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descriptionLe bonheur est au bout du chagrin [Vex & Alda] EmptyLe bonheur est au bout du chagrin [Vex & Alda]

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11 Octobre 1764, lendemain de l’affrontement avec Rog


« Joyeux anniversaire ~ ! Joyeux anniversaire ~ ! » chantait la famille réunie autour du petit Ulmo, à peine adopté, déjà adoré. Le petit vampire regardait avec ses yeux pétillants de joie les bougies que son père allumait avec soin avant de les poser sur un gâteau à la crème succulente préparée par Mme Doubtfire. Parmi les Elusis, peu seraient ceux qui n’étaient pas vampires et qui pourraient savourer des parts généreuses de cette délicieuse pâtisserie… Mais le plus important était de célébrer ce jour particulier. La date était revenue dans les souvenirs d’Ulmo qu’Aldaron avait conservés pour son enfant avant de le transformer. Soi-disant, car Aldaron avait aussi parcouru cette mémoire enfantine et  l’enfant était assurément né décembre. Ulmo était ce qu’il était, un farceur qui avait plus d’un tour dans son sac et quoi de mieux qu’un anniversaire si ce n’était deux anniversaires  en une seule année ? N’était-ce pas un moyen astucieux d’avoir deux fois plus de cadeaux ?

« Joyeux anniversaire Ulmo ~ ! » Il soufflait cinq bougies ici, il en soufflerait six en décembre. L’âge n’avait pas d’importance, quand on était éternel. Le temps et le vieillissement n’avaient aucune emprise sur eux. Ils étaient tels qu’ils seraient dans un siècle quand d’autres seraient venus sur terre avant de faire partie du passé. Aldaron ne s’en était pas formalisé, acceptant la tromperie amusante de son fils, et toute la famille avait suivi pour vivre cet instant de fête, chantant gaiement. Elizabeth avait veillé à ce qu’Ulmo soit bien habillé et Ivanyr Junior applaudissait en chantant. Les jumeaux avaient ce visage si jeune, si plein de vie. Ils étaient si heureux. Celeborn apportait les derniers mets d’un festin pour les vivants et Sorel faisait chanter des oiseaux en cœur. « Joyeux anniversaire ~ ! » Achevaient-ils alors que les applaudissement remplaçaient les voix et que tous rappelaient à Ulmo de faire un vœu avant de souffler.

Les bougies s’éteignaient (autant grâce au souffle que par les multiples postillons qui vinrent avec) et le clappement des mains se fit plus intense, martelant sa tête de licorne qui peinait à retrouver conscience. Il avait bien fait, Ulmo, de fêter son premier anniversaire en famille plus tôt, car il y aurait beaucoup moins de monde en décembre.


*Joyeux anniversaire ~* chanta-t-il d’une voix monocorde dans sa tête. Il était épuisé. Il se souvenait de cet anniversaire, ce jour où ils avaient tant ri et profité d’être ensemble. Et maintenant, lorsqu’il pensait à ses enfants, il voyait, comme gravé dans sa rétine, les cadavres de Sorel à la poitrine transpercée, d’Elizabeth à la peau comme brûlée par l’acide, d’Ivanyr bleui par le poison fulgurant d’un mille-pattes génat et Celeborn à la nuque brisée par la main de Rog.

*Joyeux anniversaire ~* La licorne se crispait, tendue par la douleur et pourtant incapable d’hurler. Il aurait voulu courir, sauter dans le vide et se fracasser dans les rochers. Sa bouche était amère d’un profond désir de vengeance. Mais il était là, amorphe, allongé sur le flanc, dans un corps qui n’était pas le sien et qu’il ne maîtrisait pas. Six secondes de silence dans la foret qui s’endormait.

*Joyeux anniversaire, Alda ~*

11 octobre, c’était aujourd’hui. Il avait pensé que ses anniversaires passés enfermé à Morneflamme auraient été les pires de son existence. Il avait eu tort, ce n’avaient été que des jours comme d’autres dans la prison. Horribles certes, mais il s’y était habitué. Perdre ses enfants, on ne s’y habituait pas.

*Joyeux anniversaire ~*

La dragonne blanche poussa de son museau le ventre de la licorne, en signe d’affection. Il n’y eut aucune réponse. C’était comme si son esprit était mort, dans un corps si faible reposant dans l’humus automnal de Licorok.

***


25 Octobre 1764

On n’entrait pas dans la forêt, les licornes se faisaient plus gardiennes que jamais et ceux qui avaient l’audace de le faire malgré tout finissaient par devenir fous ou par s’entretuer sous le joug de l’esprit violent d’une créature mythique. Pourtant, ils étaient nombreux ceux qui auraient voulu avoir des nouvelles d’Aldaron. Lui, ses soldats et quatre de ses enfants avaient mené une expédition dans l’Inlandsis pour retrouver l’un des portails graärh qui y était. Seules Rumil et Nessraya étaient revenues, avec le portail certes… Mais à quel prix ? Les quatre enfants avaient été annoncés morts et cela avait porté un violent coup au sein de la famille Elusis. La nouvelle avait retenti dans tout l’archipel, avec tout ce que beaucoup savaient impacter le Prince Noir. Il était homme à savoir encaisser les coups, mais ses enfants ?

C’était sans compter sur l’incertitude de son état. Nessraya avait expliqué qu’Aldaron avait usé de la Magie du Lien et des pouvoirs de sa Couronne pour briser définitivement les liens entre Rog et ses Esprits-Liés qui lui permettaient, hélas, de ne jamais mourir et de pouvoir ramener ses confrères des cendres à la vie. L’ast les avait rendu mortels. Mais il en avait payé le prix car le Lien avec la Lucane s’était reformé, bien plus puissant, avec Rog. L’esprit-lié était, dit-on, intervenu dans le monde physique pour transpercer le corps d’Aldaron de part en part, le conduisant inévitablement vers la mort. Du moins, était-ce là où il aurait dû finir, mais il semblait qu’il était encore en vie. Beaucoup avaient aperçu la dragonne blanche voler au-dessus de la forêt, probablement à la recherche d’une proie. Et si Nahui était vivante sans hurler à l’agonie, c’était qu’Aldaron devait l’être aussi.

Pourtant, une blessure causée par un Esprit-Lié n’étaient pas soignable par la magie. C’était bien trop puissant. Le conseil des mages avait même jugé que seul un très ancien dragon, plurimillénaire comme le fut Skade, pourrait éventuellement être capable d’un tel miracle - mais il n’y en avait aucun, à leur connaissance, sur l’archipel. La deuxième solution serait que les Esprits-Liés eux-mêmes soient intervenus quand bien même ils n’étaient pas sensés le faire. Mais si la Lucane était intervenue, peut-être que les Esprits-Liés avaient voulu corriger cet impair. Nessraya avait infirmé que les Esprits-Liés soient intervenus et que Nahui était passée par le portail en emportant son Lié mourant elle ne savait où, laissant les mages du conseil dans l’incompréhension la plus totale.

Si bien que certains doutaient sur sa survie ou non et son silence depuis près de deux semaines venaient alimenter les rumeurs. Nessraya avait affirmé avoir vu le Prince en vie dans la forêt, mais beaucoup avaient placé là la plus claire des affabulations. A Cendre-Terre, quelques-uns voyaient dans cette absence l’opportunité de prendre le pouvoir mais ils avaient rencontré la hache mortelle de Shâh. Autant dire  que ça en avait dissuadé d’autres et les avait convaincu d’attendre encore un peu. Certains proches affirmaient avoir réussi d’être entrés en contact magiquement avec Aldaron et tous indiquaient qu’il devait rester dans la forêt le temps de guérir, sans expliquer pourquoi, soit parce qu’ils l’ignoraient, soit parce qu’ils ne voulaient pas le dire.

Des tentatives de contact, magiques, Aldaron en avait reçues un certain nombre et la première semaine, il avait rejeté ces flux magiques, soit en les bloquant, soit en les ignorant. Il avait eu besoin de solitude autant que de repos pour son corps. La seconde semaine, il avait filtré ceux à qui il avait jugé crucial de répondre, comme Ilhan ou Autone et quelques six autres contacts d’importance au sein de sa famille, de sa faction, ou du Marché Noir, et ceux qui pouvaient bien attendre qu’il aille mieux. Vex’Hylia avait dû faire partie de ces derniers si elle avait essayé de le contacter. Il ne pouvait pas répondre à tous, car il était épuisé et qu’il n’en avait pas forcément les forces psychiques non plus. Pour autant, elle avait très certainement dû entendre la discussion entre Aldaron et l’Esprit-Lié du Corbeau, dans le royaume des morts. Elle avait alors des bribes de vérité que d’autres ignoraient encore.

Pour autant son peuple lui manquait et c’était sous forme licorne qu’il approchait d’Hurle-Vent, le village de maisons dans les arbres à la lisière de Licorok. C’était ici que vivaient en général les nouveau-nés, à l’écart de Cendre-Terre et ceux qui s’y trouvaient venaient de Keet-Tiamat principalement. Ils étaient déjà un peu plus stabilisés qu’aux premiers jours et ils étaient bien gardés. Ses sabots résonnaient dans les bois de façon lugubre alors que les instincts des animaux les poussaient à fuir le prédateur féroce qu’était une licorne. Le blanc éclatant de son pelage contrastait avec des teintes brunes de l’automne. Bien que son symbiote lui aurait montré le cheval, il avait gravé, avec sa corne, six entailles dans six arbres en chemin, pour pouvoir rentrer vers l’arbre songe sans avoir à user de magie. Sous cette forme, il lui était plus facile d’avancer dans la forêt et sa Faim vampirique s’éteignait. Quant à son esprit, malgré la folie qu’y plaçait la licorne, était assez fort pour y résister en ce moment. Ses cauchemars ne pouvaient pas être pire que la réalité.

Flanque contre un arbre qui criait sous le poids de l’équin, Aldaron mirait son peuple se mouvoir, faire ses premiers pas avec une renaissance. On leur apprenait comment fonctionnait le monde, comment se servir de sa magie et comment résister à sa Faim. Les Ast avaient cette particularité de manger les rêves et les aspirations. Ils pouvaient se nourrir en continu sur leurs confrères, mais les Raudr avaient besoin de sang pour être apaisés. Ils étaient plus difficile à maîtriser, mais rien que la patience ne pouvait venir à bout. Ses mires rouge sang s’ouvrirent grandement en voyant la silhouette d’une elfe au cœur battant approcher du village. Sa chevelure rousse et sa grâce elfique ne lui laissèrent que peu de doute sur l’identité de cette femme. Que faisait-elle ici ?

Son absence de réponse et son absence à Cendre-Terre ainsi que toutes les rumeurs sur sa mort avaient dû la pousser à investiguer par elle-même. Mais pourquoi ? Peut-être était-ce Claudius qui envoyait son soldat prendre des nouvelles. Il fallait dire que le prince Noir n’avait pas jugé nécessaire d’aviser Claudius de son état d’avantage que ce que l’Empereur aurait appris, comme tout le monde. Ses dents pointues grincèrent dans sa bouche équine. S’approcher d’Hurle-Vent n’était pas chose à faire pour une vivante, mais le seul chemin qui menait à la forêt passait par là. Elle n’était pas stupide et il la voyait contourner par l’ouest pour s’éviter des mésaventures, avançant dans les fourrés épais et parfois épineux.

Des Raudr l’avaient, comme lui, repérée, chassant visiblement en lisière de forêt. Et en meute, comme leurs aînés leur apprenaient. S’il avait été Prince, ses ordres les auraient dissuadés, mais il avait des sabots et une corne pour le moment, voilà qui était fort peu utile. Quoique. Il frappa du sabot au sol, d’agacement et sortit la forêt au galop, venant se placer entre la sainur et le groupe de Raudr. Il se cambra en direction de ses derniers pour les effrayer et cela eut le don de les faire partir en courant. Et si Vex’Hylia tenait à sa survie, elle devait sûrement fuir une apparition telle qu’une licorne, aussi tâcha-t-il de la retenir. *Restez.* fit la voix télépathique de la licorne, dont le timbre rauque était assez désagréable, dans l’esprit de l’immaculée. *Et montez, je vais vous mener dans la forêt. C’est ce que vous voulez ?* Il s’approcha d’un muret de pierre pour qu’elle puisse monter à cru sur son dos, car la taille de l’équidé était imposante, et sa musculature fine et puissante. Haut d’un mètre quatre-vingt au garrot, elle peinerait à le chevaucher sans un premier appui.

La voyant naturellement hésiter (qui monterait sur le dos d’une licorne qui voulait l’emmener dans les bois ?), il s’agaça et frappa six coups de sabots au sol. Lui ne se sentait pas bien. L’emprise de l’Arbre-Songe se limitait à la forêt et il venait d’en sortir. Ça n’était pas bon pour sa santé et sa guérison, alors il espérait bien retourner dans les bois promptement. *Rah ! Je ne vais pas vous faire de mal. Décidez-vous. Montez ou partez d’ici, mais ne restez pas plantée là. Hurle-Vent n’est pas un endroit pour les vivants.* Qu’une licorne, animal sauvage, connaisse le nom d’une ville bipède était bien étrange, n’est-ce pas ?

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Cette sensation ne me quittait plus vraiment. Ce froid intense, cette douleur sourde tandis que j'entendais la voix d'Aldaron raisonnée dans les limbes, sur le pas de la porte vers la roue de la réincarnation. Une conversation avait eu lieu, parfaitement audible mais manquant cruellement de clarté pour ma compréhension. Mais une chose était limpide : le Prince Noir était mort. Sinon, pourquoi étais-je en mesure d'entendre ainsi sa voix, par l'entremise de mon anneau ? Cela avait peu de sens. Puis la voix, aussi soudainement que je l'avais entendu, s'était tue. Le silence avait été assourdissant, jusqu'à ce qu'une autre la remplace. Elle aussi, je la connaissais, et mes genoux avaient cédé sous mon poids en rencontrant le visage de Sorel. D'autres suivirent, leur nom raisonnant dans ma tête, et j'usais de toute ma force mentale pour les faire taire.

Elusis. Elusis. Elusis. Elusis.

La rumeur s'était ensuite répandue. Le Prince Noir aurait succombé à ses blessures. L'archipel s'en voyait ébranlé. Une rumeur à laquelle je ne croyais pas, et je ne m'en cachais pas, même si ma conviction était difficile à comprendre pour autrui.

La voix du Prince Noir, je l'avais bel et bien entendu. Mais la façon dont elle avait soudainement disparu était différente de celle des autres. Cela avait suffi à me convaincre de sa survie. Et s'il était blessé, il me semblait logique qu'il ne se montre pas immédiatement. Les vampires, après tout, formaient un peuple accès sur la force. Et avec une telle blessure, il était clair qu'Aldaron était incapable de défendre son trône. L'avenir de Cendre-Terre se jouait peut-être de l'autre côté de la mer et, après le Prince, mes pensées se tournèrent vers Siel. Encourait-il un quelconque danger ? Souffrait-il de l'absence de son père ? Probablement. Une fois n'étant pas coutume, je me glissais à travers un portail afin de rejoindre l'île enneigée. Des allers-retours comme celui-ci, j'en avais désormais l'habitude.

La rumeur de la prétendue mort d'Aldaron s'essouffla bien rapidement peu après. Nahui avait été aperçue, selon les dires de certains, et si la dragonne ne criait pas à l'agonie, cela ne pouvait que confirmer la survie de son Lié.

Siel en avait été soulagé malgré les vives tensions chez les vampires. Du moins, était-ce ce que Mme Doubfire m'avait révélé. Ma relation avec mon… ex-mari… n'avait pas évolué, au contraire, et je me contentais de garder un œil sur lui sans oser l'aborder une nouvelle fois. La première n'avait pas été très agréable et je préférais ne pas y penser. Pourquoi continuer à venir aussi régulièrement, dans ce cas ? Pour un peu d'auto-flagellation, peut-être, ou pour sortir de mon quotidien. Mme Doubfire m'était devenue agréable, également, quand elle n'essayait pas de glisser du gingembre dans mon thé. La vieille dame avait ce regard maternel quand elle posait ses yeux ridés sur moi, et j'en ressentais une vive chaleur au fond de mon cœur. Cela faisait du bien.

Bien sûr, cela n'aidait en rien cette fameuse rumeur.

Les jours suivants, de retour sur Calastin, j'avais tenté de contacter le Prince Noir moi-même par l'entremise de sa chevalière, que je portais en continue depuis qu'il me l'avait offerte. Mais je n'avais reçu aucune réponse…Et cette absence de nouvelle m'avait finalement poussé, après mon retour de Cordont, à franchir une nouvelle fois un portail vers Cendre-Terre. Je voulais en avoir le cœur net.

Comme d'habitude, mon portail s'ouvrait dans la chambre qu'Aldaron m'avait allouée. Cela datait de notre rencontre et, si j'avais ressenti un certain malaise en restant ici les premières fois, j'y avais pris quelques marques depuis. Contrairement à mon habitude, qui consistait à m'écrouler dans le lit pour reprendre quelques forces, je quittais la confortable pièce pour trouver Mme Doubfire. Mon entrée discrète dans sa cuisine lui fit lâcher la grosse marmite de fonte qu'elle transportait avec un peu de peine, et seule ma magie empêcha le contenu de se répandre sur le sol.

« Dame Aërendhyl, vous m'avez fait peur ! » Je lui offrais un sourire désolé tandis que je déposais le chaudron sur le comptoir. « J'en suis navrée, ce n'était pas mon but. J'ai une faveur à vous demander. » Commençais-je. « Tout ce que madame souhaite. » répondit-elle, et mon sourire fut plus sincère.

Je lui demandais des provisions ainsi qu'une monture, car je désirais me rendre sous peu à Hurle-Vent. Bien entendu, la vielle femme tenta de mon dissuader étant donné la nature du lieu et le danger que j'y encourais, mais je balayais ses mises en garde du revers de la main.



**
*

Le voyage à cheval entre Cendre-Terre et Hurle-Vent représentait une demi-journée de route, donc rien de bien difficile. Toutefois, à l'approche de la ville dans les arbres, je fis prendre à ma monture une autre direction et déviai donc du chemin parfaitement tracé. Je n'étais pas assez stupide pour mettre un seul pied dans la cité qui se dressait à la lisière de la forêt, car je savais y trouver mon trépas. Ma simple présence en bordure de Hurle-Vent était déjà un risque immense. Inconsidéré, même, compte tenu de mon lien avec Aldaron. Après tout, je ne le connaissais pas vraiment, même si nous avions partagé quelque chose des mois plus tôt.

Mais mon besoin de réponse était plus puissant que la peur que je faisais taire avec habileté. À moins que ce fut autre chose, d'indéfinissable pour l'heure, qui m'avait conduite ici. Sans parler d'un sujet qui me tenait à cœur et pour lequel j'avais besoin du Prince Noir.

Le chemin emprunté était irrégulier, épineux et traître. À plusieurs reprises, ma monture manqua de me désarçonner en faisait un trop grand écart pour éviter une chute assurément douloureuse. Si bien que longer Hurle-Vent fût beaucoup plus long que je l'avais imaginé en premier lieu. Peut-être aurais-je dû abandonner l'étalon plus tôt et traverser cette dernière portion du terrain à pied, en m'aidant de ma magie. J'en étais à envisager de descendre de selle immédiatement lorsque les oreilles du cheval se couchèrent en arrière. L'étalon s'arrêta soudainement, frappant le sol du bout de son sabot, et refusait d'avancer.

L'air devint lourd alors que je prenais conscience de ce qui se cachait dans l'ombre. Le vent était encore plus piquant et sifflait entre les arbres et les épines des buissons, si fort et si vif qu'il arracha le capuchon de ma cape, découvrant ma chevelure de feu. Le corbeau qui suivait mon sillage vint se poser près de moi, et disparu dans un claquement de doigts au profit d'un long bâton en bois sombre veiné d'or. Ma prise sur le Souffle Ancien était si forte que les jointures de mes doigts en devenaient blanches.

Et ce fut à ce moment que je l'entendis. Le martèlement des sabots. Puis sa silhouette fine et élégante se détacha de l'obscurité de la forêt, tel un fantôme. L'étalon sur lequel je me trouvais se cabra aussitôt à sa vue, me désarçonnant, et je tombais lourdement sur le dos, le souffle coupé. La monture prit ensuite ses jambes à son cou, me laissant seule face au danger. Le groupe de vampire s'approchait dangereusement et je tâtonnais à côté de moi dans l'espoir de refermer les doigts sur mon bâton. Jusqu'à ce que la licorne soit à deux pas de moi, magnifique et terrifiante à la fois. Elle était immense, d'autant plus que j'étais encore par terre, et sa robe blanche soulignait l'écarlate de ses yeux.

Je me relevais, prête à ouvrir un portail afin de fuir le plus loin possible d'ici, lorsque j'entendis une voix. Elle venait de la licorne et je me figeais aussitôt à l'entente de ce simple mot. De cet ordre ou de cette demande, je ne saurais le dire. Le timbre de sa voix était désagréable et je reculais de quelques pas alors que les vampires fuyaient face à la créature équine.

Aller dans la forêt ? Oui, c'était ce que je voulais. Mais monter sur son dos ? Avais-je perdu la tête ? L'agacement soudain de la créature me fit accélérer le pas et j'en approchai enfin, m'aidant du petit muret pour grimper agilement sur son dos, balançant ma jambe gauche par-dessus son flanc musclé. Mon bâton reprit sa forme de corbeau afin de me libérer les mains, et j'enroulais mes doigts dans sa crinière soyeuse.

Cette situation était surréaliste et je peinais à en saisir toute l'ampleur. J'étais sur le dos d'une licorne, alors que la logique aurait voulu qu'elle me transperce de sa corne ou me fasse devenir folle.

« Attendez, vous connaissez le nom de cette ville ? » Réalisais-je soudain, employant moi aussi le vouvoiement. Il était, d'ailleurs, tout aussi surprenant qu'une créature sauvage connaisse la notion du vouvoiement. Tout ceci était bien étrange.

Étais-je déjà sous son emprise, en train de devenir folle ?

Pourtant, le martèlement de ses sabots, alors que nous approchions de la forêt, me semblais bien réels. De même que ses muscles, entre mes cuisses, que je sentais se mouvoir à chaque foulée, alors que la licorne s'élançait dans un galop effréné. J'en suivais naturellement la cadence, mouvant mon bassin contre son dos au rythme de ses pas. Il y avait cette chaleur, aussi, et ce poil doux et brillant entre mes doigts.

« Qu'allez-vous donc faire de moi ? » Me demandais-je, d'une petite voix, alors que je fermais les yeux.

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Elle acceptait, enfin et avec le corps puissant de la licorne, il avait l’impression qu’elle ne pesait pas pus lourd qu’une plume. Ce n’était pas la première fois qu’il réalisait comme son corps et celui de l’équidé n’était véritablement pas faits de la même manière et n’avait pas les mêmes sensations. Tout était perçu sous un autre prisme. Il s’élança au galop, comptant sur l’agilité de l’ancienne elfe pour tenir sur son dos, car il fallait absolument qu’il retourne dans la forêt. Une fois à l’abri des arbres, la sensation de vertige s’apaisa et il poursuivit sa course dans les bois, alors que les branches et même les arbres semblaient s’écarter subitement de son chemin. Galoper lui faisait un bien fou et lui permettait de se dépenser complétement, priant pour être assez fatigué pour ne pas être accablé par la peine ensuite. La morosité l’empoisonnait et une part de lui appréciait l’idée d’avoir un peu de compagnie. Il avait déjà eu la visite de Verith, bipède, entre autres et s’il avait besoin de solitude pour remettre ses idées en place et se reposer, les courtes visites lui apportaient cette chaleur humaine dont son désespoir manquait cruellement.

Il allait plus vite que d’autre représentants de sa race, si bien qu’arriver auprès de l’Arbre-Songe ne prendrait pas plus d’une heure et il fut agréablement surpris de constater que ce corps de canasson tenait parfaitement bien la distance. La première question de Vex’Hylia le sortit de ses pensées. *Bien sûr, comment pourrais-je l’ignorer ?* Il détournait sa question pour éviter qu’un malaise s’installe. Comprendrait-elle alors à qui elle avait à faire et qui elle était en train de chevaucher ? Ne serait-ce pas déplaisant pour elle que de s’en rendre compte alors qu’il restait encore une heure de chevauchée ? Si son esprit n’avait pas été profondément endeuillé, il aurait trouvé la situation parfaitement amusante : elle sur son dos, suivant de son bassin les mouvements de son galop, les cuisses serrées sur ses flancs pour pallier l’absence de scelle. *Je vous mets en sécurité, pour commencer.* répondit-il à sa seconde question. Les créatures sauvages fuyaient sur son chemin, même les terrifiants Fenrisulfrs. Voir la crainte dans leurs yeux lui apportait la sécurité de ne pas être approché par un autre prédateur.

Il était bien plus aisé de cheminer dans la forêt quand la végétation, elle aussi, s’écartait. Il filait en ligne droite, repérant les arbres qu’il avait marqué de sa corne à l’aller. A pied ou à cheval, il aurait fallu être plus vigilant, contourner les arbres et le terrain escarpé. Licorne, tout lui semblait plus facile, il était sur son territoire et il se modelait à sa volonté. La forêt répondait à chacun de ses désirs. Ainsi était-il en sécurité et Vex’Hylia également, tant qu’elle demeurait à ses côtés. Au bout d’une demi-heure, bercée par le bruit des sabots sur la terre, le bois ou les galets des petits ruisseaux, la jument vint à ralentir son allure jusqu’à finir au pas, soufflant par les naseaux l’air frais de Nyn-Tiamat, après sa folle course. Si lui commençait à sentir les premiers signes de fatigue, elle qui chevauchait depuis une demi-heure, à cru, devait avoir les muscles qui criaient, bien que la force d’origine elfique sût aisément composer avec. Revenir à un pas plus lent pour la centaine de mètres restant ne ferait pas de mal et reposerait tout le monde… En plus d’être plus discret. Verith étant parfois avec lui, allant et venant à sa guise, il aurait été malvenu de réveiller ce ronchon s’il était rentré pour se reposer.

