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descriptionCe qui nous lie [Ilhan, Shyven & Aldaron] EmptyCe qui nous lie [Ilhan, Shyven & Aldaron]

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20 septembre 1764

Cette immense caisse était magnifique. Les artisans elfiques venaient de la terminer. Il ne restait plus qu’à l’enchanter et à y charger munitions et vivres et les Erlië seraient fins prêts pour l’expédition à mener sur les terres gelées de Nyn-Tiamat. Trouver ce portail serait un voyage périlleux, il en avait bien conscience. Si bien que lorsque ses enfants avaient réclamé à venir, il avait tout d’abord refusé. Face à leur insistance, même s’il se doutait que Sorel était plus là pour dompter des animaux dangereux que pour servir le Royaume, il avait accepté qu’ils viennent et avait par conséquent convié Nessraya à se préparer. Ils n’avaient aucune idée de ce sur quoi ils allaient tomber. Une seule chose était certaine et tous les graärh étaient unanimes là-dessus : l’inlandsis était une terre des plus hostiles. Chaque animal et chaque morceau de glace voudrait leur peau. Alors Nahui était indispensable.

D’où cette caisse. Pour que Nahui puisse transporter tout le monde en s’évitant ainsi les pertes sur le trajet. Ce serait bien assez dangereux une fois sur place pour qu’ils épuisent leur force en amont pour traverser le blizzard. Cette caisse était magnifique, tant, qu’Ilhan serait en admiration, lui qui savait combien il était malaisé d’assembler ces bouts de bois convenablement. Un sourire en coin, l’Ast capta le souvenir de cette prodigieuse caisse et le cristallisa dans de la cendre qui prit alors l’apparence de l’aerocaisse, et ses élégantes poignées à dragons… Mais en format miniature. Voilà, ce serait pour Ilhan. Les deux hommes avaient prévu de se rencontrer et bien qu’une distance importe sépare Cendre-Terre de Caladon, Ast n’aurait aucun mal à faire appel au Passeur de jadis pour être à ses côtés à l’heure convenue. Heure convenue, oui. Disons qu’après la petite visite d’Aldaron dans le bain au savon de rose et de magnolia d’Ilhan, ils avaient défini d’un commun accord qu’il serait préférable de convenir d’un horaire où Ilhan ne serait pas dans une posture indélicate.

Le salon de jardin, à la décoration résolument althaïenne, témoignait sans détour de qui habitait en ces lieux. Si l’emprunte d’Autone ne faisait pas défaut, le raffinement d’Ilhan apportait sa touche d’élégance, à n’en pas douter. Evidement, son hôte avait le sens de la courtoisie et la thé était servi à une table sobrement décorée. Le jardin, parfaitement entretenu,  était un régal autant pour les yeux que le nez. Le doux clapotement de l’eau dans la petite fontaine rendait le décor, en ces prémices d’un doux automne, si bucolique et reposant. Il serait bien resté ici aussi longtemps que possible, pour se ressourcer. S’il s’apprêtait à saluer son fils, la silhouette de plus en plus grande (mais toujours aussi rose) de Shyven le surprit. Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle soit là mais l’impromptue présence était plus que plaisante. « Shyven ! Je suis heureux de vous revoir ! » S’en suivit une multitude de ‘Oh Lié, dis-lui qu’elle est merveilleuse !’, ou de ‘Elle est si sucrée…’ ou de ‘Dis-lui qu’elle me manque terriblement’ et autre acabit, qui vinrent comme un bélier assaillir son lien télépathique en provenance de Nahui.

« Vous manquez beaucoup à Nahui. Elle me dit de vous dire que vous êtes merveilleuse, resplendissante, grandiose, pareille à un chef d’œuvre que nul artiste ne fut jamais capable de forger. Que vous… Oh mais enfin ! » Il y en avait trop et Aldaron n’était pas un pigeon voyageur, surtout quand il s’agissait de transmettre de vive voix autant d’émotions alors il transmit télépathiquement tout le flot incessant de mamours mielleux à l’Opale. Sans faire le tri ni en intensité ni en cohérence. Nahui venait vraiment d’appeler Shyven ‘ma petite bavette en sucre’ ? Bon soit, venant de sa Lié, c’était sans doute aucun un très beau compliment. Il en profita pour étreindre (enfin !) son fils. Le retrouver lui faisait toujours autant du bien, et le Prince Noir commençait à laisser plus amplement derrière lui son deuil et son veuvage. Il avait avancé, un tant soit peu, et ses enfants étaient le pilier fondateur de cette renaissance. Evidement il lui donna son cadeau : la petite aerocaisse cristallisée et le souvenir de sa réalité. « J’attends évidement tes conseils d’expert pour l’améliorer. » railla-t-il.

descriptionCe qui nous lie [Ilhan, Shyven & Aldaron] EmptyRe: Ce qui nous lie [Ilhan, Shyven & Aldaron]

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En bonne dragonne libre qu’elle était, Shyven s’était déplacé parce qu’elle avait eu l’envie de voyager, et aussi parce que ses intérêts la menaient encore une fois vers Calastin. Non pas qu’elle appréciait particulièrement tous les bipèdes-sans-poils – elle avait d’ailleurs particulièrement fait attention d’ostensiblement bouder les territoires de cet « Empire-de-pacotille » qui avait maltraité les siens, sous les bonnes recommandations de ses amis-sans-poils –, mais il fallait admettre qu’elle en appréciait un en particulier.

Ceux qui connaissaient bien Shyven aurait trouvé facilement son nom, mais en vérité il s’agissait vraiment d’un secret de polichinelle : elle s’était rendue dans la nouvelle maison d’Ilhan Avente pour une petite visite de courtoisie – parce que sa nouvelle caverne-avec-des-meubles-dedans méritait une appréciation draconique –, mais aussi pour bavasser de choses et d’autres : il allait être question entre autre de Conseil des Mages, toujours un peu, de Lien – Ilhan avait d’ailleurs convié Aldaron aujourd’hui à ce sujet – et de son nouvel habitat sur Calastin – après le rendez-vous avec Aldaron, donc –.

Mais en vérité, ces quelques sujets étaient à l’ordre du jour mais cela faisait longtemps que Shyven n’avait plus vraiment besoin de « raisons particulières » pour fréquenter Ilhan. Après tout, elle était une dragonne, et son caractère faisait qu’elle aimait bien s’imposer – gentiment, mais parfois pas – quand elle voulait quelque chose. Sûrement le côté impérieux de sa lignée qui ressortait, mais à dire vrai, de sa courte année à observer tout types de dragons, Shyven en avait conclu que c’était quelque chose de commun pour tous les semblables de sa race.

Ainsi donc elle s’était annoncée en grande pompe, et avait rugi un bon coup (au grand déplaisir des pauvres chèvres d’Ilhan qui n’avaient rien demandé mais qui avait probablement eu droit à la frayeur de leurs courtes vies de proies d’animal) avant d’atterrir dans le jardin d’Ilhan, ajoutant une « petite » touche de rose bienvenue au grand jardin raffiné de son ami.

Shyven taquinait Ilhan, bousculait un peu son train-train quotidien de cette façon … Au fond d’elle elle savait même qu’elle faisait peut-être un peu sortir de ses gonds son côté un peu maniaque … Mais elle apportait de l’équilibre dans sa personnalité ! Et surtout, elle lui rendait bien toutes ses petites plaisanteries en l’honorant de sa merveilleuse présence (en toute modestie).

Ainsi donc ils avaient déjà pu discuter de choses et d’autres, et alors que Shyven allait porter son museau sur un arbre fruitier composant le jardin d’Ilhan, elle sentit la Trame se courber autour d’elle, et ainsi apparu d’une fissure le Prince Noir des Vampires, en vérité fort approprié pour cet endroit. Peut-être était-ce dû à son passé d’elfe, mais elle trouvât qu’Aldaron était peut-être la pièce manquante à ce jardin. Si Shyven n’avait jamais connu ce dernier autrement qu’en vampire, elle se doutait qu’il ne devait pas avoir perdu de son charme ni de son raffinement de l’époque où il eut été un elfe. En conséquence, il trouva une bonne place dans ce jardin.

Le Lié-de-Nahui passa un peu de temps à observer les alentours, découvrant lui aussi certainement cet espace plein de délicatesse, puis il observa Shyven, qu’il ne s’attendait manifestement pas à voir au vue de son air surpris (à dire vrai, il est vrai que Shyven avait plus ou moins imposé sa présence ici), mais les salutations furent tout de même plus que cordiales. Shyven lui rendit bien :

« Je suis aussi heureuse de vous revoir, Lié-de-ma-blanche-adorée. Comment se porte-t-elle d’ailleurs ? »

S’ensuivit un long laïus d’Aldaron qui furent les mots de Nahui, avant que celui-ci ne se décide à transmettre le flot télépathique de pensées amoureuses qui devait sans doute inonder le vampire. Shyven embrassa chacune de ses pensées avec affection, veillant à rendre à chacune d’entre elle l’affection qu’elle méritait, et enfin il émana un petit grognement qui ressembla à un rire de sa gueule. Elle était bien désolée pour ce pauvre Aldaron qui avait bien pris quelques minutes de son précieux temps pour faire le transmetteur de sentiments, mais quelque part elle trouvait cela amusant.

Elle laissa le père et le fils à leurs retrouvailles, attendant patiemment que chacun se soient dis un mot, et une fois qu’ils eurent finis, Shyven se permis de prendre la parole à l’attention d’Aldaron (mais veillant tout de même à ce qu’Ilhan puisse entendre ses pensées) :

« Je suis presque désolée de m’ajouter à votre rencontre, mais j’avais envie de passer voir Ilhan. Il m’a dit que vous alliez venir, alors je suis resté. Cela faisait longtemps que je ne vous avais pas vu, et d’autant que j’aurai aimé vous consulter pour disons … Un petit … Problème ? Du moins nous aurions aimé parler d’un petit quelque chose que nous rencontrons tous deux, avec Ilhan. »

Shyven courba sa tête vers son ami althaïen et fit :

« Mais peut-être que tu pourras en parler un peu plus ? »

La dragonne eut un petit sourire sur son visage. Elle pouvait évidemment en parler d’elle-même, mais elle apprécierait d’autant plus d’entendre ses quelques interrogations de sa bouche. Cela promettait d’être amusant.

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L’heure convenue avait sonné. Son père allait incessamment sous peu arriver. Ilhan venait de se changer, après une visite à ses chèvres, et un bon bain pour garder les senteurs de rose et de magnolia. Il lissait les derniers faux plis de son habit soigneusement choisi, cette fois tout de blanc vêtu et à la mode althaïenne des plus raffinées, pantalon immaculé tombant souplement sur ses hautes bottes noires et longue tunique au col montant légèrement ouvert sur le devant, qu’une ceinture large de soie ceignait pour souligner sa silhouette, certes petite, mais élancée et ses  formes masculines plutôt seyantes. Il contrôlait une dernière fois que son aspect était des plus présentables, quand un rugissement bien connu résonna dans tout le domaine Falkire-Avente.

