Le contact qu’il eut avec son amante avait la même sensation qu’au premier jour : sa chaleur humaine, son regard, son odeur. La voir lui rappelait tant de choses, mais le rassurait aussi. Ces quelques secondes où ils étaient l’un contre l’autre semblait comme une source de bonheur inépuisable pour le baptistrel.
La jeune elfe commença par remercier la jeune enwr qui l’avait mené là, et une fois qu’elle fut partie, embrassa à nouveau le baptistrel. Un baiser que ce dernier accueilli avec plaisir, lui rendant bien, et la gratifiant d’une douce étreinte : à présent qu’elle était en face de lui, Belethar ne voulait pas la quitter des yeux, au risque de la voir disparaître à nouveau trop vite, trop tôt.
Mais ils devaient rester sérieux, et bientôt son amante elfe répondit à ses questions :
— J’avais hâte de te revoir et de pouvoir enfin visiter le Domaine. Mais j’avoue que… Je ne m’attendais pas à des souterrains. Ça me fait un peu penser à Aigue-Royale…
Belethar eut un petit sourire contrit, avant de serrer un peu les mains de Kyla : il est vrai que l’histoire des peuples s’étaient en partie écrites dans les souterrains, et qu’hélas, des événements tout sauf joyeux étaient liés à jamais à ces environnements. Bien que dans le fond, l’histoire de chaque paroi, de chaque pierre qui composait ce nouveau Domaine était aux antipodes que ce qu’ils avaient connu, il pouvait comprendre que de mauvais souvenirs ne refassent surface. Surtout avec ceux comme Kyla, qui avaient gardé des stigmates physiques de cette période. Belethar se permis une petite boutade à ce sujet, pour détendre l’atmosphère :
— En tout cas, après examen approfondi de la question, je peux te dire que tu n’en gardes des stigmates physiques que très superficiels. Fit-il avec un petit rire, et un clin d’œil.
Certes, son art de baptistrel l’avait habitué à avoir des mots meilleurs, mais il ne voulait pas non plus chercher à minimiser les sentiments de son amante, aussi avait-il préféré prendre le contre-pied de la situation, et essayer d’en rire plutôt. Lui-même savait à quel point ces événements avaient été douloureux, et essayait d’évacuer cela par des blagues, où en essayant de l’accepter dans son quotidien.
Mais il y avait aussi son état de baptistrel à présent et tout ce qu’il induisait : la vérité était qu’il ne se concentrait plus vraiment sur les pierres et tout ce qu’elle représentait, mais plutôt sur ce que Kyla évoqua juste après cela :
— Sache que j’ai néanmoins très bien aperçu ta touche personnelle. Avec les murs ouvragés, les sculptures et toutes les décorations, de même que la végétation un peu partout et les escaliers, on en oublie presque qu’on est dans des cavernes une fois à l’intérieur. Mais je t’avoue que si tu n’y étais pas, je n’y serais peut-être pas descendue… Désolée.
Belethar eut un petit regard attristé, et n’eut comme autre réponse que d’à nouveau faire une petite accolade à l’elfe. Au moins, il espérait que ce contact lui apporterait un peu de réconfort. Il lui fit ensuite :
— Ne t’en fais pas. Je te comprends. On sait tous ce qui s’est passé, et nous n’avons pas oublié … Mais tu sais, heureusement la pierre ne nous sert que de base. Nous avons des environnements différents, qui certains sont plus aérés que d’autres … Et finalement, la pierre ne reste jamais qu’une pierre. Et en l’occurrence, ces pierres n’ont connu que l’attaque des Couronnes … Ce qui est déjà quelque chose en soi tu me diras.