La canopée des arbres avait offert un soleil parcellaire sur le trajet et la pluie automnale commençait à tomber, glissant sur les feuilles et les épines de la végétation alentour. Tout était silencieux et cela lui convenait bien. On apercevait déjà, parmi la verdure, les écailles blanches de Nahui revenue de sa chasse, en train de déguster un bouquetin. Non loin d’elle, un grand arbre surplombait tous les autres, les racines profondément ancrées dans la terre et gardant quelque chose qui suintait d’une magie puissante. Très puissante. Près de la dracène, un campement de fortune avait été établi. Un cheval se régalait des plantes alentours, un feu délimité par des pierres crépitait timidement sous la pluie qui naissait et deux petits abris en bois et feuillage permettait de tenir seul, allongé dessus, ou deux assis. Une paillasse tentait de rendre l’endroit presque confortable et pour Aldaron, c’était déjà un grand luxe pour se reposer puisqu’il avait connu la précarité de Morneflamme. Quelques sacs de tissus remplis de vivres et d’objets tendaient à dire que le Prince Noir s’était fait ravitailler, d’une manière ou d’une autre. Pourtant, pas de trace du dit vampire, dans les alentours et Nahui ne semblait guère surprise de la présence de la licorne.

*Accrochez-vous.* fit la licorne avant de se cambrer sans faire choir sa cavalière et à mesure que la bête se dressait, l’homme apparaissait, se tournant d’un même mouvement vers Vex’Hylia pour lui faire face. Le museau laissa place au visage devenu familier, les crins blancs de sa crinière virèrent au blond pâle et s’adoucirent sous les doigts de la sainur. Ses oreilles devinrent celles d’un elfe et les yeux rouge sang demeurèrent, sauvages, ancrés dans le regard volcanique de sa cavalière. Son corps fut celui d’un homme élancé et combattant. Ses sabots firent place à des mains qui s’agrippèrent aux cuisses de sa comparse pour lui éviter de chuter au sol et il les maintenait contre lui, flanquée de chaque côté de sa taille. En temps normal, cela aurait été le moment rêvé pour que Mme Doubtfire débarque et colporte ses habituelles rumeurs, mais la vieille dame n’était pas dans ces bois.

L’ast ferma les yeux, sans lâcher sa cavalière et fronça les sourcils, semblant lutter intérieurement contre quelque chose de dérangeant. Il rouvrit finalement, après quelques secondes, les yeux, qui virèrent au vert, en passant lentement pas le brin. « Bonjour. » fit-il en langue elfique, encore perturbé, la voix rauque et enrouée (probablement parce qu’il n’avait pas parlé depuis longtemps de vive voix). Les battements du cœur de Vex’Hylia tambourinaient à ses tempes cruellement. Il réalisa combien sous cette forme, la Faim l’étrillait. Il serra les dents et sa mâchoire se crispa. Peut-être que ça n’avait pas été l’idée du siècle de l’amener ici. Son regard planté sur elle était celui d’un prédateur. Il vacilla, tant physiquement que mentalement, avant de raffermir ses positions dans le sol, dans la poigne de ses mains et dans sa tête. Sa mine se fit déterminée. Lorsqu’il réalisa qu’il tenait toujours la femme contre lui d’une façon très peu socialement acceptée, il relâcha doucement une jambe qui glissa le long de sa hanche avant de toucher le sol. Lorsqu’elle put tenir dessus, il relâcha avec la même douceur la seconde, les mains remontées sur sa taille.

« Je suis désolé et avant toute chose… » commença-t-il toujours en langue elfique : « Il me faut vous aviser que la Faim m’est de plus en plus intense, ces derniers jours… » Et pour cause ! Sur qui se serait-il nourri dans sa solitude ? Les dragons n’étaient pas bons à manger et leurs ambitions et rêves étaient au-delà de ce qu’un bipède pouvait absorber sans devenir fou. Seule la détermination et la force de son esprit le tenait loin de la rage des nouveau-nés… Car il allait sans dire qu’Aldaron avait moins de deux ans d’existence vampirique et que c’était assez peu pour être aussi solide qu’un Aîné. Le simple fait qu’il ne brisait pas la nuque ou l’esprit de la femme face à lui était la preuve d’un esprit extrêmement solide, et d’un miracle exceptionnel. « Alors, je vous saurais gré de ne pas rechercher à me contrarier, ou pire, me mettre en colère, car je ne saurais vous assurer de garder pleinement le contrôle, comme maintenant, vous comprenez ? »

Il la darda d’un regard absent, comme si la lueur qui avait éclairé de joie et d’amusement leur première rencontre, autour d’un thé, était un souvenir terriblement lointain. L’odeur qui la parfumait était aussi douce et le berçait, mais avait le plus grand mal à percer jusqu’à son esprit une brèche, pour atteindre sa sensibilité. Néanmoins, il le sentait. Il sentait cette présence qui essayait de réchauffer l’étendue glaciale de son être et que le blizzard voulait balayer au loin. Ses pouces, les mains posés sur sa taille, caressaient le tissu de ses vêtements, réalisant qu’il n’en percevait presque rien tant son corps s’en trouvait encore en réparation et que son âme meurtrie ne voulait pas sortir du fond de sa grotte pour lui faire ressentir autre chose que du chagrin. « Il est bon de vous revoir. » C’était un mensonge pour moitié, puisqu’il peinait à ressentir quoique ce soit de positif, mais il restait pragmatique et savait que dans sa situation, la présence d’une compagnie apaisante ferait du bien à son âme, apportant son propre petit grain de riz dans la balance de ses émotions.

« Même si pour cela, il aura été bien inconscient de vous approcher ainsi d’Hurle-Vent, Dame Aerendhyl. Quelle mouche vous a piquée ? Est-ce Claudius qui vous a envoyé quérir des nouvelles, qu’importe ce qu’il en coûte ? » Il s’éloigna un peu d’elle pour s’approcher du feu. Malgré sa tourmente et son état, il se tenait toujours droit et marchait d’un pas mesuré. Qu’il ait à porter son existence ou le poids du monde sur ses épaules ne changeait rien à sa stature régalienne. Il s’accroupit près du feu pour rehausser les flammes et remplir d’eau magiquement une bouilloire avant de la mettre à chauffer. Il sortit d’un sac deux tasses de métal et un sachet de thé pour l’infusion. « Mettez-vous à l’abri de la pluie. » fit-il en l’invitant… Et bien dans sa couchette, d’un geste de la main. « Pas celle-ci. Il ne veut pas que ‘les bipèdes touchent à ses affaires’. » rajouta-t-il en désignant l’autre couchette et en roulant légèrement des yeux.

Il vint s’asseoir à ses côtés, les avant-bras appuyés sur ses genoux, les mains tombant dans le vide, les yeux posés sur la bouilloire, attendant visiblement que l’eau se mette à bouillir pour ajouter le thé. « A moins qu’il ne vous soit arrivé quelque chose de grave, à vous ou à votre fille ? » demanda-t-il finalement, gagnant en inquiétude. Cela expliquerait l’inconscience de sa visite : si ça n’avait pas été les vampires, cela aurait été les licornes qui l’auraient tuée…

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Le vent dans mes cheveux, les pans de ma tunique qui s'ouvraient légèrement et révélait ma peau claire et la courbe d'un sein, ma cape qui claquait au vent derrière moi… J'avais la sensation d'être dans un rêve tant la situation était irréelle… Chevaucher une licorne… Cela n'arrivait que dans la tête des gens, non ? Dans leur rêve ou dans leur cauchemar.

Pourtant, lorsqu'elle répondit à ma première question, j'eus la certitude d'être parfaitement éveillé. Encore plus lorsque la seconde réponse me parvint, de ce ton désagréable, alors que j'en étais certaine, la licorne tentait d'être la plus délicate possible en délivrant ces quelques mots. Des paroles qui vinrent placer une idée un peu folle dans mon esprit… Ce pourrait-il que cette licorne, au comportement anormal compte tenu de ce que je savais de ces créatures, soit… ? Le doute était permis, mais j'avais la certitude d'avoir une réponse très bientôt.

Alors, je fis taire mes pensées et rouvrais les yeux afin de profiter de cette folle chevauchée dans la forêt, resserrant mes cuisses contre les flancs de l'équidé afin de stabiliser au mieux ma position. Malgré la vitesse et mes yeux embués par la faute du vent, j'observais les prédateurs s'écarter face à la licorne, fuyant sa présence en allant se cacher sous la frondaison des arbres aux feuilles automnales, lorsqu'il ne s'agissait pas de conifères. Des arbres qui s'écartaient sur le passage de la licorne et je m'émerveillais du pouvoir de l'équidé et du contrôle qu'elle avait sur cet endroit, jusqu'à ce que, en levant la tête, j'aperçoive un arbre beaucoup plus massif que les autres. Je le sentais également, sa magie palpitant avec force tel un cœur battant, son pouvoir s'enfonçant dans les tréfonds de la terre via des racines que je devinais immense.

Un éclat blanchâtre, à travers les arbres, attira mon attention alors que je clignais des yeux afin d'en chasser l'eau. Je reconnus les écailles d'un dragon, il devait donc s'agir de Nahui. Les quelques doutes qui subsistaient dans mon esprit s'envolèrent et, instinctivement, je posais ma main, bien à plat, contre le cou de l'équidé. Une simple caresse pour le cœur meurtri d'Aldaron, alors que je chassais du revers de la main quelques pensées parasites.

Finalement, je découvrais un petit campement de fortune. Un cheval, sans doute celui du Prince Noir, broutait quelques herbes délicieuses non loin de là. Il y avait également un rond de feu au sein duquel quelques flammes subsistaient malgré la fine pluie qui s'était mise à tomber. Deux petits abris de bois et de feuillage offraient un mince réconfort et me permettaient de savoir qu'Aldaron n'était pas toujours seul ici, sans parler des sacs de vivres que quelqu'un avait bien dû lui apporter à un moment. Une partie de moi était déçue qu'il n'ait jamais répondu à mon appel, via la chevalière de sa famille, et une moue se forma sur mes lèvres.

Toutefois, elle n'y resta pas bien longtemps, car la voix de la licorne retentit dans mon esprit. Instinctivement, j'enroulais mes bras autour de son cou musclé tandis qu'elle se cabrait.

Je me sentis partir en arrière, une sensation fort désagréable, mais ma peur de tomber fut rapidement remplacée par la surprise et l'émerveillement lorsque le corps équin se transforma sous moi. Face à moi.

Le museau devint visage, les pattes et sabots des bras et des jambes. Des mains, qui agrippaient mes cuisses et m'empêchaient de tomber à la renverse. Dans une autre situation, j'aurais trouvé le geste déplacé. Mais moi-même, je pressais mon corps tout entier contre le sien, élancé et finement musclé, mes bras enroulés autour de son cou, mes mains contre sa nuque, un peu perdues dans ses cheveux clairs. J'eus une brève pensée pour Mme Doubfire, la veille dame ayant été la première à imaginer quelque chose entre le Prince Noir et moi. Nous retrouver dans une position aussi… Intime aurait, à coup sûr, ravivé ses ragots.

Mais si ce corps était celui du Prince Noir, les yeux qui me regardaient n'étaient pas les siens. Je me souvenais de prunelles vertes, douces et joyeuses. Celles-ci étaient rouges, sauvages et sanguinaires. Je frissonnais tout en me demandant à quel point Aldaron était licorne. À quel point il luttait, car je le voyais fermer les yeux et froncer les sourcils.

Instinctivement, je caressais la base de sa nuque, cherchant à l'aider à reprendre pied dans la réalité. Et lorsqu'il rouvrit enfin les yeux, je croisais avec soulagement ses prunelles vertes, même si je n'y décelais pas l'éclat joueur de notre première rencontre. Mais cela était normal.

« Bonjour. » Répondis-je dans un murmure, prenant conscience de notre extrême proximité. Je sentais son souffle contre mon visage et, sans doute, mon parfum devait attiser ses sens. C'était, tout du moins, ce que je parvenais à voir dans ce regard prédateur. Je frissonnais tandis qu'il me lâchait avec précaution, me laissant le temps de poser un pied au sol avant de libérer mon autre jambe. Je ne reculais pas pour autant, cela m'aurait été impossible de toute façon, car ses mains s'étaient posées sur ma taille avec un naturel surprenant. J'en sentais la fraîcheur à travers le fin tissu de ma tunique. Mes propres doigts glissèrent de sa nuque à ses épaules. « J'aurais pu tout simplement descendre de votre dos, vous savez. » lui dis-je avec un petit sourire, pas fâchée pour un sous, car il m'avait simplement évité une chute tant mes jambes avaient besoin de se dégourdir un peu.

J'étais toutefois incapable de réprimer un frisson alors qu'il évoquait sa Faim qui se faisait plus intense ces derniers jours. Je le comprenais. S'il était seul ici, comme je le supposais, il devait lui être difficile de se nourrir. J'admirais soudain sa force d'esprit. J'ignorais quelle était la sensation de cette Faim, mais je pouvais imaginer à quel point il était difficile d'aller contre un instinct aussi primaire. « Je comprends. » Et c'était la pure vérité, que je murmurais presque tant nous étions proches. Le silence de la forêt était tel que parler ainsi, à voix basse, était amplement suffisant.

C'était très intime, réalisais-je. Mais d'une façon plus douce, moins connotée. Voir pas du tout. S'il était seul ici depuis que je l'avais entendu aux portes de la mort, j'imaginais qu'un peu de compagnie devait lui faire plaisir malgré sa Faim. Ce qu'il vint confirmer dans un demi-mensonge, que je décelais grâce au glyphe de mon collier, alors qu'il caressait mes flancs. C'était une sensation agréable, quoique quasiment irréel, et je laissais mes doigts glisser vers son torse comme pour m'assurer qu'il était bien vivant.

« Pas Claudius. » Répondis-je alors qu'il s'éloignait vers le feu et que je le suivais. « Ni ma fille… Je… J'entends les morts, cela, vous le savez. » Repris-je tandis qu'il m'indiquait sur quelle couche m'asseoir. Toutefois, je pris le temps d'en améliorer l'aspect ainsi que la protection face aux éléments, créant par la magie un matelas bien plus confortable et renforçant son abri pour en faire une vraie petite cabane. La porte était un rideau de larges feuilles que je laissais ouvert tandis que je m'asseyais sur le bord, les genoux relevés et mes bras les entourant. « Je vous ai entendu lorsque vous êtes mort. Vous et… le Corbeau ? C'était une discussion à laquelle je n'ai pas compris grand-chose, faute de contexte. Mais… Vous étiez mort. Et vous ne l'êtes plus. »

Il vint s'asseoir à côté de moi, nos épaules se touchant presque, et je tournais mon regard vers son profil. Cela était sans doute un peu inconscient, mais je décidais de saisir doucement sa main droite, la plus proche de moi, pour lui offrir un peu de ma chaleur. Il me semblait que c'était de cela dont il avait besoin.

« Quand votre voix a disparu… Ce n'était pas comme d'habitude. J'ai su que vous n'étiez pas entré dans la Roue de la Réincarnation. Ensuite… quatre autres voix se sont fait entendre. Nous avons discuté avant qu'ils ne passent de l'autre côté… Surtout avec Sorel, il était mon ami… » Révélais-je doucement, bien consciente que je marchais sur des œufs. Je ne voulais pas lui faire plus de mal, bien sûr, mais plutôt lui faire comprendre que je partageais sa peine, au moins un tout petit peu. « Je suis désolé, je sais ce qui c'est passé. » Je serrais tendrement ses doigts entre les miens. « C'est pour vous que je suis venue. Cela m'a pris un peu de temps, mais… Je me suis dit que cela vous ferait peut-être du bien. »

Il était donc la raison principale de ma venue. Je n'oubliais pas Claudius et sa maladie, bien entendu, et la demande que j'avais à faire au Prince Noir… Mais si nous n'en avions pas l'occasion aujourd'hui, cela pouvait attendre encore une journée ou deux.

Le silence s'étira un tout petit peu, puis…

« Votre Faim… Je fais assez de cauchemars pour l'apaiser. » Je dégrafais l'attache de ma cape, laissant celle-ci choir derrière moi. Mes bras étaient nus et les veinules cuivrées, indiquant ma nature de Sainnûr, apparaissaient au niveau de mes bras et s'enroulaient en arabesques délicates jusqu'à mes épaules, que mon dos nu laissait deviner, jusqu'à la base de ma nuque que mes cheveux cachaient en partie. « Et je ne crains pas votre morsure, qu'elle soit physique ou mentale. »

Il fallait être fou pour offrir ainsi sa gorge à un vampire, même si dans le cas d'Aldaron, je savais qu'il n'avait pas besoin de me mordre physiquement. Mais comme je venais de l'énoncer avec sincérité, le tourbillon de mes émotions était sans doute assez violent pour le sustenter et pour rendre ma présence moins difficile à supporter. Sans parler de mes souvenirs, des cauchemars de la théocratie ou même avant cela, de la guerre contre les vampires, qui, plus souvent qu'on le pensait, venaient me hanter. Sans parler des Chimères, qui m'avaient possédés.

Et être là pour les autres faisait partie de moi. J'étais une guérisseuse, et si je pouvais l'aider de cette façon… Soit.

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Elle marquait un point, car elle aurait pu tout simplement descendre de son dos, mais malgré ce qu’il traversait, son caractère joueur et farceur restaient en fond. Il mourrait tout simplement d’envie de lire la surprise sur sa tête lorsqu’il se transformerait, et là, il avait le meilleur visu sur ce qu’il attendait. Elle n’avait pas l’air fâchée pour autant de leur proximité, alors il avait probablement bien fait car il avait lu en elle, juste sous la surface de ses yeux, le soulagement de le retrouver. Lui aussi l’était, soulagé, en un sens. Vex’Hylia était à la fois une étrangère et d’une proximité troublante. Probablement que sa douceur lui plaisait, cette manière qu’elle avait de se montrer empathique, tolérante et patiente. Certes, il n’aurait pas dit la même chose la seconde qui avait suivi le poing dans la figure qu’il s’était pris, mais une fois la colère passée et la raison retrouvée, sa présence lui était agréable et sa proximité aussi. « Un point pour vous. » répondit-il, et pourtant, il l’avait fait, cherchant visiblement en elle sa partenaire de jeu, comme la dernière fois. Il ne pouvait lui avouer et préférait lui concéder le point.

Pourtant il savait que leur jeu avait causé du tord à Vex’Hylia. Il savait que les elfes n’avaient pas aimé sa relation avec le Prince Noir, lors du sommet entre l’Alliance et l’Empire. Il savait aussi que Siel avait été assez maladroit et pour être honnête, Aldaron n’avait pas prévu qu’il soit crédule de la sorte, auquel cas il l’aurait avisé que sa situation avec son ex-femme était autre que ce que les rumeurs en disaient. Ils ne se connaissaient pas assez pour comprendre que cela n’avait été qu’un jeu. Quoiqu’il en soit, le Prince Noir ne savait que trop combien le cœur de l’Immaculée avait été brisé à ces mots, mais peut-être qu’avec le temps et des explications sincères sur le quiproquo, cela évoluerait ? Son regard volcanique l’hypnotisait tant qu’il du rassembler sa force mentale pour se détourner et préparer le thé. Elle dédouanait Claudius et sa fille, pour ce qui l’amenait.

Il vint s’asseoir près d’elle et alors qu’elle poursuivait, il sentit sa main prendre la sienne. Par reflexe, sûrement, ou par appréciation de son geste, il venait refermer son pouce sur les doigts qui s’étaient faufilé dans le creux de sa paume. Il était désolé, pour elle. Il savait que si son malheur était pénible à traverser, il n’était pas seul à souffrir. Sorel était aimé parmi les Séléniens. Il avait beau être son fils de cœur et avoir tout appris, du commerce, par Aldaron, il s’était fait une place dans l’Empire. Il ne soufflerait par à Vex’Hylia que Sorel agissait pour le compte du Marché Noir, en réalité. Personne n’avait besoin de savoir et personne ne saurait. Il ne comptait pas ternir son image car c’était tout ce que les gens retiendraient de lui et cela aurait été particulièrement injuste. Car Sorel avait aussi à cœur l’Empire, bien qu’il pratiquât un double-jeu dans l’ombre. Il était un ami sincère et c’était ce qu’Aldaron voulait qu’on retienne de son enfant.

Il aurait voulu lui dire qu’il était désolé, lui transmettre ses condoléances, mais il demeura muet, les mots bloqués dans le fond de sa gorge. Son regard ne s’était pas détaché de la bouilloire, probablement parce qu’il espérait qu’en ne croisant pas son regard, elle ne serait pas troublé d’y voir la détresse intérieure qui y logeait. Mais elle lui affirma être venue pour lui et il serra sa main un peu trop nettement, avant de relâcher promptement la tension. Il ne voulait pas lui faire de mal, et en étant touché, son état mental se dégradait. Il chercha à le stabiliser alors que la Faim tiraillait son être. Il ferma de nouveau les yeux, cherchant en lui le calme au milieu de cette tempête. Le silence retomba, alors il s’apaisait, s’aidant du bruit des bois pour canaliser sa sérénité. Son regard s’était posé sur leurs mains unies alors que son pouce caressait doucement les doigts fins de la Sainnûr.

Elle reprit la parole pour lui proposer d’apaiser sa Faim, dégrafant sa cape. La chair chaude qui percevait nettement près de lui, troublaient ses sens de prédateurs, réalisant combien il aurait voulu croquer dedans sauvagement. Il n’aurait été ni tendre, ni délicat et fort heureusement pour lui, il n’était pas un Raudr. Ce sang, qui palpitait dans ses veines et qu’il entendait comme une cacophonie, l’appelait mais ne le rendrait pas ivre. En revanche, ce qu’elle évoquait, ces cauchemars, il les sentait. « J-Je… » balbutia-t-il, bien que ce ne fut pas, d’ordinaire, son habitude. Il fut heureusement coupé par le sifflement qui s’intensifiait de la bouilloire. Il se leva donc, presque aussi précipitamment que Vex’Hylia avait fui Siel récemment et empoigna, sans protection, l’anse brûlante en acier. Dragonnier, sa peau ne craignait pas le feu. Il la posa sur une pierre et les petites gouttes de pluie qui tombaient dessus se transformaient immédiatement en vapeur d’eau. Dans un filtre, à l’intérieur, il déposa le thé pour que l’eau infuse des arômes.

Là, comme il devait attendre, il releva ses mires verdoyantes sur elle, perplexe et visiblement égaré. Il réalisa qu’elle était dans sa couche, améliorée, au bord d’une cabane elle aussi améliorée. Elle était prévenante et dévouée. Elle méritait sa douceur, en retour. « Ce n’est pas moi que vous devriez craindre, Dame Aerendhyl. C’est vous-même. Si je me nourris de vos cauchemars, je ne les efface pas définitivement de votre psyché. Sitôt que j’aurais fini de me nourrir, cela reviendra progressivement et vous vous sentirez probablement un peu mieux, pendant un temps. Mais je ne peux pas faire de tri et je ne veux pas vous enlever vos rêves, même pour un instant. Sans vos cauchemars, vous allez brièvement vous sentir bien, défaite d’un fardeau… Si je mange vos rêves, vos ambitions, vos aspirations… Quel sens donnerez-vous à votre vie, pendant ce temps ? Un être sans rêve ne voit plus son avenir et trouvera le premier mur pour aller résolument s’exploser le crâne. Les Ast sont bien moins sanguinaires, tout comme les Tyrs, si bien que nous paraissons plus raffinés et moins effrayants que les Raudrs originels. Mais je ferai sur vous autant de dégâts, sinon plus, à vous détruire vos espoirs et vos rêves, même pour un instant… Ce serait suffisant pour que vous vous donniez la mort, si vous n’êtes pas capable de me résister. »

N’était-ce pas plus effrayant, finalement, que les vampires de jadis ? De ne plus pouvoir combattre, ne plus avoir envie de rien si ce n’était en finir ? « C’est la réalité de notre malédiction et je ne tolérerai pas vous entendre hurler de désespoir pour me sustenter. Ce serait… Pénible pour nous deux, je vous l’assure. » Ses lèvres se pincèrent, alors que la pluie, plus intense, glissait le long de ses cheveux d’un blond pâle. Il reprit la théière et les deux tasses avant de revenir auprès d’elle, posant le thé encore un instant pour qu’il continue d’infuser. Avant de s’asseoir, il nota la présence sur la cape… D’une petite poche en forme de cœur de laquelle s’échappait une petite fiole de l’ancien commerçant reconnu comme une potion de fertilité. Il s’assit à ses côtés. « Vous voulez d’autres enfants ? » … Certes, dit comme ça, c’était un peu abrupte et ça semblait venir de nulle part. Il ferma brièvement les yeux et secoua la tête de gauche à droite. « J’ai vu… Pardon… Une potion de fertilité alors je me suis dit que vous cherchiez un avoir un enfant et comme Siel n’est plus très… Vivant. Et je sais ce qu’il vous a dit, de surcroît, il était peiné de sa méprise et… moi aussi. Si je ne vous avais pas proposé ce jeu, vous n’en seriez pas là. Et vu... La potion, je me suis demandé si vous aviez décidé de tourner complétement la page de votre passé mais ce… c’est intrusif, je suis désolé. » Il sembla chasser la question d’un geste de la main avant de servir deux tasses de thé.

Il en tendit une à la Sainnûr. « Je vous remercie pour la proposition. » Réalisant qu’il venait de repasser au précédant sujet sans transition, il ajouta : « Pour la Faim, pas les enfants. » Il s’arrêta : ok, là son discours devenait carrément gênant. Ça n’était pas ce qu’il avait voulu dire. Il voulait signifier qu’il reparlait de la Faim et plus de cette histoire de potion de fécondité, mais avec l’enchaînement de ses phrases, il avait soudain l’air de décliner une proposition d’enfantement. Embarrassé et visiblement pas habitué à faire des bourdes en communication, il se cacha derrière une tasse de thé dont il but des gorgées bien chaudes le temps de retrouver ses esprits. Les derniers événements le mettaient complétement à l’envers : rien d’étonnant alors au fait qu’il ait refusé de retourner immédiatement dans la sphère politique. « Je voulais dire que vous me semblez d’un naturel aidant et que j’apprécie votre dévouement. Je suis désolé pour Sorel, je sais qu’il comptait beaucoup d’amis à Sélénia. Je regrette que vous ayez à souffrir de son décès, vous aussi… Rog s’est montré impitoyable. Ça a été… Un carnage. » Littéralement.

« Les vampires ne sont jamais intervenus dans ses affaires. Ni dans le canyon, ni au domaine. A aucun moment mon peuple ne s’est mis en travers de son chemin. J’ai repassé les derniers instants de vie de mes enfants en revue… Ma Couronne garde leurs souvenirs et… Ils ne l’ont pas attaqué. Ils n’ont pas attaqué Rog, certains n’ont pas même eu le temps de poser leur regard sur lui qu’ils étaient déjà morts. » Rog avait argué que les sans poils s’étaient mêlé de ce qui ne les regardaient pas, mais ça n’était pas le cas des vampires. Tous n’étaient pas à mettre dans le même panier et Rog avait fait preuve d’une cruauté monstrueuse et déplacée. Sa gorge se serrait alors que ses yeux s’abaissaient vers le sol, l’âme dévastée. « Je l’ai rendu mortel en rompant son lien avec les esprits-liés du cafard, de la sangsue et du corbeau qui lui conféraient respectivement résistance hors norme et la vie éternelle, une régénération éhontée et enfin la capacité de ramener des âmes à la vie. Je les ai toutes rendues mortelles, les Couronnes de Cendres. Alors la Lucarne, le quatrième esprit-lié de Rog, m’a transpercé de l’une de ses cornes. C’est pour cela que vous m’avez entendu. On ne survit pas à l’attaque d’un esprit-lié quand on est un mortel. » Et pourtant il avait survécu et son regard se posa sur l’immense arbre, l’Arbre-Songe.

