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30 octobre 1764



En tout et pour tout, Kaiikathal avait dénombré une soixantaine de raisons d’apprécier cet endroit.
Déjà, la luxuriance de ces terres : en remontant le delta, elle avait salué avec enthousiasme les flamboyants champs de sorgho commun et les fruiticultures de caroubiers, qui attendaient timidement l’été de la prochaine décennie pour révéler leurs premiers fruits. Une heure de parcours plus tard, les rives du Tampocuilë faisaient étalage de leur insolente fertilité en tachant le désert d’un vert saisissant. Pour cela, il leur avait fallu faire reculer les débris et rochers qui formaient des blocs énormes. Il avait fallu cinq semaines pour venir à bout des plus gros, et combler des cratères faisant parfois cinq ou six mètres de diamètre. Le travail des esclaves avançait plus vite qu’un lévrier de course lancé sur son appât.

Il avait ensuite fallu remplir les plus grands trous pour aplanir entièrement les berges du large cours d’eau. Kaiikathal, qui avait surveillé ce chantier avec intérêt, eut une pensée émue pour ces esclaves qui s’étaient donnés tant de mal à extraire les déblais sous les implacables rayons de l’astre : mais elle était trop passionnée par la réussite de son entreprise (par procuration) pour s’attendrir durablement.

Suite aux labours profonds, il leur fallu passer au défonçage à la pioche, ce qui leur prit à peine six semaines tant le sol était meuble, du lever au coucher du soleil. Les champs prirent forme et n’attendirent plus que leur ensemencement, ce qui ne tarda pas à arriver. Et voilà que, quelques mois plus tard, une nappe de verdure éblouissante se dressait haute, droite et insouciante vers le ciel.
Le recul des débris, repoussés de l’autre côté des dunes, avait agrandi le vallon alimenté par le Tampocuilë, veine persane irriguant le corps du delta charnu d’orge et de blé dur. Les flots brillaient et se déversaient dans les champs grâce à tout un système d’irrigation qui se divisait en centaines de rigoles, un travail de longue haleine qui avait cassé bien des dos (et des esprits) afin que le résultat escompté aboutisse enfin. Désormais, une eau plate et propre, tissée par la roche grenue, s’écoulait triomphalement dans cette multitude de capillaires rafraîchissants.

La misère de ce lieu était partie sans retour pour un autre monde. De son passage et de sa longue détresse, il ne restait pratiquement plus rien : une habitation laissée à l’abandon par-ci, par-là ; et, lors des nuits de mistral, caché en haut au sommet des dunes, un petit air de chant elfique.

Grâce à sa récente et toute nouvelle croissance, nul doute que Blanche-Rive deviendrait bientôt “Blanche-Rive l’Opulente”.

Kaiikathal avait quitté le confort de la cité pour emprunter les chemins muletiers qui quittaient la ville et traversaient le vallon jusqu’aux berges prolifiques. Elle marchait à travers une jungle de papyrus, laissant derrière elle la vision effrayante d’un sentier agité par le passage d’un monstre en quête d’une victime à emporter. De temps en temps, son cou se dressait par-dessus leur cime et la valetaille soupirait, à la fois soulagée et inquiète, car même si la bête était de leur côté, elle n’avait nul besoin de leur rappeler qu’elle possédait quatre belles rangées de dents et une gorge capable d’entrer en éruption à tout instant.

L’eau jusqu’au coude, elle retournait à chaque pas le fragile écosystème qui faisait le lit de cette plantation : les dytiques, les gerris, des milliers de larves en tout genre et surtout de la vase, voilà ce qui constituait leur support nutritif. Le mildiou était absent, probablement découragé par les faramineuses températures du climat désertique en dépit du fleuve. Les moustiques avaient envahi les plantations et avaient pris d’assaut les canaux où une partie de l’eau était suffisamment propice au développement de leurs larves, si bien que le message avait été passé, et que chaque flaque d’eau stagnante découverte au détour d’un champ était immédiatement recouverte de sable. La guerre contre les moustiques était déclarée, et c’était là l’un des rares problèmes que pouvait rencontrer la populace ces temps-ci (si tant est que les moustiques étaient le seul problème des esclaves), du moins, Kaiikathal n’en voyait pas d’autre car elle les trouvait plutôt bien lotis. Après tout, ils disposaient désormais chacun d’une habitation attitrée à une parcelle de terre spécifique. C’était presque comme s’ils étaient libres.

En continuant sa marche, Kaiikathal entendit quelques joyeux cris félins. Au moment de tourner la tête pour en déterminer la direction, elle sentit un objet dur lui rentrer doucement dans les écailles de la patte avant et sursauta. Grande comme elle était, elle ne faisait presque plus attention à ce qu’il se passait tout en bas. Un esquif tressé de roseaux, avec à son bord trois graahrons à la mine épouvantée, car ils venaient probablement de commettre l’impardonnable : qui donc osait se heurter à la Liée du Chaos, sinon son propre Lié ?

Heureusement pour eux, les graahrons surestimaient la préciosité de sa majesté des mers et des océans, qui n’avait que faire de ces trois chatons. Ne sachant comment réagir, la jeune dracène se contenta de hausser les épaules “allumaine”, comme elle disait, et les gratifia d’un grand sourire avant de poursuivre son chemin, laissant derrière elle une clameur terrifiée, celle des graahrons esclaves qui hurlaient de peur suite à cette terrifiante rencontre. En fin de compte, il y avait peut-être bel et bien un monstre caché dans les papyrus ; et les petits graahrons, ce soir, feraient naître une légende, celle de l’abominable dragonne qui sentait le poisson, et qui arpentait les rives du fleuve en quête d’un met à se mettre sous la dent.

Sa mystérieuse promenade la conduisit hors des champs, dans le petit port qui avait fleuri sur les bords du Tampocuilë. Elle suivit les pontons ou le bord de la rade : tous les hominidés n’étaient pas habitués à sa présence, alors il fallait (dans une certaine mesure) se méfier de leurs réactions. C’était une très belle journée, immobile et brûlante comme un jour d’automne dans un pays de désert. Les plantes grimpantes portaient mille oiseaux qui ne valaient pas une flèche, et ils le savaient, car ils chantaient à plein poumons au sommet des plus hautes tiges sans prêter attention à personne d’autre qu’un éventuel prétendant ou ennemi.

Dans l’air figé de Keet-Tiamat, les dunes lointaines semblaient avoir profité de la nuit pour s’être rapprochées : peut-être était-ce un effet d’optique dû au mouvement des sables, retenus par la grande palissade qui encerclait la cité. L’odeur du chaud, un peu adoucie par les effluves du Tampocuilë, flottait sur le port.

Elle suivit lentement le bord de la rade, surveillant les navires amarrés. Dans un recoin, des mouettes rieuses qui avaient remonté le delta se disputaient les prises abandonnées par les pêcheurs, invisibles ; et tout à coup, elles éclataient de rire, ou de colère.

“Eh bien ! Celles-ci, au moins, on ne pourra pas dire qu’elles se font du mauvais sang. Quelle vie ! Leur plus gros travail, c’est de trouver un partenaire pour se construire un nid. Rien à faire, rien à échanger contre des sous, pas de trésor à ramasser : c’est la belle vie !”

Alors qu’elle avait tout un trésor à se constituer et un Lié à défendre au péril de sa vie. Quelle fatalité, et aussi, quel cadeau le Rêve lui avait fait ! Eux n’avaient pas à se tracasser du mal inconnu qui rongeait leur âme sœur, n’avaient qu’à échanger des “pii” et des “piaa” pour se faire passer de simples messages. Alors qu’en ce moment, avec Nathaniel, il fallait creuser encore et encore pour arriver à lui arracher un seul mot. Et une pioche ne suffisait pas : il fallait aussi s’équiper d’un mandrin et sa fraise pour percer ses secrets et comprendre quelque chose, ce qui s’avérait pratiquement impossible, relevait d’un grand défi.

Comme il était très rare que sa pensée s’élève à un tel niveau philosophique, elle s’en émerveilla elle-même, et décida de poursuivre.

“Enfin, elles ont la belle vie, jusqu’à-ce qu’elles finissent avec une patte en moins ou dans le ventre d’un requin. Ou encore mieux : dans le mien.”