Avec un fin sourire, et une petite pensée affectueuse pour ses pauvres chèvres sans doute apeurées, qui allaient bientôt rejoindre le haras extérieur à Caladon pour avoir plus de place pour courir et s’ébattre dans les courtes herbes de Calastin, Ilhan s’empressa de rejoindre la noble dragonne qu’il lui tardait tant de revoir. Ils avaient nombre de choses à discuter, mais outre cela… Outre cela, il ne pouvait cacher avoir envie de la voir, tout simplement, ressentir le besoin de sa présence, avoir la joie de sentir l’étrange sensation de ses écailles roses sous ses doigts, de savourer le contact de cet esprit draconique si supérieur sur le sien si petit en comparaison, de se sentir empli de sa présence, tout simplement, et du ravissement qu’elle lui procurait.

Leurs retrouvailles se teintèrent de joie partagée tout en pudeur et délicatesse, avant que bientôt fusent mille sujets sur lesquels ils avaient à échanger. Conseil des Mages, installation de ce dernier à Cordont, divers endroits trouvés pour un nid destiné à Shyven et rien qu’à elle, qui soit à l’abri des sbires anti-draconiques, certainement entre Caladon et Cordont, deux cités que Shyven voudrait sûrement garder près du museau… Ils en étaient là de leur palabre, quand un serviteur le manda pour quelques questions sur certains préparatifs. Ilhan s’absenta donc quelques instants, guère plus de quelques minutes pour tout avouer. Il finissait de donner ses dernières consignes sur la surprise qu’il avait prévue pour ses deux invités, quand magie titilla ses sens, une magie puissante qui ne se jouait pas dans la pièce de laquelle il sortait, mais qui vibrait et chatoyait depuis le jardin. De loin, du haut des marches menant au majestueux jardin, il aperçut son père apparaître dans toute sa majesté. Il s’arrêta un court instant en haut de cette petite esplanade et admira ces deux êtres qui lui tenaient tant à cœur.

Rapidement, il donna un Shan, un des serviteurs mi-althaïens qui l’avait suivi, des consignes en langue des signes, puis rejoint Aldaron et Shyven qui déjà échangeaient ensemble. Il dut se forcer pour ne pas les rejoindre de façon impatiente et pour garder un pas mesuré et faussement calme. S’il n’avait tenu qu’à lui, il se serait jeté dans les bras de son père et aurait enlacé les deux êtres de son affection tout entière. Mais il était Prince Consor, et surtout althaïen, il avait une certaine dignité à garder. Il peina toutefois à retenir un rire amusé, et fit maints efforts pour que ses lèvres n’esquissent qu’un sourire, de ce sourire énigmatique qui avait fait sa légende du temps fabusien, quand il arriva près d’eux et entendit les paroles savoureuses et mielleuses que son père transmettait à Shyven. Certainement de la part d’une certaine amatrice de bavette qu’il commençait à apprendre à connaître, même si de loin. Il avait rencontré Nahui quand elle n’était qu’un petit être tenant sous un manteau, mais avait eu peu d’occasions de faire plus ample connaissance ensuite, chaque fois qu’ils se retrouvaient au même endroit, tous deux ayant fort à faire.

Ce fut toutefois avec affection et surtout ferveur qu’il reçut l’étreinte de son père et la lui rendit en échange de tout son amour filial. Il se permit même de le retenir quelques secondes de plus que nécessaire, sans crainte de le blesser de sa maigre force sainnurienne, avant de devoir le relâcher, presque à contrecœur, au monde qui réclamait aussi son dû et voulait lui aussi profiter de la présence altière du Prince Noir. Si Ilhan était fier de leur jardin à Autone et lui, il devait avouer qu’y voir trôner son père et sa dragonne préférée lui faisait chaud au cœur et faisait chatoyer ce petit espace hors du temps d’un raffinement ravivé.

Jusqu’à ce que… Ilhan observa la petite caisse miniature, aux magnifiques poignées draconiques, que lui tendait son père, tel un cadeau. Il prit le cadeau, d’un air d’abord mi-dubitatif mi-amusé, avant de relever un regard faussement blasé vers son père.

N’en faites tout de même pas des caisses, Père, fit-il en un murmure aux accents des plus suaves.

Qui pour d’autres auraient pu résonner d’échos mortels, signe qu’il ne fallait pas trop titiller le Tisseur ou le Prince Consor, aussi magnanime puisse-t-il paraître. Il pouvait aussi se montrer redoutable, même si souvent dans l’ombre des alcôves où complots chuchotaient tout leur droit. Mais en cet instant, nul sentiment de cet acabit. Jamais il n’oserait ourdir complot ou agacement envers son Père, à qui il devait tant et à qui il aimerait tant donner aussi. Et il savait que son Père le sentirait parfaitement, lui empathe, et comprendrait que ce n’était là, entre eux, qu’un jeu, tels ceux qu’ils échangeaient antan.

Un court instant, à ces mots, à ces pensées, il se souvint du fameux gigot d’agneau que lui avait servi, sciemment, en un amusement certain, l’ancien Bourgmestre de Caladon quand il s’était rencontré à Cordont, après la première chute de cette pauvre cité, du temps où il était lui-même encore Conseiller de Delimar. Que leur relation avait évolué ! Et en si peu de temps ! Déjà ils partageaient nombre d’attraits, dont celui des complots… et celui de badiner avec ses adversaires/amis/alliés par mille petits gestes anodins et sourires charmeurs des plus taquins. Des goûts qu’ils partageaient toujours autant… mais c’était rajouter un lien filial plus fort et plus aimant. Ilhan laissa ses souvenirs dériver à la surface de son esprit, sans filtre, comme pour mieux les partager avec les télépathes en présence. Puis se força à revenir au temps présent.

Son sourire se fit plus tendre et se teinta d’un réel amusement qu’il ne chercha plus à cacher sous des faux-semblants, et sa voix résonna de nuances sincèrement chaleureuses.

–  Je suis en tout cas flatté, de voir que je vous inspire tant.

Il serra alors la petite caisse contre son cœur avant de la déposer sur une table, près des tasses de thé qui les attendait. Shyven intervint alors au bon moment avant que les effusions des souvenirs d’antan ne le happent totalement, et lui permit de revenir totalement au temps présent et à la raison, l’une des raisons du moins, de cette petite "réunion".

En effet, acquiesça Ilhan. Mais avant tout, je vous prie de vous mettre à votre aise.

Il désigna d’un geste un siège à Aldaron, ainsi qu’un espace aménagé spécialement pour la dragonne, aux contours dessinés d’un parterre de fleurs aux couleurs parfaitement assorties aux écailles magnifiques de la dragonne, et que de six arbres fruitiers de toute taille entouraient à portée de museau vorace qui pourrait avoir quelque fringale. Il avait confiance en la magie draconique pour que les arbres fruitiers n’en périssent pas pour autant et continuent à produire fruits en abondance.

Puis il fit quelques signes en langue des muets à ses serviteurs pour qu’ils apportent sa petite surprise.

Avant tout, permettez-moi de vous offrir, chère Shyven, un mets qui, je l’espère, sera à la hauteur de votre magnificence et de vos goûts draconiques.

Mets qui fut déposé devant la dragonne. Un mets… ressemblant à s’y méprendre à un gâteau géant. Il aurait presque pu s’agir d’un gâteau d’anniversaire, quand on songeait que le lendemain serait son propre anniversaire. Il ne manquait plus que les bougies pour fêter ses bientôt, dans une dernière course du soleil et de la lune, ses quarante-deux ans. Quarante-deux années… un âge si avancé... et si juvénile en même temps.

Mais nul besoin de festin, d’applaudissements et de somptueuse célébration, nul besoin de souffler des bougies ou de prononcer de beaux vœux, pour festoyer cette date autrefois fatidique. Cela faisait partie maintenant des échos de sa mémoire. Cette date n’était plus que du passé, qu’un petit ancrage dans le temps qui passe pour les autres mortels, une date à laquelle il n’allait plus "vieillir" et se conterait de décompter le sablier du temps, sans plus d’emprise sur son être ni sur son esprit... Non, cet instant lui suffisait et serait sa fête à lui, même s’il resterait dans le secret de son cœur.

Un gâteau à la pitaya, reprit-il, chassant ses pensées. Autant vous dire que ce mets fut des plus délicats à réussir, à la fois pour en trouver les composants…

Se fournir en pitaya dans cette région relevait de la gageure, tant et si bien qu’il avait décidé de tenter d’en lancer une culture par ses jardiniers, avec l’accord d’Autone.

Que pour parvenir à cuisiner un mets d’une telle taille.

Qui certes, n’était pas à la taille d’un dragon, mais atteignait tout de même, pour un "gâteau" des hauteurs inattendues, atteignant presque le tiers de la taille d’un homme. Enfin d’un homme althaïen, précisons…

Deux petites parts furent déposées également sur la table de thé, qui attendaient Ilhan et Aldaron. Après que tous prirent place et que le thé fut servi, Ilhan s’assit à son tour.

Je ne sais si vous pourrez y goûter par vous-même, Père. Si vous le souhaitez, vous pourrez en partager toute la saveur par mes sens.

Se disant, il prit une petite bouchée, ferma les yeux et se laissa envahir par les sensations qui palpitèrent en lui, se concentrant dessus, pour que l’empathe, à défaut de pouvoir peut-être en manger lui-même, puisse tout de même savourer ce met et manger de ce gâteau par la pensée.

Puis, une fois l’instant de délice passé et cette petite prémisse finie, Ilhan rouvrit les yeux. Ses traits se lissant soudain en un air des plus sérieux.

En effet, nous avions un sujet d’importance à soulever avec vous. Shyven…

Son regard coula vers la dragonne qu’il couva presque d’un regard qui chatoyait d’étoiles d’or.

M’a parlé d’un objet qui lui avait échu… et qui serait attaché au lien. Elle m’a fait part également d’une certaine… ressemblance avec le Tarenth lié et son dragon à qui cet objet aurait appartenu, et nous deux.

Il désigna Shyven et lui-même d’un vaste geste élégant.

Nul besoin de dire qu’une telle comparaison est des plus flatteuses.

