30 septembre 1764
Est-ce qu’il était impatient ? Oui, assez. Aldaron n’avait pas l’occasion de voir Sorel régulièrement, puisqu’il vivait et s’épanouissait pleinement à Sélénia. S’il agissait pour le compte du Marché Noir, la Triade savait aussi qu’il affectionnait particulièrement les humains et sa vie là-bas. Il avait, notamment, de nombreux amis. S’il était Triade, justement, c’était parce qu’il avait fait montre de tolérance. Les Erlië étaient ennemis déclarés à Sélénia, depuis la bataille de cendres, bien qu’un pacte de non-agression ait été conclu, et pour autant, Aldaron ne désirait pas la perte totale de cette population. Il avait été déçu par les humains et trouvait pleinement sa place ici, à Cendre-Terre, où elfes et vampires éternels étaient réunis. Il comprenait et acceptaient toutefois que d’autres portent à présent leur affection envers le peuple éphémère de Sélénia. Il comprenait Sorel, en un sens, et sa volonté de ne pas contraindre Sorel à le rejoindre avait été affirmée.
Il restait cependant un père qui ne voyait pas son fils souvent. Alors quand Sorel lui avait confirmé arriver par bateau, Aldaron avait attendu, puis attendu, puis attendu et s'était pointé à la première heure au port. Ainsi, il finirait pourrait profiter de lui au maximum. Cela lui convenait assez et permettait à son impatience de s’apaiser car… Eu égard de leurs projets, ils n’auraient pas beaucoup le temps de se poser. Ils avaient prévu de partir à la recherche du portail enfoui sous les terres gelées de l’inlandsis, dangereuses, qui réclameraient toute leur vigilance. Il comptait bien profiter de sa présence avant, si bien que lorsque le navire fut en vue, un sourire s'installa sur le visage du vampire. Celui-ci accosta au port de façon bien trop lente aux yeux d'Aldaron.
Evidemment, les quelques Séléniens à bord n’étaient pas très ravis de voir le Prince Noir les "accueillir", car bien qu’ils viennent Cendre-Terre, beaucoup étaient là soit pour le commerce, soit pour tenter de retrouver un proche perdu lors de la bataille des cendres. En aucun cas croiser le Prince Noir faisait partir de leur programme et leur mine amère ou leur regard de travail le lui faisait très bien comprendre. Ingrats. S’ils étaient en vie, c’était grâce au travail acharné et risqué de la Triade, tant pendant l’invasion des almaréens que durant la Théocratie. Mais ils étaient des humains et avaient la mémoire courte. Tout ce qu’ils daignaient se souvenir c’était la famine dont les avait accablés le Marché Noir, pour leur ouvrir les yeux sur l’incapacité des Kohan à gouverner, et qu’Aldaron ait fait cramer la noblesse gangrénée de Sélénia, qui, soit dit en passant, bouffait allégrement et sans remords sur le dos des pauvres miséreux.
A n’en pas douter, chacun voyait l’histoire par sa propre fenêtre et oui, Aldaron avait du sang sur les mains, mais il n’avait pas attendu Sélénia pour s’en rendre compte : cela avait commencé à Morneflamme. Pour autant, malgré toutes le personnes qu’il avait tuées à mains nues froidement dans la prison, pour protéger leur roi Kohan, il avait été pardonné et adulé à ce moment-là. Pourtant, ici comme autrefois, c’était toujours du sang. N’était-ce donc pas hypocrite ? Aussi les ignorait-il pour aller vers un ami de Sorel qu’Aldaron avait reconnu. « Bonjour, je suis content de te revoir ! Sais-tu où est mon fils ? » demanda-t-il avant qu’on lui réponde : « Il est dans les cales mais – » « J’y vais de ce pas ! » l’avait coupé Aldaron avec joie avant qu’on ne le retienne : « Il est en train de nourrir ses animaux. » « Pas les petits trucs qui bavent, crachent de l’acide, et sont moches comme des vaseux, n'est-ce pas ? » « Si, justement… » « Ah. »
Il s’était arrêté, avec une petite grimace : « Je vais l’attendre ici, finalement. » Oui, ici, à l’air libre, sans bave, sans… Acide. Il ramassa Nahui qui avait rétréci, à ses côté (et qui avait attendu trop à son goût) jusqu’à ne faire que dix petits centimètres et il la posa sur son épaule et elle alla s’enfouir dans le col de sa cape. « Tu peux aller le prévenir ? » Vu la grimace de dégoût du jeune homme, Aldaron rajouta : « Oui, non, je comprends, je n’aurais pas envie moi non plus, laisse tomber. » Il alla vers son cheval, pour que le caresser lui occupe sainement les mains quand quelqu'un apparu par magie. A côté de lui, il y avait cette femme, épuisée par le transport magique, elfe ou peut-être sainnûr. « Vous allez bien ? » demanda-t-il en s'approchant d'elle, qu'il voyait, de dos, tituber. Il lui prit son bras pour lui faire face et… Elle ressemblait à Siel, non ? « Oh. » conclut-il, car de toutes évidences, il devait s’agir de Kyla, la fille de Siel et de la femme que la rumeur racontait qu’elle avait une aventure avec le Prince Noir.
Rares étaient les occasions où il aurait voulu se cacher, mais celle-ci en faisait partie. La première fois qu’il était tombé sur Vex’Hylia, il s’était pris un poing dans la figure. Et ici, non seulement il était le père vampirique de Siel, mais en plus une rumeur courrait sur d’éventuelles fiançailles secrètes entre la mère de Kyla et Aldaron. Intérieurement, il priait pour que Vex’Hylia ait eu le temps de prévenir sa fille qu’il s’agissait d’une vaste blague. Il ne croyait pas en grand-chose, néanmoins : les déesses s’étaient montrées bien déceptives. Mais pour une fois, il avait très envie d’avoir la foi.