Claudius constata qu’au moins, sa magicienne de cour semblait en grande forme. Elle semblait répondre aux traits d’esprits de l’Empereur avec joie : au moins elle ne semblait pas traumatisée de ce qu’elle avait vu sur Nyn-Tiamat, ou tout du moins elle gardait la bonne humeur. C’était une bonne chose. Le Havremont était heureux que malgré son voyage seule dans une terre ennemie, elle soit revenue avec tout son moral et toute sa tête. Car ces deux éléments étaient un atout précieux pour l’elfe, et ne rendaient leurs échanges que plus agréables : L’Empereur passait déjà suffisamment de mon temps à prendre sur soi et être un minimum policé quand des interlocuteurs se présentaient à lui, alors il appréciait pouvoir être lui-même avec les gens en qui il avait confiance.
Ainsi donc, l’immaculée lui fit part que cet arbre avait bien une bonne raison d’être ici, et lui conta le début de son voyage. En outre, elle lui redit qu’Aldaron était bien seulement blessé par son combat contre Rog.
« Ce qui est mort ne saurait mourir, mais s’élèvera encore plus fort. »
Fit Claudius, en réponse à ce que lui raconta Vex sur son vieil ami, avec un soupçon d’ironie. Cette maxime, il l’avait entendu parfois dans certains cercles vampiriques à l’occasion de batailles qu’il avait livré contre eux. Il est vrai que les créatures de la nuit étaient particulièrement résilientes et surtout Aldaron qui avait enduré beaucoup de choses, bien plus que bien d’autres personnes, ces dernières années. Pour autant, Le Havremont savait mieux que personne qu’un vampire pouvait mourir définitivement, le visage vide d’Achroma quand il avait porté le coup final contre lui en soi témoin.
Sur cette pointe d’ironie, Vex’Hylia présenta l’arbre à Claudius, et lui indiqua de poser sa main à sa base. Hésitant d’abord, l’Empereur obtempéra par la suite. Il n’aimait pas être sous l’effet de sortilèges altérant son esprit, mais présentement, la situation l’exigeait. Alors à son tour, il posa sa main, et son esprit fut porté dans les terres givrées de Nyn-Tiamat, où il y vit un Aldaron blessé, mais bien en vie, caressant son engeance à écailles qui avait brûlé en un clin d’œil toute une partie de l’ancienne capitale, apportant mort et désolation à nombre de ses amis, mais le débarrassant aussi de la plus grosse caste de fidèles à la dynastie Kohan.
Claudius eut un petit frisson. Certains souvenirs douloureux restaient bien trop ancrés dans sa mémoire. Oubliant cela, il tâcha de se concentrer sur ce que semblait confié l’Elusis à Vex’Hylia : un fragment d’histoire et des légendes de leur monde, particulièrement de l’Archipel où les races avaient trouvé refuge, qui permit au Havremont d’enfin entrer en contact avec les fameuses Couronnes de Cendre dont nombre de personnes semblaient parler dans les cercles Graärh mais aussi à Calastin, et dont les « faits saillants » résonnaient un peu partout dans l’Archipel. Claudius cependant ne les avait jamais rencontrés, pas plus qu’affronté personnellement.
Il fallait dire qu’il avait eu d’autres chats à fouetter (bien qu’il soit contre l’esclavage des Graärhs) que de s’occuper de grands conflits loin de chez lui, là où son Empire était en état de quasi-guerre civile, et menacé de tout part. Mais à présent que la situation s’était stabilisée, il est vrai qu’il ne pouvait compter à faire la sourde oreille bien longtemps, là où tous les peuples semblaient conjugués leur force pour se débarrasser d’eux. D’autant que ces couronnes étaient effectivement dangereuses, surtout si l’on en croyait ce qu’Aldaron racontait ici.
Il semblait chercher de l’aide en vue d’une grande bataille qui menaçait son territoire, du moins c’était l’objet de l’existence de ce petit arbre, qui fut remis à Vex’Hylia. Claudius tiqua cependant sur la dernière phrase que l’elfe prononçait, sans pour autant en dire mot pour l’instant.
