Guerre et paix. Tel était l’éternel leitmotiv que chantaient leurs vies.
Etrange sonnet. Qui pourtant était le leur tout en dysharmonie.
A chaque combat gagné, un autre se présentait. Si la détermination de voir ses enfants et les siens, qu’il soit de son sang ou non, grandir vers un avenir plus serein ne l’animait pas, peut-être eût-il enfin cédé à la tentation de prendre sa retraite dans un coin retiré de cet univers, laissant le reste du monde s’entre-déchirer et se détruire, pour mieux les laisser embrasser leur trépas. Mais il était père. Il était mari et époux. Il était fils et ami. Et enfin il était Prince Consort, ce qui faisait de tous les caladoniens ses enfants, en un sens, aussi. Lâcheté n’était pas un mot qui avait jalonné sa vie, malgré les peurs qui avaient pu le happer à de nombreux moments, lui qui n’était guère un fervent combattant. Ou peut-être au final l’était-il, là, tout au fond de lui, tapis dans l’ombre de son esprit affûté par les écrits et les mots, quand d’autres affûtaient leurs lames et leurs faux ? Ou peut-être ainsi avait-il été forgé par le chaos qui les avait tous agités ces dernières années…
Peu importait au fond. Peu importait la raison, il était là, assis à cette table des dirigeants, et il savait, quelle que soit la décision des autres, que lui continuerait le combat, avec ou sens eux, fort de la détermination et de la conviction qu’il avait acquise tout au long de ses confrontations avec les Couronnes et de ses diverses investigations, qu’on ne pouvait les laisser continuer et gagner. L’Araignée les avait priés de poursuivre leur quête. De cela, il s’en souvenait.
Tant et si bien que toute provocation possible glissa sur lui sans même le toucher. Aux fanfaronnades du forban, seul un regard impavide du sainnûr de la cité de l’or lui répondit, le noir d’encre de ses yeux le sondant tel un puits sans fond impossible à atteindre. Il pouvait s’appuyer sur la présence du Prince Noir, son père, et du Chante-magma, son frère, pour que rien d’autre que l’essentiel ne l’atteigne en ce jour, où seul comptait leur devenir commun, et où seul fin stratagème parviendrait à leur assurer survie et avenir. Même si en cet instant son père ne pouvait plus être que le Prince Noir représentant le Royaume Erlië et lui-même n’était plus que le Prince consort, représentant de la Caladon et de l’Alliance. Ils avaient pu tous deux partager un peu d’intimité et la chaleur de retrouvailles toujours pudiques mais fortes de leur amour père-fils à chaque fois affirmé. Quant à son frère… Il n’avait pu le serrer dans ses bras, chante-magma qu’il était, mais il le serrait dans son coeur, et peut-être plus tard dans ses rêves. Son frère savait lire en lui pour pouvoir en puiser toute l’affection et l’amour qui l’inspirait.
Il répondit à chaque salutation d’une manière sobre, plus caladonienne qu’althaïenne, tel que l’aurait fait son épouse et non lui. Car en ce jour il la représentait elle, avant toute chose. Ce fut donc des salutations polies d’un signe de tête respectueux, qu’il offrit, au nom de la Monarque de Caladon dont il n’était que la voix en cet instant. Il ne put toutefois retenir un salut de son propre peuple envers Keetech, reine de l’orage. Tous comprendraient l’exception offerte à une dragonne qui leur faisait l’honneur de venir soutenir cette assemblée par sa présence, signe que sans doute les dragons les soutiendraient aussi dans ce conflit. Oui, honneur. On ne pouvait le prendre autrement. Quant aux Graärh, s’il se permit de leur offrir une salutation Graärh, du moins autant que faire se pouvait, n’étant doté ni d’oreilles mobiles ni des vocalises permettant de compléter pleinement ces salutations, c’était là plus pour affirmer qu’il connaissait parfaitement les coutumes de leur peuple, plus que parfaitement même maintenant, et leur rappeler qu’il avait oeuvré avec et pour eux depuis bien longtemps maintenant.
– Mon épouse, la Monarque de la cité de l’or, vous remercie de s’enquérir de sa santé, qui resplendit chaque jour que nos protecteurs lui prêtent, répondit-il à l’Empereur, et se réjouit que tant aient répondu à cette réunion primordiale que le Prince Noir nous a fait l’honneur et la joie d’organiser.