Tout comme les esclaves contre les moustiques, Kaiikathal avait vertueusement pris la décision de mener une guerre contre les oiseaux des mers, ces impertinents qui faisaient les malins au-dessus des vagues et même parfois sous la surface de l’eau, à se prendre pour des dragons, mais en moins bien, tout juste bons à lui remplir l’estomac.

“Moi aussi je pourrais vivre comme une mouette un jour. Avec mon futur trésor, j’achèterai cette ville et puis toutes les autres aussi. Enfin… je laisserai volontiers Nyn-Tiamat à Nahui et à son Lié, et une autre, et on sera à égalité. Vé ! C’est quoi ça…”

Une vive douleur lui perclut la poitrine. Elle regarda en bas, simple réflexe, constata qu’elle n’avait rien sur elle, à part les plus belles écailles du monde - et sentit comme un irrépressible besoin de le retrouver, Lui. À moins que ce ne soit lui qui l’appelait ?

Dernière édition par Kaiikathal le Mer 15 Juin 2022 - 20:38, édité 2 fois

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¤ Fiellon ¤

Le cratère. Depuis que la Confrérie avait posé le pied sur cette île et bien avant que les pirates ne s’emparent de la ville elfique, ce lieu intriguait le roi des forbans. De nombreux lieux de cet archipel restaient profondément vierges. Le canyon sur Néthéril, les profondeurs sur Calastin, l’inlandsis sur Nyn-Tiamat et enfin le cratère sur Keet-Tiamat. Certes ces différents endroits avaient subi quelques expéditions, mais elles demeuraient bien trop rares. Ces contrées étaient encore bien trop mystérieuses au goût de Nathaniel. Cela s’expliquait le plus souvent en raison de leur difficulté d’accès ou du danger y rôdant. À dire vrai s’était plus une combinaison de ces deux facteurs. Mais dans l’esprit de l’Eärendil, mystère équivaut à richesse. Le roi des forbans se doutait que le centre de l’île sous la nouvelle domination pirate recelait des ressources à exploiter. Il y croyait avec ardeur. La sève des arbres que l’on trouvait là-bas permet la confection des glyphes runiques, mais Nathaniel ne croyait pas une seule seconde que c’est tout ce que ce lieu avait à offrir. Il devait nécessairement y avoir autre chose, plus loin dans cette jungle, plus profondément au cœur du danger. Cependant, avant d’aller plus en avant, il lui fallait connaitre et maitriser les menaces bordant le cratère. Là-bas, la flore est sauvage et agressive. Il ne compte plus le nombre d’hommes morts lors des dernières expéditions. Empoisonné par des spores, étranglé par des lianes, écrasé par des branches. Des sorts peu enviables. Et avant d’espérer pouvoir pénétrer l’orée de la jungle, il fallait passer les gardiens rôdant à sa frontière. D’immenses créatures desquelles s’échappe une odeur nauséabonde. Des charniers vivants et mouvants, des morceaux de chair morte ficelés ensemble par des racines et autres lianes. Le sainur sombre ne pouvait croire qu’il s’agissait de créature faite de chair et de sang. Il ne s’agissait à son humble avis que d’un camouflage, un vaisseau pour une bête végétale qui au lieu de planter ses racines dans le sol pour en extraire des nutriments, les plantant dans la chair, en prenant le contrôle, s’en servant ainsi autant comme moyen de transport que de garde-manger. C’était la théorie de Nathaniel, mais aussi de celles des elfes de la cité elfique ravagée par la peste dont le gredin avait pu lire quelques écrits. Les malheureux n’auraient jamais l’occasion de vérifier ou non leur théorie, mais l’Eärendil, lui, le pourrait. Voilà deux semaines déjà qu’il avait envoyé des hommes lui récupérer l’une de ces monstruosités et de la lui ramener … vivante bien entendu. Et les esprits savent qu’il ne vaut mieux pas décevoir le capitaine du Maelstrom.

« Bah ! Cette chose empeste toujours autant, même les encens n’y changent rien. »

« Après autant de jours passés à proximité d’elle, je pense que l’odeur s’est incrustée dans nos vêtements à un point tel que je doute qu’il soit capable de l’en déloger. »

« J’espère juste qu’elle ne s’est pas incrustée en nous. Même payée je doute qu’une catin du Harem du Lion accepterait de s’envoyer en l’air avec nous. »

« Restez sérieux les gars, Blanche-Rive n’est plus très loin. On a reçu de nouveaux ordres. On débarquera au prochain point de contrôle, celui juste avant la ville. Le roi n’a pas envie que cette chose s’approche trop des habitations. Alors commencez à vous préparer, il va falloir faire descendre cette chose. »

Les paroles des chasseurs étaient quelque peu parasitées par les grondements et rugissements étouffés d’un fiellon. Ce dernier était maintenu dans une cage sur le pont d’un navire, d’épaisses chaines l’entravaient dont certaines prenaient pour point d’ancrage d’énormes pieux plantés dans la chair de la bête. Des hommes se relayaient autour d’elle avec d’imposantes torches, repoussant les assauts des racines de la créature qui tentaient de passer au travers de barreaux pour frapper ses tortionnaires ou trouver un moyen de se libérer. Le bateau grinçait furieusement, mais il tenait bon.

« Capitaine, le navire est en vue. »

Sous une tente à la toile blanche, protégé du soleil, était assis un sainur à la peau sombre. Son visage était bariolé de veinules cuivrées partant de ses yeux aux pourtours noirâtres. Nathaniel attendait là, une bouteille d’alcool frais à la main, se balançant sur une chaise tout en ayant ses deux jambes posées sur une table. D’une oreille distraite, luttant contre la chaleur, le forban réécoutait la marche à suivre qui avait été décidée lors de l’arrivée du fiellon pour le débarquer. D’ici quelques minutes encore, le bateau arriverait avec à son bord la cargaison qu’il avait réclamée.

« Allez-y doucement les gars. Voilà comme ça. Pas de mouvement brusque. »

Cinq mages pirates étaient postés là. Deux sur le pont du navire et trois sur les sables de la berge. Les cinq individus avaient les mains en l’air et commandaient la trame pour soulever dans les airs la cage et son prisonnier. La tâche n’était pas des plus aisées en raison du poids de la créature et surtout de son agitation. Celle-ci remuait tant que les sorciers avaient bien du mal à la stabiliser et à ne pas la faire tomber au sol d’un coup. Toujours sous la tente, Nathaniel observait au loin l’opération, préférant rester à l’abri du soleil pour le moment. Il n’avait pas besoin de se salir les mains avec une si basse besogne. Si ?

Soudainement le fiellon se mit à rugir encore plus férocement et à s’agiter avec encore plus de brutalité à tel point que les mages ne parvinrent plus à stabiliser la cage. Celle-ci chuta lourdement en direction du sol, heurtant le sable du désert. La bête brama de colère, l’une des lianes composant son corps profita de la situation pour surgir hors de la cage et venir saisir un des mages en présence. Elle le fit voler avant de commencer à tenter de frapper les autres pirates à proximité. Ces derniers venant s’approcher avec l’intention de reprendre le contrôle de la situation. Ce fut alors au tour des racines du fiellon de sortir. Celles-ci vinrent s’enrouler autour des barreaux de métal composant sa cage. Malheureusement pour elle, celle-ci était fort solide. Elle ne parvint à en tordre et briser que très peu, néanmoins juste assez pour parvenir à glisser ses pattes à travers se mettre debout tout en soulevant la cage au passage. Le fiellon était encore prisonnier, puisque techniquement toujours à l’intérieur de sa prison, mais sa force était suffisante pour lui permettre de la soulever et de se déplacer avec. Quand bien même il restait fort lent.

Soupirant, l’Eärendil décida de quitter sa tente pour prendre la situation en main et éviter une perte de contrôle totale de cette dernière.

« Qu’est-ce que vous attendez bande de mollusques ?! Les chaines ! Saisissez les chaines et ramenez là à terre ! »

Sur son ordre, une dizaine de soldats se dirigèrent vers les différentes chaines qui pendaient du corps de la créature. Ils vinrent les saisir et tirer dessus pour essayer de limiter les mouvements de la bête et l’épuiser. Nathaniel ne tarda pas à les rejoindre pour leur donner un coup de main.