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Son pouce se superposa à mes doigts alors que je venais de me faufiler, de force, jusqu'à la paume de sa main. Le contact était glacé, bien sûr. Mais la douceur de son geste éclipsait cette sensation et faisait plutôt naître en moi une douce chaleur ainsi qu'une quiétude certaine. Je lui offris donc un timide sourire, emprunt d'un peu de tristesse, mais également de la joie que je ressentais à le voir vivant. Au sens vampirique du terme, bien entendu. Quant aux paroles, elles me semblaient inutiles. Je voyais, la ligne tendue de sa mâchoire, que les mots ne parvenaient pas à franchir la barrière de ses lèvres. Ce n'était pas grave, car la seule pression de ses doigts contre les miens suffisait à transmettre ce qu'il y avait à dire. Alors, à mon tour, je serrais un peu cette main pâle, puis joignis mon regard au sien en détournant mes mires vers le feu.

Ma proposition d'étancher sa soif le troubla. Beaucoup plus que je l'avais imaginé en premier lieu. Je baissais donc le regard, désolé, vers nos mains jointes tandis qu'il balbutiait, à la recherche de ses mots. Cela me troubla, car Aldaron avait toujours été un grand orateur. Le voir en manque de moyen était étrange et me fit relever les yeux vers lui.

Le sifflement de la bouilloire fut notre salut. Promptement, le Prince Noir quitta mes côtés. Je le regardais faire sans être capable de retenir une grimace lorsqu'il empoigna l'anse brûlante, avant de me rendre compte qu'il ne souffrait pas. Mes sourcils se froncèrent tandis que je me questionnais sur cette résilience. À moins qu'une résistance au feu fût un talent caché. Il était dragonnier, après tout, cela était donc une hypothèse probable.

L'air était lourd, entre nous. Je comprenais pourquoi, bien sûr. Mais cela ne m'empêchait pas de détester cette soudaine distance. Aldaron entendit-il mes pensées ? Car, bien forcé d'attendre que le thé infuse, il releva ses mires verdoyantes vers les miennes, volcaniques, et je ne le lâchai pas des yeux.

Ses mots sonnaient comme une leçon. Pourtant, je la connaissais déjà, malgré le fait que l'ethnie Ast et Tyr étaient récentes. Je baissais donc les yeux sur mes mains alors que j'enroulais mes bras autour de mes genoux remontés contre ma poitrine. Il y avait raison sur toute la ligne. Et je devais m'estimer heureuse qu'il ait des principes. De l'honneur. Ou un semblant d'attachement envers moi, pour se retenir de profiter de la situation. Car la Faim devait être dévorante, après tout ce temps tout seul.

J'aurais dû ressentir de la peur ou de l'angoisse. Cela aurait été normal. C'était ce que mon instinct de conservation me hurlait. Mais il n'en était rien. Ou alors, j'étais simplement capable de faire taire ces émotions pour ne pas les laisser me happer. C'était quelque chose devenu facile, depuis tout ce temps.

« Je vous crois. » Répondis-je alors que je relevais les yeux vers sa silhouette immobile, sous la pluie. Je penchais légèrement la tête en l'observant, alors qu'il revenait à l'abri avec la théière et deux tasses.

Il s'arrêta soudain, comme si je venais de le frapper, et je baissais les yeux vers ma cape, suivant son regard. C'est là que je vis la bouteille, qui dépassait de cette satanée poche en forme de cœur. Je m'empressais de la ranger, lâchant un soupir à sa question.

« Non. » Lui dis-je de façon abrupte. D'une voix presque froide. Ne voulant pas créer de quiproquo ou qu'il pense que j'étais mal à l'aise, je repris en adoptant une voix plus chaude et plus douce. « Ce serait irresponsable de donner la vie à un enfant par les temps actuels. » Je n'étais donc pas fermé à l'idée d'être de nouveau mère un jour... Mais le sujet semblait le gêner plus que de raison, et je relevais un regard amusé vers lui. Jusqu'à ce qu'il évoque Siel, me faisant détourner les yeux. Ce souvenir était encore vif et douloureux. Mais il avait aussi été un déclic. « Cette poche est l'œuvre de Mme Doubfire. La potion aussi. Elle y en a glissé plusieurs, en vérité. » Commençais-je afin de désamorcer la situation et d'empêcher le Prince Noir de se sentir un peu trop mal à l'aise. « Lorsque je suis revenue chez moi et que j'ai découvert la poche, j'en ai sorti tout ce qu'elle y avait glissé. Il y avait donc cette potion de fertilité, mais aussi deux philtres d'amour. Je vous laisse imaginer ce à quoi elle pensait. Elle a toutefois oublié que les Vampires sont stériles. » terminais-je en haussant un sourcil vers Aldaron. Un léger sourire flottait également sur mes lèvres et trahissait l'amusement que je ressentais à cet instant. « Quant à Siel… Ne vous en voulez pas. Je suis une adulte et j'ai choisi de jouer. Et de ne pas lui dire qui j'étais pour lui autrefois. Et je ne compte pas changer cela... Du reste… Il est heureux et c'est ce que je lui souhaite. C'est à moi d'avancer maintenant. Je ne peux pas rester accroché au passé ou à l'espoir qu'il y ait un déclic, un jour. Sinon je ne guérirai jamais. Le bonheur est au bout du chagrin, et il est temps que j'y songe. »

Je saisis alors la tasse offerte, soufflant sur le liquide brûlant tout en enroulant mes doigts autour du récipient. Puis je haussais de nouveau un sourcil face au discours du vampire, qui ne semblait plus en mesure d'avoir des propos cohérents. Peut-être aurait-il même rougit s'il en avait été capable, pensais-je à ce moment-là.

Le silence s'étira et je ne fis rien pour le briser. Ce n'était pas un temps mort gênant. Au contraire, le bruit de la pluie dans les arbres donnait à l'atmosphère quelque chose de mystique et d'agréable. J'avais la sensation que le monde s'était refermé autour de nous afin de nous extraire, pendant quelque temps, de la folie de cet archipel.

« Vous n'êtes pas obligé d'en parler. » Lui dis-je lorsqu'il s'exprimait. « Mais si vous le voulez, je vous écoute. » précisais-je en tournant mes mires vers lui puis en délaissant ma tasse, la posant face à moi.

Ainsi, par la suite, j'ai appris ce qui s'était passé, peu avant que je n'entende sa voix. La façon dont ses enfants sont morts sans jamais s'en être pris à la Couronne. Puis il expliqua précisément ce qui s'était déroulé avant sa mort, la façon dont il avait usé de ses pouvoirs pour priver son ennemi de ses plus puissants soutiens.

J'en restais sans voix. Je n'avais pas les mots. Je ne savais pas quoi dire. Mais il y avait quelque chose que je voulais faire. Alors, prenant mon courage à deux mains, je dépliais mes jambes puis passais une main sur sa joue, l'autre derrière ses épaules, afin d'attirer le Prince Noir contre la mienne. Je ne voulais pas le forcer, bien sûr, et il pourrait aisément se défaire de cette étreinte si tel était son souhait.

« C'est cet endroit qui vous a sauvé, n'est-ce pas ? L'arbre, il est puissant. Je l'ai senti lorsque nous sommes arrivés. » La raison de ce sauvetage m'intriguait. Ce n'était certainement pas par pure bonté d'âme étant donné ce que je savais sur cette forêt et sur les licornes. « J'ai quelque chose pour vous. » dis-je soudain, changeant de sujet exactement comme il l'avait fait un peu plus tôt.

Je fouillais alors dans la fameuse poche en forme de cœur afin d'en sortir un petit paquet et une feuille délicatement pliée. Mais mes doigts effleurèrent autre chose. Un tout petit flacon que je sortais à l'air libre, les yeux brillants de satisfaction. « Je n'y pensais plus… » Je levais la fiole au niveau du regard d'Aldaron. « C'est un Don de l'esprit Océan. Je l'ai ici depuis si longtemps que je l'avais oublié. C'est une potion réputée pour soigner tous les maux, qu'ils soient physiques ou mentaux… Et elle apaise aussi la Faim des vampires. » Expliquais-je en la glissant dans sa main. « Gardez-la. Buvez-la quand bon vous semble, vous vous sentirez mieux. C'est un cadeau. » Une grande part de moi espérait qu'il le fasse aussitôt, afin que ma présence ne lui soit plus si désagréable à cause de cette Faim qui le tiraillait. Je ne voulais pas être associée à ce sentiment. Mais je ne désirais pas le forcer non plus. Je revins donc au paquet que je venais de sortir de ma poche magique, ainsi que la feuille pliée en deux.  

« Lors de l'une de mes visites ce mois-ci, Mme Doubfire a laissé échapper la date de votre anniversaire. Et j'ai malencontreusement laissé échapper que le mien était cinq jours après le vôtre. Alors, quand je suis revenue ce matin même, elle m'a donné ceci avant de partir. » Je dépliais le tissu du paquet, révélant un petit gâteau sur lequel on pouvait lire « Aldaron et Vex'Hylia. ». « Cette femme est une perle. Toutefois, si je ne me trompe pas, le goût et la texture des aliments ne sont pas des plus agréables pour les vampires… » Je fis la moue, déçue, avant de saisir la feuille et de la lui tendre en la tenant à deux mains, comme s'il s'agissait d'une relique des plus précieuses. « Ceci vient d'Ulmo. Ce petit garçon est… Eh bien, une étoile brillante parmi les ténèbres. Il est adorable, gentil, aimant. Et il s'inquiétait beaucoup pour son papa. Alors, quand je lui ai dit que j'allais venir ici pour tenter de vous retrouver, il m'a confié ceci. »

Avec un regard appuyé, j'invitais Aldaron à prendre la feuille et à découvrir le dessin que son fils lui avait fait. Les traits enfantins avaient dessiné une licorne au centre du papier, qui représentait donc Aldaron, autour de laquelle se tenait respectivement Nounours, Ulmo, Circë et moi-même, reconnaissable à ma chevelure et ma tiare. Les traits, bien qu'enfantins (la licorne ressemblait donc à une patate avec une corne...), étaient plus précis et délicats que ce à quoi on pouvait s'attendre, car ma main avait guidé la sienne dans la réalisation de cette œuvre. Ulmo y avait tenu.

« Nous avons passé une soirée ensemble, dans ma chambre, à dessiner. » Un léger sourire étira mes lèvres au souvenir du petit garçon que j'avais découvert caché sous mon lit. Mon instinct maternel avait pris le dessus face à son inquiétude et nous avions passé un moment très agréable, plein de complicité. Je me doutais même qu'Ulmo eût développé un attachement à cette figure maternelle que je pouvais représenter. « Je sais que… que tout ceci ne se prête pas aux réjouissancess... » j'englobais les alentours d'un geste de la main. Le lieu n'était pas des plus chaleureux, mais je voulais surtout parler de ce qui avait conduit Aldaron ici en premier lieu. « Et que vous… nous… sommes en deuil. Et que nous nous connaissons peu… » Je soupirais en passant une main sur mon visage, cherchant les mots justes. Je doutais d'en être capable. « Je suis désolée, je suis parfois maladroite. »

Je pris une profonde inspiration tout en me penchant en avant pour saisir ma tasse de thé encore bien chaude. En boire une gorgée me permis de formuler, dans ma tête, ce que je voulais lui dire.

« J'espère que ces présents et ma présence rendent tout ceci moins douloureux. Si je peux apaiser votre coeur, même un peu, alors j'en suis ravie. » Cela sonnait mieux, mais il manquait encore quelque chose. « Il y a une autre chose que j'aimerais vous offrir. Quelque chose très personnel. » Commençais-je, jouant sur le choix des mots pour le faire (trop) réfléchir. Le silence s'étira quelques instants, puis je repris. « Mon amitié. Cela me semble juste et aussi trop peu, compte tenu de notre première entrevue. Mais c'est un début. Qu'en pensez-vous ? »

descriptionLe bonheur est au bout du chagrin [Vex & Alda] EmptyRe: Le bonheur est au bout du chagrin [Vex & Alda]

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Mme Doubtfire, évidement. Il aurait pu s’en douter. Cette poche en forme de cœur et cette potion semblait venir tout droit de la rumeur qu’elle se plaisait à nourrir... Et même à croire. Il entendit l’immaculée expliquer avoir tourné la page et en son for intérieur, il trouvait que c’était pour elle une bonne solution. Pendant plusieurs mois, elle avait cherché Siel puis son rapprochement avec lui s’était fait trop hésitant. Elle avait voulu le rencontrer sans lui dire la vérité sur qui elle fut pour lui alors les choses tournaient différemment de ce qu’elle avait pu espérer. Elle lui avait laissé son indépendance et Siel l’avait prise. Lui-même, nouveau-né, s’était retrouvé auprès d’Achroma et était orienté par l’Esprit-Lié de l’Inséparable. Autone avait été éveillée avec toutes les informations concernant sa famille.

Était-ce alors mieux de laisser le libre choix au nouveau-né ? Peut-être était un choix noble, bien qu’il impliquât une souffrance de la part de ceux qui n’auraient plus de lien avec celui qu’il fut jadis. Était-ce pour autant bénéfique au nouveau-né ? Siel ne prendrait-il pas grande peine à savoir que ce lien avait volontairement été dissimulé ? Ou bien serait-il reconnaissant d’avoir pu grandir par lui-même ? Aldaron se disait que si deux personnes s’étaient unis une fois et qu’elles étaient heureuses, alors il ne pouvait être que bénéfique de créer un lien à nouveau. Ou au moins de faire un entre-deux ? Il n’avait jamais cherché à dissimuler la vérité à ses enfants, aussi douloureuse puisse-t-elle être et Siel n’était pas venu l’interroger sur le sujet… Devait-il en conclure qu’il n’en avait pas besoin ? Qu’il n’en ressentait pas l’envie ?

« Je comprends. » avait-il répondu, se gardant bien de parler sur ses réflexions, car il se doutait bien que ce choix avait dû être déjà difficile pour elle, sans qu’il ne vienne semer la graine du doute. Siel faisait partie des Elusis. Bien que la famille ait été amputée de quatre membres, elle restait l’une des lignées atypiques les plus emblématiques de l’archipel qui avait pour réputation d’avoir des membres soudées, recherchant l’excellence qu’évoquait leur nom princier. Siel était bien entouré. Cela ne lui garantissait pas d’être absolument heureux, mais Aldaron était assez persuadé qu’un entourage aimant aidait grandement au bonheur. Quant à elle, qu’elle tourne la page et relève la tête était le signe qu’elle marchait dans la bonne direction et qu’elle ne creusait pas son propre tombeau.

Il avait parlé de la façon dont étaient morts ses enfants et de comment lui-même avait perdu la vie. Ses questions étaient légitimes mais sur le coup, sa gorge était bien assez nouée pour qu’il en garde autre chose que le silence. Il s’était laissé emporter, contre elle, n’y plaçant aucune résistance. Son oreille vint à reposer sur son épaule, quelques instants et d’ici il entendait les battements de son cœur d’une façon plus intense. Il jugula sa Faim, restant quelques secondes dans ses bras, silencieux, sous son parfum qui caressait son nez d’une essence florale. Il aurait voulu fermer les yeux et peut-être même se reposer si la Faim ne titillait pas ses nerfs.

Il se redressa lorsqu’elle se mit à chercher quelque chose. Il prit le don d’océan et pour être tout à fait honnête, il ne se fit pas prier pour l’ouvrir et la boire. La sensation lui fit un bien fou, immédiat. Il se rendit compte que ses épaules et ses muscles étaient crispés et qu’ils se détendaient maintenant que la tension diminuait. Puis il y eu le gâteau, ce dessin de son fils qu’il déplia délicatement comme s’il s’agissait d’un trésor précieux. Les larmes étaient montées à ses yeux sans couler, dignité obligeait, car il était Prince. Son cœur se serrait car son petit lui manquait terriblement, comme tous les autres. Après avoir perdu Sorel, Ivanyr, Elizabeth et Celeborn, et aurait voulu serrer chacun des autres entre ses bras. Chose qu’il avait faite, notamment avec Autone, mais du reste... Il lui faudrait retourner à Cendre-Terre. Et retourner à Cendre-Terre signifiait de reprendre ses obligations en main et pour l’heure, il n’était véritablement pas prêt. Il avait besoin de réponses puis de définir un plan d’action avant de se mettre en marche. De son pouce, il caressa la forme du petit garçon qu’était Ulmo sur le dessin. Il rentrerait bientôt à la maison. Il avait besoin de guérir, au moins physiquement, avant et il rentrerait, il s’en faisait la promesse mentale. Il ne manqua pas de noter que le petit vampire appréciait assez Vex’Hylia pour l’avoir dessinée dans ce qui aurait pu s’apparenter à une famille.

Il reposa son regard sur elle, quand elle commença à s’embrouiller dans ses propres paroles avant de finir par lui proposer son amitié. Il eut un bref sourire en coin qui ne dura hélas pas longtemps tant le deuil s’appuyait sur chacun des traits de son visage avec lourdeur. Il était touché par sa demande et elle avait raison, cela était rapide, mais il était certain que toutes les amitiés n’étaient pas forcément de longues années passée ensemble. Pour être assez honnête, il avait plus l’habitude de ce genre de prompte demande de la part d’humains plus que d’elfes ou anciens elfes qui préféraient, eux, que s’installe la relation sur la durée. Cela ne le dérangeait pas plus que cela, et après tout, elle vivait parmi le peuple Sélénien. Elle n’était pas rentrée auprès des siens, cela devait bien signifier quelque chose ? S’était-elle trouvée, comme lui, mal à l’aise parmi ceux de sa race ? Leur immobilisme persistant, malgré les nombreux dangers et bouleversements qu’ils avaient affronté ces quinze dernières années, avait-il fini par causer une rupture avec la façon d’être du beau peuple ?

Il acquiesça d’un signe de tête, court mais net, comme le faisaient souvent les rois lorsqu’ils donnaient leur aval d’une façon assez autoritaire et régalienne. Et si la gestuelle du Prince était revenue, c’était parce qu’elle était Sélénienne et qu’il ne pouvait soustraire ceci de l’équation. Elle pouvait représenter un danger pour lui, s’il découvrait par malheur qu’elle ne cherchait qu’à le manipuler, et il représentait aussi un danger pour elle et sa place au sein de l’Empire. Si leurs fiançailles étaient une rumeur dont ils amusaient, un réelle amitié pourrait, elle, faire grincer des dents. Le geste net de sa tête, régalien, avait alors trahi cette pensée. « S’il s’agit d’un cadeau qui m’est sincèrement offert, je ne saurai le refuser ni même m’y soustraire. Je ne pourrais non plus dire à votre cœur qui il doit aimer ou non. L’affection que vous me portez est indépendante de ce que je pourrais en penser, Vex’Hylia. » N’était-ce pas la première fois qu’il prononçait son prénom ? « Tout comme celle que je vous porte ne saurait avoir attendu que vous en versiez un retour en échange. Vous êtes ma protégée. » L’une de ses protégé.e.s, mais il tenait à elle et à sa sécurité, comme il lui avait signalé lorsqu’il avait fait la promesse à Orfraie de garder un œil protecteur sur elle et sa petite.

« Vous êtes une partie de ma famille, même si encore balbutiante, vous êtes là. » Il posa le dessin, entre eux : elle était là, dans le cœur de son petit Ulmo. Elle était là, dans l’histoire oubliée de Siel. Il se tourna d’un quart pour s’adosser contre le mur perpendiculaire de sa cabane améliorée. Il s’en retrouvait face à elle, le dos appuyé contre le bois et portant sa tasse à ses lèvres. La gorgée était pleine de saveurs différentes dont il peinait à trouver, vampire qu’il était, la moindre harmonie. Mais s’il en buvait, c’était parce que les plantes mélangées au thé sauraient apaiser sa peine. Il mirait la surface de son contenu qui reflétait le ciel assombri et pluvieux. Il releva les yeux vers elle, un peu plus franchement qu’avant. Maintenant qu’il ne sentait plus la Faim, il se sentait moins obligé de détourner le regard pour se calmer. Ses mires verdoyantes purent enfin contempler les arabesques cuivrées qui parcouraient ses bras, et, de ce qu’il voyait de sa nuque à moitié camouflée par ses cheveux, cela remontait au-delà de ses épaules. Son regard coula sur la peau de son dos nu, avant qu’il ne croise à nouveau son regard.

Il venait de la mater, là, non ? Un sourire joueur, malgré la tristesse qui plombait son visage, vint à naître lorsqu’il réalisa qu’il venait d’être pris en flagrant délit de contemplation du corps de la jeune femme. Peut-être aurait-il dû se confondre en excuses, mais il avait un tempérament joueur et l’esprit-lié du Saumon lui avait conféré depuis bien des années l’incroyable talent de ne pas se laisser démonter par les mauvais revers. « Vous êtes ravissante. » fit-il alors, pour pousser le bouchon un peu plus loin et s’amuser de sa réaction… A plus forte raison que ce n’était pas un mensonge de sa bouche. Le beau peuple ne portait pas ce nom pour rien et Vex’Hylia avait une remarquable silhouette élancée et sublimée par la race dont elle était issue. Il se pencha en avant pour récupérer, près d’elle, un petit bout du gâteau ‘Aldaron et Vex’hylia’, se retrouvant avec un morceau où était inscrit ‘Vex’ (et qu’il avait choisi avec soin).

Observant ces trois lettres, son sourire d’amusement s’apaisa doucement : « Mme Doubfire avait été embauchée par Melila, à Caladon, pendant la Théocratie. Cette petite mamie faisait de la résistance, voyez-vous ? Je crois bien qu’elle a acquis ici sa capacité à lancer des rumeurs. » Son regard se faisait assez flou à mesure qu’il plongeait sans ses souvenirs, ou du moins dans les souvenirs que lui rapportait magiquement le médaillon qu’il portait à une chaine, à son cou. « Quand je suis… » Il hésita un instant avant de poursuivre : « … Revenu de Morneflamme, je me suis caché à Caladon quelques semaines. » Après de longues semaines de fuite avec une traque qui s’intensifiait et son nom avait été placardé sur les murs, comme celui des sept instigateurs de l’évasion de la prison. Plus que d’autres évadés, il avait été vivement recherché, mort ou vif. « J’étais squelettique et c’était compliqué pour moi d’arriver seulement à manger tellement tout me rappelait… Le sang, le souffre ou le pourrissement. » Il serra ses dents alors qu’il ne quittait pas le ‘Vex’ sur son bout de gâteau du regard.

« Mais il y avait Mme Doubtfire. Elle a fait de son mieux pour trouver ce qui passait, pour s’adapter à moi, même si parfois ça n’avait ni queue ni tête. Elle a essuyé la violence de mes peurs… Et ma colère aussi. Vous avez raison, c’est un perle. Son seul défaut est probablement de ne pas être éternelle. » Car l’horloge tournait et l’humaine avait refusé la vampirisation bien qu’Aldaron eut préféré la garder à ses côtés. « Cela me semble parfois étrange, mais la grande partie de mes relations fidèles se sont forgées à Morneflamme ou juste après. » Probablement parce que ce genre de traumatisme rendait plus humain ? Malgré l’horreur, malgré la détresse, c’était la sincérité et des promesses tenues à jamais qui s’étaient créées. Il finit par goûter le gâteau. Ça n’était pas aussi bien que lorsqu’il était vivant, mais il sentait que certaines saveurs faisaient écho à ce qu’elle avait fait pour le nourrir, jadis, à Caladon.

Son regard s’évada sur l’Arbre-Songe, avant de le laisser perplexe. « Je crois que vous devriez savoir… Je crois que cela doit être porté à la connaissance de tous. » Peut-être qu’il devrait commencer ainsi. En parler ? Dire la vérité sur les Esprits-Liés, l’origine des graärh, le problème des couronnes de cendres ? « Cet arbre est puissant, oui… Parce que c’est ce qui reste d’un dragon plurimillénaire de jadis. Et si la magie d’une dragonne comme Skade a pu aller chercher Achroma dans les limbes où il était allé, le tirer hors de la réincarnation, reforger son corps, lui donner un fragment de son propre cœur… Alors imaginez un dragon plus ancien encore. » Nahui avait rapetissé à la taille d’un gros chien trapu, après avoir fini de manger et s’est rapproché avant se s’installer, la tête sur les jambes de son Lié pour s’offrir, de toutes évidentes, une sieste digestive. Le bois craqua et grinça, au passage, mais rien ne s’effondra finalement. « Imaginez ce qu’il a pu faire avec moi, même dans son état amoindri. » Il caressait les écailles blanches de la dragonne, bien qu’il doutât qu’elle puisse véritablement sentir quelque chose à travers une telle épaisseur.

« Les déesses ont forgé la création puis les Esprits-Liés pour protéger la création. L’un d’eux était le gardien du monde des rêves. Tel le plan astral où étaient les chimères et où elles ont été renvoyées, le monde des rêves est perméable au nôtre, et bien plus que le plan astral, indéniablement. Tout un chacun peut y accéder, il suffit simplement… De dormir. Toutes nos espérances prennent vie en rêve. Et certains rêves deviennent réalité. Ces deux mondes communiquent mais ne le devraient. Les rêves des uns peuvent être les cauchemars des autres et… Les peurs créent des monstres dans le monde des rêves qu’il vaudrait mieux ne pas voir émerger ici, tout comme ils ne devraient pas rester là-bas car si le monde des rêves était envahi par nos monstres et nos cauchemars, plus personne ne pourrait connaître le sommeil réparateur. » Il avait ouvert sa main, la paume levée vers le ciel. De la cendre semblait s’y agglutiner, apparaissant par magie et se cristallisant pour prendre forme.

