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description Pas de poésie pour les protecteurs [25 Octobre] Empty Pas de poésie pour les protecteurs [25 Octobre]

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Lié était gentil, Lié était doux, mais Lié avait un souci de coeur beaucoup trop mou.
Un vrai drame. Il avait connu la perte d'un inséparable, la déchirure inévitable d'une partie de soi que l'on arrache. Son âme avait été un abysse de douleur dans lequel la peine l'avait jeté. Nahui avait oeuvré de son mieux pour l'empêcher de sombrer de nouveau, lui offrant une patte à laquelle s’accrocher, réclamant régulièrement son attention pour ne pas le laisser dériver sur le flot lugubre de ses propres pensées. De nouveau, elle avait repris ces sinistres habitudes. Ses enfants avaient disparu, elle savait combien il aurait été simple pour lui de laisser l’absence dévorer ce qu’il restait de lui. Alors il fallait lui rappeler ce qui demeurait, l’ancrer dans ce monde, l’aider à se forger les meilleures protections pour lui-même.
Ç’avait été harassant. Un travail de longue haleine, permanent. Des journées entières passées à prendre soin de sa licorne, lui rappeler son affection, jouer avec elle pour lui rappeler d’autres émotions. Intérieurement, dans des pensées qu’elle essayait de rendre inaccessible à Lié, il y avait une angoisse constante. Quand son esprit se tendait vers le sien pour en sonder les nuances, cette angoisse se voyait cristallisée par la crainte de ce qu’elle allait trouver. La marque non pas de son inefficacité, mais de quelque résultat contre-productif ? Des indices subtils de quelque corrosive humeur qu’il essayerait de lui cacher ?
La vérité était qu’Aldaron n’avait rien à lui cacher, et que ses angoisses n’avaient pas lieu d’être, car ce qu’elle trouvait de l’autre côté du lien était ce à quoi elle pouvait s’attendre. Oui, il était blessé. Non, il n’allait pas mieux. Le devoir de Nahui lui proposait une récompense qui n’était que mirage et, pourtant, elle s’y attelait, tous les jours, avec la même pugnacité, la même persistance. D’autres l’auraient dite courageuse, ou stupide. Ces considérations n’avaient, dans les faits, que peu de pertinence. Nahui combattait parce que c’était là l’unique chose qu’il y avait à faire pour elle, que cela vint grignoter les forteresses de son esprit ou non.

Pour les bipèdes et leur amour de la possession d’autrui, il était bien simple également d’imaginer Nahui jalouser Vex’Hylia. Une bipède, toute neuve dans la vie de Lié, qui venait le guérir bien mieux et bien plus facilement qu’elle ! N’y avait-il pas matière à jalouser ? C’était là des pensées qui pouvaient convenir à quiconque ne s’était pas endormi en craignant les effets de la nuit sur l’autre moitié de son âme. Non, une autre personne pour prendre soin de Lié était plus que bienvenue. Tout rayon de soleil apte à réchauffer ses molles écailles - ou plutôt, son poil -, étaient les bienvenues. Nahui n’avait plus l’énergie pour réclamer que les fruits de son labeur lui soient assignés.
Ce n’était pas pour autant qu’elle accueillait la nouvelle avec une unique et pure joie.
Grande était sa lassitude, mais elle ne pouvait l’énoncer. À travers Vex’Hylia, elle ne voyait qu’une guérison temporaire. Un verre d’eau porté aux lèvres d’un être perdu depuis trop longtemps dans le désert. Aldaron buvait l’amour où il le trouvait, sans s’inquiéter de la peine qu’il ressentirait, encore et toujours, quand il la perdrait, fatalement. Il n’avait toujours pas appris à forger son cœur, non pas à l’insensibilité, mais à la maîtrise de ses multiples émotions. Il allait se noyer en elle comme il s’était noyé dans les autres, refusant de comprendre ce qu’il cherchait et trouvait en eux.

