Lié était gentil, Lié était doux, mais Lié avait un souci de coeur beaucoup trop mou.
Un vrai drame. Il avait connu la perte d'un inséparable, la déchirure inévitable d'une partie de soi que l'on arrache. Son âme avait été un abysse de douleur dans lequel la peine l'avait jeté. Nahui avait oeuvré de son mieux pour l'empêcher de sombrer de nouveau, lui offrant une patte à laquelle s’accrocher, réclamant régulièrement son attention pour ne pas le laisser dériver sur le flot lugubre de ses propres pensées. De nouveau, elle avait repris ces sinistres habitudes. Ses enfants avaient disparu, elle savait combien il aurait été simple pour lui de laisser l’absence dévorer ce qu’il restait de lui. Alors il fallait lui rappeler ce qui demeurait, l’ancrer dans ce monde, l’aider à se forger les meilleures protections pour lui-même.
Ç’avait été harassant. Un travail de longue haleine, permanent. Des journées entières passées à prendre soin de sa licorne, lui rappeler son affection, jouer avec elle pour lui rappeler d’autres émotions. Intérieurement, dans des pensées qu’elle essayait de rendre inaccessible à Lié, il y avait une angoisse constante. Quand son esprit se tendait vers le sien pour en sonder les nuances, cette angoisse se voyait cristallisée par la crainte de ce qu’elle allait trouver. La marque non pas de son inefficacité, mais de quelque résultat contre-productif ? Des indices subtils de quelque corrosive humeur qu’il essayerait de lui cacher ?
La vérité était qu’Aldaron n’avait rien à lui cacher, et que ses angoisses n’avaient pas lieu d’être, car ce qu’elle trouvait de l’autre côté du lien était ce à quoi elle pouvait s’attendre. Oui, il était blessé. Non, il n’allait pas mieux. Le devoir de Nahui lui proposait une récompense qui n’était que mirage et, pourtant, elle s’y attelait, tous les jours, avec la même pugnacité, la même persistance. D’autres l’auraient dite courageuse, ou stupide. Ces considérations n’avaient, dans les faits, que peu de pertinence. Nahui combattait parce que c’était là l’unique chose qu’il y avait à faire pour elle, que cela vint grignoter les forteresses de son esprit ou non.
Pour les bipèdes et leur amour de la possession d’autrui, il était bien simple également d’imaginer Nahui jalouser Vex’Hylia. Une bipède, toute neuve dans la vie de Lié, qui venait le guérir bien mieux et bien plus facilement qu’elle ! N’y avait-il pas matière à jalouser ? C’était là des pensées qui pouvaient convenir à quiconque ne s’était pas endormi en craignant les effets de la nuit sur l’autre moitié de son âme. Non, une autre personne pour prendre soin de Lié était plus que bienvenue. Tout rayon de soleil apte à réchauffer ses molles écailles - ou plutôt, son poil -, étaient les bienvenues. Nahui n’avait plus l’énergie pour réclamer que les fruits de son labeur lui soient assignés.
Ce n’était pas pour autant qu’elle accueillait la nouvelle avec une unique et pure joie.
Grande était sa lassitude, mais elle ne pouvait l’énoncer. À travers Vex’Hylia, elle ne voyait qu’une guérison temporaire. Un verre d’eau porté aux lèvres d’un être perdu depuis trop longtemps dans le désert. Aldaron buvait l’amour où il le trouvait, sans s’inquiéter de la peine qu’il ressentirait, encore et toujours, quand il la perdrait, fatalement. Il n’avait toujours pas appris à forger son cœur, non pas à l’insensibilité, mais à la maîtrise de ses multiples émotions. Il allait se noyer en elle comme il s’était noyé dans les autres, refusant de comprendre ce qu’il cherchait et trouvait en eux.