« Un esprit-lié était alors chargé de nettoyer le monde des rêves pour qu’il ne soit qu’un terrain pour déverser provisoirement nos frustrations ou nos désirs et non pas le terreau fertile qui donne naissance à des monstres dévastateurs pour notre monde. Imaginez que nous fassions un mauvais rêve du Tyran Blanc… Cela lui permettrait de revenir. Imaginez à présent que nous soyons des centaines à faire ce cauchemar, combien de ces Vraorg se retrouveraient à piétiner nos terres ? Nous sommes alors notre propre danger et cet Esprit-Lié est celui qui nous protégé de nous-même. En vérité, tout aurait pu très bien se passer si cet esprit-lié ne s’était pas mis en tête de vouloir régler le problème à la source et de nous protéger nous des dangers et des horreurs qui donnent vie à nos cauchemars. Je trouve personnellement ce raisonnement stupide car pour venir dans notre monde… Il serait devenu mortel en plus d’abandonner son poste et de laisser les cauchemars nous envahir. Si un seul mortel pouvait sauver le monde, nous n’aurions pas besoin de lui, seulement d’un héros parmi nous, mais il a dû croire puérilement être le messie dont nous avions besoin. »

L’ast roula des yeux sans s’en cacher. « Fort heureusement, l’Esprit-Lié de l’Axolotl a repris ses fonctions pendant son absence… Au moins un qui a la tête sur les épaules. Pour ce qui est du premier, il a recherché l’aide de son ami, le dragon dont je vous parlais pour ouvrir un portail entre le monde des Esprits-Liés et le nôtre. Et devinez quoi ? Le monde savait que son projet était un échec vu d’avance et le hasard a fait que sa traversée a été un échec. Vous connaissez les légendes graärh ? Ils disent descendre des smilodons et les smilodons descendre des étoiles. Et bien… C’est vrai. L’esprit-lié est tombé du ciel, et a créé, sur Néthéril, les graärh. Quant au dragon, sa carcasse et son cœur de magie repose au centre de cet archipel, plus connu sous le nom de Tiamat ou puits sacré du Baoli. Son esprit, quant à lui, s’est accroché au cœur de l’esprit-lié et s’est enraciné dans un arbre. Cet arbre. » fit-il en désignant l’Arbre-Songe avant de venir se masser l’arrête du nez, dépité.

« Dans le cercle des Esprits-Liés, certains approuvaient le geste de l’andouille qui est venu ici se suicider. » Il secoua la tête de gauche à droite : « D’autres non, et le conflit a émergé quand certains graärh plus connus aujourd’hui sous le nom de Couronnes de Cendres, ont compris d’où ils venaient et ont voulu, je pense, retourner à leur état originel d’étoile. Certains esprits-liés soutenaient cette idée et d’autres pas et d’immenses bouleversements se sont enchainés sur Tiamaranta, jusqu’à ce que les couronnes de cendres soient défaites, j’ignore comment, et que les graärh se referment sur une vie humble loin d’un désir de côtoyer les étoiles. » Ses mires verdoyantes se plantèrent dans celles volcaniques de Vex’Hylia. « Les Couronnes de Cendre sont revenues et je pense que leur objectif est de s’emparer du cœur de l’esprit-lié que gardent l’Arbre-Songe et les Licornes. » Comprendrait-elle alors que par sa nature, Aldaron se retrouvait engagé à protéger, lui aussi, le cœur de l’esprit-lié ?

« La bataille à venir se passera ici… Et je vais avoir besoin d’alliés, dès que mon état me permettra d’aller avertir tout un chacun mais… » Il lui donna l’arbre de vie en cendres cristallisées qui s’était formé dans sa main, porteur d’un souvenir, celui où il relatait à Vex’Hylia ce qui fut et ce qui allait se passer. Il déposait l’objet délicatement dans sa main : « Peut-être pourriez-vous transmettre déjà ceci à Claudius, si vous le voulez bien. » Loin de lui l'envie de l'utiliser à ses fins politiques mais pour le moment, il était coincé dans la forêt.

descriptionLe bonheur est au bout du chagrin [Vex & Alda] EmptyRe: Le bonheur est au bout du chagrin [Vex & Alda]

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Il n’y avait ni piège, ni arrière-pensée. Peut-être y avait-il, même, un éclat de naïveté dans mes orbes volcaniques. À moins que ce fut autre chose. Quelque chose de plus sage et de plus réfléchit. Quelque chose de modelé par des années et des années de catastrophes. De moments volés et de vies brisées.

Son acquiescement était sec. Le geste ne passait pas inaperçu. Je comprenais pourquoi, soudainement, il était si rigide. Et je ne lui en voulais pas. Alors, un léger sourire ourla mes lèvres, d’autant plus encore lorsqu’il prononça mon prénom. C’était la première fois et c’était étrange de l’entendre s’échapper de sa bouche, mais ce n’était pas désagréable. Au contraire, un frisson parcourut ma colonne vertébrale et s’égara même sur mes bras, visible à ses orbes verdoyants.

« La vie est trop incertaine pour que je me pare d’arrière-pensée. Vous pouvez vous tranquilliser, Aldaron. » C’était aussi la première fois que je prononçais son nom à voix haute. Avec douceur, la tête basculant légèrement sur la gauche. « Je ne demande ni ne souhaite la protection du Marché Noir. » Je l’avais déjà dis, lorsqu’Orfraie avait balayé mon souhait d’un geste désinvolte de la main pour demander au Prince Noir de veiller sur moi. « Mais si vous souhaitez veiller sur moi au nom de cette amitié, cela, je peux l’accepter. » La nuance était ténue, mais bel et bien existante.

Il posa ensuite le dessin d’Ulmo. Mon regard s’y attarda et je sentis mon coeur se réchauffer à sa vue, avant de relever le regard vers le Prince Noir. « Oui. » Répondis-je simplement, dans un souffle. J’ignorais où ce lien allait me mener ou s’il était même bénéfique pour mon futur. Peut-être un peu des deux, à la fois bon et mauvais. Ce serait à moi d’avoir les bons arguments, le moment venu, pour que tout ceci ne se retourne pas contre moi. Car, je ne l’oubliais pas, nous n’étions techniquement pas dans le même camp.

Mais ce lien en formation pouvait mener à de belles choses, si nous l’utilisions de la bonne façon. Le simple fait qu’Aldaron fut, semblait-il, d’accord avec tout cela, ouvrait des portes. Il ne me repoussait pas. Ne me demandait pas de me tenir loin d’Ulmo… Je me perdais dans mes pensées tandis qu’il bougeait légèrement, me faisant face. Il était plus détendu sans cette Faim tenaillante et, pour ma part, j’en ressentais une profonde satisfaction.

Une gorgée de thé plus tard, je relevais mon regard vers le sien et le prenais en flagrant délit de… d’inspection de ma personne ? Et pas dans le sens « Je vais vous manger. ».

Quoi que ?

Son sourire joueur me fit lever les yeux au ciel et je cachais le mien derrière ma tasse de thé, sans le quitter du regard. Ravissante ? Je sentais le compliment sincère malgré le ton joueur derrière lequel il se cachait. Alors, entrant dans cette danse qui me rappelait notre première rencontre, je reposais ma tasse devant moi et me penchais légèrement en arrière, la gorge dégagée, soutenue par mes mains posées à plat derrière moi. Mon regard volcanique s’attarda sur son visage régalien, sur ses prunelles verdoyantes qui trahissait son amusement, sur ses lèvres joueuses, puis sur le reste de sa silhouette. Il pouvait me « mater », mais je pouvais faire de même.

« Vous n’êtes pas trop mal non plus. » Répondis-je sans me départir de mon sourire mi-amusé, mi-moqueur et de ce regard que nous partagions.

Je le regardais choisir à dessein le morceau de gâteau portant les trois lettres qui composaient mon diminutif. Ce côté joueur m’avait manqué, je devais l’avouer. Mais, il disparut doucement et je me redressais. Le jeu était terminé.

Je ne cachais pas mon intérêt à en savoir plus sur la petite mamie qu’était Madame Doubfire. Et je l’imaginais sans difficulté faire de la résistance, cela collait si bien à son caractère et l’image que j’avais déjà d’elle. Toutefois, mon sourire vint à s’amoindrir alors qu’il évoquait son emprisonnement à Morneflamme. Je n’y avais jamais mis les pieds, ni n’avais vu cet endroit de loin… Mais ayant travaillé pour la Théocratie, j’en avais entendu des histoires. Et si elles étaient seulement à moitié vraie, alors je savais par quoi Aldaron était passé et j’admirais sa résilience. À sa place, sans doute, serais-je devenue folle. Une pointe de culpabilité, que j’avais réussi à étouffer des mois après la disparition du Tyran Blanc, vint piquer mon coeur. J’y portais une main, baissant la tête. Je me sentais coupable, quelque part, de la souffrance passée de l’homme qui me faisait face. Même si je n’avais pas été son bureau, j’y avais participé, en quelque sorte, en aidant le camp de ses tortionnaires.

Seule une seconde évocation de Madame Doubfire me fit relever les yeux vers Aldaron et ce bout de gâteau qu’il tenait encore entre ses doigts, d’une façon délicate.

Pas éternelle… Elle avait donc refusé de devenir un vampire. Cela ne me surprenait pas. Une pointe de tristesse naquit en moi à la simple idée de voir un jour cette femme disparaître. Je la connaissais peu, mais elle avait réussi à se faire une place dans mon cœur avec une aisance redoutable.

« C’est souvent dans la difficulté que l’on reconnaît ses vrais amis. »

C’était vrai pour lui, après Morneflamme. Et c’était vrai, une seconde fois, après sa mort et son retour à la vie. Cette fois-ci, le bout de pâtisserie disparu entre les lèvres d’Aldaron et je me penchais pour en récupérer un morceau au hasard. En le portant à mes lèvres, je me rendis compte que j’avais le « et » situé entre nos deux noms. Cela me fit doucement sourire, alors que je fermais les yeux pour savourer ce met cuisiné avec amour par la vielle dame. C’était sucré et légèrement parfumé. Une note de pomme et de cannelle, me semblait-il, mais je n’en étais pas tout à fait certaine. Pas de gingembre, au moins.

«  À quel propos ? » Demandais-je alors que son regard eût dérivé vers l’Arbre-Songe.

Je tombais des nues. Un dragon… Cela expliquait bien des choses. Prenant un air concerné, je ramenais mes jambes contre ma poitrine et les entourais de mes bras, ma tasse entre les mains. Je ne le coupais plus, baissant à peine les yeux sur Nahui lorsque la dragonne se glissa contre son dragonnier, alors que c’était la première fois que je voyais un saurien de si près. D’un froncement de sourcil, je chassais même mes pensées parasites pour me concentrer sur ce qu’Aldaron expliquait, alors que je rêvais de poser ma propre main sur les écailles de la petite dragonne. Était-ce doux ? Chaud ?

Les explications du Prince Noir me laissaient sans voix et en proie à de nombreuses questions. Quand et comment avait-il appris tout cela ? Qui d’autres était au courant ? Et plus encore, que faire pour empêcher les Couronnes de Cendres de causer plus de dommage encore ? Parce que la question ne se posait même pas, pour moi. Que nous soyons dans des camps opposés m’importaient peu. Lorsqu’il s’agissait d’un sujet aussi grave et de puissances aussi grandes, nous étions du même bord. Je refermais donc mes doigts sur l’arbre cristallisé, admirative de sa beauté pendant une fraction de seconde, avant de glisser cette création dans ma sacoche afin de la protéger et de la transporter facilement.

« Bien sûr. » Je relevais les yeux vers son visage, caressant sa silhouette et celle de Nahui au passage. « Vous pouvez d’ors et déjà compter sur moi, peu importe ce qui arrivera. »

Je m’étais redressé à cette affirmation énoncée d’une voix ferme. C'était une promesse. Et je ne faisais jamais de promesse à la légère. Peu m'importait les problèmes que je pouvais avoir du côté de Sélénia.

« Puisque nous voici engagés sur un terrain plus politique, je dois vous parler de l’Empereur. » Je plongeais mon regard dans le sien. Quand j’avais décidé de venir retrouver Aldaron, je m’étais promis d’attendre avant d’évoquer Claudius. Comme je l’avais énoncé, c’était bien pour le Prince Noir que j’étais venu. Mais puisque ce dernier lançait le sujet, il aurait été stupide de ne pas rebondir. « Il a été infecté par la Peste de Corail il cinq jours. Par un pirate. Les circonstances ne sont pas ce qu’il y a de plus important, je vous expliquerais dans un second temps si vous le voulez. Ce qui est important, c’est que Claudius doit être soigné. » Une constatation à laquelle Aldaron était sans doute arrivé de lui-même. Si Claudius mourait, l’aide Sélénienne contre les Couronnes devenait encore plus incertaine. À moins que le Prince Noir ait un pion à placer à sa place avec le Marché Noir, mais c’était une hypothèse à laquelle je n’avais pas envie de penser. Quant à faire de l’Empereur un vampire, il y avait fort à parier qu’il ne resterait pas au pouvoir très longtemps. À moins d’être un très bon acteur.

« Et à titre personnel, je souhaite apporter mon aide à la création d’un remède. Je sais qu’une sainnûr rescapée de Keet-Tiamat travaille la dessus. J’aimerais que vous me la présentiez. »

Aider à la création de ce remède était un bonus. Concernant Claudius, Aldaron le connaissait sans doute mieux que moi. Mais de ce que j’en avais aperçu, c’était un homme de principe. Lui sauver la vie en trouvant ce remède était une façon de s’assurer de son aide contre les Couronnes. Une autre constatation à laquelle, je n’en doutais pas, l’homme assit en face de moi était parvenu.

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Il avait acquiescé de la tête lorsqu’elle avait proposé que sa protection lui soit offerte par amitié pour elle. Il aurait voulu être parfaitement naïf et oublier le danger qu’elle aurait pu représenter pour lui, en tant que soldat Sélénien, mais il n’était pas candide, à son grand désarroi parfois. Il l’avait dit au Corbeau : il ne savait pas fermer les yeux. Il ne savait qu’être sur ses gardes, à l’affût, moins qu’à Morneflamme, mais plus que pour le commun des mortels. Il ne pouvait que se montrer vigilant. Du moins pour le moment. Elle était encore pour beaucoup une inconnue à ses yeux. Bienveillante, certes, mais une inconnue tout de même et s’il savait qu’elle appréciait le thé, il ignorait encore un large pan de son existence et de ses goûts. Il la sentait encline à veiller sur autrui et il appréciait ce trait, tout comme il se sentait à son aise en sa présence. Il la savait joueuse, probablement autant que lui, en témoignait qu’elle ne prit pas mal qu’il ait trop longuement contemplé sa silhouette. Il la savait patiente et assez ouverte pour vivre comme native elfique au milieu d’humains, tout comme lui jadis… Mais ça ne lui disait pas tout. Il ignorait quelle était sa couleur ou son plat préféré, il ne savait pas ce qui la terrifiait ou ce qui la rendait heureuse. Ils étaient amis mais il faisait un piètre ami : tout était encore à découvrir et tant que ce serait le cas, il était bien incapable de baisser sa vigilance, quand bien même elle l’y intimait et quand bien même il avait envie de l’écouter.

Lorsqu’elle accepta de transmettre le message, une part de lui était soulagée de ne pas avoir une nouvelle conversation avec Claudius. Les sentiments qu’il avait son égard étaient d’une intensité si divergente que s’en était assez inconfortable. Il eut un sourire, doux, lorsqu’elle affirma qu’elle serait de ceux qui se battraient. Si Sélénia interdisait de combattre, cela la pousserait à l’insubordination et il n’appréciait pas cette idée, car elle était pleine de conséquences néfastes. Elle trouverait toutefois porte ouverte chez lui, si elle n’était plus à sa place à Sélénia, mais il savait que la vie de la jeune femme était là-bas, quand bien même Mme Doubtfire rêvait du contraire. Ce qu’il apprit, en revanche, sur l’état de Claudius le laissa perplexe, autant que la demande qu’elle formulait. Il lui adressa un regard, tête légèrement penché, qui semblait dire ‘Pas d’arrière-pensée, hein ?’. Il laissa sa tête reposer sur la paroi de bois et ferma les yeux. Bien sûr qu’il devait être vigilent. Les pirates avaient la maladie et ils étaient capables de s’en servir de façon localisée comme sur Claudius. Aldaron s’était bien douté que l’outil de Demens finirait par faire quelques ravages, un jour. Cela n’avait pas tardé. Quant aux vampires, grâce à l’immunité de Nennvial et les souvenirs de son défunt fils Celëborn, au sujet d’une créature créée par Rog pour venir à bout de la Peste de Corail, jadis, ils étaient probablement les plus proche d’avoir un remède.

Avec les pirates en possession de la maladie et les vampires en possession de l’unique remède, il y avait de quoi plier le monde devant eux. A dire vrai, cependant, il rêvait de pouvoir échapper à cette possibilité. Il n’était pas un homme qui prenait le pouvoir par la force, comme Nathaniel, mais par la loyauté que les gens qui portaient. Cela ne l’empêchait pas de ruser, ou même de faire fausse route… Mais si une part de lui avait simplement envie d’accepter, une autre refusait d’aider Claudius, très précisément. Si l’humain avait été son ami, il était aussi l’homme qui l’avait regardé droit dans les yeux en promettant de tuer son mari. Claudius l’avait fait, de sang-froid, et si Aldaron comprenait, au moins en partie, assez les raisons qui l’avait poussé à agir ainsi et il l’en remerciait… Il n’arrivait pas à accepter que celui qui était son ami n’ait pas cherché à le préserver, ou même à le sauver. Car Aldaron avait été un spirite de haut niveau de l’Inséparable : la mort aurait dû être son destin s’il ne l’avait pas pris lui-même en mains. Ses lèvres étaient scellées dans un mutisme qui se prolongeait, même lorsqu’il rouvrit ses yeux sur elle, dubitatif. « Ce que vous me demandez, Vex’Hylia, n’a rien d’anodin ni de facile. Vous me demandez de sauver l’homme qui, en se prétendant mon ami, m’a affirmé sa détermination à tuer l’homme auquel j’étais lié par l’Inséparable, dusse-t-il le pourchasser jusque Nevrast pour cela. Il était prêt à me tuer, ou du moins me laisser périr en conséquence de son geste, pour Sélénia. »

Comprenait-elle à quel point cette amitié ne pouvait plus être ? Que sauver Claudius n’était pas vraiment dans ses perspectives d’avenir ? « Vous n’êtes pas sans ignorer que les dettes de mon Royaume ont fait fuir le Triumvirat. Le monopole de ce remède nous permettrait de relever la tête hors de l’eau. Vous me demandez d’y renoncer, pour sauver un homme qu’il n’a pas un seul instant songé me rendre la pareille, dans une situation similaire, il y a quelques mois. » Ses yeux dévièrent sur l’Arbre-Songe, comme s’il l’avait entendu parler, d’une voix qu’il semblait seul à entendre. La pluie, au dehors était intense et des flaques boueuses se formaient, ici et là. Une chance que le feu soit protégé magiquement. « Y a-t-il un seul homme qui ait été frappé, qui sait qu’on lui crachera encore au visage demain, au prochain faux pas et qui accepte encore de donner ? Se faut-il que ce soit moi, alors ce le sera. » Car il savait ce qui est bon pour le monde bien qu’il n’eût aucune certitude que si Claudius était soigné, Sélénia viendrait se battre. Il posa sur elle son regard triste : « Les humains sont ainsi : ils prennent puis ils oublient mais ils n’oublient pas ce que vous leur avez pris. » Ils avaient oublié que le Marché Noir leur avait permis de survivre aux Almaréens et au Tyran Blanc. Ils avaient oublié que, bourgmestre, Aldaron avait fait en sorte que la guerre s’éteigne sur Calastin, alors qu’eu égard du tempérament de Nolan, cela n’avait rien eu d’aisé.

« Je ne me suis jamais senti plus à ma place qu’avec le peuple de la Nuit, et aujourd’hui, avec ceux parmi les elfes qui ont choisi le pardon à l’épée et l’humilité à l’orgueil. Les humains sont incapables de cela. » Il posa sa tasse de thé vide près de la théière. Que faisait-elle parmi eux ? Leur ressemblait-elle ou avait-elle encore cette naïveté qu’il avait porté en son cœur plein d’espoirs pendant des siècles ? « Vous avez raison, c’est souvent dans la difficulté que l’on reconnaît ses vrais amis. Je crois que vous devriez l’apprendre à Claudius. » Il la dardait d’un regard pénétrant avant de terminer : « La sainnûr dont vous parlez s’appelle Nennvial Voronda. Ses essais ont permis aux elfes de survivre un peu plus longuement à l’abri de la folie à laquelle la Peste de Corail pousse. Son immunité physique à la maladie la conduit sur une bonne voie et grâce aux découvertes de mon fils, Celëborn, avant de nous quitter, nous allons probablement pouvoir aboutir à quelque chose de concret. La peste de Corail est une maladie qui frappait les graärh qui vivaient sur Calastin. Elle était en dormance jusqu’à ce que l’expédition, à laquelle Orfraie a participé, ne vienne lui offrir un terreau fertile pour se propager. Gandalf est rentré chez les elfes, par le portail et a condamné les siens. Lomion est rentré à Ipsë Rosea. Il a notamment contaminé mon fils Celëborn qu’il m’a fallu mordre pour le sauver. Quoiqu’il en soit, la Peste de Corail ne date pas d’aujourd’hui. Rog a, de son temps, aussi essayé de trouver un remède et il a créé une créature lui permettant d’y aboutir… Le magaleera. »

Un gros alligator de Keet-Tiamat, probablement entre les mains des pirates ou pas loin de l’être. Mais ils l’auraient et pourraient s’en servir. « Je tiens cette information des souvenirs de mon fils, sa mémoire de défunt est contenue dans ma couronne… » Il pointa du doigt l’objet qui reposait sur un sac de toile de jute. Son regard se fit triste. « Vous pourrez travailler avec Nennvial et vous aboutirez, je l’espère, un remède. Vous pourrez ensuite en faire ce que vous voulez. » Notamment sauver Claudius, à n’en pas douter. Il la devança dans quelques réponses qu’elle pourrait formuler. « Vous devriez vous reposer à présent. Votre voyage magique et la promenade en forêt doivent vous avoir épuisé. Je vais aller… » Il regarda vaguement au dehors, cherchant quelque chose à y faire, en excuse, tandis que Nahui se redressait sur ses quatre pattes. « Prendre l’air, seul. Nahui va rester pour veiller sur vous. » Il s’était levé promptement et déjà, s’éloignait sous une pluie aussi battante que l’amertume qu’il contenait. Un peu plus loin, il avait couru jusque sur la plage, là où la lisière de la forêt bordait le sable. Il avait eu envie de hurler, mais rien ne voulait sortir. Là, sur quatre arbres qui faisaient face à la mer, des fleurs avaient poussés sur les troncs, représentant parfaitement ses quatre enfants perdus. Il avait fait cela, quelques jours plus tôt et cela n'avait pas bougé. Des fleurs jaunes et animales pour Ivanyr. Des fleurs rougeoyantes pour Sorel. Des fleurs bleues et délicates pour Celeborn. Des fleurs blanches et pures pour Elizabeth. Il n’arrivait plus à pleurer pour eux, il ne sentait plus que la colère.

La pluie avait cessé de tomber quand la nuit avait couvert le ciel qu’une lune pleine et éclairante, ainsi qu’un tapis d’étoiles. L’ast n’avait pas bougé, assis à la lisière, adossé contre l’un des arbres, les yeux rivés sur le roulis des vagues dont il avait vu la marrée basse et à présent la marée haute. Le soleil se levait, dans son dos, repoussant de plus en plus sur l’horizon la nuit passée. Il ne bougeait toujours pas, il avait seulement envie que le temps file, il se sentait trop lourd pour avancer. Ses vêtements étaient détrempés et sales… Peut-être devrait-il retourner au campement ? Cela faisait longtemps et il ne doutait pas que si Vex’Hylia avait accepté qu’il s’isole un peu, elle finirait par s’inquiéter. Pourtant, il n’avait pas réussi à se lever, sur l’instant. Il lui avait fallu de longues minutes pour qu’il rassemble la force de son esprit et y parvienne. Revenir vers le campement se fit par pur automatisme et lorsqu’il fut sur place, la présence de Nahui à l’entrée de la cabane lui confirma que Vex’Hylia s’y trouvait toujours ou n’était pas bien loin, car la dragonne l’aurait suivie à la trace si elle avait décidé de rentrer à Cendre-Terre. Il retira sa chemise sale et attrapa un sac en toile de juste, abrité dans une caisse en bois. Il en chercha une propre mais tomba sur une boîte à musique qu’Ilhan lui avait offerte. Il ouvrit le coffret de bois foncé. L’intérieur était tapissé d’un épais tissu rouge foncé. En son centre dansaient deux Inséparables au son de la musique.

Il se souvenait d’Achroma et il se souvenait de son absence. La mélodie grinça quelques secondes alors qu’il brisa le lien entre l’un des inséparables et son socle, pour le détacher de la boite. La musique reprit normalement, mais il n’y avait plus qu’un seul inséparable qui tournait, seul. Il regarda l’autre, dans le creux de sa main, avant de le laisser tomber dans le feu. Il posa la boîte sur un rocher, la musique avait la vertu magique de l’apaiser. Puis il reprit sa quête de chemise propre.

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Pas d’arrières-pensées… Pas en lui proposant mon amitié. Pas en venant ici. Pas en premier lieu. Mais il avait lancé le sujet, m’ouvrant la piste nécessaire à cette demande particulière, et je n’avais pu refuser. Cela ne m’empêcha pas, toutefois, de baisser les yeux. Juste une seconde, le temps de contrôler l’expression désolée de mon visage, avant de relever le regard vers lui. Lui, en revanche, laissa sa tête basculer en arrière, l’air soudainement las. Ma demande était-elle seule fautive ? Ou y avait-il autre chose, que j’ignorais ?

Le silence s’étira et je sentais le malaise croître. Jusqu’à ce que le Prince Noir, pareil à une statue depuis de longues, très longues secondes, ouvre la bouche. Ses paroles me firent fermer les yeux. Bien sûr, ce que je demandais représentait beaucoup. Bien sûr qu’une part de moi se sentait mal. Presque honteuse. Mais je n’avais pas le choix. Pas vraiment.

Il soulignait l’évidence et je gardais le silence, me forçant à garder le contact visuel avec lui jusqu’à ce que ses propres mires dérivent vers l’Arbre-Songe. Je ne comptais pas le supplier. Pas par fierté, mais parce que je respectais son choix, s’il décidait de ne pas m’aider. Quitte à trouver quelque chose par moi-même. J’avais, après tout, l’anneau de Mage. Il m’immunisait à la maladie et, j’en étais certaine, il pouvait y avoir quelque chose à faire en creusant de ce côté-ci.