Lié avait, un instant, refusé de partager ses pensées avec Nahui, et elle savait ce que cela signifiait pour les bipèdes. Encore un point qui l’agaçait fortement. Il la connaissait si peu ! Comment pouvait-il ainsi tout donner, jusqu’à estimer que celle dont l’essence même se mêlait à la sienne ne pouvait partager ces moments ? Devait-il vraiment s’aliéner à ce sentiment ? Les bipèdes n’avaient-ils donc d’yeux que pour l’amour, et fi des autres variétés d’émotions ? Toute à son ronchonnement, Nahui essaya de défendre celui qu’elle aimait tant, auprès d’elle-même. Peut-être était-ce plus délicat que cela. Peut-être n’avait-il pas que le désespoir comme moteur, et peut-être que ses amours étaient plus mesurés que ce qu’il laissait “paraitre”. Peut-être que les bipèdes pouvaient se connaître plus facilement que les dragons ? Peut-être que Vex’Hylia saurait, durant son temps en ces terres, lui apprendre à apaiser tout ce qui en lui tourbillonnait telle une tornade aux vents encore innommés.
…Ou peut-être l’entrainerait-elle là où nulle dragonne ne saurait le récupérer.

Ce fut ainsi, poussée par ses peurs et la confiance vacillante que Nahui avait envers le monde entier, que la petite dragonne - dix centimètres, à peine - s’était retrouvée à serpenter au milieu des affaires de la nouvelle obsession de Lié. Elle voulait savoir, voulait vérifier, être sûre qu’à laisser Lié mener son existence, elle ne le précipitait pas vers une chute certaine. Ses gestes étaient précipités, chaotiques. Son museau avait heurté quelquefois des objets qu’elle n’avait pas pris le temps de calculer. Sa poitrine palpitait bien fort, ses pattes tremblaient parfois. Elle avait ouvert une ou plusieurs sacoches. Sa mémoire, qui habituellement lui offrait un schéma mental de son environnement, se refusait de coopérer. Peut-être avait-elle, aussi, déchiré quelques contenants en cuir, pour mieux accéder au contenu. Ledit contenu était renversé, éparpillé, tout autour d’elle. Elle avait effectué plusieurs allers-retours d’un objet à l’autre, les re-testant à chaque fois, cherchant à travers eux des réponses. Qu’étaient-ils ? Quelle envie trahissaient-ils ? Certains pulsaient de magie contenue, d’autres demeuraient inanimés et mystérieux. Certains portaient désormais des marques de crocs et de bave draconique. Beaucoup de flacons avaient été analysés et, par chance, l’odorat de Nahui était suffisant pour que nul ne fut ouvert ou brisé. Le nombre d’odeurs aux vertus aphrodisiaques inquiétait Nahui. Plaire à Aldaron, était-ce si important pour qu’elle fut prête à tricher sur les règles du jeu ? Il y avait un carnet. Nahui ne pouvait en connaitre le contenu, quand bien même elle était sûre qu’il s’agissait de l’un de ses outils dans lequel les bipèdes posent leur pensées, du style “hahaha je vais bien le manipuler”. De rage, elle l’avait jeté plus loin.

De fins nuages s’échappaient de son nez, accompagnés du son rauque de sa respiration. Elle zigzaga de nouveau entre les possessions de Vex’Hylia avec, toujours, cette précipitation défaite de prudence. Ses griffes malmenaient désormais le sol sous elle, pour passer sa frustration. Rien, rien, elle ne trouvait rien ! Il devait pourtant y avoir quelque chose ! Par le dragon-esprit, si sa cécité se voyait être le tombeau d’Aldaron… Pourrait-elle se le pardonner ? Ses écailles se hérissaient. Elle analysa une fois de plus une statuette empreinte de magie dont la nature lui apparaissait comme non-guerrière. Elle ne parvenait à en apprendre plus. Pourtant, elle savait que les armes n’étaient pas les seules à assassiner. Où avait-elle failli pour être ainsi incapable d’identifier plus précisément le danger ?