Lié avait, un instant, refusé de partager ses pensées avec Nahui, et elle savait ce que cela signifiait pour les bipèdes. Encore un point qui l’agaçait fortement. Il la connaissait si peu ! Comment pouvait-il ainsi tout donner, jusqu’à estimer que celle dont l’essence même se mêlait à la sienne ne pouvait partager ces moments ? Devait-il vraiment s’aliéner à ce sentiment ? Les bipèdes n’avaient-ils donc d’yeux que pour l’amour, et fi des autres variétés d’émotions ? Toute à son ronchonnement, Nahui essaya de défendre celui qu’elle aimait tant, auprès d’elle-même. Peut-être était-ce plus délicat que cela. Peut-être n’avait-il pas que le désespoir comme moteur, et peut-être que ses amours étaient plus mesurés que ce qu’il laissait “paraitre”. Peut-être que les bipèdes pouvaient se connaître plus facilement que les dragons ? Peut-être que Vex’Hylia saurait, durant son temps en ces terres, lui apprendre à apaiser tout ce qui en lui tourbillonnait telle une tornade aux vents encore innommés.
…Ou peut-être l’entrainerait-elle là où nulle dragonne ne saurait le récupérer.
Ce fut ainsi, poussée par ses peurs et la confiance vacillante que Nahui avait envers le monde entier, que la petite dragonne - dix centimètres, à peine - s’était retrouvée à serpenter au milieu des affaires de la nouvelle obsession de Lié. Elle voulait savoir, voulait vérifier, être sûre qu’à laisser Lié mener son existence, elle ne le précipitait pas vers une chute certaine. Ses gestes étaient précipités, chaotiques. Son museau avait heurté quelquefois des objets qu’elle n’avait pas pris le temps de calculer. Sa poitrine palpitait bien fort, ses pattes tremblaient parfois. Elle avait ouvert une ou plusieurs sacoches. Sa mémoire, qui habituellement lui offrait un schéma mental de son environnement, se refusait de coopérer. Peut-être avait-elle, aussi, déchiré quelques contenants en cuir, pour mieux accéder au contenu. Ledit contenu était renversé, éparpillé, tout autour d’elle. Elle avait effectué plusieurs allers-retours d’un objet à l’autre, les re-testant à chaque fois, cherchant à travers eux des réponses. Qu’étaient-ils ? Quelle envie trahissaient-ils ? Certains pulsaient de magie contenue, d’autres demeuraient inanimés et mystérieux. Certains portaient désormais des marques de crocs et de bave draconique. Beaucoup de flacons avaient été analysés et, par chance, l’odorat de Nahui était suffisant pour que nul ne fut ouvert ou brisé. Le nombre d’odeurs aux vertus aphrodisiaques inquiétait Nahui. Plaire à Aldaron, était-ce si important pour qu’elle fut prête à tricher sur les règles du jeu ? Il y avait un carnet. Nahui ne pouvait en connaitre le contenu, quand bien même elle était sûre qu’il s’agissait de l’un de ses outils dans lequel les bipèdes posent leur pensées, du style “hahaha je vais bien le manipuler”. De rage, elle l’avait jeté plus loin.
De fins nuages s’échappaient de son nez, accompagnés du son rauque de sa respiration. Elle zigzaga de nouveau entre les possessions de Vex’Hylia avec, toujours, cette précipitation défaite de prudence. Ses griffes malmenaient désormais le sol sous elle, pour passer sa frustration. Rien, rien, elle ne trouvait rien ! Il devait pourtant y avoir quelque chose ! Par le dragon-esprit, si sa cécité se voyait être le tombeau d’Aldaron… Pourrait-elle se le pardonner ? Ses écailles se hérissaient. Elle analysa une fois de plus une statuette empreinte de magie dont la nature lui apparaissait comme non-guerrière. Elle ne parvenait à en apprendre plus. Pourtant, elle savait que les armes n’étaient pas les seules à assassiner. Où avait-elle failli pour être ainsi incapable d’identifier plus précisément le danger ?
La petite silhouette de neige se figea. Des pas. Deux personnes. Qui s’approchaient. Elle ne rouvrit pas son esprit à Aldaron, sachant que si ce dernier était de la partie, elle serait à découvert. Hâtivement, elle chercha que faire. Autour d’elle, il y avait bien peu de solution qui, à sa connaissance, passeraient outre les capacités de ceux-avec-des yeux. La solution lui vint, en même temps qu’une autre odeur. Ce n’était pas Aldaron. Brièvement, elle s’enquérit de lui, faisant passer sa panique pour l’origine de cette dernière. Ce faisant, elle se jeta sur l’unique idée que son esprit rendu gauche par les émotions avait trouvé. Elle se jeta dans une des sacoches qu’elle venait de vider.