« Allez ne faites pas semblant ! »

La bête rugissait et se débattait, faisant glisser les hommes sur le sable. Elle semblait perdre en vigueur et sur le point d’être à nouveau maitrisée. Mais la bête n’est qu’un amas de chair ficelé à la manière d’un rôti par des lianes et des racines. Une partie de ce charnier ambulant se déchira, l’un des pieux plantés en elle et qui permettait de la maintenir à l’aide de chaines se retira d’elle. La bête parvint à envoyer valser le lien de métal et les hommes qui la retenaient. Nathaniel faisait partie de ceux-là. Il se retrouva très vite au sol avec l’épaisse chaine d’acier, cette dernière était venue au passage frapper sa poitrine.

Le gredin eut sur le coup le souffle coupé, avant de gronder de rage et de forcer sur ses muscles pour se libérer du poids pesant sur lui et de se relever avec difficulté. Le fiellon toujours en cage était parvenu à reprendre l’ascendant et se débattait avec rage. Ce n’était peut-être qu’une question de temps avant qu’il ne parvienne à faire voler les autres liens d’acier avec lesquels les pirates tentaient de le maitriser.

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Transie par les éclats de voix perçus depuis son oreille interne, Kaiikathal s’était redressée, les narines élargies et la crête frissonnante. Elle éructa. Ça sent le mazout ! La dragonne trépigna comme un cheval, se cabra et banda ses muscles avant de s’élancer dans le ciel plus haut que n’importe-quel pur-sang ne le pourrait jamais. Quelques cents mètres de plus et un bref coup d’œil en amont du fleuve lui en apprirent bien plus que si elle était restée clouée au sol.

Le fleuve s’enfonçait dans l’ombre des papyrus en contrebas, mais plus loin, la végétation s’éclaircissait et s’ouvrait sur un large vallon verdoyant de blé immature, bordé de tous côtés par l’écrin des dunes.
Elle fila en ligne droite et constata une une petite crique dégagée au milieu de ce paradis. Les abords de la rive en chantier s’arrondissaient vers le fond du vallon jusqu’aux dunes comme des grandes jupes vertes, cédant la place à une plaine fertile : bois de construction et champs en devenir à volonté, d’autant que cette crique se prolongeait sur une distance considérable, propre à combler tous les besoins agricoles de la région.
Elle laissait justement assez de place pour permettre de décharger le navire qui tanguait, ce qui sema la confusion dans l’esprit de Kaiikathal puisque que les courants du Tampocuilë étaient toujours doux.

Il y avait en réalité un grand nombre d’hommes perchés sur le bâtiment et reliés à une cage imposante dont le contenu visiblement mécontent demeurait un mystère au yeux de la Marche-Tempête, du fait de l’irrégularité de ses contours. Elle n’était pas sûre de ce qu’elle voyait et l’aurait décrit ainsi : un imposant amas de chairs et de sang dans un entrelac de végétation flétrie criblé de pieux. Ceux-là permettaient aux hommes de maîtriser, avec plus ou moins d’efficacité, la bête enragée.
Attirée par le branle-bas de combat, elle quitta le courant ascendant en inclinant à peine le doigt de son coude qui faisait office d’alule comme chez les volatiles et se propulsa, en un grand battement d’aile puissant et sans grâce, en direction de la scène. Elle reconnut Nathaniel au milieu du remue-ménage et rugit à pleine voix, signalant son arrivée.
Kaiikathal s’approcha en décrivant des cercles peu à peu réduits et vit la cage s’écraser lourdement sur le sable de la crique, arrachant un mugissement à l’âme enragée qui se débattait à l’intérieur. Elle vit des cornes… non, des bois, orner le sommet de son crâne allongé. Encore une fois, impossible de dire ce qu’il en était : elle n’avait jamais vu chose pareille.

Le peu d’empathie qu’elle pu avoir à l’égard de cette chose partit en fumée quand les hommes perdirent le contrôle des chaînes qui la liaient. Son sang ne fit qu’un qu’un tour lorsqu’elle vit Nathaniel valdinguer avec d’autres et se retrouver piégé sous le lourd métal qui se retournait contre son créateur pendant que la bête faisait éclater sa colère.

“J’arrive !” s’égosilla-t-elle en un cri de guerre tonitruant qui porta au-delà des dunes. Elle fonça sur la chaîne au vol et la saisit à pleine vitesse pour la soulever dans une rafale de sable humide et libérer les prisonniers. Dans le processus, elle se tordit une griffe à travers l’un des maillons solides, rien de bien grave, mais ce fut suffisamment contrariant pour lui arracher un feulement agacé. Kaiikathal remonta dans les airs à la verticale, exécuta précipitamment un rétablissement tombé pour faire demi-tour et s’approcha dangereusement de la cage où la créature sévissait à travers les barreaux, mais ne semblait pas avoir pris conscience de la machine à tuer qui fonçait droit sur elle. Puis, au dernier moment, La Liée du Chaos déploya ses ailes pour freiner, ce afin de ne pas se blesser au moment d'atterrir, et asséna un grand coup de pattes arrière à la cage avant de la saisir par les pattes avant et de laisser tout son poids retomber dessus, la clouant ainsi au sol. Le choc fit s’écraser le monstre contre les barreaux sans pour autant les briser, mais suffisamment fort pour l’assommer quelques secondes.

“Attrapez les chaînes et tirez, exécution !”

Kaiikathal n’avait pas besoin de s’adresser à eux en vérité : les mages revenaient à la charge et les autres s’étaient déjà emparés des chaînes qui leur avait échappé et s’écartaient déjà pour empêcher de donner du mou à la bête qui commençait à se relever. Pendant ce temps, la dragonne maintenait la la prison en place.

Une fois l’ordre rétabli, la dragonne s’assit fièrement sur la cage au-dessus de l’animal bourdonnant qui se remettait du choc et regardait furieusement les alentours pour préparer sa prochaine riposte. La malveillance se lisait à travers ses contorsions frénétiques et les coups portés contre et à travers les barreaux à destination de ses geôliers.

“Eh bien” fit Kaiikathal, trop heureuse de troquer sa propre stupéfaction contre un air d’autorité. “Que feriez-vous sans moi !”

Elle s’adressa à Nathaniel, dont elle savait qu’il n’avait rien, car elle l’aurait senti le cas échéant. “Nathaniel ! Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Tu n’as pas idée de ramener pareille étrangeté ici ? C’est quoi… un trophée de chasse ?”

La question était sincère. Que faisait son Lié en compagnie de ces hommes à gérer ce monstre ? D’où venait-il et pourquoi l’avaient-ils emmené ici ?

Depuis le sommet de la cage, la dragonne avait une vue imprenable sur la créature. Un être de nature et de magie qui se présentait sous la forme d’un immense cerf. Il faisait presque sa taille (elle devait le dépasser de quelques centimètres à peine). Il dégageait une odeur atroce - Kaiikathal appréciait la viande faisandée au grand dam de certains, mais comme pour tous les plaisirs, il y avait des limites à ne pas franchir. Chaque mouvement de la créature engageait un bruit de succion peu ragoûtant accompagné de craquements, qui rappelaient les pins gorgés de sèves explosant à l’occasion d’un feu de forêt, ou encore le grincement des vieux mélèzes de Nyn-Tiamat. C’était une créature “juteuse”, que pas même un chien affamé n’irait goûter, et pourtant, Kaiikathal savait ces animaux adeptes de leurs propres crottes.

Pourtant, en la dévisageant, Kaiikathal ne put s’empêcher de lui trouver une certaine noblesse dont les créatures de ce monde pourraient s’inspirer. Elle aurait pu jalouser ses crocs si ceux-ci n’avaient pas été aussi entartrés. La bête dégageait une aura millénaire de puissance et de mystère. Toi et moi, nous sommes un peu pareils, lui dit-elle.
Seul le silence lui répondit. Peut-être que la chose n’avait pas d’esprit, ou qu’elle était incapable de répondre, voire de l’entendre.