La petite silhouette de neige se figea. Des pas. Deux personnes. Qui s’approchaient. Elle ne rouvrit pas son esprit à Aldaron, sachant que si ce dernier était de la partie, elle serait à découvert. Hâtivement, elle chercha que faire. Autour d’elle, il y avait bien peu de solution qui, à sa connaissance, passeraient outre les capacités de ceux-avec-des yeux. La solution lui vint, en même temps qu’une autre odeur. Ce n’était pas Aldaron. Brièvement, elle s’enquérit de lui, faisant passer sa panique pour l’origine de cette dernière. Ce faisant, elle se jeta sur l’unique idée que son esprit rendu gauche par les émotions avait trouvé. Elle se jeta dans une des sacoches qu’elle venait de vider.

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« Prendre l’air, seul. Nahui va rester pour veiller sur vous. »

Quel était ce sentiment ? Ce pincement au coeur ? La main droit refermée en un poing serré, lui-même posé contre son coeur, Vex'Hylia regardait Aldaron s'éloigner. Elle retint un « soyez prudent » qu'elle jugea mal venu, voir même déplacé, et se contenta de fixer son dos jusqu'à ce qu'il disparaisse dans l'obscurité. Tout d'un coup, c'était comme si la pluie - qui tombait en un rideau presque opaque - formait une chape de plomb sur les épaules de l'immaculée. Et cela malgré l'abrit sous lequel elle se trouvait.

La rousse ferma les yeux, serrant fort les paupières, et soupira longuement. Elle compta mentalement jusqu'à dix, tentant là de réprimer ses sentiments, puis déplaça ses mains glacées jusqu'à son front. Doucement, comme si elle risquait à tout instant de la briser, Vex'Hylia ôta sa couronne et la déposa à côté de celle que le Prince Noir avait abandonné avant de s'enfuir.

Les deux objets pesaient lourd sur les épaules de leur propriétaire respectif, qui les avaient délaissées. Pas pour les mêmes raisons, ni pour le même fardeau. Mais le geste commun les liait dans une lassitude commune.

Détournant finalement le regard de l'héritage de sa mère, la mage se redressa sur ses genoux. À tâtons, elle chercha le tissu doux et agréable de sa cape, puis la passa sur ses épaules qui se musclaient de semaine en semaine. Une soudaine chaleur l'envahit alors, comme une étreinte maternelle, et un sourire faiblard naquit sur les lèvres de Vex'Hylia. En quittant l'abrit de fortune, l'immaculée leva les bras et fit tomber son capuchon sur son front. Dans cette armure de feuilles automnale, Vex se sentait presque intouchable. Les pans de son manteau retombaient contre sa poitrine, masquant même ses chevilles. C'était son armure à elle. Son réconfort dans la solitude.

— Satar… murmura t-elle dans la grisaille.

La magie lui répondit instantanément. C'était également chaud et doux. Puissant. Et sous ses prunelles volcaniques, la silhouette éthérée d'Orfraie apparue. La princesse décédée était devenue une amie au fil des semaines. Une confidente et une guide également. Elle dispensait ses conseils, à la fois pour traiter à la Cour de Claudius, mais également pour l'entraimement de Vex'Hylia. Le corps de l'immaculée changeait doucement au fil des séances. Jour après jour, elle pouvait frapper plus fort, courrir plus longtemps ou faire tournoyer son baton aussi aisément qu'une brindille.

Son manteau sombre caressait le tapis automnal aussi certainement que la cape de l'immaculée, tandis qu'elle prenait pied dans la réalité. Quant à sa chevelure, elle se confondait presque avec le tissu d'excellente facture. De fait, son regard améthyste n'en était que plus pénétrant et troublant. Mais pour Vex'Hylia, ces prunelles étaient également source de réconfort et de sérénité, des caractéristiques propres à ce quartz d'un violet envoûtant.

— Tu as fait ce qu'il fallait, rassura aussitôt Orfraie en s'avançant.