Un vrai drame. Il avait connu la perte d'un inséparable, la déchirure inévitable d'une partie de soi que l'on arrache. Son âme avait été un abysse de douleur dans lequel la peine l'avait jeté. Nahui avait oeuvré de son mieux pour l'empêcher de sombrer de nouveau, lui offrant une patte à laquelle s’accrocher, réclamant régulièrement son attention pour ne pas le laisser dériver sur le flot lugubre de ses propres pensées. De nouveau, elle avait repris ces sinistres habitudes. Ses enfants avaient disparu, elle savait combien il aurait été simple pour lui de laisser l’absence dévorer ce qu’il restait de lui. Alors il fallait lui rappeler ce qui demeurait, l’ancrer dans ce monde, l’aider à se forger les meilleures protections pour lui-même.
Ç’avait été harassant. Un travail de longue haleine, permanent. Des journées entières passées à prendre soin de sa licorne, lui rappeler son affection, jouer avec elle pour lui rappeler d’autres émotions. Intérieurement, dans des pensées qu’elle essayait de rendre inaccessible à Lié, il y avait une angoisse constante. Quand son esprit se tendait vers le sien pour en sonder les nuances, cette angoisse se voyait cristallisée par la crainte de ce qu’elle allait trouver. La marque non pas de son inefficacité, mais de quelque résultat contre-productif ? Des indices subtils de quelque corrosive humeur qu’il essayerait de lui cacher ?
La vérité était qu’Aldaron n’avait rien à lui cacher, et que ses angoisses n’avaient pas lieu d’être, car ce qu’elle trouvait de l’autre côté du lien était ce à quoi elle pouvait s’attendre. Oui, il était blessé. Non, il n’allait pas mieux. Le devoir de Nahui lui proposait une récompense qui n’était que mirage et, pourtant, elle s’y attelait, tous les jours, avec la même pugnacité, la même persistance. D’autres l’auraient dite courageuse, ou stupide. Ces considérations n’avaient, dans les faits, que peu de pertinence. Nahui combattait parce que c’était là l’unique chose qu’il y avait à faire pour elle, que cela vint grignoter les forteresses de son esprit ou non.
Pour les bipèdes et leur amour de la possession d’autrui, il était bien simple également d’imaginer Nahui jalouser Vex’Hylia. Une bipède, toute neuve dans la vie de Lié, qui venait le guérir bien mieux et bien plus facilement qu’elle ! N’y avait-il pas matière à jalouser ? C’était là des pensées qui pouvaient convenir à quiconque ne s’était pas endormi en craignant les effets de la nuit sur l’autre moitié de son âme. Non, une autre personne pour prendre soin de Lié était plus que bienvenue. Tout rayon de soleil apte à réchauffer ses molles écailles - ou plutôt, son poil -, étaient les bienvenues. Nahui n’avait plus l’énergie pour réclamer que les fruits de son labeur lui soient assignés.
Ce n’était pas pour autant qu’elle accueillait la nouvelle avec une unique et pure joie.
Grande était sa lassitude, mais elle ne pouvait l’énoncer. À travers Vex’Hylia, elle ne voyait qu’une guérison temporaire. Un verre d’eau porté aux lèvres d’un être perdu depuis trop longtemps dans le désert. Aldaron buvait l’amour où il le trouvait, sans s’inquiéter de la peine qu’il ressentirait, encore et toujours, quand il la perdrait, fatalement. Il n’avait toujours pas appris à forger son cœur, non pas à l’insensibilité, mais à la maîtrise de ses multiples émotions. Il allait se noyer en elle comme il s’était noyé dans les autres, refusant de comprendre ce qu’il cherchait et trouvait en eux.
