D’aucun dirait que le décès d’un dragon était chose aisée à supporter pour ceux de la même espèce, voire pour ceux qui avaient une sensibilité pour la magie. D’aucun dirait que le décès d’un proche était chose aisée. D’aucun dirait que le décès d’un parent direct était chose aisée.
Pour Shyven, depuis ces quelques derniers jours, c’était un peu tout cela à la fois. Elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour que Kaalys ait les derniers jours les plus heureux possibles, mais elle n’était pas dupe : délié deux fois, survivre la première fois relevait déjà du miracle, la deuxième avait été fatale. Mais cela aurait été mentir de dire qu’elle ne s’y attendait pas non plus : Feu-Lié-tout-chaud était un bipède d’ambition. Lié-tout-chaud voulait conquérir le monde pour le changer, et n’hésitait pas à employer la méthode forte pour arriver à ses fins.
Mais cette fois, Achroma avait trouvé plus fort que lui. Plus fort, ou peut-être plus rusé, et aussi moins inhibé que lui. Car le moins que l’on puisse dire de ces bipèdes qui avaient causé la perte de son père, c’est qu’ils n’avaient pas peur, pour eux-mêmes ou pour l’état de ce monde d’une façon générale.
Expliquer à un dragon qu’il est potentiellement en danger de mort, et celui-ci ne le croira pas avant de l’avoir constater de ses propres yeux. Un dragon, d’un strict point de vue biologique est un super-prédateur qui pouvait chasser des heures durant, que très peu d’espèces pouvaient se targuer d’égaler. Peut-être qu’une meute de fenrisulfrs le pouvait, peut-être qu’une meute d’humains surentrainés le pouvait, mais le dragon avait toujours cette présence d’esprit supérieure pour s’en sortir, ces dons des divins qui pouvaient faire toute la différence dans un long combat. Un humain se fatiguait vite. Pas un dragon. Un humain ne volait pas. Un dragon oui.
Tout cela étant bien évidemment d’un strict ordre biologique. D’un point de vue « symbolique », le dragon représentait l’alpha et l’omega des sociétés modernes. Un pont nécessaire entre la Haute-Magie et le bas monde des bien pitoyables bipèdes qui le foulait. Un relai nécessaire, qui avait déjà mis à mal leur monde quand tous les dragons étaient partis. Une absence qui créait un déclin sans précédent sur les races dépendantes de cette haute-magie, entre autres, mais aussi pour tous les utilisateurs de la Trame d’une façon générale.
Pour toutes ces raisons, il était impensable de s’en prendre à un dragon, ou même à quelqu’un de lié à un dragon, aux yeux de Shyven. Pourtant, à plusieurs reprises, ces humains de Calastin l’avaient fait. Sans sourciller. Trois d’entre eux étaient morts. Mais le pire, c’était pour ceux qui restaient.
Shyven devrait vivre éternellement avec ce poids sur la conscience d’avoir perdu son père à un très jeune âge. Pas qu’elle se sentait encore dépendante de lui, mais elle en était émotionnellement très proche, et partageait nombre de ses convictions. Pas toutes bien sûr, parce que la dragonne de l’équilibre était ainsi faite que toutes ses pensées devaient être sous-pesées par le poids de la contradiction avant de sortir de sa bouche, engendrant parfois des divergences. Mais tout de même. Elle avait véritablement grandi en ayant un seul parent, et n’avait que très récemment renoué contact avec sa mère.
Shyven se retrouvait donc avec une mémoire à honorer, des combats à mener, des souvenirs à chérir … Tout cela a à peine un an. Émotionnellement, c’était rude. Car même si la dragonne était fière, ne baisserait pas la tête, et savait tout à fait se débrouiller toute seule pour vivre … Sa jeunesse et sa solitude était sa lacune.
Bien qu’il soit tellement colérique et consumé par la haine, Verith, Papy-Colère, avait la force de l’âge qui le rendait puissant, sage, et entendable par tous. Il était loin d’être sénile. Mamie-Montagne partageait ces avantages-là, et tous deux avaient une famille. Ils avaient vécu de nombreuses choses, pouvait l’expliquer, savait comment y réagir. Ils avaient connu d’autres décès de dragons avant tout ceux-ci sur l’Archipel. Ssaadjith et Nephilitih pouvaient les solliciter et bénéficiaient de leurs enseignements quotidiens pour rebondir.
Nahui, Kaiikathal, Alkhytis, avaient quant à eux la chance d’encore avoir leur bipède, de pouvoir se préparer au pire. Mais aussi d’avoir avec eux un être, qui permettrait de partager cette souffrance qui devaient indubitablement les ronger en sentant qu’un autre dragon mourrait.