Les brindilles craquaient légèrement à chacune de ses foulées tandis qu'elle amenait le capuchon de son manteau sur sa chevelure. À moins d'un pas de Vex'Hylia, l'ancienne dragonnière leva la main et la déposa sur son épaule. Le geste se voulait réconfortant, et il l'était, mais échoua à tirer un vrai sourire à la rousse.

— Pourquoi ai-je une sensation de cendre dans la bouche, alors ? Demanda-t-elle en détournant le regard.

— C'est souvent la sensation que cela laisse, de faire la bonne chose, répondit la princesse, philosophe.

Vex'Hylia soupira, puis tourna ses prunelles vers Orfraie. Elle étudia son profil et admira ses traits aussi délicats que stricts. Par ailleurs, un autre point commun entre les deux femmes.

**
*

Les deux femmes s'étaient d'abord abrité de la pluie en prenant place sur la couche d'Aldaron, exactement comme Vex'Hylia et le Prince Noir l'avait fait. Orfraie lui avait longuement compté la première expédition, puis la seconde, au cœur du cratère de Keet-Tiamat. Muré dans le silence, Vex avait écouté. Elle avait aperçu l'amour profond de la défunte pour son Lié, Firindal, ainsi que la terrible douleur causée par sa perte. Une disparition qui avait eu finalement raison d'elle, et ce malgré un esprit particulièrement fort.

La rousse en était venue à songer au Lien. À se questionner véritablement sur cette magie puissante. Pour beaucoup - encore plus depuis les Chimères - il s'agissait d'une véritable malédiction. Et pour d'autres, tel un reliquat du passé, c'était une bénédiction. Quant à Vex, elle avait fini par se placer entre ces deux extrêmes. De ce qu'elle savait, ainsi qu'à l'aide des informations communiquées par Orfraie, la rousse avait conclu que le Lien était trop extrême en son itération la plus connue. C'était malsain, après tout, que la survie d'un être dépende de la survie d'un second. Ou de voir sa personnalité se dénaturer pour plaire à une autre personne que soi-même. Cela ne manquait pas de rappeler les Inséparables au souvenir de Vex'Hylia, ainsi que la conversation qu'elle avait eue sur cet Esprit-Lié avec Aldaron.

Après, est-ce que cela l'empêchait d'apprécier un Lié, bipède comme dragon ? L'immaculée ne le pensait pas, même si elle n'avait encore jamais vraiment rencontré de saurien. Tout juste avait-elle aperçu l'éclat blanchâtre des écailles de Nahui ou l'ombre menaçante de Keetech ou de Verith. Ces deux-là, après tout, étaient immanquables dans le paysage de l'archipel.

**
*

Le jour s'étiola pour laisser place à la pénombre. À la nuit tombante, Licorock n'en était que plus menaçante. Les ombres et les bruits faisaient naître dans l'esprit de Vex des histoires terrifiantes, avant qu'elle ne hausse les épaules pour les chasser. La mage n'était guère du genre à avoir peur de cette obscurité-là.

Ce qui l'inquiétait, en revanche, était l'absence du Prince Noir. L'homme n'était toujours pas réapparu, et l'angoisse se lisait dans le regard volcanique de Vex'Hylia. Orfraie, toujours à ses côtés, s'en rendit compte.

— Il ira bien. Et il va revenir, lui dit-elle avec assurance.

La sainnûr haussa les épaules, presque fatalement, tout en prenant la direction du campement de fortune. Et, aussitôt, la guérisseuse fronça les sourcils. Son pied droit venait de buter dans quelque chose. Et en baissant le regard, Vex'Hylia reconnue son carnet. Que faisait-il là ? Elle l'avait pourtant rangé dans ses affaires. Se baissant, son regard parcourut les alentours, sautant d'un tronc d'arbre à une souche pourrie. Accroupie, l'elfe caressa la couverture du bout des doigts et décela des marques… des marques de dents ? Certainement pas une souris se dit-elle en se redressant.