Lié avait, un instant, refusé de partager ses pensées avec Nahui, et elle savait ce que cela signifiait pour les bipèdes. Encore un point qui l’agaçait fortement. Il la connaissait si peu ! Comment pouvait-il ainsi tout donner, jusqu’à estimer que celle dont l’essence même se mêlait à la sienne ne pouvait partager ces moments ? Devait-il vraiment s’aliéner à ce sentiment ? Les bipèdes n’avaient-ils donc d’yeux que pour l’amour, et fi des autres variétés d’émotions ? Toute à son ronchonnement, Nahui essaya de défendre celui qu’elle aimait tant, auprès d’elle-même. Peut-être était-ce plus délicat que cela. Peut-être n’avait-il pas que le désespoir comme moteur, et peut-être que ses amours étaient plus mesurés que ce qu’il laissait “paraitre”. Peut-être que les bipèdes pouvaient se connaître plus facilement que les dragons ? Peut-être que Vex’Hylia saurait, durant son temps en ces terres, lui apprendre à apaiser tout ce qui en lui tourbillonnait telle une tornade aux vents encore innommés.
…Ou peut-être l’entrainerait-elle là où nulle dragonne ne saurait le récupérer.
Ce fut ainsi, poussée par ses peurs et la confiance vacillante que Nahui avait envers le monde entier, que la petite dragonne - dix centimètres, à peine - s’était retrouvée à serpenter au milieu des affaires de la nouvelle obsession de Lié. Elle voulait savoir, voulait vérifier, être sûre qu’à laisser Lié mener son existence, elle ne le précipitait pas vers une chute certaine. Ses gestes étaient précipités, chaotiques. Son museau avait heurté quelquefois des objets qu’elle n’avait pas pris le temps de calculer. Sa poitrine palpitait bien fort, ses pattes tremblaient parfois. Elle avait ouvert une ou plusieurs sacoches. Sa mémoire, qui habituellement lui offrait un schéma mental de son environnement, se refusait de coopérer. Peut-être avait-elle, aussi, déchiré quelques contenants en cuir, pour mieux accéder au contenu. Ledit contenu était renversé, éparpillé, tout autour d’elle. Elle avait effectué plusieurs allers-retours d’un objet à l’autre, les re-testant à chaque fois, cherchant à travers eux des réponses. Qu’étaient-ils ? Quelle envie trahissaient-ils ? Certains pulsaient de magie contenue, d’autres demeuraient inanimés et mystérieux. Certains portaient désormais des marques de crocs et de bave draconique. Beaucoup de flacons avaient été analysés et, par chance, l’odorat de Nahui était suffisant pour que nul ne fut ouvert ou brisé. Le nombre d’odeurs aux vertus aphrodisiaques inquiétait Nahui. Plaire à Aldaron, était-ce si important pour qu’elle fut prête à tricher sur les règles du jeu ? Il y avait un carnet. Nahui ne pouvait en connaitre le contenu, quand bien même elle était sûre qu’il s’agissait de l’un de ses outils dans lequel les bipèdes posent leur pensées, du style “hahaha je vais bien le manipuler”. De rage, elle l’avait jeté plus loin.
De fins nuages s’échappaient de son nez, accompagnés du son rauque de sa respiration. Elle zigzaga de nouveau entre les possessions de Vex’Hylia avec, toujours, cette précipitation défaite de prudence. Ses griffes malmenaient désormais le sol sous elle, pour passer sa frustration. Rien, rien, elle ne trouvait rien ! Il devait pourtant y avoir quelque chose ! Par le dragon-esprit, si sa cécité se voyait être le tombeau d’Aldaron… Pourrait-elle se le pardonner ? Ses écailles se hérissaient. Elle analysa une fois de plus une statuette empreinte de magie dont la nature lui apparaissait comme non-guerrière. Elle ne parvenait à en apprendre plus. Pourtant, elle savait que les armes n’étaient pas les seules à assassiner. Où avait-elle failli pour être ainsi incapable d’identifier plus précisément le danger ?
La petite silhouette de neige se figea. Des pas. Deux personnes. Qui s’approchaient. Elle ne rouvrit pas son esprit à Aldaron, sachant que si ce dernier était de la partie, elle serait à découvert. Hâtivement, elle chercha que faire. Autour d’elle, il y avait bien peu de solution qui, à sa connaissance, passeraient outre les capacités de ceux-avec-des yeux. La solution lui vint, en même temps qu’une autre odeur. Ce n’était pas Aldaron. Brièvement, elle s’enquérit de lui, faisant passer sa panique pour l’origine de cette dernière. Ce faisant, elle se jeta sur l’unique idée que son esprit rendu gauche par les émotions avait trouvé. Elle se jeta dans une des sacoches qu’elle venait de vider.