« Tel est notre fardeau. Se souvenir des erreurs des mortels et les voir se répéter, encore et encore. » Je jetais un œil à cet anneau qui m’offrait la vie éternelle, même mortellement blessée. « Je sais que vous êtes un homme bon, Aldaron. Et que vous ferez ce qui est juste pour la bonne marche de ce monde. » J’avais foi en ces paroles et je n’avais pas besoin de mon pendule pour m’en assurer.

Et puis, il n’avait pas à le faire seul. Je ne le souhaitais pas, en vérité. C’était une charge lourde à porter. Trop lourde, même pour des épaules aussi larges que les siennes.

« Vous vous demandez peut être pourquoi je reste là-bas, alors que je pourrais être auprès des miens ici… » Je laissais l’arrière de ma tête reposer derrière moi, contre l’abri de fortune. « Eh bien, c’est parce que mon sens du devoir me pousse à faire ce qui est le mieux pour ce monde, et non pour moi. Claudius mourra, mais pas moi. Je serai sa mémoire s’il le faut, pour que les humains cessent se répéter les mêmes erreurs. » Je rouvrais les yeux que je n’avais pas eu conscience de fermer. Je me sentais las, le poids des années sur mes épaules. « C’est sans doute un peu naïf, mais c’est ce que j’ai a offrir à ce monde. » Je n’étais personne en dehors de cela. Je n’étais pas dragonnier ni l’héritière de quoi que ce soit. Mais j’avais ma mémoire et mon éternité.

Il évoqua enfin le nom de cette sainnûr et je le notais mentalement. Il conta ensuite ce qu’il savait de la peste de Corail, affirmant que c’était une maladie qui avait, jadis, fait souffrir les Graärh.

« Il dit vrai. » affirma une voix que je connaissais bien lorsqu’il évoqua l’expédition à laquelle Orfraie avait participé. Je me promis de la questionner plus longuement dès que possible.

J’avais son accord pour travailler avec Nennvial et l’en remerciais d’un signe de tête. Je le regardais ensuite se lever, dissimulant ma soudaine tristesse derrière une expression des plus neutre dont j’avais le secret. C’était sans doute la première fois que j’arborais pareil faciès face à Aldaron, cela dit.

Je le regardais s’éloigner sous la pluie, gardant pour moi un « soyez prudent » que je jugeais inutile et mal venu. Un long, très long, soupire s’échappa de mes lèvres et je fermais les yeux, portant mes mains à mes tempes. Délicatement, j’ôtais ma couronne maternelle. La tiare de ma mère me semblait bien lourde tandis que je la regardais tristement, avant de la poster juste à côté de la couronne d’Aldaron. Je remis ma cape sur mes épaules et quittais l’abri, non sans placer le capuchon sur mes cheveux. La pluie glissait sur mes épaules sans m’atteindre et je marchais un peu, m’attardant près du tronc de l’Arbre-Songe, sans oser y poser la main. Combien de temps restais-je ainsi, immobile ? Je ne saurais le dire… Les minutes se confondaient avec les heures.

« Satar… »

Ce n’était qu’un murmure, mais la magie opéra. La silhouette éthérée d’Orfraie apparue à côté de moi, vêtue de son long manteau sombre. Sa chevelure était aussi noire que son habit, mais ses yeux améthystes me transperçaient tandis qu’elle s’avançait, les brindilles craquant sous ses bottes. La pluie glissait également sur ses épaules tandis qu’elle plaçait le capuchon de son manteau sur sa tête.

« Tu as fait ce qu’il fallait. » Me dit-elle en venant se placer près de moi, sa main sur mon épaule. Sa paume était chaude et réconfortante, mais le geste me tira à peine un sourire.

« Pourquoi ai-je une sensation de cendre dans la bouche, alors ? »

« C’est souvent ce que cela fait, de faire la bonne chose. »

Je tournais mon regard vers son profil. Elle avait dit cela sereinement et j’admirais sa force d’autant plus.

« Parle-moi du cratère. Je veux tout savoir. »

Nous nous dirigeâmes vers l’abri d’Aldaron. Il était inutile de rester ainsi prostré sous la pluie. Orfraie ôta son manteau et je fit de même avec ma cape, me glissant de nouveau dans la chaleur relative de cette petite construction. La dragonnière de jade tourna son regard vers moi, l’espace d’un instant, avant de fermer les yeux et d’appuyer sa tête derrière elle. Elle se remémora ses souvenirs des deux expéditions dans le cratère, et me conta tout ce qu’elle savait.

La journée et la soirée avancèrent ainsi. Après le cratère, nous parlâmes d’autres sujets. Elle me donna son opinion sur Claudius et mon désir de rester là-bas, alors que mon peuple était plutôt ici, sur Nyn-Tiamat. Je découvrais encore des choses sur elle et, notamment, des points communs. À ma place, elle aurait fait quelque chose se semblable m’avoua t-elle, alors que je nous préparais à manger.

« Il ira bien. Et il va revenir. » entendis-je alors que j’étais perdue dans mes pensées, mes songes tournés vers Aldaron. Ou vers son absence, tout du moins. Une partie de moi s’inquiétait, c’était plus fort que tout.

La soirée devint nuit. La fatigue l’emporta et je m’endormis, la tête posée sur les cuisses de la dragonnière.

L’aube arriva beaucoup plus rapidement que je le pensais. J’avais invoqué Orfraie beaucoup plus tard que je l’avais imaginé, étant resté longuement immobile sous la pluie, et elle était encore là. Mais je sentais que le sort touchait à sa fin et me relevais, lui adressant un sourire. Elle me suivi et nous marchâmes un peu alentour, épaules contre épaules. Elle évoquait Firindal, son lié, lorsque je relevais la tête en sentant la présence d’Aldaron. Sa magie, j’avais appris à la reconnaître.

Orfraie me jeta un regard et nous nous dirigeâmes vers l’Arbre-Songe. Je bloquais net en apercevant le Prince Noir, torse-nu, le corps et l’âme mal en point. À côté de moi, la dragonnière s’était aussi arrêté et se pencha vers mon oreille, alors que mes yeux rencontraient ceux d’Aldaron.

« C’est ici que je te laisse. »

Était-ce un sourire dans sa voix ? J’eus à peine le temps de tourner la tête vers elle, qu’elle avait disparu, non sans faire craquer une dernière brindille au passage. Un rappel qu’elle avait bien été là.

Il y eut un long silence, avant que je ne m’approche doucement. Sans ma cape sur les épaules, je me sentais particulièrement frêle alors que j’avais, sous les yeux, la musculature du souverain vampirique. Et ce serait un mensonge de dire que je ne regardais pas. Que je ne détaillais pas ce que j’avais sous les yeux, avant que mon regard tombe sur l’inséparable dans le feu tandis qu’une mélodie enveloppait les alentours.

Que dire ? Que faire ? Nous nous étions séparés d’une drôle de façon. J’avisais le sac en toile de jute et la chemise sale, puis reposais mes orbes volcaniques sur lui. Je prenais bien soin de ne pas trop laisser mon regard vagabonder tout en lui prenant des mains le sac. Il n’opposa pas vraiment de résistance et je lui offrais mon autre dextre, paume vers le haut.

« Venez. »

Qu’il la prenne ou pas, je l’invitais à me suivre. J’étais une guérisseuse et je n’ignorais pas les bienfaits d’un bain et de vêtements propres. C’était au moins une chose que je pouvais faire pour lui. Une façon de lui dire que j’étais désolé, peut-être. Et de lui montrer que j’étais là et que mon offre était toujours aussi sincère.

Nous arrivâmes dans une petite clairière après avoir marché sous le couvert des arbres pendants quelques minutes. Nous n’étions pas très loin du campement et c’était un lieu que j’avais découvert avec Orfraie, un peu plus tôt. Comme si c’était le destin. Au milieu de la clairière, se trouvait un bassin calcaire rempli d’eau. Et de cette eau s’échappait de la vapeur. La source chaude se tenait là, solitaire, comme toute désignée pour ce qui allait suivre. Les arbres, en bordure, formaient un rempart contre l’extérieur. Une cachette dans cette forêt qui peinait déjà à révéler ses secrets. Nous serions tranquilles, ici. Encore plus loin du monde qu’auparavant.

Que faire, maintenant ? Je fermais les yeux, réfléchissant, avant d’ôter mes bottes. Mon pantalon suivi et je me glissais dans l’eau délicieusement chaude, soupirant d’aise, les yeux clos. Lorsque j’y fus jusqu’à la taille, je glissais mes doigts jusqu’à ma tunique. J’en défis les boutons un à un, lentement, avant de laisser choir le tissu sur mes épaules couvertes de taches de rousseur. Le dos nu jusqu’à la naissance de mes fesses, je frissonnais sous l’air frais de l’automne tandis que je jetais l’étoffe elfique sur le bord du bassin. Puis j’avançais, allant appuyer mon dos contre le rebord opposé à Aldaron, tournant enfin mon corps et mon regard vers lui. L’eau trouble, car calcaire, dissimulait l’essentiel de ce qui devait l’être, ne laissant au frais que la naissance de ma poitrine et tout ce qu’il y avait au dessus.

« Venez. » l’invitais-je une seconde fois, doucement, en indiquant l’espace juste devant moi. Il n'y avait rien de plus à dire, ce n'était pas nécéssaire. Je me mettais à nu dans tous les sens du terme, l'invitant à apprendre à nous connaître l'un-l'autre.

Je trouvais enfin le fond du bassin comme taillé en tâtonnant de ma main droite et fut satisfaite de pouvoir m’y asseoir. Et lui, s’il le voulait, pouvait tout aussi bien venir contre moi, dos à moi, ou se tenir à l’opposé.

Dernière édition par Vex'Hylia Aërendhyl le Ven 6 Mai 2022 - 22:02, édité 1 fois

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Au bruit des pas sur les feuilles mortes de la forêt automnale, l’Ast avait relevé ses yeux. Il y avait Orfraie, aux côtés de Vex’Hylia. Il semblait alors que la sainnûr n’ait plus besoin de tenir sa main, à présent, pour que la dragonnière lui soit visible… Et Ô combien réelle. Elle avait progressé, depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Elle avait fait bon usage de son don et cela le réjouissait intérieurement bien que la princesse de feu ne restât guère longtemps. Il sentit son regard et évalua la possibilité de remettre sa chemise sale, au moins pour ne pas la gêner, mais elle prit le sac de ses mains et il la laissa faire, comme s’il attendait la suite d’une scène où il n’était qu’un figurant, ou presque un morceau du décor. Il se sentait vide, il savait que le sentier de la douleur le conduirait vers l’acceptation de la mort de ses enfants. Il connaissait si bien le deuil : c’était un passage pénible, mais le temps apaiserait son tourment. Et la compagnie.

Il prit sa main, veillant sur l’instant à changer la chaleur corporelle de sa peau, pour ne pas la glacer. Ses mires verdoyantes parcouraient la forêt alentour, à laquelle il était intimement lié depuis qu’il ne faisait qu’un avec la Licorne. Il sentait le vent dans les feuilles, les petits animaux contre l’écorce, le froid qui appelait la chute de feuilles. Il sentait l'humus, boueux et frais sous ses bottes. Tout prenait une dimension différente, autour de lui. Et il y avait elle. Il coula un regard sur le côté, observant son visage de profil bordé de cheveux roux. Elle lui était encore une inconnue, mais elle semblait avoir en tête de prendre soin de lui. Elle disait être venue pour lui, et malgré sa vigilance régalienne, il acceptait de la croire, au moins un peu, sur ce point. Cela lui suffisait pour être touché par son attention. Le médaillon contenant son chant-nom, rebondissait à chaque pas sur son tors où une cicatrice atypique marquait son torse, à l’endroit où l’Esprit-Lié de la Lucane l’avait transpercé. La cicatrice semblait avoir été fermée par une racine noueuse de chair. Tout vampire qu’il était, il doutait que cette marque un peu disgracieuse ne disparaisse de sitôt.

Il détourna son regard sur la clairière devant lui. Ils avaient avancé en silence et cela lui allait bien. Il aurait probablement été incapable de parler, en l’instant, tout spirite du Saumon qu’il était. Le silence avait quelque chose de reposant, tout comme la présence de Vex’Hylia. La clairière, pleine d’eau de pluie, ici et là, brillait au soleil pourtant frais.  Il lâcha sa main lorsqu’elle retira ses bottes puis son pantalon. Il la regardait faire, contemplatif, à des années-lumière de comprendre qu’il devrait en faire de même. Son regard se contenta de la suivre, lorsqu’elle alla dans un bassin d’eau chaude et calcaire. Il observa son dos dévêtu, caressant du regard ses courbes sublimes. Venir ? La lumière sembla se faire soudain. Venir, donc. Avec elle. Dans l’eau. La malice de la situation lui avait brièvement traversé l’esprit avant de disparaître, à nouveau, comme toute pensée depuis cette nuit.

La force vampirique lui permit de faire un bond par-dessus le bassin pour atterrir de l’autre côté, dans le dos de la jeune femme, où il put se déshabiller à son tour sans lui imposer la vue de son anatomie car s’il n’était pudique, il respectait assez d’autres qui pouvaient trouver cette vue osée. Il entra dans l’eau, sans quitter des yeux le dos à moitié dans l’eau et pour partie voilé par des cheveux flamboyants de Vex’Hylia. Il ne sentait pas la chaleur, mais l’eau enveloppant son corps venait l’alléger subtilement.  Et psychologiquement, il en sentait le doux bénéfice. Il frotta ses mains sales, dans l’eau, pour leur rendre un état plus présentable. Ici l’eau était plus profonde et ‘était à peine s’il touchait le fond. Il se laissa couler, son corps mort de vampire l’aidant grandement. Là, sous la surface, le silence se faisait et il appréciait. Vampire et dragonnier, il n’avait pas besoin de respirer, si bien qu’il ne sentit pas le temps passer. Était-il resté là-dessous quelques secondes, des minutes ou bien des heures ?

Pas tant, puis qu’elle ne se semblait pas s’être lassée de solitude pour être partie, mais suffisamment, pour qu’il se sente déjà un peu mieux. Il approcha d’elle, s’asseyant à sa gauche, mais en sens inverse, de façon à avoir son flanc gauche, près de son flanc gauche à elle, et de pouvoir la regarder. Bien qu’il ne la regardât pas vraiment. Sa vision restait assez vague, l’esprit lointain. Il avait replié un genou où reposait son coude et sa main tombait dans le vide. Il se permit, finalement, un regard vers elle, pensif, se perdant dans les traits fins de son visage. Il leva sa main gauche et du revers de la dernière phalange de son index, il longea l’extrémité de son arcade sourcilière. Il tomba lentement sur sa pommette, puis le long de sa mâchoire. Il venait doucement au menton et remontait légèrement sur la mâchoire de l’autre côté pour ramener et orienter le visage de Vex’Hylia vers lui.

Il releva un peu son menton, suffisamment pour que, par son corps penché vers elle, il vienne cueillir ses lèvres des siennes avec aisance, dans un geste fluide et naturel. La tendresse rimait avec une pudeur et une volonté de ne pas s’imposer, si elle ne le désirait comme lui la désirait. Il ne pouvait parler d’amour, car il ne la connaissait pas assez pour ce sentiment, mais de l’attirance pour cette femme volontaire, douce et dévouée qu’il entrevoyait, cela, il pouvait l’avouer sans remord. Elle lui plaisait, à son âme meurtrie comme à ses yeux et cela lui était suffisant pour avoir désiré l’embrasser. Il quitta doucement ses lèvres, sans pour autant s’éloigner, gardant une faible distance, entre désir et réserve, passion et respect. Les yeux baissés, il gardait le silence puis releva son regard pour le planter dans le sien, sincère dans son désir de proximité et sa recherche de tendresse. Si son geste avait été égoïste ? Au moins un peu, il l’assumerait sans honte, pour autant son retrait se manifestait comme empathique, soulignant combien malgré le geste déplacé, il n’était pas un violeur pour autant.

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Sitôt mon dos posé contre le bord du bassin naturel, l'eau délicieusement chaude s'attaqua aux tensions de mon être. Que ces nœuds soient physiques ou mentaux, je me sentais déjà un peu mieux après seulement quelques instants dans ces volutes de vapeur qui s'élevaient vers le ciel.

Et j'espérais qu'Aldaron en profite également, si ce dernier acceptait de se joindre à moi.

J'avais conscience de l'ambiguïté de la situation. Et même le terme ambigu ne collait pas parfaitement à ce qui se jouait dans cette clairière. Mais j'avais la sensation, au plus profond de mon être, que c'était de cela dont nous avions tout deux besoins. Car je n'étais pas du genre à m'enterrer la tête dans le sable. Si le Prince Noir était un homme brisé, nous avions cela en commun.

N'avais-je pas dit que c'était dans la douleur que nous reconnaissons nos vrais amis ?

Lorsqu'Aldaron bondit par-dessus le bassin pour atterrir derrière moi, j'en fus naturellement surprise. Le mouvement brusque réveilla en moi un vieil instinct de conservation. Ma magie tourbillonna violemment, prête à l'emploi, avant que le froissement du tissu me parvienne. Je compris alors quel était l'objectif d'un tel saut. J'aurais pu détourner simplement le regard de sa silhouette si le Prince Noir était un homme pudique, mais j'appréciais sa délicatesse. Le poing qui s'était formé se desserra et je me détendis immédiatement, fermant les yeux alors qu'il pénétrait enfin dans le bassin.

Je n'étais pas toute à fait certaine qu'il ressente la chaleur de la même façon que moi, tout mort-vivant qu'il était. Mais j'étais persuadée de ses bienfaits, même sur un vampire. Sans parler de la sensation de légèreté procurée par l'eau enveloppant le corps dans une douce étreinte, à la fois réconfortante et apaisante.

Aldaron immergé, je tournais mon regard vers lui. Sans un mot, je l'observais frotter ses mains sales jusqu'à ce qu'elles retrouvent une couleur plus naturelle. Ses traits me semblaient plus détendus qu'un instant auparavant, ce qui n'était guère surprenant. Après tout, les bienfaits de l'eau chaude n'étaient plus à prouver.

Un léger sourire, en coin, se glissa sur mes lèvres lorsqu'il disparut sous la surface.

Mort-vivant de son état, je ne craignais pas qu'il s'y noie. Et son absence, alors qu'il était pourtant très proche, me laissait un peu de temps pour mettre de l'ordre dans mes idées. La situation dans laquelle nous nous trouvions - et que j'avais initiée - me troublait. Cela aurait été mentir que de dire l'inverse. Mais, en même temps, je sentais que c'était cela que je devais faire, comme si les Esprits me poussaient dans le dos d'une main délicate.

Lorsque la chevelure d'Aldaron perça de nouveau la surface, plusieurs longues minutes s'étaient écoulées dans le plus grand des calmes. Seuls les bruits de la forêt troublaient la paix de la clairière.

Ce dernier vint s'asseoir à ma gauche, de façon à ce que nous puissions nous regarder sans nous tordre le cou. Cette soudaine proximité, sans parler de notre nudité, fit naître un frisson dans le bas de ma colonne vertébrale, heureusement hors de vue. J'étais troublée, cela va s'en dire, mais son air détendu était ma récompense. Son regard, toutefois, était encore perdu dans le lointain, comme s'il regardait un point invisible loin, très loin au-dessus de mon épaule où quelques mèches rousses s'égaraient. Sa posture de penseur raffermissait cette impression, me laissant l'occasion de mieux étudier son faciès.

Il avait toujours cet air un peu dur. Cette stature qui forçait à baisser le regard. Mais l'absence de vêtement et l'intimité de la scène me permettaient de voir au-delà de tout cela. D'atteindre, en quelque sorte, le cœur de l'homme et non celui du prince.

La caresse de son doigt, sur mon visage, me tira de mes songes. Je relevais le regard vers le sien, alors que mes prunelles volcaniques s'étaient perdues quelque part près de la base de son cou. Son toucher était délicat et, surtout, chaud. Qu'il ait pris le temps de faire paraître sa peau délicieusement tempérée pour mon simple confort me tira un léger sourire, toujours en coin, avant que je ferme les yeux sous la douceur de son geste. Ma garde était totalement baissée.

Lorsque je sentis son index sous mon menton, mon cœur fit une embardée. Il était impossible qu'il ne l'ait pas entendu au moment où je le sentais se pencher vers moi. Étais-je surprise par ce contact plus qu'intime ? Oui et non. Oui, parce que c'était rapide, quelque part. Et non, parce que cela me semblait aussi très naturel. Comme si cela été écrit, d'une certaine façon, par la main invisible d'Esprits supérieurs.

Ce baiser était d'une grande tendresse. Ses doigts effleuraient à peine ma joue, comme la caresse d'une plume, et je ressentais dans cette incertitude toute sa pudeur, sa douceur et, surtout, sa réserve. Ce profond respect envers moi et mon désir fit battre un peu plus rapidement mon coeur, si cela était possible.

Lorsqu'il quitta mes lèvres, le charme se poursuivit. Je rouvrais les yeux, ayant besoin de le voir, et levais doucement ma main droite hors de l'eau. Son regard baissé témoignait de son incertitude, avant qu'il ne relève ses orbes verdoyants vers les miennes. J'y lisais cette même douceur ressentie à travers ses gestes, mais également son besoin de proximité et de tendresse. Avais-je le même regard ? Il me semblait que oui, alors que je glissais mes doigts le long de sa joue, caressant sa peau du bout des ongles. Je ressentais une attirance pour l'homme que j'entrevoyais, cela était certain, et ce malgré tout ce que j'ignorais encore sur lui. Nous ne pouvions parler d'un sentiment plus fort, mais je sentais au fond de moi que mon cœur désirait sa proximité.

Ce fut donc à mon tour de me pencher naturellement vers lui, posant mes lèvres sur les siennes avec la même douceur et non sans envie. Si son approche avait été pleine d'incertitude, la mienne était beaucoup plus franche, car j'étais certaine de son désir. Cela restait tout de même particulièrement doux, mais douceur ne rimait pas forcément avec retenue.

Mes doigts se glissèrent naturellement à la base de sa nuque, massant doucement cette zone sensible pour en dénouer les tensions. Ma première idée, en venant profiter de cette source chaude, était d'aider ce corps et cet esprit meurtri à guérir. Et je n'oubliais pas cet objectif, même si la sensation de ses lèvres contre les miennes venait un peu occulter celui-ci.

Avec tout autant de naturel, mon autre dextre vint se poser sur son épaule. La tension dans ses muscles était telle que j'avais la sensation de toucher un bloc de pierre. Ce n'était pas dérangeant, mais ce devait être désagréable pour lui de se tenir, ne serait-ce que debout. Et pourtant, Aldaron avait ingurgité la veille un Don d'Océan. En temps normal, il aurait dû se sentir plus léger que ce que je sentais sous mes doigts. C'était la preuve de ce dont il venait de réchapper et du poids de son chagrin.

Mon corps tout entier s'était tourné vers le sien, s'était rapproché, alors que je quittais ses lèvres presque à regret, légèrement essoufflée. Les doigts de mes deux mains se rejoignirent à la base de sa nuque, glissants parmi les cheveux humides, pour le garder dans ma chaleur. Un léger sourire jouait sur mes lèvres alors que je relevais mes orbes volcaniques vers lui. « Malheureusement, respirer ne m'est pas optionnel. » Ce n'était qu'un murmure près, si près, de ses lèvres.

Il y avait quelque chose que je voulais essayer avec lui.

Prenant le contrôle de ma magie, que je sentais palpiter jusqu'au bout de mes doigts, je la tirais hors de mon corps, passant d'abord ma main sur ma poitrine avant de venir la poser sur la sienne, là où se trouvait son cœur. La sensation qui se diffusait entre mon être et le sien était très similaire à celle de l'eau qui enveloppait notre chair, mais d'une façon beaucoup plus… intime. Je n'avais pas eu l'occasion d'utiliser ce sort très souvent, alors que je sentais ma magie venir imprégner la sienne jusqu'à prendre sa place aux endroits où il y avait comme un vide.

Orfraie m'avait appris que les dragonniers, entre eux, étaient télépathes. J'étais incapable d'une telle chose, mais ma magie venant s'enrouler autour de celle d'Aldaron là où il y en avait besoin, devait beaucoup ressembler à la sensation d'un esprit entremêlé au sien afin de le soutenir.

« Mieux ? » lui demandai-je dans un murmure tandis que mon regard glissait sur son torse, là où se trouvait toujours ma main. Sous mes doigts, je sentais la rugosité d'une cicatrice. Le médaillon qui reposait à même sa peau m'intriguait également. Je sentais sa magie bourdonner avec une touche de familiarité sur laquelle je n'arrivais pas à poser le doigt.

J'étais un peu trop distraite par la proximité du Prince Noir, je le concédais.

Je relevais ensuite mes mires vers son regard verdoyant, forçant mes prunelles volcaniques à s'accrocher aux siennes après quelques aller-retour entre ses yeux et ses lèvres, que je voulais encore embrasser. Nous étions très proches, nos souffles se mélangeant à chaque expiration.

Devions-nous céder à la tentation et aller plus loin ? En avait-il seulement envie ? Ou cherchait-il simplement la tendresse de mes gestes et le réconfort de ma proximité, sans parler de plus ?

Je n'avais pas cette réponse. Aller plus loin pouvait être salvateur comme l'exact inverse. Se sentir vivant et se sentir bien. Ou se sentir vivant et ressentir encore plus vivement la perte de ses enfants.

C'était ce que je voulais lui éviter. Mais la meilleure chose à faire était encore de lui demander clairement, et non de supposer.

« Nous pourrions nous donner l'un à l'autre ici, sur le bord de ce bassin. » murmurais-je en glissant mes doigts sur sa joue, reprenant des mots qu'il avait lui-même prononcés lors de notre première rencontre.« Ou simplement profiter de cette proximité là » rajoutais-je ensuite, dans un souffle, tout en venant appuyer mon front contre le sien pour illustrer mon propos.

« Temps que tu es en accord avec toi-même, je te laisse choisir ce qui va se passer maintenant. »

Le tutoiement était venu naturellement, nos souffles se mélangeant alors que j'avais parfaitement conscience de nos cuisses qui se touchaient ou de la proximité de ma poitrine avec son torse. Seule l'eau trouble permettait de garder un semblant de mystère.

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Il aurait fallu être sourd pour ne pas entendre l’embardée de son cœur battant et le Prince Noir était loin d’être sourd, surtout à pareil aveu. Son cœur s’était mis à battre à tout rompre, et elle n’avait pas fui. Il avait trouvé dans les yeux de Vex’Hylia le même besoin de proximité qu’il éprouvait à son égard, la même attirance, la même sensation vertigineuse. Allaient-ils trop vite ? N’était-ce pas brûler comme un feu de paille avant de réaliser qu’ils étaient encore presque des inconnus qui appréciaient la tendresse de l’autre ? Était-ce si grave ? Ils pourraient encore arrêter après cela, s’ils le voulaient, et garder chacun un souvenir réconfortant de l’autre, pour les jours où l’âme se trouverait en peine, comme aujourd’hui.