Puis, alertée par d'autres bruits, la Voix des Morts s'approcha de la couche abandonnée d'Aldaron, où régnait le désordre. Tout en rassemblant ses affaires, la rousse jeta un regard à Orfraie. Celle-ci haussa les épaules, bien qu'un fin sourire dansait sur ses lèvres charnues. Vex'Hylia ne sembla pas le voir, sans doute trop préoccupé par ses affaires éparpillées qu'elle rassemblait à la hâte.

Un cri de surprise lui échappa en soulevant une sacoche en cuir. Elle la laissa aussitôt retomber durement sans se soucier de son contenu. Contenu qui avait bougé dans sa main, au demeurant.

Puis, le moment passé, Vex approcha deux doigts de la sacoche. Elle en souleva tant bien que mal l'ouverture afin de voir quel animal s'y était vraisemblablement caché. À la vue de l'éclat argenté, les sourcils de la mage se froncement dans une parfaite imitation de Mme Doubfire lorsqu'elle était fâchée. Et, d'un geste vigoureux, la rousse pris le malfaiteur par surprise en l'extirpant du sac par la queue. Vex ne vit jamais le regard outré d'Orfraie tandis qu'elle fusillait Nahui du regard. Toute dragonne qu'elle l'était, la créature ailée avait tout intérêt à avoir une bonne raison pour fouiller ainsi dans ses effets personnels.

Dernière édition par Vex'Hylia Aërendhyl le Mar 8 Nov 2022 - 4:23, édité 1 fois

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La sacoche était… “Pile à la bonne taille” ? En tout cas, elle l’était devenue, Nahui ayant pris le soin de rétrécir au maximum de ses capacités une fois terrée dedans. Roulée en boule, sa queue enroulée autour de son petit corps, son museau enfoncé dans un creux entre ses pattes et son ventre, Nahui pouvait difficilement prendre moins de place. Ses narines s’étaient muées en fentes qui ne laissaient passer que de fins et silencieux filins d’air. Tout allait bien se passer, n’est-ce pas ? Qui que ce fusse qui vint, cette personne n’allait la percevoir, allait préférer continuer sa route… N’est-ce pas ?
Son pauvre palpitant trahissait sa peur. N’importe quel vampire passant dans les environs l’aurait entendue - avant de se voir refuser le festin d’un sang qui ne l’aurait maudit. Les pas se rapprochaient et, à chacun d’eux, les muscles de la dragonne se raidissaient un peu plus. Les pas cessèrent, et sa respiration avec eux.
Sa sacoche fut soulevée. Toute la rationalité dont pouvait faire preuve Nahui s’échappa au profit d’un pur instinct mû par la panique. Dans sa petite antre, elle gigota d’un coup, brusquement, pour aller mordre la main qui la tenait au travers de la sacoche. Elle n’en eut pas le temps, les mains s’écartant bien avant. La chute lui souleva l’estomac, dans un glapissement mental de surprise. Si Aldaron n’avait pas eu l’habitude de l’entendre lors de ses diverses maladresses, sans doute aurait-elle dû à nouveau trouver une excuse.

Le choc avec la terre fut rude. Proportionnellement, elle était tombée de haut. Elle s’en trouva sonnée, son esprit tourbillonnant dans une mélasse brumeuse, peinant à retrouver son état initial. Il commençait tout juste à retrouver un semblant de fil conducteur -et à, de nouveau, s’inquiéter de son sort- quand le sol se déroba sous ses pattes.
Il était alors de bon ton que Nahui ne soit pas plus grande, sans quoi le poids de son corps aurait sans doute pesé sur les articulations de sa queue. Même ainsi, le tiraillement n’était pas agréable. Elle commença à s’agiter, violemment, pour mieux réaliser qu’il n’y avait aucun moyen dans cette position de se tordre assez pour venir mordre la main qui la tenait. Elle ondulait comme un véritable ver, mais ses ailes fouettaient l’air et le bras autour d’elle avec vigueur sans jamais parvenir à déclencher quelque poussée vers le haut. Au moins avait-elle eu le temps, en chemin, de reconnaître l’odeur de sa tortionnaire.