Shyven n’avait ni l’âge, et jusqu’ici, pas vraiment de famille de sang très proche d’elle pour l’aider. Et pourtant, quand elle avait lancé un appel à tous les dragons de l’archipel, presque tous avaient répondu présents. Elle avait été impressionnée et repris fois en elle, sachant que leur petite contribution à tous avait été utiles. Même ce vaillant oncle-zigoto-Ssaadjith qui n’avait pas pu s’empêcher de faire le bouffon devant une audience qui ne demandait qu’à l’écouter, Shyven avait apprécié ses mots.
Qu’est-ce qui avait fait que tous avaient répondu présents ? Shyven peinait encore à le déterminer. La sensation de danger peut-être, la volonté de se recueillir, ou de se revoir ? Une sympathie pour elle peut-être ? Mais pourquoi donc : hormis Nahui, avec qui Shyven passait beaucoup de temps pour des raisons évidentes, elles ne les connaissaient pas tellement.
Mais toujours est-il que Shyven ne laisserait pas cette chance s’échapper, et aussi avait-elle profité de cette cérémonie où tous étaient présents pour se dire, qu’à terme, elles devraient peut-être rendre visite à chacun des siens. Pour peut-être essayer d’incarner tant bien que mal ce pont entre les non-liés et les liés, un clivage qui n’avait eu de cesse de séparer son espèce. Un vœu fou bien sûr, mais qui pouvait tout aussi bien être plein de bonne intention pour la suite.
Aujourd’hui, Shyven avait voleté jusqu’à là où son grand-père et sa grand-mère s’étaient installés. Fort heureusement pour l’Opale, l’un comme l’autre ne passait pas vraiment inaperçus, physiquement et mentalement. Ils s’étaient installés sur une île non habitée non-loin de Nyn-Tiamat.
Shyven trouva rapidement sa gigantesque-grand-mère-montagne, avec tous ses cristaux qui parsemaient son corps de façon singulière. Aussi quand elle fut non loin d’elle – à quelques battements d’ailes – elle précisa où elle était pour que son corps puisse faire une rotation pour mieux la voir, et partagea les sentiments de salutation d’usage à Keetech : du bonheur de la revoir, principalement. Mais également un peu de stress. Elle pouvait très certainement le voir en elle : Shyven ne s’en cacherait car elle était prête à laisser cet espace à sa grand-mère, et de toute façon c’était bien inutile d’essayer de cacher quelque chose à quelqu’un de son envergure. Elle aurait tout de suite compris. Car tout ce à quoi elle pensait l’agitait.
D’ailleurs, une fois ces salutations échangées, Shyven fit à sa grand-mère :
« Pourquoi êtes-vous tous venu ? »
Pour Shyven, depuis ces quelques derniers jours, c’était un peu tout cela à la fois. Elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour que Kaalys ait les derniers jours les plus heureux possibles, mais elle n’était pas dupe : délié deux fois, survivre la première fois relevait déjà du miracle, la deuxième avait été fatale. Mais cela aurait été mentir de dire qu’elle ne s’y attendait pas non plus : Feu-Lié-tout-chaud était un bipède d’ambition. Lié-tout-chaud voulait conquérir le monde pour le changer, et n’hésitait pas à employer la méthode forte pour arriver à ses fins.
Mais cette fois, Achroma avait trouvé plus fort que lui. Plus fort, ou peut-être plus rusé, et aussi moins inhibé que lui. Car le moins que l’on puisse dire de ces bipèdes qui avaient causé la perte de son père, c’est qu’ils n’avaient pas peur, pour eux-mêmes ou pour l’état de ce monde d’une façon générale.
Expliquer à un dragon qu’il est potentiellement en danger de mort, et celui-ci ne le croira pas avant de l’avoir constater de ses propres yeux. Un dragon, d’un strict point de vue biologique est un super-prédateur qui pouvait chasser des heures durant, que très peu d’espèces pouvaient se targuer d’égaler. Peut-être qu’une meute de fenrisulfrs le pouvait, peut-être qu’une meute d’humains surentrainés le pouvait, mais le dragon avait toujours cette présence d’esprit supérieure pour s’en sortir, ces dons des divins qui pouvaient faire toute la différence dans un long combat. Un humain se fatiguait vite. Pas un dragon. Un humain ne volait pas. Un dragon oui.
Tout cela étant bien évidemment d’un strict ordre biologique. D’un point de vue « symbolique », le dragon représentait l’alpha et l’omega des sociétés modernes. Un pont nécessaire entre la Haute-Magie et le bas monde des bien pitoyables bipèdes qui le foulait. Un relai nécessaire, qui avait déjà mis à mal leur monde quand tous les dragons étaient partis. Une absence qui créait un déclin sans précédent sur les races dépendantes de cette haute-magie, entre autres, mais aussi pour tous les utilisateurs de la Trame d’une façon générale.