Se disant, il se tourna vers ledit Prince Noir, lui offrant un autre salut de tête respectueux, avec une légère inclinaison du buste, marquant ainsi une déférence plus marqué encore.
Quand place fut à prendre, il cacha soigneusement son soulagement de voir les sièges près du forban occupés. Il se hâta quant à lui de se placer aux côtés de son frère, à qui un discret sourire en coin fut offert. Il se trouvait ainsi aux côtés des Graärh de son autre côté.
Il écouta chacun avec attention. Les enjeux posés par son père, qui leur révélait des informations d’importance, et qui faisait écho à celles qu’il détenait lui-même, posaient bien les clés nécessaires à toute décision. Ce n’était plus une question de riposte, de vengeance, ou de simple protection en cas d’attaque, mais bel et bien une question de survie, ni plus ni moins. Comme il l’avait déjà pressenti dès sa première rencontre avec les Couronnes et lors de leur étrange entrevue avec les Esprits-Liés, entrevue parfois floue sur certains aspects. C’était un enjeu qui les touchait tous et qui pouvait les sauver… ou les condamner. Sa propre épouse ayant un passé Graärh, ayant incarné il fut un temps Smilodaene, la guerrière funeste, légende parmi les légendes dans le peuple Graärh, cela n’ajoutait qu’une raison de plus pour lui d’affronter cet énième combat sans même tergiverser.
Au mots "traité de paix", Ilhan retint un sourire. Mais ne répondit rien sur l’instant. Il devait avouer que c’était là une proposition sage, même si par certains aspects elle pouvait paraître outrancière tant les enjeux dépassaient de loin la survie d’une faction. Elle n’était toutefois pas la condition de la participation de l’Empire, mais seulement la condition de l’ampleur de sa participation, ce qui en soi amenuisait tout sentiment de potentielle indignation quant à cette proposition terre-à-terre.
Aux questions de l’Empereur, fortes intéressantes en soi, même si certaines réponses pouvaient déjà être apportées, il hocha la tête. Il s’apprêtait à répondre, quand intervint une des représentantes des Garals, Jh'eena Orën, Aaleeshaan des Chasseurs de Smilodons. Il avait entendu parler d’elle, bien entendu, tant par les récents événements, que par sa situation au sein du Conseil tribal des Garals dirigeant ses derniers en l’absence de Kamda Aaleeshaan.
Là encore les questions qu’elle souleva étaient d’intérêt. Étudier le pourquoi et le comment des facultés des Couronnes. Une question que l’on aurait pu toutefois considérer comme tardive : si le conseil ici présent n’en était qu’à cette question, alors qu’une attaque des Couronnes pouvait être imminente et leur porter le coup de grâce, alors peut-être pouvaient-ils se considérer comme perdus et déjà morts. Oui, ces questions étaient d’importance. Mais elles nécessitaient des réponses là, maintenant, pour que ce conseil de guerre puisse avancer et dresser un plan de bataille, d’attaque ou de défense, voire les deux à la fois, qui soit un tant soit peu efficace. Il fut heureux alors qu’elle apporte justement des éléments de réponse, notamment sur le lien entre Rog et la Lucane, un lien qui leur aurait posé de grands soucis. Aldaron avait su défaire les liens de Rog avec ses Esprits-Liés, et pourtant la Lucane avait pu à nouveau lui prêter ses forces et ses pouvoirs, le soutenant pleinement dans ses actions. Un lien qui maintenant s’expliquait, et ce par l’intermédiaire d’une dague, d’un contrat. Détruire la dague pourrait-il alors détruire ce contrat et délier la Lucane de Rog, pour qu’enfin ce dernier ne puisse plus nuire ? Possiblement. Quant aux karapts… L’information donnée ne faisait que conforter ce qu’il avait appris de son côté.
Ilhan laissa son regard errer sur chacun des présents, les sondant chacun de son regard sombre et profond, laissant un sentiment d’un ersatz de fierté l’enlacer à la vue de tous, là, autour de cette table, alliés dans l’adversité, encore, malgré leur passé houleux et douloureux, pour ne pas dire plus. Certes, il n’irait pas embrasser le forban de son plein gré, non merci. Certes il avait subi de ses mains diverses sévices dont son âme était à jamais entachée. Tous pouvaient nourrir des litiges et ressentiments envers au moins un des présents. Et pourtant… Et pourtant… Tous ici étaient venus, avec le but de s’allier, et de combattre, ensemble. Et tous ici étaient venus, en apportant des bribes de réponses, des éléments d’importance, qui tous, mis bout à bout, pouvaient leur donner une petite chance.