“- Lâche-moi ! Malfaisante ! Malpensante ! Rejeton de mauvaise étoile ! Lâche-moi, Aldaron détesterait ce que tu fais !”

Ses crocs claquaient dans les airs, ses griffes déchiraient la brise. Dans les injures à son encontre, Vex pourrait distinctement sentir tout le chaos d’un animal qui se débattait et, plus que la haine, le désir viscéral de se défaire d’elle.
Ledit désir, ajouté à la dispersion du brouillard mental, parvinrent à enfin aligner les pensées de Nahui dans un ordre qui honorait davantage les capacités draconiques. Elle eut enfin le bon sens de tordre le cou pour cracher un filet de flammes au niveau de sa queue, et profiter de la surprise ainsi créée pour, enfin, reprendre une taille à peu près correcte.

Ses pattes rencontrèrent le sol dans un son bref et lourd. Sa tête se trouvait au-dessus de celle de Vex. Elle étendit les ailes un bref instant, les écailles hérissées, un grondement soud émanant de sa gorge, résonnant autour d’eux. Son élan se stoppa quand ses ailes rencontrèrent un obstacle, qu'elle sut qu'elle ne pouvait pas prendre plus de place. Oui, c’était de l’intimidation. Plus précisément, c’était un rappel à l’ordre. Mais Nahui n’était pas stupide pour autant ; elle rabattit ses ailes contre ses flancs, recula lentement, le dos arrondi.

”- Je sais ce que tu veux de Lié. Je sais ta ruse. Quand je la lui dévoilerai, ce genre d’actions ne jouera pas en ta faveur. Ne t’a-t-on jamais appris à respecter les dragons ?”

La pensée, perceptible également par l’autre bipède présente - et inconnue -, se gonflait de colère, de rancoeur. Une tentative de bluff un peu grossière. Pour sa défense, elle n’en était qu’à ses débuts, suivait maladroitement quelques enseignements de Lié. Elle était habituellement plutôt adepte de méthode directes pour obtenir ce qu’elle voulait. Dans ce cas, elle doutait fortement de l’intérêt de combattre Vex pour obtenir les informations. Au mieux, Lié aurait tout juste pris la défense de sa bipède… Ce qui, en soi, était un vrai drame, et bien la preuve que quelque chose ne tournait pas rond.
Ce soir, Nahui allait le prouver au monde, par tous les moyens.

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Dans le dos de la guérisseuse, Orfraie Ataliel était atterrée. Et pour cause, jamais l'ancienne dragonnière n'avait osé se comporter de la sorte avec un dragon, fut-t-il aussi petit. Ces créatures - un millier de fois plus intelligente qu'un bipède - méritait le respect. Et Nahui, malgré sa petitesse, n'était pas un vulgaire rat que Vex'Hylia pouvait tenir par la queue.

Une considération qui ne semblait pas troubler la guérisseuse. Sans aucun doute, la Sainnûr ne portait pas autant d'amour aux dragons qu'Orfraie pouvait l'avoir fait de son vivant - et continuait à le faire dans sa demi-mort. Son froncement de sourcil était à peine perturbé par la vaine agitation de la créature ailée, qui ne parvenait même pas à se défaire de cette situation grotesque dans laquelle elle s'était fourrée.

— Et Aldaron n'aimerait certainement pas que tu fouilles dans mes affaires, répondit Vex'Hylia au tac-O-tac, mais à voix haute.

Si Nahui pensait que brandir la menace de son Lié allait effrayer l'immaculée, elle se trompait largement.

En revanche, relever le museau et cracher un fin filet de flamme vers la main qui la retenait encore par la queue était efficace. La douleur surprit Vex, qui relâcha l'appendice de la dracène, tandis qu'elle secouait sa main blessée en un geste purement instinctif. L'air frais de Licorock n'allait certainement pas apaiser la soudaine et désagréable sensation de brûlure, malheureusement.