Comme pour se venger, un fouet de chair putréfiée sortit de la cage et lui caressa discrètement les métacarpes. La dragonne ne s’en rendit compte qu’au bout de quelques secondes lorsque le fil de viande lui asséna une méchante pichenette en guise de représailles, ce qui la mit en horreur : “Ah ! Aaaaah !” et la fit se dresser sur ses quatre pattes, dos arc-bouté et collerette déployée, tremblante de dégoût. Le montre dessina un rictus exhibant des dents sales et vraiment très pointues. “Quelle horreur ! Nathaniel, ça m’a touché !” gémit-elle, toujours perchée sur la cage, désormais par devoir plus que par envie…

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¤ Fiellon II ¤

Bien que l’immonde bête ait été faite prisonnière par les pirates de la confrérie, elle ne semblait pas décidée à se soumettre bien gentiment à l’autorité de ses nouveaux geôliers. Le débarquement de la cage ne se passe pas sans encombre puisque l’écœurant fiellon parvint à se libérer des chaines en acier restreignant ses mouvements. Nathaniel, qui était venu en aide à ses soldats pour maitriser la bête, avait valdingué au moment où la chaine avait lâché. Se retrouvant la tête dans le sable comme de nombreux autres. Le contrôle de la situation semblait être sur le point d’être totalement perdu. La bête massive et puante parvenait à soulever la cage et se débattait encore plus, menaçant de faire céder les trois autres chaines la retenant encore. C’est alors qu’un sifflement déchira les cieux. La dragonne des abysses surgit pour venir en aide à son lié et à ses hommes en difficulté. Atterrissant sur la cage, elle vint peser de tout son poids, ajoutant une nouvelle contrainte à la bête enfermée à l’intérieur. Très vite, l’ardeur du fiellon perdit en intensité, commençant à s’épuiser. L’Earendil se redressait péniblement, la chaine qui l’avait envoyé valser ne pesait plus contre lui, cette dernière ayant soudainement été dégagée de sa personne et de celle de ses hommes. Le gredin n’avait pas besoin de chercher bien loin pour en connaitre la cause puisqu’il l’avait entendu aussi bien que son esprit avait pu le sentir. Pestant tout en venant frotter ses vêtements pour en dégager le sable, le sainur sombre combla les quelques mètres dont il avait été repoussé.

« Que les mages se sortent les doigts et se préparent à renfoncer cette chaine dans les chairs de cette ignominie ! »

Nathaniel maugréait et tout en venant toucher de son esprit celui de Kaiikathal, il vint déboutonner le haut de sa chemise pour constater l’ecchymose qui était en train de se former sur sa peau du fait de la chaine qui l’avait frappé.

« Un trophée de chasse ? Hors de question que le moindre morceau de cette chose foule ma cabine à bord du Maelstrom. Ses effluves nauséabonds imprégneraient le bois pour au moins cent ans. »

L’ancien elfe se frotta le dessous du nez, venant retirer le sable qui s’était agglutiné en dessous, semblant venir se coller à une étrange substance. Une fois propre, le pirate à la chevelure d’écume sortit une petite fiole dont il retira le bouchon, venant y plonger un doigt pour récupérer un peu de pommade qu’elle contenait. Le brigand vint par la suite s’étaler le tout en dessous du nez et une douce odeur envahie bientôt ses narines, chassant l’horrible fragrance qui envahissait les lieux.

« Je me serais bien passé de ramener une chose qui empeste encore plus que toute la merde que l’on trouve dans les égouts de Sélénia, mais je n’ai pas le choix. Les bibliothèques de l’ancien royaume elfique ne contenaient pas assez d’information sur ces bêtes. Alors il nous faut … un sujet d’études. Cette créature se nomme un fiellon. On en trouve au sud d’ici, en amont du fleuve, tout autour du cratère situé centre de cette île. Ce sont des putains de gardien et plus d’une fois les expéditions en partance de la Retraite du lion ont été refoulées par ces choses.  Je veux … »

Le gredin fut interrompu dans ses explications quand le cri mental de sa liée résonna dans la trame alentour.

« Ah ! Aaaaah ! Quelle horreur ! Nathaniel, ça m’a touché ! »

Tel un chat dont on aurait mouillé la queue, ou une nobliarde qui aurait vu une souris, la dragonne des abysses venait de se dresser, écailles hérissées et collerette déployée, car le tas d’immondices venant de la toucher. Le sainur sombre ne put retenir un ricanement face au côté précieux de sa liée, même s’il comprenait qu’un contact avec ce qui n’était rien d’autre qu’un tas de chairs en putréfaction pouvait être au combien repoussant.

« Ne bouge pas, cette chose ne sera bientôt plus en état de toucher qui que ce soit sans qu’on lui autorise. »

Au même moment, le pieu relié à la chaine dont le fiellon s’était libéré se leva dans les airs sous le commandement de la magie des mages environnants. Un cri déchirant retentit après que le piquet soit projeté en direction de la cage et qu’il vient s’enfoncer profondément dans les chairs de la bête. Les différentes chaines s’agitèrent également, se mettant à se mouvoir, venant saucissonner au peu mieux la bête, avant que les extrémités soient récupérées par les hommes en présence qui s’empressèrent de venir les sceller dans le sol à l’aide de nouveaux pieux.

« C’est bon tu peux descendre ma belle, il ne devrait plus bouger aussi facilement maintenant. Pour te remercier pour ton aide, je vais nettoyer les écailles que ce tas d’immondices a touché. Qu’en dis-tu ? »

Sans attendre de véritable réponse, le sainur à la chevelure d’écume se dirigea vers la rive, avant de retirer ses chaussures et remonter les pans de son pantalon pour éviter les tremper quand il marcherait dans l’eau.

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“En formation les fifrelets !” clama la dragonne en renfort.

Dans un tohu-bohu d’injonctions, forbans et mages reprirent le contrôle de la situation. La dragonne en profita pour s’écarter du monstre. Elle prit appui sur la cage, désormais gérée sans que l’on ait besoin d’elle, et se propulsa d’un battement d’ailes aux côtés de Nathaniel qu’elle examina sous toutes les coutures. Déjà, une petite tache de la même couleur sombre que ses écailles avait fleuri sur son thorax. Kaiikathal renifla : au moins étaient-ils assortis, ce qu’elle regrettait parfois quand ce n’était pas le cas, sinon comment faire de belles entrées en scène ?

Le fiellon, considérablement affaibli par le transport et l’attaque, s’était ramassé dans un coin de la cage - ce qui ne l’empêchait pas d’en occuper formellement les deux tiers - dans une posture défensive. Il se contentait d’intimider quiconque s’approchait d’un peu trop près à son goût par des grognements gutturaux. Ses crocs tissaient des mucines qui s’étiolaient dans l’air chaud : il bavait plus qu’un animal enragé. Vu comme ça, il aurait sensiblement pu être plus intimident qu’un dragon menaçant, s’il n’avait pas fait vingt fois moins que la taille d’un adulte déjà bien avancé dans son âge.

Pour l’instant, il était presque aussi grand que Kaiikathal, ce qui était largement suffisant.

Lorsqu’il poussa un rugissement de mécontentement, la Marche-Tempête tressaillit. Elle le toisa nerveusement puis se retourna avec un air renfrogné, préférant penser au tas de mucus et autres glaires dégoûtants dont on allait la débarrasser. Elle se trotta vers la plage, aussi discrète qu’un éléphant, soulevant le sable sec et même le matériel posé à terre - rames et seaux de bois, et balles en osier abandonnées - de quelques centimètres. Il allait sans dire qu’elle était nettement moins bruyante à l’époque où elle faisait quarante centimètres, et où elle ne faisait pas trembler la terre à chaque foulée précipitée…

Elle freina aussi gracieusement qu’un hippopotame de Néthéril lorsque ses griffes entrèrent en contact avec le Tampocuilë.

“Je veux bien que tu me l’enlèves, s’il-te-plaît. Et que tu grattes sous les écailles pour racler ce qui s’est mis dessous… bah !” la brève vision de cette masse noire plus visqueuse et collante que l’albumine, dont elle se détourna aussitôt, ne lui inspira qu’une violente éructation qui, fort heureusement pour Nathaniel, ne déboucha sur rien d’autre qu’un vilain rot aux effluves de tanche. “C’est vraiment répugnant… ôte-le moi vite, je t’en supplie.”

Les bipèdes faisaient des merveilles avec leurs petits doigts qu’ils pouvaient enfiler partout. Les espaces les plus exigus n’y faisaient pas exceptions : ça rentrait dans les trous, dans les interstices les plus étroits… et même en d’autres lieux que Kaiikathal et son primitif cerveau de dragon n’étaient pas près d’imaginer, puisque ces choses-là relevaient d’une autre forme de plaisir.
Nathaniel fit le bonheur de sa Liée en s’appliquant à retirer, écaille par écaille, la saleté que l’avait contaminée. La dragonne ronronnait de plaisir, et de dégoût aussi, lorsqu’il fallut enlever les grumeaux putréfiés coincés dans les moindres replis de kératine.