Oui, une toute petite chance.
Quand Jh'eena se tourna vers le Tribyoon Asolraahn, Ilhan se permit cette fois de prendre la parole.
– Je me permets d’intervenir à mon tour, Aaleeshaan Jh'eena, et m’excuse d’avance si le Tribyoon Asolraahn voulait répondre de suite à votre invitation d’exprimer ses propres pensées.
Il montrait également par ces quelques mots être pleinement capable de comprendre la langue Graärh. S’exprimer ainsi devant une assemblée dans une langue ou un dialecte possiblement inconnu des autres pouvait être considéré, chez eux Ambarhuniens, comme une impolitesse sans nom. Même si chez les Graärh, il savait qu’ils n’avaient aucune considération de ces problématiques-là, il espérait que les deux Graärh comprendraient le message : si alliance et un semblant de confiance, même si temporaire le temps de cette crise, devaient se nouer, il ne fallait qu’aucun sentiment de secret ne se noue. Et cela passait par le fait de tous parler la même langue, en tout temps.
– Si je me permets cette interruption, c’est parce que j’ai, peut-être…
Sans doute même.
– Quelques éléments de réponse aux questions que vous avez soulevés.
Il laissa un léger silence planer.
– Tout d’abord, même si cela est sans doute déjà une évidence pour certains, Caladon et l’Alliance seront de ce conflit et soutiendrons le Royaume des Erlië. Nous avons déjà pris faits et actes en ce sens. Qu’il y ait un traité ou non, notre participation sera la même, sans faillir. L’idée d’un traité nous paraît toutefois fort à propos, et pourrait permettre à tous de se focaliser sur l’essentiel : comment allier nos forces de la façon la plus utile pour survivre, tous, encore, à ce qui nous attend. Si traité, Caladon et l’Alliance le signeront donc.
Il savait déjà que son épouse ne voulait pas d’une guerre. Pas ouvertement, pas une guerre sanglante. Son épouse avait toujours été contre la violence quand on pouvait l’éviter. Si on l’y obligeait, elle ne reculerait jamais pour prendre les armes, et ce elle-même s’il le fallait, mais s’il lui était possible d’éviter une guerre, elle le ferait aussi. Il était sûr que si elle avait été présente, elle aurait accepté un tel traité. Et il était là pour parler en son nom, au-delà de ses propres convictions. Tant mieux si ensuite les deux se concordaient.
– Pour en venir aux éléments que je peux vous transmettre… J’ai depuis de nombreuses semaines, de nombreux mois, investigué au sujet des Couronnes, mais aussi au sujet de l’histoire des Graärh, puisque les deux sont intimement liés.
Il se tourna vers les Graärh présents.
– Vous avez sans doute entendu parlé de notre visite au sein de la Légion Garal il y a quelque temps, du temps où j’étais conseiller de Delimar. Vous savez sans doute que j’ai beaucoup appris au sujet de votre culture, de vos us et coutumes, de votre mode de vie. Je me suis lié d’amitié avec certains de vos paires aussi, j’ai accueilli des Graärh chez moi, et ce avec honneur et respect. J’ai oeuvré pour votre peuple, autant que je le pouvais.
Avec l’abolition de l’esclavage des leurs en Delimar.
– Et la Monarque de Caladon, dont aujourd’hui je suis la voix, a également beaucoup oeuvré pour les vôtres.
Avec l’abolition de l’esclavage des Graärh en Caladon. C’était là des faits qu’il était bon de rappeler, pour que les Graärh se rappellent qu’au sein de l’Alliance, ils avaient des alliés, même si sans signature ni traité.
– Et elle œuvre encore aujourd’hui. Tous deux, nous nous sommes toujours beaucoup intéressés à votre peuple, sous tous ses aspects. Plus encore quand les Couronnes sont revenues d’entre les morts et ont commencé à frapper. Nous avons également été confrontés à plusieurs reprises aux Couronnes. Lors de l’attaque au Domaine, où nous avons pu rencontrer en face à face, et même échangé quelques bribes sommaires, avec Laalach.