La franchise de son baiser lui faisait du bien, tant qu’il doutât qu’elle puisse seulement prétendre lui mentir ou se jouer de lui en l’instant. Dans la cour des Kohans, il en avait connu des courtisanes venues dans ses draps pour gratter quelques secrets et aucune n’avait eu cette franchise vivace dans ses gestes et dans sa façon de le masser pour qu’il aille mieux. C’était intuitif, il le sentait. Il glissa une main sur sa joue, savourant sa proximité jusqu’à ce qu’elle manque d’air. Il chercha à récupérer ses lèvres, encore un peu plus, quelques secondes, mais il eut finalement pitié de ses pauvres poumons de vivante, non sans un sourire en coin à son propos. Il la sentit appeler sa magie et comme il ne percevait pas d’elle d’intentions mauvaises, il laissa sa conscience s’apaiser avant de sentir combien ce cocon l’enveloppait délicatement pour l’aider à soigner ses maux, trouver le chemin avec le deuil accompli.

Au début, il ne voulut pas et s’apprêta à lui demander d’arrêter. Le deuil et la souffrance était un chemin lent qu’il était important de parcourir. Par empathie, on n’appréciait généralement pas voir les gens souffrir, à plus forte raison quand on avait des sentiments pour eux, mais la souffrance aidait à se reconstruire, à comprendre ce qui n’avait pas marché, à s’améliorer. Il ne pouvait pas ramener ses enfants disparus, mais il pouvait apprendre pour être un meilleur père pour les autres et l’apprentissage passait par l’échec. S’affranchir de cette étape, c’était comme balayer la défaite d’un revers de main… Et peut-être réitérer les mêmes imprudences. Mais cela faisait déjà une dizaine de jours. Son peuple et sa famille avaient besoin de lui. Son geste était sage et il était temps pour lui de tourner la page pour avancer. C’était ce qu’il avait toujours fait.

Il ferma les yeux, se laissant guider et remplir là où le vide sous lui créait l’effondrement. C’était étrange, comme sensation, de ne plus souffrir. Il sentait son âme déchirée par le deuil mais il ne souffrait plus autant. Il avait l‘impression de sortir enfin la tête hors de l’eau et de respirer à plein poumons. Son fardeau ne disparaissait pas, mais il se sentait capable de le porter pour avancer, à présent. Et il avait tant à faire. Il acquiesça doucement de la tête quand il lui demanda s’il allait mieux. Il leva une main pour caresser sa joue. Sa phrase sonnait comme déjà entendue et cela l’amusait assez. Maintenant qu’elle avait repris son souffle, il venait capturer un nouveau baiser, avec la même douceur alors que l’une de ses mains, dans son dos, glissait le long de sa colonne vertébrale. Ses baisers coulèrent jusque dans son cou. Il referma ses bras sur elle, le nez enfoui dans ses cheveux, les yeux clos, profitant de la douce étreinte, peau contre peau, pesant la réponse à sa question.

Est-ce qu’il ne se sentirait pas vide, après, lorsque tout serait consumé ? Ou cela brûlerait encore ? N’était-ce pas le premier pas vers de gros problèmes ? N’avaient-ils pas déjà franchi ce pas ? Il n’avait pas envie de réfléchir à tout cela, un secret pourrait toujours exister, au moins, tant que cela ne prenait pas d’ampleur. Pourquoi fallait-il qu’ils se trouvent dans des factions opposées ? Il prit ses cuisses, et l’attira doucement sur lui, à califourchon, pour rendre leur étreinte plus confortable.

« Je te veux. »

* * *

La surface de l’eau se calmait, après l’agitation. Quelques ondes apparaissaient encore à la surface, lorsque certaines caresses venaient perturber l’immobilisme. N’était-ce pas ce qu’ils représentaient, en l’instant ? L’onde qui viendrait ébranler ceux qui ne vivaient qu’en campant sur leurs positions ? La culpabilité d’être en cet instant heureux et satisfait le prit avant qu’il écarte au loin cette sordide pensée. Il avait le droit d’être heureux. Il avait assez morflé dans sa vie pour avoir le droit, un peu. « Je ne suis pas certain que cela te rendra service… » souffla-t-il, près de ses lèvres, alors qu’il revenait planter son regard dans le sien. [color=#ccffcc][font=Georgia]« Moi, je n’ai de compte à rendre à personne : je suis Prince. Mais toi… » Elle, elle faisait partie de l’armée Sélénienne. « Toi, tu es… » Ses mains remontaient de ses cuisses, jusqu’à sa taille, l’étreignant avec tendresse. « Audacieuse. » Il n’avait pas trouvé mieux, sur le moment. Qu’avaient-ils fait ? Est-ce qu’elle s’en voulait ? Est-ce qu’elle regrettait ?

Entre le temps qu’il avait passé sous l’eau et le temps qu’ils avaient passé ensemble, les heures avaient coulé si rapidement. L’eau flétrissait la peau de ses doigts qui ne se lassaient pas de parcourir son dos et ses cuisses, y dessinant des arabesques invisibles et tendres. Il avait été bourgmestre de Caladon et face à l’insistance d’Achroma, il avait quitté ses fonctions en rejoignant la nuit. Il savait ce que l’amour ou l’affection pouvait faire faire et il savait combien il regrettait de l’avoir aveuglément suivi. Il ne voulait pas embarque Vex’Hylia dans ses bras. Il ne voulait pas qu’elle souffre, car il la savait empathique et sensible. Les personnes comme elles avaient tendance à s’oublier pour le bonheur des autres, alors ce serait à lui de penser à elle, de veiller à elle et à son avenir.

Il picolait doucement son cou lorsqu’il manqua d’air, sans avoir pour quoi. Il arrêta son geste et plaça une main sur sa propre gorge. Pourquoi avait-il envie de respirer ? Pourquoi avait-il besoin de respirer ? Il avait l’impression d’étouffer. « Je… » C’était comme s’il se noyait. Il tâcha de respirer, factuellement, mais il ne parvenait pas véritablement à remplir ses poumons. Il savait ce qui lui arrivait, il comprenait et il l’acceptait. Il ne savait pas pourquoi cela lui arrivait maintenant. Peut-être parce qu’il avait besoin d’écrire sur une nouvelle page, toute vierge ? Par télépathie, il envoya à Vex’Hylia sa volonté de la rassurer, lorsqu’incapable de de respirer, il perdit connaissance. Sa tête reposa sur l’épaule de la sainnûr alors que ses yeux se fermaient. Elle le retenait contre elle, heureusement. Quelques minutes passèrent, pendant lesquelles des veinules cuivrées se dessinaient dans son dos et ses bras, représentant à s’y méprendre à un grand arbre aux profondes racines qui descendaient presque jusqu’à ses genoux, et aux branches qui remontaient sur ses épaules, sa nuque et ses bras. L’arbre de vie était l’emblème des Elusis, il représentait aussi l’Arbre-Songe.

Puis il y eu un battement de cœur et une brusque inspiration.

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Je fermais les yeux en sentant la caresse de sa main sur ma joue. C'était si doux. Si délicat. Si tendre. Un sourire se freya un chemin jusqu'à mes lèvres, y demeurant même alors qu'il se penchait vers moi pour les cueillir avec cette douceur qui ne le quittait pas. Je répondis à son baiser, encore et encore, alors que je sentais ses doigts glisser le long de ma colonne vertébrale. Je penchais même la tête sur le côté, lui donnant un meilleur accès à mon cou, lorsqu'il y glissa ses lèvres. Pendant un instant, la pensée amusée d'avoir laissé à un vampire s'attaquer ainsi à ma gorge m'amusa, mais lorsque les frissons s'emparèrent de ma chair, toute pensées parasites furent instantanément renvoyées au néant.

Ses bras autour de ma taille étaient déjà une réponse en soit, même s'il ne l'avait pas encore formulée à haute voix. Il était encore temps de reculer, toutefois. Pour lui comme pour moi.

Mais pour ma part, je me sentais en phase avec moi-même. J'en avais envie. J'en avais besoin. C'était une façon intense de tourner une page… Mais s'en était une. Alors, lorsque je sentis ses doigts sur mes cuisses, je me glissais sur les siennes sans attendre. Le contact plus qu'intime et intense me tira un long frisson. À moins que ce ne furent ses mots, qui firent voler en éclats la moindre trace d'inhibition chez moi.


**
*

Je retrouvais peu à peu mon souffle alors que mon cœur avait enfin cessé de battre à mes tempes. Mon corps était encore frissonnant de ce que nous venions de faire, et ce malgré la chaleur de l'eau qui nous entourait ou celle du corps contre lequel je me trouvais. J'étais heureuse et je respirais pleinement, mon nez contre les cheveux humides d'Aldaron. Cette pensée trouvait écho chez le vampire, même si je l'ignorais à cet instant.

D'autres, bien assez tôt, viendraient obscurcir ce tableau. Mais pour l'heure, je les laissais de côté. Les conséquences, je ne voulais pas y penser. Et encore faudrait-il que tout ceci se sache. Garder un secret, j'en étais parfaitement capable. Ce ne serait pas mentir temps qu'on ne viendrait pas me poser explicitement la question.

Oui, je voulais que tout ceci reste entre nous. À nous. Le monde n'avait pas besoin de s'emparer de ceci, alors que moi-même, je n'avais pas vraiment de mot pour le qualifier.

Une pensée qui semblait faire écho chez Aldaron, alors qu'il verbalisait ses craintes. Mon regard trouva donc le sien, nos lèvres toujours si proches. Comme nos corps, alors que mes mains étaient posées à la base de sa nuque et que les siennes remontaient jusqu'à ma taille. Sa tendresse faisait fendre mon cœur et je posais mon front contre le sien, sans jamais lâcher son regard.

« Ce que le monde ignore ne peut pas me causer de tort. Mais je prend le 'audacieuce' comme un compliment. » Répondis-je en déposant un baiser sur son front. « Je ne regrette pas, Aldaron... Cela n'appartient qu'à nous, alors gardons-le pour nous. Qu'en dis-tu ? » Murmurais-je près de son oreille cette fois, y déposant mes lèvres. Je ne me lassais pas de ses caresses malgré le temps que nous avions passé dans l'eau chaude de cette source. Une source salvatrice à bien des égards, pensais-je non sans amusement.

Puis je trouvais ses lèvres, les cueillant avec douceur, alors que ses doigts dessinaient d'invisibles arabesques dans le bas de mon dos.

« As-tu des regrets ? » Lui demandais-je doucement en me détachant légèrement de lui, croisant ses mires verdoyantes. Peu importe dans quoi nous venions de nous lancer, il me semblait important de poser les questions. Étant donné nos positions respectives, il était préférable à mes yeux de ne rien garder pour soi. Tout était déjà suffisamment compliqué.

De soudaines pensées vinrent assaillir mon esprit. Je fronçais légèrement les sourcils alors que je me demandais si ceci n'était qu'une seule et unique fois ou s'il y en aurait d'autres. Voudrait-il continuer ? Y avait-il seulement songé de la sorte ? Je voulais connaître cet homme dont j'effleurais la surface.

Je fus sortie du tourbillon de mes pensées lorsque je remarquais quelque chose d'anormal dans le regard d'Aldaron. Je m'éloignais de lui pour mieux l'observer, trouvant dans ses gestes un semblant de panique. Sans quitter ses genoux, je posais mes deux mains sur les côtés de son cou. Les pouvoirs du Raton-Laveur s'agitèrent sous mes doigts, mais ce qu'il ressentait n'était pas une douleur que j'étais capable d'apaiser.

C'est alors que la réalisation me frappa de plein fouet et mes doigts remontèrent sur ses joues tandis que je sentais comme une caresse contre mon esprit. Je me sentis immédiatement rassurée.

« Je ne bouge pas. » le rassurais-je à mon tour.

Cette magie, je l'avais déjà sentie. Chez moi et chez d'autres.

Il n'y avait pas de plus belle et plus propre façon de tourner la page que ce qui était en train de se dérouler sous mes yeux.

Lorsqu'il perdit connaissance, je guidais son front contre mon épaule, une main à l'arrière de sa tête et l'autre dans son dos. Je lui prodiguais une douce caresse même s'il ne pouvait pas la sentir. Mais ce n'était qu'une question de minutes… Des secondes qui s'agrainaient à mesure que le motif complexe des veinules cuivrées se formait sous mes yeux, partant de ses bras jusqu'au bas de son dos. Le reste se perdait sous l'eau, mais il était impossible de ne pas reconnaître l'arbre de vie qui s'était formé à même l'épiderme d'Aldaron.

Puis ce fut comme un coup de tonnerre. Son cœur se réveilla d'un long sommeil, tambourinait dans sa poitrine aussi vivement qu'un cheval au galop tandis que sa première inspiration était celle d'un noyer. Ma main, posée à l'arrière de sa tête, le soutenait tandis que ses poumons se gorgeaient d'air. Puis je dirigé habilement son regard vers le mien, bien consciente du soupçon de panique qu'il ressentait sans doute.

« Doucement, doucement… Je suis là… On ne renaît pas une deuxième fois tous les jours. » Un sourire en coin tandis que j'ôtais les cheveux qui étaient tombés devant ses yeux. C'était la première fois que j'assistais à une immaculation d'aussi près. À celle d'un vampire, tout du moins. Car je me souvenais très bien de celle de Kyla et de la violence de celle-ci. « Est-ce que ça va ? »

Je pris alors sa propre main et la posait sur sa propre poitrine, pour qu'il sente son cœur battre sous ses doigts.

« Je crois que le destin a un message pour toi… » L'émotion dans ma voix était palpable. J'étais sincèrement heureuse pour lui. J'espérais qu'il saisirait ce soudain changement comme une opportunité de rebondir et de revenir plus fort malgré les pertes qu'il avait subi.

Cela ne m'empêchait pas de ressentir aussi une pointe de crainte vis à vis de ce que nous venions de partager. Un sentiment piquant que je repoussais au loin, songeant que si ceci était arrivé en ma présence, après que nous nous soyons donné l'un à l'autre, cela voulait dire quelque chose.

« Tu vas avoir des courbatures pendant quelques jours, mais c'est tout à fait normal. » Peut-être le savait-il déjà. Sans doute, puisque son royaume était composé de nombreux immaculés. Mais la guérisseuse en moi se sentait obligée de le prévenir tandis que je posais mes deux mains sur son torse. La sensation de son cœur battant était étrange, moi qui étais habitué au silence.

Mais nos deux coeurs battant à l'unisson étaient surtout une mélodie agréable. Cela me fit sourire tandis que la magie du Raton-Laveur pulsait doucement sous mes doigts, au rythme de ces battements de tambour. Je la laissais s'infiltrer dans l'espace entre nos corps, un peu comme je l'avais fait toute à l'heure. Mais plutôt que de venir soutenir son esprit, c'était son corps que je soulageais d'un peu de ses maux.

« Mieux ? » lui demandais-je pour la deuxième fois en moins d'une heure.

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Ses affirmations, ses questions, Aldaron les avait entendues dans un écho lointain, tant il se passait quelque chose au sein de son propre corps. Quelque chose d’inexplicable, qu’il reconnaissait pourtant, car ce n’était pas inconnu pour autant. Cela fourmillait, dans le bout de ses doigts, cela coulait dans la paume de ses mains, comme de l’eau… Ou du sang, à l’intérieur, qui se liquéfiait. Cela déchirait ses bras au rythme d’un battement de cœur, puis deux, et trois. La course de folle que l’organe opérait était bien trop brutale pour un corps qui n’y était plus habitué. Avant, c’était la magie qui animait son être, et maintenant, réveillé de la mort, il n’était plus le pantin de ces fils enchanteurs. La renaissance était chaotique, mais là, contre l’épaule de Vex’Hylia, il s’avouait en son for intérieur qu’il y avait bien pire. Il aurait pu être seul et avoir coulé sous l’eau. Lors de sa première inspiration, cela aurait été compliqué et il serait peut-être mort bêtement… Et il ne serait pas le premier. Vampires comme elfes, tous ne survivaient pas à cette transformation. L’empereur Aegnor lui-même y avait succombé. Il avait vu son tombeau, à Keet-Tiamat, quand ils avaient mené une excursion dans cette ville qui s’était refermée sur elle-même plutôt que de demander de l’aide, orgueil oblige.

Pour sa part, il n’allait pas mourir. Ses yeux, restés ouverts même lorsqu’il perdit connaissance, miraient sans bouger le buste qu’il avait couvert de baisers, un peu plus tôt. Ce souvenir paisible en mémoire rendit l’absence plus douce jusqu’à ce qu’il ne s’éveille, dans ce même chaos où il avait perdu connaissance. L’inspiration fut brusque et l’air lui sembla brûler ses poumons, sa gorge et même tout son être. C’était anormal, pour lui qui n’en avait jamais eu l’habitude, en dehors de ce que la mémoire contenue dans le médaillon lui soufflait. Ses mains s’étaient agrippées à la taille de Vex’Hylia, et ne mesurant la sa force en l’instant, il avait probablement serré trop fort puisqu’il la relâcha abruptement, écartant les bras par crainte de lui faire du mal. Elle dirigea son regard vers elle, et dans ses yeux, il semblait égaré. Sa respiration, tantôt lente, tantôt rapide, haletait péniblement, sans rythme régulier : il n’avait aucune idée de comment fonctionnait une respiration ! Une quinte de toux le secouait, parfois, lorsqu’il s’y prenait comme un pied et cela arriva plus souvent qu’il ne l’aurait voulu. Il tâcha de décomposer le mouvement inspiratoire en étapes, si bien qu’il avait l’air très mécanique, tant l’action se faisait de façon consciente… Mais au moins, il ne s’étouffait plus bêtement.

La pouvoir du raton-laveur calma les douleurs lancinantes qui accablaient chacun de ses muscles. Il acquiesça doucement de la tête, sans oser répondre de vive voix : il avait déjà du mal à respirer alors s’il essayait de parler en même temps, il allait s’emmêler les pinceaux. Il ferma les yeux un instant, cherchant le calme en lui-même et son esprit solide ne tarda pas à le trouver. Sa respiration s’apaisa, ainsi que le rythme des battements de son cœur. Il savait qu’un jour ou l’autre, il aurait eu à passer par cette étape d’immaculation, comme chacun des siens, mais il ne savait pas vraiment s’il y était prêt et si le peuple de la nuit était prêt à avoir un sainnûr pour dirigeant. Cela allait dans la ligne droite de ce qu’il avait initié en rassemblant le beau peuple et les vampires derrière une même bannière, mais pour autant… N’était-ce pas trop tôt ? Il ramena ses mains vers elle, caressant là où il avait un peu serré fort, comme pour se faire pardonner. « Je ne… » Mauvais plan, il aurait dû attendre d’avoir inspiré pour parler. Il inspira un peu brusquement, pour compenser, et vint à rétablir le calme de sa respiration. Il prenait note qu’il fallait inspirer avant de parler, et ne surtout pas expirer. Fort de cette enseignement, il renouvela l’essai avec un peu plus de succès : « Je ne pensais pas que cela l’arriverait aussi tôt. »

Il se rappela qu’Achroma avait un jour affirmé qu’il voulait être le dernier des vampires à se transformer. Aîné des siens, il aurait voulu accompagner son peuple sans en laisser un derrière, fermant ainsi la marche de façon sécurisée. Probablement qu’Aldaron avait absorbé en lui une partie de cette volonté, pour que son premier réflexe ait été d’être peiné de ne pas être lui, le dernier pour les siens… Mais il trouvait cette façon de faire assez grossière, en y regardant bien. Il était le Prince Noir, c’était à lui de montrer l’exemple, de marcher le premier sur la voie où il engageait son peuple. Il n’avait pas à laisser les autre prendre les risques et être le dernier à comprendre ce que cela faisait que de changer. Il leva une main pour caresser la joue de l’ancienne elfe. Elle aussi avait franchi ce pas. « Mais ce n’est pas un mal. Nous avons besoin d’avancer, et je crois que l’immaculation entérinera définitivement nos différences. Elfes et vampires… Cela n’a plus lieu d’être. » Les seuls êtres qui n'étaient pas dignes, c’étaient les humains : ils étaient bien trop différents. Et bien trop stupides.

Respirer lui devenait plus aisé, moins conscient. Le mécanisme fonctionnait de lui-même bien qu’il craignît encore faire un faux pas en respirant maladroitement. Il passa ses mains le long de ses hanches pour la soutenir lorsqu’il se releva avec elle. Il déposa un baiser, sur sa pommette, avant de la contourner pour marcher lentement vers le bord de la rive où il s’était déshabillé. Se mouvoir, avec la force de ses muscles, ne lui était pas aussi naturel qu’autrefois. Il aurait besoin de s’adapter. Son cœur tambourinait de l’effort, dans sa poitrine, il posa ses mains sur le bord du bassin et appuya son corps tandis qu’il laissa sa tête retomber en avant, quelques secondes. Gérer son propre corps était devenu compliqué, ces dernières semaines. Il avait dû s’habituer à celui de la licorne et maintenant, même son corps de bipède faisait des siennes. Il attrapa ses vêtements et se retourna vers elle, s’approchant jusqu’à pouvoir prendre sa main et l’entrainer hors du bassin. Là, il usa des flux de l’air et du feu pour les sécher en un clin d’œil. La fraicheur de l’automne s’était installée et vu comme il ne maîtrisait pas encore très bien son corps, il préférait éviter les frissons et les tremblements de froid pour le moment.

Il remit son pantalon et sortit de son sac une tunique propre, d’un vert profond, tirant sur l’émeraude, semblable à ses yeux. Lorsqu’elle fut également rhabillée, il passa une main dans ses cheveux, pour les passer derrière l’oreille pointue : « Je n’ai pas de regret, non… » fit-il alors, n’ayant pas oublié sa question, même s’il l’avait entendu dans un écho lointain. « Je suis seulement inquiet pour toi. » Il ne doutait pas qu’elle soit suffisamment mature pour prendre ses décisions sans puérilité. « Je sais combien les sentiments nous font faire des choses que nous ne pensions pas faire un jour. L’ivresse de la liberté, l’envie de lâcher prise ou d’envoyer valser ce qui nous rend malheureux… Qu’importe ce qui nous motive, cela peut nous aveugler. » Lui, il vivait avec tant de remords. Tant qu’il avait été avec Achroma, tout avait été comme dans un rêve. Tout lui avait semblé beau, idéal. Il avait acquiescé à ses demandes, ses requêtes et ses désirs. Aujourd’hui, lorsqu’il repensait à son histoire, il se sentait comme abusé, utilisé. Il avait détruit ses propres espoirs, ses propres rêves, son propre bonheur pour le suivre, aveuglé par son affection. Et qu’avait-il fait ? Affamé monstrueusement tout une faction, tout en menant une guerre contre elle. Il avait brûlé toute la noblesse de la Cours des Kohans, tranchés les tête de ceux qui ne voulaient pas se plier devant sa couronne. S’il y avait des choses nécessaires, il avouait sans peine ne pas arriver à se reconnaître, depuis Morneflamme et depuis Achroma. Il avait changé et il ne savait pas si son nouveau lui-même collait encore seulement avec ses idéaux.

« Je sais garder un secret, oui, si c’est ce que tu désires. Je le garderai pour nous. » Il plongeait son regard dans les yeux volcaniques alors qu’il remontait le menton de la sainnûr vers lui. « Porter un mensonge comme celui-ci ne va pas être si simple. Avec les rumeurs de Mme Doubtfire, il sera difficile d’échapper aux questions sur ce qui se passe entre nous. Tout comme je n’ai pas échappé aux questions sur la survie de Marché Noir, depuis que nous sommes arrivés sur cette archipel. Et là où ma position me permettait et me permet d’autant plus aujourd’hui de garder le silence ou de fusiller du regard les curieux, toi, tu devras mentir. Tu ne pourras ni échapper aux questions de ta fille, ni aux réclamations de ton empereur. » Cela ne lui faisait pas plaisir, mais il devait la mettre en face de ses responsabilités. Ce qu’ils avaient fait pouvait encore être une ‘erreur’ ou une ‘toquade’ s’ils y mettaient fin. Il s’écarta d’elle avant de ramasser son sac et le passer par-dessus son épaule. Il lui tendit une main pour l’entrainer avec lui. Il ramassa des champignons en chemin, sur le retour vers le campement. La faim ne l’avait pas quitté, même si effacée et cette fois, c’était son corps qui réclamait… Ou bien était-ce son envie de découvrir et redécouvrir le goût des choses ? Il enfila les champignons sur ses bout de bois, comme des broches et les mit à cuire. « Je crois que Claudius saura pardonner un égarement, à plus forte raison qu’il sait combien je peux être persuasif. Je ne veux pas te causer du tort, Vex’Hylia. Mon seul regret est de t’imposer des tracas. » Les champignons sifflaient leur cuisson progressive.

« Alors rentre à Calastin, au moins pour porter les nouvelles que je t’ai données et prends du temps hors de mon influence pour savoir où tu veux aller. Je ne sais pas où cela nous mènera ni même si cela marchera, pour nous. Si tu veux emprunter la voie du mensonge, je t’y suivrai mais je ne peux que te la déconseiller parce que je ne veux pas que tu sois malheureuse. Mentir ne te sera pas salvateur et si tu espères y échapper, entends que c’est chimérique et que cela sera particulièrement inconfortable. » Il la dardait d’un regard triste et peiné pour elle. S’il était raisonnable, il l’enverrait paître comme une malpropre pour qu’elle l’oublie, ou mieux, qu’elle le déteste, et qu’elle n’ait pas à s’asseoir entre deux chaises. Il n’arrivait à l’être qu’à moitié, raisonnable, à lui conseiller l’éloignement pour mettre ses idées en places.

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Je voyais ses muscles se détendre sous l'effet des pouvoirs du raton-laveur. J'en étais satisfaite et laissais mes doigts remonter vers ses épaules, auxquelles je m'accrochais doucement. Revenir d'entre les morts était certainement une épreuve difficile. Entendre le battement de son cœur. Respirer. Manger. Dormir. Autant de besoins étrangers aux vampires. Un air attendri se peignit sur mes traits alors qu'Aldaron appréhendait la respiration, encore incapable de parler. Et je l'y aidais autant que possible, calquant mon propre souffle sur le sien pour que nos poitrines s'abaissent et s'élèvent en rythme.