C’était véritablement une créature magique, ce fiellon. Ni mort ni vivant, un complexe entrelacs de chairs et de vaisseaux animés par une quelconque force supérieure qui transcendait l’imagination la plus folle. Kaiikathal n’éprouvait ni méfiance, ni vindicte à son égard, seulement de la curiosité et de la répulsion : elle aurait fait une indigestion rien qu’en regardant la bête plus de deux minutes. La preuve en était, le fait de poser le regard sur lui ne lui inspirait que des haut-le-cœur sans équivoque, et les plus prompt à venir qui soit. Quiconque souhaitait faire un régime n’avait qu’à passer une heure en compagnie de ce tas d’immondices.

“Je ne vois ce que tu espères tirer du fiellon, pourquoi l’as-tu fait apporter ici ? Est-ce que cela a à voir avec ce fameux cratère ? C’est un cratère de volcan ? Ou de météorite ? Est-ce qu’il renferme… un trésor ?” demanda-t-elle avec véhémence, trouvant subitement un intérêt à cette drôle d’enquête. Un cratère n’avait rien d’intéressant, sauf s’il renfermait quelque chose d’important.

Elle bougea énormément en s’excitant, ce qui ne facilita pas la tâche du sainur. Elle s’exprimait avec une exubérante férocité qui, pour les non-connaisseurs de dragons, était à s’y méprendre avec de la malveillance. Mais il faut savoir que les dragons ont toujours cet air sanguinaire, même les plus doux, à bien y regarder de près.

Tout à coup son pouls s’accéléra en visualisant une montagne d’or et de trophées esseulés, enfermés dans une chambre forte plurimillénaire, endormie et intouchée, loin sous le cratère… Elle se mit alors à imaginer le monde de ce désert dont elle savait si peu, n’ayant tissé de lien qu’avec son sable brûlant, aussi fin et poudreux que celui des océans, mais bien plus traître, sournois et insidieux. Que cachait l’imprévisible Keet-Tiamat ?
Kaiikathal avait démarré son existence sur un autre continent et voyagé ici bien avant son éclosion. Elle avait fait ses premiers pas à bord d’un navire et passé le reste de sa vie à aller et venir, d’abord sans quitter le Nid-Flottant, puis de la mer à celui-ci et, enfin, d’île en île et d’île en Maelström. Au-delà du simple plaisir, l’instinct du mouvement et du voyage s’était naturellement développé en elle. En découlait un intérêt prononcé pour les richesses de ce monde : les trésors, les paysages et surtout le mystère.

Elle s’imagina alors sa propre version de l’histoire, une histoire qui se déroulait sur un continent hostile séparé du monde, radeau de arénacé égaré au milieu des mers. Son isolement y avait fait éclore des créatures improbables : les fiellons, sinistres gardiens du grand Cratère de Keet-Tiamat l’Inhospitalière. Que gardaient-ils ? Une immense fortune ? Les secrets des plus grands savoirs ? D’autres créatures, plus dangereuses encore ? Kaiikathal s’interrompit dans son histoire : elle n’avait pas envisagé que les entrailles de la pampa puissent héberger autre chose qu’une vieille amphore remplie de vide et un ou deux sous égarés. Cela pouvait tout à fait être le cas pourtant, sur ce Monde où l’on pouvait mourir le jour de sa naissance…

La surface de l’eau chaude ondulait et tourbillonnait au gré des micro-courants. De fascinants remous, nés depuis le fond du fleuve et venus s’échouer ici sur la crique, apaisaient l’esprit et soulageaient le corps, comme de petites langues fluides venant chatouiller les membres.
Et l’eau ruisselait, imperturbable, entre les papyrus ; elle murmurait dans cette langue étrangère à tous les non autochtones, tous ceux qui n’étaient pas les enfants du désert, des secrets depuis longtemps oubliés que Kaiikathal aurait aimé entendre.

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¤ Trésor ¤

Le fiellon était à nouveau maitrisé, l’intervention de Kaiikathal avait été salutaire et a permis aux forbans de reprendre pleinement le contrôle de la situation après que celle-ci ait commencé à leur échapper. La bête était à présent immobilisée au fond de sa cage et ses grondements menaçants ne sonnaient plus que comme de vaines paroles. Le sainur sombre, bien décidé à récompenser sa liée pour son intervention en nettoyant les affres qu’un poisseux contact avec la créature du cratère avait causées, était à présent sur la rive du Tampocuile. Ses bottes reposaient sur le sable chaud, tandis que ses braies lui remontaient jusqu’aux genoux. La fraicheur des eaux du fleuve imprégnait les chairs du tyran des mers qui ne pouvait la trouver qu’appréciable dans cette contrée dominée par le soleil. La marche-tempête ne tarda pas à le rejoindre, venant créer des remous lors de son entrée dans les eaux.

« C’est vraiment répugnant … ôte-le moi vite, je t’en supplie. »

Le pirate à la chevelure d’écume ricana alors qu’il vint se mettre au niveau de la patte de sa dragonne, venant saisir de ses doigts l’espèce de dépôt de mucus qui souillait les écailles de sa liée.

« Quelle princesse tu fais. Et ça se dit un dragon. »

Le ton ainsi que le sourire du forban se voulait à la fois moqueur et provocateur. Nathaniel jeta le détritus en direction du sable et de la rive avant de commencer à frotter entre les striures que formait l’assemblage de la cuirasse d’écailles de la dragonne à la crête d’or. Enlevant ce qu’il pouvait à l’aide de ses seules mains, le roi de la confrérie finit par user du don de manipulation de l’eau que lui accordait l’esprit-lié de l’orque pour finir le travail et nettoyer dans les petits recoins qu’il ne pouvait atteindre. Venant faire glisser l’eau entre les écailles de la même manière que l’on fait glisser une ficelle entre les dents.

« On ne peut pas régler à chaque fois les soucis d’un coup de lance-flamme ou d’un claquement de doigts pour figer le temps. Et on ne le peut pas tous non plus. Je veux en apprendre plus sur ces créatures pour mieux les connaitre et ainsi dire à mes hommes comment les défaire avec plus de facilité lors des expéditions du cratère auxquelles je ne participerais pas. Je veux aussi savoir si elles ont des prédateurs, afin de connaitre si je dois me préparer à affronter des créatures plus dangereuses qu’elle. Je veux déterminer si je peux tirer une quelconque richesse d’une quelconque partie composant leur être. Ou si à l’inverse elles ne sont bonnes qu’à être jeté. Si je ne peux pas en tirer profit, alors je les exterminerais tout simplement. »

Un sourire mauvais trancha les lèvres de Nathaniel. Il était parfaitement capable de réaliser un tel acte. À ses yeux, hommes comme bêtes ne méritaient d’exister que s’il pouvait en tirer un certain bénéfice. Dans le cas contraire, ces choses ne pouvaient représenter qu’une gêne.

« L’endroit est plus sécurisé ici et puis, la majorité de nos alchimistes sont afférés à nettoyer la cité elfique. Je ne souhaite pas les déranger dans leur travail en leur faisait parcourir plusieurs jours de voyage. Alors j’amène ces bêtes jusqu’à eux. »

L’Earendil posa sa main sur le bout du museau de Kaiikathal, l’amenant à tourner délicatement son museau en direction de la bête immonde.

« Tout a à voir avec le cratère. Ces choses sont disséminées sur son pourtour comme si elles en gardaient l’entrée. Et s’il y a un gardien, c’est qu’il a forcément un trésor. Je sais déjà que la sève des arbres composants l’imposante jungle recouvrant l’intérieur de cratère est exploitable. Les artisans maniant l’art des glyphes s’en servent pour tracer des runes et conférer des pouvoirs aux objets. Il n’existe aucun arbre ailleurs sur l’archipel dont la sève possède une telle propriété. En conséquence, le cratère est l’équivalent une mine d’or dont la Confrérie a le monopole. Mais je refuse de croire que c’est tout ce que ce lieu a à m’offrir. Ce n’est là que la surface, des miettes dont je ne saurais me contenter. »

L’évocation de tant de potentielles richesses trouva écho chez sa liée puisque Nathaniel sentit l’esprit de Kaiikathal se remplir de pièces d’or et autres pierres précieuses tant et si bien que l’agitation psychique de la dragonne se traduisit en une agitation physique. Le sainur sombre manqua de vaciller dans l’eau et ne dut qu’à son incroyable agilité de ne pas se retrouver mis au sol en venant grimper sur le dos de la marche-tempête. Lorsqu’elle retrouva un semblant de calme, le roi de la confrérie poursuivit.

