Début Novembre 1764
Encore une fois, Léon était persuadé d’être une évidence, le petit point de lumière au milieu de la pièce sombre, la cicatrice au milieu du visage. N’était il pas debout, là où nul objet ne venait le masquer ? Ne chantonnait-il pas, ouvertement ? Il aurait fallu être aveugle et sourd pour ne pas le percevoir.
Encore une fois, déformation professionnelle oblige, il n’était pas si évident que cela à trouver. Certes, peu d’objets venaient troubler la vue, mais le soleil d’une nuit tombante projetait dans la pièce des ombres immenses et profondes dans lesquelles il s’était naturellement blotti. Certes, il chantonnait, mais si bas, sur un rythme si proche de celui qui l’entourait, qu’il aurait tout aussi bien pu être un chant venu de l’extérieur. Au Domaine, il n’était pas anormal d’entendre des chants, à toute heure, à toute humeur.
Par chance, cette fois-ci, il n’avait pas spécifiquement besoin de se faire remarquer. Belethar lui avait donné rendez-vous plus ou moins vers cette heure-ci et, dans toute son humanité, le ChanteVide avait eu le bon goût d’avoir une ouïe assez fine pour repérer les chants-noms. Un vrai drame pour les parties de cache-cache, un vrai drame pour un espion. De ce fait, il était de fort bon aloi que les baptistrels soient apolitiques, sans quoi Léon n’aurait sans doute jamais pu revoir son ami d’enfance. Sur un plan plus personnel, se faire accepter en ses lieux malgré ses mensonges et ses meurtres était un véritable soulagement. Oh, il n’avait pas de mauvaises intentions envers le Domaine. Mais n’importe qui pouvait, découvrant son ancien ami sous un aspect plus écarlate, estimer ne pas vouloir le revoir.
Belethar l’avait accepté pour ce qu’il était. Bien des doutes et des craintes étaient parties à ce moment-là. Léon était venu jusqu’à Néthéril spécifiquement pour lui. Même si, maintenant qu’il était présent… Il n’allait pas cracher sur quelques virées dans les bibliothèques, ou quelques représentations d’Enwrs et Cawrs. Il restait un amateur d’art. Trouver un endroit qui cristallisait ainsi une de ses passions avait pour mérite de faire brûler cette dernière. Il avait bu les poèmes avec la même soif inétanchable d’un nouveau-né, avait dévoré les romans en louant sa condition qui lui évitait de se voir couper dans un chapitre par le besoin de dormir. Il avait trouvé dans les baptistrels des interlocuteurs pertinents avec qui échanger sur ces sujets, et les baptistrels avaient assurément trouvé en lui l’interlocuteur le plus enjoué qui soit. Pour sa défense, ses virées en Nyn-Tiamat se paraient plus souvent du sceau du devoir et de la nécessité que des plaisirs de l’esprit. En Calastin, son seul véritable interlocuteur sur le sujet était Ilhan. Il avait bien tenté de parler d’arts à Claudius, mais il était bien évident que cet ami-là favorisait l’art des baffes et des champs de bataille.
À y penser, n’était-ce pas cocasse, au fond, que sa place en ces lieux posât moins de problèmes qu’au sein d’autres humains ? Chaque fois qu’il re-pensait à Délimar, son petit coeur mort se serrait un peu. La cité gardait jalousement en elle les Almaréens, dévots de Néant… Ainsi que les Glacernois, qui appréciaient sans doute assez les vampires pour s’en faire de charmants tapis de bain. La fortune avait permis à Léon de pouvoir contacter Naal du Néant, dans une correspondance pleine de ferveur. Mais se mêler à ceux qui partageaient cet aspect de sa vie lui était encore interdit. Il ne pouvait que chercher autour de lui les quelques adeptes de Néant qui parcouraient le reste de l’archipel.
Belethar en était devenu un. Une histoire rocambolesque, mais bienvenue. Une raison de plus pour Léon de se sentir bien en ces lieux. Il prenait ce que ce monde avait à lui offrir. Le résultat était là, un vampire au coeur relativement léger, prompt à meumeuner un petit air encore récent dans sa mémoire.