Portant sa dextre blessée contre son cœur, Vex tomba sur les fesses tandis que Nahui grandissait à vue d'œil, du moins jusqu'à être bloquée par la petitesse de l'abri où elles se trouvaient toutes deux. Mais cela suffisait amplement à l'immaculée pour se souvenir que la créature qui la dominait pouvait la tuer sur-le-champ, voir faire pire que cela. Quant à Orfraie, elle observait la scène avec consternation, mais également avec la peur au ventre. Elle n'avait pas envie de voir son amie se faire dévorer.

— Je t'en prie, puissante dragonne, retiens ton ire. Vex'Hylia a de la difficulté avec les bonnes manières, mais elle sait où se trouve sa place face à ta magnificence.

C'était Orfraie qui s'était exprimée en sentant la colère de Nahui. Elle s'approchait doucement, les paumes en évidences, et aida Vex à se relever en l'attrapant par l'épaule. De nouveau sur ses pieds, cette dernière fredonna quelques mots pour guérir sa main. Puis ses orbes volcaniques se posèrent de nouveau sur Nahui, et les mots semblèrent lui brûler la gorge.

— Je te présente mes excuses pour mon geste. Je ne voulais pas te blesser, ni te manquer de respect.

— Je m'appelle Orfraie, se présenta ensuite l'ancienne dragonnière.

Peut-être Nahui la connaissait-elle par l'intermédiaire d'Aldaron.

— Que cherchais-tu avec tant de frénésie ? Reprit la princesse en avisant l'air renfrogné de Vex'Hylia.

Cette dernière n'avait pas apprécié de finir sur les fesses, c'était évident.

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Le souffle qu’expulsaient les puissantes côtes de Nahui était saturé de chaleur et de colère. Elle rappelait, un bref instant, sans même profiter pleinement de son envergure, les capacités destructrices de son peuple, les immenses pouvoirs que le Dracos leur avait conférés. Leurs corps étaient des armes, leurs esprits des bourreaux. Ils étaient des êtres de feu et de sang, d’ire et de fiel. Être la proie de leur courroux portrait aux lèvres l’amer goût d’une menace létale, un sursis qui, à tout moment, prenait fin.
Et Vex’Hylia avait le bon goût d’être le sujet de toute cette délicate attention.

Sans doute ne devinait-elle pas elle-même combien il était de bon ton - d’un ton salvateur - qu’elle ait choisi, ce jour-là, de s’accompagner de la dragonnière. Comme d’expérience, Orfraie trouva les mots exacts pour sauver son amie, au moins temporairement. Nahui n’était pas dupe, voyait bien que le sujet principal était contourné… Cependant, elle était prête à laisser les bipèdes gagner un peu de temps si cela leur permettait d’en venir au fait tout en donnant les meilleurs arguments pour se faire pardonner. La dragonne concédait à Orfraie que cette dernière était intelligente, mais reconnaissait aussi que cela était à double-tranchant. Elle pouvait user de cela tant pour défendre Vex que pour tenter de sauver l’âme - et la vie - de cette dernière. Ainsi, si Nahui offrit à l’esprit d’Orfraie une sincère approbation, mêlée de satisfaction et de fierté, elle garda pour elle la méfiance qui naissait avec.

Les excuses de Vex parurent forcées et, paradoxalement, sincères. Comme un secret arraché de force, comme si cela n’avait pas été ce qu’elle avait voulu dire. Ce qui était… Bien, peut-être ? Nahui ne sut sur quel pied danser. Une part d’elle était frustrée de ne pas entendre de nouveau combien elle était magnifique. Une autre part reconnaissait au moins une ébauche d’effort, que ce soit à dessein ou non.
Le prénom d’Orfraie résonna dans l’esprit de Nahui, ramena à elle quelques souvenirs. Aldaron lui avait un peu parlé d’elle, lui avait partagé quelques souvenirs. La mémoire de Nahui avait beau être bonne, elle avait manqué de précision précédemment. Une dragonnière, donc… Voilà qui expliquait ses capacités supérieures à comprendre le fonctionnement du beau peuple. En revanche, cela n’expliquait pas ses choix en matière de compagnie.