« J’ignore ce à quoi est dû ce cratère. S’il s’agit là d’un volcan, d’une étoile tombée des cieux, d’un sortilège où que sais-je encore. C’est pour toutes ces raisons qu’il faut l’explorer et c’est pour cette raison qu’il me faut apprendre ce qu’il y a à savoir sur les créatures peuplant ce cratère et sa jungle afin que je sache comment écarter de la route les obstacles qui se dresseraient entre nous et les richesses s’y trouvant. »

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“Mais JE suis un dragon ! Plus dragon que moi, ça n’existe pas.”

Pendant qu’elle se faisait débarbouiller, Kaiikathal songeait avec une pointe d’audace à ce qu’elle aurait pu faire, elle, si on l’envoyait sur le terrain. Ce serait bigrement plus convenable pour les expéditions de son Lié s’ils avaient une reconnaissance du terrain et de ses dangers depuis la voie des airs, et plus rapide aussi. Sans penser à mal, elle en fit aussitôt part au sainur :

“Dans ce cas, pourquoi ne m’enverrais-tu pas là-bas avec tes hommes ? Ce serait une aubaine pour eux de m’avoir à leur côté : en guettant depuis le ciel, je serais capable de débusquer la plupart de ces créatures, mais aussi cela me donnerait l’avantage d’un point de vue que vous n’avez pas au sol, en particulier si cette jungle est aussi dense qu’on le raconte.”

En tout cas, ça lui paraissait tout à fait logique à elle et elle n’envisageait aucunement l’idée d’un refus de sa part. Elle n’était pas convaincue qu’il était impossible de tout régler par un coup de feu ou de crocs, et cela, elle ne le lui dit guère, mais elle le pensa très fort, car chez Kaiikathal, la loi du plus fort est non seulement toujours la meilleure - et aussi la plus extrême - mais c’est la plus rapide et efficace.
Chez Kaiikathal, bien sûr…

S’il s’agissait d’une évidence aussi énorme que le museau au milieu de la figure, elle avait la désagréable impression que ce n’était pas le cas pour nombre d’entre eux, y compris Nathaniel. À plusieurs reprises déjà l’on aurait pu faire appel à ses compétences, à ses vertus inféodées à nul autre qu’elle, en sa qualité de dragonne. Comment ne pouvait-on pas faire appel à elle ? Avait-on oublié tout ce dont elle était capable, tous les avantages qu’un être comme elle pouvait procurer sur le terrain ? Avait-on seulement confiance en elle ?
Elle aurait pu changer le cours des choses à plusieurs reprises, elle en était sûre. Tout ce potentiel gâché.

De savoir qu’elle pourrait, d’une façon générale, leur apporter bien plus que ce qu’elle faisait actuellement, et que l’on ne se servait pas d’elle pour exploiter des stratégies jamais employées avant, cela la mettait en rogne et elle le fit bien comprendre à son Lié sans avoir besoin de lui adresser un seul mot. Ce n’était pas juste, et elle était sur Aldaron, lui au moins, n’hésiterait pas une seule seconde à placer ses espoirs en Nahui.

De plus, rien ne pouvait entraver sa motivation à partir en quête d’un trésor, pas même les lianes les plus épaisses d’une jungle aussi riquiqui. Si elle le voulait, elle n’aurait qu’à la faire flamber, et même l’humidité ne saurait vaincre les flammes de la Marche-Tempête !

Kaiikathal n’était décidément pas en mesure de comprendre certaines subtilités.

Pour changer succinctement de sujet, elle bougonna :

“Que comptes-tu faire avec cette créature ? Tes hommes ont beau l’avoir ramenée de loin, elle ne se laisse déjà pas maîtriser avec facilité. Je me demande quelles expériences tu comptes lui faire subir. À moins que…”

La dragonne avait connaissance de certaines pratiques qui oeuvraient sur des animaux voire des bipèdes déjà morts. Cela permettait à celles et ceux qui travaillaient pour le “Savoir”, les “scientifiques”, s’autoproclamaient-ils, d’avoir une bonne compréhension de l’organisme découpé ; d’en connaître et d’en comprendre les organes, les vaisseaux et les humeurs. Nathaniel comptait-il procéder, dans un premier temps, à l’autopsie du fiellon ?

Elle le dévisagea d’un air interrogateur, ne sachant trop si son Lié était du genre à avoir recours à de telles pratiques.

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¤ Joker ¤

Nathaniel contait à Kaiikathal les trésors, avérés et potentiels, pouvant se trouver à l'intérieur du cratère et de sa jungle qui accaparait l'attention du forban. Depuis la prise de l'île par la Confrérie, le sainur sombre déployait de nombreux efforts afin d'investir au mieux et le plus rapidement possible l'endroit. Le regard de ses ennemis étaient tournés ailleurs pour l'heure, il n'y avait donc moment plus parfait que celui-ci pour se renforcer plutôt que de guerroyer. Bien entendu, la guerre viendrait tôt ou tard, mais le brigand sentait que celle-ci serait d'une intensité tout autre que celles que la Confrérie avait pu mener jusqu'ici. Et s'il souhaitait que sa nation y survive, il devait la préparer au mieux. En parlant de préparation, sa liée démontrait son insatisfaction quant à sa participation dans les plans de son dragonnier. L'Earendil posa son regard sur la marche-tempête, même si cette dernière la taisait, il pouvait sentir au travers de leur lien la frustration s'accroitre en cette dernière. Le forban ne pouvait nier qu'il n'implique que très peu cette dernière dans ses différentes combines, alors qu'il n'hésitait pas lui-même à se mettre en danger sur le devant de la scène. Était-ce par manque de confiance envers sa liée? Non, absolument pas. Nathaniel semblait s'entêter à vouloir la préserver de la cruauté du monde dans lequel son lié évoluait. Quand bien même celle-ci était un dragon, elle demeurait aux yeux de son dragonnier à la fois jeune et inexpérimenté. Soupirant intérieurement, l'Earendil prenait conscience qu'il ne pourrait éternellement la tenir éloignée de ses affaires. L'incident du Boucher d'Althaïa en était un exemple frappant puisque Kaiikathal s'était retrouvée impliqué de force dans cette affaire. Toujours sur le dos de sa liée, Nathaniel venait caresser les écailles de dernière située entre le point de naissance de ses deux ailes.

"Kaiikathal, la Confrérie est comme un immense jeu de cartes. Il y a les deux de trèfle, les cinq de pic, le dix de coeur, ainsi que les valets."

Pour imaginer, le gredin pointait du doigt les hommes plus en avant qui étaient non loin de la cage et du navire. Il y a avait les ouvriers de base, les forbans, ainsi que les magiciens.

"Chaque mission ou entreprise que mène à bien la Confrérie est une partie de cartes que je joue avec ce jeu. À chaque rôle correspond une carte. Bien sûr, une carte ayant plus de valeur peut remplir un rôle correspondant à une carte de valeur inférieure. Mais cela reviendrait à révéler et épuiser son jeu trop rapidement face à ses adversaires. Ça serait du gâchis. Les cartes de mon jeu ayant la plus grande valeur sont les As et les Rois. Pour autant, toi et moi ne sommes ni l'une l'autre. Il existe en effet un autre type de carte bien particulier. Une carte pouvant changer le cours de la partie. Elle est plus précieuse que toutes les autres et à ce titre doit être jouée avec encore plus de sagesse. On appelle cette carte le Joker. Seule cette carte est capable d'accomplir des miracles, de rendre possible l'impossible. Un peu à l'image de moi prenant le commandement de la flotte pirate face à la flotte chimère, moi accueillant l'armée graärh aux portes d'Athgalan, moi m'infiltrant dans le palais de l'empire pour enlever l'impératrice."

Le sainur sombre et vint descendre du dos de sa liée pour rejoindre la rivière et se mettre devant son museau.