Le temps se faisait long. Belethar avait dû avoir quelque contretemps. Rien d’inquiétant, assurément, sans quoi la nouvelle aurait traversé le Domaine. Soit ! Le temps à perdre n’était jamais du temps perdu. Les bras ballants, Léon commença à errer dans la chambre de son ami, sachant que ce dernier l’aurait sans doute convié à faire comme chez lui. Le regard perçant et avisé de son esprit-Lié orienta son attention sur quelques objets un peu brillants. La lèvre mordue, Léon se les appropria. Belethar savait ses tendances, et Léon l’avait convié à lui demander de rendre toutes ses affaires en fin de ses jours. Il ne pouvait s’empêcher de dérober, mais rien ne le forçait à ne pas rendre les affaires. Il vérifiait juste que ce ne soit rien d’intime ou de révélateur. Pas question de mettre son ami mal à l’aise.
Mais à l’origine, il ne venait pas pour trouver du Brillant. Pour passer le temps, rien ne valait un bon bouquin, si possible poussiéreux, si possible en vers. Tandis qu’il considérait ses choix, une forme pour le moins surprenante apparut à Léon. Son chantonnement s’éteignit, ses mouvements se stoppèrent.
Par l’Unique, Belethar lui avait caché ceci ! Ou peut-être n’avait-il juste pas eu le temps de lui en parler. Léon n’était là que depuis peu de temps, ils avaient eu beaucoup à se dire, et Belethar était un homme aux fonctions prenantes…N’est-ce pas ? Ce ne pouvait être un manque de confiance de son camarade. De toutes façons, Léon pouvait difficilement faire quoi que ce soit en ces lieux où le meurtre était immédiatement su. A moins d’embarquer cet oeuf au loin avant. Mais autant directement faire une croix sur toute amitié avec Belethar et le Domaine. Léon n’était pas prêt à cela, mais Belethar, le savait-il ?
Lentement, silencieusement, Léon s’approcha de cet oeuf. Quelque chose s’était pincé, en lui. Non, il n’allait rien en faire, mais pourtant, pourtant… Lui qui rêvait de laisser sa trace dans l’histoire, lui qui rêvait d’une reconnaissance en Almara, savait que ç’aurait été là le geste qui lui aurait apporté ce qu’il désirait. Un geste cohérent avec ses idéaux… Incohérent son respect de l’amitié. Pourquoi fallait-il que tout soit toujours complexe, que tout soit toujours dilemme ? L’oeuf n’aurait-il pas pu être blotti dans un coin de Keet-Tiamat, en attente d’un pillard ? N’aurait-il pas pu se trouver en Calastin, où Léon aurait pu le tuer et s’en sortir ? Qu’allait penser Naal de lui, s’il apprenait qu’il avait croisé cet oeuf sans rien y faire ? Peut-être comprendrait-il, si Léon appelait aux sentiments. Peut-être le trouverait-il égoïste. Léon se trouvait égoïste. Et couard. De quoi lui laisser un goût âpre dans la bouche.
Un bref froncement de sourcils assombrit son expression. Quid de Belethar ? Le Cawr avait également Naal en amitié, avait sans doute entendu également le vieil homme maudir le Lien. Pourtant, il avait amené cet oeuf ici, où nul ne viendrait l’empêcher d’éclore. Ses devoirs de baptistrel passaient donc avant ses devoirs envers l’humanité. Soit. Voilà qui était un peu décevant. Devant ce pauvre objet immobile, Léon se surprit à ressentir, de nouveau, comme un élan de solitude. Il n’y aurait personne pour le comprendre, ni Belethar ni Naal. Ni lui-même.
Un lourd soupir lui échappa, déjà déçu et dépité. Sa main se dirigea vers la poche de son manteau qui, normalement, contenait ses dagues. Elles n’y étaient pas. “Idiot”, songea Léon à sa propre encontre, en se souvenant que toutes les armes étaient défaites de leur propriétaire à l’entrée du Domaine. Non pas qu’il allait en faire quoi que ce soit, mais… Il aurait juste aimé voir quel sentiment cela pouvait procurer, de tenir une lame si proche d’un dragon.
Mais qui avait besoin d’armes ? Les vampires n’étaient-ils pas des armes en eux-mêmes ? En tout cas, il était souvent dit que la force vampirique était incroyable. Cependant, Léon ne l’avait jamais vraiment expérimenté par lui-même. La force, ce n’était pas son truc. Aurait-il eu suffisamment de force pour briser un oeuf, s’il l’avait voulu ? La seule référence qu’il avait était l’histoire selon laquelle l’oeuf de Nahui avait dû s’ouvrir avec une lame d’énergie. Celui-ci avait l’air plus fragile… À quel point ? Pouvait-on se sentir tout aussi puissant rien qu’en le tenant dans ses mains sans le briser ?
Afin de tester ce point, Léon fit ce qu’il avait de plus délicat à faire : toquer à la coquille de l’oeuf, d’abord délicatement puis, petit à petit, plus fort.