Il se tourna vers Valmys.
– Le respecté chante-magma, Valmys Elusis, était présent aussi.
C’était en ce jour funeste qu’il était devenu chante-magma d’ailleurs… se sacrifiant pour tous les sauver.
– Nous lui devons la vie. Nous avons beaucoup échangé ensuite au sujet de cette attaque, pour en analyser certains aspects. Nous avons investigué dans les souterrains de Calastin, notamment avec le Gardien du domaine actuel, Belethar Espérancieux, et Purohit Rakshak, connue aussi sous le nom de Reynagane Shaa.
Il tut le nom de Naal du Néant, ne voulant pas raviver d’anciennes blessures chez son père.
– Nous avons pu faire la découverte et la rencontre d’une autre Couronne de Cendres, Udyog, artiste et maître forgeron, dernier descendant et héritier des entreprises Ychgama, une ancienne entreprise légendaire d’alors et à l’étrange… savoir… du peuple Graärh d’antan. Udyog est béni de l’Esprit-Lié du scarabée comme vous l’avez dit, et de celui du Tigre. Loin de nous tuer, elle nous a accordé une chance de faire nos preuves. Preuves faites quand Althaïa la fantasque…
Qu’il était difficile de prononcer ce nom sans flancher au souvenir de SA cité si aimée, à jamais avilie, à jamais perdue, aux mains du forban honni…
– A été attaquée par Lolupata le Glouton. Nous y étions, oui. Et grâce au don que le prince des forbans ici présent, Roi de la Confrérie des pirates, a accordé à Udyog, un précieux bijou légendaire aux pouvoirs sans nom, un don crucial…
Rendons à Nathaniel, ce qui était à Nathaniel. En ce jour d’attaque d’Althaïa, le forban avait montré, au final, être un roi digne de ce nom, en un sens, en cherchant réellement à protéger ceux qu’il avait nommés et faits siens. Pirates et forbans oui, mais protégés par leur roi, en un peuple hétéroclite soudé par l’appât du gain, mais aussi par l’affliction de la vie qui les avait ballottés et rejetés à tout vent.
– Nous avons su nous allier cette Couronne. Elle nous a promis de venir nous soutenir au moment fatidique, et cette Couronne n’a qu’une parole, malgré certaines apparences. Comme dit par l’Aaleeshaan Jh'eena, Udyog aime à forger des armes et objets légendaires. Il connaît le secret des portails, même si je doute qu’il nous le révèle pleinement. Je n’ai pas perçu une puissance aussi importante que celle des autres Couronnes, mais… je pense que la puissance proprement dite ne fait pas tout. La puissance d’Udyog est dans son savoir et ses armes sont sa forge.
Il tourna un regard vers Nathaniel et l’Empereur.
– Vous avez parlé tout à l’heure des capacités de Laalach, s’adressant à Nathaniel. Et vous m’avez posé la question de mon ressenti en tant que béni de l’ornithorynque, regardant l’image de l’Empereur. Je ne voudrais pas m’avancer en conjectures hasardeuses, car ses capacités dépassent de loin mes propres capacités, et même de loin toutes les capacités d’Esprit-Lié que nous avons pu rencontrer. Mais je serais plus affirmatif que le Roi de la Confrérie. Lors de l’attaque du Domaine, il a su copier les pouvoirs baptistrels, en partie du moins, pour s’y infiltrer et faire tomber des barrières. En présence d’un très bon archer, il s’est révélé très bon archer lui-même. En présence d’un mage exceptionnel, il a su faire appel à la trame pour invoquer un portail de téléportation. En somme… il ne copie pas seulement nos Esprits-Liés de façon décuplée. Il copie toute capacité, et je dis bien toute, dans leur intégralité et à leur pleine puissance. Mettez en face de lui un mage d’exception et vous en ferez un mage d’exception. Il a en plus une autre force en lui que rien ne pourra détruire : sa foi. Nous ne pourrons donc en effet le combattre par des armes usuelles.
Ruse et stratégie seraient leurs seules véritables armes contre un tel adversaire.
– Envoyer des troufions de base seraient une idée. Je serai plutôt d’avis d’envoyer le moins de monde possible. Tenter une confrontation en un contre un serait sans doute suicidaire toutefois, ajouta-t-il en se tournant vers Jh’eena. Mais un nombre réduit oui. Et des personnes savamment sélectionnées, avec une stratégie savamment étudiée. J’ai longuement réfléchi à une possible stratégie pour affronter le danger des Couronnes, dont Laalach. Et je n’ai vu qu’une solution viable pour l’heure…
Il jeta un regard vers Aldaron, avant de reprendre.