"En tant que la plus précieuse de toutes les cartes, tu es amenée, comme moi, à agir peu, mais toujours au bon moment, là où tu brilleras le plus et auras le plus d'influence. Même si cela peut s'avérer être très frustrant. Tôt ou tard, ton heure de gloire viendra Kaiikathal, n'en doute pas."

Nathaniel se recula afin de rejoindre le bord de la rivière. Il usa du don de l'orque pour retirer l'eau de ses pieds, de sorte que l'humidité se trouvant dessus ne vient pas faire coller le sable contre sa peau. Les pieds secs, il rejoignit ses bottes et les enfila prestement.

"Mais je suppose que, tout joker que tu puisses être, il te faut être correctement affuté pour être prêt le moment venu. Je vais considérer ta proposition Kaiikathal."

À dire vrai, la proposition de Kaiikathal n'était pas complètement idiote. Si un oiseau dressé pouvait remplir son rôle, elle disposait de sens et d'une vision bien plus développée, à même de pouvoir traverser l'épaisse canopée de la jungle. Et puis, ce genre de mission serait à la fois peu dangereux pour un dragon, mais aussi moralement peu contestable.

"Que comptes-tu faire avec cette créature ? Tes hommes ont beau l’avoir ramenée de loin, elle ne se laisse déjà pas maîtriser avec facilité. Je me demande quelles expériences tu comptes lui faire subir. À moins que…"

Un léger sourire apparut sur les lèvres du forban alors qu'il captait dans l'esprit de sa liée qu'elle avait deviné une partie de ses projets pour la créature.

"Cette créature finira par connaitre ce sort oui. Les alchimistes de la Confrérie perceront le moindre de ces secrets. Pour défaire un ennemi au mieux, il faut le connaitre en détail. Je dois savoir où le frapper pour être sur l'incapacité, ou de le tuer. Mais je dois aussi savoir quels poisons est le plus efficace contre lui. Bien entendu, je n'assisterais pas aux spectacles. J'ai mieux à faire, pour une créature plus intéressante, peut-être que j'y assisterais."

Alors que le forban échangeait avec la marche-tempête, un homme à dos de chameau arrivait en direction du camp au galop. Lorsqu'il remarqua la présence de la dragonne et du dragonnier il tira sur les rênes pour virer en leur direction. Le message arrêta sa monture au bord de la rive en soulevant un nuage de sable au passage.

"Roi Nathaniel ! Le Pilleur d'Or vient d'amarrer à Blanche-Rive. Il transporte à son bord le capitaine Teotl. Lui et le Maraudeur Ardent l'auraient récupéré à bord de la Revanche de la Reine errant en mer vide de toute vie. L'équipage du Pilleur d'Or s'est empressé de ramener le Maitre des assassins jusqu'ici, tandis que celui du Maraudeur Ardent serait en charge de remorquer la Revanche de la Reine jusqu'à Althaïa. Majesté, nous avons jugé bon de faire parvenir un message au grand alchimiste lui demandant de venir ou d'envoyer le meilleur de ces guérisseurs."

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"Kaiikathal, la Confrérie est comme un immense jeu de cartes. Il y a les deux de trèfle, les cinq de pic, le dix de cœur, ainsi que les valets."

Kaiikathal n’était pas la plus douée pour le déchiffrage de nébuleuses métaphores. Quand Nahtaniel démarrait de la sorte, c’était généralement le début d’un laïus fastidieusement complexe, où elle écoutait au début ; ensuite, les mots atteignaient son cerveau reptilien tout aussi sibyllin que primitif sans que ne retentisse l’écho de leur compréhension. Comme on dit, “ça rentre dans une ouïe, et ça ressort par l’autre”. Puis ces mêmes phrases lui passaient tout bonnement par-dessus les cornes comme les grues migrent aux équinoxes. Le temps qu’elle se fasse la réflexion de tout cela, nathaniel était engagé dans des explications où il y avait bien trop de mots pour une dragonne aux capacités de concentration limitées. Elle se contenta d’observer les faits et gestes de son Lié, plus parlants déjà.

Elle comprenait l’idée de hiérarchisation des hommes mais moins son rôle et celui de Nathaniel.

“Le Joker ? N’est-ce pas cette carte avec laquelle ils trichent ?”

Elle avait régulièrement assisté de loin aux jeux de pirates. Même les bourgeois et les pauvres affectionnaient cette pratique. Elle s’y était intéressée un temps, après avoir réalisé qu’il était possible de gagner de l’argent et des trésors en “dépouillant” son adversaire, mais le système lui avait semblé trop confus, difficiles et ténébreux, avec des règles qui changeaient d’une partie à l’autre. Parties qui finissaient très souvent en pugilat - autant opérer derechef par la force pour obtenir la récompense d’une manière moins byzantine.
L’explication se poursuivit. Finalement un peu plus claire à chaque démonstration.

“Oui oui d’accord j’ai compris, je suis très importante et tout ça mais tu me l'as répété mille fois et j'y crois de moins en moins.” (elle avait compris, mais partiellement). “Mais tu ne fais que me vendre cette gloire depuis des lustres. Quelle est l’issue de tout cela ? À l’heure actuelle, je n’ai pratiquement rien accompli. Tu sais, j’ai des, j’ai des…” L’air gêné, elle baissait les yeux en remuant d’une griffe la boue vaseuse qui tapissait le fond de la berge “... j’ai des pulsions à assouvir tu vois…”

Il s’agissait de toute évidence de pulsions de meurtre et de destruction mues par un éternel besoin de reconnaissance et de gloire.
Qu'alliez-vous imaginer.

Kaiikathal redirigea son attention sur le monstre, bout de viande sans superbe enfermé dans sa cage, qui reprenait en force et vivacité. Comme tu voudras… Elle se demandait quels genre d’expérience on pouvait bien mener sur un tel individu, si difficile à tenir immobile. Elle se doutait qu’on tenterait des approche d’abord sur le sujet en vie, puis mort… En considérant qu’une telle créature pouvait être morte. Peut-être que je devrais m’intéresser à tout ça… cela pourrait aider Nathaniel.. pensait-elle sans conviction, se cherchant des lubies pour assouvir ses besoins sur un terrain où l’on avait probablement pas besoin d’elle, où sa présence ne serait peut-être pas bienvenue.

Un peu désespérée, elle couvait alternativement le navire puis le fiellon d’un air dépité quand l’homme au chameau les alpaga en galopant tout droit dans leur direction.

L’attention de la dragonne se reporta d’abord sur l’animal doublement bossu dont elle n’avait jamais osé goûter les chairs puisqu’il semblait si précieux aux insulaires et colons de Keet-Tiamat. Elle savait que l’on faisait de nombreux mets avec son lait, qui ressemblait à celui de son cousin dromadaire. Il s’arrêta cependant à une distance respectable, se contentant de la rive. Le chameau montrait d’évidents signes de nervosité face à la Marche-Tempête, et il avait une raison de se faire du souci, bien que la dragonne n’aurait jamais l’outrecuidance de désarçonner un cavalier ou un chamelier dans l’unique but de dévorer sa monture - avec une dérogation en ce qui concerne les ennemis, ou si Nathaniel lui en donnait l’autorisation (dans ses rêves les plus fous).

L’homme leur envoya une ribambelle de noms à la figure, lesquels étaient familiers à son Lié. Elle le regarda avec de grands yeux ébaubis, les seules dénominations de Teotl, Maître des Assassins et “Pilleur d’Or” semblaient porter une signification lointaine à l’exception du dernier. Kaiikathal avait une étonnante capacité à se souvenir et reconnaître les navires de la flotte Pirate, à défaut des noms et titre de ceux qui la composaient.
Des noms, des noms, des noms… les bipèdes avaient trop de noms, et ils étaient en surnombre, de sorte qu’il était impossible de se rappeler de tous.

Teotl… Teotl… Ce prénom en particulier, quand même, lui rappelait quelque chose, bien qu’elle ne se souvenait pas l’avoir entendu quelque part. Peut-être avait-il était mentionné une seule fois. Elle ressentit une drôle d’agitation mesurée qui n’était pas la sienne. Tournant le regard vers Nathaniel, ce dernier était aussi expressif qu’une dalle en marbre. Pourtant la situation avait un caractère urgent.