Il pensa alors, tout ce qui lui avait traversé l’esprit lorsqu’elle avait évoqué cela, ses questionnements sur les réelles intentions de Shyven quand elle lui avait posé ces questions, savoir si elle lui proposait à demi-mot la naissance d’un lien ou non, ou si son esprit ne se faisait que des idées alambiquées dans un sursaut d’égo flatté… Il ajouta également ses pensées quant à un possible lien et une possible acceptation, si telle proposition se faisait réellement : la tentation était belle, somptueuse même, mais cela aurait été folie, pour elle, plus que pour lui. Outre son grand-père draconique, dragon de l’ire connu pour détester le lien, ce serait un risque trop grand pour elle. Se lier avec lui pourrait faciliter les desseins de certains. La tuer serait alors aisé, à travers lui, cible facile… Non, quand bien même elle lui aurait proposé, cela aurait été égoïste d’accepter. Pas tant que le lien risquait sa vie à elle… C’était là une de ses conditions ultimes. Lui, tout ce qui lui importait, était de partager avec elle, quelle qu’en soit la forme. Toutefois, comprendre le lien, oui, lui aussi voulait comprendre. Devait-on chanter les louanges du lien ? Il n’en savait rien personnellement. Mais il pensait qu’il était ingrat de le condamner pour autant. Pourquoi conduire au pilori des êtres qui n’avaient rien choisi ? Pour lui, compréhension pleine et entière était la clé avant toute chose.

Rien ne fut prononcé sur tout cela, tout ne fut que pensées. Mais auprès de ces deux êtres, cela suffisait amplement.

De nombreuses questions persistent au sujet du lien, ajouta-t-il à haute voix. Je lui ai dit vouloir l’aider à en comprendre plus sur cet objet, sur son histoire et tout ce qu’il cache. Même si je ne sais comment exactement. La question du lien est une question cruciale… Et qui de mieux que vous, pour nous éclairer sur ces points ?

Dernière édition par Ilhan Avente le Ven 8 Avr 2022 - 21:28, édité 1 fois

descriptionCe qui nous lie [Ilhan, Shyven & Aldaron] EmptyRe: Ce qui nous lie [Ilhan, Shyven & Aldaron]

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Une fois les taquineries passées, l’Ast s’installa à table bien qu’il savait qu’il n’y trouverait rien de bien fameux pour lui. Les saveurs lui étaient perceptibles mais elles se montraient parfois si fades, elles ne lui évoquaient aucune émotion comme jadis, lorsqu’il était encore elfe. Sans compter que la nourriture ne lui serait d’aucune utilité nutritionnelle, mais il avait pris l’habitude de suivre tout un chacun auprès d’une table à manger ou à thé, car c’était généralement en ce lieu que se tenaient des conversations. Shyven piqua sa curiosité avant de transmettre à Ilhan la charge d’expliciter leur problématique. Il se demandait sur quel point il pourrait leur être utile. Il était un homme qui, par le Marché Noir et par sa position princière, touchait à bien des domaines. L’aide qu’il pouvait apporter revêtait bien des formes mais Ilhan repoussa cet instant pour leur offrir un gros gâteau à la pitaya.

L’Ast eut un sourire en coin : Ilhan gâtait généreusement cette dragonne. Il savait aussi que demain serait un jour à fêter. « Je ne serai pas là demain pour te le souhaiter, alors… Un joyeux anniversaire Anarore. Puisse l’âge t’apporter plus de sagesse encore. » Il était bien âgé, pour un humain, mais face à l’éternité que lui avait offert l’immaculation, Ilhan avait la vie devant lui, et par conséquent l’opportunité d’apprendre jour après jour un peu plus. Il referma sa main sur la sienne, posée sur la table, pour la serrer brièvement afin d’appuyer son vœu. S’apaisant dans son assise devant le décor reposant, il prit une petite bouchée de sa part, sachant qu’il n’irait pas plus loin. Cela lui semblait avoir la texture de la cendre. Il percevait les différents acide et sucres, mais il ne percevait pas l’harmonie de l’ensemble. Ce ne fut que par la proposition d’Ilhan qu’il put percevoir avec ses sens combien ce met était délicieux.

Laissant les vivants profiter des bienfaits du gâteau, ses mires se reposaient sur le jardin, quand elles ne regardaient pas affectueusement son fils ou la dragonne à laquelle sa Liée offrait tant d’amour. Un silence en disait long sur le fait qu’ils se régalaient. Lui, il profitait du silence qui lui faisait un bien fou, en dehors de la politique, à Cendre-Terre comme ailleurs. C’était reposant. Il entendait la flore et la faune s’agiter, aux alentours, dans une mélodie que ses sens appréciaient. Cela lui rappelait, à moindre échelle, les jardins et forêts elfiques de l’ancien continent, sa plus tendre enfance, bien qu’elle ne fut pas si tendre. Alors qu’ils achevaient leurs assiette, Ilhan reprit la parole et il se demanda un bref instant si son petit repos de l’instant l’avait rendu stupide, car il ne comprit rien. Un objet rattaché au lien ? Quel Tarenth ? Quel dragon ? Quel était l’objet de la comparaison pour qu’elle fut flatteuse ? Et en quoi était-elle flatteuse ?

Il arqua un sourcil, perplexe, manifestant très clairement qu’il ne saisissait pas un mot de ce dont on lui parlait. Devait-il être au courant de quelque chose qu’il ignorait pour qu’il se sente à ce point à côté de la plaque ? Il sentait en surface qu’il semblait être question d’une union entre Ilhan et Shyven, mais ça ne lui expliquait pas davantage ce qu’il venait de lui dire. Peut-être aurait-il pu creuser par télépathie, de quoi il était question, mais il n’aimait user à outrance de son don, à plus forte raison qu’ils étaient paisiblement posés dans un jardin, au calme, en famille. Il était certain que leur échange pouvait se formuler par des mots plus que par des devinettes.

« Quel est cet objet ? » demanda-t-il à Shyven. « En quoi puis-je vous aider, à propos du Lien ? C’est un sujet à la fois extrêmement vaste par sa nature et très restreint en termes de connaissance à son sujet. Je pense effectivement être la personne qui en sait le plus à ce sujet, de tout l’archipel, alors je ferai de mon mieux pour vous aider. Dites-moi ce qui vous questionne ? »

descriptionCe qui nous lie [Ilhan, Shyven & Aldaron] EmptyRe: Ce qui nous lie [Ilhan, Shyven & Aldaron]

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Il ne fallut que peu de temps pour que les trois êtres se retrouvent au sein de ce fabuleux jardin qu'était celui de la maison d'Ilhan. Et si Shyven avait à cœur de partager quelque chose avec Aldaron, Ilhan fit durer le plaisir, en leur faisant d'abord amener de quoi sustenter les papilles des trois convives.

Un grand gâteau à la pitaya fut présenté à Shyven, et elle accorda un grand sourire d'approbation à Ilhan : tant pour son goût sucré et par l'étrange affinité qu'elle semblait avoir développer avec ce fruit depuis le début de son existence, cette - pas si - petite attention la touchait tout particulièrement. Encore plus quand elle sut de la bouche d'Ilhan que cela avait été compliqué de lui faire faire à plusieurs titres.

"Je suis tout à fait honoré de ce présent Ilhan, et encore plus si ce fut un défi pour vous ! Cela me touche que vous pensiez à moi de cette façon." fit la dragonne, le sourire aux lèvres, et venant mettre un léger coup de tête sur l'épaule d'Ilhan pour témoigner de son affection.

"Mais si je comprends bien, ce serait plutôt à moi de vous trouver un présent pour ces prochains jours, comme le veut votre coutume !"

Shyven glissa un regard à Aldaron qui avait ainsi souhaité l'anniversaire de son fils en avance. Certes, la présence de Shyven parmi eux était déjà un cadeau en soi, mais il fallait peut-être que pour cette fois, l'opale fasse un peu plus d'effort qu'à l'accoutumée. Cela aurait été de bon ton.

"J'y réfléchirai. Mais j'ai comme une petite idée." Fit-elle avec un brin de malice dans les yeux. Oh oui, Shyven avait des idées derrière la tête. Mais peut-être allaient-ils pouvoir en parler ensemble dans les instants qui suivirent.

Se faisant, la dragonne n'y alla pas par quatre chemins, et croqua dans ce grand gâteau qui lui était confié. Un met excellent a n'en pas douter, qui régala les papilles de la dragonne. En vérité, elle fut presque triste de le manger toute seule ...

Manger quelque chose de sucré, et passer du bon temps en même temps, c'est quelque chose qu'elle aimait bien faire avec Nahui par exemple. Alors elle glissa quelques mots à la dragonne par l'intermédiaire de l'esprit d'Aldaron : elle aussi elle lui manquait, et elle aurait aimé qu'elle puisse goûter à ce formidable met ! Se reverraient-elles bientôt ? En tout cas Shyven ferait tout pour voler vers Nyn-Tiamat une fois que ses affaires en Calastin furent terminées.

Mais bien qu'elle tînt à la blanche-liée comme à la prunelle de ses yeux, ce n'était pas vraiment le sujet de la conversation du jour.

Aussi, une fois qu'elle eut terminé son grand croc qu'elle avait pris dans le gâteau au fruit du dragon, son attention se recentra sur la conversation. Si Ilhan avait commencé à exposer la situation, Aldaron, même s'il était grand telepathe, avait sans doute besoin qu'on explicite un peu plus les questions et les problèmes qui venaient aux esprits complexes, qu'étaient ceux de la dragonne et du Tisseur. Les questions du Prince noir ne tardèrent d’ailleurs pas trop à venir :

« Quel est cet objet ? En quoi puis-je vous aider, à propos du Lien ? C’est un sujet à la fois extrêmement vaste par sa nature et très restreint en termes de connaissance à son sujet. Je pense effectivement être la personne qui en sait le plus à ce sujet, de tout l’archipel, alors je ferai de mon mieux pour vous aider. Dites-moi ce qui vous questionne ? »

Shyven pris un instant pour s’étirer de tout son long, quittant le museau du gâteau, et coula un nouveau regard vers Aldaron pour un peu plus en dévoiler sur leurs préoccupations :

« Je porte sur moi cet objet. » Fit Shyven, avant de lever sa patte avant gauche vers le bipède-pâlot. On y voyait alors un bijou sous la forme de griffe qui semblait épouser la patte de la dragonne : faite de mithril et d’argent, le fin ouvrage sur lequel il était inscrit des runes – venant probablement d’un langage Tarenth – brillait à la lumière du soleil qui dardait sur le jardin.