- Les couper de leurs Esprits-Liés. Que les Esprits-Liés me pardonnent pour cet outrage. Mais je ne vois aucune autre solution et j’espère qu’ils me comprendront et me pardonneront. Nous savons que cela est possible, le Prince Noir l’a déjà réalisé sur Rog. Il lui sera toutefois difficile de réaliser le même exploit sur Laalach, qui saura le contrer en copiant ses pouvoirs exceptionnels et en les lui renvoyant tel un boomerang. Cela serait très risqué. Non, il faut trouver un autre moyen de couper le lien de Laalach avec son ornithorynque. C’est pourquoi…
Il inspira calmement, espérant que la suite de ce qu’il s’apprêtait à révéler n’allait pas déclencher un tôllé. Même si l’information avait déjà été révélée il y a peu. Plus ou moins.
– C’est pourquoi j’ai contacté l’unique personne qui m’a semblé capable de trouver une solution à ce problème de taille, ce problème de savoir comment couper un lien avec un Esprit-Lié sans user de magie. Je sais que ce que je vais dire ne plaira pas à nombre d’entre vous, bien que l’information vous a déjà été délivrée. Cette personne n’est autre que celui qui se faisait dénommer Thormir, de son vrai nom Demens Torqueo, éminent alchimiste. Le plus talentueux alchimiste de notre temps, nous devons bien l’avouer. Et surtout un alchimiste qui n’a peur de rien et n’a aucune barrière.
Il se tourna vers l’Empereur.
– Aucune barrière, j’en suis désolé. Mais il a déjà fait ses preuves contre le danger des Ékinoppyres. S’il y a parmi nos factions des savants détenteurs de savoir précieux et capables d’ingéniosité, telle Rúmil Elenvir, aucun n’a, je pense, toutes les capacités, intellectuelles et morales…
Ou plutôt amorales…
– Pour parvenir à ce défi de taille.
Rúmil aurait eu les capacités intellectuelles, certes, mais elle était trop obnubilée par les portails pour s’en défaire.
– Thormir, ou plutôt Demens, a accepté le défi, sous serment de ne pas utiliser ses découvertes autrement que sur les Couronnes.
Si cela pouvait un tant soit peu rassurer l’assemblée présente. Il tut que ce même serment lui en avait coûté un aussi.
– Maudissez-moi s’il le faut, mais j’assume totalement cette décision, car cela nous apportera peut-être une chance de victoire. Ou alors donnez-nous une autre solution. Mais j’ai beaucoup réfléchi à la question et j’en vois peu. Demens Torqueo est d’ailleurs à deux doigts de parvenir à trouver ce que je lui ai demandé. S’il y parvient… Le plan que je proposerais serait d’envoyer une poignée de personnes avec Demens Torqueo pour faire face à Laalach, des personnes dotées de peu de capacités guerrières, en usant d’armes anti-magie dignes de Delimar, si quelques unes de ces personnes sont des mages, pour annihiler les capacités magiques en prévention. Ne resterait que des personnes dotées de capacités intellectuelles, de ruse, de stratégie et de fourberie, et éventuellement leurs Esprits-Liés, pour tenter de toucher à Laalach avec l’oeuvre de Demens, et de le couper de son lien avec l’ornithorynque.
Se disant, il toucha délicatement sa fibule qui contenait sa pierre des Esprits, priant en silence l’ornithorynque de le pardonner encore une fois.
– Et là, nous pourrons tenter de le contrer ensuite définitivement. Quant à Rog... De ce qu’en dit l’Aaleeshaan Jh'eena, pour le couper de la Lucane, il nous faudrait mettre la main sur cette dague et détruire la dague, en espérant détruire ainsi le pacte qu’elle contient, ce qui pourrait empêcher la Lucane de se lier de nouveau à Rog. Parvenir ensuite à couper Rog de nouveau de son lien avec elle… l’en priver définitivement pour le neutraliser définitivement. Là, cependant, sans doute devrons nous faire face à de nombreuses forces en présence, et de forts effectifs en armée pourrait être nécessaire.
