transformation. Ilhan aurait pu tomber gravement malade à un autre moment, à un moment où magie aurait été possible, à un moment où magie n’aurait pas joué des siennes au point de devenir plus dangereuse que salvatrice, magie baptistrelle comprise… Pour lui non plus, il n’y avait pas eu beaucoup d’autres choix que la mort ou la transformation, et pourtant ce n’était pas faute d’avoir essayé certaines méthodes de soins, telle la chirurgie almaréenne. Mais le temps était ainsi fait et se jouait d’eux. Aldaron face à un Ilhan mourant n’avait pu se résoudre à le laisser au bras de Mort. Il en avait été de même pour Siel, même si en d’autres circonstances et pour d’autres raisons : la guerre, l’absence de baptistrel présent pouvant venir dans les secondes à venir… car oui, sans doute tout n’avait-il été qu’une question de secondes alors.

– De possibles alternatives ? Aldaron est un mage à la puissance exceptionnelle, qui pouvait trouver aisément un soutien magique si nécessaire, s’il devait puiser dans ses forces ultimes.

Il n’osa prononcer le nom de Nahui, ni même le mot de Lien, mais il le pensait très fort. La magie du Lien offrait, à elle seule, de nombreuses alternatives. Mais même en cet instant, elle s’était révélée impuissante. Cette simple phrase laissait sous-entendre que si magie n'avait pas été tentée, c'est qu'elle se serait révélée bien impuissante.

– Les secondes étaient comptées. Peut-être ne me croirez-vous pas, car vous penserez que je ne suis guère objectif concernant le Prince Noir…

Ce qui n’était pas totalement faux. Même si le Tisseur avait su faire montre d’objectivité, même dans des situations où tout lui était lié et où les attachements affectifs auraient pu l’aliéner, et ce en de maintes occasions. Il avait suffisamment de volonté pour savoir faire la part des choses, du moins essayait-il la majeure partie du temps.

– Mais je suis persuadé qu’en cet instant crucial et fatidique, Aldaron Elusis a pesé toutes les possibilités qui s’offraient à lui pour sauver votre père. Et que si la transformation lui est apparue comme une solution, sachant combien cela coûterait à tous, c’est que c’était la seule solution possible. Car non, contrairement à ce que certains croiraient peut-être, le Prince Noir ne s’amuse pas à semer la mort, la peine et la souffrance sur son chemin. En cet instant, il voulait sauver Siel, et ce en lui permettant de conserver sa vie telle qu'elle était. Malheureusement, si le sauver était possible, en tant qu'elfe non.

Il laissa un court silence flotter entre eux, permettant aux mots de résonner dans l’esprit de Kyla. Ses orbes sombres voletèrent alors sur les petits compagnons de la jeune elfe, qui, si par leur silence discret, semblaient bien sentir la peine de leur jeune maîtresse, mangeaient leur petit encas en restant bien sages pour des compagnons animaux. Certes, Oloreä dans son sac l’était tout autant. Mais c’était Oloreä, une chatte à l’esprit vif et plus même. Et comme tous les chats…

Il chassa ces pensées qui tendaient à l’égarer sur des sentiers tout autres et retourna toute son attention sur Kyla.

– Si vous aviez été là… Auriez-vous pu le sauver ? Sans doute pas. Pas plus qu’aucun mage. Il aurait fallu être Cawr pour avoir une chance, et encore, rien n’est moins sûr. Pire même, vous auriez assisté à cette sinistre tragédie. Ou auriez été entrainée dans son maelström, vous aussi…

Sa voix laissa traîner ses accents althaïens. Finalement il tendit une main vers le petit panda roux, essayant de proposer une petite diversion pour alléger l’atmosphère et surtout la peine qui semblait étreindre la jeune elfe. De ce qu’il avait appris au contact des animaux, ils avaient ce don, presque inné, du moins quand ils étaient vos alliés, d’apporter du baume au cœur même dans les situations les plus noires.

– Comment s’appelle-t-il ? Il a l’air bien mignon. Je ne m’y connais pas en toutes les espèces… mais moi aussi j’ai quelques liens avec des compagnons à quatre pattes, ajouta-t-il avec un petit clin d’œil.