Belethar fit un sourire timide à sa compagne, et renouvela ses caresses sur sa main. Ils avaient tous eu leur lot de traumatisme, mais il est vrai que les baptistrels y étaient particulièrement exposés quotidiennement. De fait, L’Espérancieux tâchait de plus se centrer autour de l’humain que de l’environnement en lui-même. Cela l’aidait à passer à autre chose, ou du moins de relativiser quant à tous ces cataclysmes qu’ils avaient connu : il le fallait, pour pouvoir assurer sa fonction, qui lui prenait beaucoup de temps, d’énergie, de pédagogie. Si cela paraissait « inhumain » pour certains, et bien qu’il ait toujours été une voix bienveillante sur tous ces sujets, le Baptistrel du Néant ne pouvait personnellement pas se permettre de s’arrêter sur tout ce qu’ils avaient vécu. Sa fonction l’exigeait.
Cela dit, ils changèrent de sujets rapidement, et Kyla lui proposa d’aller à la clairière de la Grande Mère, plutôt que dans ce couloir en face d’une représentation de Vie pour lui raconter toutes ses aventures. Belethar haussa un sourcil curieux : elle affirmait qu’elle allait bien, mais cette remarque de ne pas rester devant Vie avait piqué sa curiosité. Belethar espéra au fond de lui qu’il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter, et il accepta la requête de sa compagne en l’amenant à la clairière.
Une fois arrivés sur place, Kyla s’exprima presque avec candeur sur la beauté de ce lieu, et lâcha ces animaux. Ceux-ci attirèrent les regards, particulièrement ceux des moins âgés présents au même moment qu’eux, mais Belethar assuma que cela devait être le quotidien de sa compagne quand elle voyageait en des lieux peuplés, alors il n’en fit pas une montagne.
Il était cependant ravi que l’elfe trouve son compte dans ce Domaine, qui ne lui semblait pourtant pas des plus ravissants à première vue. Tous deux échangèrent un petit baiser, puis Kyla l’attira quelque pas plus loin, où ils purent s’installer sur un banc en pierre sur lequel était disposé des coussins, près du cours d’eau : il n’était pas rare d’y voir des personnes jouées de leur instrument par ici, mais pour une fois, ce siège serait réservé à eux deux.
L’elfe le regarda dans les yeux et fit :
— J’ai quelque chose d’important à te dire. Et j’aimerais que tu me laisses parler jusqu’au bout. D’accord ?
Belethar fronça ses sourcils un instant. D’Important ? Il sentit une petite goutte de sueur perlé sur son front : cela ne pouvait pas que … ? Non … Il tâcha de se ressaisir affichant un regard neutre malgré ses questions, avant de dire le plus naturellement possible :
— Tout ce que tu veux pour toi. Avec un petit clin d’œil.
Puis vint l’instant des révélations. Un moment qui permit à Belethar de constater à quel point le temps était relatif. Car s’il ne devait s’être passer qu’une poignée de secondes quand sa compagne parlait, cela semblait une éternité pour le Baptistrel du Néant. Et pour cause, ce qu’il avait entendu l’avait particulièrement marqué :
— Je préfère que tu l’apprennes de moi que de quelqu’un d’autre. Je suis mariée ou plutôt, j’étais mariée. Je ne le suis plus. J’ai mis fin à la relation. Après qu’on se soit vu à Caladon, ça m’a rappelé qui je voulais être et ce dont j’aspirais. Je me suis rappelé des rêves que j’avais, de mon désir de voyager et d’explorer, par exemple… J’ai réalisé que je n’étais pas heureuse comme je l’étais. Lustiel est une bonne personne et je l’aime, mais pas autant qu’il le mérite. Honnêtement, quand je t’ai vu à Caladon, je n’ai même pas pensé à lui. Je suis à ce point-là une mauvaise épouse! Et la vérité, c’est que je t’aime réellement. Que je souhaite qu’on puisse bâtir quelque chose ensemble, qu’on ait un avenir et des projets ensemble. Mais peu importe, je ne compte pas retourner en arrière.
Belethar était d’ailleurs content qu’un dossier de dos existait pour ce banc, sans quoi il serait probablement tomber à la renverse. Il avait ouvert grand les yeux, et respirait légèrement plus vite que d’habitude. Il fit tout de même de petits signes à sa femme pour lui indiquer qu’il était encore en pleine possession de ses moyens.