Voilà au moins une ébauche de stratégie, que tous pourraient affiner ou modifier selon les informations et expériences de chacun. Parlant informations, maintenant que la plus délicate avait été divulguée, il en avait quelques autres à apporter…
– Ce ne sont pas là les seules informations en notre possession. Nous avons effectué quelques autres investigations, souvent avec l’aide du Gardien du Domaine et de Purohit Rakshak. Nous vous épargnerons le détail de ces investigations.
Il n’avait aucune envie de révéler certains éléments, comme le voyage dans un monde parallèle… Seule la pensée voletait dans son esprit, accessible aux télépathes tel son père et à la dragonne de l’orage. Il leur faisait confiance pour ne pas divulguer ce qu’il voulait taire. Seul comptait les informations apportées… pas forcément le moyen dont il les avait obtenues.
– Nous ne vous ferons part que des informations récoltées. Je fais appel au baptistrel ici présent pour attester de la véracité de ce que je vais dire. Nous pouvons confirmer de façon sûre, qu’effectivement, si les Couronnes de Cendres parviennent à leur fin, les Graärh disparaitront tous, sans aucune exception.
Ils l’avaient vu, Belethar et lui, quand ils avaient voyagé dans le monde parallèle où les Couronnes de Cendres avaient gagné. Dans ce monde-là, les Couronnes de Cendres avaient apparemment "convaincu" les Graärh, et dans le monde qu’ils avaient visité, les Graärh avaient tous disparu. Au moment de la visite, cela était resté assez nébuleux, mais en faisant le parallèle avec ce que Aldaron venait de révéler, tout s’éclaircissait.
Là encore, cela resta à l’entrée de son esprit, accessible pour ceux pouvant le lire si besoin, mais sans qu’il ne l’explicite pleinement à haute voix.
Ils avaient pu découvrir aussi un point important dans ce monde parallèle : l'objectif était de fuir une menace que les Graärh ne parvenaient pas à repousser, et cette menace là-bas était les Karapts. Des Karapts qui apparemment n’avaient pas la même origine qu’ici, il s'agissait là-bas d'insectes qui auraient "mutés" après avoir été exposés à une certaine substance. Substance qui était en réalité une pollution issue des entreprises Graärh. Tout comme ici la Peste de Corail était issue des entreprises Ychgama.
– Un autre point important. Nous savons que les Couronnes de Cendres en sont venues à cette décision, en la considérant comme une solution ultime à un danger que les Graärh ne parvenaient pas à contrer. Ce danger : la Peste de Corail. Son origine : la pollution issue des entreprises Graärh nommées Ychgama.
Il se tourna vers Jh’eena.
– Vous disiez tout à l’heure vouloir comprendre le pourquoi du comment. Le voici. Nous avons pu reconstituer, plus ou moins, l’histoire des Couronnes de Cendres. L’histoire Graärh que pourtant votre peuple a tant voulu cacher et que vos anciens ont refusé de révéler à Purohit Rakshak quand elle est venue s’en enquérir.
Nul reproche. Juste un fait. Les Graärh avaient voulu étouffer leur passé. Mais ce temps était révolu, car, comme souvent, le passé les rattrapait…
– Nous avons pu "rencontrer" la cinquième gardienne du Baôli, qui a refusé antan de trahir son serment et de s’allier aux Couronnes. "A cinq, la tête couverte d’or ils rentrèrent, à quatre la tête couverte de cendres ils sortirent", cita-t-il en Graärh, avant de le traduire en langue commune. Quand je dis rencontrer, cela est un bien grand mot, car elle est morte, malheureusement, mais le gardien du Domaine, Belethar, accompagné de Purohit Rakshak, a pu lire des réminiscences de son esprit, demeurant tel un écho. Pour commencer au début… Il y avait cinq gardiens du Bâoli, cinq têtes couronnées, que nous connaissons maintenant. L’un d’eux, Udyog, était très attaché à son savoir, sa forge, une forge qui toutefois par la pollution qu’elle créait a été à l’origine de la Peste de Corail. Cette Peste s’est propagée, a dévasté des cités Graärh entière. Mais surtout, elle a touché l’enfant de Lolupata et de cette cinquième gardienne. Les gardiens du Baoli ont cherché alors une solution… Rog se tournant vers son savoir, le savoir du vivant, Udyog vers le sien, le savoir du métal, tous deux en concurrence en quelque sorte, mais tous deux impuissants pourtant à trouver une solution. Et Laalach se tourna… vers sa foi. Sa foi qui l’a conduit a retrouvé la véritable origine des Graärh que le Prince Noir nous a révélée. Quand tout a échoué pour vaincre la Peste de Corail, Laalach a alors pensé à cette solution ultime : redevenir cet Esprit-Lié, et que tous revivent à travers lui, tous liés, même si pour cela ils devaient disparaître sous leur apparence Graärh. C’était là, selon lui, la seule solution pour permettre de retrouver l'enfant, qui était mort alors, mais également de sauver les Graärh, particulièrement ceux du Calastin, car la Peste de Corail continuait ses ravages sur l'île et menaçait de s'étendre aux autres îles. Il tenta de convaincre les siens, mais échoua. Il parvint à convaincre trois des autres gardiens de le suivre, Lolupata, Rog et Udyog, qui suivit par culpabilité. Seule la mère de l’enfant, la cinquième Couronne, refusa et tenta de s’interposer. En vain.