Le Prince Noir pouvait tenir la patte de Shyven pour mieux observer l’objet s’il le désirait, elle le lui permettait. Quelques secondes d’observation passèrent, et Shyven précisa :

« Son nom m’est venu à mi-chemin comme une vision et une apparition, comme si la mémoire draconique avait fait refait surface à son sujet soudainement : la Scala OrdenKaos. De ce que j’ai pu comprendre, c’est un objet très ancien, ayant appartenu à un être Tarenth, qui s’était lié avec un très très très lointain ancêtre dragon. Je n’ai toutefois pu voir que son histoire en fragment, mais me semble-t-il que le destin fut plus ou moins funeste pour lui. »

La dragonne rose prit un instant de pause, afin qu’Aldaron puisse réfléchir à la question, avant de compléter :

« J’ai retrouvé cet objet il y a quelques semaines, dans le récif des tempêtes. Cela vous paraîtra peut-être étrange à tous deux, mais j’avais la sensation qu’il … M’appelait ? Je recevais des visions qui m’ont amené jusqu’à lui. Ses pouvoirs que j’ai pu apprivoiser semblent étrangement liés aux … Lien, justement, aux bipèdes et à l’équilibre. Elle me permet entre autres de marquer un bipède, et d’interagir avec eux un peu comme vous le faites avec Nahui, Aldaron. Avec de légères différences bien sûr, elle ne me permet pas de créer un Lien à proprement parler avec plusieurs personnes … Mais voilà. Je peux savoir où sont les bipèdes marqués, leur parler … Mais aussi maudire ou bénir certain d’entre eux. En bref : c’est un objet complexe, et j’espérais que de part votre grand savoir, vous puissiez m’orienter sur ce qu’à vécu cette griffe avant de s’échouer dans le Récif des Tempêtes. Car mise à part son histoire très ancienne et ses pouvoirs … Des pans de son histoire semblent encore m’échapper. »

Bien évidemment, s’il le souhaitait, le Prince Noir pouvait porter son attention sur l’objet et essayer d’en déchiffrer les runes, où l’observer de son œil de maître-mage. Peut-être qu’à la lumière de ses explications et de son œil de bipède, il verrait des choses que Shyven n’avait pas vu de ses yeux de dragon.

« Pour ce qui est du Lien, eh bien … » Shyven arqua sa tête, pour bien choisir ses mots sur ce qui allait suivre : « Je ne voudrais pas vous refaire toute l’histoire, mais voyez-vous, cela fait … Longtemps, que je me sens assez proche d’Ilhan. Nous nous sommes vus souvent, avons construit des choses ensemble, nous avons appris à nous faire confiance, à discuter longuement, à nous apprécier … Bref, il y a quelque chose de particulier entre nous. Je le sais, et vous le savez, tous deux. »

Shyven eu un petit sourire espiègle, avant de couler un regard vers l’althaïen, et le Prince Noir, avant de continuer son petit exposé :

« Tant et si bien que je pense que j’aurai aimé … Explorer les possibilités du Lien avec lui. » La Dragonne d’Opale posa son annonce ainsi, et une fois que quelques secondes passèrent, elle reprit : « Nous y avons alors réfléchi tous deux, c’est une possibilité qui nous enchanterait … Mais vous n’êtes pas sans savoir que quand on se lie, c’est à la vie, et à la mort. Le Lien est une formidable aventure, mais aussi dangereux à bien des aspects. Et je pense que ni Ilhan, ni moi-même, n’avons envie que l’un ou l‘autre ne suive dans la tombe, s’il devait nous arriver malheur à l’un comme l’autre… Alors au regard de ce que vous avez fait à l’enterrement de mon Père … Je, Nous, nous demandions s’il n’était pas possible d’avoir votre savoir, et votre aide sur la question. »

Shyven posa ses yeux sur Aldaron : cela lui convenait-il un peu mieux comme entrée en matière ? S’il le désirait, elle pouvait à nouveau expliquer des choses. Mais dans sa tête, là reposait l’essentiel du problème.

Sans dire mot supplémentaire, Shyven porta à nouveau sa tête sur le gâteau, et y croqua un nouveau croc, attendant patiemment les réflexions et réponses de ses deux partenaires bipèdes du jour.

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L’objet était assez impressionnant et d’une facture que le dirigeant du Marché Noir reconnu bien vite. Ce n’était ni les humains, ni les vampires ou les elfes qui étaient à l’origine de cela : il s’agissait des Tarenth. Pour un novice, cela aurait pu paraitre elfique, mais l’Ast n’avait rien d’un novice en matière de reliques. Il avait trouvé beaucoup, retrouvé plutôt. Il en avait revendu un certain nombre aussi : son organisation brassait bien des trésors impressionnants mais celui-ci ne passa pas entre ses mains. « La Scala OrdenKaos… » prononça-t-il dans un murmure bas et pourtant audible pour un sainnûr et un dragon. « Oui, cela me vient aussi ainsi. » Mais pas de la mémoire draconique, pour sa part, cela lui venait de sa Couronne de Cendres, et avec elle, les souvenirs des dragonniers de jadis, lui soufflant quelques chuchotements lointains pendant que Shyven poursuivait jusqu’à parler du destin funeste de son créateur. Le regard du dragonnier semblait flou, à la fois en train d’observer la griffe magique, et à la fois en train de parcourir la mémoire du créateur. « Il est mort, oui… Enfin je crois. Il me semble comme Achroma : il est mort, car j’ai ses souvenirs, mais sa mémoire semble encore s’écrire, tel un faible balbutiement. Mort, mais pas réincarné, depuis tout ce temps. Je crois qu’il erre. »

Il releva son regard sur la dragonne, l’entendant parler du récif des Tempêtes et cela ne collait pas puisque les Tarenths avaient vécu en Ambarhùna. Il y avait donc eu une autre main. Une main moins chaotique. La voix de Shyven semblait lui venir comme un écho alors qu’il revoyait le désert d’Esfelia, et la silhouette d’un vieil humain qu’il voyait à travers les yeux d’un autre, mage à en juger par l’empreinte laissée sur l’objet. Il se laissa happer par l’histoire post-mortem de Kaos, suivant la griffe par-delà les flots. L’ordre et le chaos, un équilibre précaire… Alors il n’était pas très étonnant que Shyven fut appelée. Mais il fut interrompu par le laïus de Shyven à propos de sa relation avec Ilhan. Perplexe quant à cette formulation, l’Ast arqua un sourcil et se para un sourire en coin : « Il est déjà marié, vous savez. » railla-t-il vu comme la situation ressemblait comme deux gouttes d’eau à une demande de la main de son fils. « Je crois bien que vous briseriez le cœur de Nahui, de surcroît. » Et ça, ça allait être vraiment très insupportable pour lui. Il savait néanmoins qu’il n’était pas question d’une relation amoureuse, mais la formulation prêtait à le penser. Il la laissa poursuivre.

Ilhan dragonnier. Voilà qui allait mettre un terme à son histoire d’amour avec le tueur de dragon. Et aux yeux d’Aldaron, ça n’était franchement pas un mal. Toutefois, en son for intérieur, il était triste que les deux veuillent d’un Lien à ce point altéré. Il était certain que les sermons du ronchon rouge avaient à voir là-dedans ou tout simplement le traumatisme infantile de Shyven qui avait vu son propre père dépérir après la mort d’Achroma. Il perdit un large pan de son sourire, si ce n’était la totalité, pesant chacun des mots qu’il allait prononcer. « Je pense effectivement pouvoir vous aider, bien que j’ignore exactement comment. Naal du Néant et Claudius de Havremont ont mis à mort tant de dragons et de dragonniers, directement ou indirectement, que je n’ai pas eu véritablement de matière pour étudier la question, comme je l’évoquais aux funérailles de votre père. Quant à celui-ci qui m’est à disposition, à savoir, celui qui me lie à Nahui… Nous n’envisageons pas d’en changer la moindre règle. Car nous ne voyons pas les choses comme vous, ou votre grand-père, Shyven. »

Ses lèvres se scellèrent, tandis qu’il reformulait dans sa tête ce qu’il allait prononcer, essayant de ne leur transmettre aucun jugement qu’il pensait, en son for intérieur, et qui le rendait si triste. « Je crois aussi que modifier le Lien ne sera pas sans conséquence. Vous comprenez l’équilibre sûrement mieux que moi, Shyven, et en toute chose, en toute relation, nous ne pouvons accepter que le bon et délaisser les mauvais. Ce qui fait qu’un Lié meurt quand l’autre trépasse, c’est qu’ils sont attachés par l’âme. Une fusion d’âme comme le produit le Lien, ne peut laisser l’un vivre si l’autre meurt, sans faire ce que j’ai fait pour que votre père rejoigne la Roue de la Réincarnation… A savoir trancher le Lien. » Il les regarda tout deux, alternativement. « En d’autres mots, cela signifie que pour mettre un terme à la mort d’un Lié quand l’autre trépasse, il faudra que j’écrive dans les... ‘’Règles’’ de votre Lien que la mort de l’un d’entre vous entrainera la destruction du Lien. Et vous vous doutez bien que cette action terrible engendrera forcément des dégâts importants au niveau de l’âme même de celui qui survivra. Les rares cas qui nous ont été donnés d’observer font état d’une dépression profonde et incurable, voire d’un état de stupeur pérenne ou d’une folie mêlée d’agressivité. »

Et il ne souhaitait cela pour aucun d’entre eux. Son cœur se serrait et sa gorge aussi. « Peut-être qu’une réécriture complète de l’âme du survivant, telle que je peux le faire ou tel qu’un baptistrel pourrait le faire, permettra à celui qui survit de continuer à vivre… Sans le souvenir douloureux de l’autre. Vous ne serez jamais plus les mêmes, l’âme nettoyée de l’autre… Alors, il y a peut-être de l’espoir pour le survivant… Vous devez comprendre que l’Âme est profondément réformée par le Lien pour permettre une telle symbiose. Si c’est d’elle que vous rêvez, alors il vous faut accepter que cela transforme votre âme à tout jamais et que contrairement à ce que pourraient penser ceux qui ont perdu un Lié proche, il y a bien pire que dépérir de tristesse jusqu’à en mourir… Car mourir devient une délivrance, une fin, là où vivre rend cela éternel. Il y a bien pire que mourir… ça je puis vous l’assurer. Mourir, c’est la solution la plus douce et celle à laquelle nous avons accepté de nous résoudre, avec Nahui. »

Il posa son regard sur la griffe de Shyven, pensif : « Cette décision vous appartient, à tous les deux… Dans tous les cas, si vous vous liez, sachez que quoi que nous fassions par la suite, le mal sera déjà fait… Si je peux m’exprimer ainsi. Tout ce qu’on peut faire ensuite, c’est d’essayer de choisir combien de temps souffrir, car ce sera jusqu’à la fin de votre existence en tant qu’Ilhan Avente et Shyven. Nous ne pourrons que décider de précipiter la mort ou non. Je pense qu’il n’y a rien que je puisse changer d’autre… Car c’est justement le Lien dans ses fondements qui accroche les âmes entre elles et les fait vivre en symbiose… En équilibre, comme l’Ordre et le Chaos, d’ailleurs. » Il marqua une pause, car cela faisait déjà beaucoup : « Quant à votre griffe… Oui, je pourrai vous parler d’Ordos et Kaos, mais je crois qu’ils viendront à vous, car vous avez cette griffe et qu’ils y sont liés eux aussi. Alors vous pourrez leur demander directement, sauf si vous préférez le savoir en amont. »

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À la petite blague de son père sur le mariage, Ilhan ne put retenir un sourire. Mais, au final, le lien ressemblait fort par certains aspects à un mariage. Certes différent, certes inaliénable, mais il y avait quelques similitudes avec un mariage d’amour et non de pur intérêt. Deux êtres décidant de se lier ensemble, car ils ressentaient comme un écho en la présence de l’autre. Cela avait été le cas, en quelque sorte, avec Autone, et s’il n’avait jamais songé à se remarier, il devait avouer que son "lien" avec Autone s’était noué tout naturellement. Tout comme le "lien" avec Shyven se formait aussi.