Nahui en était là, à jauger ces bipèdes son courroux en chambre magmatique du volcan de sa méfiance, quand des comptes lui furent demandés. Quelle insolence, quelle audace ! Un grondement rauque fit trembler la gorge de la dragonne. Une fumée noire s’échappa de ses narines. Une lumière rougeâtre était finement perceptible entre ses lèvres pourtant closes.

“- Ce que je cherchais ? C’est vous qui allez me le dire !” Elle voulut de nouveau étendre les ailes, mais l’abri la rappela à l’ordre. Elle gronda de nouveau, plus fort, frustrée. “Me croyez-vous dupe ? Je n’ai peut-être pas d’yeux, mais je ne suis pas aveugle pour autant. Je sais combien mon Lié est important pour les peuples bipèdes. Je sais combien vous êtes nombreux à convoiter ses grâces ou son déclin. Les anti-liens, les Séléniens… Et qui d’autre encore dont j’ignore l’existence !” Une de ses pattes frappa le sol, envoyant des vibrations furieuses dans la terre sous eux. “Je l’ai vu faire confiance à l’amour, et je l’ai vu sombrer à la mort de ce dernier. Je l’ai vu s’attacher, maintes fois, et à chaque fois souffrir davantage. Et vous…” Son attention désignait Vex’Hylia. “Vous le laissez s’attacher à vous. Vous le poussez à s’attacher à vous. Vous étouffez ses sens et sa raison par votre affection. Il ne tirera rien de bon de tout cela - et vous le savez ! Ne faites pas l’innocente avec moi. Je ne crois plus aux histoires d’amour des bipèdes, mais je crois à l’ingéniosité de nos ennemis. Je crois en leur capacité à produire les meilleurs mensonges et se protéger des capacités des Liés, et je crois en leur aptitude à déployer tous les moyens.”

Une façon délicate de dire qu’elle croyait assez peu en leur manque de valeurs et d’émotions pour les imaginer parfaitement se jouer des plus belles faiblesses d’Aldaron. N’était-elle pas adorable, Nahui, à ménager un minimum Vex ? Tant d’effort que leurs ennemis ne comprendraient jamais…

“- Je crois en la capacité de quelqu’un qui souffre de la perte de son Lié à se retourner contre ce qu’il a jadis tant choyé. N’étiez-vous pas dans un cocon protecteur, Orfraie ?”

Les mots en tant que tels pouvaient paraître durs mais, paradoxalement, c’étaient là des pensées que Nahui avait envoyées avec beaucoup plus de douceur que les précédentes. Comme pour étouffer l’aspect accusatoire, et davantage suggérer une véritable recherche d’informations. Un aveu tacite d’une volonté inavouable. La dragonne se tourna de nouveau vers Vex, avant même qu’Orfraie ne puisse répondre, pour poser la question à laquelle elle attendait que les deux répondent :

“- Je venais chercher de quoi ramener Lié à la raison. Le forcer à reconnaître la vérité. De quoi l’amener à se méfier avant d’ouvrir imprudemment son coeur comme il le fait. Je venais chercher le poison que vous prépariez, une marque quelconque de vos véritables intentions. Que voulez-vous à Aldaron ? Ne m’infligez pas vos sottises sur l’aspect mystique de l’amour, sa fatalité et son imprévisibilité. Si vous m’offrez la vérité, je peux peut-être vous épargner. Qui vous envoie ? Dans quel but ?”

À travers la rage et la vindicte, Nahui avait subtilement laissé transparaitre quelques indices. Notamment un scepticisme à toute épreuve, qui ne tolérerait aucune faille, ainsi que son intention première : elle n’était pas venue ici par haine envers Vex’Hylia. Elle était venue ici pour protéger Aldaron. Elle était venue parce qu’elle l’avait vu sombrer, encore et encore, et que leurs âmes liées rendaient cela intolérable. Elle ne pouvait pas tolérer cela. Pas une fois de plus.

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