Pas aussi tôt… Je penchais la tête sur le côté, réfléchissant à ces paroles. Aurait-il souhaité être le dernier ? pourquoi ? par peur ? par devoir de fermer la marche ? Au contraire, qu'il soit parmi les premiers me semblait plus juste. Il était le Prince Noir. Il était leur guide. Leur berger. En tant que tel, il ne pouvait être le dernier. Une pensée à laquelle il sembla arriver également.

Je récupérais sa main entre les miennes après avoir savouré la caresse de ses doigts, puis déposer un baiser sur ses phalanges. « Nous ne sommes plus qu'un seul peuple. Comme nous l'étions jadis. »

Un peuple différent, toutefois. Et fort de nombreux enseignements. J'espérais en mon for intérieur que les tensions entre les vampires et les elfes allaient peu à peu disparaître. Je n'oubliais pas les stigmates des guerres nous ayons opposé, bien sûr. Mais s'en souvenir ne voulait pas dire être incapable de les pardonner. Même si cela aussi, était un pas en avant difficile à effectuer. Cela allait demander du temps. Mais cela, nous en avions.

Seule dans l'eau chaude, je frissonnais. Le manque de contact laissait un vide. Je refermais mes bras autour de mon buste alors qu'Aldaron se hissait finalement hors du bassin. Et cette fois-ci, la pudeur n'avait pas vraiment sa place. Pas après ce que nous avions partagé. Et ce n'était pas sans plaisir que je laissais mes prunelles volcaniques étudier sa silhouette, avant qu'il ne se tourne vers moi et m'offre sa main. Je me laissais tirer hors de l'eau avec facilité et appréciai à sa juste valeur son utilisation basique et efficace de la magie afin de sécher nos corps.

Puis, en une minute, nous étions tous deux de nouveau vêtu. Sa tunique avait une couleur semblable à la mienne, notais-je avec un léger sourire alors qu'il s'approchait, glissant une mèche rousse derrière mon oreille.

Il répondit enfin à ma question. Sa réponse soulagea une tension dont je n'avais pas eu conscience jusque-là. Quant à son inquiétude, elle me touchait sincèrement. Il était bon d'avoir quelqu'un qui s'inquiétait pour moi, même si ce n'était pas du tout ce que je souhaitais. Je le laissais donc glisser un doigt sous mon menton pour que nos regards se croisent. J'y lisais ce sentiment qu'il décrivait. Ainsi que toute son affection.

Je n'aimais pas les mensonges. Je ne les avais jamais aimés. Mais je ne m'étais pas sentie aussi vivante depuis un moment, sans parler de l'affection que je portais à Aldaron. J'avais bien conscience de me retrouver dans une situation compliquée. Lui était Prince Noir. Il n'avait de compte à rendre à personne. Compte à moi… Comme il le souligna si bien, Claudius était en droit d'exiger des réponses. De même pour Kyla.

« Je ne compte pas mentir, ni à l'un, ni à l'autre. » Je soupirais, acceptant sa main tandis qu'il nous guidait vers son campement. Je me laissais entraîner, ce qui me laissa le temps de songer à ce que je voulais lui dire. « Que sommes nous, Aldaron ? Quel mot utiliserais-tu pour nous définir ? Amis ? Amants ? » Je le regardais se baisser pour cueillir quelques champignons. « Si je suis honnête, la répons est « Je ne sais pas. » Si demain, Claudius me demande quelle est la nature de ma relation avec toi, ma réponse sera celle-ci. Et elle sera honnête. Il en sera de même pour Kyla, si elle veut vraiment connaître la vérité. Mais c'est ma fille, et je l'avertirais d'abord que toute vérité n'est pas bonne à entendre. »

Nous étions de retour près de sa petite cabane. Je le laissais mettre les quelques champignons à griller et récupérais dans ma sacoche les restes du gâteau de Mme Doubfire. Le glyphe de mon sac avait parfaitement préservé l'aspect et les saveurs de la pâtisserie. Aldaron allait pouvoir en profiter pleinement.

« Ce sont les seules personnes à qui je dois des réponses. Les autres n'auront droit qu'à mon silence. »

Je m'assaillais à l'entrée de sa couche, là où j'avais déjà passé une nuit. Ma cape s'y trouvait encore d'ailleurs.

« Nous nous sommes rencontrés parce que l'Empereur a accepté que les Séléniens ayant perdu quelqu'un pendant la bataille des cendres viennent à Cendre-Terre. »

Claudius n'avait certainement pas imaginé que ce soit Aldaron et moi. Peut-être n'avait-il pas poussé sa réflexion plus loin d'ailleurs. Mais c'était un paramètre à prendre en compte. Dans la douleur, l'on trouve ses vrais amis. Et parfois davantage.

« C'était à prévoir que des liens se nouent entre l'Empire et le Royaume Erlië. » Je passais une main dans mes cheveux, sentant soudainement une colère sourde gronder juste sous ma peau. Le besoin de bouger se fit sentir et je me relevais, faisant les cent pas près du feu. « Et honnêtement, j'ai envie de les encourager. Je suis fatiguée de vivre dans un monde constamment en tension. Alors si d'autres Séléniens et d'autres Erlië peuvent nouer des liens, qu'ils le fassent ! Et nous aurons peut-être - un jour - la paix ! »

J'expirais longuement en fermant les yeux, face à Aldaron, consciente de m'être légèrement emportée. Mais ce n'était que la vérité. Cela faisait quinze ans que nous passions d'une menace à une autre. D'un drame à un autre. J'avais le sensation d'avoir vécu quatre-cent ans supplémentaire alors que ça ne faisait que quinze petites années. Un battement de cils dans une vie.

« C'est ce que je vais faire, n'ai crainte. » Repris-je, répondant à sa dernière demande. Rentrer à Calastin était obligatoire. Que ce soit pour porter le message d'Aldaron à Claudius ou informer ce dernier que j'allais travailler sur un remède. « Je donnerais ton message à Claudius et l'informerais de notre collaboration pour créer un remède à la Peste de Corail. »

Je tendais la main pour toucher sa joue, un air triste s'emparant de mes traits. Je n'aimais pas la façon dont il qualifiait notre relation. « Ne mentons pas. Donnons une réponse à ceux en droit de l'exiger. Les autres… Ce qui peut bien y avoir entre toi et moi… Cela ne les regarde pas. Laissons-les aux rumeurs de Madame Doubfire. »

Je laissais retomber mon bras le long de mon corps. Ce n'était pas l'envie qui me manquait d'initier d'autres contacts, mais je ne m'en sentais pas le droit. « Mangeons d'abord. » Proposais-je en prenant place près du feu, utilisant une grosse buche comme siège. « J'aimerais rencontrer Nennvial Voronda avant de quitter Nyn-Tiamat. Sinon… J'ai un voyage à Néthéril qui m'attend. Je peux travailler sur quelques pistes de mon côté et la rencontrer dans quelques semaines… Quand tu seras parfaitement sur pied et de retour à Cendre-Terre. Qu'en dis-tu ? »

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Si elle ne comptait pas mentir, cela changeait la donne. Car outre sa fille, c’était bien de Claudius dont il craignait quelques remontrances. Peut-être n’auraient-elles pas lieu, mais il doutait que ce soit aussi simple : la vie n’avait jamais cherché à être simple avec lui. Quant à ce qu’ils étaient ? C’était pour le moment indéfinissable mais le simple fait que cela se situe quelque part entre l’amitié et l’amour était assez révélateur de ce qui se tramait entre eux. Le flou ne serait pas éternel et l’Empereur aurait tôt fait de lui demander que cela n’aille pas plus loin, au demeurant. Chantage, menace, ou simple ordre, il y avait bien des moyens pour venir détériorer la bulle d’oxygène qu’ils respiraient tut deux. Littéralement. L’immaculé portait un regard vers elle, lorsqu’elle s’installa à l’entrée de la cabane puis se releva. Il sentait une colère sourde, en elle.

La paix. Il baissa les yeux et la tête. Il y avait bien longtemps qu’il n’avait pas entendu pareille utopie. Il fut un temps, pas si lointain, il y avait cru. Il y avait cru quand il avait fait cesser la guerre à l’insurrection des Cités Libres. Il y avait cru lorsqu’à écroulement de Cordont, le feu avait failli brûler encore. Il y avait cru quand les vampires s’étaient rapprochés de Sélénia, en vain, pour abolir le Marché Ecarlate. Il y avait cru, à bien des reprises. A présent, il était bien trop lucide pour savoir que si la guerre s’arrêtait, c’était pour mieux recommencer ensuite. Ces quinze dernières années obscurcissaient certainement son jugement, mais il avait été au front de tant de batailles qu’il lui semblait impossible qu’elles s’éteignent. Le cœur des âmes en ce monde était rempli de cupidité et d’envie. Son sourire se fit amère, pincé. Il n’avait pourtant pas envie de briser ses rêves. Il travaillait à la paix, lui-même, à sa mesure, mais il prenait l’arc et l’épée quand cela devenait nécessaire à ses yeux. Et comme tous les autres, il était cupide et envieux, rongé de la même maladie absurde, le même paradoxe de tout un chacun. Ne rêvait-elle pas de paix tout en étant mage de bataille, soldat par nature ?

La caresse, sur sa joue, lui fit relever ses mires vertes sur elle, ne la quittant pas du regard lorsqu’elle alla s’asseoir sur une grosse buche, près du feu. Il acquiesça de la tête, avant de se pencher vers le repas et vérifier silencieusement la cuisson, plusieurs fois. Lorsque ce fut prêt, il tira l’une des deux grandes brochettes pour la tendre à Vex’Hylia et se garda la seconde. Il prit place sur un rondin de bois, non loin d’elle. Il retira l’un des champignons, qui sifflait encore sous la température, de l’extrémité de la brochette. Il observa sous quelques angles, intrigué, le spécimen. Depuis sa renaissance, c’était la première fois qu’il s’intéressait vraiment à la nourriture. Puis il le mangea, mâchant lentement, avec précaution et savourant chaque arôme qui se dégageait dans sa bouche. Cela eut le dont de lui faire garder le silence trop longuement après la dernière question de Vex’Hylia. Il était parti bien trop loin, dans ses pensées, pour qu’il se souvienne avoir une conversation en cours.

Avaler ne lui sembla pas tant naturel, maintenant et la déglutition fut lente, la première fois mais aux champignons suivants, cela allait bien mieux et son repas le satisfaisait. Voilà qui devrait calmer son estomac. Puis il réalisa, enfin, qu’il n’était pas seul : « Excuse-moi, j’étais… C’était… » fit-il en désigna l’un des champignons qu’il tenait entre ses doigts. « Assez épatant et… Nouveau que j’en ai oublié notre conversation. » Il lui adressa un sourire désolé avant d’avaler le dernier champignon de sa brochette. « Tu devrais rencontrer Nennvial. Je vais rédiger une missive à son attention, pour qu’elle sache qu’elle peut échanger avec toi et que nous avons une nouvelle piste pour ses recherches. Je pense que si vous échangez avant ton départ, cela vous laissera le temps de la réflexion pour songer à quelques idées novatrices. Cela vous sera bénéfique, à l’une comme à l’autre. Et cela ne t’empêchera pas de revenir, un peu plus tard. Vous aurez à poursuivre et j’espère que d’ici là, je serai à nouveau sur pied car il faudra mener une expédition, conjointement avec Nathaniel pour retrouver le reptile, sur Keet-Tiamat. »

Ses lèvres se pincèrent : il avait beaucoup de choses à faire, à dire vrai. Il lui faudrait très certainement déléguer un certain nombre d’opérations à d’autres : le temps pressait. Il posa la brochette terminée et alla saisir l’un de ses sacs, pour s’emparer d’un carnet, d’une plume et d’un encrier. Il ne tarda pas à rédiger ce qui était nécessaire et arracha la page avant de la plier soigneusement. Il dessinait mal, mais il dessina tant bien que mal un Aldaron auprès de tous ses enfants à Cendre-Terre. Il eut recours à quelques signes distinctifs exagérés pour que les personnages soient reconnaissables. Ulmo avait nounours et Ilhan une chèvre par exemple. Il arracha aussi la page et la plia. Il tendit les deux à Vex’Hylia. « Une pour Nennvial, une pour Ulmo. Ne te trompe pas, mon honneur en pâtirait. » railla-t-il. Il imaginait déjà la tête de Nennvial devant son piteux dessin familial et celle d’Ulmo devant pareille information sur la peste de Corail.

Il se leva finalement pour aller sceller son cheval. Isilëel était un destrier elfique au poil blanc, lié à la nature et particulièrement vivace. Son port élégant était à l’égal du peuple dont il était issu… Et vraisemblablement, il était ravi d’aller faire une promenade. « Je vais te raccompagner jusqu’à la lisière puis je te laisserai mon cheval pour que tu rentres jusque Cendre-Terre. »Il attacha une cape sur ses épaules, sombre avec un arbre de vie argenté brodé dans les dos. Il attacha ses épées au cheval et son arc également. Il récupéra sa couronne ainsi que celle de la sainnûr, qui reposait près de la sienne. Il eut un sourire en coin à cette vue. Lorsqu’elle fut prête, il s’approcha d’elle pour la couronner et laissa ses mains retomber pour lui prendre le visage en coupe, entre ses mains. Ses pouces caressaient ses joues délicatement, alors qu’il vint doucement l’embrasser. Elle avait un goût de champignon et ce n’était pas étonnant vu ce qu’ils avaient mangé mais maintenant, il le sentait.

« Pour ce qui est de Claudius et de nous, cela me va. Je crains tout de même que les hommes ne soient pas prompts à admettre leurs erreurs, lorsqu’ils en commettent. J’espère que Claudius sera différent, c’est bien pour cela que je l’ai laisser vivre. » Car Nahui aurait aisément pu en faire son casse-croûte lors de la bataille des Cendres. Il monta à cheval et tendit une main à la jeune femme pour l’aider à monter derrière lui et à s’accrocher à lui. La licorne, en lui, était perturbée d’être à dos de cheval puisqu’elle en était, elle-même un, en quelques sortes. Il leur restait quelques heures sur le chemin jusqu’à la lisière, c’était bien assez pour discuter : « Pourquoi ne pas être allée vivre à Keet-Tiamat, avec les elfes ? Avec du recul, on sait quel sort tragique tu as évité mais… Ce n’est pas très courant. Et pourquoi avoir décidé de faire partie de l’armée, toi qui espères tant la paix ? Même en tant que soigneuse tu guéris des hommes sur le front qui repartent aussitôt soignés contre l’ennemi, le fer à la main. »

Le bruit des sabots, au pas, était régulier et apaisant. Sur un ton plus léger, il demanda également : « Qu’est-ce que tu aimes faire, lorsque tu as du temps libre ? Est-ce que tu es plus lecture ? Ou bien joues-tu de la musique ? Tu chantes ? Danses ? Je t’imagine bien danser… Ou bien tu es plutôt manuelle ? Ou tu préfères être au contact des gens ? Qu’est-ce que tu aimes ? Et… Qu’est-ce que tu n’aimes pas ? Qu’est-ce qui te fait peur ? »

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Assise, ma brochette à la main et un champignon à mi-parcours, je lui lançais un regard dubitatif. Puis, un sourcil haussé dans sa direction, je secouais doucement la tête pour chasser l'amusement qui prenait possession de mes traits. Si j'avais ressenti une pointe de colère un instant plus tôt, voilà qu'elle venait de fondre comme neige au soleil.

— Je te pardonne, lui répondis-je en levant les yeux au ciel. Je te laisserais le reste du gâteau de Madame Doubfire pour que tu profites de tes nouvelles papilles gustatives.

Je l'avais soigneusement remballé la veille, puis glissé dans ma sacoche. L'enchantement apposé sur le cuir préservait aussi bien les propriétés que la saveur et l'aspect des choses que j'y rangeais. Alors, mis à part ces deux parts manquantes, la pâtisserie de la vieille dame était aussi fraîche que la veille.

Je terminais ce repas frugal puis baissais la pointe de ma brochette improvisée jusque dans les flammes. L'extrémité ne tarda pas à prendre feu. À chaque seconde, la petite flammèche gagnait peu à peu du terrain, laissant derrière elle de la poussière grisâtre qui s'envolait avec la brise. Puis la mention de Nathaniel, le Roi des Pirates, me fit relever le regard vers Aldaron. Par-dessus les flammes, je lui jetais un coup d'œil qui laissait peu de doute sur ce que je pensais des gredins. Je n'étais guère enchantée à l'idée de devoir travailler avec eux.

— Parfait, répondis-je en agitant ma torche improvisée devant mes yeux. Travailler avec les pirates ne me plaît pas, avouais-je en croisant ses mires. Sommes nous obliger ? Je n'en ai jamais vraiment rencontré, mais l'idée que je m'en fais me déplaît. Peut-être est-elle faussée, cela dit… Soupirais-je. Peux-tu me parler de ce fameux Nathaniel ? J'aimerais savoir à qui j'ai a faire…. Car je compte bien participer à cette expédition, lui appris-je sans détour.

Au ton de ma voix, il était évident que je ne plaisantais pas.

— J'ai discuté avec Orfraie une partie de la nuit, lui révélais-je en jetant mon reste de brochette dans les flammes. Elle connaît cette île comme sa poche et s'est rendue deux fois en son cœur, ce dont peu de personnes peuvent se vanter, il me semble. Ce sera un atout précieux. Un atout que je compte garder dans ma manche autant que possible, l'avertis-je en levant un index devant moi en guise d'avertissement.

Mentalement, je listais toutes les choses que j'avais à faire. Mon voyage à Néthéril ne pouvait plus attendre. Je devais y rencontrer le Gardien du Domaine, mais cela ne voulait pas dire que j'allais avoir du temps pour moi. Je comptais bien utiliser la moindre minute pour penser à un antidote. Pour envisager toutes les possibilités et traiter toutes les pistes. Peut-être que Belethar pourrait m'aider, d'ailleurs.

Puis je fus sortie de mes pensées par les mouvements d'Aldaron. Je l'observais s'agiter pour saisir l'un de ses sacs, duquel il sortit un carnet, une plume de belle facture et un encrier. Sans un mot, il se mit à composer une missive que je devinais être pour Nennvial. Je le laissais donc travailler dans le silence, me contenter de le regarder faire. Et c'était un court passe temps plaisant que d'examiner son faciès alors qu'il était concentré sur sa lettre. Il était assis exactement comme moi, son carnet sur les genoux. Mais là où je posais mes coudes sur mes propres genoux, lui était courbé vers l'avant. Sa plume grattait le parchemin rapidement et je me demandais, alors que mon regard se posait sur le pli de concentration entre ses deux yeux, à quoi ressemblait son écriture. Je l'imaginais fine et élégante.

Son ouvrage terminé, je récupérais les deux missives en effleurant au passage ses doigts délicats qui m'avaient fait chavirer un peu plus tôt. Cette simple pensée fit chauffer mes joues et je m'empressais de me lever, allant récupérer ma cape. La passant d'un geste ample autour de mes épaules, je glissais ensuite les deux missives dans la poche sans fond cousue par Mme Doubfire. Puisqu'Aldaron ne les avait pas cachetées, il y avait peu de risque que je me trompe au moment de les délivrer.

— Ce serait amusant, le taquinais-je tout de même alors qu'il se levait également.

L'heure du départ était arrivée. J'étais prête à ouvrir un portail séance tenante, mais en voyant Aldaron s'atteler à sceller son cheval, j'arrêtais mon geste. Refermant les pans de ma cape devant mon buste, je le laissais préparer sa monture et ne pouvais m'empêcher de sourire légèrement à la simple constatation que ce moment ne se terminait pas encore.

— Merci, répondis-je.

Un portail aurait été plus rapide, mais une chevauchée avec mes pensées pour seules campagnes était bienvenue. Cela me laisserait le temps de mettre de l'ordre dans ma tête. Une tête de nouveau couronnée, en quelque sorte, après qu'Aldaron eut déposé la tiare de ma mère sur le sommet de mon crâne. Le geste me fit sourire en coin l'espace d'une seconde, juste avant qu'il ne prenne mon visage en coupe entre ses paumes. Je relevais alors les yeux vers les siens, lui qui était un peu plus grand que moi. La caresse de ses pouces me fit frissonner, mon échine se hérissant jusqu'au bas de mes reins. Je fermais alors les yeux pour savourer la douceur de son geste, jusqu'à ce que je le sente se pencher vers moi. J'acceptais son baiser avec joie, levant instinctivement ma main droite pour caresser sa joue. C'était terriblement doux et j'en appréciais chaque seconde, jusqu'à que nous nous séparions.

— Nous serons vite fixés. Je te préviendrais de la tournure de notre entrevue… Pour que tu saches à quoi t'attendre, peu importe l'issue de notre discussion, répondis-je en acceptant sa main tendue.

Je grimpais souplement derrière lui, nouant aussitôt mes bras autour de sa taille. J'ajustais ensuite mon bassin pour être parfaitement à l'aise sur le dos de son destrier.

Monture qui avançait d'un pas relativement tranquille. Rien à voir avec le galop de la licorne qu'était Aldaron. J'imaginais sans mal que celle-ci était plus à l'aise sur ce terrain que l'était le destrier elfique, d'autant que cette fois-ci la végétation ne s'écartait pas spécialement devant nous.

Aldaron fut le premier à parler après un court moment de silence, me faisant sourire. C'était le genre d'informations que deux personnes échangeaient normalement en apprenant à se connaître. Nous avions tellement fait les choses à l'envers… Sans que cela me parût si étrange, pourtant. C'était une drôle de sensation que de se sentir… à la bonne place alors que je ne savais pas grand-chose de lui, au final.

— En vérité, j'ai vécu très peu de temps parmi les miens, commençais-je en posant ma joue contre son dos. Quand j'ai eu un siècle, j'ai été me former au Domaine Baptistral. C'est là que j'ai rencontré Siel, d'ailleurs. Puis j'ai voyagé dans les quelques villes et villages proches de la lisière. Je ne suis revenue qu'en 1750, avec la guerre. Mon père était un soigneur et il m'a prise sous son aile dans son unité. C'est ainsi que j'ai fini près des fronts. À l'époque, ce que je faisais me semblait juste. J'ai soigné des soldats, bien sûr, mais aussi beaucoup de civils. Des gens des campagnes. Les quelques survivants laissés par les vampires, lui expliquai-je avec patience. Tandis que l'invasion des Almaréens m'a conduit à utiliser ma magie pour tuer. À cette époque, où nous étions pourchassés comme des lapins… Je me souviens avoir été tellement en colère, avouais-je dans un murmure, mes doigts se resserrant sur l'étoffe que portait Aldaron. J'étais naïve. Et voir ces Hommes que j'avais aidé me tourner le dos… Ou pire, me vendre à l'ennemi… Utiliser mon pouvoir à cette fin là, cela me semblait tout aussi juste.

Je soupirais en repensant à cette époque. Instinctivement, je vins chercher la chaleur du Prince Noir en collant un peu plus ma poitrine à son dos.

— Quant à rester sur Calastin plutôt qu'aller sur Keet-Tiamat… Eh bien, si j'ai été si jeune au Domaine, c'était bien pour une raison. Je ne me suis jamais sentie totalement en phase avec les miens. Tout était trop codifié. Trop long. Trop… Au-dessus de tout, tentais-je d'expliquer en soupirant encore. Mon point de vue n'avait pas changé sur mon peuple. De plus, la population Sélénienne était au plus mal avec la famine, alors utiliser mon savoir pour leur venir en aide m'a semblé plus juste. Siel était d'accord avec moi, alors nous sommes restés. Quant à faire partie de l'armée… C'était la méthode la plus rapide pour mettre un toit au-dessus de notre tête et de la nourriture dans nos assiettes.

Je serrais ma prise autour du buste d'Aldaron, laissant glisser mes mains vers le haut, vers son torse.

— J'ai toujours agi dans l'intérêt de ma famille. Je pense que toi et moi avons cela en commun, aujourd'hui. Elle passe avant presque tout, lui avouais-je. J'ai fait des choses terribles pour elle et je le referais sans doute, poursuivis-je en frissonnant. Tu as raison, je veux la paix. Mais je suis réaliste. Si je dois me battre pour l'obtenir, je le fais.

C'était sans doute là une pensée que j'avais en commun avec bon nombre de soldats, qu'ils furent humains ou non. Puis la discussion bifurqua quelque peu. Je remerciais mentalement Aldaron pour ce changement de sujet.

— Je déteste les gens, commençais-je en riant contre son épaule. Bon, j'exagère. Mais la foule me rend rapidement mal à l'aise. Je n'aime pas que l'attention soit sur moi et j'ai tendance à me faire discrète.

Ce qui n'était certainement pas facile en vivant parmi les Hommes. Les mortels avaient tendance à s'arrêter sur mon visage et ma silhouette dès qu'ils me percevaient, la beauté de mon peuple éclipsant celle de tous les autres.

— On m'a souvent dit que j'avais l'air particulièrement froide lorsque je suis trop entourée, continuais-je en riant. C'est sans doute vrai, c'est ma façon à moi d'éviter trop de contact d'un seul coup.

C'était aussi une façon de me préserver. Ces quinze dernières années, me murer dans le silence avait été d'une redoutable efficacité pour éviter de devenir folle. Lorsque je ne partageais rien avec les personnes que je soignais, il était plus facile de me préserver. Longtemps, je m'étais trouvé égoïste d'agir ainsi. Avant de me rendre compte que je passais en premier et que c'était mon droit de le faire.

— En vérité, je vis seule et à l'écart de Sélénia. J'aime les grands espaces et le calme… Quand je ne travaille pas, j'aime m'allonger dans un hamac, suspendu entre deux arbres, et lire. Là, seul le chant des oiseaux et le bruit de la rivière viennent troubler mon repos… Parfois, je travaille sur un sort ou sur une potion. Et si j'ai la bougeotte, je m'entraine un peu où je m'occupe de mon jardin. J'y fais pousser des légumes et des fruits, mais aussi toutes sortes de fleurs. J'aime aussi cuisiner. Kyla adore mes biscuits, je lui en fais quand elle me rend visite, ajoutais-je avec tendresse. Sinon… tu imagines bien. J'ai appris à danser quand j'étais jeune. Ma famille était noble et les bals étaient des passages obligatoires, continuais-je avec une pointe d'ennui dans la voix. Mais j'ai appris à apprécier avec le temps, alors il me fera plaisir de partager une danse avec toi, l'invitais-je ensuite en resserrant mes bras autour de sa taille. Il m'arrive de jouer de la musique, j'ai appris au Domaine. Je chante rarement, cependant.