Même s’il avait parfaitement conscience qu’un lien draconique, tel qu’il en était soudain question, était différent sous d’autres points : un lien normalement indéfectible, un lien à la vie à la mort, un lien sans aucun secret, où tout serait révélé même leurs plus terribles ombres, leurs bons comme leurs mauvais attraits. Rien ne pourrait être caché à l’autre, un lien qui ferait du lié dans tout son esprit un hôte. Un lien qui allait bien plus loin encore qu’un mariage. Bien plus loin que tous les liens qui pouvaient unir les bipèdes à leur semblable.

Un lien qui aurait aussi de fortes répercussions, auxquelles il avait longuement songé. Que ressentirait Autone justement à ce sujet ? L’accepterait-elle ? Même si une telle décision ne lui revenait pas vraiment, avoir son avis, son aval, aurait été précieux pour Ilhan. Si elle refusait toutefois, refuserait-il le don, le précieux cadeau, que Shyven voulait lui offrir ? Refuserait-il de répondre à cet appel auquel toute son âme semblait vouloir répondre ? Sans doute que non. Mais si cela devait détruire sa famille, cela le ravagerait aussi. Il doutait cependant qu’Autone le force à refuser quoique ce soit, ou ne le lui reproche réellement. Ou même si tel était le cas et que reproches se feraient, cela ne durerait sans doute pas, il en avait l’intime conviction. Sa femme était liberté incarnée et ne serait pas du genre à vouloir mettre aux fers son mari en lui refusant un autre lien, quand bien même ce dit lien aurait tant d’impacts…

Mais s’il pouvait avoir la conviction et être rassuré de ne pas perdre sa famille, il en était tout autrement de certaines autres attaches qui lui étaient chères. Il savait, au plus profond de lui, même s’il l’avait tu jusque-là, préférant rester pour un temps dans le déni, que se lier avec Shyven signifierait rompre son amitié, son amour, avec Naal. Naal tueur de dragons, Naal fervent résistant au lien, peut-être plus même qu’un certain dragon de l’ire. Naal… Rien que l’idée de le perdre faisait saigner son cœur. Pourtant… Il ne pouvait renoncer à Shyven. Il le sentait, cet appel était plus fort que tout. Ce qui se jouait entre eux allait au-delà de tout, même de Naal. L’althaïen continuerait de chérir l’almaréen dans son cœur, dans le secret de son âme, même s’il ne pourrait plus partager tant de moments avec lui, ni même le revoir. Et il était également persuadé que, même si Naal lui en voudrait peut-être, il continuerait aussi de le chérir en partie aussi.

Oui, cette décision aurait des impacts. Et pas des moindres. Mais… tel était peut-être son, leur, destin ?

Il sentit toutefois que cette demande d’un possible lien "changé" semblait… perturber son père ? Non, cela allait plus loin qu’une simple perturbation. Même s’il n’osait demander à Tela de lui souffler plus avant les sentiments qui agitaient l’Ast en cet instant, ni demander à son dauphin de lui en révéler plus. Il devinait toutefois que pour un lié vivant pleinement son lien et l’acceptant comme tel, cette demande n’avait rien d’anodin. Pour Ilhan quant à lui, même s’il était prêt à accepter le lien pleinement sans condition, la simple idée que sa possible mort, lui cible si facile, puisse entraîner celle de Shyven, le rendait nauséeux et lui insufflait une peur sans nom. Il s’en voudrait d’être la cause de la mort d’un autre dragon, même si de façon indirecte. Il ne voulait en outre pas que Shyven soit obligée de choisir entre lui et sa famille, entre lui et son grand-père surtout, si farouchement opposé au lien. Certes, ce changement proposé ne suffirait peut-être pas à faire accepter la chose au dragon de l’ire, pas pleinement, mais cela pourrait peut-être adoucir sa colère et l’amener peu à peu sur le chemin de l’acceptation ? Cette modification, en éloignant quelque peu la menace des tueurs de dragons, qui en temps normal n’auraient eu qu’à viser le dragonnier si faible qu’il serait pour arriver à leur fin, pourrait calmer quelque peu Verith et sa haine du lien ? Même s’il y aurait d’autres points encore qui poseraient souci… comme le fait que le lien soit un pont pour les chimères…

Mais justement, Ilhan avait l’intime conviction qu’être au cœur du lien était le meilleur moyen d’en comprendre le fonctionnement et de savoir pourquoi et comment le lien était capable de délier les chaînes des chimères. Et comment l’éviter alors pour le futur. Être au cœur du lien, même si quelque peu altéré, et si preque-lien plus que lien véritable, lui permettrait peut-être de mieux comprendre. Shyven et lui souhaitaient tant comprendre tous ces tenants et aboutissants... Eux et son père, et d’autres encore peut-être, pourraient alors essayer, liés tous ensemble dans cette énième quête, de dénouer les nœuds de ce mystère qui aliénait le lien aux yeux de leurs paires…

Oui, des impacts importants. Un tel changement entraînant également d’autres impacts, dans le lien même. Détruire le lien à la mort de l’un d’eux. Éviter la mort de l’autre, pouvant toutefois causer sa folie, tant son âme en serait touchée… Oui, il comprenait. Cela était logique, ils ne pouvaient pas changer un tel lien sans conséquences… Lui-même était prêt à faire un tel pacte, à endurer une telle chose, si cela pouvait éviter une catastrophe pour Shyven. Mais il y avait bien plus de chance que ce soit Shyven qui doive endurer une telle chose, une telle épreuve, plus que lui… C’était donc surtout à elle de choisir. Pour sa part, il comprenait parfaitement les mots de son père. Oui il y avait bien pire que la mort. Il avait déjà vécu ce que c’était que de survivre à un amour parti trop tôt, et… plus même, à la mort d’un enfant. Il imaginait sans peine que la mort d’un lié serait pire encore et que la mort ne serait qu’une douce délivrance. Oui, cela il plussoyait.

Je comprends, fit-il finalement quand les derniers mots de son père résonnèrent dans l’air. Et je rejoins votre point de vue sur de nombreux points. Parfois la mort vaut mieux que la survie. La mort est alors une douce consolation qu’on appelle de ses vœux, quand on doit survivre au départ des siens… une épouse aimée, un enfant… J’ai vécu cela. Alors la mort d’un lié… Je ne peux imaginer combien cela doit être pire encore. Et je dois vous avouer que je n’aurais aucune envie de revivre cela. De vivre cela en cent fois pire que ce que j’ai pu connaître, rectifia-t-il.

Il prit une petite gorgée, se permettant un court instant de dernière réflexion.

L’âme est un don précieux, avec lequel on ne peut jouer sans conséquence, j’en ai pleine conscience. Je reste toutefois persuadé que je serais une cible bien trop facile pour certains tueurs de dragons ou un quelconque mouvement anti-lien. Même si j’ai su survivre à bien des catastrophes et même si j’ai quelques atours dans mon sac, je ne peux nier ne pas être un guerrier. Je suis une proie bien trop facile…

Même s'il tentait d'y remédier.

Son regard se tourna alors vers Shyven.

Pour en atteindre une bien plus difficile. Me tuer serait tellement plus simple pour tuer Shyven… C’est un risque bien trop grand, les dragons sont bien trop précieux pour que je puisse me permettre de prendre un tel risque.

Son regard resta longuement sur Shyven, avant de revenir sur l'Ast.

Je comprends parfaitement toutes ces conséquences, et suis prêt à les accepter. Et je vous remercie, Père, d'accepter de réfléchir à une telle question, qui doit vous être délicate sur bien des points.

Il sentit une boule se former dans sa gorge, l’empêchant de parler momentanément. Il choisit alors un petit mets qu’il aimait tant pour chasser le silence qui empoissait soudain son esprit.

J’aime toujours beaucoup ces petites boules*, fit-il en désignant une petite sucrerie semblable à celle qu’il venait de savourer.

Semblable à celles qu’il avait pu goûter lors de ce fameux "festin" qu’Aldaron lui avait offert à Cordont… peu de temps après ce fameux gigot de chèvre. Il lança alors un regard amusé à son père, un petit sourire en coin au souvenir de ces mêmes mots qu'il avait prononcés alors et qui l'avait tant embarrassés, avant de finalement ajouter, toute trace d’amusement envolé, et d’une voix ferme et assurée :

Mais si nous choisissions de nous lier dans de telles conditions, avec un tel changement, il y a peu de chance que ce soit moi qui aie à endurer une telle épreuve. Ce choix revient avant toute chose à Shyven.

Ses orbes sombres pétillant de petits éclats d’or se tournèrent alors vers la dragonne.



Note : * Malédiction sur le mot "boule" : Quand Ilhan tente de prononcer ce mot, l'interlocuteur en comprend toujours un autre... Cela peut devenir sacrément gênant. Ce que l'interlocuteur comprend est laissé au seul choix de l'interlocuteur.

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Shyven écouta attentivement ce qu’avait à lui dire Aldaron, et force était de constater qu’elle avait bien fait de s’attarder à lui expliquer les choses de vive voix. Car il en sortit un grand savoir, tant pour l’artefact de la dragonne que pour sa demande vis-à-vis du Lien. La dragonne d’opale leva sa tête du gâteau, pour écouter les sages paroles du Vampire : ainsi le précédent propriétaire de la griffe n’était pas mort ? C’était intéressant. Qu’est-ce qu’y l’amenait à rester ici, parmi les vivants alors ? La dragonne n’en savait pas plus pour l’heure, tout autant que le dragonnier en face d’elle.