Encore une fois, Léon était persuadé d’être une évidence, le petit point de lumière au milieu de la pièce sombre, la cicatrice au milieu du visage. N’était il pas debout, là où nul objet ne venait le masquer ? Ne chantonnait-il pas, ouvertement ? Il aurait fallu être aveugle et sourd pour ne pas le percevoir.
Encore une fois, déformation professionnelle oblige, il n’était pas si évident que cela à trouver. Certes, peu d’objets venaient troubler la vue, mais le soleil d’une nuit tombante projetait dans la pièce des ombres immenses et profondes dans lesquelles il s’était naturellement blotti. Certes, il chantonnait, mais si bas, sur un rythme si proche de celui qui l’entourait, qu’il aurait tout aussi bien pu être un chant venu de l’extérieur. Au Domaine, il n’était pas anormal d’entendre des chants, à toute heure, à toute humeur.
Par chance, cette fois-ci, il n’avait pas spécifiquement besoin de se faire remarquer. Belethar lui avait donné rendez-vous plus ou moins vers cette heure-ci et, dans toute son humanité, le ChanteVide avait eu le bon goût d’avoir une ouïe assez fine pour repérer les chants-noms. Un vrai drame pour les parties de cache-cache, un vrai drame pour un espion. De ce fait, il était de fort bon aloi que les baptistrels soient apolitiques, sans quoi Léon n’aurait sans doute jamais pu revoir son ami d’enfance. Sur un plan plus personnel, se faire accepter en ses lieux malgré ses mensonges et ses meurtres était un véritable soulagement. Oh, il n’avait pas de mauvaises intentions envers le Domaine. Mais n’importe qui pouvait, découvrant son ancien ami sous un aspect plus écarlate, estimer ne pas vouloir le revoir.
Belethar l’avait accepté pour ce qu’il était. Bien des doutes et des craintes étaient parties à ce moment-là. Léon était venu jusqu’à Néthéril spécifiquement pour lui. Même si, maintenant qu’il était présent… Il n’allait pas cracher sur quelques virées dans les bibliothèques, ou quelques représentations d’Enwrs et Cawrs. Il restait un amateur d’art. Trouver un endroit qui cristallisait ainsi une de ses passions avait pour mérite de faire brûler cette dernière. Il avait bu les poèmes avec la même soif inétanchable d’un nouveau-né, avait dévoré les romans en louant sa condition qui lui évitait de se voir couper dans un chapitre par le besoin de dormir. Il avait trouvé dans les baptistrels des interlocuteurs pertinents avec qui échanger sur ces sujets, et les baptistrels avaient assurément trouvé en lui l’interlocuteur le plus enjoué qui soit. Pour sa défense, ses virées en Nyn-Tiamat se paraient plus souvent du sceau du devoir et de la nécessité que des plaisirs de l’esprit. En Calastin, son seul véritable interlocuteur sur le sujet était Ilhan. Il avait bien tenté de parler d’arts à Claudius, mais il était bien évident que cet ami-là favorisait l’art des baffes et des champs de bataille.
À y penser, n’était-ce pas cocasse, au fond, que sa place en ces lieux posât moins de problèmes qu’au sein d’autres humains ? Chaque fois qu’il re-pensait à Délimar, son petit coeur mort se serrait un peu. La cité gardait jalousement en elle les Almaréens, dévots de Néant… Ainsi que les Glacernois, qui appréciaient sans doute assez les vampires pour s’en faire de charmants tapis de bain. La fortune avait permis à Léon de pouvoir contacter Naal du Néant, dans une correspondance pleine de ferveur. Mais se mêler à ceux qui partageaient cet aspect de sa vie lui était encore interdit. Il ne pouvait que chercher autour de lui les quelques adeptes de Néant qui parcouraient le reste de l’archipel.
Belethar en était devenu un. Une histoire rocambolesque, mais bienvenue. Une raison de plus pour Léon de se sentir bien en ces lieux. Il prenait ce que ce monde avait à lui offrir. Le résultat était là, un vampire au coeur relativement léger, prompt à meumeuner un petit air encore récent dans sa mémoire.
Le temps se faisait long. Belethar avait dû avoir quelque contretemps. Rien d’inquiétant, assurément, sans quoi la nouvelle aurait traversé le Domaine. Soit ! Le temps à perdre n’était jamais du temps perdu. Les bras ballants, Léon commença à errer dans la chambre de son ami, sachant que ce dernier l’aurait sans doute convié à faire comme chez lui. Le regard perçant et avisé de son esprit-Lié orienta son attention sur quelques objets un peu brillants. La lèvre mordue, Léon se les appropria. Belethar savait ses tendances, et Léon l’avait convié à lui demander de rendre toutes ses affaires en fin de ses jours. Il ne pouvait s’empêcher de dérober, mais rien ne le forçait à ne pas rendre les affaires. Il vérifiait juste que ce ne soit rien d’intime ou de révélateur. Pas question de mettre son ami mal à l’aise.