Il était assez connu qu’il avait quelques chèvres à son actif. Quand il avait annoncé, à leur arrivée sur l’archipel, vouloir se retirer en retraire avec ses chèvres, cela avait fait grand bruit. À tel point que ses chèvres étaient presque devenues plus célèbres que lui. Il eut alors l’idée de demander à Oloreä de se montrer. La magnificence de la créature pourrait apaiser, peut-être, quelque peu l’esprit agité de Kyla. Il leva alors le rabat de son sac, croisa deux perles blanches, et l’enjoignit, à gestes doux, à se montrer quelque peu. Même si, timide qu’elle était, Oloreä n’accepta que de sortir la tête…

– Voici notamment une amie qui m’accompagne dans de nombreux voyages. Je vous présente Oloreä. Oloreä, je te présente Kyla.

Il leva les yeux sur l’elfe, et ajouta, presque en un murmure :

– La fille de mon frère.




*flamme vivante en elfique/althaïen, titre d’Aldaron, célèbre en multiples factions

Kyla avait refusé de prendre la main d’Ilhan, mais il avait su néanmoins lui arracher un faible sourire. Elle avait reconnu le geste de l’Althaïen, un signe qui se voulait empli de bienveillance. Le conseiller ne lui voulait pas de mal, c’est ce qu’elle croyait honnêtement. Elle voulait la vérité, et c’est ce qu’il lui donnait en sachant que ses mots la chavireraient.

Il y avait beaucoup à digérer et je ne faisais pas référence à la nourriture! Kyla avait du mal à croire que c’était le Prince Noir qui avait vampirisé son père. Elle avait du mal à imaginer les circonstances menant à cela… Était-ce réellement la malchance qui avait frappé Siel? Honnêtement, la jeune femme ne connaissait Aldaron que par les rumeurs qui couraient sur lui. Sa rencontre avec l’elfe remontait à de nombreuses années de cela et pouvait-elle considérer qu’il s’agissait de la même personne après sa vampirisation? Avait-il retrouvé ses souvenirs? Elle ignorait pratiquement tout de lui… à l’exception qu’il était un mage à la puissance exceptionnelle. Elle arqua un sourcil, étonnée. Rares étaient ceux qui pouvaient se vanter d’un tel exploit, mais c’était la vérité si Ilhan le disait.

Elle était restée silencieuse, pensive. Elle voulait le croire, mais en avait du mal. Ce que le conseiller disait faisait du sens. Si Aldaron Elusis était en effet un mage exceptionnel, il aurait été en mesure de soigner son père s’il avait vu. Mais était-ce qu’il ne pouvait pas ou qu’il ne voulait pas? Kyla n’aimait pas beaucoup les vampires. Ses antécédents d’elfe n’aidaient pas, mais elle se rappelait d’eux comme étant une race menteuse et fourbe! La cicatrice le long de sa jambe gauche témoignait de la traîtrise des vampires lors de la Bataille de l’Aube Rouge.

« Je vous crois. Mais je ne pourrai tourner la page que lorsque j’aurai vu le Prince Noir pour lui en demander sa version des faits. » Un long soupir quitta ses lèvres. « Mais vous avez raison. Si j’avais été là, j’aurais été fort probablement impuissante… Et j’en aurais certainement perdu la vie. » Lâcha-t-elle. Elle pensa à sa mère qui aurait fait face à deux disparitions plutôt qu’une.

Ilhan l’extirpa de ses sombres pensées lorsqu’il la questionna sur son panda roux. « Oh! Lui? C’est Jack! C’est un panda roux. » S’exclama-t-elle en prenant le petit animal d’une main. « Jackyldar, je te présente Ilhan. Ilhan, Jackyldar. » Dit-elle. La jeune femme semblait avoir retrouvé son entrain. Ses yeux brillèrent lorsqu’elle vit le petit chat. Elle approcha doucement sa main afin que la féline la sente. « Bonjour Oloreä. » Dit-elle doucement. Elle ne comptait pas la flatter si s’approcher davantage, car elle voyait bien que la petite bête était craintive. « Sache qu’on ne te veut aucun mal. » Murmura-t-elle presqu’en même temps que le murmure d’Ilhan. La fille de mon frère… Cette phrase aurait dû lui apporter des frissons, mais il n’en fut pas le cas. Elle l’accepta tout bonnement. La magie des animaux s’opérait sur elle. « Voici Jack et Ori. » Poursuivit-elle.  

Kyla finit par détacher son regard d’Olorëa pour regarder Ilhan. « Je dois vous remercier. Sincèrement. » Lui dit-elle. Elle avait toujours beaucoup de questionnements concernant Siel, mais ses pensées étaient plus claires depuis. « Tant qu’à être ici, que diriez-vous qu’on aille visiter Cordont? J’avoue qu’un peu de compagnie rendra les découvertes certainement plus intéressantes. » S’enquit-elle.