Le souvenir s’arrêta ici, Claudius recouvra ses sens et son esprit, et de là Vex’Hylia lui reprécisa l’intention du Prince Noir, tout autant que la sienne. L’Empereur soupira, longuement, mais laissa Vex’Hylia continuer son récit. Il tint à avoir toutes les réponses avant de donner le mot officiel. En l’occurrence, ce que Vex’Hylia lui disait avait son importance :
« Suite à cette discussion à laquelle vous venez d'assister, j'ai explicitement demandé à rencontrer la Sainnûr Nennvial Voronda. Elle travaille sur un remède et ses essais ont déjà permis aux Elfes de survivre un peu plus longtemps. Aldaron m'a également parlé d'une créature, le magaleera, qui se trouverait sur Keet Tiamat. Elle serait la clé pour créer le remède, selon les informations qu'il a en sa possession. Il a accepté que je me joigne à l'expédition qui ira dénicher cette créature. Si nous parvenons à créer un remède, je m'assurerai de vous transmettre une dose moi-même. Quant à aider le Royaume Erlië dans le combat à venir contre les Couronnes… ce n'est pas une condition à l'obtention du remède… Mais dites-vous que c’est souvent dans la difficulté que l’on reconnaît ses vrais amis. »
L’Empereur eut un nouveau long soupir, se leva de son fauteuil sans mot dire, alla regarder à la fenêtre qui donnait une vue sur l’Imbrûlée, comme il l’avait fait de nombreuses fois alors, quant il était encore à Sélénia La Majestueuse. Aujourd’hui, son regard tout autant que son physique étaient beaucoup plus détendus, mais c’était loin d’avoir toujours été le cas.
« Nous sommes confortables ici, à parler avec un petit rafraichissement. » Commença Claudius, d’un ton grave, qu’il prenait quand de grandes discussions étaient nécessaires. « Vous avez connu la faim, le manque et la ruine mieux que personne. Vous n’étiez peut-être pas là tous les jours pour constater le déclin de l’Empire et la misère dans laquelle il a vécu, mais vous vivez depuis suffisamment longtemps avec nous pour avoir entendu les souffrances horribles et très concrètes que cela était, et les stigmates encore visibles aujourd’hui que cela a laissé. »
Claudius eut un petit soupir, laissant un instant de silence, avant de continuer à livrer ce qu’il avait sur le cœur :
« Vous êtes amusante, à me dire de brandir l’étendard de la paix, et me dire d’accepter avec douceur les doléances du Prince Noir. Savez-vous qui a créé, organisé, et contribué à la ruine de cette nation, et m’a tourné le dos alors que je l’implorais de ne pas suivre son mari dans sa volonté de conquête de notre pays ? Aldaron Elusis. »
Ce disant, il se tourna vers Vex’Hylia avant de reprendre :
« Son amour et sa rancœur légitime pour les ex-dirigeants de ce pays étaient trop forts pour que même moi, son ami de toujours, qui n’a jamais hésité à collaborer et prendre les armes avec lui pour les conflits qui nous dépassaient, je ne le raisonne. »
Le visage de Claudius se ferma. Les rides sillonnaient son front.
« Il a assumé la vampirisation et le meurtre de nombreux civils qui n’avaient rien demandé à personne par ses forces qu’il avait convié lors de la Bataille des Cendres, sans parler de la famine, la ruine et la division de notre peuple qui a engendré la pauvreté extrême dans laquelle nous nous sommes trouvés. Tout ceci était de son fait. C’était un état de difficulté extrême. Et au moment où, son « véritable ami », comme vous dites, l’a reçu pour essayer de le raisonner et demander pourquoi, il m’a tourné le dos. Voilà le vrai visage de celui que vous me demandez d’aider aujourd’hui. »
Claudius soupira, et alla se rassoir. Il en avait sincèrement soupé des états de son vieil ami. Il fit à Vex’Hylia :
« Mes mots sont durs, mais je ne vous tiens pas pour responsable de tout cela. Nous ne nous connaissons pas tant que cela, et vous ne connaissez pas dans les détails tout ce que nous avons vécu ensemble, avec le Prince Noir. Aldaron et moi-même partagions le même amour pour ce pays. Cela peut sembler étrange aujourd’hui, mais fut-un temps, Aldaron était plus loyaliste que l’Empereur lui-même. Ma famille était amie avec lui, sur plusieurs générations avant que j’existe. Puis il m’a gardé quand j’étais enfant, et plus tard, nous avons veillé pour discuter jusque tard le soir. Nous nous sommes côtoyés, entraidés, et nourris notre amitié, jusqu’à ce que les multiples scissions dans notre pays nous séparent. »
Le Havremont soupira longuement, son visage arborant une petite moue triste d’un seul coup. Claudius n’était pas du genre à laisser transparaitre ces émotions, mais sur le coup du stress, de ces souvenirs nostalgiques, et de sa vie qui était malgré tout en danger aujourd’hui, il laissa échapper quelques larmes de ses yeux, et parti dans un petit sanglot, couvrant sa tête par ses deux mains. C’était trop d’émotion pour lui.