Quant au reste…

— Je n'aime pas parler de moi en général, fis-je en riant près de son oreille. Ou parler tout court. Jamais pour ne rien dire, en tout cas. Tu fais donc partie des personnes avec qui je fais une exception, lui appris-je. Et toi ? Que fais le Prince Noir de son temps libre ? Aimes-tu gouverner ? Comment sont occupées tes journées ? Je t'imagine passer autant de temps que possible avec tes enfants mais aussi apprécier les moments calmes. Est-ce que j'ai raison ?

Songeant de nouveau à nos retrouvailles de la veille, je me permettais de demander ensuite :

— Peux-tu me parler de la licorne qui… qui est en toi ?

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Lorsque Vex’Hylia lui avait demandé s’ils étaient obligés de travailler avec la Confrérie, il avait acquiescé de la tête, voyant mal comment ils pourraient contourner cela alors qu’ils allaient sur leur terres. Inversement, si une créature unique trainait sur les terres Séléniennes, l’Empereur prendrait assez mal qu’une autre nation vienne s’y mettre en chasse sans escorte. Nathaniel avait beau être un mauvais bougre, il n’était pas malin de lui faire de mauvais coups qu’il rendrait au centuple. Quant à lui parler de Nathaniel : « Il est à la hauteur de sa réputation. » se contenta-t-il de répondre, sur l’instant, esquivant ainsi la question en la remettant face à l’idée qu’elle se faisait de lui. Si Selenia et les vampires avaient conclu un pacte de non-agression, Selenia et les pirates étaient à couteaux tirés et il aurait été malvenu de la part de l’allié qu’il était d’offrir des informations à un soldat Sélénien qui comptait bien marquer son désaccord avec le Roi de la Confrérie. Ce qu’il pouvait lui dire méritait réflexion et en cela, il ne répondit pas d’avantage, sur le moment, se contentant de monter à cheval et de la prenne derrière lui.

« Je sais qu’un portail aurait été plus rapide que cette chevauchée, mais cela nous laisse un peu de temps ensemble tout en économisant de la magie. » En particulier avec un sort d’une telle ampleur alors que Cendre-Terre n’était qu’à trois jours à cheval et qu’Isiliel était une monture particulièrement rapide. Sa réponse faisait écho à ce qu’il captait de son esprit, en surface, bien qu’il aurait bien aimé pouvoir se débrancher de sa télépathie, de temps en temps. Il l’interrogea, sur elle, sur ce qu’elle aimait, traçant les contours de sa personnalité mentalement. Comme lui, elle avait été une elfe atypique et bien qu’elle n’ait pas complétement tourné le dos à son peuple comme Aldaron le fit, elle avait pris du recul face à ce peuple statique. Certains passages lui arrachaient un sourire, d’autre de la compassion. Il ne la coupa jamais, la laissant avancer sur son élan et se confier. Lorsqu’elle avoua ne pas aimer parler d’elle, il se sentit flatté par la confiance qui s’installait entre eux, et l’aisance qu’elle prenait, avec lui.

« Parler de soi n’est pas un mal. C’est accepter d’être vulnérable, en quelques sortes… Les personnes qui parlent peu d’elles-mêmes sont des personnes qui craignent cette vulnérabilité. Elles craignent d’avoir mal et ne prennent ce risque que lorsqu’elles sont presque certaines d’être accueillies avec bienveillance… Et en général, elles sont ainsi parce qu’elles ont vécu une certaine intensité négative en le faisant, soit de la part d’une personne violente, soit par la répétition de cet échec, soit par sensibilité personnelle. Ou bien tout à la fois. » répondit-il lorsqu’elle lui posa des questions. Il était assez curieux. Qu’en était-il pour elle ? Avait-elle vécu quelque chose de pénible ou était-elle particulièrement sensible ? Il penchait pour la seconde option. « Parler de soi, c’est accepter d’être vulnérable et cela peut être un frein… Mais finalement, n’apprécies-tu pas ? Te sens-tu mal de me parler ? Se confier, c’est un risque autant qu’un besoin. Et comme c’est un besoin, je m’intéresse aux gens. Je les interroge, je les écoute. Il n’y a pas que le silence, pour éviter de parler de soi, il y a l’écoute et quelques questions simples de relance pour que l’autre continue. Je n’ai pas parlé de moi, mais l’autre retient que j’ai été là, pour l’écouter avec bienveillance et pour m’intéresser à lui. C’est comme cela que je fais pour ne pas paraitre froid et pour autant, je ne fais pas beaucoup plus que toi. »

Il eut un sourire en coin : « Mais je triche, je te l’accorde : j’ai la bénédiction de l’esprit-lié du Saumon qui me pousse de l’avant. Mais cela reste vrai, quand tu écoutes une personne, elle est plus encline à t’écouter à son tour, lorsque tu prends enfin la parole. C’est ce que j’ai appris, à Gloria. La Cour débordait de personnes qui adoraient parler d’elles et ils m’aimaient juste parce que je les écoutais. Et quand j’ai cessé de le faire en endossant le rôle de Bourgmestre de Caladon, pendant la guerre d’indépendance de l’Alliance, je suis devenu le traître. Je n’aime pas vraiment les gens qui parlent uniquement d’eux… Mais j’aime celles qui le font tout de même, au moins un peu, qui prennent ce risque, car cela signifie qu’elles me font confiance pour les accueillir avec bienveillance. Tu es une personne qui accueille avec bienveillance, Vex’Hylia. Tu pourrais t’en servir… Et en vérité, il le faudra bien. Si tu te tiens à mes côtés, même de façon fugace, les regards viendront sur toi, curieux et attentifs, plus nombreux que ce dont tu as l’habitude. Je trouve que ce serait regrettable que tu passes pour froide alors que tu ne l’es pas… Mais ce n’est que mon avis. » Car il s’en inquiétait pour elle : il savait que les préjugés menaient parfois la vie dure.


« J’aime passer du temps avec mes  enfants, évidemment. Cette famille est ce que j’ai construit. La regarder vivre, évoluer, rire a quelque chose de gratifiant, égoïstement. Je suis fier d’eux, comme tu peux l’être de ta fille. Comme n’importe quel parent l’est pour son enfant. Ils nous mettent à l’épreuve, nous remettent chaque jour en cause et nous apprenons à les rendre heureux. Ma Lié est aussi une sorte d’enfant, à sa manière, bien qu’il soit aisé de la combler : rester en vie et lui donner à manger, cela la satisfait. » Evidement, la dragonne râla par télépathie de ce qu’il venait de dire, prétextant avec moults arguments qu’elle n’était pas une enfant parce que les enfants c’était ‘chiant’. Elle lui envoya, à l’occasion un grand nombre d’images mentales d’Ulmo venant la déranger pendant son sommeil. « Ce qui, pour le premier point, a failli manquer. Mon temps est principalement occupé par eux et par mes diverses obligations. Il est difficile d’entretenir des loisirs dans ces conditions, mais c’est le choix que j’ai fait… Depuis ma nomination à Caladon, je n’ai pas vraiment de temps pour moi : la politique avale tout. Même lorsque nous parlons, tous deux, je suis contraint de mesurer ce que je te dis, comme lorsque tu m’as demandé de te parler de Nathaniel. En temps normal, il n’est pas compliqué de livrer son opinion sur quelqu’un d’autre : nombre s’en donnent à cœur joie en de longs et redondants monologues pseudo-rhétoriques, craché de préférence quand le principal intéressé a le dos tourné… Mais moi, je ne peux pas vraiment. Cela ne m’empêche pas d’affirmer ce que je peux penser, mais tout doit être peser, parce que la politique avale tout. »

La nature forestière commençait à s’écarter autour d’eux. L’influence de la licorne, inconsciente, sur la forêt, dégageait un chemin profitable pour l’avancée de sa monture, bien que ce soit moins impressionnant que la veille, lors de la course folle de la Licorne. « Alors, quand je voyage ou quand je m’isole dans mon bureau, tout doit être mesuré. La façon dont je m’occupe de mes enfants, dont je parle, les mots que j’emploie, ceux que je ne prononce pas, les personnes que je côtoie… Lorsque je m’entraine au combat, lorsque je vole avec Nahui, lorsque je prends du temps pour fermer les yeux et réfléchir, tout est jaugé, évalué, jugé. Il y a mes proches et il y a la politique. Voilà comment est occupé mon temps, parfois l’un, parfois l’autre, et même les deux en même temps. Chaque loisir est rempli de politique. Je ne sais pas si j’aime gouverner… Vu ce que je viens de te dire, j’aurais tendance à dire non, car c’est contraignant et envahissant. Mais j’en ai besoin. » Il savourait l’étreinte de ses bras et caressa d’une main, les doigts qui étreignaient son ventre. « Je ne sais pas si j’aime gouverner mais je sais le faire. J’en ai la capacité. Le marché noir, Caladon, la contrebande, les Erlië… Depuis que je suis arrivé à Tiamaranta, j’ai toujours pris des rôles de direction. La seule fois où j’ai cédé les rennes... »

A Achroma, en l’occurrence, par amour : « J’ai affamé extrêmement mortellement toute une population et je suis rentré en guerre contre Sélénia avec toute la force et la violence du Marché Noir lorsqu’il est utilisé à de mauvais dessins. L’un des miens m’avait pourtant mis en garde contre Achroma... » Ses lèvres se pincèrent. L’amour l’avait rendu aveugle. Un terrible regret que cela. Les esprits-liés ne lui avaient pas rendu service pour cette fois : se lier à Achroma avait été un retour en arrière drastique où il avait abandonné la gouvernance à d’autres. « Je crois que je gouverne parce que j’ai peur de ce qui se passerait si je ne le faisais pas. Les égo des uns, les ambitions des autres, et les multiples dangers de ce monde qui surgissent inopinément… Tout cela chamboule nos existences. Il faut que quelqu’un dans les ‘hautes sphères’ ait la tête froide. Je ne prétends pas l’avoir tout le temps, en particulier si mes enfants sont dans la balance, mais je ne veux plus… Je ne peux plus subir. »

Si elle savait qu’il avait été à Morneflamme, alors elle comprendrait qu’il ait été profondément marqué par cette expérience où il n’avait plus rien contrôlé du tout. Ce besoin de contrôle le hantait et il l’avait toujours pris, le contrôle, pour éviter la guerre qu’il craignait tant et pour prendre en main des dangers de ce monde. Il avait été élu Bourgmestre de Caladon pour que la guerre d’indépendance prenne fin. Il avait été la Triade pour engager une ébauche de famine, afin que les Séléniens réalisent que les Kohans étaient incapables de les protéger… Ebauche qui avait été amplifiée en vue d’une guerre, par Achroma. Il avait été Prince Noir pour garder la main sur le peuple agressif et éclaté des vampires, pour qu’il ne soit pas repris par un sanguinaire en quête de vengeance et pour initier un arrêt d’escalade de la violence, avec Claudius. Quant au Couronnes de Cendres qui étaient devenues ses ennemis depuis quelques jours, il en savait bien plus et avait accepté d’être le hérault de l’Arbre-Songe, contre eux. Il n’avait jamais hésité à s’investir, prendre les choses en main. Pour lui, c’était un besoin. Il n’avait pas besoin de la lumière : son rôle à l’ombre de Triade le comblait tout autant. Il avait besoin de contrôle, bien que cela soit bien compulsif, quand on y regardait. Morneflamme l’avait marqué d’un traumatisme avec lequel il se battait : c’était devenu sa façon de vivre.

« C’est bien moins paisible que de la lecture dans un hamac ou du jardinage, je te le concède. » railla-t-il. « Et je ne sais pas si je serais capable de vivre une vie paisible, en vérité. Je ne pense pas que cela soit fait pour moi. Je sais que beaucoup de gens en rêvent… » Mais lui, il vivait dans l’action. Ne rien faire ou se relaxer, simplement, lui donnerait trop l’impression de se prélasser quand le danger en profiterait pour croître. Il ne serait jamais rassuré… Du moins, pas pour le moment et il ne savait pas quand il guérirait de cela. Pouvait-on seulement guérir de Morneflamme ? Il haussa doucement les épaules. « Aldëamân, la Licorne, est territoriale, sans pitié pour protéger ce qu’elle a de précieux. Je sens sa violence qui boue en moi et aussi, son calme froid. Je sens son esprit, rusé et calculateur, vif et farouche. Très intelligente. Elle contrôle cette forêt, son froid glacial. Elle a été créée pour ce milieu, pour y vivre et pour détruire ceux qui s’en approchent. Elle maîtrise les cauchemars à leur source, les tisse à sa guise. Elle a l’art de l’illusion. Elle est redoutable en somme. » Qu’est-ce que cela faisait de lui ?

« Je sens qu’elle fusionne avec moi, un peu plus chaque jour. Son calme tempère ma colère. Son pragmatisme s’emboite assez facilement avec le mien si ce n’est qu’elle tend à vouloir résoudre tous les problèmes par la violence. Certains problèmes n’en ont pas besoin et je sens qu’elle l’assimile, progressivement. Tout comme elle assimile ma famille à son territoire. Je ne sais pas vraiment ce que va donner notre symbiose. » Cela semblait se diriger vers un entre-deux, une collaboration encore hasardeuse qu’il lui faudrait dompter, petit à petit. S’il y parvient, car il n’en était pas encore tout à fait certain. Une part de lui craignait cet être qui s’insinuait en lui et dont il avait à présent besoin pour vivre et être plus puissant… Face à des ennemis qui se multipliaient. Il baissa la tête alors que la monture accélérait son pas sans pour autant passer au trop : la route étant dégagée, elle n’avait pas de raison de trainer la patte. « Quant à Nathaniel, il est effectivement à la hauteur de sa réputation. Son sens de la morale a été bâti par des brigands humains qui ont tué ses parents alors qu’il n’était qu’un marmot et l’ont recueilli. Nathaniel n’a pas choisi de franchir le pas délibérément. Il a vécu au milieu d’une délinquance affichée comme étant la normalité. Cela ne l’excuse pas de ce qu’il a fait, ce qu’il fait et qu’il fera encore, mais cela aide à comprendre comment il réfléchit. Luttes contre lui et tu représenteras un défi qu’il prendra plaisir à relever. Force-lui la main, contrains-le et tu peux être certaine qu’il s’arrangera toujours pour faire l’exact opposé. Le simple fait de te contrarier lui offre une satisfaction enfantine qu’il aime et aimera toujours. »

Le gredin était incorrigible. Alors pourquoi lutter ? « Beaucoup de gens font de la lutte contre la piraterie, et tout ce que Nathaniel représente, leur blanc étendard. Cela donne bonne image d’être l’homme qui brandit l’épée contre ce genre de personnage. Et en cela, ils ne font que renforcer ses convictions et ses pratiques. Nathaniel n’est pas un homme qu’il faut affronter. C’est un homme auprès duquel il faut marcher, même si ce chemin est pénible et demande un certain nombre d’efforts personnels – et je pèse ce que je dis puisqu’il a violé et torturé deux personnes qui sont devenus mes enfants – et  même si vous associer à lui donne une si sale image. Que crois-tu qu’on dise de moi et de l’alliance qui unit mon peuple au sien ? Certainement pas de jolis mots. Mais je n’échangerais ma place contre aucun de ces pseudo-parangons de vertu. Nathaniel a besoin qu’on marche avec lui : il n’y a que comme cela qu’il écoute sincèrement et entend les conseils. Je suis à ma place. Je suis à la place qui me permet de l’aider à changer, à la place qui me permet de l’orienter vers de nouvelles pistes en douceur et à la place qui me permet de limiter la casse qui fait. Savais-tu que j’avais prévenu la Kamda Aaleeshaan Sa’Hila que l’attaque d’Athgalan était un piège ? Cela n’a pas empêché cette sotte et ses semblables d’aller se suicider dans le marais... »

Il haussa finalement les épaules. Il avait fait ce qu’il pouvait. Si ces êtres sans cervelles ne l’écoutaient pas et même pire, le prenait pour responsable (d’après les dires accablantes de Jh’eena), qu’ils fassent. Heureusement qu’il y avait Verith pour leur sauver la mise, à ces graärh, parce qu’Aldaron ne pouvait vraiment plus rien pour eux, et ce n’était pas faute d’avoir essayé. « Lors de l’expédition, il sera certainement intrigué par toi, notamment par les rumeurs qui nous entourent et… Il ne manquera de t’asticoter. Plus cela t’agacera et plus il continuera. Tu connais bien le terrain, grâce à Orfraie. Lui cela fait quatre mois qu’il l’explore : il le connaîtra plus que toi. La seule raison qui fera qu’il collaborera avec toi et qu’il veillera sur toi, envers et contre tout, c’est la demande que j’aurais formulée auprès de lui pour ta protection. Alors… Si j’ai un conseil à te donner, c’est de ne pas oublier ce que je t’ai dit aujourd’hui à son sujet. Ne perds pas ton temps en querelles et ressentiments : il n’attendra que ça et tâtonnera jusqu’à trouver la corde sensible. Marche avec lui et tu verras qu’il y a plus de possibilités que l’on croit à côtoyer le pire des gredins. »

Il ajouta rapidement : « Autant que tu le saches, car il viendra très certainement te chercher sur ce terrain-là : lui et moi av… » Il s’apprêtait à lui dire qu’il avait partagé quelques fois la couche de Nathaniel quand des cris, au loin, se firent entendre. C’était encore très fin, mais pour l’ouïe des sainnûrs, cela était suffisant. « Tu as entendu ? » Il ne lui fallut pas longtemps pour lancer sa monture au galop après avoir conseillé à Vex’Hylia  de bien s’accrocher. Cela lui semblait provenir d’Hurle-Vent et, quand les arbres s’écartaient, il fallut quelques minutes pour le cheval pour tracer sa route. Cela lui sembla interminable et ce qu’il percevait des arbres de la forêt ne le rassurait pas du tout. Sans compter les cris qui continuaient Le massacre qu’il y vit était à la hauteur de ce qu’il craignait. Des dizaines de nouveau-nés avaient été massacrés par des graärh qui eux-mêmes gisaient au sol, défaits par les aînés. Deux d’entre eux avaient été maîtrisé et attaché au milieu du bain de sang. Une mère vampirique pleurait ses deux enfants. Dans le contexte qu’il traversait, son empathie vibrait en elle avec puissance quand il descendit de cheval et prit ses armes. Les deux graärh en vie allaient passer un sale quart d’heure. « Tu devrais rentrer à Cendre-Terre. » fit-il à Vex’Hylia qu’il avait laissée à son cheval.

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Cette chevauchée dans les bois prenait presque une allure de ballade romantique. Presque, car la forêt de Licorock ne se prêtait normalement pas à une telle chose. Davantage encore avec l'automne qui s'installait et qui, de façon bien ordinaire, transformait la verdure des arbres feuillus en un camaïeu de gris. Seuls les sapins et autres spruces se voyaient épargnés par la venue tranquille de l'hiver. Cela ne m'empêchait guère d'apprécier ce moment, mais je n'oubliais pas où je me trouvais, ni même avec qui.

Dans le dos d'Aldaron, j'esquissais un léger sourire. Sans doute un peu triste, c'était vrai. Faisais-je partie de ces personnes qui craignaient leur propre vulnérabilité ? Sans aucun doute. Cette pensée me ramenait inlassablement des années en arrière, où me refermer sur moi-même avait été une nécessité. Cela ne l'était plus, mais les habitudes comme celle-ci avaient la vie difficile. M'en détacher aujourd'hui, c'était comme me couper d'une partie de moi-même. C'était possible, mais pas sans le concours du temps. Pour autant, je ne rejetais pas en bloc les paroles d'Aldaron. Au contraire, je les gardais précieusement en tête.

— En vérité, c'est paradoxal, commençais-je. J'aime écouter les gens parler et je prend même plaisir à distiller quelques conseils s'ils y sont ouverts. C'est la foule qui me pose le plus de problème. Je ne sais jamais comment me comporter exactement. Comment es-tu, toi, quand tu es en public ? Quand de nombreux regards sont tournés vers toi.

La bénédiction du saumon… C'était presque tricher, en effet. Je comprenais mieux son aisance avec les mots et les gens. Quant à son conseil, je le retenais. Cela allait sans doute s'avérer utile un jour ou l'autre et, étant donné mon manque d'aisance, toutes les astuces étaient bonnes à prendre. Peut-être finirais-je par devenir une oratrice correcte. Comme il le souligna lui-même, il y avait de grandes chances que les regards de très nombreuses personnes se tournent vers moi, un jour.

— Il n'est jamais trop tard pour s'améliorer, n'est-ce pas ? Répondis-je pour conclure sur, à demi-mot, une promesse d'avenir.

Changeant légèrement de direction, Aldaron reprit à propos de ses activités. Je hochais la tête dans son dos, non sans sourire à l'évocation de Nahui.

— Je ne suis pas certaine que ta dragonne apprécie cette comparaison… M'en amusais-je sans savoir que j'avais raison.

La politique… Je comprenais aisément où il voulait en venir. Moi-même, je devais être prudente, même si je ne risquais pas de révéler un secret bien gardé au détour d'une conversation. C'était plus aisé lorsqu'on ne faisait pas partie de la sphère décisionnelle, et cela me convenait bien.

À l'évocation d'Achroma, quoique sans le nommer, je refermais davantage mes bras autour de sa taille. C'était ma façon à moi, silencieuse, de lui témoigner mon soutien. Je ne pouvais pas parfaitement comprendre ce qui s'était passé dans sa tête losqu'Aldaron avait agi dans l'intérêt de son défunt époux, mais je pouvais comprendre ses regrets, à présent qu'il n'était plus lié au plus ancien des vampires.

— Je pense que c'est une bonne raison de désirer gouverner, répondis-je doucement au creux de son oreille. Tu ne le fais pas par cupidité… Oui, la générosité est une qualité pour un bon dirigeant. C'est en partie pour cela que je reste là où je suis en ce moment. Doucement, je me faufile et me fais une place. Je travaille dans l'espoir de faire changer les choses pour le mieux…

L'évocation des plaisirs simples de la vie auxquels j'avais le temps de m'adonner me fit hausser un sourcil. Était-ce le ton qui ne me convenait pas ?

— La lecture d'un traité de magie est toujours utile. Quant au jardinage, quand on maîtrise l'herboristerie et un peu d'alchimie, cela devient une nécessité. C'est… Joindre l'utile à l'agréable, murmurais-je près de son oreille d'un ton légèrement amusé. Un peu comme maintenant.

Il n'était pas question que de se prélasser. C'était important de prendre du temps, bien sûr, mais il n'était pas question que de cela. Loin de là. Je trouvais tout de même cela important, ne serait-ce que pour gagner des forces. À trop en faire, Aldaron risquait simplement de ne plus être capable de faire quoi que ce soit. Mais le changement soudain de conversation, pour me livrer quelques informations sur la Licorne, ne me permit pas de continuer sur ma lancée. Je reposais donc ma joue contre son dos, ses battements de cœur pour me bercer.

Cette fusion me faisait penser, à quelques égards, au lien qui unissait déjà Aldaron à son dragon. Orfraie m'avait dit un jour que les Dragonniers, avec le temps, prenaient quelques traits de leur Lié. L'inverse étant vrai également, bien sûr. Dans le cas d'Aldëamân, cette symbiose me semblait plus forte. Là où Nahui ne risquait pas de prendre le pas sur la psyché d'Aldaron, je n'étais pas certaine que cela soit impossible dans le cas de la Licorne.

La description de Nathaniel me fit doucement hocher la tête. Ces quelques traits grossiers, dépeint par le Prince Noir, m'aiguiller sur ma façon de me comporter avec lui lors de notre rencontre future. Je ne comptais pas aller à l'encontre des dires d'Aldaron, même s'il y avait de fortes chances pour que je déteste ce pirate. Nous étions trop différents, à mes yeux, mais j'étais capable de faire la part des choses. Je n'allais pas mettre en péril la récupération d'un ingrédient précieux pour contrer la Peste de Corail par simple fierté. Ce ne serait pas la première fois que je mets celle-ci de côté.

— Écoute les autres pour qu'ils t'écoutent ensuite, c'est cela ? Lui dis-je en repensant à notre précédente conversation. Non, je l'ignorais, repris-je lorsqu'il évoqua Sa'Hila. J'avais entendu parler de ce massacre sur Calastin, mais sans en connaître tous les tenants et aboutissants. J'entends bien, Aldaron. Je mettrai mes a priori de côté pour découvrir l'homme avec les yeux grands ouverts. Je ne ferais rien qui mette en péril la raison d'être de cette expédition, même si cela me coûte.

— Lui et toi quoi ? Questionnais-je alors qu'il s'était tût soudainement. Puis, à son interrogation, je me redressais sensiblement, tendant l'oreille.

Je me rattrapais in extremis à ses hanches pour ne pas basculer en arrière alors qu'il lançait sa monture au galop. Sa voix se perdait dans le vent et dans le fracas des sabots tandis que j'appelais dans le creux de mes doigts mon Souffle Ancien. Comme un pressentiment, je sentais que j'allais en avoir besoin.

En sortant enfin de la forêt, j'avisais la provenance des cris. Le massacre était total et, comme hypnotisé, j'étais incapable de détourner l'attention du sang sur le sol humide. Vampires et Graärh étaient étalés dans l'humus, bel et bien mort, sauf deux d'entre eux. Maîtrisés et attachés au milieu de ce bain de sang, je ne donnais pas chaire de leur peau.

Je sautais à terre promptement, sans répondre, mon bâton dans la main droite, et suivais Aldaron. Je ne marchais pas derrière lui, mais à côté de lui, et je n'avais pas besoin d'être télépathe pour connaître ses sentiments. Il n'y avait qu'à voir la façon dont il serrait son arme.

— Les choses ne sont pas toujours ce qu'elles paraissent en premier lieu, lui dis-je avant que nous ne soyons trop proches des vampires. Je posais ma main sur son bras pour le forcer à s'arrêter et me regarder, même un bref instant. Je ne veux pas de morts inutiles. Pas davantage, lui demandais-je, bien que mon ton fut davantage celui d'un avertissement. Je sortais ensuite Palantir de la poche intérieure de ma cape. Je t'en prie, retiens les autant que ton propre bras. J'ai le pouvoir de tirer cela au clair, laisse moi essayer.

La chaînette du pendule glissa entre les doigts de ma main gauche. Je pouvais questionner les esprits et obtenir une réponse, mais encore fallait-il que j'en aie le temps. Cependant, il n'y avait rien de plus incertain entre les deux aînés et Aldaron, qui avaient les Graärh à leur merci.

— D'accord ? Demandais-je en resserrant mes doigts autour de Lumaewrevia.

J'avais la possibilité de protéger les deux félins d'une puissante barrière magique ou même physique, bien sûr. Et je ne doutais pas un instant que mon amant fût parfaitement au courant de ce fait. Mais je ne désirais pas me dresser contre Aldaron, encore moins face à deux de ses semblables.

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