Mais une certitude demeurait selon lui : « ils viendraient à elle ». Ils, cependant ? Cela sous-entendait-il que deux âmes étaient en peine ? Qu’avait fait cette griffe à ces deux personnes ? Que de questions, pour bien des mystères. Mais soit. Shyven attendrait qu’ils viennent. Après tout, elle était une dragonne, et avait tout le temps pour conclure cette petite affaire : elle continuerait d’étudier sa griffe, en attendant une manifestation quelconque de leur part. Après tout, s’ils étaient morts en des endroits différents, peut-être que cela leur prenait plus ou moins de temps de retrouver l’objet auxquels ils étaient liés … Si tant est qu’ils se déplaçaient à la même allure que des bipèdes normaux. Mais de cela Shyven n’en avait aucune idée.

Ce qu’elle savait cependant, toute draconique qu’elle était, c’était qu’il fallait respecter le cours du temps, et ne pas presser le destin. On écoutait les dragons les plus sages, alors elle devait aussi faire preuve de patience et de sagesse en attendant que cette manifestation se fasse dans les meilleures conditions.

Cette sagesse, d’ailleurs, était un autre vecteur dans la conversation qui suivit concernant le Lien. Shyven, silencieuse, écouta d’abord. Les avertissements d’Aldaron n’étaient pas à prendre à la légère, et rejoignaient ce que pouvaient dire d’autres membres de sa famille : Keetech et Verith, tous deux de façons différentes et pour des idées différentes, combattaient le lien. Probablement en partie pour tout ce que décrivait le dragonnier vampire.

Effectivement, le Lien, aussi naturel pouvait-être entre deux personnes, induisait fatalement une blessure assez équivoque au sein de l’Équilibre des deux êtres. Ordre et Chaos se côtoyaient dans ce pacte, et dès lors restait ce que l’on était prêt à accepter, en toute connaissance de cause. Et il n’était pas aisé de faire fi de tout cela bien entendu, y compris pour un dragonnier aussi puissant qu’Aldaron.

Shyven resta silencieuse, mais écouta les remarques des uns et des autres. Et ce qui la « choqua », c’est que Ilhan semblait craindre pour sa vie, plus que la sienne. Elle poussa un petit soupir de son nez, comme si la dragonne simulait un petit rire, avant d’ajouter :

« Tu n’es pas aussi faible que tu le prétends. Tu as tout ce que nombre de bipèdes puissants rêve d’avoir. Un esprit de fer et des capacités magiques réelles. Une famille aimante et puissante. – Fit-elle en coulant un regard à Aldaron, mais cela valait aussi pour son épouse – Une condition de sainnur qui te rend surpuissant à l’égard de bien des humains. Une armée en formation, et une nation prête à te défendre jusqu’à la mort… Des « amis » – et Shyven insista bien sur ce mot-là, l’air taquin – très dévoués pouvant t’aider pour toutes sortes de choses… Et sans oublier ma personne, qui te défendra si nécessaire. »

Shyven avait porté une patte devant elle, et tracé un petit trait dans l’herbe pour chaque qualité qu’elle énumérait. Elle s’arrêtait là, mais présenta la chose mentalement comme cela pour ses deux compagnons du jour : cela faisait beaucoup, pour un simple petit bipède. Elle ajouta :

« Tu n’es peut-être pas un guerrier, mais tu n’es pas une cible aussi facile que tu le prétends. On ne pourrait atteindre ta vie sans en craindre les conséquences. Et je ne suis pas sûr que beaucoup de bipèdes prendraient ce risque. Le désespoir existe toujours certes … Mais nombre de ceux que tu crains sont trop faibles ou trop affaiblis, ou t’apprécient trop pour passer à l’acte. Tu as une force de dissuasion suffisante, et je suis sûr que tu sais très bien te défendre toi-même. Ou du moins, je t’apprendrais. »

Shyven posa cela là. Le tutoiement était venu dans cette discussion comme naturellement, car Shyven voulait ancrer quelque chose profondément dans l’esprit de son interlocuteur. Ce n’étaient pas des paroles à prendre à la légère. C’était une évidence pour elle : on ne pouvait s’attaquer à Ilhan Avente comme un mercenaire s’attaquait simplement à un bandit de grand-chemin. De la même façon qu’on ne pourrait s’attaquer à Shyven sans craindre son feu et sa foudre personnelle, mais aussi ceux de sa famille qui ne manqueraient pas de la défendre.

Ce problème étant réglé, Shyven porta une de ses griffes sur son menton, comme réfléchissant à la situation. Aldaron et Ilhan, en vérité avait dit des termes intéressants tous deux : Ilhan refusait de survivre à la mort d’un lié et Aldaron avait parlé de l’âme dont ils rêvaient.

Pour autant, rêvaient-ils, vraiment de cela ? Shyven n’en était pas sûr. Probablement était-ce parce qu’elle avait reçu suffisamment d’avertissements dans son enfance, mais elle ne fantasmait pas le Lien, pas plus qu’elle n’en avait une envie irrépressible, ou du moins ce n’était pas un rêve, un but de son existence, de se lier. Elle appréciait beaucoup Ilhan, et la question du Lien était venue assez naturellement … Pour autant, pouvait-elle vraiment s’y résoudre ?

Shyven n’en était pas vraiment sûre. En vérité, comme un pendant de sa double éducation, elle sentait son esprit tiraillé entre les préceptes de Kaalys qui ne s’était jamais arrêté à ses considérations mortelles – mais qui l’avait pourtant mené de la vie à trépas –, et celles de Nynsith et de ses grands-parents qui avaient toujours honni le Lien – mais en créant des clivages au sein des dragons de cet archipel –.

La réponse ne viendrait pas comme cela à la jeune dragonne, mais une chose paraissait certaine à la lumière de cette discussion : Aldaron parlait de choses dangereuses, et qui paraissait aux yeux de Shyven, assez peu probantes. La réécriture de l’âme, comme il disait, était de toute façon un processus suffisamment lourd pour que Shyven se doute que l’un comme l’autre serait peut-être totalement aliénés des personnes qu’ils étaient avant qu’un tel tragique événement se produise. C’était se réincarner sans que l’enveloppe charnelle ne quitte ce monde. Et en ce cas effectivement, peut-être que la roue de la réincarnation devait effectuer son travail.

Et surtout, si elle pensait les choses comme cela, elle posa la question par l’esprit à Ilhan : lui rêvait-il de cela ? Elle n’avait jamais pris le temps d’en parler plus que cela, et elle questionna là directement les convictions profondes de son partenaire : la possibilité d’accueillir un Lien remettait tout en cause. Était-il fermement prêt à cela, si tout cela se passait demain ?

Était-il prêt à en accepter tous les bienfaits, mais aussi tout ce que cela entrainait : ce risque mortel en était un, mais Shyven connaissait quelques fréquentations qu’avait Ilhan et surtout quelle exposition il avait quant à la politique qu’il menait à Caladon. Se lier pour lui aussi, devait représenter un certain point de non-retour.

En fait, de ce qu’il ressortait de cette conversation, c’est que de toute façon, se lier, c’était faire un choix, une position radicale. Si Aldaron avait présenté la situation avec de potentiels palliatifs, tout sonnait comme identique à ce constat, dans l’esprit de Shyven. C’était un choix qui les marquerait pour le restant de leurs longues existences à tous deux. Et cela inquiétait Shyven, car sa personnalité n’était pas d’une nature à prendre toutes les décisions à la légère, encore moins quand elles étaient aussi graves. Mais au moins à présent, elle avait toutes les cartes en main pour prendre une telle décision, et elle semblait avancer sur la question.

Le Lien leur permettrait de concrétiser bien des projets, voir même d’en explorer de nouveaux. Mais c’était faire un trait sur une potentielle ancienne vie. La vie de Shyven avait été très courte à l’échelle de ses semblables. Celle d’Ilhan, avait été beaucoup plus longue au contraire, et cela devait aussi rentrer en ligne de compte.

Sortant du tourbillon de ses réflexions, Shyven ouvra ses yeux grands, quand Ilhan leur fit part qu’il « aimait toujours beaucoup ces petites dragonnes » ? La dragonne regarda Aldaron l’air curieux, comme pour s’assurer qu’il avait bien compris la même chose qu’elle. Une déclaration d’amour soudaine, où il avait désigné ses … Confiseries ? C’était étrange mais se doutant qu’Ilhan voulait sans doute penser à Nahui et elle, elle retourna le compliment :

« Je vous apprécie toujours beaucoup aussi Ilhan, mais vous savez, nous sommes grandes à présent. Enfin surtout Nahui. », fit-elle, un petit sourire aux lèvres, et en riant quelque peu.

Quant son avis fut sollicité, Shyven répondit :

« En tout état de cause, je me joins à Ilhan pour vous remercier de prendre le temps de cette discussion avec nous, Aldaron. Si j’en crois tout ce que vous venez de me dire … Cette réécriture complète de l’âme, serait un peu comme un genre de « demi-réincarnation », où nos souvenirs avec l’un comme l’autre serait totalement effacés ? » Shyven soupira, avant de continuer : « Sans compter la dangerosité de l’opération, et le risque conséquent de séquelles allant avec, je pense qu’a priori si Lien il y a, je préfèrerais mourir avec mes souvenirs, plutôt que d’avoir des gigantesques trous de mémoires, ou une vision altérée de notre histoire. » Shyven se tourna directement vers le Vampire, avant de lui demander : « Comment avez-vous géré l’Amnésie, Aldaron ? Si tant est que vous vous en souveniez, qui étiez-vous comparé à celui que vous êtes à présent ? A quel point cela vous a-t-il changé ? »

Ce n’était peut-être pas un sujet des plus plaisants, mais peut-être qu’Aldaron pouvait donner des pistes de réflexions à Shyven. Elle avait sa propre opinion, mais elle était curieuse de savoir si cette impression de « demi-réincarnation » qu’elle avait était exacte, ou erroné, aux yeux de quelqu’un ayant directement vécu un phénomène semblable. Elle étendit d’ailleurs sa question mentalement à Ilhan également : lui aussi avait connu une transformation du même genre, après tout.

La dragonne se redressa sur ses quatre pattes. Là n’était pas des sujets simples, et son esprit tempêtait comme ces jours de grands orages qu’elle avait connu sur cet archipel. Ce genre d’orage qui forçait à rester au sol, avec les bipèdes. Shyven ajouta à la discussion :

« Je suis dubitative, de ce que vous venez de nous dire Aldaron, car je n’ai pas cette même ferveur qui vous habite, quand nous parlons de Lien. Je ne suis pas sûr de pouvoir parler du fait que c’est un rêve pour moi. Disons que je sais de quoi il est capable, du meilleur comme du pire. Et vous savez, si je me lie, je ne suis pas pour autant sûre d’en être un véritable Parangon défenseur. Cette perspective de Lien avec Ilhan m’est venue comme … Naturellement. Ce n’était pas une vocation profonde en moi, et encore moins quelque chose dont je rêvais ou du moins je ne crois pas. » La dragonne arqua sa tête, curieuse de connaître le point de vue du vampire dragonnier à ce sujet : « Ce n’est pas une initiative d’intérêt non plus cependant, car je sens une véritable proximité avec Ilhan, qui serait véritablement enrichie par un Lien profond, au-delà de tout ce que cela représenterait pour nous, en facteur supplémentaire à tout cela. »

Shyven n’allait peut-être pas délivrer le même discours qu’elle avait fait à Aldaron en introduction à ce sujet, mais elle voulait que ces deux-là se le tiennent pour dit. Elle fit d’ailleurs savoir mentalement que de la même façon qu’elle avait des sentiments pour Nahui – bien que ceux-ci soient outrement plus profonds et intimes –, Shyven sentait ce même type d’attachement significatif pour Ilhan : elle avait envie d’être là pour lui, elle s’intéressait, et avait envie de le soutenir. Et elle savait que le Lien pouvait être un vecteur pouvant lui donner tout ce qu’il lui manquait, tout autant qu’approfondir cette relation qu’ils avaient cultivé au fil des mois.