Ainsi, une ou deux minutes passèrent, mais il devait se reprendre, et finir ce qu’il avait à dire. Il repris son souffle, sortit un mouchoir de sa poche, se sécha le visage, et essaya de reprendre contenance devant sa magicienne de cour qui devait soudainement se demander ce qu’elle n’avait pas dit pour que son Empereur se mette dans des états pareils. Claudius fit :
« J’étais du côté de Fabius, tandis que lui privilégia Korentin. Puis Fabius est mort, et Korentin et sa famille après lui ont regagné le trône. Bien que cela ne me faisait pas plaisir, je me suis plié au nouveau régime, en tant que haut gradé de l’armée impériale. Mais je ne sais pas ce qu’il s’était passé dans l’intervalle, et ce qu’ils ont pu lui dire, mais Aldaron … Il a construit une rancœur envers Korentin, et le pouvoir impérial d’une façon générale. Probablement estimait-il ne pas être considéré à sa juste valeur, et il a connu Morneflamme … Ce genre d’expériences terribles forgent un Homme, et remettent les idées en place. Toujours est-il qu’il est devenu Bourgmestre de Caladon, et dans le parallèle, il nourissait toujours son amour pour Achroma qui a fini par devenir la personne complètement folle qu’il était. »
Claudius soupira longuement. Il était dur de raconter à nouveau cela à quelqu’un. Mais c’était la réalité, et la vérité de ce qu’ils avaient traversé. Toute leur histoire. Reprenant son souffle, il poursuivi :
« Nous avons été éloigné, longtemps, et alors que j’aurai voulu faire les choses autrement, lui dire que ma famille, et cet Empire, n’aurait pas été pareil sans lui … J’ai assisté à tout cela sans pouvoir rien faire, car je n’avais aucun poste d’importance, et ma voix n’était plus écouté, car j’ai eu l’outrecuidance de choisir Fabius plutôt que Korentin. Je me suis fait beaucoup de mouron. Et quand enfin je suis arrivé au poste de Maître des Armées, il était trop tard. Le Mal était fait. Je ne pouvais le récupérer, et il était hors de question que je collabore avec Achroma. Ce vampire était complètement fou, et dangereux. Il nous aurait tous massacré, ou vampirisé jusqu’au dernier. J’ai essayé de le dire à Aldaron, mais il n’a rien voulu savoir … Et ainsi, la situation a escaladé jusqu’à la Bataille des Cendres. J’ai tué Achroma, non sans remords pour ami de toujours, tous ceux qui étaient présents m’ont vu pleuré toutes les larmes de mon corps. Puis j’ai accédé à mon titre d’Empereur, car il était temps que l’ère de cette branche des Kohans se termine, à la vue de tout le mal qu’ils avaient causé… Le reste, vous le connaissez. »
Claudius soupira longuement. Il ne s’était pas attendu à dire tout cela, en entrant dans cette demeure. Mais cela eut le mérite d’au moins lui ôter un poids sur le cœur. Vex’Hylia était proche de lui, et méritait de savoir tout cela, et pourquoi il se battait. Il ajouta alors :
« Depuis, je me bats pour réparer les erreurs que les dernières générations de gouvernants ont faites, sans que je ne puisse agir. La réunification de l’Empire sous une même bannière auprès de certaines cités libres, la conservation de notre souveraineté, le dialogue apaisé avec l’Alliance, l’entente avec le peuple graärh et l’inclusion d’autres peuplades sur notre territoire, la guerre contre la vermine pirate … Tout ceci sont des choses que je mène de front, parce que je suis désireux de réparer notre déclin catastrophique et les décisions désastreuses des uns et des autres, mais aussi parce que je crois fermement qu’un futur meilleur nous attend si nous faisons certaines choses. »
Claudius soupira à nouveau. Il en vint finalement à ce qui intéressait sa magicienne :
« Je ne vous demande pas de ne pas collaborer avec Aldaron pour cette bataille, comme pour le remède. Pour le premier cas, vous êtes suffisamment grande et indépendante pour faire vos choix, et en assumer les conséquences, et pour le deuxième cas vous travaillez pour moi. Mais vous savez, Vex’Hylia, le conflit entre l’Empire et les Erlië ne m’amuse pas du tout. Il est des choses que je ne pourrais jamais oublier, quoi qu’on en dise. Et quand bien même nous nous reconstruisons, et que j’essaie de faire ce que je peux pour nous rapprocher, je crois que je ne pourrais plus jamais changer le Prince Noir, et je ne lui concèderais pas plus de choses qu’à Achroma à moins que quelque chose de gravissime n’arrive. »
Cette dernière phrase était importante. Le Havremont eut un nouveau petit soupir, et fit :
« Je ne connais pas les Couronnes de Cendres personnellement, mais j’en ai suffisamment entendu pour me faire une idée sur elles. Si d’autres peuplades répondent à l’appel, alors mon armée et moi y seront sans tergiverser. Elles ont suffisamment fait de mal à nos terres pour qu’on les laisse agir plus longtemps. Ce sera également ma façon de remercier Aldaron de l’aide qu’il nous apporte pour le remède qui me permettra de rester en vie… »
Claudius laissa cette phrase en suspension, avant de rajouter ultimement :
« Mais le vrai ami est parti depuis longtemps, hélas, et il ne reviendra probablement jamais. »
Le Havremont repris un air triste, et se tût, regardant la cheminée.
Tout avait disparu dans les flammes, effectivement.