C’était juste que … Belethar s’était juré de ne jamais faire de mal à personne, comme l’indiquait le serment qu’il avait prononcé il y a des années de cela, et il y a seulement quelques mois de façon plus officielle … Et voilà qu’il était porté à présent dans toute cette histoire. Mais ses pouvoirs ne l’avaient pas quitté. Cela n’empêchait cependant pas les questions existentielles : Qu’est-ce qu’il avait fait ? Pourquoi n’avait-il pas été plus précautionneux avant d’embrasser Kyla ? Venait-il de ruiner à tout jamais la très longue vie d’un elfe qui n’était sûrement pas au bord de la mort, en prenant son épouse comme amante ? En vérité, Belethar s’en voulait surtout à lui.
Il inspira un grand coup, tachant de se calmer et de garder ses remarques pour plus tard, une fois que Kyla en eut fini de tout lui dire :
— Tu dois me trouver folle. Je comprendrais que tu trouves que je suis horrible personne et que tu ne veuilles plus de moi. Dis-moi la vérité.
A la dernière phrase, Belethar adressa un petit regard à Kyla. Elle semblait avoir terminé. Belethar inspira à nouveau un grand coup, avant de venir la serrer tendrement dans ses bras. S’il ne voulait plus d’elle ? Bien sûr que non. Il connaissait l’elfe depuis trop longtemps maintenant, ils avaient partagé trop de choses, et maintenant qu’il avait pu se reconstruire amoureusement avec elle ... Subitement, des larmes coulèrent des joues du baptistrel. De joie ou de tristesse, Belethar ne le savait pas vraiment, car une foule de sentiments avaient pris d’assaut son esprit à l’instant T.
Il lâcha sa femme, sécha ses larmes et tâcha de retrouver un rythme de respiration correcte, avant de lui dire :
— Je ne sais pas vraiment quoi te dire. Cela fait beaucoup d’un coup, et j’aurai probablement fais les choses autrement si j’avais su tout ça … Mais ce qui s’est passé ce soir-là …
Belethar souffla un grand un coup, semblant chercher ses mots avant de continuer :
— Tu sais, on ne se rend compte des choses qui comptent que quand on ne nous les arrache. Cela faisait une éternité que je ne t’avais pas vu, et dès l’instant où j’ai à nouveau croisé ton regard à Caladon … J’ai su. J’avais oublié ce que cela faisait avec le temps, mais ta présence, ta chaleur … Toi tout simplement. J’aurai voulu que cela dure une éternité. Toute la vie. Je t’aime sincèrement aussi.
L’Espérancieux enlaça à nouveau sa compagne, avant de lui glisser un petit baiser. Il continua ensuite à lui dire ce qu’il avait sur le cœur :
— J’aurai sans doute préféré que cela se fasse dans de meilleures conditions. Tu sais comme je suis, et quel est la nature de ma fonction. D’apprendre tout ça, cela m’a secoué car je n’aime pas faire le mal. Je ne connaissais pas cette personne et je m’en veux un peu. Mais je ne veux pas que tu t’éloignes de moi Kyla. Tu es trop importante pour moi. Tu es mon amie, et beaucoup plus maintenant… Je ne sais pas si cela fait de moi une horrible personne, ou juste un ignorant que d’accepter tout cela… Mais ce que je t’ai dit il y a quelques mois compte toujours. Je ne veux plus te perdre.
Belethar pris le bras de sa compagne, avant de venir à nouveau l’embrasser, symboliquement. Elle et lui, ce ne serait pas aussi court que cela. Il ajouta une dernière fois :
— Je suis prêt à assumer les conséquences si la situation venait à s’ébruiter quelque part. Mais tu sais, je n’ai pas perdu mes pouvoirs … Alors j’imagine que Néant, et les Déesses ont décidé de me pardonner après tout. Comme quoi c’était peut-être le destin …
Belethar sécha encore quelques larmes qui coulèrent le long de ses joues, avant de sourire à son amante. Voilà qu’une nouvelle vie commençait pour eux deux.