Mais à l’origine, il ne venait pas pour trouver du Brillant. Pour passer le temps, rien ne valait un bon bouquin, si possible poussiéreux, si possible en vers. Tandis qu’il considérait ses choix, une forme pour le moins surprenante apparut à Léon. Son chantonnement s’éteignit, ses mouvements se stoppèrent.
Par l’Unique, Belethar lui avait caché ceci ! Ou peut-être n’avait-il juste pas eu le temps de lui en parler. Léon n’était là que depuis peu de temps, ils avaient eu beaucoup à se dire, et Belethar était un homme aux fonctions prenantes…N’est-ce pas ? Ce ne pouvait être un manque de confiance de son camarade. De toutes façons, Léon pouvait difficilement faire quoi que ce soit en ces lieux où le meurtre était immédiatement su. A moins d’embarquer cet oeuf au loin avant. Mais autant directement faire une croix sur toute amitié avec Belethar et le Domaine. Léon n’était pas prêt à cela, mais Belethar, le savait-il ?
Lentement, silencieusement, Léon s’approcha de cet oeuf. Quelque chose s’était pincé, en lui. Non, il n’allait rien en faire, mais pourtant, pourtant… Lui qui rêvait de laisser sa trace dans l’histoire, lui qui rêvait d’une reconnaissance en Almara, savait que ç’aurait été là le geste qui lui aurait apporté ce qu’il désirait. Un geste cohérent avec ses idéaux… Incohérent son respect de l’amitié. Pourquoi fallait-il que tout soit toujours complexe, que tout soit toujours dilemme ? L’oeuf n’aurait-il pas pu être blotti dans un coin de Keet-Tiamat, en attente d’un pillard ? N’aurait-il pas pu se trouver en Calastin, où Léon aurait pu le tuer et s’en sortir ? Qu’allait penser Naal de lui, s’il apprenait qu’il avait croisé cet oeuf sans rien y faire ? Peut-être comprendrait-il, si Léon appelait aux sentiments. Peut-être le trouverait-il égoïste. Léon se trouvait égoïste. Et couard. De quoi lui laisser un goût âpre dans la bouche.
Un bref froncement de sourcils assombrit son expression. Quid de Belethar ? Le Cawr avait également Naal en amitié, avait sans doute entendu également le vieil homme maudir le Lien. Pourtant, il avait amené cet oeuf ici, où nul ne viendrait l’empêcher d’éclore. Ses devoirs de baptistrel passaient donc avant ses devoirs envers l’humanité. Soit. Voilà qui était un peu décevant. Devant ce pauvre objet immobile, Léon se surprit à ressentir, de nouveau, comme un élan de solitude. Il n’y aurait personne pour le comprendre, ni Belethar ni Naal. Ni lui-même.
Un lourd soupir lui échappa, déjà déçu et dépité. Sa main se dirigea vers la poche de son manteau qui, normalement, contenait ses dagues. Elles n’y étaient pas. “Idiot”, songea Léon à sa propre encontre, en se souvenant que toutes les armes étaient défaites de leur propriétaire à l’entrée du Domaine. Non pas qu’il allait en faire quoi que ce soit, mais… Il aurait juste aimé voir quel sentiment cela pouvait procurer, de tenir une lame si proche d’un dragon.
Mais qui avait besoin d’armes ? Les vampires n’étaient-ils pas des armes en eux-mêmes ? En tout cas, il était souvent dit que la force vampirique était incroyable. Cependant, Léon ne l’avait jamais vraiment expérimenté par lui-même. La force, ce n’était pas son truc. Aurait-il eu suffisamment de force pour briser un oeuf, s’il l’avait voulu ? La seule référence qu’il avait était l’histoire selon laquelle l’oeuf de Nahui avait dû s’ouvrir avec une lame d’énergie. Celui-ci avait l’air plus fragile… À quel point ? Pouvait-on se sentir tout aussi puissant rien qu’en le tenant dans ses mains sans le briser ?
Afin de tester ce point, Léon fit ce qu’il avait de plus délicat à faire : toquer à la coquille de l’oeuf, d’abord délicatement puis, petit à petit, plus fort.