Pour toutes ces raisons, il était impensable de s’en prendre à un dragon, ou même à quelqu’un de lié à un dragon, aux yeux de Shyven. Pourtant, à plusieurs reprises, ces humains de Calastin l’avaient fait. Sans sourciller. Trois d’entre eux étaient morts. Mais le pire, c’était pour ceux qui restaient.
Shyven devrait vivre éternellement avec ce poids sur la conscience d’avoir perdu son père à un très jeune âge. Pas qu’elle se sentait encore dépendante de lui, mais elle en était émotionnellement très proche, et partageait nombre de ses convictions. Pas toutes bien sûr, parce que la dragonne de l’équilibre était ainsi faite que toutes ses pensées devaient être sous-pesées par le poids de la contradiction avant de sortir de sa bouche, engendrant parfois des divergences. Mais tout de même. Elle avait véritablement grandi en ayant un seul parent, et n’avait que très récemment renoué contact avec sa mère.
Shyven se retrouvait donc avec une mémoire à honorer, des combats à mener, des souvenirs à chérir … Tout cela a à peine un an. Émotionnellement, c’était rude. Car même si la dragonne était fière, ne baisserait pas la tête, et savait tout à fait se débrouiller toute seule pour vivre … Sa jeunesse et sa solitude était sa lacune.
Bien qu’il soit tellement colérique et consumé par la haine, Verith, Papy-Colère, avait la force de l’âge qui le rendait puissant, sage, et entendable par tous. Il était loin d’être sénile. Mamie-Montagne partageait ces avantages-là, et tous deux avaient une famille. Ils avaient vécu de nombreuses choses, pouvait l’expliquer, savait comment y réagir. Ils avaient connu d’autres décès de dragons avant tout ceux-ci sur l’Archipel. Ssaadjith et Nephilitih pouvaient les solliciter et bénéficiaient de leurs enseignements quotidiens pour rebondir.
Nahui, Kaiikathal, Alkhytis, avaient quant à eux la chance d’encore avoir leur bipède, de pouvoir se préparer au pire. Mais aussi d’avoir avec eux un être, qui permettrait de partager cette souffrance qui devaient indubitablement les ronger en sentant qu’un autre dragon mourrait.
Shyven n’avait ni l’âge, et jusqu’ici, pas vraiment de famille de sang très proche d’elle pour l’aider. Et pourtant, quand elle avait lancé un appel à tous les dragons de l’archipel, presque tous avaient répondu présents. Elle avait été impressionnée et repris fois en elle, sachant que leur petite contribution à tous avait été utiles. Même ce vaillant oncle-zigoto-Ssaadjith qui n’avait pas pu s’empêcher de faire le bouffon devant une audience qui ne demandait qu’à l’écouter, Shyven avait apprécié ses mots.
Qu’est-ce qui avait fait que tous avaient répondu présents ? Shyven peinait encore à le déterminer. La sensation de danger peut-être, la volonté de se recueillir, ou de se revoir ? Une sympathie pour elle peut-être ? Mais pourquoi donc : hormis Nahui, avec qui Shyven passait beaucoup de temps pour des raisons évidentes, elles ne les connaissaient pas tellement.
Mais toujours est-il que Shyven ne laisserait pas cette chance s’échapper, et aussi avait-elle profité de cette cérémonie où tous étaient présents pour se dire, qu’à terme, elles devraient peut-être rendre visite à chacun des siens. Pour peut-être essayer d’incarner tant bien que mal ce pont entre les non-liés et les liés, un clivage qui n’avait eu de cesse de séparer son espèce. Un vœu fou bien sûr, mais qui pouvait tout aussi bien être plein de bonne intention pour la suite.
Aujourd’hui, Shyven avait voleté jusqu’à là où son grand-père et sa grand-mère s’étaient installés. Fort heureusement pour l’Opale, l’un comme l’autre ne passait pas vraiment inaperçus, physiquement et mentalement. Ils s’étaient installés sur une île non habitée non-loin de Nyn-Tiamat.
Shyven trouva rapidement sa gigantesque-grand-mère-montagne, avec tous ses cristaux qui parsemaient son corps de façon singulière. Aussi quand elle fut non loin d’elle – à quelques battements d’ailes – elle précisa où elle était pour que son corps puisse faire une rotation pour mieux la voir, et partagea les sentiments de salutation d’usage à Keetech : du bonheur de la revoir, principalement. Mais également un peu de stress. Elle pouvait très certainement le voir en elle : Shyven ne s’en cacherait car elle était prête à laisser cet espace à sa grand-mère, et de toute façon c’était bien inutile d’essayer de cacher quelque chose à quelqu’un de son envergure. Elle aurait tout de suite compris. Car tout ce à quoi elle pensait l’agitait.
D’ailleurs, une fois ces salutations échangées, Shyven fit à sa grand-mère :
« Pourquoi êtes-vous tous venu ? »