“Est-ce que…” Instinctivement, elle baissa l’épaule et tendit une patte vers l’avant pour que Nathaniel y grimpe. Comme s’il était tout à coup important qu’ils aillent en un certain lieu, et tant pis pour le fiellon. “Doit-on se rendre quelque part ?”

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¤ Horreur ¤

Nathaniel tentait tant bien que mal de justifier sa décision auprès de Kaiikathal de ne pas la mettre en première ligne malgré l'insistance de cette dernière. Sa dragonne n'était pas une ressource dont il souhaitait ou pouvait abuser pour toutes les situations. Il est des missions que cette dernière ne pouvait mener à bien, mais il est aussi des missions qu'elle peut mener à bien, pour autant le Sainnûr sombre ne faisant pas appel à elle dans ce cas de figure. Le gredin voyait encore en elle la petite dragonne surgissant du tas d'or et de biens précieux qu'il avait dérobés chez les Harrington, même s'il se rendait compte que cette dernière avait bien grandi depuis le temps. Toutefois, en dehors cela, le dragonnier tentait de lui expliquer un concept important, mais sans nul doute barbant pour une Kaiikathal qui n'avait qu'une envie : faire connaitre au monde entier son surnom de Marche-Tempête. Le Sainnûr sombre ne faisait pas appel à Kaiikathal pour plusieurs raisons. La première d'entre elles était de la préserver de l'ombre de ce monde, même s'il savait qu'il ne pourrait éternellement y parvenir. C'est pourquoi d'autres raisons plus pragmatiques que sentimentalistes venaient s'y ajouter. Il souhaitait dissimuler sa force à ses adversaires. Il ne souhaitait pas que ses adversaires déploient plus de moyens pour venir à bout d'une dragonne déchainée quand ses propres troupes ne pourraient pas endurer les renforts ennemis. Et s'il souhaitait donc conserver la dragonne tel un as dans sa manche, il souhaitait également ne pas trop se reposer sur sa force. L'Eärendil souhaitait que ses hommes grandissent, gagnent en expérience, se transforment pour faire face à l'avenir. La Confrérie n'était déjà plus une simple assemblée de criminel.

« Le Joker ? N’est-ce pas cette carte avec laquelle ils trichent ? »

L'ancien elfe ne put retenir un sourire malicieux ainsi qu'un certain sentiment de fierté à l'égard de Kaiikathal. Elle avait résumé de manière simple une partie des raisons de Nathaniel. Le gredin souhaitait qu'elle demeure sa triche pour tourner le jeu en sa faveur.

« Oui oui d’accord j’ai compris, je suis très importante et tout ça, mais tu me l'as répété mille fois et j'y crois de moins en moins. Mais tu ne fais que me vendre cette gloire depuis des lustres. Quelle est l’issue de tout cela ? À l’heure actuelle, je n’ai pratiquement rien accompli. Tu sais, j’ai des, j’ai des ... j’ai des pulsions à assouvir tu vois… »

L'Eärendil afficha une légère moue, venant gratifier sa liée d'une caresse sur le bout du museau. Il comprenait le sentiment de cette dernière. Et ce n'était pas uniquement lié au fait qu'ils soient tous les deux liés. La dragonne était telle une enfant trépignant d'impatience à l'idée de pouvoir agir comme les adultes. Et Nathaniel n'était pas connu pour être un bon père. Le Sainnûr sombre poussa un soupir intérieur. Peut-être devrait-il donner une opportunité à Kaiikathal afin qu'elle puisse ronger son frein de manière moins pénible pour elle. Sans doute pouvait-il lui permettre de participer aux excursions au sein de la jungle du cratère de Keet-Ishorot ... même si encore une fois il souhaitait permettre à ses hommes de prendre en expérience. Comment faire? Devait-il lui permettre de participer aux premières excursions afin de réduire le nombre de victimes potentielles et ainsi permettre à ses hommes de gagner en expérience avec une plus grande sécurité? Ou à l'inverse devait-il la préserver en vue des excursions plus profondes? Le Sainnûr sombre devait réfléchir à la question.

« Bon très bien, je te promets que je vais y réfléchir et faire en sorte de te proposer quelque chose qui te permettra de faire la démonstration de tes talents. »

Quelques instants après cette concession de la part du roi des forbans, un cavalier, ou peut-être chamelier, arriva en trombe à leur niveau révélant une inquiétante situation au sujet de la Revanche de la Reine, le navire de son capitaine des assassins, Teotl, mais également de son enfant, le seul à être venu à lui parmi tous ceux qu'il avait pu abandonner. L'Eärendil s'efforça à rester imperturbable face à la nouvelle, même si en son sein naissait une certaine inquiétude. Teotl était parti sur une mission d'une grande importance, une mission qui, aux dernières nouvelles, avait été couronnée de succès. Pour autant, il est vrai que le capitaine des assassins mettait un temps anormalement long à revenir à la capitale pirate. Nathaniel ne s'en était pas pour autant inquiéter plus que cela, ayant eu des affaires urgentes à régler avec l'attaque sur Althaïa et les travaux sur Keet-Tiamat.

« Est-ce que… Doit-on se rendre quelque part ? »

Le Sainnûr sombre tourna son regard vers la Marche-Tempête, ayant détourné celui-ci pour se poser sur le messager. La dragonne s'était déjà mise en position pour lui permettre de monter.

« Où Teotl a-t-il été conduit? »

« Il a été conduit au siège temporaire du pouvoir de la Confrérie sur Blanche-Rive, Majesté. »

Le gredin grimpa avec son agilité remarquable sur le dos de Kaiikathal.

« Vole aussi vite que tu le peux Kaiikathal. J'ai un mauvais pressentiment. »

Teotl était un individu redoutable, presque autant que Nathaniel. Et son navire, la Revanche de la Reine, comptait parmi les plus puissants de la flotte de la Confrérie. Quelque chose d'anormal s’était donc produit. Était-ce des représailles des couronnes pour la mort de Lolupata? Le couple de liés ne tarda pas à arriver au cœur de la future Blanche-Rive et à se poser devant le bâtiment principal de cette exploitation agricole en devenir. L'édifice, fabriqué par l'Eärendil à l'aide des pouvoirs son esprit-lié du narval, était comme son bâtisseur, quelque peu dans la démesure. Kaiikathal malgré ses trois mètres au garrot pouvait donc y entrer sans problème, du moins s'agissant du hall principal. Pénétrant avec fracas dans l'endroit, il vit un petit attroupement devant la deuxième porte à gauche du hall, donnant sur ce qui était l'infirmerie. L'ancien elfe ordonna à tout le monde de déguerpir d'ici sans délai et de garder l'évènement sous silence sous peine de se faire couper la langue, crever les yeux ainsi que les tympans. Il franchit ensuite la double porte de l'infirmerie, dont le cadran était suffisamment grand et large pour permettre à une jeune dragonne adulte d'y passer la tête et le cou.

Pénétrant dans la pièce, l'Eärendil s'immobilisa. Au milieu, sur une table, reposait ce qui devait très probablement être Teotl. Ce dernier était méconnaissable. Son corps était en grande partie déformé. Son visage était défiguré, dépourvu de nez et aux orbites creuses. Son buste était pratiquement normal même si sa chair était à vif à certains endroits et que sa peau formait des d'étrange motif à d'autres endroits en raison de boursouflures. Le plus inquiétant était ses membres. Ces derniers étaient terriblement atrophiés et malformés. La queue de scorpion au bas de son dos, don hérité de son lien avec l'esprit-lié du scorpion, était dans le même état. Le Sainnûr qui partageait son sang respirait en dépit de son état horrifique.

Nathaniel s'approcha lentement, mêlant prudence et hésitation. Des choses horribles il en avait vu et en avait même provoqué, mais il n'avait jamais rien vu de tel. Pour la première fois depuis longtemps, le gredin sentit son estomac et son cœur se soulever la vue d'un Teotl devenu monstrueux.

« Que … comment une telle chose a-t-il pu se produire ? Quelle magie est à même de réduire un homme à cet état ? »

L’ancien elfe arriva jusqu’au niveau de la table, observant avec presque plus de pitié que de dégoût Teotl.

« Il respire et vit encore malgré son état … »

descriptionAu chaudron des douleurs, chacun porte son écuelle (Kaii & Nath) EmptyRe: Au chaudron des douleurs, chacun porte son écuelle (Kaii & Nath)

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