Il s’humecta les lèvres et but une gorgée d’eau avant de reprendre.
– Cette solution ultime toutefois provoqua un conflit au sein même du monde des Esprits-Liés. Et du fait que les Graärh n’étaient pas convaincus de suivre les quatre Couronnes dans leur folie…
Dans ce monde-ci toutefois. Dans le monde parallèle, les Graärh avaient été convaincus, et même s’il y avait eu conflit au sein des Esprits-Liés, leurs protégés Graärh semblant tous d’accord, le conflit des Esprits-Liés semblaient ne pas avoir eu lieu, ou s’être apaisés, et n’avaient pas eu en tout cas les conséquences qu’il avait eues ici. A savoir…
– Le conflit prit une ampleur telle que cela provoqua une éruption du Baôli. Belethar a lu dans l’esprit de la cinquième gardienne, que cette éruption a bel et bien eu lieu, et que c'est cette cinquième gardienne qui y a mit fin, en gelant le volcan et certaines veines de lave se trouvant sous l'archipel. Particulièrement les veines de lave qui passent sous Nyn-Tiamat, causant son état actuel, soit un simili hiver éternel.
Quel que soit le monde, en somme, les entreprises Graärh entraînaient une pollution sans nom, telle qu’elle provoquait une catastrophe. Une catastrophe qu'à chaque fois les Graärh tentaient de fuir, et à chaque fois la solution ultime choisie ou trouvée était celle de redevenir l’Esprit-Lié à l’origine de cette race. Dans leur monde, les Couronnes avaient échoué, à la fois à convaincre les leurs, mais aussi à mettre leur plan à exécution. Dans l’autre monde, elles avaient réussi, tous avaient été convaincus et il n'y avait plus aucun Graärh là-bas.
Il s’arrêta là dans l’histoire qu’il connaissait. Et tut le fait de comment les Couronnes avaient pu obtenir un tel pouvoir. Les Esprits-Liés ne leur permettraient pas de la divulguer, sans aucun doute, Valmys en était témoin. L’information était trop dangereuse.
– Enfin, reprit-il d’une voix basse, une dernière information importante reste à vous donner et qui rejoint celle révélée par l’Aaleeshaan Jh'eena. Belethar Espérancieux avait déjà rencontré il y a longtemps l’essaim des Karapts et leur Reine et il a réussi à nouer des liens avec elle. Nous avons appris que Rog est effectivement parvenu à détourner, non pas un karapt, mais une partie de la colonie. Danalieth, la Reine des Karapts, est parvenue heureusement à en conserver une majeure partie, mais pleure "l'enlèvement" de ses enfants. Elle est disposée à nous aider pour éliminer Rog une bonne fois pour toute et venger la perte de ses enfants, elle a assuré son soutien à Belethar.
Il reprit une gorgée et reposa son verre en un bruit sourd.
– Selon moi, nous devons nous préparer, non seulement à subir une attaque et nous défendre, mais aussi à attaquer, pour pouvoir parer à toute situation. Il nous faut non seulement mettre des plans d’attaque et de défense, en parfaite coordination en place, et adaptés à chaque Couronne, mais il nous faut aussi trouver comment pouvoir transporter un grand nombre de troupes d’un endroit à un autre en cas de frappe inopinée des Couronnes.