Shyven compléta finalement :

« Vous allez me trouver indécise. Mais quand je vous vois vous et Nahui, et le portrait que vous avez dépeint du Lien, je m’interroge quant à ma légitimité d’en proposer un, car j’ai le sentiment que la dualité de mon âme justement, me fait manquer cette profonde conviction, qui vous habite, Aldaron. »

Dans un dernier trait de discussion, elle lança au dragonnier :

« Qu’en pensez-vous ? Connaissez-vous, ou avez-vous connu de ces dragonniers qui avaient un discours plus réservé sur le lien ? Par exemple, Nathaniel est différent de vous. Mais il est aussi dragonnier. Que pense-t-il du Lien, lui ? »

Shyven se doutait un peu de la réponse d’Aldaron quant à ce dernier point, mais si Kaiikathal était très vocale au sujet de ce don, son lié l’était un peu moins. Et Shyven s’intéressait à tout cela. C’étaient des facteurs importants à considérer, si Lien il y avait.

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Les mots d’Aldaron avaient été lourds de sens et s’il laissait la place au silence, c’était pour les laisser digérer ce qu’il venait de leur expliquer. Il ne doutait pas qu’Ilhan saisirait promptement les tenants et aboutissants de cela, aussi ne fût-il pas étonné de le voir réagir le premier et d’entendre un second son de cloche de la part de Shyven. Elle était encore une jeune dragonne, à se poser beaucoup de saines questions. Ilhan était plus âgé et si l’immaculation lui donnait encore bien des siècles devant lui, il avait déjà eu ce genre de réflexions, dans sa prime jeunesse. L’engagement, voilà qui était quelque chose. S’engager, c’était en quelques sorte sacrifier une part de sa liberté pour découvrir un monde accessible uniquement à ceux qui sont engagés. C’était unir son destin, pour le meilleur et pour le pire, à quelqu’un ou quelque chose. Nombres d’engagements fleurissaient au cours d’une vie, tantôt formel comme un mariage, et tantôt informel comme une promesse lâchée naturellement. Parfois une simple présence auprès d’une âme qui en a besoin scellait un engagement d’amitié. On pouvait se défaire de certains, plus facilement que d’autres mais quelques-uns, comme le Lien étaient tout bonnement indestructible et Shyven se trouvait à s’y réfléchir à un âge si peu avancé de son existence. Ce n’était pas rien.

Silencieux, il écouta leur échange au sujet de la vulnérabilité d’Ilhan. S’il reconnaissait sans mal que Shyven détenait une part de la vérité, Ilhan détenait la seconde. Tuer Ilhan ne serait pas forcément aisé… Mais à qui désire fermement tuer un dragon, Ilhan était tout désigné pour atteindre cet objectif. « Naal du Néant ne semble pas opérer dans ses meurtres en s’en prenant aux dragonniers. Il semble même vouloir les sauver, d’une certaine manière. C’est du moins ce qu’il a essayé de faire pour Orfraie, autant que pour Nolan. Ce que vous dites pour Ilhan, Shyven, est aussi vrai pour vous. Une fois vos destins liés, votre trépas engagerait celui d’Ilhan, ce que certaines personnes craindront de faire. S’en prendre à vous, ce sera s’en prendre à Ilhan, et ses alliés et protecteurs seraient en droit de riposter. D’un côté comme de l’autre, la force de dissuasion sera la même… Je dirai même plus qu’elle sera plus forte de votre côté quand on sait que votre grand-père est Verith de l’Ire : nombre de vos détracteurs refuseront de se frotter à son courroux. Une fois ces jeux d’influence qui reposent sur vous autant que sur Ilhan défaits, il ne reste plus que votre nature intrinsèque à savoir celle d’un immaculé et celle d’un dragon et si je devais choisir entre assassiner l’un ou l’autre, je me tournerai vers la tâche la plus simple puisque les conséquences seront similaires. C’est cela qu’Ilhan craint. »

Il ne doutait pas qu’Ilhan soit conscient qu’armée comme amis viendraient le défendre ou punir l’acte s’il est commis. Il savait aussi qu’Ilhan était conscient de ses capacités en magie et tout deux savaient combien cette capacité pouvait être réduite à néant et causer la mort, comme ce fut le cas pour Achroma. En revanche, ce dont il ne se doutait pas, c’était qu’Ilhan aimais toujours beaucoup les petites gâteries. Il cligna des yeux, perplexe. En tant que père des deux, il n’avait aucune envie de savoir ce qui se passait entre Ilhan et Autone une fois la porte de leur chambre fermée !Ce qui lui paraissait plus étrange, c’était que dans l’esprit draconique de Shyven, ça n’ait pas du tout sonné de la même façon, ni même dans l’esprit d’Ilhan. Était-ce… Ne pouvait-il vraiment plus dire le mot ‘boule’ ? Il eut un furtif sourire en coin, car c’était bien cocasse, mais il reprit rapidement son sérieux en écoutant les propos de Shyven, puisqu’Ilhan reposait sur elle la décision finale. Elle l’interrogea sur l’amnésie vampirique et la manière dont il l’avait vécue. Il avait sa propre histoire mais il savait que tout un chacun avait la sienne : rien n’était vraiment universel.

« Mon cas est très particulier, puisqu’Achroma… » Il y avait une légère froideur qui perlait, en prononçant son nom. La douleur du deuil était partie et cela avait laissé place à autre chose, comme un doute, profond et sournois. « …Avait pu obtenir mon chant-nom. Il est contenu dans ce médaillon. » Il sortit la longue et fine chaîne à son cou, jusqu’à ce qu’un médaillon, gravé d’un arbre de vie, s’échappe de sa tunique. « Il s’écrit chaque jour que je vis et mes souvenirs me viennent tantôt limpides, tantôt par fragment. Il est à mes yeux un leg que je laisserai, à ma mort, à ceux qui me succèderont et qui reprendront la tête du Marché Noir. » Avait-il regardé Ilhan à ces mots ? Cela avait été furtif, mais pourtant bien là. Seul Ilhan était à sa hauteur pour faire vivre le Marché Noir lorsqu’Aldaron ne serait plus de ce monde et il aurait autour de lui, bien des alliés prêts à croire en lui et en leur mission. « L’amnésie n’a pas duré longtemps et il était confortable de devenir Aldaron. Son histoire, ses convictions me convenaient. C’est du moins ce que j’ai cru pendant un temps, probablement parce que l’Esprit-Lié de l’Inséparable m’orientait. Il y a une part de ce que je fus qui me convient, et une autre part que j’aimerais ne pas associer à moi et dans laquelle je ne me retrouve pas. »

Le son de sa voix était devenu profondément grave et ses mots s’étaient détachés les uns des autres par de brefs silences réguliers. « Je crois que ça ne colle jamais vraiment. Il y a quelque chose de notre nature profonde qui demeure et le reste se forge avec les nouveaux vécus et la quantité de souvenirs que vous avez de votre précédente existence. Quoi qu’il en soit considérez… Considérez que vous resterez vous-même, quoiqu’il en soit. Imaginez une seconde réalité où une Shyven aurait grandi dans d’autres conditions. Vous n’aurez jamais connu votre père, par exemple. Vous ne l’aurez pas vu dépérir jour après jour. Ce ne sera ni meilleur, ni pire, ce sera différent. Nahui n’a pas connu ses parents, si elle les avait connu, elle n’aurait été ni meilleure ni pire, elle aurait été autrement. Quant au regard des autres, cela dépend. Je n’ai pas eu de mal à être Aldaron mais Achroma n’a pas apprécié être comparé à lui, tout en appréciant paradoxalement, le prestige que cela lui offrait, aux yeux du peuple de la nuit. Il pouvait même se montrer virulent, parfois, lorsque je le faisais, sans le vouloir, et d’autres fois, cela l’arrangeait bien. Il est probable que vous déceviez certaines personnes qui verront en vous la Shyven qu’ils ont connue. Vous en surprendrez d’autres, favorablement et vous trouverez aussi des gens prêts à vous accepter tel que vous êtes : nouvelle Shyven et ancienne Shyven à la fois, oscillant entre deux facettes plus ou moins divergentes. » Ilhan l’avait accepté ainsi, lui Aldaron, sur ce navire à Sélénia.

« Ce n’est jamais complétement confortable, mais l’amnésie n’est pas un mal. Dans mon cas… Je peux parler de Morneflamme sans être bouleversé, en mon for intérieur. Cela m’offre une certaine distance sur ce que j’ai vécu d’horrible, tout en me marquant toujours un tant soit peu. Je suis incapable par exemple de rester en place, lire un livre sous un pommier et laisser fuir le temps. L’amnésie, ça nous rend différent et ce n’est ni mal ni bien. C’est comme cela est : à la fois une continuité et une rupture. » Ses lèvres se scellèrent mais son esprit ne s’arrêtait par pour autant de songer à ce qu’il venait de prononcer. Chaque fois qu’il mordait quelqu’un, la question de la gestion de l’amnésie se posait. Devait-il leur dire qui ils furent ou pas ? Il avait pris le parti de répondre aux questions qu’on lui posait et de ne pas intervenir davantage car une part de lui craignait toujours de les influencer comme il avait été influencé par Achroma et l’Esprit-Lié qui l’unissait à lui. Il voulait que ses enfants ne manquent pas de clairvoyance et trace le chemin de leur cœur plutôt que celui du cœur d’un autre.

Il écouta la dragonne exprimer ses doutes, ils étaient légitimes. Il regrettait qu’elle ait pris l’expression de ‘rêver de’ de façon aussi extrême. Il n’entendait pas là qu’il s’agissait de quelque chose d’obsessionnel, mais simplement un désir ou une envie. « Cela n’implique pas d’intensité sous-jacente que de rêver de quelque chose. Cela définit une direction, la force du vent qui vous porte vers cela n’était pas contenu dans mes propos et vous faites erreur à mon sujet : je ne suis pas un fervent défenseur du Lien. Je suis assez lucide à son égard : je sais ce qu’il est, je sais ce qu’il fait. Le fait que je me sois ardemment opposé à la propagande de votre grand-père à l’encontre du Lien ne signifie pas que je sois, au contraire, favorable au Lien. Cela veut seulement dire que je n’accepte pas le comportement de votre grand-père, car il est, à mes yeux, créateur d’une haine, d’un mépris qui conduit les Liés vers la solitude et la mort. Verith est un dragon et sa parole est entendue. Vous avez-vous-même vu qu’il faisait l’objet d’un culte. Que croyez-vous que ses dévots entendent lorsqu’il parle du Lien si ce n’est un appel au rejet et à la destruction ? Je ne fais qu’offrir un havre, à Cendre-Terre, où les Liés peuvent vivre en paix car tout un chacun mérite de ne pas se voir infligé autant de haine. » C’était son combat, non pas de défendre le Lien mais de protéger ceux qui sont Liés de la violence sauvage. « Je ne voulais pas du Lien. Lorsque cela m’est arrivé, j’ai essayé de m’en protéger et de m’en éloigner. Cela m’a effrayé, profondément, de partager la plus essentielle des intimités avec quelqu’un. Et je ne l’avais pas choisi, comme vous et Ilhan. C’était extrêmement intrusif et il n’y avait rien que je pouvais faire contre cette violation de mon âme. Rien du tout. J’étais dépossédé de moi-même et j’avais cru que l’horreur de Morneflamme ne pourrait pas être dépassée. Que ce serait la pire des expériences que je pourrais traverser. Mais la création du Lien a dépassé cela. »

Et il ne s’y était pas attendu. « Et ensuite, il a fallu vivre avec. » Qu’elle imagine une personne violée qui se retrouvait, à chaque minute, chaque seconde de son existence avec le membre de son agresseur en elle. Tout le temps sans jamais pouvoir s’en détacher. « Nahui n’avait rien d’une personne intrusive. Elle aussi était prise dans cet engrenage sans désir de me faire du mal. Avec le temps, ce qui m’a effrayé m’a fait du bien. Sa présence est devenue un soutien et un rempart contre tout ce qu’une personne rongée par la culpabilité pense en des instants de solitude. » Des horreurs gorgées de doute et, dans son cas, un irrépressible désir de mourir. « Il n’y avait plus de solitude. » Jamais plus. Les doutes ne manquaient pas mais Nahui lui donnait la force d’avancer. « Le Lien me convient à moi, mais il peut disconvenir à d’autres, comme votre grand-père… Et même vous. Peut-être que le Lien ne vous conviendra pas. Ce n’est pas à moi de répondre à cette question, ni même à Verith. Je ne vous encouragerai pas et Verith ne devrait pas non plus vous dissuader. Je ne suis pas marqué de cette conviction envers le Lien que vous me prêtez, Shyven. Je sais seulement que j’y ai trouvé mon compte, personnellement. Cette décision ne revient qu’à vous et vous deux seuls. Je me contenterai de vous accompagner, quel que soit ce choix. » Quant à ce qu'en pensait Nathaniel, il n'en avait pas discuté avec lui mais si Shyven avait cette curiosité, il serait plus opportun de poser cette question au principal intéressé. Aldaron n'était pas légitime en cela.

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Shyven écouta avec attention les réponses d’Aldaron, qui vint éclaircir quelque peu les pensées pêlemêles de la dragonne. Si tous les bipèdes n’étaient pas dotés d’un grand savoir sur tous les sujets, contrairement aux dragons qui leurs étaient bien supérieurs, il fallait avouer qu’Aldaron était vraiment de bon conseil sur le Lien, et tout ce que celui-ci impliquait.

En vérité, plus qu’un simple professeur qui se contentait d’enseigner la simple théorie, ou plus que son grand-père qui parlait avec ses sentiments et le poids de l’histoire derrière lui, il était agréable de parler avec Aldaron car il avait un véritable vécu sur la situation. Son expérience se sentait dans ses paroles, qui semblaient justes aux oreilles de Shyven. Mais elles étaient aussi tantôt teintées de vulnérabilités ou encore de certitudes. Le Tribunal Vivant n’oublia pas qui elle avait en face de lui : un bipède d’importance qui avait vécu sa propre histoire avec les préoccupations communes qu’il avait avec Shyven, mais aussi bien d’autres choses que n’avait pas connu la dragonne.

En l’occurrence, les jeux d’influence et les meurtriers bipèdes, Aldaron les connaissaient bien plus que Shyven, et aussi la dragonne écouta attentivement les précisions qu’il apporta. Elle comprit les doutes d’Ilhan, mais pour autant, la dragonne d’opale souleva un point :

« De toutes les façons, nous lier signifiera que nous accepterons cet état de vulnérabilité, au moins provisoirement. Mais personnellement, je ne me laisserai pas marcher dessus par le premier présomptueux venu. Et je pense que de base, c’est ce que nous pensons tous trois ici : les situations où nous ne pouvons rien faire pour nous défendre ou fuir, peuvent arriver, mais ce danger est présent tout le temps dans nos vies. Se lier est s’en exposer à de nouveau, mais de mon point de vue, ce n’est rien qui ne sera insurmontable avec le temps et de la pratique. Peut-être devrons nous faire profil bas dans un premier temps, pour éviter les foudres des détracteurs divers et variés. Mais vous savez être discret Ilhan, et quant à moi … J’apprendrais à l’être, je suppose. »

Shyven eut un petit sourire. Après tout, on ne pouvait pas réellement « cacher » une dragonne rose, mais elle pouvait ne pas crier sur tous les toits qu’elle était liée. Elle viendrait sans doute un peu plus à Nyn-Tiamat, mais de toutes les façons comme elle s’y rendait déjà régulièrement, cela ne changerait pas grand-chose dans le fond.

Concernant l’amnésie, la dragonne fut contente d’entendre qu’Aldaron avait fini par s’y faire. Bien évidemment, cela restait une épreuve et de toutes les façons, Shyven ne souhaitant que très peu y faire face, mais elle fut au moins rassurée que quelqu’un soit là pour lui donner un retour d’expérience. Elle lui adressa au passage un petit réconfort mental concernant les épreuves qu’il avait du affronter avec Lié-tout-chaud : le quotidien n’avait pas l’air si sympathique avec lui, mais le deuil n’était pas non plus une solution enviable pour guérir ce problème. Shyven en savait quelque chose, car elle dû se faire à cette idée aussi pour son père.

Finalement, on y revenait : tout était une question d’équilibre. Rien n’était jamais noir ou blanc, et cela était peut-être le réel fin mot de cette discussion : Shyven devait faire ce choix en âme et conscience, et lentement peser le pour et le contre.

Elle posa son regard sur Ilhan un instant. Une telle décision bouleverserait peut-être sa famille, mais elle se demandait si ça n’était pas pour le mieux. Elle n’avait été obligée en rien, cette envie était née toute seule, et Shyven savait mieux que personne en quoi ce lien était nocif. Elle s’était fait une promesse : ce lien, s’il advenait, devait faire avancer les choses, pour que ce dernier ne cesse de tuer sa race de l’intérieur.

A nouveau, quand Aldaron parla du Lien, Shyven resta silencieuse et soutint mentalement le lié-de-Nahui. Peut-être que s’ouvrir de cette façon lui était complexe, mais au moins, cela aida l’Opale à y voir plus clair dans les choix qu’elle ferait à l’avenir. Elle ne savait pas que la co-existence avec Nahui avait été compliquée, et qu’Aldaron avait dû s’y faire. Mais après tout, qui était réellement prêt à partager son esprit éternellement avec un dragon ? En plus du caractère intrusif d’avoir constamment quelqu’un dans sa tête, un dragon et un bipède ne pensaient pas de la même façon. Cela devait être en effet un sacré choc, mais Shyven ne pensa pas à ce point. Elle regretta ce qu’elle avait dit concernant le fait qu’Aldaron ne pensa que du bien du Lien, et s’en excusa promptement.

Mais après tout, cet avertissement sur la co-existence des deux êtres, et sur le rejet de ce lien pouvait être aussi adressé à l’intention d’Ilhan. Si la dragonne s’était risquée à penser et à partager les choses ainsi, quitte à échauder un peu le Prince Noir, cela pouvait être au moins bénéfique pour l’altthaïen qui ne connaissait peut-être pas toutes ces questions-là. Car après tout, tous deux étaient concernés. Shyven savait des choses sur Ilhan, mais pas tout, et inversement. La vie de l’Opale avait été moins longue, mais celle de l’althaïen au contraire, avait été bien plus riche : était-elle prête à entendre le moindre de ses petits secrets ? Le moindre de ses petits sentiments de doute ? Là était quelque chose qu’elle devait bien sous-peser.

Une fois qu’Aldaron eut terminé son exposé, Shyven fit :

« Je vous remercie de vous être ouvert à moi, Aldaron. » appuyé par un petit regard sincère. « Votre témoignage, et tout ce que vous avez traversé force l’admiration. A titre personnel, il me rassure déjà beaucoup sur ce que pourra être ma vie d’après. »

La dragonne d’Opale eut un petit sourire, avant de dire à l’intention d’Ilhan et Aldaron :

« En définitive, il est question d’un choix de vie. Votre témoignage Aldaron, me suffit à me dire que ce Lien est une chose tellement unique, que jamais personne ne le verra d’une seule et même façon. Votre témoignage, tout autant que celui de mon grand-père, me fait dire qu’il y a un vrai déficit de compréhension autour de lui. Tout le monde en parle, mais personne ne sait vraiment ce qu’il fait, et ce qu’il est. Je suis de ceux qui voudraient savoir tout cela, afin de pouvoir aider aux mieux les générations à venir, libres comme liés. »

Shyven pris une petite inspiration, avant de dire :

« De ce que je ressors de tout cela, c’est que la meilleure chose que l’on puisse faire, c’est s’y frotter nous-mêmes, l’essayer et éventuellement l’adopter. » La dragonne d’opale pris une pause, et regarda Ilhan cette fois-ci : « Cela ne plaira sans doute pas à la famille qu’il me reste, mais je pense qu’ils comprendront que je ne suis pas non plus un fervent défenseur de ce Lien. Et s’ils ont peur pour ma vie, cela leur donnera une raison de me chôyer un peu plus. »

La dernière phrase était accompagnée d’un petit clin d’œil malicieux. Pas qu’elle ne faisait ça pour avoir de l’attention, mais elle n’était pas sa mère ou ses grands-parents, et avait son propre chemin à tracer aussi. Shyven fit finalement :

« Si la décision me revient, alors je pense qu’il faudra que nous avancions ensemble. »

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